M. Philippe Dallier. On en reparlera !

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. … un plan de relance de la construction pour libérer du foncier et favoriser la construction de logements locatifs intermédiaires, la rénovation énergétique et l’accession à la propriété, notamment dans les quartiers en difficulté grâce à l’instauration du taux de TVA réduit dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Les transports sont un autre sujet crucial. Par-delà ce que notre rapporteur spécial appelle la « saga de l’écotaxe », comment ne pas voir l’essentiel ? Ce budget maintient les crédits de l’AFITF (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.), ce qui permettra de financer la nouvelle génération de contrats de plan État-région. Parallèlement, nous avons voté une réforme ferroviaire qui est un premier pas vers l’équilibre des comptes du système ferroviaire, éloignant ainsi le risque d’appel en garantie de l’État.

Le Gouvernement s’attache aussi à la préservation des intérêts patrimoniaux et financiers de l’État : sa gestion active des participations permet dans ce budget de dégager 4 milliards d’euros pour le désendettement, tout en conservant une influence majeure dans les grandes entreprises dont l’État est actionnaire.

Toujours pour préparer l’avenir, ce projet de loi de finances dégage des moyens en faveur de la jeunesse, de l’éducation, des universités et de la recherche.

Le service civique monte en puissance, des financements européens ont été obtenus et des moyens supplémentaires ont été ajoutés par l’Assemblée nationale, conformément au souhait du Président de la République d’aller un peu plus vite dans le déploiement de ce dispositif.

L’enseignement scolaire est le premier budget et il augmente de 2 %. Les postes annoncés sont créés – hier encore, lors de la réunion de la commission, un de nos collègues s’est réjoui que les rentrées scolaires se passent correctement dans son département – et la moitié d’entre eux bénéficiera au premier degré, là où les difficultés se cristallisent. L’accompagnement des élèves handicapés se professionnalise, ce dont je me réjouis, et bénéficie d’effectifs supplémentaires.

Dans l’enseignement supérieur, 1 000 postes supplémentaires sont financés et la réforme des bourses permettra à 77 500 étudiants de plus de bénéficier d’une aide d’environ 1 000 euros en plus de l’exonération de droits d’inscription et de cotisations sociales.

La priorité à la jeunesse se traduit encore par la montée en puissance de la « garantie jeunes », que j’ai déjà évoquée, et par l’augmentation du nombre d’emplois d’avenir.

Je conclurai en évoquant la mission « Solidarité », qui connaît une augmentation significative, portée par la revalorisation du RSA de 10 % sur la durée du quinquennat.

Il m’a semblé important de me livrer à ce panorama de plusieurs des volets de ce projet de loi de finances, car, on le voit, le Gouvernement fait des choix, prend des décisions, propose des mesures concrètes pour mettre en œuvre ses priorités, dans le cadre d’une stratégie économique cohérente, combinant redressement des comptes et soutien à la croissance.

C’est pourquoi, malgré le bon climat que nous avons tous contribué à créer à la commission des finances depuis un mois et demi, notre excellent rapporteur général n’étant pas en reste sur ce plan, je m’opposerai aux amendements de la majorité sénatoriale qui relèveraient d’une autre logique que celle qui sous-tend le texte, tel qu’il nous est arrivé de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention ne doit dépasser dix minutes. Les présidents de séance successifs y veilleront !

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la lecture du projet de loi de finances pour 2015 m’a à la fois laissé une vraie impression de déjà-vu et fait l’effet d’un arrêt sur image, puisque l’on nous annonce, pour 2015, un déficit de 4,3 %, à peu de chose près égal à celui de 2014 – 4,4 % –, lequel était à peine différent de celui de 2013, à savoir 4,1 %.

Ce qui est sûr, monsieur le secrétaire d'État, c’est que, à partir du début du mois d’octobre, toutes nos dépenses publiques sont financées avec des emprunts sur les générations futures. Nous sommes « scotchés », depuis 2012, à des taux de croissance proches de zéro. En cela, l’année 2015 ne sera pas bien différente.

Comme chaque année, vous affichez un optimisme de façade. Ainsi, le présent projet de loi de finances table sur une croissance de 1 %, alors que le consensus s’établit plutôt, aujourd'hui, autour de 0,7 %. Voilà quelque temps, j’avais proposé que l’on retranche 0,5 % du taux de croissance estimé au moment où on l’on établit la loi de finances, c'est-à-dire au mois d’août, dans un souci de prudence et afin de se ménager de bonnes surprises. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean Germain. Un peu d’audace !

M. Vincent Delahaye. Comme chaque année, les recettes prévues sont visiblement surévaluées. Elles l’étaient de 15 milliards d’euros en 2013 et le seront d’au moins 11 milliards d’euros en 2014. Et, aujourd’hui, on nous annonce, malgré la conjoncture atone et une inflation quasi nulle, que le rendement de la TVA va progresser de près de 5 milliards d’euros. Est-ce ainsi que M. le secrétaire d’État satisfait au principe de sincérité budgétaire ? J’espère, au moins, qu’il croit à ses chiffres. Pour ma part, je n’y crois absolument pas.

Vos efforts pour endiguer le déficit sont aussi décevants que les années précédentes. On cherche en vain de vraies réformes structurelles.

Nous avons entendu François Hollande dire que la boîte à outils était sur la table et qu’il n’y avait plus qu’à attendre qu’elle produise ses effets. Le problème est que l’on ne voit toujours rien venir… Dans le même temps, on nous assure que le choc de simplification a déjà produit 2,4 milliards d’économies et l'on nous promet qu’il en produira encore 8 milliards d’euros. En réalité, on nous avance ces chiffres sans apporter la moindre preuve.

La vérité, c’est que cette boîte à outils ne produit aucun effet. Tout bouge autour de nous à grande vitesse, le monde est en profond changement et nous, nous restons immobiles, sûrs de notre boîte à outils et de ses effets, sûrs de nous contre tous, contre l’évidence et contre les faits.

Il faudrait réformer en profondeur ; au lieu de cela, monsieur le secrétaire d'État, vous ne faites qu’effleurer le sujet. Vous dépensez votre énergie à inventer des mesures en trompe-l’œil, pour épater la galerie. Une telle politique relève de l’affichage.

Quand le Gouvernement chiffre à près de 8 milliards d’euros les efforts sur les dépenses de l’État, c’est de l’affichage. Nous savons tous que ces efforts ne rapporteront, en fait, que 1,8 milliard d’euros, la différence étant constituée par l’écart entre une hausse imaginaire, supputée, dite « tendancielle », et les dépenses réelles.

Pour ne prendre qu’un exemple, vous affichez 1,4 milliard d’euros d’économies sur les dépenses de personnel, quand celles-ci augmenteront, en réalité, de 100 millions d’euros. Comment les Français peuvent-ils comprendre de tels tours de passe-passe ?

Quand vous vous gargarisez des performances sur le solde structurel pour mieux masquer vos échecs sur le solde effectif, c’est encore de l’affichage. Vous avez retenu jusque-là des taux de croissance potentiels irréalistes. À cet égard, je me réjouis que l’on abaisse enfin ce taux à 1 %, ce qui réduit sensiblement l’ajustement structurel qui en résultera cette année.

Je crains, malgré tout, que la théorie des cycles économiques sous-jacente à la distinction entre solde effectif et solde structurel ne soit devenue totalement inadaptée à la situation actuelle. Vous continuez encore de vendre du virtuel !

Quand vous accusez de mauvaise gestion les collectivités territoriales pour mieux leur ponctionner, pendant trois années consécutives, 3,7 milliards d’euros non pas « tendanciels », mais sonnants et trébuchants, et pour mieux masquer vos propres insuffisances budgétaires, c’est toujours de l’affichage ! Recevoir des leçons d’un État qui présente un budget en déséquilibre de 75 milliards d’euros, c’est-à-dire l’équivalent d’un quart de ses recettes, pourrait prêter à sourire si la colère ne l’emportait pas.

Quand vous ponctionnez 3,7 milliards d’euros sur les collectivités après leur avoir déjà prélevé 1,5 milliard l’an dernier, tout en promettant 7 milliards d’euros pour 2016 et 2017, c’est aussi de l’affichage. L’État sait qu’il reporte sur les collectivités le sale boulot des augmentations d’impôts.

Au final, vous trompez les Français, mais c’est toujours à eux de payer. Vous croyez les leurrer par ces tours de passe-passe, mais ils ne sont plus dupes. Il serait temps que vous vous en rendiez compte ! Les électeurs vous sanctionneront peut-être, mais les faits vous rattraperont sûrement et le pays continuera inexorablement sa chute. Arrêtons donc de duper les Français.

Un sénateur du groupe socialiste. Cassandre !

M. Vincent Delahaye. En 2012, le Premier ministre de l’époque affirmait que seuls les riches paieraient. Ensuite, nous a-t-il dit, c’était à neuf Français sur dix de le faire ! Aux protestations des Français, vous avez pu apprécier à quel point le chef du Gouvernement était loin de la réalité… Puis ce fut la promesse d’un Grand Soir fiscal, et l'on ne vit rien venir. Puis le chef de l’État entonna le refrain de la pause fiscale, tout aussi peu ressentie par les Français. Enfin, tout dernièrement, le Président de la République a annoncé qu’il n’y aurait plus d’impôts supplémentaires sur qui que ce soit à partir de 2015, ce qui en a surpris plus d’un. Il faut dire qu’avec les seuls impôts votés les années précédentes – et leurs effets décalés –, ce sont plus de 3 milliards d’euros supplémentaires qui seront ponctionnés sur les Français, ne serait-ce que du fait de la taxe carbone.

Dès lors, pas besoin de voter de nouveaux impôts ! Pourtant, on observe encore, cette année, une augmentation de la redevance audiovisuelle, une hausse du gazole ainsi qu’une hausse des cotisations retraite. La plupart des Français continueront de payer plus en 2015.

J’en veux pour preuve votre prévision de recettes sur l’impôt sur le revenu, qui augmente de 600 millions d’euros, monsieur le secrétaire d'État, alors que la suppression de la première tranche devrait les faire diminuer de 3,2 milliards d’euros. Au total, ce sont donc 3,8 milliards d’euros qui pèseront sur les Français qui ne bénéficieront pas de la suppression de la première tranche !

De deux choses l’une : soit vos chiffres sur les recettes à attendre de l’impôt sur le revenu sont faux, soit le Président de la République ment. J’ai tendance un penser que c’est et l’un, et l’autre ! Au lieu de dire qu’il n’y aura plus d’impôts supplémentaires pour qui que ce soit à partir de 2015, le chef de l’État pourrait sans doute dire qu’il y aura plus d’impôts et de taxes sur tous les Français à partir de 2015 !

M. Éric Doligé. Bonne remarque !

M. Vincent Delahaye. Je le répète, arrêtons de duper les Français.

Vous trompez les Français en communiquant sur la stabilité des effectifs dans la fonction publique, quand tout le monde sait bien que l’exécution du budget se traduira plus sûrement par une réduction des effectifs de près de 10 000 équivalents temps plein et qu’il faudrait aller beaucoup plus loin pour résorber notre déficit.

Vous trompez les Français quand, en un jour, vous faites semblant de trouver sous le tapis 3,6 milliards d’euros supplémentaires pour satisfaire l’Union européenne.

Vous trompez les entreprises quand, après les avoir chargées de 30 à 40 milliards d’euros, vous leur demandez le lendemain de se réjouir au motif que vous allez leur reverser 20 milliards d’euros sous la forme de crédit d’impôt.

Vous trompez les Français en faisant porter sur le seul budget de la défense les trois quarts des réductions des effectifs dans la fonction publique, sous prétexte que la Grande Muette portera encore bien son nom.

Mme Nathalie Goulet. Pas pour longtemps !

M. Vincent Delahaye. En agissant ainsi, vous mettez en danger l’avenir de notre armée. Vous trompez les Français en feignant de croire encore aux 2 milliards d'euros de recettes exceptionnelles pour équilibrer le budget de la défense, sachant qu’au final il faudra bien raboter sur les investissements, mesure indolore dans l’instant, mais dangereuse pour l’avenir.

Vous trompez les Français quand, pour sortir de cette situation, vous inventez en catastrophe une usine à gaz, comprenant la création de sociétés qui rachèteraient le matériel de l’armée pour le lui louer.

Vous organisez toutes les combinaisons pour sauver les apparences, mais la facture nous sautera immanquablement à la figure un jour, si ce n’est d’ici peu : d’ici à ce que la prochaine génération hérite d’une France surendettée, d’une France fragilisée, d’une France où les investissements auront été sacrifiés.

Oui, en trompant les Français, en vous trompant vous-même, c’est l’avenir que vous mettez en danger. Ce sont les futures générations que vous sacrifiez !

Notre dette a dépassé le seuil symbolique des 2 000 milliards d’euros cette année, et elle va droit vers un second seuil symbolique, celui de 100 % du PIB. Bien sûr, les taux sont historiquement bas, mais cette dette, détenue à 60 % par l’étranger, pourrait, à la moindre remontée des taux, nous mettre d’un coup en grande difficulté.

M. Didier Marie. Qui l’a constituée ?

M. Vincent Delahaye. S’il vous plaît, prenez les Français pour des adultes et parlez-leur enfin un langage de vérité. Surtout, réformez vraiment en profondeur ! Engagez de vraies réformes ! Baissez les effectifs de l’État ! Entreprenez une vraie réforme territoriale ! Entamez cette réforme fiscale mille fois annoncée et jamais réalisée ! Évitez les usines à gaz du type du CICE ! Augmentez la TVA ! Pourquoi pas ? En ces temps de faible inflation, l’augmentation de cette taxe est possible. Au reste, ce serait une façon de faire payer aux produits d’importation les baisses de charges, sur lesquelles vous pourriez aller plus loin.

Gagnez en sincérité en affichant, dès le départ, des budgets réels ! Je pense notamment aux OPEX, pour ce qui concerne le budget de la défense. Et, plutôt que de geler 8 % des crédits, gelez-en 5 % et supprimez d’emblée 3 % des crédits de chaque mission. En somme, préférez le langage de vérité aux faux-semblants. Ayez ce courage et cette audace !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Vincent Delahaye. Aujourd'hui, le courage et l’audace manquent. Raymond Aron, dont j’ai toujours admiré la lucidité, disait : « Quand les hommes ne choisissent pas, les événements choisissent pour eux. » J’ai malheureusement l’impression que c’est ce qui se passe aujourd’hui. On ne sait pas où les événements vont nous entraîner.

M. Daniel Raoul. Surtout, on ne sait pas combien de temps vous allez encore parler !

M. Vincent Delahaye. Arrêtons de faire semblant. Mettons-nous au travail pour reprendre en main notre destin ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai mon propos par un bref constat, d’ordre général. En effet, hormis les baisses de crédits des missions et la diminution des dotations aux collectivités territoriales, ce projet de loi de finances, au fond, ne comporte pas de grandes mesures phare. On pourrait, bien sûr, penser à la suppression de la première tranche de l’impôt sur le revenu, mais ce n’est, en réalité, qu’une nouvelle monture d’une mesure que nous avions déjà discutée en juillet dernier, avant qu’elle ne soit censurée par le Conseil constitutionnel.

S’il ne présente pas de mesures emblématiques, ce projet de loi n’en est pas moins empreint d’une ligne politique claire, cohérente – il faut reconnaître au Gouvernement ce mérite – : accroître les marges des entreprises par la diminution de leurs impôts et de leurs cotisations et tenter, dans le même temps, de réduire le déficit par la baisse des dépenses publiques.

Cette baisse des dépenses publiques, on le sait, a des conséquences inquiétantes, d'abord pour nos concitoyens, qui vont voir une partie de leurs prestations sociales, de leur retraite, de leurs allocations familiales ou de leur indemnisation du chômage remise en cause.

Les conséquences de cette baisse seront également inquiétantes pour notre économie, du fait du repli de l’investissement public, celui tant de l’État que des collectivités territoriales, soumises, pour cette année et les suivantes, à une cure d’amaigrissement drastique.

Cela est d’autant plus inquiétant que, si l’on en croit les derniers chiffres de l’INSEE, relatifs au troisième trimestre 2014, la croissance, maigre, mais bel et bien réelle, que la France a pu accumuler pendant cette période est essentiellement tirée par la commande publique. En effet, l’investissement privé, dont on aurait pourtant pu espérer, depuis la création du CICE voilà deux ans, qu’il vienne se substituer partiellement à l’investissement public est, lui aussi, en recul.

On le sait, les effets récessifs de cette politique, systématiquement sous-évalués, ne permettent pas à la France de respecter la trajectoire budgétaire à laquelle elle s’était engagée devant la Commission européenne. Pour 2014, on s’achemine même vers une augmentation de 0,1 point du déficit, lequel s’établirait à 4,4 % du PIB.

Le Gouvernement a choisi, pour compenser le non-respect de ses engagements, de donner à la Commission européenne des gages accrus de libéralisation du marché du travail, laquelle vient encore fragiliser un peu plus les salariés, alors que le caractère endémique du chômage leur impose déjà un rapport de forces extrêmement défavorable avec les employeurs.

Tous ces sacrifices sociaux et économiques servent à financer le pacte de responsabilité et de solidarité, nous dit-on. En effet, si l’on additionne les 41 milliards d’euros attribués aux entreprises et les 5 milliards d’euros de compensations consenties aux ménages, on n’est plus très loin des fameux 50 milliards d’euros d’économies que le Gouvernement impose à nos finances publiques.

Cette dépense a trouvé sa justification dans une supposée création d’emplois : des centaines de milliers d’emplois, d’après le Gouvernement ; des millions, selon le patronat. Alors que les mesures sont désormais en œuvre, plus personne ne se risque à avancer un chiffre. On nous a même expliqué, assez récemment, que la relation de cause à effet n’était pas aussi simple… Et pour cause !

En réalité, il est absurde de considérer que c’est l’entreprise qui crée unilatéralement des emplois. Sans même parler du fait que la puissance publique peut, elle aussi, créer de vrais emplois, une entreprise, comme l’avoue désormais M. Pierre Gattaz, embauche uniquement si elle a un carnet de commandes. Grande découverte ! L’offre et la demande sont, à l’évidence, inextricablement liées.

Ce pacte de responsabilité représente en fait un immense effet d’aubaine pour de nombreux groupes ; je pense en particulier au secteur de la grande distribution, dont les activités, par définition, ne sont pas, ou pas encore, délocalisables. J’espère d’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, que la représentation nationale pourra disposer en temps voulu de la répartition précise, par secteurs d’activité, du volume de baisses de cotisations et de crédit d’impôt consentis dans le cadre du pacte de responsabilité.

Cette stratégie de compétitivité, et donc de compétition, par la baisse du prix du travail est sans issue. Jamais nous ne pourrons concurrencer sur ce plan les pays en voie de développement ! Quant à nos plus proches voisins, nous avons avec eux partie liée : l’Allemagne l’expérimente à ses dépens, et voit sa situation économique commencer à sérieusement se dégrader, malgré toutes les vertus dont elle s’est parée...

Enfin, par son uniformité et sa focalisation sur le prix du travail, cette stratégie fait une dramatique impasse sur ce qu’il est convenu d’appeler la compétitivité hors coûts, c’est-à-dire le positionnement stratégique de nos produits.

Il nous faut aujourd'hui prendre conscience de notre communauté de destin. Avec notre planète, d’abord : sa préservation conditionne la qualité de notre vie, quand il ne s’agit pas, tout simplement, de notre survie. Avec l’ensemble des peuples, ensuite : les drames humanitaires récurrents à Calais et à Lampedusa, ou, plus récemment, la propagation du virus Ebola devraient nous convaincre, sans même qu’il soit besoin d’invoquer les grands principes humanistes, de l’illusion, de l’aveuglement qu’il y a à penser que les économies dites développées pourraient se préserver indéfiniment une forme de prospérité isolée de la misère du monde.

Dans ce contexte, s’en remettre pour toute stratégie à la compétition est un contresens, spécialement dans le cadre de l’Europe politique. Nous ne sortirons pas de la crise en nous livrant à une compétition sociale avec l’Allemagne, pas plus qu’en nous adonnant à une compétition fiscale avec le Luxembourg !

À cet égard, je voudrais revenir sur la position défendue, pas plus tard qu’hier, par le premier ministre luxembourgeois M. Xavier Bettel, dont le nom n’est guère connu, mais dont les propos valent leur « pesant de cacahuètes » ! En plein scandale LuxLeaks, M. Bettel a en effet expliqué qu’il s’opposerait à toute harmonisation fiscale au sein de l’Europe. Il a même demandé aux services fiscaux des pays voisins d’arrêter la « chasse aux sorcières » contre les travailleurs frontaliers. Ces propos, à un moment où l’on veut faire avancer l’Europe, sont proprement scandaleux !

Cela justifierait, monsieur le secrétaire d’État, le lancement d’une offensive politique d’envergure de la part de la France, notamment en direction de l’Allemagne, pour que l’Europe avance enfin sur cette question de l’harmonisation des taux d’imposition s’appliquant aux bases mobiles. Si l’on veut éviter que le contrôle exercé par la Commission sur les déficits nationaux se résume à une vaine coercition, il devient urgent d’afficher des avancées substantielles en matière d’harmonisation fiscale et de coordination macroéconomique des États.

Si la coopération, plutôt que la compétition, à l’échelle européenne, est une condition nécessaire de la sortie de crise, elle ne suffira pas. II nous faut impérativement trouver la voie d’une économie politique, opérant des choix démocratiques quant aux objectifs de long terme et aux filières à soutenir.

Alors que l’on nous explique, encore aujourd’hui, que le nucléaire doit être soutenu parce qu’il produirait une électricité bon marché, sachez, monsieur le secrétaire d’État, que nous n’accepterons pas une recapitalisation d’Areva par des fonds publics sans, au minimum, une consultation du Parlement.

Cette économie politique se devrait d’être respectueuse de l’environnement. Il me faut reconnaître que le processus est amorcé. La création de la contribution climat-énergie, puis la mise en chantier de la transition énergétique, qui trouve une première traduction dans ce projet de loi de finances avec la mise en place du crédit d’impôt pour la transition énergétique, le CITE, nous poussent dans la bonne direction.

Toutefois, le retard de la France en matière de fiscalité écologique est tel que nous ne pouvons pas nous satisfaire de ces premiers pas, d’autant que, dans le même temps, le budget de l’écologie recule une nouvelle fois. Il affiche, cette année, une baisse de 6 %, soit de plus de 400 millions d’euros. Depuis 2010, la réduction cumulée des crédits atteint 1,65 milliard d’euros et plus de 1 600 emplois ont été supprimés. En matière de vertu budgétaire, s’il y a un ministère que l’on devrait féliciter, c’est bien celui de l’écologie !

En outre, la taxe poids lourds, qui représentait à son échelle un véritable changement de paradigme, est définitivement écartée, avec, de surcroît, un coût de dédit qui se chiffre en milliards d’euros.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et tout cela n’est pas compensé !

M. André Gattolin. Lancer résolument la France dans la voie d’une économie coopérative et écologique est donc un investissement. Cela nécessite un soutien public important, aussi bien de la demande que de l’offre. Mais c’est un investissement rentable : non seulement les activités écologiques sont globalement plus intensives en emplois que les autres, dans la mesure où elles prélèvent moins de ressources, mais elles constituent un gisement gigantesque d’économies. Les importations d’énergies fossiles nous coûtent aujourd’hui autour de 70 milliards d’euros par an et les coûts sanitaires liés à la pollution de l’air représenteraient 20 à 30 milliards d’euros par an.

En attendant, monsieur le secrétaire d’État, nous pouvons également vous proposer quelques milliards d’euros d’économies à court terme…

M. le président. Il faudrait songer à conclure, monsieur Gattolin.

M. André Gattolin. Je pense à la suppression de la composante aérienne de la dissuasion nucléaire militaire, qui ne changerait rien à la doctrine de la France, ou à la suppression de la déductibilité des contributions bancaires au fonds de résolution européen.

Pour toutes ces raisons, et pour d’autres que nous développerons au cours des débats, les écologistes ne voteront pas ce projet de loi de finances. (Murmures ironiques sur les travées de l’UMP.)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Quel dommage !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous allons l’amender ! Ensuite, vous pourrez le voter ! (Sourires sur les mêmes travées.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’instar de M. Gattolin, j’estime que le projet de loi de finances pour 2015 ne traduit qu’une préoccupation : la baisse de la dépense publique.

Examiné à mi-chemin de la législature entamée en juin 2012, il paraît, de fait, se situer au milieu du gué, traduisant, pour l’essentiel de ses dispositions, une continuité avec les principaux textes précédemment discutés et promulgués, dont il tire les conséquences. Ainsi tend-il, dans un contexte relativement contraint, à repousser à une date ultérieure les mutations les plus significatives de notre système fiscal et des politiques publiques.

Plus encore que le projet de loi de programmation des finances publiques, dont nous avons débattu voilà peu, ce projet de loi de finances pour 2015 se situe dans le droit fil des engagements de notre pays au titre du traité budgétaire européen. Ces engagements, la France comme par la majorité des pays de la zone euro ont d’ailleurs eu quelque mal à les respecter, ce qui n’est pas vraiment pour nous surprendre. Bruxelles va donc demander à la France de faire davantage d’économies, allant encore au-delà des 50 milliards d’euros promis d’ici à 2017, ce qui revient à exiger toujours plus d’efforts à la population de notre pays.

Au vu des pouvoirs accrus de la Commission européenne, monsieur le secrétaire d’État, nous attendons, sur ce sujet, une réponse de la part du Gouvernement.

C’est que, à force de vouloir complaire à la Chancelière allemande et aux électeurs conservateurs et démocrates-chrétiens de son pays, lesquels redoutent l’inflation, les politiques économiques de l’ensemble des pays de la zone euro se retrouvent toutes fondées sur la même logique stupide d’austérité, de réduction des dépenses publiques, de défense coûte que coûte de la parité de l’euro vis-à-vis des autres devises. Comment, alors, s’étonner qu’elles conduisent partout au même résultat ?

Le projet de loi de finances pour 2015 fait ainsi apparaître un déficit de 75 milliards d’euros, ou peu s’en faut… Laissons d’emblée de côté les discussions avec l’équipe de M. Juncker sur le niveau de ce déficit : l’écart ne serait que de quelques milliards d’euros, des sommes peut-être utilement placées par Axa et le Crédit Lyonnais, entre autres, dans un établissement bancaire luxembourgeois ! Quoi qu'il en soit, ce qu’il faut retenir, c’est que nous continuons, année après année, de « soutenir » nos entreprises à coups de dizaines de milliards d’euros.

Qu’on y songe ! Le total des exonérations de cotisations sociales, générales ou ciblées, atteint près de 34 milliards d’euros, dont un peu plus de 3 milliards ne sont d’ailleurs pas compensés à la sécurité sociale !

Par ailleurs, 10 milliards d’euros sont attendus cette année au titre du CICE, qui n’a sans doute pas fini de nous étonner, vu qu’on en est encore à la période de montée en charge du dispositif.

Rappelons au passage que le budget pour 2015 prévoit près de 72 milliards d’euros de dépenses fiscales – à peu près le produit de l’impôt sur le revenu –, dont près de 19 milliards d’euros pour les dispositions communes à l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu, près de 18 milliards d’euros d’allégement de la TVA, près de 3 milliards d’euros de moins sur l’impôt sur les sociétés hors CICE, près de 4 milliards d’euros au titre des taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques. À ces montants concernant des mesures destinées uniquement aux entreprises, s’ajoute une somme supérieure à 1,1 milliard d’euros au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune.

Je ne reviens pas ici sur les effets de la disparition de la taxe professionnelle et de son remplacement par la cotisation foncière des entreprises, celle-ci procurant désormais le plus souvent aux collectivités une recette inférieure à celle que leur offraient la taxe d’habitation et la taxe foncière sur les propriétés bâties !

Et comment pourrions-nous oublier qu’un certain nombre de pertes de recettes procèdent de ce que l’on appelle les modalités particulières de calcul de l’impôt ? Derrière ce concept, parfaitement technocratique, se cachent effectivement des réductions considérables de recettes pour l’État.

L’abattement sur les dividendes ? Ce sont 1,8 milliard d’euros perdus pour l’État et la collectivité ! La taxation à taux zéro des plus-values de cession de titres de participation ? Voilà 4,33 milliards d’euros envolés ! Le régime des sociétés mères et filiales ? Encore 24 milliards d’euros évaporés en produits de participation ! Et c’est sans compter le régime d’intégration des groupes – 16,4 milliards d’euros –, le remboursement de la TVA – 48,5 milliards d’euros –, le remboursement des acomptes d’impôt sur les sociétés et le report en arrière des déficits – 14,6 milliards d’euros.

Je pourrais continuer cette énumération, mes chers collègues, qui semble interminable tant notre droit fiscal s’est, au fil du temps, truffé de mesures dérogatoires, d’exceptions à la règle commune, de cas particuliers.

Qu’on se le dise, la France est un paradis fiscal pour les entreprises !

Dans le même temps, le fait de voir dans le quotient familial un avantage fiscal inconsidéré ne semble soulever aucune difficulté ! Nous avons découvert cette semaine que les retraités ayant eu l’idée saugrenue de vouloir « réussir » leur vie professionnelle – je pense notamment aux femmes qui ont souhaité concilier vie privée et vie sociale tout au long d’une carrière complète – et percevant 1 456 euros bruts par mois de pension étaient suffisamment « riches » pour s’acquitter de 6,6 % de CSG !

Oui, le gouvernement Valls n’aime que l’entreprise ! Les preuves d’amour existent, et cette passion semble bien exclusive !