M. Jacques Mézard. ... que ce soit sur les seuils des intercommunalités – un seuil important n’avait de sens que dans le cadre du projet initial –, les compétences ou toute autre disposition de la loi NOTRe. Si vous mettez en application ce qu’a préconisé hier le Premier ministre, ce ne sera plus la même loi !

On pourrait s’en satisfaire, à condition de savoir vraiment ce que vous allez faire. Or, une nouvelle fois, nous sommes dans le flou.

Au mois d’avril 2014, le président Didier Guillaume demandait, à juste titre, le report d’un an des élections départementales et régionales, au motif qu’il fallait y voir clair et se donner du temps. Je constate, une fois de plus, que l’on a changé de système et que l’on veut nous faire agir de façon incorrecte par rapport à la mécanique utilisée. On ne change pas les institutions de notre pays de cette manière ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur de nombreuses travées de l'UMP. – M. Daniel Dubois applaudit également.)

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. le président. La parole est à M. René Danesi, sur l'article.

M. René Danesi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plusieurs intervenants nous ont expliqué que la région Grand Est ferait le bonheur de ses composantes en général, et de l’Alsace en particulier. Or personne ne sait, à l’heure actuelle, quelles seront les compétences dévolues aux grandes régions. Il s’agit donc d’une promesse qui n’engage que ceux qui y croient.

M. André Reichardt. Ce n’est pas bien !

M. René Danesi. M. le ministre de l’intérieur nous a même expliqué, hier, que Strasbourg renforcerait ainsi sa position de capitale parlementaire de l’Europe. 

Si on pousse plus avant ce raisonnement, le rôle de Strasbourg serait encore mieux conforté si elle était à la tête d’une région englobant, en plus, la Franche-Comté et la Bourgogne. Et si on le suit jusqu’à son terme, on peut même dire que la position de Strasbourg capitale parlementaire de l’Europe deviendrait inexpugnable si elle était aussi la capitale de la France, comme sa concurrente Bruxelles est la capitale de la Belgique... (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. René Danesi. Mais venons-en à l’expérimentation alsacienne.

L’histoire douloureuse de notre région nous a appris à compter d’abord sur nous-mêmes. C’est dans cet état d’esprit positif que nous avons entrepris d’ôter une couche du fameux millefeuille, en fusionnant les deux conseils généraux et le conseil régional d’Alsace pour en faire le conseil territorial d’Alsace.

Bien qu’approuvé par 58 % des votants, notre référendum n’a pas été validé, faute d’avoir atteint le double quorum. À ceux qui me rappellent volontiers cet épisode, je rappelle que le général de Gaulle, lui aussi, a été recalé par les électeurs lorsqu’il a voulu créer les régions. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)

M. Bruno Sido. Et il a démissionné...

M. René Danesi. La régionalisation a néanmoins été faite ; elle est même en train d’être refaite !

Les élus locaux et nationaux alsaciens ont donc remis leur ouvrage sur le métier, car notre réforme a du sens et pourrait servir d’exemple, sous réserve, bien sûr, de conformité législative.

Plusieurs de nos collègues s’expriment très bien sur les affaires de l’Alsace, et généralement ils nous la baillent belle, pour mieux nous demander de reporter notre réforme aux calendes grecques. Vous comprendrez que l’on puisse trouver paradoxal que l’avant-garde de la réforme du millefeuille se trouve ainsi reléguée à l’arrière-garde.

Pour vous montrer à quel point notre réforme n’est pas un repli sur nous-mêmes, je vous informe que le conseil régional d’Alsace a clairement précisé que nous étions prêts à accueillir les bras ouverts, et sous réserve qu’ils le demandent, le département de la Moselle, au nom du droit local que nous avons en commun, ainsi que le territoire de Belfort, qui a été arraché à l’Alsace en 1871. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.

M. Yves Daudigny. Monsieur le ministre, j’appartiens à votre majorité, sans ambiguïté.

M. Michel Raison. Quel courage !

M. François Grosdidier. Ça commence mal !

M. Yves Daudigny. Mais la franchise m’oblige à vous dire que je n’ai pas été spontanément convaincu que la division par deux du nombre de régions était un élément déterminant pour relever les deux défis auxquels la France doit faire face (Mme Elisabeth Doineau applaudit.) : le défi économique de la compétitivité et de la lutte contre le chômage et le défi de l’équilibre de nos comptes.

Je vous ai écouté, entendu, et je me range à vos arguments ainsi qu’à ceux qui ont été avancés par le Premier ministre.

Cela étant précisé, je vous indique que la carte issue des travaux de l’Assemblée nationale divise le département de l’Aisne, que je représente ici avec deux autres collègues, et qu’elle y est source de perplexité.

J’ai entendu nombre de nos collègues du Nord–Pas-de-Calais dire tout le mal qu’ils pensaient de cette carte. J’ajouterai, pour ma part, que les deux tiers du département de l’Aisne sont tournés vers l’est, et que pour les habitants de ces territoires, qu’il s’agisse de santé, d’éducation, de loisirs, de culture, de sport ou de grandes zones commerciales, le centre urbain de référence est la ville de Reims et son agglomération.

De même, un rapprochement entre la Picardie et la Champagne-Ardenne serait sans aucun doute synonyme de renforcement d’activités économiques. Je pense, bien sûr, aux pôles de compétitivité, et en particulier au pôle de compétitivité « Industries et Agro-Ressources » commun aux régions Picardie et Champagne-Ardenne. J’ai aussi en tête les productions agricoles de ces deux territoires, qui sont les premières zones céréalière et betteravière de France, ainsi que le renforcement du secteur agroalimentaire.

J’évoquerai, enfin, l’AOC Champagne, laquelle se retrouverait sous une seule et même entité régionale : ce serait un atout supplémentaire pour les viticulteurs, en cohérence avec le classement des paysages de Champagne au patrimoine mondial par l’UNESCO.

Au vu de ces différents éléments, je serai donc amené à voter l’amendement n° 45 de M. Savary. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. Antoine Lefèvre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, sur l’article.

M. Michel Bouvard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut donner acte au Gouvernement d’avoir osé bouleverser la carte territoriale de la France, laquelle, il est vrai, est ancienne : celle des départements a 200 ans et celle des régions, une bonne cinquantaine d’années.

Il est évident que ces cartes ne sont plus forcément adaptées à la réalité des territoires, des bassins de vie et des bassins économiques. Donnons donc acte au Gouvernement d’avoir osé les modifier.

Nos regrets sont d’autant plus accrus que l’on n’ait pas pris le temps nécessaire pour bâtir une réforme territoriale adaptée à ces réalités économiques et géographiques, et que l’on se soit laissé aller à supprimer purement et simplement les départements, alors même qu’un échelon intermédiaire apparaissait plus que jamais nécessaire dans la perspective d’un agrandissement des régions,...

M. Alain Fouché. C’est bien vrai !

M. Michel Bouvard. ... quitte à regrouper les collectivités départementales. Au lieu de cela, on a voulu satisfaire le fantasme des grandes régions dites « de dimension européenne ».

Dans tous les États d’Europe, nous le savons, il y a de grandes régions et d’autres, moins importantes. Quoi de commun entre l’État libre de Bavière et le Schleswig-Holstein ? Quoi de commun entre la Cantabrie et la Catalogne ? Quoi de commun entre la riche Lombardie et la Basilicate, coincée au fin fond de la botte italienne ?

Pourquoi vouloir impérativement de très grandes régions, dès lors qu’on n’a pas voulu modifier préalablement les périmètres ni en discuter avec les élus ? Pourquoi des régions aussi grandes et si peu pertinentes ?

À cet égard, le cas de Rhône-Alpes fait figure d’exemple.

Dans un premier temps, le président du conseil régional, Jean-Jack Queyranne, membre de la majorité, a indiqué que la région Rhône-Alpes était assez grande. Il est vrai qu’il s’agit de la sixième région la plus peuplée d’Europe, dont la superficie représente un dixième de celle de la France, et une fois et demie celle de la Belgique.

Pour autant, on a proposé d’agrandir cette région, car on considérait qu’elle n’était pas assez grande !

On aurait pu l’agrandir au sud en intégrant le département des Hautes-Alpes, historiquement rattaché au Dauphiné et dont l’économie, alpine, est en partie tournée vers Grenoble. Ces territoires partagent aussi la même cour d’appel, et c’est là qu’une grande partie des étudiants haut-alpins font leurs études.

Pour réaliser cela, il aurait fallu, dans un premier temps, accepter de retoucher les périmètres des régions et ouvrir le droit d’option pour les départements non pas après la réforme de la carte des régions, mais avant, ce qui aurait permis de poser les vrais problèmes dans de nombreux territoires. Que va faire l’Oise avec Lille,…

MM. Michel Delebarre et René Vandierendonck. Eh oui !

M. Michel Bouvard. alors que toute son économie est orientée vers l’Île-de-France ?

Je pense donc que nous avons perdu une occasion. Cette carte inadaptée posera des problèmes, demain, en termes de recherche d’économies. Or le but de la réforme était d’en réaliser davantage et d’accroître l’efficacité.

Où seront les économies quand, dans ces régions plus grandes, avec le transfert des routes départementales, on fera converger les régimes indemnitaires de douze, voire quatorze, départements ? (M. André Reichardt s’exclame.) Qui peut croire que l’on retiendra, dans cet alignement, le régime le moins favorable ? Qui peut croire qu’il y aura une cohérence, avec des bassins économiques qui ne sont pas adaptés ?

Mme Cécile Cukierman. On n’a toujours pas transféré les TOS...

M. Michel Bouvard. Monsieur le ministre, à partir d’une bonne initiative – la réforme de la carte territoriale, qui s’imposait –, nous allons aboutir à quelque chose de décalé par rapport aux besoins du pays. Malgré les améliorations apportées par la commission spéciale, nous sommes donc nombreux à rester sur notre faim et à voir nos attentes déçues.

J’espère, je le dis très sincèrement, que s’agissant des adaptations futures, des fusions de départements et des mobilités de collectivités, on introduira la souplesse nécessaire plutôt que la rigidité au moment d’apporter les correctifs. C’est l’intérêt du pays. (Mme Marie-Annick Duchêne applaudit.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 74 est présenté par MM. Favier et Le Scouarnec, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 94 rectifié est présenté par MM. D. Dubois, Delahaye et V. Dubois et Mmes Loisier et Morin-Desailly.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Christian Favier, pour présenter l’amendement n° 74.

M. Christian Favier. L’article 1er est sans conteste le cœur du projet de loi, et les raisons ayant abouti à son rejet par le Sénat en première lecture restent d’actualité.

Au mois de juillet dernier, une majorité sénatoriale avait fortement dénoncé la méthode. Nous étions alors nombreux à dénoncer les regroupements proposés, car nous ne disposions d’aucun élément sérieux justifiant cette nouvelle carte régionale, à savoir une réelle étude d’impact.

L’autre argument avancé était que ce redécoupage ne pouvait se faire qu’après avoir défini les compétences et les moyens de chaque niveau de collectivités et même revisité la place et le rôle de l’État.

Or, depuis trois mois, aucun élément nouveau n’est venu dans le débat à ce propos. En ces domaines, les projets restent flous. Dans ces conditions, qu’est-ce qui pourrait justifier que le Sénat adopte cette fois l’article 1er, comme le rapporteur nous le propose aujourd’hui ?

Permettez-moi de rappeler ici ce qu’a déclaré en séance le 4 juillet dernier notre collègue Jean-Pierre Raffarin sur cet article : « Je souhaite donc que, sur ces sujets-là, on s’accorde plus de temps, on réalise plus d’études, on mène plus de débats et que l’on octroie une place plus grande à la démocratie locale, afin d’aboutir à une carte forte et légitime, qui ne serait pas contestée. Car si l’on dessine une carte pour l’histoire – c’est bien ce que nous voulons faire –, il est clair qu’elle devra être acceptée. Encore une fois, si nos décisions apparaissent comme le résultat d’arrangements entre responsables nationaux, on privera cette carte de la légitimité nécessaire. »

Pour ma part, j’ai partagé ces propos et je les partage encore aujourd’hui. Or nous n’avons pas pris le temps de réaliser des études supplémentaires ou de mener des débats, en particulier avec les citoyens eux-mêmes. La précipitation reste de mise. La seule différence entre juillet dernier et aujourd’hui, c’est le changement de majorité du Sénat.

M. Bruno Sido. Ce n’est pas rien !

M. Christian Favier. Aujourd’hui, la droite et le centre sont majoritaires.

Mme Catherine Troendlé. Cela change tout !

M. Christian Favier. Néanmoins, la carte qui nous est proposée comporte les mêmes insuffisances ; nos débats viennent d’en témoigner. Elle résulte cette fois d’un compromis en commission sans plus de justificatifs. Bien pis, elle porte la trace d’un lobbying particulièrement fort de nos collègues alsaciens, nous l’avons encore entendu ce soir.

Pour toutes ces raisons, nous proposons que le Sénat supprime une nouvelle fois cet article, afin de nous donner le temps de travailler davantage.

M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour présenter l'amendement n° 94 rectifié.

M. Daniel Dubois. Le 3 juillet dernier, j’évoquais ici même le « mariage forcé » de quelques régions, aboutissant à une carte dessinée à la va-vite sur un coin de table et qui ne satisfaisait personne. Trois mois plus tard, malgré les modifications apportées par l’Assemblée nationale, force est de constater que ce projet de regroupement des régions n’est toujours pas satisfaisant. Au gré de l’examen de ce texte, les mariages se font et se défont ; le débat de ce soir nous en offre un bel exemple.

Je ne suis pas certain que la carte idéale existe. En revanche, je sais que la méthode n’est pas la bonne et qu’une très grande majorité de mes collègues pensent comme moi.

Monsieur le ministre, si vous aviez suivi les propositions de nos excellents collègues Jean-Pierre Raffarin et Yves Krattinger, vous auriez lancé une concertation approfondie, vous auriez présenté une méthode globale pour réformer sereinement, laquelle aurait reposé sur trois questions.

Premièrement, quels services les régions doivent-elles rendre ? S’agit-il de collectivités de proximité qui devront gérer demain les routes et les collèges, comme le prévoit le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – dans ce cas, les régions proposées sont trop grandes –, ou faut-il circonscrire leurs compétences aux grands domaines stratégiques, notamment en matière de développement, auquel cas les régions devraient s’appuyer sur des grands pôles économiques et leur nombre devrait se limiter à moins d’une dizaine ?

Deuxièmement, comment les régions doivent-elles exercer leurs compétences ? Cela nous renvoie aux moyens financiers dont elles devraient disposer. Au regard de la complexité de la fiscalité locale, ce n’est pas un chantier auquel nous viendrons à bout après quelques jours de débat au Parlement.

Troisièmement, quel doit être le rôle de l’État déconcentré ? Évitons les doublons entre les services de l’État et les collectivités territoriales.

Si nous avions réalisé des études d’impact répondant à chacune de ces questions et concluant à la meilleure carte des régions possible, il n’y aurait pas eu tant de débats et de rejets dans les territoires.

Pis, il nous a souvent été répondu que cette réforme entraînerait des économies. C’est, vous en conviendrez, un message fort en ces temps de déficit abyssal et de ras-le-bol fiscal des contribuables. M. le secrétaire d’État André Vallini a évoqué une « fourchette » de 12 milliards d'euros à 25 milliards d’euros. Ce montant a de quoi surprendre tous ceux qui connaissent bien les collectivités locales. Quelques millions d'euros peut-être, et encore ! Des milliards d'euros, sûrement pas ! Certains avancent même des coûts supplémentaires !

Très sincèrement, avant cette deuxième lecture, j’attendais du Gouvernement qu’il nous apporte la preuve des chiffres qu’il avance. Nous n’avons rien obtenu.

J’ai développé ces thématiques au cours des trois derniers mois dans mon département de la Somme. Si la notion très générale de réforme territoriale paraît à tous nécessaire, le « mariage forcé » de la Picardie avec une autre région est loin de faire l’unanimité.

Certains souhaitent que la Picardie reste seule, à l’instar d’autres régions comme la Bretagne ou encore l’Alsace. Certains préfèrent un rapprochement avec la Normandie ou la Champagne-Ardenne, pour des raisons géographiques. D’autres, enfin, préfèrent un mariage avec le Nord-Pas-de-Calais, pour des raisons historiques. Encore que la Picardie serait une mariée mal-aimée, si j’en crois les amendements déposés par mes collègues nordistes, toutes tendances politiques confondues.

M. Antoine Lefèvre. Ce n’est pas gentil !

M. Daniel Dubois. Faute d’une étude d’impact complète et compte tenu du manque de concertation locale, beaucoup considèrent que le Gouvernement sacrifie nos régions.

Ce sont toutes ces raisons qui me conduisent à proposer la suppression de l’article 1er du projet de loi. Il convient de donner du temps à la concertation et à l’élaboration d’un projet de réforme qui engage le pays pour plusieurs décennies et qui doit être admis par tous.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Sans surprise, la commission spéciale a émis un avis défavorable. En effet, elle n’entend pas voir supprimer la carte qu’elle a établie et votée.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. En première lecture, j’avais indiqué mon désaccord sur le contenu du projet de loi et sur la méthode suivie. Ma position s’expliquait par mon attachement à l’application stricte de l’engagement n° 54 du candidat François Hollande à la présidence de la République, qui, fort opportunément, fixait comme prioritaire une meilleure répartition des compétences entre les différents échelons et n’en supprimait aucun.

Je dois reconnaître que j’ai été favorablement impressionnée par les propos du Premier ministre hier, qui nous a rappelé que, en l’état des décisions du Gouvernement, il était hors de question de voir disparaître les assemblées départementales avant un hypothétique réexamen en 2020. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Le Premier ministre a même indiqué qu’il ne voyait aucun obstacle à ce que l’on renforce les compétences des départements pour qu’il y ait plus de cohérence dans la répartition desdites compétences. C’est un signe positif qui répond à la préoccupation exprimée par bon nombre de nos collègues lors des débats en première lecture.

M. François Grosdidier. Vous vous contentez de peu !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. L’idée que la création de grosses régions nous permette d’être compétitifs me laisse perplexe. De nombreux exemples ont été avancés par des collègues de tous bords pour démontrer que la cohérence ou la compétitivité ne tenait pas à la taille. Par ailleurs, je reste persuadée que les filières industrielles ont besoin d’établir des stratégies à l’échelon du pays tout entier. Aucune région n’est hyperspécialisée – tant mieux, du reste – et la plupart de nos filières se développent sur plusieurs régions du territoire. C’est le cas de l’automobile, de l’agroalimentaire ou même du textile, pour ce qu’il en reste.

J’ai toujours considéré que l’argument financier ne tenait pas non plus. Je l’ai d’ailleurs toujours combattu devant tous ceux qui, à la suite du rapport Attali, nous expliquaient en bons technocrates de service ce qui était bon pour la France et le peuple.

M. Gérard Longuet. Ils l’expliquent à tous les gouvernements !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quand on habite la Haute-Normandie ou la Basse-Normandie, je comprends que l’on puisse être favorable au regroupement de ces deux régions. Cependant, les études financières montrent que, pendant dix ans, aucune économie ne serait réalisée. C’est au bout de la dixième année seulement qu’une baisse de 0,8 % du budget serait constatée. Par ailleurs, la ville qui ne serait plus capitale de région perdrait environ 4 000 emplois.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si nos collègues normands souhaitent fusionner, qu’ils le fassent. Reste que généraliser cet exemple en invoquant l’intérêt national me paraît tout à fait illusoire.

Cela étant, nous sommes en deuxième lecture. Notre responsabilité aujourd’hui est de savoir s’il vaut mieux rejeter cet article, ce qui reviendrait à accepter le texte de l’Assemblée nationale,…

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Voilà !

Mme Cécile Cukierman. Qui a les mêmes conséquences !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. … ou débattre du périmètre le plus pertinent de ces nouvelles régions, car je dois reconnaître que certaines régions souhaitent se fédérer, s’unir, se rassembler.

Mme Cécile Cukierman. Elles peuvent déjà le faire !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pour ma part, si certaines régions sont volontaires, considèrent qu’il y va de l’intérêt général et que les populations sont d’accord, je n’ai rien contre. Je ne défends aucune théorie selon laquelle les petites régions seraient par nature meilleures que les grandes. Je dis simplement qu’il faut se méfier des idées préconçues et des visions technocratiques : la fusion n’a pas qu’un aspect technique.

Il faut que le débat sur le découpage des régions ait lieu. L’Assemblée nationale a élaboré un texte qui me plaît encore moins que le projet de loi initial du Gouvernement. Voilà pourquoi je ne voterai pas les amendements de suppression.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, il y a des moments où nous pouvons avoir des hésitations, mais, à ce stade de nos discussions, ayons deux certitudes. La première est qu’il n’est pas question que le Sénat se laisse imposer la carte de l’Assemblée nationale.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Bruno Retailleau. La seconde est que nous voulons discuter de cette carte.

À l’instar de la commission spéciale, je souhaite donc que les amendements de suppression soient rejetés. Ainsi, nous pourrons avancer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

M. Alain Fouché. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Que les choses soient bien claires : si nous proposons cet amendement de suppression, c’est parce que nous ne nous retrouvons ni dans l’esprit du texte ni dans la façon de procéder. Aujourd’hui, si deux ou trois régions souhaitent fusionner, elles peuvent déjà le faire, sans d’ailleurs se soucier des conséquences humaines de cette décision. Or, il faut bien le reconnaître, nous avons assez peu parlé des femmes et des hommes qui vivent dans ces régions.

Pourquoi une loi ? Cette méthode présente l’avantage de passer outre au référendum, que tout le monde redoute ici et qui suppose d’aller devant les femmes et les hommes qui vivent sur les territoires concernés pour leur demander leur avis sur ce que tout le monde considère comme une idée géniale et lumineuse. Je ne doute pas que les régions défendent avec beaucoup de conviction leur point de vue et qu’elles ont beaucoup travaillé et échangé sur la question. Néanmoins, il se pourrait que les habitants ne le comprennent pas et, s’ils étaient consultés, émettent un autre vote que celui que l’on attendait d’eux.

En tant que parlementaires, nous avons le pouvoir de proposer, à travers l’article 1er, un certain nombre de regroupements qui plairont aux uns, mais pas aux autres. Nous faisons depuis tout à l’heure un tour de France des qualités de chacune des régions et des raisons qui devraient pousser ou non au rapprochement de telle région avec telle autre. Mais, ce qui est sûr, c’est que nous n’avons pas le pouvoir de supprimer les gens. Or faire une loi permet de contourner l’obligation de référendum, de consultation, et d’initier une démarche – nous ne polémiquerons pas sur ce sujet ce soir – répondant à des intérêts européens, à des logiques libérales, qui veulent que notre territoire soit organisé de façon compétitive.

Compétitivité et attractivité des régions, voilà les maîtres mots ! On l’a bien vu à travers les débats de cet après-midi. Quelles que soient les statistiques invoquées, en termes de population totale, de densité démographique ou de PIB régional – je n’ose pas évoquer le taux d’ensoleillement pour ne froisser personne –, on a clairement le sentiment que certaines régions sont jugées moins attractives que d’autres. Ainsi, on se les passe gentiment, en se disant tout de même que si quelqu’un d’autre pouvait les récupérer ce serait mieux. En effet, l’objectif, ce n’est pas de construire ensemble, pour le bien-être des populations, mais d’être toujours plus compétitif pour mieux écraser l’autre et pour mieux s’en sortir dans l’affrontement qui attend nos régions demain.

Si nous proposons la suppression de cet article, ce n’est pas par manque de respect pour le travail de la commission ou, plus largement, du Sénat, c’est parce que nous sommes fondamentalement en désaccord – nous l’avons dit dès la première lecture – non pas avec telle ou telle carte mais avec la méthode consistant à imposer aujourd’hui des redécoupages territoriaux aux habitants de nos régions.

On peut penser ce que l’on veut des sondages. Reste qu’un certain nombre d’entre eux le montrent : nos concitoyens n’approuvent pas nécessairement les choix proposés, quelle que soit la carte, celle du Gouvernement, celle de l’Assemblée nationale ou celle que le Sénat va selon toute vraisemblance adopter. Voilà pourquoi notre groupe votera la suppression de l’article 1er.

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.

M. Didier Guillaume. Nous en sommes à un premier tournant de ce texte. Le Gouvernement a fait le choix, approuvé par certains, réprouvé par d’autres, de présenter un projet de loi sur un sujet dont notre pays débat depuis vingt ou trente ans : la réforme de l’administration territoriale.

Nous sommes tous d’accord dans cette assemblée pour dire qu’il faut réduire le nombre de régions. (Protestations sur plusieurs travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)