Mme la présidente. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour explication de vote.

Mme Fabienne Keller. Monsieur le ministre, vous êtes un magicien ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

Un sénateur du groupe UMP. Un sorcier !

Mme Fabienne Keller. Voilà quelques jours, vous déposiez un amendement, pour rétablir, par la force, cette carte, qui est votre seul objectif. Puis, en l’espace d’une nuit, vous l’avez très habilement fait disparaître du dérouleur, nous laissant face à un autre amendement, celui de l’UMP, que nous examinons actuellement et que vous soutenez.

Non, monsieur le ministre, vous ne faites pas confiance au Sénat. Vous avez voulu imposer votre carte, et le retrait de votre amendement n’est qu’un élément tactique, qui vous permet, en cet instant, de tenir ce discours. Mais les faits sont là…

Je veux maintenant évoquer Strasbourg, capitale européenne – c’est un vrai sujet –, qui fait l’objet non de déclaration, mais de preuves d’amour ! (Sourires.) Or le montant du contrat triennal voté à l’automne 2012, que vous avez évoqué hier, est deux fois et demie plus faible que le celui du contrat précédent… Au-delà des déclarations, le Gouvernement doit donc encore faire la preuve de la force de son amour pour Strasbourg l’Européenne.

Enfin, chers collègues de Champagne, des Ardennes et de Lorraine, il est vrai que nous avons plaisir à rappeler ce qui nous unit. Ce qui nous rassemble, ce sont de belles choses ! Il ne s’agit pas d’ériger des murailles entre nos régions. Ensemble, nous avons construit le formidable TGV Est, qui a désenclavé nos territoires. Nous avons tous participé à sa mise en œuvre et à celle de ses dessertes vosgiennes, non seulement financièrement, mais aussi pour lui donner du sens, permettant ainsi à Charleville-Mézières et au territoire de la Meuse d’être désenclavés.

Avec nos amis vosgiens, nous savons soutenir les projets du massif des Vosges. Avec nos amis lorrains, nous savons porter le cancéropôle et encore bien d’autres projets qui ont du sens. Il ne s’agit donc pas en l’espèce d’arrêter tout projet ou de mettre un terme à toute volonté de coopération. Il s’agit de tenir compte du fait que, depuis plusieurs années, l’Alsace porte un projet. Celui-ci a mis du temps à mûrir. Les esprits ont évolué, et ce projet s’est enrichi. Cette démarche au long cours en croise une autre beaucoup plus récente, celle qu’a engagée voilà quelques mois le Gouvernement, dont la mise en œuvre nécessite l’adaptation du présent projet de loi à laquelle vous invitent les auteurs de l’amendement n° 41 rectifié ter.

C’est dans cet état d’esprit, mes chers collègues, que je vous prie de rejeter cet amendement. (Applaudissements sur quelques travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. J’ai annoncé tout à l'heure que je voterai contre l’amendement n° 41 rectifié ter. Vous me permettrez d’intervenir maintenant pour vous en donner les raisons.

Selon moi, cet amendement est inacceptable, sur la forme comme sur le fond.

Sur la forme, son exposé des motifs évoque « la fausse bonne idée de donner à l'Alsace la facilité d'exprimer son particularisme », une volonté de s’isoler, de « promouvoir […] les replis identitaires »… Vous comprendrez qu’un Alsacien ne puisse qu’être frappé, choqué et, même – je n’hésite pas à le dire –, blessé à sa lecture !

Comme nous avons essayé de le démontrer tout à l'heure, il ne s’agit en aucun cas de particularisme, d’un repli identitaire, d’une volonté d’entrer dans un splendide isolement ; au contraire ! Je voudrais que vous le compreniez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues. Il s'agit de créer une collectivité territoriale unique, en supprimant un niveau de collectivité. Il s'agit de simplifier l’organisation administrative et politique. Il s'agit de faire des économies – parce que nous pourrons en faire ! Il s'agit, surtout, de gagner en compétitivité et de permettre à l’Alsace de jouer le rôle de poste avancé en Europe, pour le développement de notre pays. Vous le voyez, nous sommes loin des motifs invoqués…

Bien entendu, j’ai noté, comme d’autres, que nous ne pouvons plus nous exprimer sur l’amendement du Gouvernement, puisque cet amendement a été retiré. Mais, hier, nous avons eu le temps de le lire, et le retour de l’Alsace dans la grande région que vous souhaitez, monsieur le ministre, avait pour seule motivation votre volonté de limiter le nombre de régions à douze, plutôt qu’à quatorze… C’était écrit noir sur blanc dans l’exposé des motifs ! Si vous me permettez cet euphémisme, une telle motivation est pour le moins surprenante.

À nos yeux, il n’est pas question de limiter le débat à un problème d’arithmétique : il y va de l’avenir de l’Alsace, il y va de l’avenir et de la dynamique d’une région au sein de notre pays et, vous l’avez compris, il y va de l’avenir du développement de la France au sein de l’Europe.

Sur le fond, en prolongement de ce que j’ai déjà déclaré hier et tout à l'heure, je veux répéter à mes collègues soutenant l’amendement n° 41 rectifié ter que la création d’une grande région telle qu’ils la prévoient n’est pas le bon choix.

Expliquez-nous une fois pour toutes ce que cette grande région apportera de plus par rapport aux régions actuelles ! Pourquoi vouloir une intégration de ces régions ? Je vous renvoie à ce que vient de dire Fabienne Keller : même si nous nous trouvons des points communs, des atouts communs, même si nous faisons face à des difficultés communes – nous ne devons pas nous les cacher –, la coexistence d’une collectivité régionale alsacienne à côté de la région Champagne-Ardenne – Lorraine – solution que nous vous proposons et que défend la commission spéciale – ne nous empêchera pas de continuer à travailler ensemble, comme nous l’avons fait par le passé !

Dès lors, qu’apporterait de plus une grande région ? Comment peut-on estimer que transférer aux régions la gestion de tous les collèges ou celle de plus de 400 000 kilomètres de voirie départementale entraînera une amélioration qualitative et non, à l’inverse, une détérioration ? Sans compter, mes chers collègues, les difficultés de toutes sortes – organisationnelles, financières, immobilières – qui découleront des fusions réalisées et qui handicaperont sans doute pour de longues années la capacité de nos régions à définir et à mettre en œuvre les actions dont elles ont la responsabilité et que les habitants attendent d’elles.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous appelons à maintenir la position de la commission spéciale et à voter contre cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.

M. Daniel Gremillet. Alors que mon mandat de sénateur ne fait que commencer, j’ai, depuis le début de cette discussion, un vrai sentiment de gâchis. En effet, je le répète à mon collègue qui préside le conseil régional de Lorraine – j’ai déjà eu l’occasion de le lui dire en tant qu’élu de cette région –, c’est comme si nous avions affaire à un chef d’entreprise nous annonçant son intention de construire un énorme bâtiment, sans savoir ce qu’il veut en faire. Tout cela parce que l’on n’a pas eu le courage de lier l’examen de l’espace territorial souhaité avec celui des missions et des compétences qu’on voulait lui confier… Cependant, on aurait gagné en efficacité et, surtout, en transparence et en lisibilité, au bénéfice des populations que nous représentons.

Ceux et celles d’entre nous qui viennent d’être élus ont beaucoup dialogué avec les représentants des territoires, les ont beaucoup écoutés. De ces échanges, il est ressorti que les communes avaient besoin de lisibilité, besoin de savoir quelle serait leur place dans la configuration à venir. Il est apparu également la nécessité de garder les départements, échelon de proximité, tout en clarifiant les compétences des uns et des autres.

Si je respecte le travail de la commission spéciale, je rappelle que le texte qui nous est présenté aujourd'hui a été réalisé avant que le Premier ministre et les ministres ne s’expriment. À l’époque, nous nous demandions tous quelle allait être la place de la commune, quelle serait celle des départements... Depuis, nous avons obtenu un certain nombre de réponses. Nous nous retrouvons donc dans un autre schéma. À cet égard, je pense que la position de la commission spéciale aurait aussi pu s’enrichir des éléments nouveaux que nous a communiqués le Gouvernement, lesquels donnent à la réforme une autre dimension.

À titre personnel, en tant qu’élu vosgien, je dois dire que le regroupement de l’Alsace et de la Lorraine m’allait très bien ! Mais, dès lors que l’on conforte le fait communal et la place du département, on peut imaginer des espaces différents. Dans ces conditions, et je rebondis sur ce que Gérard Longuet a brillamment déclaré, ce que souhaitent nos amis alsaciens est tout à fait possible, dans un espace nouveau, qu’il nous faut construire.

Respectons celui qui, dans cette enceinte, revendique l’identité de sa région – qu’il s’agisse ou non de l’Alsace – et exprime son besoin de proximité. Je le dis avec force ! Malgré les raisons et malgré les passions, respectons-nous les uns les autres, car nos racines sont ancrées au plus profond de nous-mêmes ; ce sont de vraies valeurs !

En présentant cet amendement, nous exprimons donc le souhait de nous retrouver autour de cette considération : oui, il existe une place, réaffirmée, pour la commune et une place pour des départements et, oui, il nous faut construire de nouveaux espaces de travail et de structuration des territoires.

Je l’ai indiqué hier et je le répète, je ne voudrais pas m’exprimer seulement en tant qu’élu du massif des Vosges, alors que le Sénat est le représentant des collectivités et des territoires, mais il me semble difficile d’imaginer que le massif vosgien ne puisse se retrouver dans une même entité régionale et soit déchiré entre l’Alsace et la Lorraine, voire entre la Lorraine et la Champagne-Ardenne. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. La question de l’Alsace et de la Lorraine est, hélas, dans notre pays, vieille comme le monde ! En tout cas, elle se pose depuis très longtemps et son poids a toujours été considérable.

À cet égard, il me semble très important que les élus de l’Alsace ou de la Lorraine ne soient pas les seuls à s’exprimer sur le sujet. Il y va de l’unité de la France, de l’égalité républicaine et de l’idée que l’on se fait du futur équilibre territorial de notre pays.

Je peux comprendre que des collègues d’une région donnée, qu’elle s’appelle l’Alsace ou porte un autre nom, considèrent le cadre de leur région actuelle comme le bon espace pour développer la solidarité, apporter une contribution pleine et entière à la France et préparer l’avenir. Je le conçois, même si je ne partage pas forcément cette position.

En revanche, permettez-moi de vous dire, mes chers collègues alsaciens, que certains arguments sont difficiles à accepter. Expliquer, comme nous l’avons entendu hier dans la bouche d’un sénateur du Haut-Rhin, que l’Alsace et, en particulier, le Haut-Rhin ont eu l’habitude par le passé de ne compter que sur eux-mêmes constitue une forme d’injure à l’histoire de ce pays. Nombreux sont ceux qui, précisément, ont considéré que le Haut-Rhin appartenait à la France et, de ce fait, devait pouvoir compter sur elle !

Je tiens également à signaler que Strasbourg reste la capitale européenne, non parce qu’elle est alsacienne, mais parce qu’elle est française.

Depuis toujours, je participe aux actions en faveur du maintien de Strasbourg comme capitale européenne. Je sais donc ce qu’il serait advenu sans le veto français, et les questions qui se posent au sein même de nos partis politiques pour savoir si cela vaut la chandelle de se battre en permanence au Parlement européen pour défendre une position minoritaire et faire en sorte que Strasbourg demeure capitale européenne. Heureusement que nous pouvons compter sur la France, et pas seulement sur l’Alsace !

Mme Fabienne Keller. C’est vrai !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Par ailleurs, si l’on considère le triangle institutionnel formé par les capitales européennes que sont Luxembourg, Bruxelles et Strasbourg, celui-ci plaide plus pour la constitution d’une grande région européenne Alsace-Lorraine que pour le maintien de l’Alsace seule.

Je vais suivre la position de mon groupe et je suis assez convaincue par les arguments de Jacques Bigot et de Jean-Pierre Masseret, le président du conseil régional de Lorraine. Mais, indépendamment de mes convictions et du vote des uns et des autres, je vous demande de faire très attention à vos argumentaires, mes chers collègues. L’identité culturelle n’implique pas nécessairement l’identité administrative. En outre, les questions d’identité et de diversité sont une chose, le particularisme en est une autre, en tant qu’organisation politique d’une diversité, d’une identité culturelle. Or la République française n’est ni un État fédéral ni une somme de particularismes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson, pour explication de vote.

M. Jean-François Husson. Dans le cadre de ce débat, que l’on peut qualifier d’assez mouvant – mais c’est un beau débat d’idées –, je souhaite apporter quelques éléments d’appréciation à la fois sur la dimension géographique, la force du projet et les enjeux transfrontaliers, avant, peut-être, d’adresser un petit signe à l’histoire.

Commençons, une fois n’est pas coutume, par un éclairage précis sur la géographie, notamment sous l’angle des équipements.

Voici donc un grand ensemble territorial, situé à l’est de Paris et nous conduisant jusqu’aux frontières nationales avec l’Allemagne, mais aussi avec d’autres pays – je reviendrai sur le sujet –, qui dispose de grands équipements. Je citerai le canal de la Marne au Rhin et le canal de l’Est, puis, s’agissant des grandes infrastructures routières, la RN4 et l’autoroute A4 et, enfin, la liaison ferroviaire à grande vitesse.

Concernant cette dernière, c’est la première fois dans l’histoire de France que, de manière coopérative, les régions, départements et agglomérations ont contribué financièrement à la construction d’une grande infrastructure, laquelle donne beaucoup de satisfaction, même si, aujourd'hui, la desserte n’est pas complètement achevée jusqu’à Strasbourg. Il s’agit là d’un bel exemple de solidarité, que nous devons garder à l’esprit.

Autre élément, l’articulation entre les territoires et la force d’une nouvelle organisation, telle qu’elle apparaît dans sa forme de « chaîne d’arpenteur », pour reprendre le terme que j’ai employé précédemment.

Pour donner force et consistance à une région, il faut veiller à l’espace qu’elle recouvre, à sa démographie, notamment en termes de dynamiques, à sa richesse et à son potentiel économique. Si nous voulons construire une ou des stratégies de développement dans nos territoires, nous ne pouvons pas nous contenter de raisonnements cloisonnés et verticaux.

« Nous n’avons rien contre », ai-je beaucoup entendu dire… Il faut être pour, et non contre, mes chers collègues ! Il faut aussi pouvoir porter le projet, celui-ci devant s’inscrire dans un esprit de solidarités territoriales, humaines et économiques.

J’en viens maintenant à la force qui serait celle d’une grande région sous l’angle de son espace et de ses frontières.

C’est là un beau défi à relever ! Au-delà de la Belgique et du Luxembourg, le territoire considéré compterait une longue frontière avec l’Allemagne, un voisin important qui apporte beaucoup à la France en matière d’échanges, notamment à sa partie est. De plus, lorsqu’on se trouve à Saint-Louis, tout au sud de l’Alsace, on est quasiment à Bâle, donc tout près de la Suisse.

Quel beau barycentre formerait donc l’Alsace, avec Strasbourg comme pivot, pour irriguer, faire office de trait d’union et servir de réacteur à un développement économique qui se diffuserait bien au-delà des premières villes frontalières et des départements limitrophes !

Je rappellerai enfin – même si l’idéal ne fait pas tout, il me semble qu’il faut en avoir une part dans la vie et en politique – que nous commémorons cette année le début de la Première Guerre mondiale. Le grand est de la France a payé dans ce cadre un lourd tribut, avec la participation de Français, mais aussi d’étrangers venus de toutes parts.

Un siècle plus tard, il me semble que cela aurait tout de même de la « gueule » – c’est l’expression qu’employait le général Bigeard, auprès de qui j’ai travaillé pendant un moment – de voir naître en temps de paix, pour la France, mais aussi en mémoire de tous ceux qui sont tombés sur ces champs de bataille, une grande ambition fraternelle, une forme de rassemblement, de grande unité autour d’une région hier meurtrie.

Ainsi celle-ci pourrait-elle, comme d’autres, prendre toute sa place dans le développement de la France et d’une Europe dont nous avons besoin pour participer à l’effort indispensable au redressement de notre pays.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Cornu, pour explication de vote.

M. Gérard Cornu. Il est vraiment difficile de se déterminer quand on n’est pas directement concerné par les problématiques de l’est de la France. Nous débattons du sujet depuis hier soir et il est vrai que les arguments des uns et des autres peuvent se concevoir. En définitive, nous nous retrouvons dans la situation d’un couturier qui voudrait confectionner un costume sur mesure sans avoir les mensurations du client. C’est relativement complexe et, pourtant, nous devrons voter !

Toutefois, nous ne partons pas de rien, puisque nous avons à notre disposition le rapport Raffarin-Krattinger.

Ce document, qui fait référence, définit sur la base d’une méthode bien précise une organisation articulée autour de régions stratèges – une dizaine – et des départements maintenus pour garantir la proximité. Je dois reconnaître qu’il me paraissait tout à fait satisfaisant.

Puis a été installée la commission spéciale… Je croyais naïvement qu’elle aboutirait à un consensus. Malheureusement, je constate que le consensus n’est pas vraiment au rendez-vous aujourd'hui !

La commission spéciale s’est beaucoup écartée du rapport Raffarin-Krattinger : alors que ce dernier prévoyait huit à dix régions, elle en propose quinze, soit presque 50 % de plus.

Nous qui ne sommes pas directement concernés par la question soulevée par le présent amendement, nous sommes donc partagés entre la position du rapport précité et celle de la commission spéciale, qui va beaucoup plus loin en optant pour quinze régions – pourquoi ne pas revenir à vingt-deux dans ce cas ? – et des départements fondus dans chacune d’entre elles.

Nous faisons face à deux stratégies complètement différentes et, pour ce qui me concerne, je pense en toute bonne foi qu’il faut en rester au rapport Raffarin-Krattinger. Nous étions parvenus à un consensus sur ce dernier et le Sénat a tout intérêt à affirmer la nécessité de disposer de régions stratèges, à en limiter le nombre – une dizaine, voire une douzaine – et à conserver un grand nombre de départements assurant la proximité.

On ne peut pas, me semble-t-il, avoir tout et son contraire !

Par conséquent, je voterai l’amendement présenté, non pas uniquement pour des raisons locales, mais par fidélité au rapport Raffarin-Krattinger, qui, en proposant des régions stratèges et des départements garantissant la proximité, me semble apporter une solution correcte.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. La commission spéciale n’a sans doute pas toutes les vertus que souhaiterait notre collègue Gérard Cornu, mais la vérité exige de dire qu’elle a prévu seulement quatorze régions, et non quinze. Elle a contribué à limiter le nombre de ces régions, la Corse n’étant cependant pas traitée dans le cadre de ce dossier !

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Les arguments échangés sur cette question de l’Alsace sont en réalité tous estimables – on a le droit d’hésiter sur un sujet de cette nature ! – et il m’a semblé que toutes les interventions étaient inspirées par un sens très élevé de l’intérêt collectif, voire de l’intérêt national.

À ce stade de la discussion, je voudrais observer que les conditions dans lesquelles nous travaillons, notamment en termes de rapidité, exigeront la mise en place, au moins pendant la première année d’existence des nouvelles régions, d’un droit d’option réellement opérationnel pour pouvoir procéder à des ajustements. En effet, comme il est d’usage de le dire, nous allons légiférer d’une main tremblante sur un certain nombre de points déterminants pour les décennies à venir, mais pour lesquels la pesée du pour et du contre se révèle être un exercice assurément très difficile.

Je tiens également à préciser les éléments qui me déterminent à soutenir le choix de la commission spéciale.

Nous avons certes établi une ligne directrice, me semble-t-il très largement partagée, que nous avons énoncée dans le nouvel article adopté, hier, par notre assemblée et précédant l’article 1er du projet de loi.

Par principe, nous sommes favorables à de grandes régions, dès lors que celles-ci ont des responsabilités en matière de stratégie économique, de développement des territoires, des grandes infrastructures, de la formation professionnelle et de l’emploi.

Nous sommes favorables, en même temps, à des départements forts dans ces grandes régions pour l’exercice des compétences de proximité.

Telle est notre ligne directrice, qui peut, dans quelques cas, être tempérée par un certain pragmatisme.

L’Alsace n’a pas attendu cette réforme territoriale pour concevoir son propre projet. Elle s’autorise pour cela des dispositions constitutionnelles adoptées en 2003 et permettant de ne pas placer tous nos territoires sous la même toise, puisque la Constitution prévoit la possibilité de mettre en place de nouvelles collectivités territoriales qui ne sont ni des départements ni des régions, mais qui sont de nouvelles entités.

L’Alsace a voulu s’inscrire dans cette perspective que nous avons nous-mêmes, en tant que pouvoir constituant, ouverte. La réforme territoriale proposée par le Gouvernement est venue après. Or le projet alsacien est unique en France. Naturellement, d’autres départements, d’autres régions pourraient avoir la même idée,…

M. André Reichardt. Absolument !

M. Philippe Bas. … mais force est de constater que les seuls à l’avoir eue et à l’avoir traduite juridiquement de manière très précise dans un projet sont les Alsaciens.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Philippe Bas. Nous sommes en train de délibérer non sur un projet virtuel ou théorique, mais sur un projet qui a pris forme, qui existe et a fait l’objet, même si la participation a été trop faible pour qu’il soit adopté, d’un vote majoritaire des Alsaciens eux-mêmes. Le but est non pas de retirer l’Alsace à une région qui existerait, mais de ne pas l’intégrer à une région qui n’existe pas encore.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Philippe Bas. Il s’agit simplement de donner sa chance à cette collectivité particulière.

Par ces propos, je ne m’oppose pas aux projets alternatifs, puisque nous prenons parti pour les grandes régions en général et par principe. Cependant, nous devons être suffisamment pragmatiques pour envisager des formules différentes lorsque celles-ci ont déjà une certaine consistance.

Telle est la raison pour laquelle, en ce qui me concerne, j’ai fait le choix de soutenir la position de la commission spéciale. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. À l’article 1er A, adopté à une large majorité, nous avons su affirmer le rôle des régions, des départements, des communes et des intercommunalités. À partir de là, nous savons que l’orientation doit naturellement se porter vers des grandes régions.

S’agissant de la collectivité unique en Alsace, le texte porté en 2010 par Philippe Richert, à l’époque ministre chargé des collectivités locales, prévoyait des modalités de scrutin qui ont effectivement conduit, lors du référendum du mois d’avril 2013, à son rejet. L’un des problèmes de ce référendum, je le rappelle, a été la difficulté des protagonistes à se positionner clairement sur le rôle de Strasbourg, capitale régionale.

Aujourd’hui, je suis convaincu qu’il faut aller, conformément aux conclusions du rapport Raffarin-Krattinger et d’autres, vers des grandes régions. La grande région de l’est de la France, je l’ai dit, c’est, selon moi, celle que proposaient initialement le Gouvernement comme Philippe Richert et Jean-Pierre Masseret, à savoir l’Alsace-Lorraine.

Je ne vois pas comment construire un projet de développement économique incluant la région Champagne-Ardenne, les départements de l’Aube et de la Marne. Je crains que cela ne soit compliqué - mais peut-être l’avenir me démentira-t-il.

Soutenant l’amendement n° 66, vous comprendrez, mes chers collègues, que je ne puisse souscrire à l'amendement n° 41 rectifié ter. Je remercie d’ailleurs le Gouvernement d’avoir retiré le sien, identique : ainsi, c’est contre un amendement UMP que je voterai et non contre un amendement du Gouvernement. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jacques Bigot. Mais je dois dire que, de toute façon, je n’aurais pas voté l’amendement du Gouvernement. (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Bouvard, pour explication de vote.

M. Michel Bouvard. Pour ceux qui sont extérieurs aux régions concernées, Gérard Cornu l’a précisément dit, le débat est difficile. Il s’apparente à celui qu’ont eu mes prédécesseurs en 1972 lorsqu’il s’agissait de savoir si les départements savoyards formeraient une région unique ou si les Alpes seraient intégrées dans une région rhodanienne. Dans chacune des deux collectivités, le débat a été très animé ; il s’agissait de peser les avantages et les inconvénients des deux solutions envisagées. Les majorités ont été constituées de justesse.

Pour éclairer le débat de ce jour, il me paraît essentiel de connaître la position qu’adoptera le Gouvernement à l’Assemblée nationale, compte tenu de l’adoption de l’article 1er A, quant au devenir des départements. Il ne s’agit pas de maintenir des départements partout ; il s’agit de tirer les conséquences de l’instauration de grandes régions, avec ou sans métropole, et de la place des territoires qui seront en dehors des espaces métropolitains.

Je comprends qu’une très grande région puisse être vécue par les Alsaciens comme menant, à terme, à la dissolution de leur identité, mais aussi à l’éloignement de leur partenaire économique naturel situé de l’autre côté de la frontière.

Si je le comprends, c’est parce que les départements savoyards rencontrent le même problème au sein de la région Rhône-Alpes aujourd’hui, lequel dépend de ce que deviendront les départements. Ceux-ci se verront-ils retirer toutes leurs compétences pour se transformer en bureau d’aide sociale, ou pas ?

Si demain, dans le Grand Est, qui peut effectivement constituer la démarche naturelle, on transfère toutes les compétences à la très grande région et si les départements ne sont plus que des bureaux d’aide sociale, une moindre prise en compte par la région des spécificités de la zone frontalière, dont une partie des territoires serait éloignée, représenterait un véritable problème.

La question a été soulevée hier à propos du Nord – Pas-de-Calais et de la Picardie. C’est ce qui ressort en ce moment même du débat sur le Grand Est et la place de l’Alsace, région autonome ou regroupée. Et c’est parce que nous en avons souffert, en tant qu’élus savoyards, que nous en comprenons l’enjeu.

Nous avons donc besoin que le Gouvernement éclaircisse sa position. Si demain les départements ne sont plus que de super bureaux d’aide sociale ou s’ils se sont regroupés pour faire des économies ou dissous dans les métropoles, avec le poids économique de ces dernières, quel sera le devenir de ces territoires frontaliers, qui sont liés à l’autre côté de la frontière, qui ont des intérêts économiques singuliers, des particularités, dans ces très grandes régions ?

J’y reviendrai ultérieurement, l’élargissement de la région Rhône-Alpes ne faisant qu’accentuer notre problème. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas comprendre ce qui se passe et effectuer des choix sans éclaircissement.

Pour ma part, je suis très partagé : d’une part, la collectivité unique alsacienne peut être une chance pour d’autres territoires, d’autre part, nous avons besoin de grandes régions programmatiques pour réaliser de grands équipements.