Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Mon cher collègue, votre vision est pertinente, mais je ne me suis pas permis de dire qu’il faudrait huit régions comme cela était indiqué dans le rapport Raffarin-Krattinger. Nous n’avons peut-être pas visé assez haut, mais cela nous aurait entraînés dans des débats compliqués.

Monsieur le ministre, bien entendu, une telle déclaration n’est pas normative, je le sais pertinemment, mais c’est notre feuille de route. Celle-ci ne nous engage pas vis-à-vis du Gouvernement ; il s’agit d’affirmer dès à présent que le Sénat s’inscrira dans ces objectifs de maintien des départements, des communes, des intercommunalités, lorsque nous examinerons le second texte. Cela nous revient presque exclusivement, mais dans le même temps on prévient le Gouvernement.

Il est important pour le Sénat d’affirmer sa volonté. Après avoir beaucoup œuvré les années précédentes, il a une vision tout à fait claire.

Certes, on aurait pu diminuer encore le nombre de régions. Était-ce possible ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Peut-être, mais attendons la suite de nos débats sur la carte territoriale, monsieur le ministre.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Je voterai cet article, mais je ne voudrais pas que, du vote de cet article, on déduise que, logiquement, le nombre des régions devrait être ramené à dix ou à huit.

La question que l’on devrait poser est la suivante : pourquoi faut-il de grandes régions ? Va-t-on gagner un centime de frais de gestion en créant de grandes régions ?

Mme Valérie Létard. Non, zéro !

M. Jean Louis Masson. Est-ce que, soudainement, parce qu’on crée de grandes régions, le chômage disparaîtra et l’économie fonctionnera mieux. C’est complètement fumeux !

Si, en Allemagne, certaines régions sont florissantes, cela n’a rien à voir avec leur taille, c’est en raison de leur structure économique, différente de la nôtre, et parce que nos voisins allemands se débrouillent plutôt mieux que nous.

On est en train de bourrer la tête de nos concitoyens en leur faisant croire que tout va aller mieux si l’on crée de grandes régions. Pour moi, c’est de l’utopie totale !

Quoi qu’il en soit, je ne voterai pas ce projet de loi, de même que je ne voterai pas le second. Dans une telle affaire, on part avec des axiomes, des a priori. On est persuadé, sans savoir pourquoi, qu’il faut de grandes régions et que tout ira mieux : on pourra faire des TGV, des autoroutes ; les moyens nécessaires existeront.

Le problème est le même avec les communes : quand on fusionne deux communes pauvres, on obtient une grande commune pauvre. Les gens ne sont pas plus riches pour autant ! Si vous fusionnez deux communes pauvres, elles n’auront globalement pas plus de moyens.

Donc, on est dans l’utopie totale. On a brouillé la vision de nos concitoyens.

Pour ma part, je ne supporte pas qu’on nous dise maintenant qu’il faut dix régions. Pourquoi pas deux ou trois régions, tant qu’on y est ?

M. François Grosdidier. Ou une seule ? (Sourires.)

M. Jean Louis Masson. Puisque tout ira mieux si on crée dix régions au lieu de quinze, pourquoi ne pas en créer cinq ? Ça ira encore mieux !

Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Giraud, pour explication de vote.

Mme Éliane Giraud. Je ne peux pas entendre des réflexions de ce genre dans cette assemblée ; ce n’est pas sérieux !

Aujourd'hui, il existe déjà de grandes régions. Pour ma part, je fais partie d’une très grande région, qui a déjà une taille européenne, la région Rhône-Alpes. Mais nous savons très bien qu’avec la région Auvergne, qui est une petite région, nous allons faire corps (Rires sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE. – M. Jacques Mézard s’exclame.) pour accroître de façon extrêmement importante nos possibilités de développement.

Mme Éliane Assassi. Excellent ! (Rires.)

Mme Éliane Giraud. Pas avec vous, monsieur Mézard, ne vous inquiétez pas, n’ayez pas peur ! Nous ferons cette fusion avec le président René Souchon, par exemple, qui la souhaite.

Grâce à des pôles de compétitivité tels que ViaMéca, à des entreprises innovantes, nous aurons une représentation internationale beaucoup plus forte.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, je pense que nous ne devons pas avoir une vision institutionnelle. Nous devons avoir une vision de la France de demain, dans laquelle l’économie a besoin des politiques. Je regrette que nous ayons une vision trop courte, une vision institutionnelle est trop étroite. Nous avons besoin d’une vision beaucoup plus large et d’une présence auprès de l’ensemble des acteurs de la société civile, notamment des entreprises de notre territoire.

Je pense que les régions doivent être de grandes dimensions. On nous demande d’avoir une vision de l’avenir et c’est cette vision que nous devons porter.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote. (Exclamations amusées sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Jacques Mézard. Chère collègue qui venez d’intervenir, permettez-moi de vous dire que toutes les opinions peuvent être exprimées dans cette enceinte,…

Mme Éliane Giraud. Même la mienne !

M. Jacques Mézard. … même si elles ne vous plaisent pas.

Pour rebondir sur vos propos, je ne pense pas que sur le choix de découpage tel qu’il a été fait nous ayons, pour l’instant en tout cas, une once d’explication, de motivation. Vous nous dites que vous faites déjà partie d’une grande région, que vous savez faire, que vous pouvez donc annexer la région voisine, ça n’en sera que meilleur.

Mme Éliane Giraud. On travaille !

M. Jacques Mézard. Vous travaillez, mais vous n’êtes pas les seuls ! Vous savez, nous avons l’habitude de recevoir des leçons depuis un certain nombre d’années.

M. Jacques Chiron. Pour votre part, vous en donnez beaucoup !

M. Jacques Mézard. Oh non ! J’essaie juste d’être fidèle à la même ligne et de ne pas changer tous les trois mois de position sur la réforme territoriale et les institutions. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.) Tout le monde ne peut pas en dire autant ! (Mme Éliane Giraud s’exclame.)

M. Jacques Mézard. Vous parlez de là-bas, madame. Moi qui suis de là-bas, j’aimerais bien que vous sachiez où c’est et comment on y vit !

Un sénateur du groupe UMP. Et comment on y va !

M. Jacques Mézard. Et, en effet, comment on y va, car c’est une véritable priorité.

Il faut faire attention vis-à-vis de nos concitoyens. On ne peut pas traiter ce type de problèmes seulement avec, permettez-moi de le dire, des éléments de langage « solfériniens ». Il faut tenir compte des réalités et entendre ceux qui formulent de véritables objections. Ensuite, on peut ne pas être d’accord et avoir des visions différentes.

Je rends souvent hommage à la qualité du travail qu’effectue notre collègue René Vandierendonck et à sa capacité d’écoute des uns et des autres. Si tout le monde fonctionnait de cette manière, nous aurions travaillé de meilleure façon…

M. Jacques Mézard. … et nous ne connaîtrions pas ces situations où l’arbitraire décide.

M. Antoine Lefèvre. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Ce n’est pas raisonnable ; nous faisons du mauvais travail. (Mme Sophie Primas applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Je rappelle que, avec l’article 1er A, nous n’en sommes pas encore parvenus à la délimitation des régions.

Monsieur le ministre, cet article n’a certes pas de portée normative, mais, à nos yeux, il est essentiel, car il va donner du sens à ce projet de loi et au suivant.

Nous avons tous dit combien nous étions attachés à la proximité. La proximité, c’est le lien démocratique, le lien social, l’efficacité. Dans une société ouverte, les bonnes décisions sont celles qui sont prises proches du terrain, car elles constituent des solutions plus adaptées aux problèmes. En outre, elles sont mieux comprises.

La proximité, c’est aussi un principe de responsabilité. Vous savez très bien que cette responsabilité pèse sur les épaules des élus locaux, qui peuvent être sanctionnés par leurs concitoyens. Nous souhaitons donc que le principe de proximité soit le principe premier de la réforme territoriale.

La traduction juridique du principe de proximité, c’est le principe constitutionnel de subsidiarité. Nous avons tenu à le rappeler. C’est la première raison pour laquelle l’article 1er A, mes chers collègues, est pour nous fondamental.

La seconde raison, c’est que nous ne pourrons pas exprimer un avis sur le présent texte et un vote sans avoir le second texte dans la trajectoire législative. Le principe de subsidiarité constitue déjà, Jean-Jacques Hyest le disait excellemment tout à l’heure, un point de départ des discussions que nous aurons sur les compétences.

Je le répète, même si, sur le plan de la légistique, cet article n’a pas de portée normative, il est pour nous essentiel, car, en tant qu’élus politiques, nous devons donner du sens à nos votes et à nos actions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le président Hyest, monsieur Retailleau, je comprends parfaitement la démarche qui est la vôtre. Vous voulez une direction, une orientation et vous voulez qu’elle soit connue dès le début de la discussion qui s’engage sur les textes relatifs aux collectivités territoriales.

M. Hyest a d’ailleurs précisé que l’article 1er A était destiné à dire au Gouvernement ce que nous voulons. Le Gouvernement a compris ce que vous vouliez. En effet, le Premier ministre a repris une grande partie de ce qui relève de cet article dans un discours qu’il a tenu hier devant le Sénat et qui l’engage. Par conséquent, je vous indique, puisque telle est votre préoccupation, que votre article 1er A est satisfait par les engagements qui ont été pris par le Gouvernement devant vous.

M. François Grosdidier. Cela va mieux en l’écrivant !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous savez très bien que les débats du Sénat, comme ceux de l’Assemblée nationale, font l’objet de comptes rendus, que ceux-ci font foi, y compris devant le Conseil constitutionnel. Les engagements ont donc une traçabilité.

Je comprends parfaitement que vous ayez cette préoccupation, mesdames, messieurs les sénateurs. M. le Premier ministre et moi-même y avons répondu dans la réponse qui vous a été adressée. Par conséquent, nous pouvons considérer, dès lors que la volonté est d’être constructif, que le début d’une construction commune, c’est une confiance.

M. Jean-François Husson. Elle a été échaudée !

M. André Reichardt. Il faut des preuves d’amour !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous nous sommes exprimés, et il y a une traçabilité de nos propos. Je vous propose de construire dans la confiance. (Mmes Éliane Giraud et Catherine Tasca applaudissent.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er A, modifié.

(L'article 1er A est adopté.) – (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. Je constate que cet article a été adopté à l’unanimité des suffrages exprimés.

Article 1er A
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Article 1er (début)

Articles additionnels après l'article 1er A

Mme la présidente. L'amendement n° 7, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :

Après l’article 1er A

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Si, avant le 1er mars 2015, tous les conseils généraux et le conseil régional d'une région actuelle demandent à fusionner en une collectivité territoriale unique, cette fusion est prononcée par décret.

La collectivité territoriale unique visée au premier alinéa exerce l’ensemble des compétences attribuées par la loi à la région et aux départements qu’elle regroupe. Elle leur succède dans tous leurs droits et obligations.

Le présent article s’applique par dérogation à l'article L. 4124–1 du code général des collectivités territoriales et par dérogation aux autres articles de la présente loi.

La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Ce projet de loi repose essentiellement sur le concept, totalement fumeux selon moi, qu’il faut créer de grandes régions de taille européenne. Or si de telles régions doivent demain gérer les routes actuellement départementales et des lycées, il n’y a pas de raison qu’elles soient de taille européenne. D’ailleurs, on se demande ce que signifie « de taille européenne ».

Un petit pays comme le Luxembourg n’a manifestement pas la taille d’une région prétendument à taille européenne, mais il fonctionne sacrément mieux que la France. Avouez qu’il y a de quoi se poser des questions ! Moi qui suis voisin du Luxembourg, je peux vous dire que c’est autre chose que la France…

Le Luxembourg est la meilleure preuve que les prétendues régions de taille européenne sont un concept fumeux. On trompe les gens, on amuse les foules.

En revanche, ce qui est défendable, c’est la volonté de réduire les dépenses de ce que l’on appelle le millefeuille, mais on peut les réduire autrement qu’en créant de très grandes régions et en supprimant les départements.

Je considère que, dans certains endroits, il serait tout à fait pertinent de conserver les régions actuelles, qui sont de taille humaine, et de les fusionner avec les départements. Je soutiendrai donc sans réserve le dispositif proposé pour l’Alsace, et je pense que ce serait très bien de faire de même en Lorraine, voire en Champagne-Ardenne.

Certains, en Rhône-Alpes, pensent qu’ils sont meilleurs que tous les autres, que leur région n’est pas encore assez grande, qu’elle n’a pas encore mangé assez de voisins, qu’il faudrait qu’elle en mange encore un peu plus pour être encore plus grande. Je veux bien, mais je ne vois pas pourquoi on irait mettre des bâtons dans les roues de ceux qui se sentent bien comme ils sont et qui fonctionnent bien.

Nos voisins alsaciens ne sont pas si mauvais que cela. Si on compare leur bilan économique à ceux d’autres régions bien plus étendues, on se rend compte qu’ils n’ont pas à rougir de leur situation.

Je pense qu’il faut autoriser une certaine diversité et permettre à ceux qui le souhaitent de fusionner région et départements au lieu de créer une grande région prétendument à taille européenne, qui réglerait tous les problèmes comme par magie. (Mmes Valérie Létard et Agnès Canayer applaudissent.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’avis est défavorable. Cet amendement, je le rappelle, vise à permettre la fusion des départements avec une région par la voie du décret. Or les dispositions du code général des collectivités territoriales, très précisément celles de l’article L. 4124–1, prévoient explicitement le recours à la voie législative en application du premier alinéa de l’article 72 de la Constitution.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.

M. Jean-René Lecerf. Pour les raisons invoquées par M. le rapporteur, je ne voterai pas cet amendement, mais je pense qu’il a le mérite de soulever un problème intéressant.

Il me semble qu’il faudrait de temps à autre faire appel non pas à des formules préétablies par les textes, mais à l’intelligence des territoires. Celle-ci peut s’exprimer différemment dans les régions ne comptant que deux ou trois départements et dans celles comprenant une métropole, où il est plus facile d’envisager une fusion de l’ensemble des parties prenantes.

Je ne prendrai qu’un exemple, celui de la région Nord–Pas-de-Calais. L’éventualité d’en arriver à une collectivité unique réunissant le département du Nord, le département du Pas-de-Calais et la région Nord–Pas-de-Calais est aujourd'hui considérée comme extrêmement sérieuse par une majorité des élus. Si on devait y ajouter d’autres départements, une autre région – en l’occurrence la Picardie, qui ne compte pas de métropole permettant de concilier un certain nombre d’efforts –, ce type de solution ne pourrait plus être mise en œuvre.

L’amendement de M. Masson présente au moins le mérite de dire : il y a une part pour l’intelligence des territoires, dans cette part, il y a la fusion volontaire départements et région dans des régions à dimensions humaines.

Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. En qualité d’Alsacien concerné par un amendement de ce type, permettez-moi de dire mon intérêt pour la proposition de M. Masson. Même si M. le rapporteur a émis un avis défavorable sur cet amendement, à titre personnel, je ne pourrai pas faire autrement que de le soutenir.

Dès lors que nous envisageons une expérimentation de ce type en Alsace, le moins que l’on puisse faire c’est de soutenir celles et ceux qui ont envie de s’engager dans la même voie. Je ne saurai donc qu’encourager d’autres régions à aller dans ce sens, parce que nous sommes persuadés que, si la fusion des départements et de la région en une collectivité territoriale unique n’est pas la panacée, dans certains cas elle peut fonctionner.

Mme la présidente. La parole est à M. François Grosdidier, pour explication de vote.

M. François Grosdidier. Le débat sur cet amendement m’amène à anticiper quelque peu celui qui aura lieu sur l’article 1er, parce qu’il touche au problème fondamental que pose cet article : la volonté de dessiner d’en haut la carte des nouvelles régions.

Une procédure complexe ayant pour but de fusionner les deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin avec la région avait été engagée en Alsace, mais elle n’a pas abouti, alors même qu’une majorité d’Alsaciens était favorable à la fusion, le « oui » n’ayant pas recueilli la majorité des voix dans le Haut-Rhin lors du référendum local organisé en avril 2013.

D’ailleurs, je regrette le retrait de l’amendement déposé par nos amis centristes sur le droit à l’autodétermination des départements, parce qu’il touche au même problème : nous nous apprêtons à imposer d’en haut des solutions qui ne sont en rien celles qui sont souhaitées localement.

Aussi, je regrette vivement que l’État n’ait pas choisi la méthode – dont l’actuelle majorité avait d’ailleurs, paradoxalement, dénoncé le caractère trop autoritaire – qui avait guidé la refonte de la carte de la coopération intercommunale : la loi fixait un cadre très précis comprenant les objectifs à atteindre, mais laissait le temps aux différentes communes et intercommunalités de s’organiser, pour peser les problèmes, parfois même pour mener des études d’impact, tout en prévoyant une date butoir au-delà de laquelle l’État retrouvait sa capacité d’initiative si les collectivités ne s’inscrivaient pas d’elles-mêmes dans le cadre légal. Je crois qu’une telle méthode aurait été infiniment souhaitable.

Aujourd’hui, la carte que nous propose la commission spéciale va finalement, à mon sens, être pire, puisque, en ne permettant pas l’expérimentation en Alsace et en l’interdisant a fortiori aux autres collectivités, on s’apprête à laisser l’Alsace seule, alors qu’elle compte moins d’habitants que la Lorraine, et à obliger les autres régions à fusionner.

On arrive donc à un résultat infiniment moins cohérent et satisfaisant que celui auquel on aurait pu parvenir en suivant une autre méthode. Intellectuellement, il est vrai, on ne peut que soutenir le droit des régions à approfondir leur organisation territoriale, plutôt qu’à l’élargir – nous y reviendrons lors de l’examen de l’article 1er.

Quoi qu’il en soit, pour ma part, je regrette que cet amendement ne soit pas juridiquement recevable – il l’est d’ailleurs d’autant moins qu’il contrevient à la règle de l’entonnoir –, car il montre bien que nous passons à côté de ce qui aurait dû être fait pour cette réforme territoriale.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Je ne partage pas l’analyse qui a été proposée tout à l’heure et qui vient d’être de nouveau faite concernant l’irrecevabilité juridique de mon amendement.

Mon amendement est tout à fait recevable, puisqu’il n’est pas contraire à la Constitution – en quoi le serait-il ? –, mais seulement à un article de loi existant ; or un article de loi peut modifier un autre article de loi.

Je pense que l’amendement ne sera pas adopté ; pour autant, je n’apprécie guère qu’on formule des jugements erronés sur un amendement qui, somme toute, en vaut bien d’autres.

Mme la présidente. La parole est à M. René Vandierendonck, pour explication de vote.

M. René Vandierendonck. Lors de l’examen en commission, notre collègue Gérard Longuet, notamment, a bien rappelé l’existence de la règle de l’entonnoir.

Pour ma part, je voudrais que l’on organise le débat. Il fallait un article déclaratif qui s’écarte un peu du droit, soit ! Mais revenons à présent au droit. Celui-ci ne nous permet pas, en deuxième lecture, de proposer un mécanisme de recomposition de la carte adoptée par l’Assemblée nationale, mécanisme, certes, très intelligent, monsieur Masson, mais qui n’a pas été présenté en première lecture.

M. René Vandierendonck. Comme l’a dit tout à l’heure M. Longuet, il y aura un autre texte. Tenons-nous-en donc à la méthode proposée par la commission : tâchons de délimiter stratégiquement des périmètres de régions et ensuite nous verrons comment organiser les collectivités dans le respect du principe de diversité. Cela me paraît la seule manière d’avancer.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 73, présenté par MM. Favier et Le Scouarnec, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l’article 1er A

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Lorsqu’il est envisagé de créer une nouvelle collectivité territoriale dotée d’un statut particulier ou de modifier le périmètre d’une collectivité territoriale existante, il est procédé à la consultation, par voie référendaire, des électeurs inscrits dans les collectivités intéressées.

Un décret en Conseil d’État précise les conditions de cette consultation.

La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Cet amendement vise à permettre à notre assemblée de mettre en conformité ce texte avec les débats et les votes intervenus lors de la première lecture, en juillet dernier, il y a donc à peine trois mois.

En effet, le Sénat a adopté en première lecture une motion référendaire tendant à soumettre in fine ce projet de loi au verdict de la souveraineté populaire, par la voie du référendum.

Nous avions alors décidé que ce vaste chambardement de notre organisation territoriale appelait un vrai débat national, un grand débat public, et sanctionné par une consultation populaire.

Si, pour notre part, nous avons combattu la loi de 2010 qui favorise le développement des fusions entre collectivités territoriales, nous considérons néanmoins que des évolutions des limites territoriales peuvent avoir lieu.

Aussi, pour permettre ces évolutions, notre loi doit prévoir les conditions de leur mise en œuvre. Or il nous semble qu’elles ne peuvent aboutir qu’avec le soutien des citoyens. Tel est le sens de notre amendement.

Dans ces conditions, il nous paraît nécessaire de préciser dans la loi que toute modification du territoire d’une collectivité territoriale, de la plus petite à la plus grande, de même que toute création d’une nouvelle collectivité territoriale doivent être soumises à référendum, afin que les citoyens puissent faire part de leur accord ou de leur désaccord sur de tels projets, qui, à l’évidence, les concernent au premier chef.

L’article 72–1 de la Constitution prévoit cette possibilité. Nous vous proposons donc de la rendre effective, en adoptant cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’avis est défavorable, pour une raison simple : le droit positif prévoit déjà la possibilité d’un recours à un référendum local.

Je me contenterai de vous lire l’article 1er du chapitre II du code général des collectivités territoriales, chapitre relatif à la participation des électeurs aux décisions locales : « L'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale peut soumettre à référendum local tout projet de délibération tendant à régler une affaire de la compétence de cette collectivité. »

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 73.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles additionnels après l'article 1er A
Dossier législatif : projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er

I. – L’article L. 4111-1 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;

2° Le second alinéa est remplacé par un II ainsi rédigé :

« II. – Sans préjudice des dispositions applicables aux régions d’outre-mer et à la collectivité territoriale de Corse, les régions en vigueur à compter du 1er janvier 2016 sont constituées des régions suivantes, dans leurs limites territoriales en vigueur au 31 décembre 2015 :

« – Alsace ;

« – Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes ;

« – Auvergne et Rhône-Alpes ;

« – Bourgogne et Franche-Comté ;

« – Bretagne ;

« – Centre ;

« – Champagne-Ardenne et Lorraine ;

« – Île-de-France ;

« – Languedoc-Roussillon ;

« – Midi-Pyrénées ;

« – Nord-Pas-de-Calais et Picardie ;

« – Basse-Normandie et Haute-Normandie ;

« – Pays de la Loire ;

« – Provence-Alpes-Côte d’Azur. »

bis. – Les régions constituées en application du I du présent article succèdent aux régions qu’elles regroupent dans tous leurs droits et obligations.

II. – Le présent article entre en vigueur à compter du 1er janvier 2016.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Enfin, nous voilà à l’article 1er !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l'article.

M. Jean Louis Masson. À la suite de cafouillages politiques de dernière minute, le Président Hollande avait arbitré initialement en proposant une région Picardie-Champagne-Ardenne.

À mon sens, c’est un mouton à cinq pattes, car il n’y a vraiment rien de commun entre le département de la Somme, situé au bord de la Manche, et le département de la Haute-Marne, à proximité de Dijon. De même, la Picardie est desservie par l’autoroute A1 et le TGV Nord, alors que la Champagne-Ardenne l’est par l’autoroute A4 et le TGV Est.

La modification apportée par l’Assemblée nationale pour le nord et l’est de la France était donc globalement beaucoup plus pertinente. En effet, elle créait deux régions : l’une réunissant la Picardie et le Nord–Pas-de-Calais, l’autre regroupant l’Alsace, la Lorraine et la Champagne-Ardenne.

Une telle configuration géographique, très compacte, donnerait une bonne cohérence administrative aux territoires situés entre la région parisienne et les frontières. Du point de vue de l’aménagement du territoire et des infrastructures, les complémentarités sont également évidentes : au nord, autoroute A1, TGV Nord et tunnel sous la Manche ; dans l’est, autoroute A4 et autoroute A31, TGV Est ainsi qu’un certain nombre d’autres éléments communs, notamment les problèmes transfrontaliers.

En outre, cette région Est aurait été équilibrée par une organisation autour de plusieurs pôles urbains, tandis qu’au nord la ville de Lille aurait joué le rôle d’une véritable grande métropole.

Si, donc, on fait le choix de créer de grandes régions, je soutiens le plan de découpage voté par l’Assemblée nationale en première lecture.

Toutefois, je pense que la bonne solution n’est précisément pas de créer de grandes régions. Je crois en effet qu’il faut conserver des régions à taille humaine, qui maintiennent une proximité avec les habitants.

Aussi, je persiste à dire qu’il vaudrait beaucoup mieux, par exemple, dans l’est de la France, garder la région Alsace, en fusionnant les départements avec la région, maintenir la région Lorraine, en fusionnant la région avec les départements. De même, si les gens du Nord–Pas-de-Calais le souhaitent, il serait préférable de conserver, pourquoi pas, la région en fusionnant les deux départements.

Il y a là un vrai débat qui n’a pas vraiment eu lieu dans cette enceinte et je crois qu’il faut être beaucoup plus souple que ne l’est cet article 1er : il faut renoncer à la volonté d’imposer arbitrairement la logique des grandes régions.

Voilà, à mon sens, ce qui pourrit tout le débat. La discussion se passe mal parce qu’on est dans cette logique-là, logique qui, je le répète, n’a aucun fondement rationnel, on est dans le fumeux le plus total !

Je pense qu’il vaut mieux avoir de petites régions qui fonctionnent bien, avec une vraie proximité, plutôt que de grands ensembles où ça va tirer à hue et à dia, et qui globalement ne seront pas plus riches. Ils seront plus riches sur le papier, parce que le PIB de deux régions est plus élevé que le PIB d’une seule, mais si vous prenez le PIB par habitant, le regroupement de régions ne changera strictement rien. Ce n’est pas parce que l’on créera de grandes régions qu’il y aura moins de chômage ou que le développement économique sera meilleur.

Je souhaite donc vivement qu’on conserve les régions actuelles partout où on le peut, tout en favorisant la réduction du millefeuille grâce à un rapprochement entre les régions et les départements.