Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les études internationales, bien que difficiles à mener, nous montrent qu’un quart des adultes dans le monde déclament avoir subi des violences physiques dans leur enfance et qu’une femme sur cinq et un homme sur treize disent avoir subi des violences sexuelles.

Parce que ces formes de violences physiques, psychologiques et de traitements négligents à l’égard de mineurs ont des conséquences importantes sur la santé de l’enfant, son développement, puis sur la dignité de l’adulte tout au long de sa vie, elles représentent un véritable enjeu de santé publique.

La maltraitance provoque un stress auquel on associe une perturbation du développement précoce du cerveau qui peut affecter le développement des systèmes nerveux et immunitaire. Dès lors, les enfants maltraités, devenus adultes, sont davantage exposés à divers troubles comportementaux, physiques ou psychiques. Certains penseront peut-être qu’il s’agit là de lieux communs, mais je pense qu’il était malgré tout utile de rappeler ces éléments.

Ce problème concerne l’ensemble des pays, même s’il est clair que les situations de conflit armé, l’apparition de zones de non-droit, de grande misère sociale ou éducative aggravent particulièrement les maltraitances. Les jeunes filles y sont particulièrement exposées, subissant exploitation, violences sexuelles et autres sévices.

La maltraitance n’est pourtant pas l’apanage des pays pauvres ou des pays en guerre. Elle concerne l’ensemble des pays développés, et en leur sein, tous les milieux sociaux et l’ensemble des familles. Loin d’être un phénomène rare, la maltraitance infantile est très fréquente puisque 10 % des enfants en seraient victimes dans les pays dits « à hauts revenus ».

Cher Jacques Bigot, malgré le chemin parcouru en termes de techniques d’investigation, de parole libérée, et même si le phénomène ne connaît pas d’augmentation, il n’en reste pas moins que 10 % des enfants sont maltraités. Pour bien comprendre ce que cela veut dire, il faut aller au-delà des chiffres et se représenter une petite cohorte de dix enfants qui quittent leur école pour se rendre à la cantine scolaire du village ou du quartier : statistiquement, un de ces dix enfants est maltraité !

Or ces maltraitances ne sont que rarement signalées : la Haute Autorité de santé estime ainsi qu’elles ne le sont pas dans 90 % des cas. Elles sont en outre peu déclarées par les médecins : seuls 5 % des cas de maltraitance font l’objet d’un signalement par les médecins – 1 % en ville, 4 % à l’hôpital –, alors qu’un tiers des signalements émanent des services sociaux, 20 % de l’éducation nationale, un peu plus de 15 % du voisinage ou de l’entourage et un peu plus de 15 % aussi de la famille elle-même.

Pourtant, les médecins sont, notamment dans les premières années de la vie, des acteurs essentiels dans le repérage de la maltraitance et ils devraient être les plus à même d’appréhender les violences physiques et psychologiques. Or ils participent peu à son signalement, comme je viens de le rappeler.

Difficulté à caractériser la maltraitance par manque de formation, réticence à remettre en cause la sphère de la famille opposée à la sphère publique, mais aussi méconnaissance du dispositif de signalement à la justice ou aux cellules de recueil des informations préoccupantes des conseils généraux – j’ai pu le constater tout récemment encore – tels sont les freins à l’action des médecins.

Il ne faut pas non plus oublier le risque de poursuites judiciaires par les présumés agresseurs, qui peut constituer un dernier frein au signalement, encore que, rappelons-le, l’absence de signalement fasse également courir un risque au médecin pour non-assistance à enfant en danger. Cela dit, il ne s’agit pas d’un phénomène massif : depuis 1997, environ deux cents médecins – pédopsychiatres, médecins généralistes, pédiatres – ayant signalé au procureur de possibles maltraitances sur des enfants ont fait l’objet de poursuites. Ce chiffre est important, mais il n’est pas énorme ; il faut malgré tout s’en préoccuper.

Pour protéger la victime, le repérage précoce est décisif. Les professionnels de santé, parce qu’ils sont en contact régulier avec les enfants dès leur plus jeune âge, sont en première ligne pour détecter un cas de maltraitance et le signaler aux autorités compétentes.

Cette proposition de loi tend à favoriser le signalement par les médecins, en instaurant, dans sa version initiale, une obligation de signalement dans tous les cas de présomption de maltraitance. Elle vise également à écarter la mise en cause de la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire du praticien, à moins que sa mauvaise foi n’ait été judiciairement établie. L’objectif est louable, puisqu’il s’agit de renforcer et d’encourager les signalements des médecins.

Cette proposition de loi va dans le bon sens, même si, nous l’avons vu, les freins au signalement sont beaucoup plus complexes et dépassent le seul risque de poursuites judiciaires, plutôt réduit.

La commission a modifié et enrichi ce texte dans un sens qui nous convient.

Tout d’abord, l’obligation de signalement a été supprimée par la commission. Elle partait d’un bon sentiment, mais elle aurait pu aboutir à des résultats contraires à l’objectif.

En outre, la commission a ajouté la mention dans la loi d’un signalement à la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes. Ce point est extrêmement important, parce que le recours à la CRIP est beaucoup plus souple, mesuré et équilibré, et donc beaucoup plus efficace.

La commission a également élargi le dispositif aux situations de violences au sein des couples, avec les conséquences qu’elles peuvent avoir pour les enfants.

Enfin, elle a ajouté un article prévoyant une formation aux modalités de signalement des situations de violences aux autorités administratives et judiciaires.

Le texte qui résulte des travaux de la commission est ainsi plus complet, même si la question de la formation des médecins et des auxiliaires médicaux reste posée, bien qu’elle soit évoquée à l’article 2 ajouté par la commission. Il ne faudra pas négliger cet aspect et y consacrer des moyens.

Nous ne pouvons que saluer l’initiative de notre collègue auteur de cette proposition de loi, de même que nous ne pouvons que nous féliciter du travail réalisé par le rapporteur et par la commission. Le consensus observé sur l’ensemble de nos travées est bien la moindre des contributions que pourra apporter notre assemblée à ce texte qui, s’il ne change pas complètement la donne, aura au moins le mérite de contribuer à améliorer la situation de la petite enfance.

Vous l’aurez compris, notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte déposé par Mme Colette Giudicelli et plusieurs de ses collègues vise à renforcer le rôle des médecins dans leur mission de protection des mineurs victimes de violences.

Est ainsi introduite dans le code pénal une obligation de signalement pour tous les médecins, signalement qui ne pourra pas engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire.

Face aux faits de violence, de viols, de mauvais traitements sur des mineurs que les médias nous rapportent quotidiennement, l’intention des auteurs de cette proposition de loi est louable.

À chaque fois, la même question se pose : pourquoi ces drames n’ont-ils pas fait l’objet de signalement plus tôt ?

Cette maltraitance, longtemps méconnue, souvent cachée, ignorée, y compris au sein des familles, nous interpelle tous.

Elle concerne tous les citoyens, et pas seulement les médecins, les professionnels de santé ou les acteurs sociaux. Et a posteriori, on peut, à juste titre, s’offusquer de faits récurrents et répétitifs qui se déroulent pendant des années sans que personne n’ose en parler. Les voisins, les proches, étaient-ils ou non au courant ?

La maltraitance est un problème massif de santé publique dont les conséquences se retrouvent des années plus tard, quand les victimes atteignent l’âge adulte, notamment dans les cas de sévices sexuels.

Les enfants maltraités seront davantage exposés à divers troubles comportementaux, physiques ou psychiques : désordres affectifs, mais aussi troubles du comportement, penchants pour des actes violents, dépression, toxicomanie, désocialisation.

Il n’est que de lire les comptes rendus d’audience des cours d’assises pour constater la fréquence d’un passé familial douloureux parmi les accusés ! Cela ne peut, en aucun cas, être une excuse, mais cela peut expliquer certaines dérives.

Combien de personnes adultes traînent en silence ce boulet d’une maltraitance subie dans l’enfance ou l’adolescence ? Ainsi, dans un certain nombre de cas, l’absence de signalement de la part des proches, de la famille, des médecins – pédiatre ou médecin de famille – a pu jeter l’opprobre sur ces victimes.

Face au problème de signalement, il est certain qu’il fallait exonérer les médecins de sanctions. C’est ce que la loi du 2 janvier 2004 relative à la protection de l’enfance a instauré. Est-ce suffisant ? Pour les auteurs de la proposition de loi, probablement pas !

Comme le souligne Adeline Gouttenoire dans son rapport d’avril 2014, « le domaine médical est un maillon particulièrement important de la protection de l’enfance ». La maltraitance commence en effet souvent aux premiers instants de la vie, à un moment où l’enfant est pourtant suivi assez régulièrement par des professionnels de santé. Néanmoins, comme cela a été rappelé, seulement 5 % des signalements émanent du corps médical.

Cela s’explique par la crainte d’être poursuivi ou de perdre contact avec la famille, auquel il faut ajouter l’absence de suites données à un certain nombre de signalements par les autorités compétentes. Autre facteur d’explication, l’absence de formation dans le cursus universitaire. Effectivement, 5 % de signalements, c’est bien peu pour ceux qui sont appelés à veiller sur l’enfant ou l’adolescent !

Les auteurs de la proposition de loi considèrent que le dispositif actuel n’est « pas suffisant pour protéger les victimes mineures et encourager les médecins à signaler les violences ». Ils rappellent par ailleurs qu’il existe une obligation, pour les médecins fonctionnaires, de signalement de tout acte de maltraitance en vertu de l’article 40 du code pénal. D’où cette proposition de légiférer pour étendre cette obligation à tous les médecins, avec la suppression de l’accord de la victime pour les majeurs.

Je veux le répéter, nous sommes tous conscients de la gravité de ces problèmes. À l’instar du rapporteur, je considère toutefois que le texte proposé initialement était d’application délicate. Le rapporteur l’a parfaitement expliqué, imposer une obligation de signalement n’est pas judicieux.

Aussi, le texte qui nous est proposé par la commission apporte des précisions utiles à la loi de 2004. Sans modifier au fond le droit en vigueur, il le rend plus lisible en affirmant explicitement que le médecin qui signale en toute bonne foi une présomption de maltraitance n’encourt aucune sanction, quelle qu’elle soit.

Le texte prévoit également la possibilité pour le médecin de saisir la CRIP. C’est certainement une bonne chose, sachant que les médecins hésitent bien souvent à saisir l’autorité judiciaire.

Enfin, la commission a souhaité renforcer la formation des professionnels pouvant être confrontés à des situations de maltraitance. Nous avons bien conscience de la nécessité d’une formation, actuellement très insuffisante, mais il faudra trouver une place dans les programmes de formation !

Pour avoir personnellement exercé pendant plus de dix ans en chirurgie infantile, je peux attester qu’il faut agir avec précaution sur ces suspicions de maltraitance, même si, en milieu hospitalier, l’approche est peut-être plus facilement collégiale. La question est plus délicate pour le médecin généraliste isolé. Et une meilleure formation me semble prioritaire. N’imposons cependant pas au médecin des contraintes trop lourdes ! C’est la raison pour laquelle, sur ce texte, je suivrai, avec les membres de mon groupe, la commission. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la lutte contre la maltraitance des enfants ou des personnes vulnérables est une cause hautement prioritaire. Je salue donc le travail de l’auteur de la proposition de loi, Mme Colette Giudicelli, et celui du rapporteur, M. François Pillet.

Je ne reviens pas sur les chiffres, ils ont été cités. Chacun les connaît et ils nous imposent d’agir.

Il est capital, en effet, de renforcer la détection précoce et la prise en charge de l’enfant maltraité ou de la personne vulnérable. Le médecin est, bien sûr, l’acteur de proximité qui a l’occasion d’identifier les signes d’une maltraitance. Pourtant, la plupart des cas ne sont pas signalés et les signalements provenant des professionnels de santé sont loin de représenter la majeure partie des signalements. N’étant pas membre du corps médical, j’avoue avoir été très surpris en découvrant les chiffres.

M. Charles Revet. Nous aussi !

M. François Zocchetto. Quels sont les principaux freins qui expliquent ces constats ? Le plus souvent, c’est la crainte d’être poursuivi pour dénonciation abusive, mais c’est aussi la méconnaissance du phénomène de maltraitance par les médecins eux-mêmes, si curieux que cela puisse paraître pour nous qui n’exerçons pas cette profession.

Pour lutter contre ce dénominateur commun qu’est la peur – peur de la victime à désigner ses maux, peur du médecin à les dénoncer –, la confiance et la protection doivent être renforcées de part et d’autre, de manière à briser le silence et à libérer la parole.

Rendre obligatoire le signalement – j’espère que l’auteur de la proposition de loi ne m’en voudra pas de le dire ! – conduirait, me semble-t-il, à une situation de confusion, voire d’extrême confusion. En effet, de peur de voir sa responsabilité engagée, le médecin serait contraint de signaler le moindre fait. Et, devant l’afflux de signalements, il deviendrait très difficile pour le procureur d’identifier les situations particulièrement dangereuses et donc prioritaires.

Comme l’a relevé notre rapporteur, la gravité de la situation ne justifie pas toujours l’urgence. Une telle obligation serait, il faut le dire, incompatible avec les principes de la déontologie médicale, qui imposent au médecin de faire preuve de prudence, de circonspection et d’apprécier chaque situation en toute conscience.

Selon le dernier sondage de l’association L’Enfant bleu, 60 % des victimes ont gardé secrète leur maltraitance.

Pour lutter contre la peur qui réduit les victimes au silence, le lien de confiance unissant le médecin à son patient doit être solide et indéfectible. Une victime sera d’autant plus réticente à aller consulter si elle est consciente du fait que son médecin peut procéder à un signalement contre son gré.

Par ailleurs, chacun comprend bien que l’obligation de signalement fragiliserait ainsi encore plus les victimes mineures ou incapables et risque de les mettre en danger si les auteurs des sévices hésitent à présenter leur enfant à un médecin par crainte d’être dénoncés.

Parce que les médecins doivent aussi se sentir en confiance, l’affirmation claire de l’irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire du médecin est essentielle.

Il y a eu, c’est vrai, une accumulation de poursuites judiciaires et disciplinaires pour des cas de signalement erroné. Il est donc très important de réaffirmer cette irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire. La réaffirmer, c’est aussi confirmer notre confiance en la profession médicale.

Cependant, la crainte de poursuites n’est pas l’unique facteur restrictif en la matière, car le médecin est souvent placé devant un cas de conscience. L’impact humain et social d’un signalement est lourd. Il peut conduire, en cas d’erreur – toujours possible, en la matière – à la destruction d’une famille ou de la carrière professionnelle de la personne soupçonnée.

D’où l’importance de renforcer la formation au repérage des signes de maltraitance afin d’atténuer les doutes et les hésitations des médecins et de les aider à établir leur diagnostic.

Le signalement, qui est un devoir déontologique, doit donc être conçu comme un soin à part entière, enseigné comme tel dans les universités de médecine.

C’est une avancée majeure qui est proposée par ce texte. Elle était attendue et réclamée par la Haute Autorité de santé et le Conseil national de l’ordre des médecins.

Encourager la parole des médecins, c’est aussi comprendre leur cadre de travail et s’adapter à leurs contraintes. Or, on le sait, ils se montrent réticents à s’adresser directement à l’autorité judiciaire.

Permettre aux médecins de solliciter directement la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, avec laquelle ils sont plus généralement enclins à dialoguer, favorisera sans aucun doute leur intervention.

Enfin, le médecin de famille, de par la stature qu’il a et la confiance qu’il est censé inspirer, n’est paradoxalement pas toujours le mieux placé pour procéder à un signalement. D’où l’importance d’associer d’autres acteurs à cette procédure, afin de permettre la montée en puissance de l’identification des cas.

Je salue donc l’initiative qui permet à l’ensemble du personnel paramédical et aux auxiliaires médicaux d’être aussi couverts par l’immunité pénale en cas de violation du secret professionnel.

Vous l’aurez compris, pour le groupe UDI-UC, l’esprit du texte lui-même et toutes les modifications introduites en commission vont dans le bon sens. C’est la raison pour laquelle nous voterons la proposition de loi sans aucune hésitation. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Béchu.

M. Christophe Béchu. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais joindre mes remerciements à ceux des orateurs précédents qui ont salué le travail de Colette Giudicelli et le dépôt de cette proposition de loi.

J’aimerais saluer également la tâche qui a été effectuée par notre rapporteur et féliciter Alain Milon, dont l’absence inopinée me permet de m’exprimer devant vous cet après-midi, pour l’action qu’il a menée et la manière dont il s’est penché sur l’ensemble de ces questions.

Je remercie Colette Giudicelli d’avoir déposé un texte qui permet de répondre à une problématique relevant du champ de la protection de l’enfance en ouvrant la possibilité de signalements sécurisés pour les professionnels de santé.

Le rapporteur, qui a enrichi la rédaction initiale, a fait en sorte de circonscrire aux mineurs la suppression de l’exigence du consentement, qui est maintenue pour les majeurs, tout en veillant à ne pas ouvrir, en posant une obligation de signalement, d’autres possibilités de poursuites, alors que l’objet de la proposition de loi est précisément de sécuriser les signalements pas les praticiens.

Les chiffres ont été rappelés à cette tribune. Mme la secrétaire d'État a cité une estimation qui se fonde principalement sur des travaux britanniques : 10 % des enfants ont été victimes de maltraitance et, dans les deux tiers des cas, le silence prévaut encore aujourd'hui sur les violences qu’ils ont pu subir.

J’ai eu l’honneur de présider, pendant plusieurs années, le groupement d’intérêt public Enfance maltraitée, le GIPEM, et, de ce fait, l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED. À ce titre, je peux dire qu’une prise de conscience a eu lieu depuis la loi Bas de 2004 et qu’elle n’a cessé de se poursuivre. Les différents gouvernements ont intégré le fait que, faute de conduire un travail permettant d’objectiver le phénomène par des chiffres plus sûrs, notre pays aurait toutes les peines à faire progresser la législation sur la protection de l’enfance qui, vous l’avez très bien dit, madame la secrétaire d’État, est dans un « angle mort » du débat public.

La protection de l’enfance, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, est un sujet qui nous met tous mal à l’aise et ne donne pas lieu à des inaugurations !

Quand on a la responsabilité des questions sociales, on dispose de multiples manières de travailler sur le handicap, l’autonomie du grand âge ou l’insertion, par exemple.

Ainsi, dans le champ du handicap, on peut ouvrir des établissements qui seront consacrés à l’amélioration de tel ou tel type d’accompagnement ou se donner les moyens de se battre pour la scolarisation des autistes.

Dans le champ de l’autonomie et du grand âge, nous avons également l’occasion de braquer des projecteurs sur l’investissement des collectivités locales ou du Gouvernement et de saluer la qualité des dispositifs mis en place. Je ne parle pas seulement des anniversaires de centenaires dans les maisons de retraite – nous ne les fêtons d’ailleurs plus, car nous y passerions tous nos week-ends ! (Sourires.) – ou des plans canicule et autres, mais aussi de l’ouverture des centres d’activités naturelles tirées d’occupations utiles, les CANTOUS.

Ce qui est vrai en matière de handicap et de vieillissement l’est tout autant dans le champ de l’insertion.

Accompagner des chantiers d’insertion, prévoir des clauses spécifiques dans les marchés publics, s’efforcer de diminuer la précarité dans un certain nombre de secteurs, par exemple en agissant dans le domaine de l’aide alimentaire : on le voit, il est possible dans tous les champs de la solidarité de montrer que les pouvoirs publics ne restent pas inactifs et, dans le même temps, de mobiliser des ressources et des forces de travail.

Dans le domaine de la protection de l’enfance, en revanche, la règle primordiale est la préservation de l’anonymat des enfants.

Là réside la première difficulté : lorsqu’il n’est pas possible de désigner les bénéficiaires d’un certain nombre de dispositifs, il est complexe de mettre en valeur la politique que l’on choisit de conduire.

Deuxième difficulté : ce sujet suscite chez chacun d’entre nous, quelles que soient ses convictions politiques, un profond sentiment de malaise.

Comment peut-on s’attaquer à des enfants ? Et comment peut-on, car c’est ce que laissent apparaître la plupart des situations, s’attaquer à ses propres enfants ? Comment celles et ceux, adultes, parents, qui ont d’abord la responsabilité de protéger, d’éduquer, d’accompagner, d’élever, de faire grandir, peuvent-ils être les premiers bourreaux ? Et qui irait invoquer sans répugnance ces figures parentales contre lesquelles viennent se briser tant d’enfances ?

Alors, oui, la protection de l’enfance s’invite dans notre quotidien au travers d’affaires et de procès retentissants à l’occasion desquels les actions que nous menons ne sont, la plupart du temps, guère mises en avant.

Je me réjouis donc de la présentation de cette proposition de loi que, bien entendu, l’ensemble du groupe UMP votera, tout en insistant sur le caractère crucial du signalement.

Sans signalement, en effet, rien n’est possible : les cas susceptibles de faire l’objet de mesures de prévention ne peuvent pas être repérés ; on ne peut pas prendre de mesures d’intervention en milieu ouvert ou de décisions de placement.

Le signalement, c’est la porte d’entrée de tout dispositif en la matière. Si nous ne travaillons pas sur le signalement, nous nous heurterons, une fois encore, au mur du silence.

Les chiffres sont éloquents. Lorsque l’on se penche sur la réalité des chiffres, on s’aperçoit que l’écrasante majorité des signalements visent d’abord les parents eux-mêmes et sont émis par des voisins ou des amis qui ont des doutes.

Cela pose une autre difficulté : lorsque la maltraitance est réelle et que l’auteur des faits est le parent, ce qui apparaît statistiquement comme la situation la plus fréquente, alors de tels signalements ne sont pas utiles. D’ailleurs, seuls 20 % environ des signalements sont transmis aux services sociaux, de police, ou par l’intermédiaire du 119, le numéro unique d’appel.

La loi Bas a été une grande loi.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Elle l’est toujours ! (Sourires.)

M. Christophe Béchu. Malgré tout, un certain nombre de ses dispositions doivent être améliorées.

Mes chers collègues, au-delà du consensus qui nous réunit autour de ce texte, je voudrais aborder devant vous les quelques sujets sur lesquels, non, vraiment, le compte n’y est pas.

Tout d’abord, on veut, nous dit-on, sécuriser les signalements. Mais pourquoi viser seulement les professions de santé ? Pourquoi ne pas viser les instituteurs ou les autres lanceurs d’alerte susceptibles, eux aussi, d’être concernés par la judiciarisation croissante constatée à l’heure actuelle ?

Je vous livrerai mon propre témoignage de président de conseil général : voilà quelques années, une assistante sociale appelle sa responsable de circonscription, laquelle appelle à son tour le président du conseil général, en préconisant le placement d’un enfant, mais en précisant qu’il est préférable de ne rien écrire afin d’éviter que la famille ne puisse se retourner contre nous…

Combien de présidents de conseil général ont-ils été confrontés à une telle situation ?

Ensuite, parler de la protection de l’enfance, c’est aussi s’interroger sur le caractère extrêmement préoccupant de son financement et de sa soutenabilité financière.

Pour ce qui est des dépenses de solidarité – la prestation de compensation du handicap, la PCH, l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, le revenu de solidarité active, le RSA –, des mesures ont été prises, même si l’on peut discuter de leur nature.

L’aide sociale à l’enfance, en revanche, est considérée comme une dépense sociale obligatoire ne reposant pas sur des critères absolument objectifs. Elle peut donc devenir, demain, une variable d’ajustement à la baisse, en cas de difficulté financière.

De la même manière, on ne peut pas laisser de côté le sujet des mineurs isolés étrangers, lequel « embolise » une partie des dispositifs d’accueil classique, là où sont placés des enfants victimes de maltraitance. Et chacun sait que, dans ce domaine, en dépit de la circulaire Taubira, la question de la régulation n’est pas résolue : certains départements font plus que leur part, quand d’autres accueillent très, très peu.

Madame la secrétaire d’État, vous en avez appelé au Sénat en tant que chambre de consensus et de sagesse. Je ne résiste donc pas à la tentation de rappeler qu’ici même, en 2012, la proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire au service d’aide à l’enfance lorsque l’enfant a été confié à ce service par décision du juge, présentée par Catherine Deroche et moi-même, avait été adoptée par 330 voix sur 346, contre l’avis du Gouvernement. Elle avait fait l’objet d’un consensus presque total : le groupe CRC, l’Union centriste, le RDSE, l’UMP, ainsi que le groupe socialiste, à l’exception de quatre de ses membres, avaient voté pour ; seul le groupe des écologistes avait voté contre.

Je suis convaincu qu’il est nécessaire de moraliser le dispositif de l’aide à l’enfance. Les allocations familiales ne sauraient être perçues par des parents qui maltraitent leurs enfants ; ...

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Christophe Béchu. … elles doivent être versées à des tiers dignes de confiance, aux familles d’accueil, aux conseils généraux. Cette mesure, qui ne coûterait pas un centime à l’État, puisqu’il s’agit simplement de transférer ces fonds au bénéfice de ceux qui assument la responsabilité des enfants, permettrait, à la fois, de faire montre d’une forme d’autorité et de dégager plusieurs centaines de millions d’euros, notamment pour financer des dispositifs nouveaux dans le cas où ces sommes ne seraient pas affectées directement. Nous démontrerions ainsi que, dans ce domaine, au-delà de la question du signalement, les ambitions énoncées à cette tribune peuvent se traduire par des décisions.

À l’issue du débat sur notre proposition de loi, votre prédécesseur, Mme Bertinotti, nous avait répondu que tout n’était pas à jeter dans notre texte, mais que nous devions attendre la grande loi sur la protection de l’enfance.

Presque trois ans se sont écoulés, et la présente proposition de loi comme celles de demain et sans doute d’après-demain ne conduiront qu’à de petits ajustements. Le moment est sans doute venu d’adopter une vision plus large, plus ambitieuse, qui nous permette d’être à la hauteur de ce défi ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)