Sommaire

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

Secrétaire :

M. Serge Larcher.

1. Procès-verbal

2. Communication du Conseil constitutionnel

3. Décisions du Conseil constitutionnel relatives à deux questions prioritaires de constitutionnalité

4. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

5. Questions orales

obligation d’élection de domicile pour les français de l’étranger

Question n° 1025 de M. Bernard Fournier, en remplacement de M. Robert del Picchia. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Bernard Fournier.

renforcement du personnel de la maison de justice et du droit d’elbeuf

Question n° 984 de M. Didier Marie. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Didier Marie.

situation critique du tribunal de valence

Question n° 1019 de M. Gilbert Bouchet. – Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Gilbert Bouchet.

prêts et achat de logements anciens en milieu rural

Question n° 1015 de M. Bernard Fournier. – Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité ; M. Bernard Fournier.

difficultés de réception des réseaux de téléphonie mobile

Question n° 1001 de M. Daniel Laurent. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; M. Daniel Laurent.

lutte contre la fermeture des bureaux de tabac de proximité

Question n° 1013 de M. Jean-Paul Fournier. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; M. Jean-Paul Fournier.

avenir de la filière cidricole

Question n° 1007 de M. Yannick Botrel. – M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; M. Yannick Botrel.

situation des interprètes afghans

Question n° 993 de M. Alain Marc. – M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement ; M. Alain Marc.

ouverture d'une antenne consulaire à auckland

Question n° 994 de Mme Hélène Conway-Mouret. – M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger ; Mme Hélène Conway-Mouret.

situation des accompagnants des élèves en situation de handicap

Question n° 1004 de Mme Nicole Bricq. – M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger ; Mme Nicole Bricq.

renseignements économiques sur les entreprises françaises et exemple de chevilly-larue

Question n° 996 de Mme Catherine Procaccia. – M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger ; Mme Catherine Procaccia.

avenir des maternités en france

Question n° 1000 de Mme Corinne Imbert. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Mme Corinne Imbert.

menace de fermeture du centre municipal de santé de colombes

Question n° 982 de Mme Brigitte Gonthier-Maurin. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

diplômes demandés aux moniteurs-guides de pêche

Question n° 959 de M. Yannick Vaugrenard. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; M. Yannick Vaugrenard.

modernisation de la ligne ferroviaire bordeaux-lyon

Question n° 1009 de M. Jean-Jacques Lozach. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; M. Jean-Jacques Lozach.

sort du cargo roulier cosette

Question n° 975 de Mme Aline Archimbaud. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Mme Aline Archimbaud.

dispositions relatives aux outre-mer du futur projet de loi relatif au code minier

Question n° 1006 de M. Georges Patient. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; M. Georges Patient.

contournement est de rouen

Question n° 1002 de M. Thierry Foucaud. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; M. Thierry Foucaud.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

6. Formation aux gestes de premiers secours et permis de conduire. – Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la politique de la ville

Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois

M. François Zocchetto

M. Roger Madec

Mme Esther Benbassa

M. Patrick Abate

M. Gilbert Barbier

M. Jean-Pierre Leleux

Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 1 rectifié de M. Jean-Pierre Leleux. – Rejet.

Amendement n° 2 rectifié de M. Jean-Pierre Leleux. – Rejet.

Adoption de l’article.

Article 2 – Adoption.

Article additionnel après l'article 2

Amendement n° 3 rectifié de M. Jean-Pierre Leleux. – Rejet.

Vote sur l'ensemble

M. Jean-Pierre Leleux

Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.

Suspension et reprise de la séance

7. Accueil et protection de l’enfance. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

Mme Colette Giudicelli, auteur de la proposition de loi

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie

M. Jacques Bigot

Mme Esther Benbassa

M. Patrick Abate

M. Gilbert Barbier

M. François Zocchetto

M. Christophe Béchu

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 1 de la commission. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Article 2 – Adoption.

Article additionnel après l'article 2

Amendement n° 2 rectifié de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Suspension et reprise de la séance

8. Communication relative à une commission mixte paritaire

9. Débat préalable à la réunion du conseil européen des 19 et 20 mars 2015

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes

MM. Simon Sutour, Michel Billout, Jean-Claude Requier, Philippe Bonnecarrère, Mme Pascale Gruny

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

M. Harlem Désir, secrétaire d'État

Débat interactif et spontané

Mme Fabienne Keller, M. Harlem Désir, secrétaire d'État

MM. Richard Yung, Harlem Désir, secrétaire d'État

Mme Catherine Morin-Desailly, M. Harlem Désir, secrétaire d'État

Mme Nicole Duranton, M. Harlem Désir, secrétaire d'État

MM. Jean-Yves Leconte, Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

Mme Colette Mélot, M. Harlem Désir, secrétaire d'État

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

10. Ordre du jour

Compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

Secrétaire :

M. Serge Larcher.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 5 mars a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 5 mars 2015, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi autorisant l’accord local de répartition des sièges de conseiller communautaire.

Acte est donné de cette communication.

3

Décisions du Conseil constitutionnel relatives à deux questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 6 mars 2015, deux décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :

- la possibilité de verser une partie de l’astreinte prononcée par le juge administratif au budget de l’État (n° 2014-455 QPC) ;

- la contribution exceptionnelle sur l’impôt sur les sociétés - seuil d’assujettissement (n° 2014-456 QPC).

Acte est donné de ces communications.

4

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi visant à la réouverture exceptionnelle des délais d’inscription sur les listes électorales, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 4 mars 2015.

5

Questions orales

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

obligation d’élection de domicile pour les français de l’étranger

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier, en remplacement de M. Robert del Picchia, auteur de la question n° 1025, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Bernard Fournier. M. Robert del Picchia étant en mission au Maroc avec M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, il m’a chargé de vous demander de bien vouloir excuser son absence et de poser sa question à Mme la garde des sceaux.

M. le président. Faites attention, mon cher collègue, car elle est très forte ! (Sourires.)

M. Bernard Fournier. C’est ce que l’on m’a dit ! (Nouveaux sourires.)

La question de M. Robert del Picchia porte sur l’obligation pour les Français de l’étranger non représentés d’élire domicile dans le département de Seine-Saint-Denis pour tout recours juridictionnel concernant leurs impôts.

Nos compatriotes qui ne sont pas d’accord avec leur avis d’imposition font, dans un premier temps, une réclamation auprès du service des impôts des non-résidents. En général, à ce stade de la procédure, ils ne savent pas qu’ils peuvent élire domicile en France.

En cas de réponse négative du service des impôts, ils poursuivent leur action devant le tribunal administratif de Montreuil. Cependant, s’ils ne sont pas représentés et s’ils n’ont pas élu domicile en France précédemment, ils ont l’obligation d’élire domicile dans le département de Seine-Saint-Denis, en vertu de l’article R. 431-8 du code de justice administrative.

Or la plupart de nos compatriotes établis à l’étranger ne sont pas représentés car, d’une part, ils n’ont pas les moyens de prendre un avocat, et, d’autre part, ils n’ont personne de suffisamment proche, fiable et disponible pour être leur mandataire auprès du tribunal administratif de Montreuil et contester leur avis d’imposition en leurs lieu et place.

Élire domicile dans le département de Seine-Saint-Denis se révèle en pratique presque impossible, puisque, premièrement, les entreprises privées de ce département n’ont pas d’agrément pour faire de la domiciliation de particuliers, deuxièmement, les associations qui font de la domiciliation de particuliers ne s’occupent que des personnes sans domicile fixe résidant en France, et, troisièmement, rares sont les Français de l’étranger connaissant dans ce département un particulier à qui ils peuvent demander un tel service et qui accepte de le leur rendre.

Ne pouvant satisfaire à l’obligation de l’article R. 431-8, nos compatriotes établis hors de France voient automatiquement leurs requêtes déclarées irrecevables par le tribunal administratif de Montreuil. Ils sont donc privés de toute possibilité d’ester en justice pour contester leurs impôts.

Madame la garde des sceaux, le 18 février 2014, dans votre réponse à une question écrite du député Thierry Mariani, vous déclariez ceci : « l’obligation imposée par l’article R. 431-8 que l’élection de domicile se fasse nécessairement dans le ressort du tribunal administratif peut apparaître inutile et trop lourde pour les parties. Aussi le Gouvernement étudie-t-il la possibilité de supprimer cette obligation. »

Cette question a pris une importance nouvelle depuis quelques semaines : la Cour de justice de l’Union européenne ayant jugé que les prélèvements sociaux sur les revenus immobiliers de source française de nos compatriotes étaient contraires à la réglementation européenne, les recours se multiplient.

Je souhaite donc savoir, madame la garde des sceaux, quand sera supprimée l’obligation de l’article R. 431-8, qui est une entrave au droit fondamental de tout contribuable d’agir en justice.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, je vous remercie de votre compliment, même si vous me surestimez incontestablement.

Monsieur le sénateur, la question que vous m’avez posée au nom de M. Robert del Picchia concerne un sujet extrêmement important. Si nous reconnaissons des droits, nous devons assurer leur effectivité. Cela implique d'abord d’apporter des garanties procédurales, la procédure ne devant pas constituer un obstacle pour les justiciables. Votre question concerne donc l’accès au droit de nos compatriotes résidant à l’étranger.

Les dispositions de l’article R. 431-8 du code de justice administrative visent non pas à faire obstacle à cet accès au droit, mais au contraire à assurer une bonne administration de la justice. Il s’agit de permettre à la juridiction d’établir facilement la relation entre les parties lorsque l’une d’entre elles n’est pas représentée et n’a pas auparavant élu domicile en France. C’est la raison pour laquelle les Français résidant à l’étranger qui ne sont pas représentés et n’ont pas élu domicile en France doivent élire domicile dans le ressort du tribunal administratif compétent – celui de Montreuil, en l’occurrence.

Je rappelle également, toujours dans le souci de montrer que les dispositions de l’article R. 431-8 ne font pas obstacle à l’accès au droit, que le justiciable peut élire domicile chez un parent – tout le monde n’en a pas en Seine-Saint-Denis – ou chez une personne physique – une connaissance –, mais aussi chez une personne morale, ce qui inclut notamment les associations. Vous le savez si bien que vous avez souligné que ces dernières se préoccupaient plutôt d’accueillir et de domicilier les personnes sans domicile fixe que de domicilier des personnes se trouvant dans d’autres situations.

Je continue cependant à penser que nous pouvons alléger la procédure. En réponse à la question de M. Thierry Mariani, j’ai mené une réflexion avec le Conseil d'État. Un décret en Conseil d’État visant à modifier l’article R. 431-8 est déjà en cours d’élaboration. S’il n’a pas encore été publié, c’est simplement parce qu’il s’inscrit dans un travail plus large concernant d’autres champs procéduraux de la justice administrative, qui a pris du retard. Je conviens avec vous que les réformes de ce type sont souvent trop lentes, mais l’élaboration du décret est en cours.

La procédure sera allégée afin que nos compatriotes résidant à l’étranger ne soient plus confrontés à des difficultés, qui, sans constituer des obstacles objectifs, sont tout de même des facteurs de ralentissement de l’accès au droit.

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de tenir l’engagement que vous aviez pris l’an dernier, même si l’on peut déplorer les délais : plus de douze mois se sont écoulés. J’espère que vous pourrez nous communiquer très rapidement la date à laquelle la modification de l’article R. 431-8 entrera en vigueur. J’ai bien pris note qu’un décret était en cours d’élaboration.

renforcement du personnel de la maison de justice et du droit d’elbeuf

M. le président. La parole est à M. Didier Marie, auteur de la question n° 984, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Didier Marie. Ma question porte sur la nécessité de renforcer la présence du greffier affecté à la maison de justice et du droit d’Elbeuf, en Seine-Maritime.

Cet établissement judiciaire accueille chaque année 8 000 personnes, dont beaucoup, issues des quartiers de la politique de la ville, cumulent les difficultés économiques et sociales.

L’agglomération d’Elbeuf, qui compte 60 000 habitants, est éloignée des juridictions de Rouen et d’Évreux. Comme le souligne l’INSEE, les habitants de cette agglomération sont parmi les moins mobiles de Haute-Normandie. La présence de services publics de proximité est donc un enjeu majeur, qui mobilise les élus du territoire.

La maison de justice et du droit d’Elbeuf, créée avant la loi de 1998 – elle fut l’une des premières de France –, apporte un éminent service à la population. Elle concourt à prévenir la délinquance, aide les victimes, garantit l’accès au droit et favorise le règlement des litiges du quotidien, comme en attestent des statistiques que je tiens à votre disposition. Elle permet également le recours à des mesures alternatives aux poursuites ; ces réponses adaptées soulagent la juridiction rouennaise.

Le bon fonctionnement de cette maison de justice et du droit repose sur l’engagement des avocats, notaires et huissiers qui tiennent des permanences bénévoles, et des associations comme l’Association d’aide aux victimes et d’information sur les problèmes pénaux, l’AVIPP, ainsi que sur le professionnalisme des services judiciaires ; je veux saluer l’ensemble de ces acteurs.

Jusqu’en 2011, la maison de justice et du droit bénéficiait de l’affectation d’un poste de greffier à temps plein. De 2011 à 2014, cette présence a été ramenée à un jour par semaine. Sous votre impulsion, madame la garde des sceaux, elle a été portée à trois jours par semaine en octobre 2014. Le greffier affecté à la maison de justice et du droit d’Elbeuf, qui, en un an, a tenu 110 permanences et reçu près de 500 personnes, intervient principalement dans les champs du droit de la famille et du droit du travail, et est souvent saisi de questions relatives à la procédure pénale. Cependant, à ce jour, il ne peut malheureusement pas répondre à toutes les sollicitations.

C'est pourquoi, dans le souci de garantir un réel accès au droit et de renforcer l’ensemble des actions de prévention coordonnées par le nouveau conseil intercommunal de prévention de la délinquance, nous souhaiterions qu’un greffier soit affecté à temps plein à la maison de justice et du droit d’Elbeuf.

Je sais, madame la garde des sceaux, l’intérêt que vous portez à la justice de proximité, dont vous avez déjà renforcé les moyens. Néanmoins, la situation de la maison de justice et du droit d’Elbeuf, qui est la plus fréquentée de Haute-Normandie, mérite une attention particulière et un effort supplémentaire pour garantir une justice encore plus efficace, plus protectrice et plus proche des citoyens, et pour concourir ainsi au « bien vivre ensemble ». Je vous remercie par avance de votre attention toute particulière à cette demande.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je connais votre attachement à l’amélioration de l’accès au droit, notamment des plus démunis, des plus vulnérables, c’est-à-dire de celles et ceux qui n’ont pas une connaissance familière des enceintes judiciaires, ce qui suppose que les structures judiciaires soient proches des bassins de vie de ces personnes. À cet égard, il est vrai que le rôle des maisons de la justice et du droit, les MJD, est essentiel.

Vous avez rappelé mon intérêt pour ces établissements judiciaires. Voilà une semaine, je visitais justement la MJD de Lens. Ce sont des établissements où, comme vous le disiez, des professionnels assurent, avec une très grande disponibilité, une très grande attention et, surtout, d’incontestables compétences, un service d’accès au droit et d’information, et même au-delà puisqu’il est possible d’y faire appliquer les mesures alternatives prononcées par les juridictions.

Nous sommes confrontés à une situation que nous essayons d’améliorer, et je vous remercie d’avoir reconnu les efforts que nous avons faits depuis novembre 2014.

Les MJD ont été créées de façon à peu près continue entre 1998 et 2003, puis elles ont décliné, leur création s’étant complètement arrêtée entre 2007 et 2009. Nous avons repris le processus : l’an dernier, j’en ai ouvert cinq et, cette année, nous finalisons l’ouverture de six établissements.

Je tiens à ce que ces MJD soient pourvues de greffiers. Pendant des années, il n’y en a pas eu suffisamment, alors que ces personnels garantissent la confidentialité et la technicité des services qui y sont rendus. À cet égard, les sénateurs sont bien placés pour savoir que le fonctionnement de ces établissements judiciaires a longtemps pesé sur les épaules des collectivités locales, qui devaient détacher des personnels pour les faire fonctionner. Nous sommes donc en train de remédier à ces inconvénients.

Il y a trois autres MJD dans le même ressort que celle d’Elbeuf, ce qui contraint le directeur de greffe, lequel procède aux affectations sous l’autorité supérieure du chef de juridiction, à répartir le personnel.

Je le répète, nous allons faire en sorte d’améliorer la situation. Si la présence d’un greffier trois jours par semaine constitue déjà un progrès, il faut incontestablement faire beaucoup mieux.

Sur 137 MJD ouvertes, nous disposons de 109 greffiers, dont seulement 79 sont affectés à temps plein. Je travaille pour que chaque MJD puisse disposer d’un greffier à temps plein.

Monsieur le sénateur, vous m’avez fait part en d’autres circonstances, à l’instar du député Guillaume Bachelay qui est également très impliqué sur le sujet, de votre préoccupation quant aux mouvements de postes au tribunal de grande instance de Rouen. Néanmoins, constatant que j’ai déjà dépassé mon temps de parole, et ne voulant pas abuser de la magnanimité de M. le président (Sourires.), je vous communiquerai par écrit des informations précises sur les postes vacants qui ont été pourvus dans le cadre de la commission mixte paritaire de mobilité.

M. le président. La parole est à M. Didier Marie.

M. Didier Marie. Je remercie Mme le garde des sceaux de son attachement à cette justice de proximité, tout en formulant le vœu que le quatre-vingtième poste de greffier à temps plein soit affecté à la MJD d’Elbeuf.

situation critique du tribunal de valence

M. le président. La parole est à M. Gilbert Bouchet, auteur de la question n° 1019, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Gilbert Bouchet. Madame la garde des sceaux, permettez-moi d’attirer votre attention sur la situation critique du tribunal de Valence, dans le département de la Drôme, qui n’est plus en mesure, compte tenu de la conjonction de plusieurs facteurs, de faire face dans des conditions satisfaisantes au traitement des contentieux qui lui sont soumis.

Tout d’abord, cette juridiction est en situation de sous-effectif : à Valence, le tribunal, qui est une juridiction de groupe 2, ne compte que 26 magistrats du siège, chiffre inférieur à l’effectif de certaines juridictions du groupe 3, qui dépasse souvent les 30 personnes. C’est ainsi que la charge de travail des magistrats non spécialisés valentinois est de 1 023 affaires, soit 33 % de plus par rapport à la moyenne du groupe.

Ce sous-effectif est compensé par la qualité de l’équipe des magistrats, qui se dépensent sans compter pour maintenir en bon état de fonctionnement la juridiction, mais c’est une situation qui pose problème : la moindre vacance de poste ponctuelle menace l’équilibre et la bonne organisation du tribunal.

Or tel est le cas depuis plusieurs mois, l’un des deux postes de magistrat de l’application des peines n’étant pas pourvu alors même que la loi du 15 août 2014, en créant la contrainte pénale, a renforcé la charge de travail et le rôle crucial de l’application des peines. Au surplus, un établissement pénitentiaire de 456 places va ouvrir ses portes à Valence au mois de septembre prochain.

La situation est identique au tribunal pour enfants, un poste sur les trois offerts étant vacant à la suite d’un congé parental. Cet emploi non remplacé va empêcher le fonctionnement normal de ce service.

Le deuxième facteur est l’augmentation du contentieux et du nombre de dossiers à traiter. Je vous livre ces quelques chiffres pour illustrer mes propos : en 2014, la juridiction a été saisie de 7 551 affaires civiles nouvelles, soit une augmentation de 5,16 % par rapport à l’année passée ; l’âge moyen du stock est de dix mois et la durée de traitement des litiges de plus de quatre mois ; le tribunal correctionnel a, quant à lui, prononcé 1 967 jugements ; le tribunal pour enfants a été saisi de 485 dossiers d’assistance éducative, tandis que le service de l’application des peines a rendu 613 décisions.

À ces facteurs s’ajoute une spécificité pour le tribunal de Valence, qui est un pôle d’expérimentation de plusieurs projets de modernisation et d’amélioration du service public.

Ainsi, c’est le seul site qui emploie, en matière civile, les trois grands protocoles de communication électronique avec les avocats, les huissiers et les experts de justice. Combinés, ces outils technologiques aboutissent à une dématérialisation quasi complète de la procédure civile devant le tribunal de grande instance.

Ensuite, depuis le 22 juillet dernier, cette juridiction est, avec la cour d’appel de Limoges, site pilote pour essayer la signification électronique.

Valence lance également le protocole de dématérialisation de l’expertise judiciaire « Opalexe », premier outil de communication électronique qui donne une place pleine et entière au justiciable non représenté.

J’ajoute que votre ministère, madame la garde des sceaux, a confié à Valence l’expérimentation de la version 2 d’Opalexe, dont l’enjeu est la préparation du futur réseau privé virtuel des experts.

Dans ce contexte tendu en personnel, les magistrats sont inquiets. Ils devront faire des choix, car il n’est plus possible de faire fonctionner la totalité des services. Ils souhaitent ardemment que puissent être affectés aux tribunaux tous les moyens nécessaires pour leur permettre d’assurer la totalité des missions qui leur sont confiées par l’État.

Ma question, madame la garde des sceaux, est la suivante : puisque vous avez indiqué, dans un communiqué récent, que vous aviez obtenu le recrutement de 114 magistrats supplémentaires pour 2015, peut-on espérer que la juridiction de Valence bénéficie de ces nouveaux emplois afin de lui permettre de retrouver un effectif complet et de continuer, conformément à sa mission, à rendre une justice efficace et de qualité ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, vous me faites part de votre préoccupation sur la situation non seulement du tribunal de grande instance de Valence, mais aussi du tribunal d’instance, puisque vous avez évoqué des contentieux divers.

Je constate que vous suivez de très près les questions d’expérimentation, qui mettent en lumière la forte implication des personnels de justice – magistrats, greffiers et fonctionnaires – dans les améliorations que nous introduisons pour réduire les charges pesant sur les magistrats, lesquelles se sont accumulées ces dernières années, pour optimiser le travail d’équipe et pour moderniser la justice grâce à des efforts en matière numérique.

La juridiction de Valence, comme les autres juridictions, est confrontée à un problème de recrutements, lesquels ont baissé ces dernières années. Depuis que nous sommes aux responsabilités, nous menons une politique volontariste, car nous nous sommes très vite rendu compte qu’il y aurait 1 400 départs à la retraite pendant le quinquennat. Pour combler ces départs, il aurait fallu ouvrir 300 postes chaque année ; or, en 2010, seuls 144 nouveaux magistrats avaient été recrutés, chiffre qui constituait à peu près la moyenne des années précédentes.

Dès 2013, nous sommes donc passés à 358 nouveaux magistrats recrutés, puis à 364 en 2014. En 2015, nous irons encore plus loin, puisque nous allons recruter 480 magistrats, et la promotion d’auditeurs de justice sera sans précédent, avec un effectif de 360 personnes.

Malgré ces efforts considérables, monsieur le sénateur, c’est seulement en septembre 2015 que nous allons passer à un solde positif de 80 magistrats, car il faut tenir compte du temps de formation des magistrats, soit trente et un mois. C’est donc seulement cette année que seront pourvus les postes vacants, le nombre d’arrivées de magistrat dans les juridictions étant supérieur de 80 au nombre de départs. Vous le voyez, nous sommes en train de passer à la phase de comblement des départs à la retraite et des vacances de poste.

Pour ce qui concerne le tribunal de grande instance de Valence, la situation n’est pas la meilleure que nous puissions espérer, mais elle n’est pas en deçà de la moyenne. Ainsi, sur 35 magistrats localisés, il manque un poste de juge de l’application des peines. À ce sujet, vous avez eu raison de rappeler que ces magistrats sont importants dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme pénale. Aussi, je puis vous dire que ce poste sera pourvu à l’occasion du prochain mouvement de magistrats.

S’agissant des personnels, sur 86 agents localisés, 84 sont en poste, et 2 postes de greffier déjà publiés seront proposés lors de la prochaine commission administrative paritaire de mobilité qui se tiendra en septembre 2015.

Concernant le tribunal d’instance, sur 15 agents, 12 assurent une présence effective et 3 postes d’adjoint administratif sont actuellement vacants ; mais la commission qui s’est tenue le 17 novembre 2014 a procédé au remplacement d’un adjoint administratif, qui a normalement dû prendre ses fonctions au début du mois de mars.

Il est important de noter l’arrivée de greffiers dans les juridictions ; comme pour les magistrats, nous allons voir apparaître un solde positif de leurs effectifs. Nous sommes en effet très attentifs au fait que tous ces postes soient pourvus.

Pour conclure, j’aurai un mot sur les congés, que vous avez évoqués. Du point de vue juridique et réglementaire, en deçà de trois mois d’arrêt de maladie, l’information ne remonte pas à la direction des services judiciaires, ce qui représente une véritable difficulté pour la gestion des effectifs. Cette difficulté est aggravée par le fait que, s’agissant de certaines postes, nous ne pouvons pas, en cas de maladie de longue durée, disposer avant trois ans du poste laissé vacant. Nous sommes donc obligés d’attendre un tel délai : si cela se comprend bien vis-à-vis du magistrat en congé de longue durée, cela rend plus difficile la situation dans les juridictions.

Monsieur le sénateur, nous nous efforçons de combiner tous ces éléments pour essayer de faire au mieux, et je vous promets – j’ai déjà fait cette promesse à Nathalie Nieson – de porter une attention particulière à la situation du tribunal de Valence.

M. le président. La parole est à M. Gilbert Bouchet.

M. Gilbert Bouchet. Madame la garde des sceaux, votre réponse, dont je vous remercie, me laisse face à mes interrogations : elle n’apporte pas de précisions quant aux postes qui devront être attribués, compte tenu de l’ouverture prochaine d’un établissement pénitentiaire à Valence, dans la Drôme.

prêts et achat de logements anciens en milieu rural

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier, auteur de la question n° 1015, adressée à Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité.

M. Bernard Fournier. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention, et celle du Gouvernement, sur l’ouverture du prêt à taux zéro, le PTZ, pour l’achat de logements anciens à réhabiliter en milieu rural.

Comme vous le savez, cette mesure, prévue par la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, est destinée à relancer l’activité par des travaux de réhabilitation et à préserver l’attractivité des territoires ruraux, en favorisant la revitalisation des centres-bourgs.

Le renforcement du prêt à taux zéro doit favoriser l’accession à la propriété, qui est l’une des clés du succès pour la relance indispensable et attendue de l’activité économique dans le secteur du bâtiment.

Ce dispositif devient également l’outil privilégié pour favoriser l’accession sociale à la propriété, puisqu’il apporte une meilleure solvabilité aux ménages.

Ainsi, environ 6 000 communes ont été sélectionnées pour leur caractère rural, leur niveau de services et d’équipements existants, ainsi que leur potentiel de logements à réhabiliter pouvant être remis sur le marché.

Si c’est un premier pas, il apparaît très clairement que ce dispositif ne concerne malheureusement qu’une proportion très faible des communes rurales de France, c’est-à-dire environ soixante par département. Dans la Loire, moins d’un tiers des communes rurales sont retenues.

Beaucoup d’élus ne comprennent pas le critère de niveau de services et d’équipements existants. Aussi le choix des communes bénéficiant de ce prêt à taux zéro reste-t-il très obscur, presque discriminant. Il me semble donc essentiel de leur apporter rapidement les informations les plus transparentes sur les critères pris en compte par les services de l’État pour le choix des communes pouvant bénéficier du prêt à taux zéro.

La délivrance de permis de construire dans les territoires ruraux étant largement encadrée et limitée, vous le savez, il est nécessaire d’étendre le champ d’action du prêt à taux zéro à toutes les communes rurales. L’objectif serait non plus uniquement de relancer la construction, mais de revitaliser vraiment toutes les communes rurales par la rénovation de logements anciens.

Madame la ministre, la DGF des communes rurales est déjà, en moyenne, moitié moindre que la DGF des communes urbaines. Par ailleurs, les communes rurales doivent supporter l’asphyxie budgétaire résultant d’une baisse de leurs dotations dans les mêmes proportions que celle qui affecte les dotations des communes urbaines. Enfin, les communes rurales seront dorénavant mises en concurrences pour la redynamisation de leur centre-bourg, une concurrence déloyale que vous soutenez, madame la ministre de l’égalité des territoires et de la ruralité.

Je n’aurai de cesse de le répéter : les communes rurales méritent plus de considération et d’égards, et il est fondamental de garantir un aménagement équilibré des territoires. En conséquence, madame la ministre, je souhaite connaître votre position sur ce sujet et vous demande de bien vouloir me préciser les intentions du Gouvernement en la matière.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le sénateur Bernard Fournier, vous m’interrogez sur le prêt à taux zéro, ou PTZ, que la loi de finances pour 2015 a étendu à l’achat de logements anciens, sous réserve de la réalisation de travaux de rénovation et de réhabilitation, dans 6 000 communes rurales.

Tout d’abord, je tiens à indiquer que cette disposition figure dans le plan de relance en faveur de la construction et de la rénovation que M. le Premier ministre et moi-même avons présenté au mois d’août. Ce plan a pour objectif d’agir sur l’ensemble des segments du marché du logement. Vous avez évoqué l’amélioration du prêt à taux zéro et son extension aux logements anciens que nous avons décidée. Cette mesure constitue une aide bienvenue pour nos communes rurales, afin de leur permettre de réhabiliter leur centre-bourg, leur patrimoine et le bâti existant, et d’éviter l’étalement urbain, situation que je connais bien en tant qu’élue locale.

Par ailleurs, nous menons une politique en faveur du développement des territoires ruraux, de l’amélioration des conditions de vie de leurs habitants et du retour à une vision plus équilibrée de l’aménagement du territoire.

Le « PTZ réhabilitation » concerne actuellement des communes rurales disposant d’un potentiel important de logements à rénover et d’un minimum d’équipements de proximité ou intermédiaires, au sens défini par l’INSEE. Il s’agit donc non pas de critères discriminants, comme vous l’avez indiqué, mais de critères croisés prenant en compte le taux de vacance des logements à réhabiliter et l’existence d’un certain nombre d’équipements, afin d’assurer l’accès des habitants à un minimum de services – il peut s’agir d’équipements publics ou privés, par exemple une boulangerie, un bureau de poste ou encore une école.

Je comprends votre désir d’élargir le bénéfice du PTZ à l’ensemble des communes rurales. Il me semble néanmoins nécessaire de pouvoir bénéficier d’un retour d’expérience et d’une évaluation objective et transparente du fonctionnement de cette première version du dispositif, afin de pouvoir apprécier au mieux son efficacité et de pouvoir étudier une éventuelle extension. Vous le savez, ce dispositif n’est en vigueur que depuis le 1er janvier 2015, et nous ne disposons donc pas encore, à ce stade, de suffisamment d’éléments.

Je peux toutefois vous indiquer, monsieur le sénateur, que les premiers PTZ accordés concernent des montants de travaux significatifs, ce qui permet d’assurer un certain niveau d’activité aux artisans du bâtiment qui connaissent de graves difficultés.

Par ailleurs, la politique que nous menons en faveur des ruralités est cohérente et globale. Vendredi prochain, à l’occasion de la réunion d’un comité interministériel, j’aurai l’occasion de présenter, avec M. le Premier ministre, un certain nombre de mesures qui permettront un aménagement harmonieux et équilibré du centre-bourg de ces communes rurales, tout en encourageant leur développement économique et social. Tel est le sens de l’appel à manifestation d’intérêt que j’ai lancé en faveur de la revitalisation des centres-bourgs pour permettre une généralisation du dispositif.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, ma vigilance et mon attention sont totales en ce qui concerne la ruralité.

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Madame la ministre, je vous remercie de la réponse assez précise que vous m’avez apportée. J’ai bien noté que vous attendiez un retour d’expérience sur cette première phase avant d’imaginer une extension des prêts à taux zéro à l’ensemble des zones rurales. Quoi qu’il en soit, nous resterons très vigilants.

difficultés de réception des réseaux de téléphonie mobile

M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, auteur de la question n° 1001, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, chargée du numérique.

M. Daniel Laurent. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question porte sur la mauvaise qualité de réception des réseaux de téléphonie mobile de nombreuses communes rurales de la Charente-Maritime, alors que ces dernières ne sont pas considérées comme situées en « zone blanche ». De nombreuses communes rurales d’autres départements sont d’ailleurs certainement concernées.

La définition réglementaire de la couverture de téléphonie mobile s’entend comme la possibilité « de passer un appel téléphonique et de le maintenir durant une minute, à l’extérieur des bâtiments et en usage piéton ». De même, n’est pas considérée comme « zone blanche » une commune où, devant la mairie, une liaison est possible avec un opérateur. Or, dans la pratique, il en va tout autrement.

Lors de la dernière campagne pour l’élection sénatoriale que j’ai menée avec ma collègue Corinne Imbert, la question de la fracture numérique est apparue comme l’une des principales préoccupations des élus. Je citerai simplement deux cas parmi la pléthore d’exemples que j’ai à l’esprit : ainsi, une commune rurale dispose d’un établissement de formation sur son territoire, mais l’accès à la téléphonie mobile est particulièrement difficile pour les élèves et l’établissement ; par ailleurs, les élus d’une autre commune nous ont fait remarquer à juste titre que, alors que la commune devait communiquer, dans le cadre de la mise en place du plan départemental de sécurité, les numéros de téléphone portable des élus, ceux-ci étaient souvent injoignables de fait.

Dans le même temps, force est de reconnaître les investissements réalisés au cours de la décennie passée pour couvrir le territoire national avec l’appui des collectivités territoriales.

Le département de la Charente-Maritime, sous notre impulsion, a décidé dès 2005 de lancer la construction d’un réseau numérique public multi-technologique. Je profite de la présente question orale pour saluer le travail réalisé dans ce domaine au sein de cette assemblée par notre ancien collègue Claude Belot et pour citer son excellent rapport de 2005, intitulé Haut débit et territoires : enjeu de couverture, enjeu de concurrence.

Le département de la Charente-Maritime investit désormais dans le très haut débit et a fait le choix de la fibre optique, dans le cadre juridique national et européen.

J’assistais dernièrement à la présentation d’un plan de déploiement de la fibre optique dans une communauté d’agglomération, assurée par un opérateur que je ne citerai évidemment pas. Si nous ne pouvons que nous féliciter de la réalisation de tels projets, nous savons bien que toutes les communes ne seront pas logées à la même enseigne : certaines seront équipées dès 2016, d’autres en 2020 seulement, d’autres encore en 2030, ou bien plus tard.

Ce même opérateur a indiqué que les priorités d’investissement portaient sur l’évolution du réseau pour répondre au développement de l’habitat de certaines communes, sur la neutralisation des derniers grands multiplexeurs et sur le déploiement de la 4G mobile et du très haut débit ; dont acte. Ainsi, certaines communes nécessitant de lourds investissements en infrastructures ne pourront entrer dans ce cadre. Il nous faudra bien trouver des solutions de rechange si nous souhaitons pouvoir continuer à accueillir dans nos communes des entreprises et des ménages.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez déjà répondu à de nombreuses questions similaires ces dernières semaines, preuve, s’il en est, de la pertinence de cette problématique, et vous nous avez fait part de votre intention de reprendre l’initiative en matière de couverture mobile des zones rurales. De même, vous avez annoncé l’organisation d’une concertation entre les collectivités locales et les opérateurs de téléphonie mobile pour identifier les dispositions législatives nécessaires qui pourraient s’inscrire dans un projet de loi numérique prévu pour le second trimestre de 2015.

Pouvez-vous me préciser le calendrier et les conditions de mise en œuvre de ces diverses mesures ? Les élus et nos concitoyens attendent avec impatience des réponses précises.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur Daniel Laurent, je vous prie de bien vouloir excuser Mme la secrétaire d’État Axelle Lemaire qui se trouve dans l’impossibilité d’être parmi nous aujourd’hui.

En réponse à votre question, monsieur le sénateur, je voudrais rappeler que nous avons souhaité engager le plus rapidement possible, avec le plan France Très Haut Débit, un chantier structurant pour les infrastructures numériques de demain, comme vous l’avez souligné dans votre propos. Cependant, il nous faut aussi répondre aux besoins du moment, c’est-à-dire veiller à étendre l’accès aux réseaux existants et en assurer la fiabilité.

En ce qui concerne les réseaux mobiles, des travaux sont en cours pour définir un nouveau programme de couverture, dont la conception n’a rien de trivial, afin d’atteindre trois objectifs.

Tout d’abord, il convient d’achever les précédents programmes « zones blanches » et, au-delà de ces programmes, de couvrir les 170 communes identifiées comme ne disposant d’aucune couverture mobile. Pour le département de la Charente-Maritime, l’ensemble des sept communes concernées a été couvert au titre du programme « zones blanches » et aucune autre commune n’a été identifiée lors des recensements postérieurs comme devant bénéficier de ce programme.

Ensuite, il s’agit de répondre à un manque évident des programmes précédents qui ne permettaient pas d’assurer la couverture de l’ensemble de la population des communes, puisqu’ils ne visaient que les centres-bourgs. Il faut en effet pouvoir répondre aux besoins des communes les plus mal couvertes.

Enfin, au-delà du service téléphonique de base, il faut s’assurer que les territoires ruraux disposent de l’accès à l’internet mobile en 3G. Un programme de couverture en 3G de 3 900 communes par l’ensemble des opérateurs devait être achevé à la fin de 2013 ; il ne l’a pas été. Le Gouvernement travaillera, avec le régulateur, pour que l’objectif de ce programme soit atteint, ce qui permettra aussi de limiter les « zones grises » de la 3G.

Le programme que le Gouvernement entend proposer très prochainement permettra de répondre aux difficultés que vous décrivez. Le Gouvernement pourra cependant exiger d’étendre par la loi les obligations existantes des opérateurs mobiles. Il est très attaché à ce que ceux-ci respectent les cahiers des charges qu’ils ont eux-mêmes acceptés, ce qui n’a pas toujours été le cas.

Tels sont les éléments qu’Axelle Lemaire m’a suggéré de vous transmettre en réponse à votre question, monsieur le sénateur. Au-delà de votre département, de nombreux territoires sont également concernés, notamment des territoires ruraux.

M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.

M. Daniel Laurent. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse et souhaite vous faire part de deux observations.

Premièrement, contrairement à ce qu’indiquent parfois les statistiques, les zones blanches persistent sur des territoires où l’on a pourtant l’impression que la couverture est totale.

Deuxièmement, s’il faut imposer par la loi aux opérateurs d’assurer une couverture maximale, j’en serai ravi, considérant que zones rurales et zones urbaines doivent être traitées à égalité. Quand un jeune couple veut s’installer en milieu rural, deux critères sont essentiels : la téléphonie et l’accès à internet. Il est donc indispensable que notre territoire soit maillé partout de la même façon.

lutte contre la fermeture des bureaux de tabac de proximité

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Fournier, auteur de la question n° 1013, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.

M. Jean-Paul Fournier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question porte sur les difficultés que rencontrent les 26 000 débitants de tabac dans leurs activités au quotidien.

En 2013, chaque jour, plus de deux bureaux de tabac mettaient « la clé sous la porte ». L’an dernier, la cadence s’est accélérée, avec un rythme de trois fermetures quotidiennes. Si rien n’est fait pour ce secteur d’activité, qui emploie plus de 120 000 personnes, nous allons assister à un véritable sinistre : un sinistre pour la profession, dont l’activité est souvent une histoire de famille ; un sinistre pour l’emploi, puisque les fermetures vont s’accompagner d’un grand nombre de licenciements ; un sinistre surtout pour la France, tant les bureaux de tabac contribuent à maintenir le lien social dans les zones rurales et les quartiers urbains, notamment ceux qui sont considérés comme les plus sensibles de notre territoire.

En effet, plus que de jouer le rôle de simples revendeurs de tabac, les buralistes animent des lieux de vie appréciés par nos compatriotes. Ils varient d’ailleurs de plus en plus leurs offres commerciales et proposent de la presse, des jeux « à gratter », des services postaux, des timbres fiscaux, un « relais colis », des friandises, tout en affinant continuellement leur rôle d’accueil et d’écoute auprès de la clientèle. À l’instar d’une boulangerie, d’une pharmacie ou d’une boucherie, les bureaux de tabac sont des éléments importants du tissu social d’un village ou d’un quartier.

Les raisons de l’accélération de la fermeture de ces commerces de proximité sont multiples.

Si l’on peut se réjouir, dans un souci de santé publique, de la baisse tendancielle du nombre de fumeurs et de leur consommation de tabac, on remarque que la fragilisation de l’activité des bureaux de tabac est également due à de nombreuses mesures prises par le Gouvernement et à un manque de coordination avec nos partenaires européens.

La décision de ne pas appliquer la hausse automatique du prix du tabac au 1er janvier a certes été un véritable soulagement pour la profession, mais l’accalmie a été de courte durée.

Les motifs d’inquiétude sont aujourd'hui nombreux. Je pense à la mise en place du paquet neutre, aux prochaines hausses de prix, au renforcement de la contrebande et du marché parallèle ou à l’absence d’harmonisation des taxes au niveau européen, sans parler des charges toujours plus lourdes qui pèsent sur les buralistes.

Actuellement, l’heure est grave pour les bureaux de tabac. La force des actions réalisées en novembre et en décembre démontre le désarroi de la profession.

Sans une action coordonnée sur ce sujet, nous allons assister non seulement à la fermeture d’entreprises commerciales, mais aussi à la disparition d’une part de l’identité de notre pays.

En conséquence, monsieur le secrétaire d'État, je vous demande de m’indiquer quelles mesures le Gouvernement pourrait prendre pour freiner, sur le long terme, la fermeture des bureaux de tabac et préserver ainsi ces commerces qui sont les porteurs d’une certaine qualité de vie à la française.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur, la réponse à votre question va me permettre de préciser un certain nombre de points concernant les inquiétudes exprimées par les buralistes et de vous rappeler en détail les mesures prises par le Gouvernement.

L’action sur les prix des produits du tabac, au travers de l’évolution de la fiscalité, est l’un des outils importants permettant la réduction de la prévalence tabagique. Elle a entraîné – vous l’avez dit – une diminution bienvenue de la consommation de tabac dans notre pays. Pour autant – vous l’avez indiqué également –, les écarts de prix constatés avec les pays voisins sont une préoccupation partagée par le Gouvernement puisqu’ils favorisent les achats transfrontaliers et les modes d’approvisionnement alternatifs.

Le Gouvernement s’attache à rechercher les voies d’une convergence au sein de l’Union européenne et d’un renforcement de l’harmonisation.

Au niveau national, une proposition parlementaire, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2014, a simplifié les modalités de détermination de la fiscalité sur les produits du tabac. C’est désormais le Parlement qui fixera directement, chaque année, le niveau de charge fiscale, en lieu et place de l’application de la règle de calcul complexe préalablement en vigueur, laquelle reposait notamment sur les variations de prix passées.

Pour 2015, la charge fiscale a été fixée au même niveau qu’en 2014. Je tiens à le souligner parce que certains propos ont pu laisser croire que des cadeaux avaient été faits aux fabricants ou que l’État se serait privé de recettes fiscales. Les recettes fiscales ont été fixées au même niveau en 2015 qu’en 2014. Cela vaut pour les cigarettes et le tabac à rouler. Une légère augmentation sur les cigarillos, qui représentent une part très faible de la consommation, a néanmoins été mise en place.

Vous évoquez de « prochaines hausses de prix ». Je ne sais pas sur quoi vous vous fondez pour vous exprimer de la sorte. Je le répète, ce sujet de la charge fiscale sur les produits du tabac est dorénavant du ressort du Parlement.

De plus, le Gouvernement est activement engagé dans la lutte contre le marché parallèle. L’année 2013 a été marquée par des saisies qui ont atteint des records, à hauteur de 430 tonnes de tabac. Si les chiffres pour 2014 ne seront connus que dans quelques jours, nous savons d’ores et déjà qu’ils seront du même ordre. Je puis vous assurer que la mobilisation des douanes en cette matière n’a pas faibli.

Le Gouvernement a en outre souhaité renforcer la capacité d’action des douanes grâce à deux mesures importantes. Première mesure, afin de mieux maîtriser les flux transfrontaliers, une nouvelle circulaire, publiée à ma demande le 5 septembre 2014, abaisse de dix à quatre cartouches le seuil à partir duquel toute personne arrêtée par les douanes est sommée de justifier que le tabac détenu correspond à sa consommation personnelle. Seconde mesure, le Gouvernement a fait adopter à l’automne dernier une interdiction des achats à distance sur internet, assortie de sanctions dissuasives. Il a ainsi donné satisfaction à un souhait des buralistes, une profession que je rencontre très souvent, y compris dans des situations parfois particulièrement conflictuelles.

Au-delà des enjeux de prix, je puis vous assurer que l’État est extrêmement attentif à ce réseau.

Un certain nombre d’engagements ont été pris par l’État. Ainsi, un contrat d’avenir actuellement en vigueur, dont je vous passe les détails, représente un investissement important. En 2014, plus de 85 millions d’euros ont en effet été versés au titre de ce dispositif.

Le Gouvernement a également amélioré les conditions de rémunération des détaillants.

Enfin, et c’est essentiel, les buralistes eux-mêmes ont su faire preuve de dynamisme. Ils ont pris des initiatives énergiques pour diversifier leur activité en se positionnant, par exemple, sur les services de paiement, tel le compte-nickel –un métier pour lequel les détaillants peuvent apporter une offre alternative intéressante.

Je tiens à le dire, le Gouvernement souligne régulièrement son attachement à voir la Française des jeux continuer à faire des buralistes son circuit privilégié de distribution. J’ai d’ailleurs rappelé cet engagement et cette volonté du Gouvernement à la nouvelle présidente de la Française des jeux, que j’ai rencontrée voilà quelques jours.

Tels sont, monsieur le sénateur, en réponse à votre question légitime, les éléments que je pouvais vous apporter sur un sujet dans lequel mon ministère s’est particulièrement investi.

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Fournier.

M. Jean-Paul Fournier. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie pour ces précisions, qui répondent à certaines de mes inquiétudes.

Je regrette toutefois que la mise en place du paquet dit « neutre » soit imposée dans ces circonstances. Les bureaux de tabac français vont subir violemment cette décision nationale et seront une nouvelle fois défavorisés par rapport aux établissements des pays voisins.

Aujourd’hui, la généralisation du paquet dit « neutre » risque de fragiliser encore un peu plus les buralistes et les emplois inhérents à ces commerces de proximité, sans contribuer à une lutte efficace, dans un souci de santé publique, contre le tabagisme.

avenir de la filière cidricole

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, auteur de la question n° 1007, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Yannick Botrel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon attention a été appelée par les professionnels sur la situation actuelle de la filière de la pomme à cidre et, plus précisément, sur le cadre légal qui entoure cette dernière.

Du fait de son dynamisme, cette filière se développe aujourd’hui de manière notable dans notre pays. Dans cette perspective, elle veut se structurer. À ce jour, deux organisations de producteurs ont été mises en place et sont reconnues. Il s’agit, d’une part, d’Agrial, située en Normandie, dans le Calvados, et, d’autre part, des Celliers Associés, localisés en Bretagne, dans les Côtes- d’Armor.

Dans le cadre de l’organisation commune des marchés, ou OCM, pour les fruits et légumes, la filière cidricole bénéficie d’un accompagnement financier qui a largement contribué à améliorer ses performances techniques, non seulement par la mécanisation, le renouvellement du verger, mais aussi par la promotion des marques ou le développement de méthodes alternatives à l’utilisation de produits phytosanitaires, ce qui va dans le sens souhaité par le ministre de l’agriculture.

Si ces avancées sont indéniables et sont unanimement saluées par les acteurs de la filière, beaucoup reste à faire pour consolider cette dernière et pour continuer à lui donner des perspectives.

Le cadre légal, notamment communautaire, avec le règlement de l’OCM unique, ne paraît plus adapté. En effet, la modification du règlement 1580/2007, intervenue en 2010, ne permet pas, ce qui est pour le moins étonnant, une prise en compte du cidre comme un produit issu de la transformation des fruits et légumes.

Cette situation paradoxale a une incidence négative forte, car elle a entraîné l’inéligibilité du secteur à un accompagnement financier dans le cadre de la rénovation du verger, ce qui, bien entendu, pénalise largement le développement de la filière.

Cette situation est dommageable, notamment compte tenu de la difficulté du contexte économique pour les agriculteurs. La diversification des activités pourrait, le cas échéant, constituer une source de stabilisation de leurs revenus.

Aussi, monsieur le ministre, je m’interroge sur les moyens dont nous disposons pour répondre à ces difficultés et pour épauler une filière dynamique, génératrice de richesses et d’emplois dans nos territoires.

M. le président. Je profite de la présence de M. le ministre de l’agriculture, porte-parole du Gouvernement, pour exprimer notre peine face au terrible accident survenu cette nuit, qui a causé la mort de huit de nos compatriotes, dont plusieurs grands sportifs. La Haute Assemblée présente aux familles des victimes ses condoléances les plus attristées.

La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, je m’associe à l’hommage que vous venez de rendre, au nom du Sénat, à nos compatriotes décédés dans l’accident survenu cette nuit, dont de grands sportifs connus pour leurs exploits, mais aussi pour leurs qualités personnelles. Nous sommes tous très tristes de ce qui est arrivé.

Monsieur le sénateur Yannick Botrel, vous m’avez interrogé sur la question du cidre. Ce sujet est lié à l’organisation commune des marchés pour les fruits et légumes, qui finançait une partie des investissements et de l’organisation de cette filière, laquelle a fait en dix ans des progrès extrêmement importants pour repositionner le cidre comme un breuvage aujourd’hui reconnu. La filière a su faire preuve d’innovation, et, disant cela, je pense en particulier au cidre rosé, qui est issu de certaines variétés de pommes.

Je rappelle aussi que la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a inscrit le cidre, comme le poiré, au « patrimoine culturel, gastronomique et paysager de la France ». Cette démarche vise à conforter l’engagement des professionnels de cette filière pour donner au cidre non seulement un présent, mais aussi et surtout un avenir.

Le financement par l’OCM a été remis en cause en première instance par une décision du tribunal de l’Union européenne du 30 mai 2013, qui fait suite à un recours. Nous attendons que la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE, statue en 2015 ou en 2016.

Sur ce sujet, la Commission et la France s’accordent pour considérer qu’il y a un lien entre la pomme et le cidre. Par conséquent, la filière cidricole devrait pouvoir bénéficier des aides de l’OCM pour les fruits et légumes. Encore faut-il connaître la décision définitive de la CJUE.

Dans cette attente, il faut rappeler que les producteurs cidricoles peuvent bénéficier des aides de l’OCM sur tous les premiers investissements, ceux qui concernent le premier maillon de la chaîne, avant la transformation. Il faut une mobilisation sur les renouvellements de vergers, sur les grandes questions de réception, de collecte, de nettoyage des pommes. Certains investissements peuvent tout à fait faire l’objet d’une mobilisation de l’OCM pour les fruits et légumes.

S’agissant des activités de transformation, il faut viser les disponibilités du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER, qui peut apporter des aides à l’investissement tout à fait utiles pour consolider cette filière. Je rencontrerai d’ailleurs les acteurs de cette filière le 2 avril, pour que tout le monde soit rassuré. Nous discuterons aussi des besoins et nous essayerons d’apporter, au travers des outils que j’ai évoqués, une aide à cette filière dont vous avez souligné le développement et qui constitue aujourd’hui un véritable atout pour notre pays.

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Je remercie M. le ministre de sa réponse très complète. Je salue son expertise de la filière cidricole. Manifestement, il est très au fait des nouveaux produits et de ce qui se fait dans nos territoires !

Sa réponse contient un élément qui me paraît particulièrement intéressant, à savoir le recours introduit. Il serait en effet intéressant d’en connaître l’origine et de remonter au point de départ.

Quoi qu’il en soit, sa réponse précise, qui met les choses au point, contient des éléments encourageants que la profession va pouvoir entendre.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je vous précise, monsieur le sénateur, que c’est La Conserverie qui a déposé le recours en Italie et en Espagne.

situation des interprètes afghans

M. le président. La parole est à M. Alain Marc, auteur de la question n° 993, adressée à M. le ministre de la défense.

M. Alain Marc. Quelque 700 interprètes afghans ont travaillé pour l’armée française durant les douze ans de conflit en Afghanistan. Ils font aujourd’hui l’objet de menaces de mort proférées par les talibans. Ces interprètes ont en effet participé, indirectement, à la traque des talibans et à des enquêtes sur des attentats ou encore aidé à former les militaires afghans. Ils sont considérés comme des traîtres par la population locale. La plupart de ces professionnels n’ont donc qu’un désir : partir.

Par ailleurs, il semblerait qu’à ce jour ces interprètes ne trouvent pas d’emploi du fait de leur collaboration avec les forces de la coalition. Nombreux sont ceux qui se retrouveraient au chômage.

Alors que la situation en Afghanistan est toujours des plus instables, on peut s’interroger sur l’avenir de ces professionnels, qui, n’ayant pas la possibilité de quitter leur pays, voient leur vie menacée.

Alors que 700 personnes environ seraient concernées, seuls quelque 70 visas auraient été accordés. Nos alliés britanniques, quant à eux, ont accueilli à la suite d’une procédure judiciaire la totalité de leurs interprètes, soit plus de 600 personnes.

Quelle est la position du Gouvernement sur la question de la protection des Afghans ayant couru des risques pour soutenir l’intervention des soldats français ? Quelles mesures envisage-t-il de prendre afin que des solutions pérennes soient offertes à ces professionnels afghans qui ont travaillé pour l’armée française ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser M. le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, qui ne peut être présent au Sénat ce matin et m’a demandé de le suppléer pour vous répondre.

Durant le conflit sur le sol afghan, l’État français a eu recours à de la main-d’œuvre locale.

En 2012, plus de 260 personnels civils de recrutement local servaient directement les forces françaises dans des emplois allant de l’interprétariat à des fonctions de soutien, comme la restauration. Quel que soit leur métier, il convient de saluer le dévouement de ces personnels, ainsi que la qualité de leur travail au profit des militaires français déployés.

À partir de juin 2012, conformément à la demande du Président de la République, les armées françaises ont entamé leur désengagement d’Afghanistan.

Une procédure d’accompagnement de ces personnels, s’appuyant sur trois mesures particulières, a été élaborée à la fin de 2012 et validée par le Président de la République : pour tous, une prime de licenciement avantageuse et proportionnelle à la durée des services ; pour certains et à leur demande, une indemnité forfaitaire d’aide à la mobilité interne en Afghanistan ; pour les dossiers les plus sensibles, enfin, un accueil en France.

La sélection des dossiers éligibles à un accueil en France a été conduite par une commission mixte, présidée par l’ambassadeur de France à Kaboul, selon quatre critères : le souhait exprimé par le personnel civil afghan d’une relocalisation en France ; le niveau de la menace réelle pesant effectivement sur l’intéressé et sa famille ; la qualité des services rendus ; enfin, la capacité à s’insérer en France. Les dossiers retenus en commission ont été validés par le cabinet du Premier ministre.

S’agissant de la mise en œuvre pratique de l’accueil en France au titre de la solidarité nationale, une cellule interministérielle placée sous l’autorité d’un préfet a été activée en tant que de besoin. Rendant compte directement au cabinet du Premier ministre, elle a été chargée d’élaborer, puis de mettre en œuvre le processus d’accueil et d’insertion des employés afghans retenus, ainsi que de leurs familles. Au final, ce sont 73 personnels civils qui ont été accueillis en France, ce qui représente, en prenant en compte les familles, près de 180 Afghans.

Les services du ministère de la défense ont concouru à ce processus d’accueil interministériel en participant à la conception du dispositif, puis en assurant le transport depuis l’Afghanistan jusqu’à leur lieu d’accueil sur le territoire national.

En France, les personnels sélectionnés et leurs conjoints se sont vu attribuer par les autorités compétentes une carte de résident d’une durée de validité de dix ans, renouvelable. Ce statut juridique permet une stabilité sur le territoire, le droit à la libre circulation, y compris vers leur pays d’origine, le bénéfice de l’accès à l’emploi et à des prestations, notamment le droit au RSA, les aides au logement, les allocations familiales et l’aide médicale.

Installés en France depuis maintenant plusieurs mois, ils font tous l’objet d’un suivi des services compétents de l’État afin de garantir – je pense que nous partageons cet objectif – leur bonne intégration dans la durée. Le choix qu’ils ont fait de la France doit en effet leur permettre de construire leur vie dans notre pays.

Le succès de cette opération interministérielle a permis de répondre avec humanité à cette question d’importance pour le Gouvernement en y apportant une réponse personnalisée, à la hauteur de l’engagement de ces hommes pour la France.

M. le président. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Sans vouloir vous offenser, monsieur le ministre, la « sélection des candidatures » que vous avez évoquée dans votre réponse n’est pas de nature à me rassurer. Lorsque l’on compare le chiffre de 70 visas accordés par les autorités françaises à ces personnels de recrutement local au nombre d’Afghans ayant travaillé pour l’Angleterre qui ont rejoint ce pays, soit 600 personnes, il y a de quoi s’étonner !

Sur la procédure de sélection retenue, j’ai bien compris que vous ne pouviez pas me répondre aujourd’hui. Je souhaite néanmoins que le Gouvernement nous fournisse des éléments d’évaluation beaucoup plus précis. Ce n’est pas le sort des personnes déjà sélectionnées et bénéficiant d’un suivi en France qui m’inquiète, mais celui de ces Afghans qui sont restés dans leur pays.

Au terme de quelle procédure certains de ces personnels ont-ils pu rejoindre la France ? Quel est le niveau de danger auquel sont confrontés ceux qui sont encore en Afghanistan ? Ce sont sur ces points que j’aurais aimé obtenir des informations.

ouverture d'une antenne consulaire à auckland

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, auteur de la question n° 994, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

Mme Hélène Conway-Mouret. Je me suis rendue en Nouvelle-Zélande en novembre 2014. À vingt-quatre heures de vol de Paris et avec douze heures de décalage horaire, c’est un pays qui se mérite… Il attire néanmoins de nombreux Français. Aux 4 430 d’entre eux qui sont inscrits au registre des Français établis hors de France et aux près de 3 000 non-inscrits, il faut ajouter environ 7 000 visas vacances-travail et plus de 50 000 touristes français par an.

Ma mission était de rencontrer la communauté française et les conseillers consulaires qui les représentent. Je suis donc allée naturellement à Auckland, où ils se trouvent, et non à Wellington, siège de notre ambassade et de notre consulat, où résident seulement 800 Français.

Auckland, capitale économique de la Nouvelle-Zélande, a enregistré une hausse de 14 % de ses inscrits au registre par rapport à décembre 2013. Cette ville est aussi, par son attractivité économique, la « porte d’entrée » des autres diasporas et des communautés du bassin Pacifique Sud qui désirent se rendre en France ou se déplacer dans nos territoires français de Polynésie ou de Nouvelle-Calédonie. Or, aujourd’hui, tous doivent se rendre à Wellington afin d’y faire établir leurs demandes de passeport, faute de tournées consulaires, et donc de passages de la valise Itinera, suffisamment fréquentes. Il y va de même s’agissant de l’établissement des visas pour les étrangers. En effet, le consul honoraire, qui réside à Auckland, n’a malheureusement pas les compétences nécessaires pour les délivrer.

Dans ces conditions, n’est-il pas possible de redéployer dans cette région, en particulier dans la ville d’Auckland, qui couvrirait ainsi l’île du Nord, une antenne consulaire ? La France en a besoin pour nos compatriotes qui y résident, pour ceux qui y passent avant de poursuivre leurs déplacements en Océanie et, enfin, pour les étrangers qui désirent se rendre en France, en particulier dans les territoires français tout proches. J’ajoute que cette création, compte tenu du coût des visas, permettrait de générer des recettes, là où nous pensons faire des économies en privant notre poste consulaire d’une présence dont il a besoin.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. La communauté française installée en Nouvelle-Zélande est administrée, comme vous l’avez rappelé, madame la sénatrice, par la section consulaire de notre ambassade à Wellington. Elle est dotée de moyens humains et matériels jugés suffisants et soutenue par quatre consuls honoraires. Elle remplit l’ensemble des missions consulaires attendues d’un tel service.

Notre consul honoraire à Auckland, habilité par arrêté spécial, remet chaque année 400 passeports. Les demandes sont souvent recueillies lors des missions accomplies par nos agents basés à Wellington, équipés de la fameuse valise Itinera. Ces tournées consulaires permettent d’assurer le service public au plus près des besoins.

L’ouverture d’une chancellerie consulaire détachée à Auckland impliquerait, au minimum, le doublement des effectifs que l’État consacre à l’administration des Français établis en Nouvelle-Zélande. Elle permettrait le recueil d’environ deux demandes de passeports par jour ouvrable, ce qui, compte tenu des ratios habituellement constatés dans le réseau consulaire et des moyens affectés, serait difficilement justifiable.

Le ministère des affaires étrangères et du développement international veillera toutefois à maintenir à un bon niveau la fréquence des missions Itinera à Auckland, tout en développant parallèlement l’administration électronique, particulièrement adaptée à un pays tel que la Nouvelle-Zélande, et notamment l’inscription au registre des Français établis hors de France via une procédure dématérialisée. Par ailleurs, la fin de la double comparution pour la délivrance des passeports représentera également un avantage considérable pour les Français de l’étranger. Je sais que vous y êtes très attachée. Soyez assurée que nous accompagnons la mobilité internationale de nos compatriotes que, vous comme moi, nous appelons de nos vœux.

S’agissant des visas délivrés au bénéfice des étrangers désireux de se rendre en France métropolitaine ou dans un territoire français d’Océanie, leur nombre, en très légère augmentation, dépasse de peu le millier. Les Néo-Zélandais sont exemptés de cette procédure, qui ne concerne que des nationalités tierces.

L’augmentation potentielle que pourrait générer l’ouverture d’un bureau de recueil de demandes de visa externalisé pourra toutefois être étudiée par notre poste de Wellington, qui, dans l’hypothèse où une demande suffisante pourrait être identifiée, saisirait les services centraux du ministère de ce projet, lequel serait alors étudié très attentivement.

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Je vous remercie de cette réponse très complète, monsieur le secrétaire d’État. J’ai bien entendu vos arguments. Compte tenu du processus d’économies dans lequel nous sommes engagés, je pensais en fait à un redéploiement plutôt qu’à une création de poste.

Je le disais, seuls 800 de nos compatriotes sont inscrits au registre à Wellington ; ils sont près de 2 000 à Auckland. Il serait bon que l’administration française soit présente là où se trouvent les Français, lesquels font preuve d’une mobilité croissante. Ainsi, je le répète, 50 000 de nos concitoyens visitent chaque année la Nouvelle-Zélande.

Par ailleurs, de nombreux étrangers souhaitent se rendre dans les territoires français tout proches et ont à ce titre besoin de visas. Il ne faut pas les oublier !

Une présence de l’administration française « boosterait » la délivrance de visas. Par exemple, les Asiatiques qui résident dans cette région pourraient ainsi être incités à visiter nos territoires.

situation des accompagnants des élèves en situation de handicap

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, auteur de la question n° 1004, adressée à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Mme Nicole Bricq. J’ai été interpellée, dans mon département de Seine-et-Marne, par des organisations représentatives de personnels sur la situation des AESH, les accompagnants des élèves en situation de handicap, qui ont remplacé les AVS, les auxiliaires de vie scolaire. Mon intervention vise à solliciter l’action du Gouvernement afin d’améliorer leur situation.

Embauchés dans le cadre de contrats à durée déterminée ou de contrats uniques d’insertion, les AESH ont des revenus plus que modestes et un statut particulièrement précaire. Au nombre de 28 000 en France, leur précarité a aussi des conséquences sur l’accompagnement des enfants en situation de handicap, dans la mesure où des contrats d’anciens AVS peuvent arriver à échéance en cours de vie scolaire.

Le Gouvernement a reconnu cette difficulté : en août 2013, le Premier ministre a annoncé la décision de reconnaître et de valoriser le métier d’auxiliaire de vie scolaire en offrant à ces agents une véritable perspective professionnelle. Ainsi, les 28 000 assistants d’éducation qui exercent ces missions d’accompagnement des élèves en situation de handicap pourraient se voir proposer un contrat à durée indéterminée au terme de leurs six ans d’exercice en contrat à durée déterminée. Le décret du 27 juin 2014 en était la traduction réglementaire.

Cependant, les remontées qui me parviennent du terrain montrent que le passage vers un contrat stable se révèle difficile. En effet, une partie des employés de vie scolaire, travaillant en soutien auprès des élèves en situation de handicap notamment, sont recrutés en contrat unique d’insertion. Ils sont soumis pour le renouvellement de leur contrat aux conditions d’éligibilité évaluées par Pôle emploi. Aussi ne bénéficient-ils pas du dispositif gouvernemental qui permet de sortir les auxiliaires de vie scolaire de la précarité par un contrat à durée indéterminée.

Je souhaite donc connaître les dispositions mises en œuvre pour renforcer, voire simplifier le processus de professionnalisation des AESH, ex-AVS, qui demandent – c’est bien légitime – une reconnaissance de leur compétence.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Madame la sénatrice, permettez-moi tout d’abord d’excuser Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Vous interpellez le Gouvernement au sujet d’une question tout à fait essentielle à l’échelon tant national que local, en évoquant le cas du département de la Seine-et-Marne, dont vous suivez très attentivement les dossiers et dont vous relayez régulièrement les attentes, les demandes et les besoins dans de nombreux domaines.

Au mois de décembre dernier, à l’occasion de son intervention dans le cadre de la conférence nationale du handicap, Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche a réaffirmé son attachement à la traduction concrète du principe de l’inclusion scolaire, inscrit dans la loi du 8 juillet 2013.

L’intégration de tous les élèves au sein de l’école de la République passe par le recrutement de personnels dédiés à l’accompagnement des enfants en situation de handicap. C’est pourquoi 41 000 postes d’accompagnants ont été créés à la rentrée de 2014, afin de permettre à 260 000 élèves environ d’être scolarisés en milieu ordinaire.

En outre, dans un souci de reconnaissance, que vous avez rappelé, madame la sénatrice, et qui est bien le moins, le Gouvernement a souhaité revaloriser cette fonction essentielle, en permettant aux accompagnants d’accéder à un contrat à durée indéterminée après six années de service en contrat à durée déterminée.

Dans le département de la Seine-et-Marne, 309 accompagnants des élèves en situation de handicap sont actuellement en poste. La totalité de ceux qui avaient cumulé six années consécutives de contrats à durée déterminée ont pu obtenir un contrat à durée indéterminée en 2014, soit 72 personnes.

Le recrutement de personnels supplémentaires par le biais de contrats aidés proposés par Pôle emploi trouve sa justification dans la consommation entière de la dotation de rentrée de 2014 en postes d’AESH par le département de la Seine-et-Marne. C’est alors la réglementation relative à ces contrats qui s’applique. Les candidats doivent répondre aux critères définis par la DIRECCTE, la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, et leur contrat ne peut être renouvelable que dans la limite de vingt-quatre mois.

Vous le voyez, la démarche de professionnalisation des AESH est bien engagée. Nous continuons d’agir pour permettre à chacune et à chacun de s’investir dans les meilleures conditions possible au service de notre école et de la réussite de tous les élèves. Dans cette action, nous prendrons pleinement en compte les remontées de terrain, comme vous venez de le faire, afin de répondre au mieux aux attentes et aux besoins.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse concrète et précise. Néanmoins, vous avez été parlementaire – vous le redeviendrez peut-être – et, à ce titre, vous savez que, entre l’annonce, la prise de décision et la concrétisation d’une mesure, il s’écoule un temps assez important. Cela provoque inévitablement chez ceux qui ont entendu les annonces de Mme la ministre et sont au courant de la parution du décret attente et, quelquefois, frustration. C’est l’un des problèmes auxquels nous nous heurtons.

J’ai bien conscience que le Gouvernement est attaché à aller vite, mais nous savons que la machine a ses inerties. Vous pouvez le constater dans l’exercice de vos fonctions.

J’ai noté les chiffres que vous m’avez communiqués, mais je remarque qu’il reste un delta important. C’est pourquoi, comme vous m’y invitez, je continuerai à être attentive à ce qui se passe concrètement pour cette population.

renseignements économiques sur les entreprises françaises et exemple de chevilly-larue

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 996, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

Mme Catherine Procaccia. À la suite des révélations parues dans la presse sur l’implantation d’un centre d’écoutes à Chevilly-Larue, dans mon département du Val-de-Marne, j’appelle l’attention du Gouvernement sur l’espionnage économique des entreprises françaises et leur protection.

Une annexe de l’ambassade de la République populaire de Chine semble avoir accueilli et accueillir encore des activités illégales d’espionnage à l’encontre des intérêts économiques français et étrangers dans ce département de la petite couronne. La DGSI, la Direction générale de la sécurité intérieure, classe d’ailleurs l’Île-de-France comme la région la plus visée par ce type d’attaques. Celle-ci en concentrerait près de 20 % et 144 cas d’ingérence y auraient été mis au jour en 2013.

Je souhaite connaître le nombre de cas d’attaque ou d’espionnage économique constatés sur l’ensemble de notre territoire, en particulier en Île-de-France, notamment en 2013 et 2014. J’aimerais surtout savoir si les services de l’État dans mon département du Val-de-Marne sont suffisamment équipés pour déceler ce type d’espionnage. Quels moyens ont-ils à leur disposition pour assurer la protection des entreprises françaises ? Quels sont ceux qui ont été mis en place par les institutions publiques ? Enfin, je voudrais connaître les sanctions qui existent pour permettre des interventions dans l’urgence afin de brouiller et de démanteler ces antennes.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Madame la sénatrice, je vous prie avant toute chose de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur.

L’ambassade de la République populaire de Chine dispose d’un centre technique implanté sur le territoire de la commune de Chevilly-Larue. À ce jour, la destination exacte de ces locaux bénéficiant du statut diplomatique n’est pas précisément connue et la présence de matériel technique offensif n’a pas été établie.

En tout état de cause et quel que pourrait être l’usage de ces locaux, le panel des sanctions envisageables est particulièrement restreint. En effet, il s’agit de locaux diplomatiques. À ce titre, ils sont protégés par la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques. Par ailleurs, aucun élément ne permet d’affirmer que ces locaux participent à des opérations ou programmes de captations de données à caractère économique.

En matière d’ingérence économique, l’Île-de-France, première région économique française, est, à l’instar d’autres régions industrielles conjuguant activités de recherche, industries de pointe et pépites technologiques, particulièrement touchée par les tentatives de prédation et de captation engagées par nos concurrents étrangers, qu’ils soient étatiques ou privés. Elle figure structurellement parmi les régions françaises les plus ciblées par ce type d’action.

De l’analyse des cas d’ingérence recensés en 2014, il ressort que l’Île-de-France concentre plus de 20 % des atteintes ou mises en danger constatées visant notre potentiel économique national. Essentiellement fondé sur les informations recueillies par la DGSI auprès des acteurs économiques franciliens, ce bilan n’a cependant aucune vocation à l’exhaustivité. Il reflète en revanche, en vision dynamique, des tendances qui prennent tout leur sens sur le moyen terme. Ainsi, la progression constatée en 2014 par rapport aux chiffres de 2013 peut être liée à des considérations conjoncturelles et appelle une attention accrue.

Investie d’une mission de sécurité économique, la DGSI est un acteur central de la politique publique d’intelligence économique, dont les grandes lignes sont définies sur le plan national par la délégation interministérielle à l’intelligence économique, animée par les préfets de région, sous l’autorité du ministre de l’intérieur.

En Île-de-France, cette politique publique est une préoccupation majeure des services de l’État, qui sont mobilisés pour la sauvegarde de nos intérêts économiques. Les moyens mis en œuvre par la DGSI sur l’ensemble des départements de la région d’Île-de-France ont vocation à répondre aux impératifs liés à l’action de prévention et de sensibilisation, action qui constitue le cœur de métier de cette direction.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Dans la mesure où ce centre technique est une annexe diplomatique de la République populaire de Chine, je comprends bien que la France ne puisse rien faire. Toutefois, si de nombreux articles de presse ont signalé qu’il s’agissait d’un centre d’espionnage, ce n’est pas sans raison ! Je présume d’ailleurs que d’autres États font la même chose. Notre collègue Hervé Marseille a ainsi appelé mon attention sur la société Gemalto, située à Meudon, qui élabore des puces pour les passeports et qui – ce fait est avéré – a été espionnée par la NSA.

Il est tout de même assez désespérant de constater que des actions d’espionnage sont menées et que l’on ne fait rien ! À Chevilly-Larue, plusieurs antennes ont été posées sur le toit du centre technique ; l’une d’entre elles mesure cinq mètres de haut ! La mairie n’a pas été informée. L’annexe d’une ambassade peut-elle installer tout ce qu’elle veut sur ses toits en dehors de toute autorisation ?

Je connais l’action de prévention que mène la DGSI, en particulier auprès des petites entreprises et notamment dans mon département. Cependant, au regard des moyens considérables dont disposent certains États – les deux que j’ai mentionnés sont assez réputés pour leur action en matière d’espionnage économique –, la prévention ne suffit pas.

Monsieur le secrétaire d'État, vous qui êtes chargé du commerce extérieur, installer des antennes aux fins d’espionner nos entreprises ne relève-t-il pas d’une violation des conventions internationales ? Il semble que nous soyons pieds et mains liés avec cette notion de territorialité, ce que je déplore.

avenir des maternités en france

M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, auteur de la question n° 1000, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Corinne Imbert. Je souhaite appeler l’attention de Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sur l’avenir des maternités en France. Cette question orale, déposée voilà quelques semaines, vient en complément du débat sur la situation des maternités en France qui a lieu mercredi dernier dans cet hémicycle.

Depuis 1998, deux décrets visant à introduire des normes de sécurité plus strictes ont défini le maintien ou non d’une unité de maternité en fonction du nombre d’accouchements annuel. Si ce nombre est supérieur à 300, l’établissement reste ouvert. Cependant, par dérogation, certaines maternités peuvent rester ouvertes si elles n’atteignent pas le seuil précité. En effet, il est important que la distance entre le lieu de résidence des parents et la maternité reste raisonnable. À ce jour, 13 établissements sont dans cette situation.

La question du maintien des maternités devient tout aussi délicate dès lors qu’il s’agit d’un établissement effectuant un nombre d’accouchements légèrement supérieur à ce seuil. Il est convenu d’appeler ces structures des « établissements à faible activité ». C’est le cas, par exemple, de l’unité située à Saint-Jean-d’Angély en Charente-Maritime, aujourd’hui indirectement menacée de fermeture. En effet, le maintien d’autres services hospitaliers est une condition invariable à la pérennité des maternités. Si l’unité de chirurgie de nuit venait à fermer ses portes, cela condamnerait de fait la maternité.

Un problème d’équilibre financier existe également : l’acte d’accouchement étant sous-financé, la nécessité du maintien de ces structures se trouve posée. Compte tenu de l’état des finances publiques, on peut difficilement espérer de « meilleurs jours » en la matière et les politiques de rationalisation des budgets de fonctionnement des hôpitaux sont légitimes.

Enfin, la question essentielle de l’encadrement de la sécurité de la naissance, qui doit être une préoccupation prioritaire partagée par toutes et tous, se pose avec force.

Dans ce contexte, la Cour des comptes a publié un récent rapport, en décembre 2014, dans lequel l’institution fait état de son analyse des maternités en France, de leur fonctionnement et de leurs moyens. Ce rapport met en avant une couverture territoriale correcte, mais relève un mouvement de restructuration national inégalement traité et une réorganisation inaboutie. Il serait donc nécessaire que l’administration centrale diligente une étude analysant plus en profondeur les questions liées à la sécurité et au temps d’accès aux maternités. Il serait également souhaitable que les pouvoirs publics puissent donner une lecture claire en matière de politique liée à la durée du séjour des mères.

Souhaitant que le ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes puisse ouvrir le débat sur cette question sanitaire importante lors d’« états généraux » ou d’un moratoire national, serait-il possible d’étudier sérieusement la possibilité de geler toute fermeture de maternité en France en attendant l’examen par le Parlement du projet de loi relatif à la santé ? Cette demande ne concerne évidemment pas les établissements qui ne répondraient pas aux normes de sécurité requises.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, vous appelez l’attention de Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes sur l’avenir des maternités en France, en particulier sur celui de la maternité de Saint-Jean-d’Angély. Vous l’avez rappelé, cette question a fait l’objet d’un débat de qualité et d’un échange approfondi le 4 mars dernier dans cet hémicycle, dans le cadre d’une séance consacrée au récent rapport de la Cour des comptes sur les maternités.

Votre question donne l’occasion de réaffirmer quelques principes importants.

Il existe un seuil réglementaire fixé à 300 accouchements annuels, en dessous duquel une autorisation d’obstétrique ne peut être donnée ou renouvelée, sauf dérogation fondée sur les temps de trajet excessifs que l’absence d’une telle maternité peut provoquer pour une partie significative de la population. La ministre s’est exprimée à plusieurs reprises devant cette assemblée pour rappeler son attachement à la préservation de l’offre obstétricale de proximité tant que cette dernière satisfait aux critères de qualité et de sécurité que nous devons à nos concitoyens.

Pour les établissements les plus isolés, la ministre a mis en place un financement complémentaire « activités isolées » visant à compenser l’impact de la tarification à l’activité, compte tenu du niveau nécessairement plus faible de l’activité de tels établissements. La question du maintien des maternités à faible activité n’appelle donc pas de réponse uniforme. Chaque situation doit être traitée au cas par cas par les agences régionales de santé en liaison avec les établissements et les professionnels concernés. Leur analyse doit porter sur les temps d’accès, sur la qualité et la sécurité des soins offerts aux futures mamans et à leurs bébés, sur la démographie des professionnels, notamment des gynécologues-obstétriciens, des anesthésistes et des pédiatres.

La protection maternelle et infantile, qui est gérée par les conseils généraux, est intégrée dans le parcours de santé en périnatalité. Je veux saluer son rôle important. Mais, pour faire face au retour à domicile que vous évoquez, de nouveaux dispositifs se développent, tel le programme d’accompagnement au retour à domicile, dit PRADO, qui intervient après l’accouchement et qui est géré par l’assurance maladie. Le suivi des jeunes mamans et de leur enfant par une sage-femme libérale à la sortie de la maternité permet ainsi d’accompagner le retour à domicile au plus près de la réalité que constitue l’arrivée d’un nouveau-né dans le foyer.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert.

Mme Corinne Imbert. Je vous remercie de cette réponse, monsieur le secrétaire d’État.

Ce qui nous désole, c’est que la maternité de Saint-Jean-d’Angély dispose d’une équipe soignante complète, dans un secteur rural qui n’est pas le plus favorisé de notre beau département.

J’entends bien ce que vous dites à propos du PRADO, mais ce dispositif n’est pas développé sur l’ensemble du territoire national. Or c’est souvent là où l’on parle de fermeture de maternités que le PRADO n’est pas déployé.

Quant à l’impact sur les services de la protection maternelle et infantile, je crains que le raccourcissement de la durée moyenne de séjour des jeunes mamans en maternité n’induise une surcharge de travail pour eux.

Je sais pouvoir compter sur vous pour appeler l’attention de votre collègue ministre de la santé sur des temps de trajet qui pourraient devenir excessifs si cette maternité venait à fermer. Il ne faudrait pas que cela provoque des accidents sanitaires et mette en péril la future maman ou son futur bébé.

La question des maternités dans notre pays mobilise toujours les populations et les élus. Sachez que je suivrai avec une attention toute particulière ce dossier.

menace de fermeture du centre municipal de santé de colombes

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la question n° 982, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je fais partie des signataires du pacte d’avenir des centres de santé, lancé il y a un an. Ces centres ont démontré leur efficacité tant sur le plan de l’accessibilité géographique qu’en matière sociale. Je souhaite donc à nouveau alerter sur la situation du centre municipal de santé de Colombes, que la nouvelle majorité de droite est en train de démanteler.

Les consultations de spécialistes – radiologues, dermatologues, rhumatologues, cardiologues, oto-rhino-laryngologistes – et des soins dentaires et infirmiers ont été supprimés. Les raisons invoquées sont d’ordre financier, justifiées notamment par la diminution des dotations de l’État aux collectivités territoriales. Or, en supprimant les actes liés à ces consultations, la municipalité ampute de fait le centre municipal de santé de ressources financières et l’asphyxie. L’inquiétude quant à sa disparition pure et simple est donc forte et légitime. Ce centre prend en charge plus de 6 000 patients, dont 4 000 Colombiens. Il représente une offre de santé de proximité irremplaçable dans un quartier défavorisé, délaissé par les médecins, et où les indicateurs de santé sont préoccupants par rapport à la moyenne départementale et nationale.

Quid de la continuité des soins, quand on sait que les hôpitaux proches, Max-Fourestier à Nanterre et Louis-Mourier à Colombes, vers lesquels vont se tourner les patients, subissent de plein fouet les réorganisations et restrictions engagées depuis la loi HPST, sur lesquelles l’actuel Gouvernement n’est pas revenu. Ces deux hôpitaux, pas plus que les médecins libéraux de ville, ne pourront dans ces conditions faire face à l’engorgement important qui va découler de la suppression de ces consultations de spécialistes.

Ces suppressions impactent aussi le fonctionnement du centre de planification et d’éducation familiale, installé au sein du centre municipal de santé. Ainsi, le CPEF ne peut plus assurer qu’une seule vacation de gynécologie. Plus aucune échographie ou prise de sang ne peut y être réalisée. Il faut aussi compter avec une réduction drastique des postes d’infirmières et des vacations des conseillères conjugales et familiales. Bref, la pérennité du CPEF et de ses missions, qui, grâce à cette organisation, assurait notamment l’ensemble des procédures préalables à la réalisation d’une IVG, est aussi en jeu. Des conséquences désastreuses pour la santé des populations les plus fragiles sont à craindre.

Au niveau national, les négociations engagées avec l’Union nationale des caisses d’assurance maladie, portant notamment sur de nouvelles modalités de financement des centres de santé, devraient reprendre ce mois-ci. Mais, de manière plus urgente, la situation du centre de santé de Colombes requiert une mobilisation du ministère des affaires sociales et de la santé auprès de la municipalité. Tel est l’objet de ma demande.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, vous faites part de vos inquiétudes concernant l’avenir du centre municipal de santé de la ville de Colombes à la suite de la décision de la nouvelle équipe municipale de mettre un terme aux activités de médecins spécialistes à partir du 5 janvier 2015.

Ces dernières années, la ville de Colombes s’était considérablement engagée en matière de santé. Marisol Touraine y était d’ailleurs venue inaugurer en janvier 2013 le nouvel Espace santé jeunes. C’est dans le cadre de cet engagement municipal que le centre municipal de santé a renforcé l’accès aux soins des Colombiens, notamment des habitants du quartier du Petit-Colombes. Cette structure a su se développer en partenariat avec l’hôpital Louis-Mourier. Plusieurs investissements y ont été réalisés ces dernières années, notamment en échographie et en radiologie numérique. Aussi la décision de la mairie de mettre un terme aux activités des médecins spécialistes de cette structure est-elle difficilement compréhensible.

Ces activités apportent une réponse de proximité à de nombreux foyers en situation de précarité et procurent aussi des ressources financières essentielles à la pérennité de cette structure. En effet, c’est bien la pluralité des professionnels de santé qui le composent qui a permis au centre municipal de santé de bénéficier de la rémunération de l’équipe pluri-professionnelle que la ministre a instituée. Plusieurs centaines de structures pilotes, dont le centre municipal de santé de Colombes, ont ainsi pu bénéficier d’une rémunération expérimentale dont Marisol Touraine vient de décider la généralisation. Dans le cas où la mairie déciderait de limiter son activité aux médecins, le centre municipal de santé perdrait alors cette ressource.

Face à cette situation et aux inquiétudes légitimes des professionnels, des patients et des élus, la ministre a demandé à l’Agence régionale de santé d’Île-de-France de proposer une réunion de travail à l’équipe municipale. Le plan d’action, élaboré par un intervenant mandaté par l’Agence régionale de santé, présente des perspectives particulièrement intéressantes pour garantir la viabilité et la pérennité économiques du centre municipal de santé.

La ministre tient à vous faire savoir qu’elle restera attentive aux suites qui seront données à ce dossier afin que l’accès aux soins des habitants de Colombes puisse être garanti.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.

La raison invoquée pour supprimer les consultations des spécialistes de ce centre est d’ordre financier. Or il semblerait que la municipalité s’apprête à recruter des généralistes pour un coût équivalent. L’argument financier ne tient donc absolument pas.

Au-delà du coût, il semble que le débat porte davantage sur l’orientation et la gestion du centre. Or tout cela se déroule dans la plus grande opacité. C’est inacceptable !

Si l’on considère que les centres de santé font partie intégrante de l’offre de soins ambulatoires, comme le conclut le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2013, il convient de leur assurer une véritable pérennité plutôt que de laisser leur devenir à l’appréciation des municipalités qui en ont la gestion.

C’est le mode actuel de financement des centres de santé qui est sur la table. Des négociations sont en cours ; je souhaite vraiment qu’elles aboutissent, parce que ces centres représentent une offre de proximité pour des populations très défavorisées qui ne peuvent pas accéder à d’autres offres de soins.

Je veux ici insister sur le rôle d’incitateur que l’État peut jouer dans la mobilisation des financements des agences régionales de santé.

diplômes demandés aux moniteurs-guides de pêche

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, auteur de la question n° 959, adressée à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite vous interroger sur les difficultés que rencontrent actuellement les moniteurs-guides de pêche concernant leur formation.

Le métier de moniteur-guide de pêche est une profession structurée, avec ses lignes de conduite et ses techniques de fonctionnement qui, depuis plus de quinze ans, a sa propre organisation. Pour pouvoir exercer, il faut être titulaire d’un brevet professionnel de moniteur-guide de pêche de loisir, délivré conjointement par le ministère de la jeunesse et des sports et celui de l’agriculture, ou d’un certificat de spécialisation d’initiative locale. Cette formation se déroule en moyenne sur une année, ce qui permet une réelle professionnalisation des personnes, particulièrement aptes à accompagner le public dans sa pratique de la pêche.

Cependant, depuis 2006, les professionnels de ce secteur sont maintenus dans un grand flou quant à leur formation. En effet, dans le souci de consolider les compétences du titulaire de ce diplôme, notamment en milieu maritime, une unité capitalisable complémentaire, intitulée « pêche de loisir en milieu maritime », a été créée par arrêté du 16 janvier 2006. Il a alors été évoqué la nécessité pour les professionnels titulaires de ce diplôme d’obtenir le diplôme de la marine marchande nommé « capitaine 200 », délivré par le ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement et la direction des affaires maritimes, qui permet le commandement des navires de moins de vingt-quatre mètres environ, naviguant à moins de 20 milles des côtes.

Après de nombreux mois d’interrogations et de doutes pour les professionnels, il semble que ce diplôme ne soit pas nécessaire aux éducateurs sportifs relevant du champ du ministère chargé des sports pour exercer leur activité. On parle cependant aujourd’hui de la nécessité d’obtenir un permis de « capitaine 200 » restreint. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point quelque peu complexe et clarifier la situation ?

Par ailleurs, il apparaît que la fédération française de pêche en mer offrirait la possibilité de passer le diplôme « pêche de loisir » après seulement quelques jours d’enseignement, ce qui permet d’encadrer les publics formés dans l’activité de la pêche sans payer les charges dont s’acquittent les titulaires du brevet professionnel de moniteur-guide de pêche. La différence de prérogatives offerte à chacun des titulaires de cette formation est particulièrement opaque, ce qui offre la possibilité à des titulaires du diplôme « pêche de loisir » de proposer les mêmes prestations que les moniteurs-guides de pêche. Cela crée une concurrence particulièrement dommageable aux moniteurs-guides de pêche, ces derniers vivant très difficilement cette situation.

Des réunions interministérielles avec la profession ont eu lieu sur ce sujet voilà quelques semaines. Pouvez-vous m’indiquer où en sont les discussions avec les moniteurs-guides de pêche ? Il serait particulièrement bénéfique à leur profession que la situation soit enfin stabilisée et éclaircie.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur différents diplômes se rattachant à certaines activités de pêche de loisir en mer. Ces diplômes relèvent du ministre chargé des sports. Ils concernent l’encadrement de la formation à la pêche de loisir à des fins sportives, en compétition. Toutefois, votre question renvoie à une problématique plus générale concernant des prestations liées à la pêche de loisir en mer.

Il convient de distinguer deux types d’activités dans le domaine de la pêche de loisir en milieu maritime.

L’activité d’encadrement et de formation à la pêche dite « sportive » consiste à proposer une formation et des cycles d’apprentissage permettant une progression technique jusqu’à un premier niveau de compétition. Elle se pratique à bord d’un navire de formation dont les caractéristiques techniques sont définies par un décret élaboré par mes services. La certification requise pour le moniteur, quant à elle, est régie par une réglementation élaborée par le ministre chargé des sports. L’exigence d’une qualification professionnelle reconnue du brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport pour exercer la profession d’éducateur sportif est incontournable. En effet, l’encadrement et la surveillance de ces activités sont soumis à des exigences précises en matière de qualification.

Par ailleurs, l’activité de découverte de la pêche de loisir ou la simple mise à disposition de matériel de pêche, organisée pour des passagers payants, est une activité commerciale. Le navire est considéré comme navire de plaisance à utilisation commerciale et doit, à ce titre, être conforme à des exigences techniques et de sécurité propres. L’équipage doit, quant à lui, être inscrit sur un rôle d’équipage et disposer des titres professionnels maritimes adéquats, tels que le brevet de « capitaine 200 » pour le chef de bord.

De nombreux professionnels proposant des activités similaires sont déjà astreints à ces mêmes règles encadrant les activités commerciales en mer. Les services de l’État doivent veiller à l’égalité de traitement des opérateurs et ne pas favoriser le développement de situations de concurrence déloyale susceptibles de s’exercer au détriment de la sécurité des clients.

Un travail est en cours entre mes services et ceux du ministère chargé des sports afin, d’une part, que les règles applicables à ces activités fassent l’objet d’une clarification auprès des moniteurs-guides de pêche et, d’autre part, que soit étudiée la possibilité d’intégrer les modules de formation du « capitaine 200 » au référentiel de formation de ces moniteurs, afin d’alléger les obligations qui s’appliquent aux personnes qui exercent les deux activités.

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Sur ce sujet assez complexe, notamment sur le plan technique, j’ai écouté avec attention votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, et je la reçois de façon positive.

J’attends particulièrement les résultats du travail interministériel qui a été engagé sur le sujet. Il existe en effet, entre les uns et les autres, une forme de concurrence déloyale qui doit être absolument surmontée. Je souhaite que, dans des délais raisonnables – le plus tôt sera le mieux –, l’ensemble des professionnels concernés puissent être informés, peut-être par l’intermédiaire d’une circulaire qui permettrait de clarifier les règles.

modernisation de la ligne ferroviaire bordeaux-lyon

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach, auteur de la question n° 1009, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite appeler votre attention sur l’avenir de la ligne ferroviaire Bordeaux-Lyon via Périgueux, Limoges, Guéret et Montluçon, ligne classée « train d’équilibre du territoire » ou TET. Cheminots, élus et usagers sont fortement préoccupés au sujet de la pérennité de cet axe, caractérisé, ces dernières décennies, par l’insuffisance des investissements d’infrastructure pour moderniser ses nombreux kilomètres de voie unique.

Dès septembre 2005, les présidents de RFF et de la SNCF avaient remis les conclusions d’un audit sur l’état du réseau ferré national, qui faisait le constat d’un « vieillissement du réseau au cours des vingt dernières années ». Un plan de « régénération » des infrastructures pour 2006-2010 avait été présenté.

En mai 2006, le ministre des transports avait annoncé le maintien des liaisons nationales et un plan d’action afin de moderniser, renouveler et sécuriser le réseau ferré. À la suite du Grenelle de l’environnement, dont les conclusions avaient souligné les enjeux liés à la mise à niveau du réseau existant, l’effort engagé dans le cadre du plan de rénovation devait être renforcé pour accélérer le rattrapage du retard. Cet effort a été notoirement et dramatiquement insuffisant.

Au printemps 2008, le secrétaire d’État chargé des transports avait déclaré que la ligne ferroviaire Bordeaux-Lyon via Limoges, Guéret et Montluçon faisait l’objet d’aménagements inscrits au contrat de projets État-région 2007-2013. Ces aménagements devaient permettre des gains de vitesse et de régularité sur des distances limitées, mais constituaient autant d’étapes d’une modernisation plus globale. Le secrétaire d’État affirmait que cet axe ferroviaire très structurant revêtait une « importance pour l’aménagement du territoire qui ne saurait être niée ».

Depuis décembre 2012, soit vingt-six mois à présent, l’aller et retour quotidien entre Bordeaux et Lyon est interrompu en raison de travaux. Aussi, je vous demande de m’indiquer à quelle échéance ces liaisons journalières seront rétablies et donc d’apaiser définitivement les inquiétudes concernant l’avenir de cette liaison ferroviaire d’équilibre du territoire Bordeaux-Lyon via Guéret et Montluçon, particulièrement les craintes relatives à une possible rétrogradation en segmentations à vocation infrarégionale, qui remettrait gravement en cause l’indispensable caractère national de cet axe. Enfin, je vous demande s’il est possible de faire le point sur le financement de sa modernisation, ainsi que sur celui du matériel roulant.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, la desserte ferroviaire Bordeaux-Lyon via Périgueux, Limoges, Guéret et Montluçon fait partie du périmètre des trains d’équilibre du territoire, dont l’État est autorité organisatrice.

Jusqu’en 2012, cette desserte, qui relie trois grandes agglomérations régionales et les territoires du Massif central, était composée d’un aller-retour quotidien. Par la location de matériels automoteurs TER, les régions participaient à la mise en œuvre de cette desserte de longue distance.

Depuis 2013, du fait des indispensables travaux de rénovation de l’infrastructure entre Limoges et Clermont-Ferrand, cette desserte est limitée à la section Bordeaux-Limoges. Une substitution routière a été mise en place entre Limoges et Lyon. Ces travaux sont en effet principalement effectués sous fermeture temporaire de la ligne, visant une optimisation en termes de coûts, de délais et de compétences spécialisées, dans un contexte de tension au niveau de l’ensemble du réseau national.

Ces efforts de pérennisation de l’infrastructure ont déjà permis de renouveler cinquante kilomètres de voie entre Lavaufranche dans la Creuse et Gannat dans l’Allier, de sécuriser une trentaine de tranchées rocheuses ou encore de remplacer 11 000 traverses entre Saint-Sulpice-Laurière et Montluçon. Ces travaux se poursuivent pour sécuriser les tunnels, notamment au nord de Limoges, et se prolongeront au cours des années à venir.

Les réflexions concernant la desserte Bordeaux-Lyon sont indissociables de celles qui concernent l’ensemble des trains d’équilibre du territoire.

À la fin de novembre 2014, j’ai annoncé le lancement d’un chantier important, celui de la clarification de l’offre des trains d’équilibre du territoire, afin d’améliorer la qualité du service pour les usagers, dans un contexte de contrainte budgétaire. J’ai confié à Philippe Duron la présidence d’une commission chargée de proposer un avenir pour ces trains, en définissant mieux leur articulation avec les TGV et les TER. Cette commission traitera non seulement des dessertes, mais aussi des enjeux de matériel roulant. Il s’agit bien de mener une réflexion approfondie sur le fondement de données objectives prenant en compte les besoins de transport des voyageurs et le souci d’aménagement du territoire.

J’ai voulu que cette commission mène une large concertation avec les parties intéressées. Son rapport, attendu d’ici à la fin du mois de mai, fera l’objet d’une présentation aux commissions compétentes du Parlement, préalablement aux décisions du Gouvernement. La convention entre l’État et la SNCF régissant le fonctionnement de ces trains sera revue à la lumière des conclusions de cette commission sous la forme d’un nouveau document. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé que la convention en vigueur en 2014, qui arrivait à échéance à la fin de l’année en question, ne soit reconduite que pour un an.

Je souhaite donc que les décisions gouvernementales interviennent dès 2015, pour que des évolutions concernant les TET soient visibles dès 2016.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.

M. Jean-Jacques Lozach. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État.

J’ai compris qu’une clarification interviendrait prochainement quant à l’avenir de ces lignes d’équilibre du territoire. Il m’apparaît toutefois indispensable de rassurer la population concernée directement par cet axe ferroviaire Bordeaux-Guéret-Lyon.

Déjà, avant le début de ces travaux de 2012, les liaisons quotidiennes avaient été drastiquement réduites sur cet axe, sur le devenir duquel nous sommes particulièrement vigilants. Il s’agit bien évidemment d’un axe majeur pour les villes se situant aux deux extrémités de la ligne, qui sont devenues des métropoles au sens de la loi de janvier 2014, Bordeaux d’un côté, Lyon de l’autre. Mais il s’agit surtout d’une desserte fondamentale pour tous les territoires traversés et toutes les gares intermédiaires, en particulier pour tout un ensemble de territoires ruraux – avant la mise en œuvre de la réforme territoriale, quatre régions sont concernées par cet axe.

Il serait bien évidemment souhaitable, notamment en termes d’aménagement du territoire, que cette liaison transversale, la seule de tout le nord du Massif central, ne soit pas délaissée.

sort du cargo roulier cosette

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, auteur de la question n° 975, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Mme Aline Archimbaud. Alors que le cargo roulier Cosette se rendait à Haïti à la suite du séisme de janvier 2010, il a été bloqué à Fort-de-France lors de son escale, après une procédure intentée par deux créanciers américains du bateau. L’État tout comme le Grand Port de Martinique n’ont eu d’autre choix que de garder le navire à quai, tout en cherchant à le faire récupérer, mais en vain.

En 2012, l’État a changé de stratégie et lancé une procédure de déchéance de propriété, condition obligatoire pour pouvoir intervenir. Cette procédure a pris beaucoup de temps, pour n’aboutir que le 1er novembre 2014, à un moment où l’état de l’épave était devenu très inquiétant. Quelques jours plus tard, le 4 novembre, faisant suite à l’aggravation des infiltrations d’eau constatées sur le Cosette, le préfet a pris la décision de faire couler le cargo au large de la côte Caraïbe, alors qu’il était annoncé, la veille encore, la volonté de convoyer le bateau jusqu’en métropole pour qu’il y soit déconstruit.

L’expert maritime, mandaté par le Grand Port pour contrôler l’état de dépollution du navire, a affirmé avec certitude « qu’il n’y avait plus rien de nocif sur ce bateau ». Cependant, de nombreuses associations et des élus locaux s’inquiètent. Les marins pêcheurs du nord de la région Caraïbe, déjà très impactés par le drame du chlordécone, sont également très préoccupés et affirment que, là aussi, les conséquences négatives de cette décision pourraient se manifester à long terme : pollution, dégâts dans la biodiversité de la faune et de la flore...

Le Gouvernement peut-il prescrire une enquête indépendante pour que la lumière soit faite sur le sujet ? Pour éviter que ce genre de problème ne se reproduise à l’avenir, quelles décisions pense-t-il prendre pour développer sans délai les capacités de démantèlement des bateaux de commerce, de pêche, de servitude et de plaisance hors d’usage sur les territoires de Martinique et de Guadeloupe et, plus généralement, de tous les véhicules, bâtiments résidentiels ou industriels hors d’usage, notamment après les épisodes cycloniques ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, vous avez interrogé Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Ne pouvant être présente, elle m’a chargé de vous répondre, et je vous prie de bien vouloir l’excuser.

Le Cosette est ce navire roulier dont l’armateur peu scrupuleux s’est débarrassé en 2010 dans un port français, en l’occurrence en Martinique. Les autorités françaises ont d’abord veillé à ce que son équipage reçoive les moyens de subsistance nécessaires et puisse regagner son pays lorsqu’il est apparu que l’armateur n’assumerait plus ses responsabilités.

Depuis 2010, les procédures ont été longues et les mises en demeure du propriétaire nombreuses. Une procédure de saisie-vente a été engagée par les créanciers du navire. Elle s’est soldée par un échec.

L’État a finalement prononcé la déchéance de propriété, ce qui a permis d’envisager des solutions pour le traitement du navire. Plusieurs solutions ont été sérieusement étudiées : la vente en vue d’une transformation, un éventuel démantèlement sur place, qui s’est avéré impossible, ou encore un remorquage vers la métropole en vue d’un démantèlement, qui était la solution préconisée. L’immersion du navire n’était qu’une hypothèse de dernier recours.

La dégradation de l’état du navire, qui menaçait de couler dans le port, a conduit le préfet à procéder à l’immersion du navire au large, dans les conditions prévues par les conventions internationales. C’est le cas de force majeure qui a prévalu. Ainsi, même si ce n’était pas la solution privilégiée par les services de l’État, le Cosette a dû être immergé à 2 700 mètres de fond, à 14 milles nautiques de la Martinique, soit plus de 25 kilomètres des côtes.

Cette solution de dernier recours ne saurait être généralisée. La justice a été saisie par diverses associations et se prononcera donc sur ce dossier.

Avant cela, le Cosette, qui avait une activité marchande classique et ne transportait plus de déchets toxiques depuis 1988, a été débarrassé de son carburant, de ses huiles et de ses batteries, qui sont les polluants les plus importants. En outre, il n’y avait plus aucune cargaison à bord. Ces deux points sont attestés par l’expert indépendant missionné par le Grand Port maritime de la Martinique, dans un rapport que le préfet de la Martinique, dans un souci de transparence, a mis en consultation publique.

Enfin, afin de protéger les mammifères marins de l’aire Agoa, des mesures d’effarouchement ont été prises avant de procéder à l’immersion.

Sachez que Mme Ségolène Royal et moi-même partageons votre préoccupation de créer une filière de démantèlement aux Antilles françaises, et nous serons attentifs aux initiatives qui se feront jour.

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de cette réponse précise.

J’ai bien entendu qu’une expertise indépendante a indiqué qu’il n’y avait plus de déchets toxiques à bord et que l’État était dans une situation d’urgence. J’ai également entendu que le Gouvernement était favorable à la création d’une filière de déconstruction sur place.

La création de cette filière me paraît particulièrement importante dans ces territoires très éloignés de la métropole. Outre le démantèlement des bateaux et d’autres véhicules, elle permettrait de traiter les déchets en général, ce qui serait bénéfique à la protection de l’environnement et favoriserait la création d’emplois sur place. Il serait donc intéressant de voir avec les partenaires économiques et sociaux ainsi qu’avec les élus locaux comment une telle filière pourrait être mise en œuvre, d’autant qu’il est très probable que la question se repose à nouveau. Nous devons donc anticiper si nous ne voulons pas avoir à résoudre les problèmes dans l’urgence.

M. le président. Cette question m’a fait penser au sort de la Calypso

dispositions relatives aux outre-mer du futur projet de loi relatif au code minier

M. le président. La parole est à M. Georges Patient, auteur de la question n° 1006, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

M. Georges Patient. En juillet 2012, le Gouvernement a lancé officiellement la réforme du code minier visant à mettre celui-ci en conformité avec l’ensemble des principes constitutionnels de la Charte de l’environnement. Sous la direction du conseiller d’État Thierry Tuot, un groupe de travail informel a été mis en place, dont j’ai été membre au titre du collège des élus, en ma qualité de sénateur ultramarin.

La prise en considération des outre-mer devait être l’un des objets principaux de la réforme. D’ailleurs, le premier compte rendu du groupe de travail affirmait le caractère central de la question des outre-mer eu égard à leur important potentiel minier. Or le projet de réforme remis en décembre 2013 au ministère du redressement productif et à celui de l’écologie a fait l’impasse totale sur les outre-mer. Aucune information officielle n’a été transmise. Auditionné moi-même la semaine dernière par la mission en cours sur la fiscalité minière, je n’ai pas obtenu davantage d’informations.

En Guyane tout particulièrement, les interrogations sont donc nombreuses sur la politique minière de l’État, sujet très sensible quand on connaît les enjeux liés à ce secteur : qu’advient-il de la société publique minière de Guyane et de la compagnie nationale des mines, dont elle devait être une filiale ? Qu’en est-il de la révision du schéma départemental d’orientation minière demandée par l’ensemble des élus guyanais ? La demande de révision, qui était une proposition de la mission commune d’information du Sénat sur la situation des départements d’outre-mer en 2009, reprise par le Président Hollande, est tombée, me semble-t-il, en désuétude. Quid également des décisions concernant les sociétés Iamgold et Rexma ? De façon plus générale, existe-t-il une politique minière de l’État en Guyane ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, vous avez interrogé Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Ne pouvant être présente, elle m’a chargé de vous répondre, et je vous prie de bien vouloir l’excuser.

Le rapport remis par Thierry Tuot aux ministres concernés comprenant plus de 400 articles, il ne pouvait être traité rapidement, compte tenu de l’agenda parlementaire. Il a donc été décidé, par souci d’efficacité, de rédiger un projet de loi reprenant, dans un premier temps, les principales innovations proposées. Ce projet de loi, préparé conjointement avec M. Emmanuel Macron, le ministre chargé des mines, est articulé avec le code minier actuel, de façon à pouvoir entrer en vigueur dès sa promulgation, grâce à des décrets déjà existants, ce que n’aurait pas permis une recodification intégrale. Dans le cadre de cette réforme, je suis personnellement très sensible à une meilleure prise en compte des avis du public, afin qu’ils n’interviennent pas en fin de procédure, quand le projet ne peut plus être modifié.

Le projet de loi comprend une partie ultramarine, qui prévoira la possibilité d’explorer et d’exploiter des mines dans des conditions spécifiques. Il prévoit également d’habiliter le Gouvernement à procéder par ordonnances à l’articulation entre les nouvelles dispositions et les autres codes et à l’adaptation de dispositions, parfois très anciennes, aux nouvelles procédures instaurées par le projet de loi. Il est également prévu d’améliorer par ordonnance les procédures qui prendront en compte les spécificités ultramarines. L’objectif est que le projet de loi soit déposé au Parlement à l’automne 2015, après présentation en conseil des ministres.

Une concertation sur le projet de loi sera menée dans les prochains mois. Les participants aux travaux de M. Thierry Tuot seront bien entendu amenés à réagir. Mme Ségolène Royal sera à l’écoute des commentaires et des propositions dont les élus des régions ultramarines voudront bien lui faire part compte tenu de la sensibilité que revêt dans ces régions l’exploitation minière, et plus particulièrement en Guyane.

M. le président. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie quant à la précision des informations que vous m’avez apportées concernant la réforme du code minier. Néanmoins, j’aimerais insister sur le caractère vital pour la Guyane de l’exploitation de ses ressources naturelles.

Les attentes sont d’autant plus importantes en Guyane que le potentiel minier est réel et important. En effet, la Guyane est le département français, avec la Nouvelle-Calédonie, qui concentre les plus importantes richesses minières. On y trouve non seulement de l’or, mais aussi d’autres minerais, du pétrole, des terres rares, tout en sachant qu’il reste encore beaucoup à découvrir.

La question de l’exploitation de ces richesses minières et de leur retombée est donc capitale pour un département qui a un produit intérieur brut inférieur à 50 % de la moyenne métropolitaine avec un taux de chômage qui avoisine les 30 % et supérieur à 50 % si l’on ne prend en compte que les jeunes. Or force est de constater que ce développement est freiné non seulement par l’absence d’une réelle volonté politique minière de l’État, qui a du mal à assurer ses missions régaliennes de sécurité, afin d’éradiquer l’orpaillage clandestin, véritable fléau, mais aussi par une absence de décision dans bon nombre de domaines. Je veux parler des sociétés Iamgold et Rexma, de l’installation des orpailleurs légaux à la place des orpailleurs illégaux demandée à maintes reprises par les professionnels du secteur aurifère, ainsi que de tous les autres dossiers en attente d’autorisation. À tel point que d’aucuns n’hésitent pas à parler de « mise sous cloche volontaire de la Guyane », tandis que nos voisins, le Suriname et le Guyana, font de l’exploitation de leurs ressources naturelles le levier principal de leur développement économique.

Monsieur le secrétaire d’État, j’y insiste : il faut que, dans des délais brefs, une véritable collaboration s’instaure entre l’État, les élus et les acteurs professionnels de la filière.

contournement est de rouen

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la question n° 1002, transmise à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Thierry Foucaud. Monsieur le secrétaire d’État, par un courrier daté du 7 janvier 2015 cosigné par vous-même et par Mme la ministre de l’écologie, vous avez informé le préfet de la région de Haute-Normandie de l’accord du Gouvernement pour la poursuite du projet de contournement Est de Rouen, qui doit relier l’A28 à l’A13 et inclure un « barreau » de raccordement vers Rouen.

Vous évoquez, dans cette correspondance, un consensus unanime ou largement partagé autour de ce projet. Il s’agit là d’une première contre-vérité puisque, localement, là où il concerne les populations, il est largement contesté en l’état, ce que je n’ai pas manqué de faire savoir à plusieurs reprises à Mme la ministre. Une douzaine d’associations se sont ainsi prononcées contre ce projet. Des élus locaux de Seine-Maritime et de l’Eure, de toutes sensibilités politiques, de concert avec les administrés qu’ils ont pour charge de représenter, expriment également leur refus catégorique de voir aboutir ce projet et leur détermination à s’y opposer. Un collectif s’est constitué, qui regroupe une quinzaine de communes, représentant 70 000 habitants directement impactés par ce tracé de contournement et farouchement opposés à sa mise en œuvre. Les motifs d’opposition sont divers et fondés.

Il paraît inconcevable de faire l’impasse sur les questions d’environnement, de sécurité des usagers, de santé, de cadre de vie et de modes de déplacement futurs. Ce projet est totalement contraire aux engagements du Grenelle de l’environnement, en encourageant le développement du « tout-camion », alors que des choix de transports par rail ou par voie fluviale devraient être une priorité. Ce projet porte également atteinte à l’économie et à l’emploi en menaçant de détruire, s’il est mené à son terme, une zone foncière de 400 hectares, ainsi qu’une zone d’activité économique où sont employés plusieurs centaines de salariés.

Le coût global du nouveau tronçon, qui doit s’étendre sur quarante et un kilomètres et faire l’objet d’une concession à péage, est évalué à 1 milliard d’euros. Or, à ce stade, rien n’a été dit sur le bouclage du financement de cette infrastructure. Cela signifie donc que l’État et plus certainement les collectivités locales devront encore débourser des millions chaque année pour en financer non seulement l’investissement premier, mais aussi le fonctionnement. Je note également qu’aucun crédit n’est prévu pour ce projet dans le contrat de plan État-région, ni dans le contrat de plan interrégional ou dans la programmation pluriannuelle d’investissement de la métropole Rouen Normandie.

Un simulacre – le mot est peut-être un peu fort – de concertation a été organisé : beaucoup de choses ont été dites, mais rien n’a été entendu. J’attends d’ailleurs toujours une réponse de Mme la ministre à notre demande d’audience pour exposer notre point de vue.

Compte tenu de tous ces éléments et dans un souci de démocratie, envisagez-vous d’écouter la voix des populations et des élus de terrain et de renoncer à ce projet, lequel constitue, à notre avis, un non-sens économique et écologique ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur le projet de contournement Est de Rouen.

Vos critiques portent d’abord sur la concertation locale qui a été engagée. Je souhaite rappeler ici les grandes étapes de ce projet.

Un grand débat public, qui s’est tenu en 2005, a conclu à l’opportunité de l’aménagement. De riches et longs débats ont suivi pour dégager le meilleur tracé en tenant compte de tous les points de vue exprimés et en respectant le critère essentiel de l’environnement et de la protection des espèces protégées.

Le travail exemplaire des services de l’État, en lien avec les collectivités, qui, dans leur très grande majorité, sont fortement attachées à ce projet, a permis de retenir la variante à même de satisfaire les contraintes environnementales et de remplir au mieux les objectifs assignés à l’ouvrage.

Saisie de nouveau en 2013, la Commission nationale du débat public a recommandé de mener une concertation avec le public, qui a eu lieu du 2 juin au 12 juillet 2014. Cette concertation a donné lieu à l’organisation de neuf réunions publiques, suscité un vif intérêt et permis à nos concitoyens de s’exprimer librement sur tous les sujets sous l’égide d’un garant indépendant, comme il est de règle.

Contrairement à ce que vous avez affirmé, la concertation a consacré une place importante aux enjeux et objectifs de cette nouvelle infrastructure. Je souhaite en rappeler les principaux points.

La situation routière de l’agglomération de Rouen est très dégradée. La congestion et la pollution qu’elle engendre sont néfastes pour la qualité de vie de ses habitants et son développement économique. L’un des objectifs du projet est d’écarter les flux de poids lourds, en transit et en échange, du cœur de l’agglomération rouennaise et des pénétrantes routières qui y convergent. Le projet ne vise en aucun cas au développement du « tout-camion ». Il s’inscrit au contraire dans un schéma global de transports à l’échelle de la région, qui vise au développement du transport par rail via la modernisation de la ligne de fret entre Serqueux et Gisors et la ligne nouvelle Paris-Normandie ainsi qu’à l’amélioration des transports en commun urbains sur des axes libérés du trafic de transit.

Le Gouvernement est attentif à l’intégration de cette infrastructure routière dans un projet d’aménagement global, lui-même inscrit dans un projet de territoire qui stimule le développement économique d’une métropole de 500 000 habitants et accompagne l’évolution de l’un des grands ports maritimes de France, par ailleurs premier port céréalier d’Europe.

Je comprends toutefois que le projet suscite encore des observations liées à la traversée de certains secteurs. Le collectif que vous représentez m’a fait part de ses inquiétudes. Aussi le Gouvernement sera-t-il attentif à ce que la concertation avec tous les acteurs des territoires concernés, ainsi qu’avec les associations locales et environnementales se poursuive tout au long de l’avancement du projet. C’est là un engagement fort du Gouvernement. Des consignes très strictes ont été données au préfet de région en ce sens.

Une attention toute particulière sera portée à la rigueur, à la transparence et à la qualité des études préalables à la déclaration d’utilité publique, notamment en matière environnementale et d’insertion dans le milieu humain. L’enquête publique, prévue en 2016, sera l’occasion pour toutes les parties prenantes au projet de s’exprimer de nouveau.

S’agissant enfin du financement de ce projet, le principe retenu, présenté lors de la concertation, est celui d’une concession accompagnée d’une subvention d’équilibre. Comme il est de règle, cette subvention sera apportée par l’État et les collectivités volontaires.

Le résultat de l’appel d’offres viendra, en son temps, préciser les besoins et donc le montant de la subvention, ainsi que les modalités de financement de cette opération. Cette problématique, au regard des délais d’études et de procédures restant à mener, dépasse l’horizon des contrats de plan en cours de finalisation.

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Il y a un fossé entre ce qui se dit en bas et la réponse qui nous vient d’en haut. Le débat public de 2005 a bien eu lieu, mais il portait sur un tout autre tracé. Celui qui est retenu aujourd’hui ne convient pas aux élus, qui s’étaient prononcés pour un projet visant à décongestionner les réseaux de transport de l’agglomération rouennaise et à résoudre les problèmes de circulation. Nous ne sommes pas opposés à un contournement, nous sommes hostiles à ce tracé !

Vous avez parlé des espèces protégées, monsieur le secrétaire d’État. Croyez-vous que l’Europe participera au financement de ce projet au titre de Natura 2000 si le tracé passe sur les violettes de Rouen ? Nous avons pourtant proposé des solutions pour éviter de mettre en péril cette espèce protégée.

Si le public a pu s’exprimer librement lors de la concertation menée du 2 juin au 12 juillet derniers, ce n’est pas pour autant que son point de vue a été pris en compte. J’ajouterai que, dans la ville dont j’ai été le maire, le compte rendu des débats menés dans le cadre de la concertation fait apparaître un nombre de participants inférieur de soixante personnes à celui que j’avais fait constater par huissier…

Par ailleurs, je réitère la demande d’audience de cette population, de ces associations, qui veulent exposer leur point de vue à Mme la ministre. J’ai ici un document qui prouve le bien-fondé de notre démarche : ce projet va rayer de la carte certaines entreprises. Pas plus tard que la semaine dernière, par exemple, les représentants de l’usine de pointe – classée Seveso – Toyo Ink, sur laquelle passe le tracé retenu, ont demandé à rencontrer le préfet pour lui faire part de leurs inquiétudes. Ce dernier s’est contenté de répondre que l’on déplacerait un pont pour pouvoir passer à côté de cette usine…

Tout cela est petit, tout cela n’est pas assez pensé. Je crains pour l’avenir, car les populations sont déterminées à ne pas se laisser faire, à ne pas se laisser imposer de force un tracé dont elles ne veulent pas.

M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)

PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire
Discussion générale (suite)

Formation aux gestes de premiers secours et permis de conduire

Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire (proposition n° 620 [2013-2014], texte de la commission n° 312, rapport n° 311).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargée de la politique de la ville. Madame la présidente, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser l’absence de Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur.

La proposition de loi de M. Jean-Pierre Leleux et de plusieurs de ses collègues concerne tous nos concitoyens. Elle est au service d’un objectif que chacun dans cet hémicycle partage : sauver des vies. Alors que les derniers chiffres de la sécurité routière laissent craindre un relâchement des comportements, le Gouvernement est pleinement mobilisé pour atteindre l’objectif de diviser par deux le nombre de morts sur les routes d’ici à 2020.

Mais, ne l’oublions pas, les accidents de la route sont aussi à l’origine de blessés, comme le rappelle la dernière campagne de la sécurité routière. Développer la capacité de nos concitoyens à avoir les bons gestes pour protéger un blessé en cas d’accident et à alerter les secours est donc essentiel. Telle est la finalité, pleinement partagée par le Gouvernement, du présent texte.

Ce dernier s’inscrit dans le contexte de la réforme du permis de conduire annoncée par le Gouvernement au mois de juin dernier. À ce titre, il ne saurait avoir pour effet d’accroître le coût du permis de conduire ni d’en allonger les délais d’obtention.

Effectivement, vous le savez, le 13 juin 2014 – le lendemain même de l’adoption en première lecture par l’Assemblée nationale de cette proposition de loi –, le ministre de l’intérieur a fait part d’une réforme ambitieuse du permis de conduire voulue par le Président de la République. Celle-ci vise principalement à réduire les délais d’attente pour le passage de l’examen, ce qui est la meilleure façon de diminuer le coût de la formation.

Le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques tend à renforcer et pérenniser les premières mesures mises en œuvre depuis l’été dernier. Les députés l’ont complété de diverses mesures concernant la formation au permis de conduire, pour rendre cette dernière plus simple et moins onéreuse. La Haute Assemblée va examiner ce texte dans les prochaines semaines, et je ne doute pas que, sur point comme sur d’autres, elle aura à cœur de l’enrichir.

Rendre le permis plus simple et son obtention plus rapide n’était pas compatible avec l’instauration d’une troisième épreuve sanctionnant une formation aux premiers secours qu’avaient initialement envisagée les auteurs de la proposition de loi.

J’ajoute qu’il ne faut pas superposer les dispositifs : je le rappelle, depuis une décision du comité interministériel de la sécurité routière de 2006, les élèves de troisième reçoivent une formation aux premiers secours assurée par des organismes agréés et sanctionnée par la délivrance d’un certificat de compétence de prévention et secours civiques de niveau 1. Cette délivrance est en constante progression : en 2014, 33 % des élèves de collège se sont vus délivrer ce certificat contre 20 % en 2011, soit une augmentation de 5 % par an.

Cependant, cela n’est pas encore suffisant, ce qui démontre l’existence de difficultés qu’il faudra surmonter pour former l’ensemble d’une classe d’âge à des notions de secourisme.

Au cours des débats, le Gouvernement, comme plusieurs parlementaires, a également rappelé les réserves que suscitait la référence dans la loi à des gestes qui ne font pas consensus parmi les autorités médicales. Je me félicite de l’évolution du texte sur ces deux points, grâce au travail parlementaire.

En revanche, il est souhaitable de renforcer l’enseignement et l’évaluation de comportements simples : protéger les lieux, savoir alerter les secours, ne pas aggraver la situation d’un blessé et pratiquer des gestes de premiers secours si l’on en a la compétence.

À ce titre, le Gouvernement a déjà tenu ses engagements de développer et de renforcer cette thématique à un moment important de la vie des jeunes : le passage du permis de conduire. Cela se traduit d’ores et déjà dans le référentiel pour l’éducation à une mobilité citoyenne – il constitue le nouveau programme de formation à la conduite mis en œuvre depuis le 1er juillet 2014 – par de nouvelles compétences que le candidat devra acquérir dans le cadre de l’apprentissage à la conduite : comprendre en situation comment réagir face à un accident ; connaître les comportements à adopter à l’égard d’une victime d’accident ; prendre conscience de la nécessité d’assister les personnes en danger.

De même, les nouveaux livrets d’apprentissage qui sont entrés en vigueur le 1er juillet 2014 reprennent et déclinent ces compétences. Comme il s’y était engagé devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a pris le décret d’application de l’article 16 de la loi du 12 juin 2003 : désormais, tous les programmes d’apprentissage de la conduite et de la sécurité routière devront inclure une sensibilisation aux comportements à adopter en cas d’accident et aux premiers secours à apporter aux victimes.

Le Gouvernement a aussi souhaité compléter cette formation par une vérification de ces compétences lors de l’examen. Depuis l’année dernière, le nombre de questions en rapport avec les comportements en cas d’accident a augmenté sensiblement aux épreuves des attestations scolaires de sécurité routière – ASSR – au collège, mais aussi à celles de l’attestation de sécurité routière – ASR.

Les épreuves théorique et pratique du permis de conduire donneront lieu à des questions sur cette thématique des comportements à adopter en cas d’accident. Elles vont être réformées en conséquence.

Je peux ainsi vous annoncer que l’épreuve théorique générale, plus communément appelée le « code », comportera systématiquement, dès la fin de cette année, au moins une question sur ce thème. S’agissant de l’épreuve pratique, une rénovation des questions orales est envisagée. Une des questions techniques relatives au fonctionnement du véhicule posées lors de l’épreuve sera remplacée par une interrogation visant les comportements face à un accident.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer la persévérance des auteurs de cette proposition de loi, tout comme le travail constructif mené par les deux assemblées. Grâce à des débats fructueux, le texte est équilibré et cohérent, ce qui permet d’envisager aujourd’hui son adoption – définitive, je l’espère –, à laquelle le Gouvernement est favorable.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après l’adoption de ce texte le 12 juin 2014 par l’Assemblée nationale, le Sénat est appelé à se prononcer en deuxième lecture sur la proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire.

Déposé au Sénat le 13 février 2012 par Jean-Pierre Leleux et Jean-René Lecerf, le texte initial avait pour objet d’ajouter une troisième épreuve tendant à sanctionner la connaissance des gestes de premiers secours aux deux épreuves actuelles du permis de conduire que sont l’épreuve théorique et l’épreuve pratique.

En première lecture, la Haute Assemblée a conservé le principe d’une formation obligatoire aux premiers secours, mais l’épreuve supplémentaire a été supprimée : en effet, celle-ci aurait été très compliquée à mettre en œuvre. La proposition de loi initiale modifiée par le Sénat en première lecture n’a subi que des évolutions limitées à l’Assemblée nationale.

Ce texte part d’un constat partagé : nos concitoyens sont insuffisamment formés aux gestes de premiers secours. Ainsi, la Croix-Rouge estime que seulement 50 % de la population française est formée.

Pourtant, je le souligne, des dispositifs de formation obligatoire existent ; mais ils sont peu appliqués, comme je l’ai d’ailleurs régulièrement dénoncé. Ainsi, les articles L. 312-13-1 et L. 312-16 du code de l’éducation imposent depuis 2004 de former les élèves à l’attestation de prévention et secours civiques de niveau 1, ou PSC1. Toutefois, en pratique, 20 % seulement des élèves sont formés chaque année. Madame la secrétaire d’État, vous avez évoqué une progression annuelle de 5 % en la matière, mais convenez avec moi que c'est trop peu (Mme la secrétaire d’État opine) : cette formation devrait être mise en place depuis bien longtemps.

Or la faiblesse des connaissances en matière de gestes de premiers secours est particulièrement préjudiciable en cas d’accident de la route, dans la mesure où la moitié des victimes décèdent dans les premières minutes suivant l’accident et où les blessés peuvent être victimes de lésions irréversibles si aucune action n’est entreprise dans ce même laps de temps.

Ce constat prend un relief particulier aujourd’hui. En effet, selon les premières estimations de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, la mortalité routière est en hausse de 3,7 % en 2014 par rapport à l’année précédente.

En première lecture, le Sénat a supprimé le principe d’une épreuve spécifique prévu par la proposition de loi initiale, car instaurer une nouvelle épreuve aurait des conséquences financières non négligeables pour les candidats au permis de conduire. Effectivement, le coût d’une épreuve de formation aux premiers secours est de l’ordre de 50 à 60 euros, ce qui est très élevé pour des candidats qui acquittent déjà près de 1 500 euros pour passer le permis.

Je rappelle aussi que le permis de conduire est un passage obligé pour obtenir un emploi. Mettre en place une épreuve supplémentaire conduirait à allonger des délais qui sont déjà très longs. Enfin, avec près de 800 000 candidats au permis de conduire chaque année, une telle épreuve serait de fait impossible à organiser pour les formateurs. En outre, comment les candidats habitant en zone rurale, par exemple, se déplaceraient-ils pour aller suivre ces cours dans la ville voisine ?

En revanche, le Sénat a maintenu le principe d’une formation obligatoire aux premiers secours, mais à l’occasion des deux épreuves actuelles du permis de conduire – surtout de l’épreuve théorique –, dans la mesure où seule la pression d’un questionnement systématique forcera les élèves à apprendre ces notions.

J’observe qu’un appel d’offres a été lancé le 13 février dernier, afin de remplacer les questions de l’examen théorique du permis de conduire. Ainsi, alors que dans le système actuel il est très aléatoire d'être interrogé sur la formation aux premiers secours lors de cet examen, la nouvelle base de questions pourrait permettre qu’une ou plusieurs questions portent très probablement – voire systématiquement, comme vous venez de l’indiquer, madame la secrétaire d’État – sur les gestes de premiers secours, ce que je salue.

Il est essentiel, j’y insiste, qu’au moins une question relative aux gestes de premiers secours soit posée à l’occasion de l’examen théorique du permis de conduire. Sans cela, je maintiens que les candidats ne s’investiront pas dans la formation aux premiers secours.

Les modifications apportées par l’Assemblée nationale sont d’une ampleur très limitée et ne remettent pas en cause le texte adopté par le Sénat en première lecture. La référence aux accidents de la circulation dans l’obligation de formation aux premiers secours des candidats au permis de conduire a été supprimée. Par ailleurs, le terme « sanctionner » a été remplacé par le mot « évaluer ». Enfin, et ce à juste titre, l’obligation de sensibilisation prévue par l’article 16 de la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière a été supprimée.

En effet, la persistance d’une « sensibilisation » aux gestes de premiers secours, qui n’a d’ailleurs jamais été mise en œuvre, serait contradictoire avec l’obligation de formation aux premiers secours que le présent texte vise à instaurer.

En conclusion, le principe resterait donc celui d’une formation obligatoire à des gestes simples de premiers secours dont le contenu serait déterminé par décret. Les connaissances seraient évaluées dans le cadre des épreuves actuelles du permis de conduire, c’est-à-dire lors de l’épreuve théorique aussi bien que de l’épreuve pratique. Je prends note de l’engagement pris aujourd’hui par le Gouvernement de prévoir une évaluation de la formation aux gestes de premiers secours à ces deux occasions. Nous serons très vigilants s’agissant de sa mise en œuvre effective.

Aux termes des travaux des deux assemblées, la commission des lois a considéré que le texte, tel qu’il résulte de la navette, respecte le principe d’une formation obligatoire aux gestes de premiers secours, sans pour autant créer une épreuve spécifique, finalement contreproductive. C’est pourquoi elle a adopté la présente proposition de loi sans modification et soumet à la délibération du Sénat le texte ainsi établi. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, 3 250 personnes ont perdu la vie sur les routes en 2013. Ce nombre est le plus bas jamais enregistré depuis 1948. Ainsi, 403 vies ont été épargnées par rapport à l’année précédente. C’est un progrès considérable, mais qui mérite d’être poursuivi.

Selon nos estimations, entre 250 et 350 vies pourraient être sauvées chaque année, si, sur les lieux d’un accident, les témoins connaissaient les gestes de premiers secours.

Dans ce contexte, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui relève d’une nécessité.

Il n’existe à l’heure actuelle qu’un seul dispositif obligatoire de formation aux gestes de premiers secours ; il est à destination des élèves du premier et second degré. Chacun s’accorde à le reconnaître, ce dispositif est mal mis en œuvre, le taux d’élèves bénéficiant d’une telle formation étant très faible.

Or plus de la moitié des victimes de la route succombent dans les premières minutes suivant l’accident. Les premiers témoins, la plupart du temps impuissants face à une scène d’accident et incapables de hiérarchiser les urgences, sont souvent les seuls à pouvoir intervenir de manière décisive. Pouvoir effectuer les « cinq gestes qui sauvent », conformément au programme élaboré en France dès 1967, à savoir prévenir les secours – cette évidence peut être occultée dans l’intensité du moment –, baliser les lieux afin de protéger les victimes, sauvegarder la vie des blessés, voire ventiler et comprimer les hémorragies, s’avère donc essentiel.

Conscients de ces enjeux, nos concitoyens sont soucieux d’acquérir ces connaissances élémentaires. Ainsi, 98 % des Français sont favorables à une formation aux premiers secours. Il est d’ailleurs étonnant que 2 % y soient hostiles !

Un tel dispositif a fait ses preuves à l’étranger, dans le cadre de la réduction de la mortalité sur les routes. Notre pays effectuera ainsi un premier pas le rapprochant d’autres États européens tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse ou le Danemark.

Je tiens à saluer le travail entrepris par la commission des lois, plus particulièrement par Mme la rapporteur, Catherine Troendlé, pour présenter aujourd’hui un texte équilibré, qui permette à nos concitoyens d’augmenter les chances de survie des blessés, sans faire peser de trop lourdes contraintes sur les futurs conducteurs.

La commission a en effet fait le choix, que nous soutenons, de ne pas créer une épreuve supplémentaire dans le cadre du permis de conduire, ce qui aurait eu pour conséquence d’alourdir le coût de celui-ci et de rendre plus difficile son obtention, alors même que les jeunes, qui sont les plus concernés, rencontrent des difficultés pour décrocher ce précieux document.

Ainsi, le texte adopté, bien que plus modeste, me semble plus conforme aux intérêts en présence. Le domaine de formation est réduit, mais le principe reste celui d’une formation obligatoire à des gestes simples de premiers secours, ce qui constitue selon nous une bonne chose.

Les connaissances seront évaluées dans le cadre des épreuves actuelles du permis de conduire. C’était à nos yeux la meilleure voie à retenir. Il est en effet essentiel qu’au moins une question relative aux gestes de premiers secours soit systématiquement posée à l’occasion de l’examen théorique du permis de conduire. Cela obligera les candidats à apprendre les rudiments en la matière. Ainsi, ils auront à tout le moins conscience qu’on peut faire quelque chose lorsqu’on est le premier témoin d’un accident.

En conclusion, vous l’avez compris, mes chers collègues, le groupe UDI-UC soutient ce texte. Il se réjouira de son adoption, d’autant que les récents chiffres pour l’année 2014 révèlent malheureusement une augmentation sensible du nombre de morts sur la route. La présente proposition de loi ne peut que contribuer à freiner une telle évolution dramatique. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur celles du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Roger Madec.

M. Roger Madec. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons cet après-midi la deuxième lecture d’une proposition de loi qui peut paraître de second plan, mais qui est essentielle pour sauver des vies.

Les modifications apportées par l’Assemblée nationale étant mineures, le groupe socialiste estime souhaitable que le Sénat adopte ce texte conforme, afin que ses dispositions entrent en application rapidement.

À tout moment, en tout lieu, les uns et les autres nous pouvons être confrontés à un accident de la circulation. On peut se demander combien d’entre nous sauraient quelle attitude adopter, connaîtraient les gestes propres à sauver des vies.

On sait à quel point les premiers gestes sont capitaux quant au pronostic de survie d’un blessé grave. Il serait bon qu’un maximum de Français en ait connaissance. Au-delà de l’incidence de ce fait sur la santé publique, n’oublions pas que les personnes en détresse peuvent être des parents ou des proches.

La faiblesse des connaissances en matière de gestes de premiers secours est particulièrement préjudiciable en cas d’accident de la route, dans la mesure où 50 % des victimes décèdent dans les premières minutes postérieures à l’accident. Par ailleurs, les blessés peuvent être victimes de lésions irréversibles si aucune action n’est entreprise dans les quatre à six minutes suivant l’accident. Il est donc indispensable d’encourager la formation de la population aux premiers secours, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises lors des débats parlementaires et par les deux orateurs qui m’ont précédé.

En effet, seuls 46 % des Français déclarent avoir bénéficié d’une formation aux gestes de première urgence. La France accuse ainsi un véritable retard dans ce domaine, par rapport à l’Allemagne ou à la Scandinavie, dont la population est formée à plus de 80 %. L’enjeu est considérable : dans notre pays, les accidents de la vie quotidienne et de la route provoquent 20 000 décès par an. Selon un rapport de l’Académie nationale de médecine, les premiers gestes de secours pourraient augmenter d’environ 20 % les chances de survie. Quant à la Croix-Rouge française, elle estime que près de 500 vies pourraient être sauvées chaque année si ces gestes étaient effectués rapidement.

Ce constat inquiétant doit nous conduire à une prise de conscience, premier pas d’un engagement en faveur d’une action volontariste en matière de formation aux premiers secours ne se limitant pas aux usagers de la route, qui font l’objet de la présente proposition de loi.

À ce titre, l’école est certainement le lieu le plus adapté pour dispenser ce type de formation, le secourisme étant par ailleurs une démarche civique et un formidable moyen de développer un esprit d’entraide.

Dans son rapport, notre collègue Catherine Troendlé avait relevé une carence dans ce domaine, puisque seuls 20 % des élèves de troisième sont formés tous les ans, malgré l’existence d’un dispositif obligatoire de formation découlant de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique et de la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile.

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !

M. Roger Madec. Avoir la capacité de former et de sensibiliser un nombre plus important d’élèves et de jeunes doit constituer un objectif prioritaire.

C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste considère que la formation aux gestes de premiers secours devrait figurer, par étapes, tout au long de la scolarité. C’est l’idée du continuum éducatif formulée par la délégation à la sécurité et à la circulation routière : l’éducation à la sécurité routière doit se faire durant toute la vie. Pour cela, une sensibilisation aux gestes très simples de premiers secours pourrait avoir lieu dès le primaire. Dans le cadre des aménagements des rythmes éducatifs à l’école, des modules de premiers secours pourraient ainsi être dispensés aux enfants. Cette action constituerait une première étape, qui se poursuivrait au collègue avec l’attestation scolaire de sécurité routière de niveau 1 et 2, puis au lycée avec le brevet de sécurité routière, et, enfin, avec l’examen du permis de conduire. La formation au secourisme des jeunes lors de la Journée défense et citoyenneté serait une étape supplémentaire dans ce parcours.

Dans le monde du travail, ces savoirs devraient pouvoir être proposés au titre de la formation continue. En effet, les gestes de premiers secours nécessitent une mise à jour régulière des connaissances. C’est pourquoi le groupe socialiste souscrit aux objectifs de cette proposition de loi, tout en espérant que le secourisme puisse faire l’objet d’une prise de conscience générale. Nous pensons en effet que cette notion doit constituer une grande cause nationale, afin de généraliser une formation aux premiers secours à l’ensemble de la population.

Je tenais à vous féliciter, monsieur Leleux, de votre ténacité à soutenir la présente proposition de loi. D’autres élus, qui avaient pris des initiatives, ont été moins chanceux, se heurtant à une certaine hostilité. Aujourd'hui, toutefois, un consensus se dégage en la matière, ce qui est positif.

Je respecte, mon cher collègue, les trois amendements que vous avez déposés. Je pense toutefois qu’ils ne sont pas nécessaires, car les dispositions qu’ils comportent n’apportent rien au texte. Alourdir l’épreuve du permis de conduire n’est pas une bonne chose. En l’espèce, le Gouvernement vient de s’engager dans une réforme courageuse, qui se heurte d’ailleurs aux résistances de la profession. Pour de nombreux jeunes et moins jeunes, le permis de conduire s’avère indispensable pour trouver du travail.

Cela dit, cette proposition de loi, telle qu’elle résulte des travaux de la commission, va dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme la rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture la proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire.

Ce texte, déposé voilà trois ans par Jean-Pierre Leleux et Jean-René Lecerf, a été l’occasion de nombreuses réflexions et de riches débats, tant à l’Assemblée nationale qu’au sein de la Haute Assemblée. L’exposé des motifs est limpide : il s’agit de sauver des vies. Le constat est partagé par la plupart d’entre nous : le nombre de blessés et de tués sur la route, s’il est en constante baisse depuis de nombreuses années, reste trop élevé.

L’examen de ce texte a mis en évidence ce qui fait aujourd’hui consensus, à savoir les trop nombreuses carences en matière de formation au secourisme dans notre pays.

Cela a été souligné à de nombreuses reprises lors des débats, seuls 46 % des Français déclarent avoir bénéficié d’une formation aux gestes de première urgence. La France accuse ainsi un véritable retard dans ce domaine, puisque 95 % des Norvégiens et 80 % des Autrichiens ont, pour leur part, reçu une telle formation. La Croix-Rouge française estime que 10 000 vies au moins pourraient être sauvées chaque année si la France se donnait les moyens de rattraper son retard.

Mme Esther Benbassa. L’enjeu est considérable et on ne le rappellera jamais assez : dans notre pays, les accidents de la vie quotidienne provoquent tous les ans 19 000 décès, principalement chez les enfants et les personnes les plus âgées. Il s’agit de la troisième cause de mortalité après les cancers et les maladies cardiovasculaires.

Selon les estimations, sur la route, 250 à 350 vies pourraient être épargnées chaque année si, sur les lieux d’un accident, les témoins avaient connaissance des gestes de premiers secours.

J’ai eu l’occasion de le dire lors de la première lecture, le texte initial soulevait de nombreuses questions.

D’abord, parce que les dispositions prévues relevaient non pas du domaine de la loi, mais bien du règlement.

Ensuite, parce qu’il existe des dispositifs généraux de formation aux premiers secours et que les membres du groupe écologiste pensent qu’il convient de faire appliquer la loi existante avant d’en élaborer de nouvelles et de favoriser ainsi l’inflation législative.

La loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière a créé une obligation de sensibilisation des candidats au permis de conduire à la formation aux premiers secours, obligation restée jusqu’à récemment lettre morte, faute de décret d’application.

Enfin, il nous semblait peu opportun d’ajouter des difficultés à l’obtention du permis de conduire, qui représente pour beaucoup un sésame pour l’emploi et l’autonomie.

Mais le texte a évolué et, grâce au travail du rapporteur, il est aujourd’hui plus en phase avec la réalité de notre société.

Il est proposé d’instaurer une obligation pour les examinateurs de s’assurer que les candidats maîtrisent les gestes simples mais fondamentaux que sont alerter les secours, sécuriser et baliser la zone de l’accident, et, si nécessaire, procéder aux gestes de secours de base. Les écologistes considèrent bien entendu que cette mesure est bénéfique et voteront donc ce texte.

Mais, comme je l’ai indiqué au moment de la première lecture, nous regrettons la portée somme toute assez modeste de cette proposition de loi.

Notre ambition doit être l’exemplarité en matière de formation aux gestes de premiers secours. Nous devons absolument mettre en place une politique ambitieuse et cohérente permettant aux individus d’être formés lors de toutes les grandes étapes de la vie. Il s’agit là d’un sujet tout à fait fondamental pour l’ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et de l'UDI-UC. – Mme la rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi, dans sa rédaction initiale, créait une épreuve supplémentaire dans le cadre du permis de conduire, afin de vérifier la maîtrise par le candidat des notions élémentaires de premiers secours : alerte des secours, balisage des lieux de l’accident, ventilation, compression et sauvegarde de la vie des blessés. Ces notions sont importantes, voire indispensables, et ont une incidence directe sur la survie des personnes.

La question se pose particulièrement sur les routes, où les risques d’accident sont malheureusement encore trop élevés, même si des progrès remarquables ont été enregistrés ces dernières années ; la capacité à faire face à une situation de danger et à mettre en œuvre tous les éléments de protection et de sauvetage de la vie de personnes fragilisées est donc singulièrement utile en l’espèce.

Il n’est pas normal que, en France, ces formations aux gestes de premiers secours relèvent encore aujourd’hui d’une démarche souvent individuelle et payante. Cela explique en partie qu’à peine la moitié des Français en ont bénéficié, même si les choses progressent un peu – trop peu –, vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d'État, avec la formation en milieu scolaire.

Il s’agit là d’un enjeu de santé publique et il nous semble donc logique que les pouvoirs publics s’engagent dans une démarche de généralisation de l’apprentissage des gestes de premiers secours.

Nous sommes favorables à l’apprentissage de notions de premiers secours dans le cadre du permis de conduire. La proposition de loi avait été modifiée par la commission des lois du Sénat dans un sens qui nous convenait davantage, par la suppression de l’évaluation de ces connaissances lors de l’examen du permis de conduire.

En effet, il ne semble pas opportun de rajouter une épreuve à un examen devenu en France très difficile d’accès, sans oublier les difficultés supplémentaires de mise en œuvre, avec la formation des moniteurs ou encore le recrutement de nouveaux examinateurs compétents en particulier dans le domaine du secourisme.

Alors que les examinateurs de la formation pratique sont déjà trop peu nombreux, une telle épreuve pourrait avoir pour conséquence d’allonger les délais de passage du permis, lesquels sont déjà suffisamment longs. Sans compter qu’elle se traduira forcément par un accroissement du coût du permis de conduire pour un public jeune qui devra payer des heures de conduite supplémentaires en attendant l’examen.

Cela étant, les objectifs affichés sont généreux s’agissant de la rapidité d’accès au permis, madame la secrétaire d'État, mais le constat est somme toute plus sévère.

Nous aurions donc préféré que l’Assemblée nationale maintînt le texte dans sa version issue des travaux du Sénat en prévoyant un enseignement obligatoire des notions élémentaires de premiers secours actuellement méconnues, sans que celles-ci soient pour autant sanctionnées – compte tenu du contexte actuel – par un contrôle de connaissances indispensables à l’obtention du permis de conduire, comme les députés ont jugé utile de le rétablir.

Il est pour nous problématique de voter ce texte, qui part pourtant d’une bonne intention, s’il ne s’accompagne pas en parallèle d’un engagement du Gouvernement à recruter davantage d’inspecteurs pour ne pas allonger les délais d’attente. Malheureusement, cela ne semble pas être le cas, puisque le projet de loi Macron prévoit, pour éviter précisément de tels recrutements, de décharger les examinateurs de la surveillance des épreuves théoriques en ouvrant ce champ à des agents publics.

Il s’agit d’un enjeu non seulement de santé publique, mais aussi de sécurité publique. Il faut alors que l’État assume toute sa responsabilité. Il ne faut pas détricoter, par des orientations ou d’autres dispositions plus générales, ce que la présente proposition de loi peut apporter, en économisant sur ce qui est essentiel, à savoir la formation à la conduite.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, le permis de conduire est décidément l’objet de beaucoup de sollicitude ces derniers temps : nous aurons aussi à en discuter lors de l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, bientôt à l’ordre du jour du Sénat, concernant les délais de passage et les modalités de recrutement des inspecteurs, qui ont fait quelque peu polémique, comme on le sait.

Il ne s’agit pas d’aborder à la légère ce problème de la formation à la conduite quand on connaît les chiffres de la mortalité sur la route qui ont enregistré une forte hausse en 2014. Cette année pourrait être malheureusement la plus meurtrière depuis douze ans. Après des années de baisse, 2 370 personnes ont perdu la vie sur la route rien qu’en 2013.

La politique répressive en la matière montre ses limites et l’augmentation du nombre de radars avec le nouveau système embarqué va certes inciter certaines catégories de conducteurs à une plus grande surveillance de leur compteur, mais malheureusement les comportements de certains restent sans solution.

Les conduites à risques, en particulier la conduite sous l’emprise de psychotropes licites ou illicites, perdurent notamment chez les plus jeunes, qui recourent à ces substances quelquefois en remplacement de l’alcool, voire en les y associant.

Tout conducteur peut être le témoin d’un accident de la route et avoir à porter secours à des victimes comme premier intervenant. Par conséquent, une formation minimale acquise sera d’une grande utilité pour savoir ne serait-ce que se maîtriser devant une urgence en évitant des gestes intempestifs.

Aujourd’hui, le texte de Jean-Pierre Leleux, déposé le 13 février 2012 – cela ne fait que trois ans, mais tout vient à point à qui sait attendre… (Sourires.) –, revient en deuxième lecture devant notre assemblée.

Nous aurions pu penser que nos collègues députés voteraient conforme cette proposition de loi, qui avait fait l’objet d’un soigneux travail dans cette enceinte même, malgré les interventions de son auteur, mais ils ont inséré un article procédant à un simple toilettage de la loi de 2003 et abrogeant l’article 16 de cette dernière.

Je ne veux pas reprendre les arguments pour un texte simplifié invoqués en première lecture. Je suis entièrement favorable à cette intégration de gestes de premiers secours au sein de la formation au permis de conduire. Cela semble aller dans le sens souhaitable du renforcement de la prévention des comportements à risques.

Le groupe du RDSE partage le sentiment à l’origine du texte, aujourd’hui devenu un constat : seuls la volonté politique et des moyens suffisants pour la mettre en œuvre permettront encore d’obtenir des résultats en matière de sécurité routière.

Sachant que le délai moyen d’intervention des services de secours est de dix minutes, le rôle des témoins d’un accident est d’autant plus capital pour accomplir, dès les premiers instants, les gestes de première nécessité, à défaut d’une prise en charge médicale immédiate.

Mais il est aussi essentiel que l’intégration de cette formation des gestes de premiers secours n’augmente pas les délais et les coûts du permis de conduire. C’est ce qui ressort de la navette parlementaire, puisque l’assimilation de réflexes simples fera l’objet d’une simple évaluation.

Toutefois, il faut savoir que lors du passage de l’épreuve du code, certaines questions portent déjà sur les cinq gestes qui sauvent visés par le texte – alerter, baliser, ventiler, comprimer et sauvegarder –, sur lesquels j’émets, comme beaucoup, quelques réserves.

La Journée défense et citoyenneté, qui a succédé à la Journée d’appel de préparation à la défense, comprend elle aussi une initiation au secourisme, y compris l’enseignement de la mise en œuvre du défibrillateur automatique.

M. Gilbert Barbier. Une préoccupation essentielle était celle des délais de passage. Mais nous avons vu que M. Macron a résolu la quadrature du cercle. Nous en discuterons prochainement. Il est cependant nécessaire de s’assurer que les nouvelles dispositions que nous proposons restent souples, au vu des difficultés de leur mise en œuvre.

A contrario, nous ne pouvons nous empêcher de préconiser une application plus stricte de l’obligation d’une telle formation dans le cadre du cursus scolaire. L’article L. 312-13-1 du code de l’éducation confie ainsi à l’école de la République cette mission de sensibilisation à la prévention des risques et aux missions des services de secours, ainsi qu’un apprentissage sommaire.

Enfin, la présente proposition de loi ressortit très largement à une problématique plus globale d’apprentissage de la citoyenneté et du civisme dès le plus jeune âge.

Au mois de novembre dernier, nous avons discuté de la difficulté préoccupante de recruter des sapeurs-pompiers volontaires, notamment du fait de la longueur de la formation initiale obligatoire.

M. Bruno Sido. Nous y arrivons tout de même !

M. Gilbert Barbier. Nous avons voté un texte permettant que la formation puisse être assurée dans le cadre d’un engagement dans le service civique, voire, un jour, dans le cadre d’un service obligatoire, comme nous l’évoquions dans cet hémicycle jeudi dernier.

Nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’une réflexion globale devrait être menée sur ces sujets, afin de créer un élan civique. La sécurité routière est l’affaire de tous.

Même si le caractère réglementaire des dispositions du présent texte soulève probablement des difficultés d’application, nous saluons néanmoins la volonté de promouvoir des comportements responsables. Les membres du groupe du RDSE voteront donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.

M. Jean-Pierre Leleux. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’exercice auquel je vais me livrer n’est pas simple, car il n’est pas courant – c’est même un peu paradoxal – que l’auteur d’une proposition de loi exprime quelques réticences à voter ce texte, qui nous est de nouveau soumis aujourd’hui après son examen par l’Assemblée nationale.

Certes Jean-René Lecerf et moi-même, coauteurs de cette proposition de loi, sommes absolument convaincus qu’il n’était pas bon de créer une épreuve supplémentaire. Toutefois, la rédaction actuelle de ce texte, qui vise à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours, nous paraît manquer quelque peu d’ambition et d’objectifs précis. Je vais tenter de m’en expliquer.

Chacun le sait, et cela a été dit, même si la mortalité routière a connu ces quarante dernières années une forte et progressive diminution – elle est quatre fois moins importante qu’auparavant –, elle demeure réellement préoccupante.

Cela étant, le panel des mesures que peuvent prendre les pouvoirs publics, dont M. le ministre de l’intérieur a récemment augmenté le champ, peut encore être amélioré. Ainsi, il convient d’accentuer les politiques en faveur des premiers secours apportés aux accidentés de la route, notamment en insistant sur l’intervention au cours des premières secondes ou des premières minutes qui suivent le choc accidentel, dans l’attente des secours qui mettent parfois – c’est normal – entre cinq et quinze minutes pour arriver sur le théâtre de l’accident.

En effet, des victimes d’accident décèdent avant même l’arrivée des secours, alors que, dans les cas de détresse grave, notamment respiratoire ou hémorragique, un geste simple d’un tiers pourrait sauver la vie du blessé. Souvent d’ailleurs, ce dernier meurt en raison non du choc ou du traumatisme principal, mais d’un effet secondaire lié à sa respiration et à sa ventilation.

Or le premier témoin d’un accident, fréquemment lui-même automobiliste, peut intervenir de façon décisive ; d’où l’idée, instruite et développée depuis plus de trente ans, de former tous les automobilistes à ces gestes simples et élémentaires dans le cadre du permis de conduire.

Cette formation pratique, rendue obligatoire par la loi, donnerait la capacité au premier témoin de l’accident d’agir sans panique, avec confiance, et, en tant que de besoin, de procéder à la mise en œuvre des cinq gestes qui sauvent. De ce fait, le nombre de tués sur la route pourrait être abaissé de 8 % à 10 %.

En adoptant cette proposition de loi, nous suivrions un grand nombre de pays européens, notamment la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche, qui ont déjà inscrit cette obligation dans leur législation.

Or le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale ne comporte plus les orientations qui, à mon sens, permettraient d’instaurer une véritable formation pratique aux gestes de survie.

En réalité, nous passons de la loi de 2003 – voilà douze ans déjà ! –, prévoyant une sensibilisation des candidats au permis de conduire aux gestes de premiers secours, à la présente proposition de loi disposant : « Les candidats à l’examen du permis de conduire sont formés aux notions élémentaires de premiers secours. » J’en conviens, c’est un peu mieux, toutefois, cela ne suffit pas. Les mesures qu’il nous faut introduire sont de deux ordres.

Il convient d’abord de préciser, comme je l’ai souligné précédemment, la notion de formation pratique, au-delà d’une formation théorique déjà dispensée par le biais de quelques diapositives se rapportant aux premiers secours insérées entre d’autres qui visent l’interdiction de stationner et les règles de priorité. Cette formation pratique doit avoir pour finalité d’apprendre les gestes adéquats aux candidats et de leur permettre de les mémoriser, de les automatiser, grâce à une méthode mnémotechnique. Elle nous semble donc très importante.

Il est ensuite nécessaire d’inclure l’apprentissage des trois gestes élémentaires de survie aux gestes traditionnels d’alerte et de balisage, que tout le monde connaît, pour éviter un suraccident : ventiler, c’est-à-dire libérer les voies aériennes, comprimer en cas d’hémorragie externe, et placer le blessé en position latérale de sécurité pour prévenir son étouffement.

Tel est l’objet des deux modestes amendements…

M. Bruno Sido. Mais importants !

M. Jean-Pierre Leleux. … que je vais vous présenter, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues.

Cela dit, j’ai bien entendu toutes les objections formulées.

Premièrement, de multiples formations existant, il serait inutile d’en créer une autre. Certes, mais quelle est leur efficience ? En effet, qu’il s’agisse de la formation classique délivrée par des associations agréées comme l’attestation prévention et secours civiques de niveau 1, de celle qui est intégrée dans le cadre de l’éducation nationale, que nous connaissons bien et dont les orateurs précédents ont parlé – voilà quelques jours, Mme Patricia Bristol, chargée de ce dossier au sein du ministère de l’éducation nationale, relevait que, à ce jour, seuls environ 30 % de collégiens sont concernés dix ans après la mise en œuvre du dispositif –, ou encore des quelques minutes consacrées au secourisme lors de la Journée défense et citoyenneté, globalement 300 000 personnes par an sont effectivement formées.

Or, chaque année, plus d’un million de personnes passent le permis de conduire. Ce chiffre varie d’ailleurs beaucoup d’une année à l’autre, allant de 800 000 à 1,3 million. Ce sont donc au moins 700 000 personnes supplémentaires qui doivent obligatoirement être formées. Il faut par conséquent organiser une formation de masse, notamment pour les jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans. Ils pourraient alors s’engager sur la route en étant capables d’intervenir, le cas échéant, pour secourir un blessé en détresse.

Deuxièmement, l’intervention sur un blessé par un néophyte présenterait des risques. Je vous le rappelle, la formation que nous préconisons englobe des gestes élémentaires et extrêmement simples ; encore faut-il les avoir pratiqués, exercés quelques fois.

Par « ventiler », nous entendons simplement libérer les voies aériennes. (M. Jean-Pierre Leleux joint le geste à la parole.) J’exécute systématiquement le mouvement par habitude. Mais très souvent, le blessé meurt parce qu’il s’étouffe et subit une détresse respiratoire. Il suffit de remonter son menton pour que ses voies aériennes soient de nouveau dégagées et qu’il puisse continuer de respirer.

« Comprimer » consiste non pas à pratiquer un garrot ou des points de compression, comme je l’ai entendu dire, mais simplement à exercer une pression externe sur la plaie hémorragique pour en limiter le flux abondant.

Enfin, « sauvegarder » vise à mettre le blessé en position latérale de sécurité, là aussi pour empêcher les voies aériennes d’être bouchées par les régurgitations ou le sang.

J’ai reçu le témoignage d’un sauveteur, voilà quelques jours à peine, arrivé trop tard sur le lieu d’un accident, qui n’a pu que constater le décès d’une jeune fille âgée de vingt ans, étouffée par le sang qui s’est écoulé dans sa bouche après le choc qui lui avait brisé une dent. Cette victime n’est pas morte à la suite d’un traumatisme de base.

Je rappelle par ailleurs que ces gestes de premiers secours, déjà enseignés dans les formations classiques que j’évoquais tout à l’heure, figurent dans le dernier ouvrage publié sur ce thème, Les Premiers Secours pour les nuls. Chacun peut donc les apprendre de manière spontanée.

Troisièmement – c’est la principale objection –, le coût du permis de conduire va augmenter, dans une période où nous devons être attentifs au coût de la vie. Passer son permis entraîne une dépense moyenne en effet élevée de 1 500 euros. Je peux comprendre cet argument, toutefois, qu’est-ce que 25 euros par rapport à une vie sauvée ? De surcroît, les collectivités locales, dans le cadre de leurs politiques en faveur de la jeunesse, pourraient soutenir financièrement les familles qui en ont besoin.

Quatrièmement, les délais, déjà longs, de la procédure vont être allongés. C’est faux : le calendrier de la formation pratique aux gestes élémentaires de secours peut être totalement déconnecté de celui de la formation au code et à la conduite. Il suffira de se présenter dans l’une des nombreuses associations agréées, comme la Croix-Rouge, ou auprès des sapeurs-pompiers pour recevoir, en une ou deux séances, cette formation d’une durée que nous préconisons de quatre heures et d’un coût allant de 20 à 25 euros.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Ce coût est de 50 à 60 euros !

M. Jean-Pierre Leleux. Au terme de cet enseignement, une attestation délivrée par l’organisation agréée sera insérée dans le dossier du permis de conduire sans que le candidat ait à passer une épreuve supplémentaire. Ainsi, on aura l’assurance d’une formation pratique à des gestes simples, élémentaires qui pourrait sauver entre 250 à 300 vies par an, selon nos estimations, c’est-à-dire entre 8 % et 10 % des tués sur la route.

Telle est la démarche de progrès que nous vous proposons, mes chers collègues. Sa mise en œuvre ne sera pas soumise de nouveau à notre examen avant longtemps. Saisissons donc l’opportunité qui nous est offerte aujourd’hui d’ajouter dans notre législation ces quelques éléments, d’une efficience particulière, afin de faire un vrai pas en avant, de rattraper notre retard en la matière et de rejoindre ainsi les pays européens qui se sont engagés depuis fort longtemps dans ce processus. Le Sénat en sortirait grandi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État. Je veux saluer l’intervention particulièrement poignante et passionnante de M. Leleux et me réjouir du consensus qui s’est dégagé sur le présent texte.

S’agissant des délais relatifs au permis de conduire, vous aurez l’occasion, mesdames, messieurs les sénateurs, de reprendre ce débat dans le cadre de l’examen, d’ici à quelques semaines, du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Je remercie tous ceux d’entre vous qui sont intervenus.

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire
Article 2

Article 1er

(Non modifié)

Le chapitre Ier du titre II du livre II du code de la route est complété par un article L. 221-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 221-3. – Les candidats à l’examen du permis de conduire sont formés aux notions élémentaires de premiers secours.

« Cette formation fait l’objet d’une évaluation à l’occasion de l’examen du permis de conduire.

« Le contenu de cette formation et les modalités de vérification de son assimilation par les candidats sont fixés par voie réglementaire. »

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1 rectifié, présenté par M. Leleux, Mme Garriaud-Maylam, MM. B. Fournier et Gilles, Mme Lopez, MM. A. Marc, Karoutchi, Mandelli et Gournac, Mme Deromedi, M. Huré, Mme Micouleau et MM. Charon, Nègre, Bouchet, Delattre, Trillard et Pierre, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Après le mot :

conduire

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

attestent d’une formation pratique aux gestes élémentaires de premiers secours en cas d’accident de la circulation.

II. – Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Cette formation pratique aux gestes de survie comprend, outre l’alerte des secours et la protection des lieux, ceux pour faire face à la détresse respiratoire et aux hémorragies externes.

L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Leleux, Mme Garriaud-Maylam, MM. B. Fournier et Gilles, Mme Lopez, MM. A. Marc, Karoutchi, Mandelli et Gournac, Mme Deromedi, M. Huré, Mme Micouleau et MM. Charon, Nègre, Bouchet, Delattre, Trillard et Pierre, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

Après le mot :

conduire

rédiger ainsi la fin de cet alinéa :

attestent d’une formation pratique aux gestes élémentaires de premiers secours en cas d’accident de la circulation.

II. – Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Cette formation pratique porte sur les gestes de survie.

La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour défendre ces deux amendements.

M. Jean-Pierre Leleux. Ces deux amendements sont la suite logique de mon intervention à la tribune. Ils portent plus précisément sur deux points extrêmement importants à mes yeux pour l’efficacité du présent texte.

D’abord, je le répète, il s’agit d’une formation pratique. Je ne crois pas à l’efficacité réelle de la formation théorique, au demeurant importante auprès des enfants, afin de les sensibiliser aux premiers secours au fur et à mesure de leur évolution.

Néanmoins, quand on arrive sur le théâtre d’un accident, pour pouvoir dépasser l’effet de panique, il faut disposer d’éléments mnémotechniques et avoir pratiqué quelques fois – cinq, dix, voire vingt fois – les gestes simples requis en respectant une certaine chronologie.

Le dispositif proposé au travers de ces deux amendements n’est pas excessif.

Il s’agit tout d’abord de prévoir que le candidat au permis de conduire devra attester d’une formation pratique aux gestes élémentaires de premiers secours en cas d’accident de la circulation, d’autant que le personnel des auto-écoles n’est pas toujours formé pour dispenser une telle formation.

En revanche, il existe une multitude d’organismes agréés à la formation des premiers secours, et c’est fort heureux. Avant le passage effectif du permis de conduire, il suffira au candidat de suivre ces quatre heures de formation pratique, avec une personne simulant le blessé, au cours desquelles il apprendra les trois ou quatre gestes de premiers secours importants qui méritent d’être répétés une dizaine de fois afin que, en cas d’accident lorsqu’il sera titulaire du permis, il puisse intervenir sans panique.

Nous laisserons bien sûr le pouvoir réglementaire accomplir son travail pour préciser les orientations qui résulteront de la présente proposition de loi.

Par ailleurs, il s’agit ensuite de déterminer les gestes de survie, qui suscitaient, je l’ai bien senti, quelques réticences. Outre l’alerte des secours et la protection des lieux, cette formation devra comprendre les gestes destinés à faire face à la détresse respiratoire et aux hémorragies externes. La détresse respiratoire est extrêmement fréquente et se révèle assez simple à régler ; elle provoque pourtant souvent le décès, à la suite d’un étranglement.

Quand un blessé est en arrière, il suffit de le ramener en avant pour que sa trachée retrouve sa verticalité. Quand il est penché sur le volant de son véhicule, il faut le redresser légèrement, éventuellement dégager sa langue.

Si le blessé a été éjecté du véhicule et qu’il gît à l’extérieur, sur le dos, il faut le mettre en position latérale de sécurité, voire retirer sa langue de sa gorge, vider sa bouche, s’assurer que la ventilation s’opère et attendre les secours, qui, ensuite, sont là pour agir.

M. Bruno Sido. Voilà !

M. Jean-Pierre Leleux. Mes chers collègues, je vous remercie par avance de bien vouloir m’accompagner en votant ces amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. L’amendement n° 1 rectifié a déjà été présenté devant la commission des lois. Il tend à instituer une troisième épreuve au permis de conduire, s’ajoutant à l’examen théorique et à l’examen pratique. Or une telle réforme soulèverait de grandes difficultés.

Les délais de passage et le coût du permis de conduire augmenteraient fortement – mes chers collègues, gardons à l’esprit qu’il s’agit d’une troisième épreuve, d’une formation de quatre heures.

De plus, certains gestes proposés ne sont pas anodins. M. Leleux les a déclinés. Pour faire face à des cas de détresse respiratoire ou à d’hémorragies externes, il faut suivre des formations régulièrement, chaque année ou tous les deux ans. Au reste, le colonel Éric Faure, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, que j’ai auditionné, me l’a clairement dit : dans certains cas, ces gestes peuvent se révéler très contreproductifs.

M. Bruno Sido. Alors, mieux vaut laisser les blessés mourir ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Monsieur Sido, il faudrait, à tout le moins, que tout le monde ait suivi une telle formation, sans compter que certains, pris de panique, ne sont pas en mesure de prodiguer ces gestes.

Par ailleurs, on le sait, notre société est extrêmement judiciarisée. Or si un blessé décède, la famille ne risque-t-elle pas de se retourner contre telle ou telle personne qui se trouvait sur le lieu de l’accident, en lui reprochant, alors qu’elle avait suivi la formation dont il s’agit, de ne pas avoir porté secours, et en l’accusant de non-assistance à personne en danger ? Ce raisonnement va peut-être un peu loin, mais c’est une possibilité à prendre en compte.

En effet, un recours a déjà été formé contre une personne qui, après avoir procédé à un massage cardiaque – je relève au passage que ce secours n’est plus préconisé –, a cassé la côte d’un individu accidenté et provoqué sa mort par perforation du poumon. Il ne faut pas oublier de tels cas de figure.

L’auteur des amendements que nous examinons exprime une préoccupation légitime. Je le répète, depuis les lois des 9 et 13 août 2004, deux articles du code de l’éducation imposent de former les élèves à l’attestation de prévention et secours civiques de niveau 1. Malheureusement, d’autres orateurs l’ont dit et Mme la secrétaire d’État en est consciente, cette obligation n’est pas respectée, malgré les critiques récurrentes que j’ai pu former à ce propos. (Mme la secrétaire d’État acquiesce.)

Quoi qu’il en soit, c’est dans le cadre de l’école que chacun doit suivre une formation aux premiers secours et obtenir l’attestation qui en découle.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Tout à fait !

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. En l’occurrence, les dispositions de la présente proposition de loi sont plus mesurées que celles de l’amendement n° 1 rectifié, mais elles répondent à une véritable difficulté : à l’heure actuelle, la moitié des conducteurs ne savent pas alerter correctement les secours en cas d’accident. C’est une réalité ! Même à Paris, il arrive que ces derniers ne trouvent pas le lieu d’un accident, à cause de l’imprécision des éléments fournis par la personne qui a signalé celui-ci.

Une formation obligatoire aux premiers secours s’inscrivant dans le cadre des épreuves actuelles permettra de résoudre ces difficultés sans poser les problèmes que soulèverait une attestation obligatoire préalable de formation aux premiers secours.

Voilà pourquoi j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur l’amendement n° 1 rectifié et sur l’amendement de repli n° 2 rectifié.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État. Les dispositions de ces amendements sont utiles, en ce sens qu’elles nous donnent l’occasion de préciser ce qu’il sera possible de faire dans le cadre de la formation au permis de conduire.

J’ai déjà eu l’occasion de l’affirmer, le Gouvernement veillera très attentivement à ne pas contribuer à étendre les délais de la formation ou à renchérir le coût de cette dernière, quelles que soient les bonnes intentions considérées.

Monsieur Leleux, nous ne pouvons que souscrire au constat que vous dressez. Toutefois, vous l’avez indiqué, les enseignants de la conduite et de la sécurité routière ne sont pas habilités à dispenser des formations de secourisme : ils n’en ont pas la compétence. Rendre obligatoire une formation à des gestes tels que la ventilation cardiaque ou la compression d’hémorragies externes imposerait donc, soit de recourir à des intervenants extérieurs, qu’il faudrait recruter et former en nombre, soit de former les enseignants de la conduite. Dans un cas comme dans l’autre, l’incidence économique d’une telle mesure serait considérable.

Au demeurant, les autorités médicales sont partagées quant à l’opportunité qu’il y aurait à favoriser ce type d’interventions, qui, dans certains cas, ont pour effet d’aggraver l’état de la victime.

En revanche, dans le cadre de l’apprentissage de la conduite, il est possible et souhaitable de transmettre aux élèves des comportements simples à observer en cas d’accident de la circulation. Ces attitudes sont celles que j’ai citées au début de la discussion générale : savoir protéger les lieux, savoir transmettre un message et savoir évaluer sa compétence à pratiquer un geste de secours, si et seulement si l’on a été formé à cette fin.

Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État. Le nouveau programme de formation, le référentiel pour l’éducation à une mobilité citoyenne, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2014, met l’accent sur la transmission de ces compétences. Il sera possible de vérifier, dans le cadre des épreuves du permis de conduire, si ces dernières ont bien été assimilées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne souhaite pas aller au-delà de ces notions élémentaires au titre de la formation au permis de conduire. Il est donc défavorable aux amendements nos 1 rectifié et 2 rectifié.

Mme la présidente. La parole est à Mme Samia Ghali, pour explication de vote.

Mme Samia Ghali. Monsieur Leleux, en présentant ces deux amendements, vous nous donnez des explications qui paraissent simples. Toutefois, face à la peur, face à l’angoisse, face à un vent de panique, il est parfois très difficile d’agir… (Mme la rapporteur acquiesce.) Je connais le cas de personnes qui ont cru pouvoir sauver une vie et ont, malheureusement, atteint le but inverse de celui qu’elles visaient.

Ces quatre heures de formation peuvent être nécessaires, mais je crains qu’elles ne soient pas suffisantes. Si l’on faisait un sondage, ne serait-ce que dans cet hémicycle, pour savoir qui est titulaire d’un brevet de secourisme, on obtiendrait sans doute un résultat surprenant. Plus largement, le problème se pose pour l’ensemble des Français, et non seulement pour celles et ceux qui présentent le permis de conduire.

Il est bon d’inciter ces candidats à suivre une telle formation. Toutefois, mieux vaut agir à d’autres niveaux, au sein des établissements scolaires et des entreprises. Ces gestes sont parfois nécessaires. Mais le fait de porter secours ne doit en aucun cas impliquer la responsabilité de sauver une vie. À mon sens, il est important de le rappeler.

Ainsi, l’intention est bonne, mais, je le répète, ces dispositions ne me semblent pas à ce jour compatibles avec la formation au permis de conduire, qui est déjà onéreuse et longue. J’ajoute que cet examen est un moment très angoissant pour bon nombre de candidats !

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.

M. Bruno Sido. Selon moi, les dispositions proposées par M. Leleux relèvent du bon sens.

Mme la rapporteur m’a indiqué que nous vivions dans une société judiciarisée. Mais l’on pourra toujours accuser quelqu’un d’assistance ou de non-assistance à personne en danger, en invoquant les conséquences que les uns et les autres ont mentionnées. Dès lors, chacun admettra que cet argument n’est pas valide.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Si !

M. Bruno Sido. Quoi que l’on fasse, on n’est jamais à l’abri.

Cela étant, le fait de suivre une formation pratique aux gestes de survie, même sans la mettre en œuvre ultérieurement, me semble tout à fait nécessaire. À mon sens, il est élémentaire de savoir pratiquer les gestes de premiers secours. Chaque citoyen devrait les connaître, même s’il n’est jamais appelé à les accomplir.

Madame la rapporteur, vous le savez, en milieu rural à tout le moins, les pompiers volontaires font des exercices d’entraînement tous les samedis et dimanches. Pourquoi n’inviterait-on pas les jeunes à les rejoindre pour s’exercer aux premiers secours, aux gestes de survie ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Tout à fait !

Mme Sylvie Goy-Chavent. Et le problème de la responsabilité ?

M. Bruno Sido. Chère collègue, en toute circonstance, on peut invoquer de tels obstacles : rien ne sert de se cacher derrière son petit doigt !

Quoi qu’il en soit, cette solution permettrait d’indiquer aux jeunes que l’institution des pompiers volontaires existe et qu’eux-mêmes peuvent la rejoindre. Elle présenterait ainsi un intérêt supplémentaire.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. En Alsace, nous le faisons déjà…

M. Bruno Sido. J’ajoute que ce type de formation n’augmenterait pas le coût du permis de conduire.

Pour ma part, je suis favorable aux amendements présentés par M. Leleux.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.

M. Jean-René Lecerf. Mes chers collègues, je connais assez bien cette question. Je suis d’ailleurs le deuxième signataire, après Jean-Pierre Leleux, de cette proposition de loi. Au demeurant, au début des années quatre-vingt, lorsque j’étais tout jeune assistant parlementaire, ce dossier a été le premier auquel je me suis attelé.

Je constate qu’une forme de malédiction pèse sur la formation aux premiers secours, aux gestes qui sauvent, qu’elle soit théorique ou pratique. Cette malédiction revêt diverses formes.

Tout d’abord, on affirme que le législateur ne serait pas compétent en la matière. Ce sujet ne serait pas assez important. Mais de quoi s’agit-il ? L’enjeu est de sauver chaque année environ 500 vies humaines. Malgré cela, on persiste à considérer qu’il s’agit d’une compétence réglementaire, en vertu des articles 34 et 37 de la Constitution. Je relève au passage que, aux yeux de certains juristes, l’esprit de ces dispositions était de réserver l’essentiel des compétences au législateur…

Ensuite – c’est un cas relativement rare, même si, aujourd’hui, le Parlement n’est plus placé sur un piédestal –, la loi de 2003, qui détaillait des mesures relativement claires, n’a bénéficié d’aucun des décrets d’application permettant son entrée en vigueur.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. En effet !

M. Jean-René Lecerf. Les gouvernements de droite et de gauche peuvent se serrer la main : les uns et les autres ont totalement ignoré la volonté du législateur.

Par ailleurs, j’entends le fameux argument selon lequel cette compétence relèverait de l’éducation nationale. C’est formidable !

Il y a peu, j’ai travaillé avec Esther Benbassa à la rédaction d’un rapport relatif aux discriminations. À ce titre, nous avons examiné les responsabilités de l’éducation nationale, depuis la remise du rapport Debray portant sur l’enseignement du fait religieux dans l’école publique. À mon sens, l’enseignement aux gestes qui sauvent est à peu près aussi bien dispensé, à l’école publique, que l’enseignement du fait religieux…

Aujourd’hui, on affirme que 23 % des élèves de France suivent des formations de ce type. Si tel est le cas, ce n’est pas brillant… Pis, je crains fort que ce chiffre ne traduise un très large optimisme. J’ajoute une question : comment, dans les faits, des jeunes pourront-ils mettre en œuvre, à vingt ou vingt-cinq ans, des gestes qui leur auront été enseignés lorsqu’ils étaient en sixième, en cinquième ou en quatrième ?

De plus, on nous oppose le fait que ces formations coûtent trop cher – entre 25 et 60 euros. Rendez-vous compte de l’ampleur des sommes en jeu !

Mes chers collègues, les juristes suivent généralement le principe dit « du bilan coûts-avantages ». Que représentent 25 à 60 euros, si ces évaluations sont pertinentes, au regard de vies sauvées ? Cet argument semble tout à fait dérisoire. Au demeurant, lorsqu’un jeune roule à trente et un kilomètres à l’heure et non à trente, à soixante et un kilomètres à l’heure et non à soixante, on lui fait payer sans complexe des amendes d’un montant autrement plus élevé…

À présent, on nous oppose la judiciarisation de la société, face à laquelle il ne faudrait pas prendre de risques. Certains faits divers assez peu glorieux se sont récemment déroulés dans les transports en commun. Des femmes ont été agressées sans qu’aucun voyageur intervienne pour les défendre. Nous pouvons aller jusqu’à dire à nos concitoyens : « Surtout, n’agissez pas : en bousculant tel ou tel, vous risqueriez de le blesser et de subir un procès, à cause de la judiciarisation de la société. »

M. Bruno Sido. Exact !

M. Jean-René Lecerf. À l’encontre de tous ces arguments, quel merveilleux exercice de citoyenneté constitue l’apprentissage aux gestes qui sauvent ! Quelle opportunité pour nos départements, qui – on en parle beaucoup ces derniers temps – financent à grands frais les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, de réclamer l’aide des sapeurs-pompiers professionnels et des sapeurs-pompiers volontaires dans la mise en œuvre d’une formation généralisée aux premiers secours !

De ce fait, notre pays cesserait d’être lanterne rouge en la matière, à l’échelle européenne.

Voilà pourquoi je soutiens l’amendement principal et l’amendement de repli déposés par M. Leleux. Comme lui, si ces dispositions ne sont pas acceptées, je ne pourrai voter ce texte. Ainsi, les deux cosignataires de cette proposition de loi – ce serait tout de même assez original – ne la voteraient pas !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate, pour explication de vote.

M. Patrick Abate. Avant tout, je tiens à remercier sincèrement M. Leleux, qui pointe du doigt un véritable problème relevant de la santé publique, de la sécurité publique et au-delà – certains l’ont rappelé – du vivre ensemble. On apprend à lire, à écrire et à compter : on doit également apprendre à s’occuper de l’autre, à faire le minimum pour le sauver.

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Patrick Abate. Ces actes participent de la citoyenneté.

Cela étant, l’enfer est pavé de bonnes intentions. On ne peut pas se contenter d’une épreuve supplémentaire à l’examen du permis de conduire pour s’exonérer d’un retard qui est réel ou pour affirmer que l’on a accompli un véritable travail de fond.

Nous évoquons le vivre ensemble, la citoyenneté, la santé publique et la sécurité : mais tous ces apprentissages commencent à l’école. Certes, à l’occasion du permis de conduire, ils peuvent être contrôlés, mis à niveau, mais ils doivent se poursuivre tout au long de la vie, dans le cadre de la formation professionnelle permanente.

Si un coût de 25 euros n’est pas trop élevé pour un jeune, il le sera d’autant moins pour un employeur ou pour l’État qui pourront, dans le cadre de la formation permanente, former leurs salariés aux gestes de premiers secours.

Étant moi-même secouriste,…

M. Bruno Sido. Bravo !

M. Patrick Abate. … je milite dans ma ville, auprès des associations culturelles ou d’éducation populaire, pour qu’elles fassent passer un brevet de secourisme semblable à l’ancien BNS, le brevet national de secourisme, sachant que l’examen est financé par ailleurs. Les connaissances acquises alors sont sérieuses et solides, mais si elles ne sont que peu mises en pratique et pas entretenues, elles ne servent plus à rien et peuvent même être dangereuses. Certes, il est souhaitable de se trouver le moins possible en situation de les exercer, car cela signifierait que l’on est souvent confronté à des accidentés à secourir. Quoi qu’il en soit, il faut les remettre régulièrement à jour.

Nous devons nous saisir du retard de notre pays concernant l’apprentissage des gestes de survie, pour en faire une question de vivre ensemble et pour l’inscrire dans une démarche globale. Je le répète, la formation n’est pas si onéreuse que cela pour les jeunes, a fortiori pour la société et l’ensemble des acteurs concernés.

La délivrance d’un tel enseignement lors de la formation au permis de conduire ne me semble pas constituer une panacée, même si, à cette occasion, on pourrait contrôler que ce qui a été appris à l’école est encore vivace, avant que ce savoir ne soit ensuite consolidé dans le cadre de la formation permanente.

Nous le savons, les dispositions proposées partent d’une bonne intention et seraient utiles si elles n’étaient pas déconnectées du reste. C’est donc avec regret que nous ne voterons pas en faveur des amendements nos 1 rectifié et 2 rectifié.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent, pour explication de vote.

Mme Sylvie Goy-Chavent. Dans mon département, l’Ain, j’ai contribué à l’installation de défibrillateurs cardiaques par le biais de ma réserve parlementaire. J’ai alors pu mesurer à quel point la France était en retard en matière de premiers secours. Toutefois, on ne peut pas faire n’importe quoi ! M. Leleux prenait tout à l'heure l’exemple d’un accidenté de la route, la tête penchée en avant, et affirmait qu’il était simple de la lui redresser. Mais dans le cas où les vertèbres cervicales sont cassées, une telle action serait dramatique !

Oui, il faut une formation tout au long de la vie. Mais à mon sens, il revient en premier lieu à l’école d’assurer la formation aux gestes de premiers secours. Aux questions que j’ai posées à cet égard, l’on m’a répondu que les programmes le prévoyaient, mais encore faut-il que l’intention pédagogique de chaque enseignant suive.

Nous devons nous pencher sur ce sujet, et insister pour que l’éducation nationale prenne en charge cette formation depuis le plus jeune âge. Dans certains pays anglo-saxons, les enfants vont à l’école maternelle avec un nounours ou une poupée, et apprennent à faire un massage cardiaque ou un point de compression. Ils n’ont donc ensuite pas d’appréhension à aller au secours des autres, à se pencher sur un corps inerte et parfois ensanglanté. Ce n’est pas anodin, et cela s’apprend. Les sapeurs-pompiers l’apprennent, mais les jeunes scolarisés en France craignent de se pencher sur un corps inerte, et ne se portent pas forcément au secours d’un blessé.

Par ailleurs, certains ont peur d’être attaqués en justice, mais à mes yeux, ce qui est attaquable, c’est surtout de ne pas porter secours !

M. Bruno Sido. Très bien !

Mme Sylvie Goy-Chavent. Il faut insister sur ce point : personne ne peut fait l’objet d’un recours au motif qu’il a essayé de secourir quelqu’un ! Faisons confiance au bon sens des juges !

Pour ce qui concerne les sapeurs-pompiers, ils dispensent de petites formations dans les écoles comme à la population.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Absolument !

Mme Sylvie Goy-Chavent. Cependant, monsieur Sido, ils ne peuvent pas accueillir des gamins le samedi après-midi ! Ils se retrouveraient devant un tribunal si l’un de ces jeunes se retournait un ongle!

Le dispositif des jeunes sapeurs-pompiers, ou JSP, fonctionne très bien, et, en notre qualité d’élus, nous pourrions en faire la promotion dans nos communes et dans nos départements. Cette formation est formidable, mais n’attire finalement que peu de jeunes. J’ai, pour ma part, pu assister à l’évolution des jeunes participants.

Votre proposition de loi, monsieur Leleux, recevra notre soutien, mais nous nous opposerons à vos amendements, qui nous semblent aller à contresens. Certes, vos intentions sont bonnes, mais le cadre de l’éducation nationale – à elle de faire son travail ! – nous semble certainement plus approprié pour dispenser la formation aux gestes de premiers secours que celui du permis de conduire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Mme la rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Leleux. Mes chers collègues, les amendements que je vous soumets, comme l’ensemble du travail que Jean-René Lecerf et moi-même avons mené sur ce sujet, ne sont pas tombés pas du ciel un beau jour où nous aurions décidé que l’on pouvait faire n’importe quoi avec un blessé !

J’ai été formé dans ce domaine, j’ai mené de nombreuses auditions, je m’intéresse de près à la question et je ne propose pas n’importe quoi !

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Leleux. C’est tout à fait réfléchi ! Ce n’est pas un moyen d’imposer mon point de vue, mais je peux vous dire que, selon les statistiques, 2 % de 1% des blessés de la route ont subi un traumatisme après que leur colonne vertébrale ait été brisée.

Le premier intervenant paniquerait en arrivant sur le lieu de l’accident et ne saurait plus quoi faire. Mais la formation pratique a justement pour finalité de lui permettre d’établir un diagnostic et de déterminer s’il doit intervenir, ainsi que de lui enseigner les gestes simples de survie, comme celui de libérer les voies aériennes afin d’empêcher l’étouffement.

Cela étant, comme Jean-René Lecerf, je ne parviens pas à comprendre une telle peur de la judiciarisation. Doit-on donc être complètement déresponsabilisé ? Si l’on voit un blessé, faut-il se garder d’intervenir et le laisser mourir ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Mais non ! Il faut appeler les secours !

M. Jean-Pierre Leleux. Bruno Sido rappelait le risque d’être accusé de non-assistance à personne en danger si l’on n’intervient pas ou d’assistance démesurée si l’on intervient. Que doit-on faire, alors ?

Nous devons tout de même prendre nos responsabilités de citoyens ! Je vous propose une mesure citoyenne, un engagement d’intervenir pour sauver des vies.

On qualifie de fausse mon affirmation selon laquelle cela se fait en Allemagne, en Suisse, en Autriche, entre autres. Je me suis évidemment renseigné et je tiens à votre disposition les lettres des consulats respectifs. Pour ce qui concerne la Suisse, ce document contient même des statistiques démontrant qu’une telle formation pratique est imposée dans le cadre du permis de conduire. Dans ces conditions, pourquoi la France garderait-elle ce retard par rapport aux autres pays européens ?

Cela étant, le coût est estimé à 25 ou 30 euros, au maximum, par formation de quatre heures pour quinze à vingt personnes,…

Mme Catherine Troendlé. Non, à 50 ou 60 euros !

M. Jean-Pierre Leleux. … car il ne s’agit pas, bien sûr, de cours particuliers. Cela suffit pour apprendre à pratiquer les cinq gestes de survie et à déterminer s’il faut les mettre en œuvre.

Je reconnais l’existence à l’heure actuelle de formations, qu’il faut maintenir. Bien sûr, l’éducation nationale fait son travail, mais il lui faudra encore dix ans pour toucher une classe d’âge entière. En outre, mes chers collègues, la formation dispensée concerne des enfants âgés de treize ans, auxquels on inculque ainsi le devoir d’intervenir et les gestes de premiers secours. Mais que reste-t-il ensuite de cette formation pratiquée par des enseignants que nous avons du mal à former à ces gestes ?

Pour notre part, nous vous proposons une véritable formation de masse, obligatoire pour toute une classe d’âge, soit 700 000 personnes par an, alors que l’on se gargarise aujourd’hui des 200 000 personnes concernées par l’attestation de PSC1 et par les cours de l’éducation nationale. Cette mesure serait d’une efficacité phénoménale quant à la survie des blessés !

J’espère que la Haute Assemblée fera preuve de sagesse. Quelles que soient les petites réticences corporatives constatées, je peux vous dire qu’un grand nombre de professionnels des premiers secours seraient très heureux si nous adoptions ces amendements !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour explication de vote.

M. Jean-François Longeot. Il ne faut pas nous faire culpabiliser. Une formation aux gestes de premiers secours adossée au permis de conduire ne serait sans doute pas suffisante. Si l’on veut qu’une telle formation soit efficace et durable, il faut la mettre en œuvre beaucoup plus tôt.

Nos enfants acquièrent à l’école un certain nombre de gestes que nous n’y apprenions sans doute pas. Comme nous le disions à propos de la transition énergétique, s’ils étaient sensibilisés à cette question, ils y prêteraient attention.

Sans revenir au débat sur le service national militaire, ceux qui l’ont fait ont bénéficié de formations intéressantes, en particulier aux premiers secours.

Choisir le cadre du permis de conduire, c’est bien, mais il ne faudrait pas, si je puis dire, que l’on se lave ensuite les mains en se congratulant d’avoir fait quelque chose pour sauver des vies. Non ! Cette formation doit s’étendre tout au long de la vie.

Et que se passera-t-il une fois le permis de conduire obtenu ? Du reste, la question vaut sans doute aussi pour le permis lui-même. Nous gagnerions à suivre des formations sur le code de la route, par exemple. Je ne suis pas certain, en effet, que nous tous, présents dans cet hémicycle, passerions aujourd’hui l’examen avec succès !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État. À l’issue de cet échange, les objectifs et les positions des uns et des autres m’apparaissent également louables.

Je crois, comme beaucoup d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, au rôle de l’école dans ce domaine. Or, aujourd’hui, à peine 30 % des collégiens de troisième ont été formés aux gestes de premiers secours. Aussi je prends devant vous l’engagement de préparer, avec Bernard Cazeneuve et Najat Vallaud-Belkacem, un plan de montée en puissance du dispositif qui ne se limite pas à 5 % par an d’augmentation.

Cela demande du temps, parce qu’il faut trouver 5 000 formateurs, qui doivent recevoir près de cinquante heures de formation pour pouvoir enseigner. L’école est à mes yeux le lieu du vivre ensemble, de la citoyenneté et le point de passage obligé de tous les enfants d’une classe d’âge. Ce niveau me semble par conséquent être le bon. C’est ce levier-là qui produira des résultats.

J’ai moi-même reçu cette formation en classe de quatrième, et je m’en souviens très bien. Elle permet un rappel tout simplement du rôle de citoyen, de l’engagement citoyen.

Il faut non pas faire porter le débat sur le permis de conduire, mais faire en sorte que toute une classe d’âge puisse bénéficier de cet apport. Je m’y engage donc devant vous, je le répète.

Si les objectifs affichés cet après-midi sont louables, il me semble nécessaire de prêter attention à nos capacités de formation. Les cas de victimes d’accident dont les corps sont encastrés et de personnes qui font un malaise cardiaque sur la voie publique sont tout à fait différents.

Le message essentiel que je retiens de nos échanges, c’est la nécessité de faire monter fortement en puissance la formation au niveau du collège.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote sur l'amendement n° 2 rectifié.

M. Jean-Pierre Leleux. L’espérance est un élément de motivation : j’espère que cet amendement de repli sera adopté par la Haute Assemblée.

L’amendement n° 2 rectifié vise à introduire dans la formation pratique définie par voie réglementaire les gestes de survie, sans les préciser, comme je le demandais au travers de l’amendement n° 1 rectifié.

Pour ma part, je crois beaucoup à la formation dispensée par l’éducation nationale. Mais en quelle année peut-on espérer avoir formé toute une classe d’âge ? Les principaux responsables chargés de cette question au ministère de l’éducation nationale ne sont malheureusement pas aussi optimistes que vous, madame la secrétaire d'État.

Comme vous l’avez indiqué, il faut former les enseignants, les futurs formateurs, ce qui représente un coût important. Il ne sera donc pas possible de former en un an une classe d’âge au collège ; cela demandera plusieurs années. Certes, n’abandonnons pas cette voie essentielle, mais, je le répète, en cas d’accident de la circulation, il faut apprendre certains gestes de façon pratique. Or une formation vers l’âge de seize ou dix-huit ans portera plus ses fruits.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire
Article additionnel après l'article 2

Article 2

(Non modifié)

L’article 16 de la loi n° 2003-495 du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière est abrogé. – (Adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article additionnel après l'article 2

Mme la présidente. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Leleux, Mme Garriaud-Maylam, MM. B. Fournier et Gilles, Mme Lopez, MM. A. Marc, Karoutchi, Mandelli et Gournac, Mme Deromedi, M. Huré, Mme Micouleau et MM. Charon, Nègre, Bouchet, Delattre, Trillard et Pierre, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, un comité de suivi est chargé d’évaluer son application et de s’assurer que cette dernière répond aux exigences définies. À cet effet, il demande un rapport au Gouvernement sur la mise en œuvre des dispositions votées.

Ce comité comprend deux députés et deux sénateurs, désignés par les commissions des lois auxquelles ils appartiennent.

La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.

M. Jean-Pierre Leleux. Compte tenu des difficultés à rendre effectives, depuis une trentaine d’années, les décisions prises par le Parlement – le décret d’application de l’article 16 de la loi de 2003, dont nous venons d’adopter l’abrogation, n’est pas toujours pas prêt ! –,…

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Leleux. … nous proposons, au travers de cet amendement, que j’ai déjà présenté lors de la première lecture, non pas par méfiance, mais par expérience, qu’un comité de suivi comprenant deux députés et deux sénateurs désignés par les commissions des lois auxquelles ils appartiennent soit chargé, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, de l’application de celle-ci et de s’assurer que cette dernière répond aux exigences définies. Nous voulons voir si ce texte est efficace ou non.

À cet effet, nous demandons au Gouvernement un rapport sur la mise en œuvre des dispositions votées.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Ce mécanisme me paraît extrêmement lourd. Dans la mesure où la commission des lois a déjà pour mission de suivre l’application d’une loi, je me fais fort, avec son président, d’assurer ce contrôle pour ce qui concerne le présent texte.

En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État. Je tiens à préciser que certaines instances pourront suivre l’évolution de cette loi ; je pense au Conseil supérieur de l’éducation routière, le CSER, et au Conseil national de la sécurité routière, le CNSR, au sein duquel Jean-Patrick Courtois et Gérard Bailly représentent la Haute Assemblée.

Par ailleurs, la commission « jeunes et éducation routière » du CNSR qui travaille précisément à mieux définir le contenu de la formation théorique à l’apprentissage de la conduite sera amenée à se prononcer sur les notions élémentaires de premiers secours instaurées par cette proposition de loi, dès l’adoption de celle-ci.

Enfin, dans le cadre de l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, les députés ont estimé utile d’adopter un amendement visant à créer un comité d’apprentissage de la route, au sein duquel siégeront également des sénateurs.

Ne multiplions pas inutilement les commissions et les comités. En conséquence, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la secrétaire d'État, votre réponse ne satisfait que partiellement la commission des lois.

Le débat que nous avons eu sur le contenu de la formation méritait d’être posé devant la représentation nationale. Même si je soutiens la position de la commission des lois, je ne manque pas d’être sensible aux arguments avancés par plusieurs de mes collègues sur la nécessité de délivrer une formation opérationnelle – M. Leleux a utilisé le terme « pratique » dans ses amendements – aux candidats au permis de conduire. (Mme la secrétaire d’État opine.)

L’article 1er tel qu’il a été adopté n’interdit rien. Il prévoit que le contenu de la formation et les modalités de vérification de son assimilation par les candidats sont fixés par voie réglementaire. Voilà qui ouvre un large champ de possibilités au Gouvernement pour ce qui concerne la mise en œuvre de cette disposition, si la proposition de loi est adoptée.

Pour ma part, je veux vous demander, madame la secrétaire d'État, de vous engager un peu plus. Tant les auteurs de la proposition de loi que Mme la rapporteur ont légitimement la préoccupation d’aller aussi loin que possible quant au contenu de cette formation, qui doit être, je le répète, opérationnelle autant que faire se peut, et dans les modalités de vérification de son assimilation.

C'est pourquoi je souhaite que le Gouvernement s’engage, avant que la mise aux voix de cet amendement ou son éventuel retrait, à soumettre le projet de décret au rapporteur ainsi qu’aux auteurs de la proposition de loi, dans le cadre d’une concertation, qui, de toute façon, aura lieu, comme vous l’avez rappelé, afin que ceux-ci soient en mesure d’en débattre avec vous.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Carrère. Malgré toute l’estime que je porte à Mme la rapporteur, je veux souligner qu’on ne saurait demander au Gouvernement de transmettre à la commission un projet de décret.

Un échange informel entre le Gouvernement et la rapporteur est de bonne méthode, mais, eu égard au fonctionnement de nos institutions, il n’est pas possible de demander au pouvoir exécutif de soumettre le texte d’un décret au pouvoir législatif. Monsieur le président de la commission, que se passera-t-il si nous ne cessons de demander aux gouvernements à venir de nous transmettre leurs projets de décret ? On va trop loin, même si je partage l’état d’esprit de Mme la rapporteur et si je reconnais qu’il faut prendre en compte la sensibilité qui est la sienne.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État. Je vous rejoins, monsieur Carrère, les rôles du législateur et du Gouvernement sont bien distincts.

Madame la rapporteur, dans le cadre des travaux de la commission des lois, vous pourriez auditionner le président du CSNR, et nous pourrions ensuite avoir un échange avec vous et les auteurs de la proposition de loi, en vue de l’adoption de ces textes réglementaires.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Leleux. Je suis sensible à vos engagements, madame la secrétaire d'État, mais on entend tellement d’engagements…

Je suis également sensible aux arguments de Jean-Louis Carrère selon lesquels on ne peut obliger le Gouvernement à soumettre au Parlement ses projets de décret. Pourtant, le Parlement a aussi une mission de contrôle.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Eh oui !

M. Jean-Pierre Leleux. Si j’étais sûr que ces engagements soient respectés, je retirerais mon amendement. Mais nous avons été tant de fois déçus ! Même si j’ai peu d’espoir quant à l’adoption de cet amendement, je le maintiens, madame la présidente.

M. Jean-Louis Carrère. Mais retirez-le !

M. Jean-Pierre Leleux. Il est important d’avoir un suivi.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)

Mme la présidente. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l'objet de la deuxième lecture.

Vote sur l'ensemble

Article additionnel après l'article 2
Dossier législatif : proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Leleux. Mes chers collègues, je dois vous dire le plaisir que j’ai eu à suivre ce débat. Il s’en est fallu d’une voix que le dernier amendement soit adopté, et que nous allions ainsi à l’encontre du souhait d’un vote conforme de Mme la rapporteur, comme de l’Assemblée nationale, qui faisait un peu pression.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Non, absolument pas ! C’est un texte de conviction !

M. Jean-Pierre Leleux. Cela étant, ce débat montre que le sujet n’est pas clos. Par conscience, je m’abstiendrai.

Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Je le comprends.

M. Jean-Pierre Leleux. En effet, je ne suis pas arrivé à fait évoluer la présente proposition de loi comme je l’aurais souhaité. Je ne relève pas de changement fondamental par rapport à la situation antérieure, malgré un petit progrès. Alors que, aux termes de la loi de 2003, les candidats au permis de conduire sont « sensibilisés » aux gestes de premiers secours, à l’issue de la navette parlementaire, ils sont « formés ». Mais de quelle manière ? Quels seront le programme et les orientations ? Le flou demeure !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Cela relève du décret !

M. Jean-Pierre Leleux. Par ailleurs, le caractère pratique, pourtant indispensable, de la formation est absent.

Les titulaires de l’attestation PSC1 – il s’agit du brevet de secourisme, que nous détenons, je le suppose, quasiment tous, consistant en une formation de huit ou neuf heures selon les centres – sont tout à fait en mesure d’intervenir et d’effectuer les gestes de survie.

La formation que nous proposions était de quatre heures ; elle visait les accidents de la circulation, afin de réduire la mortalité routière.

Je regrette vraiment de ne pas avoir su vous convaincre davantage, mes chers collègues.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'ensemble de la proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire.

(La proposition de loi est définitivement adoptée.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à introduire une formation pratique aux gestes de premiers secours dans la préparation du permis de conduire
 

7

Accueil et protection de l’enfance

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

 
Dossier législatif : proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UMP, la discussion de la proposition de loi visant à modifier l’article 11 de la loi n° 2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, présentée par Mme Colette Giudicelli et plusieurs de ses collègues (proposition n° 531 [2013-2014], texte de la commission n° 314, rapport n° 313).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Colette Giudicelli, auteur de la proposition de loi.

Mme Colette Giudicelli, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les médias nous rapportent très régulièrement de terribles faits divers, ces maltraitances et violences commises contre des enfants, fréquemment par leurs parents, qui aboutissent trop souvent au décès des jeunes victimes.

Les violences faites aux enfants sont non seulement un problème de société, mais surtout une question de santé publique, car elles ont des conséquences catastrophiques. Certes, tous les enfants maltraités ne deviennent pas des délinquants, ni à leur tour des parents violents, mais de nombreux travaux scientifiques confirment les liens qui existent entre les maltraitances subies dans l’enfance et les troubles graves à l’âge adulte.

Le problème particulier des violences sexuelles a donné lieu il y a quelques jours, à Paris, à un colloque organisé par l’association Mémoire traumatique et victimologie. À la lecture du rapport issu de l’enquête nationale réalisée auprès des victimes, on apprend que, sur cinq personnes ayant subi des violences sexuelles dans l’enfance, deux font une tentative de suicide à l’âge adulte.

De toutes les violences, celles qui sont dirigées contre les enfants sont certainement les plus cachées. Il y a cependant des chiffres qui ne sont pas contestables. Ainsi, dans notre pays, deux enfants meurent chaque jour des coups de leurs parents, et 700 à 800 décès par an sont imputables à des mauvais traitements infligés au sein de la famille. On connaît aujourd’hui 98 000 cas d’enfants en danger, mais ces enfants seraient en réalité plus de 100 000, selon les associations spécialisées dans la protection de l’enfance.

Le phénomène n’a pas tendance à diminuer avec le temps, bien au contraire : la situation ne cesse de se dégrader, au point que les enfants en danger seraient aujourd’hui 10 % de plus qu’il y a dix ans !

Selon les définitions de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée, l’ODAS, la notion d’enfant en danger englobe deux grandes catégories de situations : les enfants à risque, dont les conditions d’existence peuvent compromettre la santé, la sécurité, l’éducation ou la moralité, et les enfants maltraités, victimes de violences physiques, de cruautés mentales, de négligences lourdes ou de violences sexuelles ayant des conséquences graves sur leur développement physique et psychologique.

Parmi les 98 000 enfants en danger connus, 19 000 sont victimes de maltraitance. Plus de 85 % des violences sur enfants sont commises au sein de la famille proche et 44 % des enfants maltraités ont moins de six ans.

En dépit de la création de l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED, la connaissance statistique précise du phénomène de la maltraitance reste probablement encore insuffisante dans notre pays et, surtout, la réalité serait sous-évaluée.

En effet, très peu d’études épidémiologiques à grande échelle ont été menées en France pour déterminer le nombre d’enfants ayant été victimes de violences psychologiques, physiques ou sexuelles. Dès lors, on est conduit à se référer aux études américaines et canadiennes, dont il ressort qu’une personne sur dix aurait été exposée dans son enfance à des actes de violence commis par ses parents. On peut présumer que, en France également, la proportion d’enfants victimes de violences est, comme dans d’autres pays comparables par leur niveau de vie, de l’ordre de 10 %.

Ce chiffre, confirmé par la Haute Autorité de santé dans des recommandations récentes adressées aux médecins en matière de signalement, suggère une sous-estimation de la violence faite aux enfants qui aurait des causes multiples.

En premier lieu, elle résulterait de l’insuffisance des investigations médicales ou médico-légales et des carences constatées dans la prévention, ainsi que dans le repérage des enfants victimes à l’école, dans les consultations d’urgence et dans le cabinet du médecin libéral.

En ce qui concerne le problème du repérage, je me réjouis que la commission des lois, sur l’initiative de M. François Pillet, rapporteur, ait enrichi la proposition de loi que j’ai déposée en y insérant un article additionnel qui prévoit la formation de l’ensemble des acteurs concernés par la prévention et la prise en charge des actes de violence aux questions de repérage et de signalement des maltraitances.

En second lieu, la sous-estimation des actes de maltraitance procéderait de l’insuffisance dramatique des signalements effectués par les médecins. Ceux-ci, en effet, ne seraient à l’origine que de 5 % des signalements – encore quatre 4 % seraient-ils le fait de médecins hospitaliers, selon le docteur Cédric Grouchka, membre du collège de la Haute Autorité de santé, de sorte que les médecins libéraux ne seraient à l’origine que de seulement 1 % des signalements. Pourtant, les enfants maltraités passent forcément, à un moment ou à un autre, par le cabinet du médecin généraliste ou du pédiatre.

En vérité, les médecins généralistes ont un rôle fondamental à jouer dans le dépistage et le signalement des suspicions de maltraitances. Pourquoi donc les signalements sont-ils si peu nombreux ? Par quels freins sont-ils bridés, alors que la création de l’ONED, en janvier 2004, et la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance ont constitué deux progrès importants en matière de prévention de la maltraitance ?

En 2004, pourtant, le gouvernement de l’époque avait fait adopter un amendement au projet de loi dont est issue la loi relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, amendement qui protège le médecin contre d’éventuelles sanctions disciplinaires consécutives au signalement de sévices constatés sur un enfant ; à la suite de l’adoption de cet amendement, la loi du 2 janvier 2004 a inscrit au sein de l’article 226-14 du code pénal l’interdiction de sanctions disciplinaires à l’encontre des médecins ayant procédé à des signalements.

Reste que cette protection est très insuffisante, car, seules les sanctions disciplinaires ayant été explicitement interdites, les médecins craignent de faire l’objet de poursuites civiles ou pénales, de sorte qu’ils préfèrent la plupart du temps ne rien dire plutôt que de prendre le risque d’être traînés devant les tribunaux, ce que je comprends.

Heureusement, la prise de conscience de l’ampleur du phénomène est en marche. Ainsi, la revue trimestrielle de l’Ordre national des médecins avait pour titre, dans sa livraison de janvier 2015, « Maltraitance des enfants : ouvrir l’œil et intervenir ». Voici ce qu’on y lit : « Difficultés de repérage, peur du signalement abusif sont autant de freins. Face à ce fléau, les médecins doivent se mobiliser. » Défendant le point de vue de l’Ordre, le docteur Irène Kahn-Bensaude, vice-présidente, explique : « Alors que nous, médecins, avons appris lors de nos études que nous nous devions de protéger l’enfant, nous peinons à prendre ce problème à bras-le-corps. »

C’est pourquoi le Conseil national de l’ordre des médecins a décidé de lancer une réflexion sur la mise en place, dans chaque département, d’un conseiller ordinal référent en matière de maltraitance des enfants.

En outre, la Haute Autorité de santé a publié, en novembre dernier, une recommandation destinée à sensibiliser les médecins au repérage et au signalement de la maltraitance. Elle a mis à la disposition des médecins un outil de repérage et de signalement, ainsi qu’un document de questions-réponses, afin de les aider à repérer la maltraitance et à mieux réagir face à elle, au service de la protection des enfants. La question se pose néanmoins : ces outils sont-ils suffisants pour inciter les médecins à signaler ?

Ouvrant le colloque national sur les violences faites aux enfants, organisé au Sénat le 14 juin dernier, sur l’initiative d’André Vallini, alors sénateur, Mme Taubira, garde des sceaux, s’est, elle aussi, interrogée sur la politique de prévention : « Nous ne sommes peut-être pas si efficaces que cela. Nous devons améliorer le repérage des enfants […]. Nous devons oser nous interroger sur les pratiques professionnelles de tous les acteurs qui interviennent autour de l’enfance. Nous devons nous interroger sur les instruments et les outils qui sont mis à la disposition de ces acteurs. »

Mme la garde des sceaux avait raison : il est indispensable d’améliorer les outils, car il existe aujourd’hui de nombreuses difficultés qui entravent le repérage. D’après la Haute Autorité de santé, le manque de signalement résulterait de plusieurs blocages dus au manque de formation des médecins, à leur crainte d’un signalement abusif et, surtout, de ses conséquences.

Les docteurs Greco et El Hanaoui-Atif, cités comme référence par la Haute Autorité de santé, ont montré dans leurs thèses de doctorat que les médecins se retrouvent seuls et démunis face au phénomène, du fait d’un manque de connaissance des signes de la maltraitance et du système de traitement qu’ils jugent complexe, s’agissant en particulier des modalités de signalement dont ils ne maîtrisent pas les aspects juridiques.

Les médecins répondent que le bon déroulement du signalement suppose non seulement une information claire, mais aussi l’assurance d’agir sans risquer de rencontrer des problèmes. Or, aujourd’hui, les médecins se sentent mal protégés et ne sont pas convaincus que les signalements seront sans conséquence pour eux-mêmes.

Dans ces conditions, je crois qu’il est de la responsabilité du législateur d’assurer la protection des médecins, qui ont très mal vécu les inculpations de leurs confrères pour dénonciation calomnieuse. En France, depuis 1997, plus de deux cents médecins ont été visés par des poursuites disciplinaires ou pénales ; il en est résulté un climat de stress et un malaise profond au sein du monde médical.

Deux questions se posent : faut-il obliger les médecins à signaler et – point essentiel – comment peut-on mieux protéger ceux qui signalent ?

En ce qui concerne l’obligation de signaler, je constate que de nombreux pays l’ont instaurée, en l’assortissant d’une protection juridique forte reconnue à tous les médecins. Ainsi, douze pays d’Europe ont rendu le signalement obligatoire, parmi lesquels la Suède, la Norvège, la Finlande, l’Espagne et l’Italie.

Sur cette question, je préfère néanmoins suivre le raisonnement et l’avis de la commission des lois, qui concordent avec l’opinion des médecins. En effet, je mesure les difficultés d’application d’une obligation de signalement : elle pourrait devenir elle-même une source de conflit si elle fondait l’engagement de la responsabilité civile de médecins qui, n’ayant pas été en mesure de détecter une situation de violence, auraient omis d’opérer un signalement. Cette obligation pourrait également dissuader les victimes de se rendre chez le médecin, de peur que celui-ci, obligé par la loi, ne procède au signalement.

Au total, je reste convaincue que l’on peut se satisfaire d’une obligation déontologique, à condition qu’elle soit dépourvue de toute ambiguïté.

Or nous constatons que les médecins, libéraux ou hospitaliers, éprouvent des difficultés à appréhender des notions juridiques parfois complexes. En particulier, les modalités de rédaction des signalements ont parfois été source de contentieux.

Par exemple, une certaine ambiguïté s’attache à l’article 44 du code de déontologie médicale, dont la rédaction pourrait laisser penser que le médecin a le droit de s’abstenir de signaler. En effet, le second alinéa de cet article est ainsi rédigé : « Lorsqu’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique », le médecin « alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience ». C’est dans cette dernière restriction que réside la difficulté.

En dépit des recommandations du Conseil national de l’ordre des médecins, mais aussi de la Haute Autorité de santé, quant à l’obligation de signaler, cette notion de circonstances particulières que le médecin apprécie en conscience semble bien être une brèche dans le dispositif législatif, permettant au médecin de s’abstenir de signaler, comme le faisait remarquer, dans les conclusions de son rapport, le comité de suivi du colloque tenu au Sénat en 2013. Peut-être serait-il judicieux de réfléchir, comme le proposait le comité, à une suppression de la formule « sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience ».

La seconde question, très importante, est de savoir comment mieux protéger les médecins lorsqu’ils signalent. La loi du 2 janvier 2004, qui a interdit les sanctions disciplinaires, n’a pas été suffisamment efficace pour encourager les médecins à signaler les violences. Nous nous souvenons tous de situations où, lorsque l’instruction par la justice du dossier d’un enfant ayant subi des violences conduisait à un non-lieu, le médecin se retrouvait poursuivi par l’auteur présumé des sévices pour dénonciation calomnieuse. Tant que les médecins craindront des poursuites, civiles ou pénales, je suis sûre qu’ils préféreront parfois se taire.

Ce que je vous propose ne coûte pas le moindre euro. Il s’agit d’affirmer clairement l’irresponsabilité des médecins lorsque les signalements effectués respectent les conditions fixées à l’article 226-14 du code pénal. Cette proposition de loi apportera, je l’espère, une véritable clarification. Le médecin de bonne foi saura désormais que sa responsabilité civile, pénale et disciplinaire ne pourra pas être engagée à l’occasion d’un signalement.

Je remercie la commission des lois d’avoir proposé d’étendre cette protection civile, pénale et judiciaire à l’ensemble des professionnels de santé, ainsi qu’aux auxiliaires médicaux.

Il existe actuellement deux manières d’alerter les autorités administratives ou judiciaires de la situation de danger d’un enfant : le médecin peut transmettre une information préoccupante à la cellule de recueil des informations préoccupantes, la CRIP, ou signaler une situation de danger au parquet compétent en cas de nécessité de protection immédiate.

La commission des lois a pris l’initiative d’introduire dans le texte la possibilité pour les médecins d’effectuer le signalement directement à la CRIP, et non plus seulement au procureur de la République.

J’espère que cette proposition de loi adressera un message clair aux médecins. Nous allons, avec ce texte, montrer de manière marquante l’intérêt d’un texte législatif précis qui ne laisse pas de place au doute et protège ceux qui signalent des violences pour protéger avant tout les enfants victimes.

Vous l’avez compris, c’est en protégeant les médecins que nous pourrons protéger nos enfants. N’oublions jamais ce chiffre insupportable : tous les ans, 700 à 800 enfants meurent à la suite de violences dans notre pays. Nous ne pouvons pas l’accepter. Nous ne pouvons pas rester sans agir. Je compte sur vous, mes chers collègues, pour qu’il n’y ait plus jamais ça ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Patrick Abate applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la maltraitance faite aux enfants ou aux personnes vulnérables est un très grave problème de société. On dénombre en France 98 000 cas d’enfants en danger ; 19 000, dont près de 44 % ont moins de six ans, sont victimes de maltraitance ; 79 000 se trouvent dans des situations à risque.

Selon le docteur Grouchka, membre du collège de la Haute Autorité de santé, 5 % seulement des signalements – c’est assez curieux – émanent de médecins ; de manière encore plus significative, 1 % émanent de médecins libéraux et 4 % de médecins hospitaliers.

Opportunément déposée par notre collègue Colette Giudicelli, la présente proposition de loi vise à renforcer le rôle des médecins dans la détection et la prise en charge des situations de maltraitance, en introduisant dans notre législation une obligation pour les médecins de signaler ces situations, le corollaire étant que les praticiens soient protégés contre tout engagement de leur responsabilité, civile, pénale et disciplinaire.

Actuellement, pour inciter les médecins à signaler les présomptions de maltraitance, l’article 226-14 du code pénal dispose que les sanctions applicables à la violation du secret professionnel ne sont pas encourues par plusieurs catégories de personnes. Est expressément visé le médecin qui porte à la connaissance du procureur de la République « les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises ». Ce signalement suppose l’accord de la victime, sauf s’il s’agit d’une personne mineure ou en état d’incapacité physique ou psychique.

En 2007, lors de l’examen du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, la commission des lois avait estimé que le médecin ne pouvait s’affranchir de l’accord de la victime, mais devait accompagner la personne et la convaincre, dans une démarche de responsabilisation, de prendre elle-même l’initiative de saisir la justice. L’article 226-14 prévoit que, si le signalement est effectué par le médecin dans les conditions prévues, il ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire.

Le souci de mieux protéger l’enfance maltraitée nous a conduits à nous interroger sur les raisons pour lesquelles le dispositif de signalement des maltraitances en vigueur était peu utilisé. Tous les intervenants que nous avons auditionnés – les membres de la Haute Autorité de santé, les syndicats de médecins, le Conseil national de l’ordre des médecins et les universitaires – tous s’accordent sur le diagnostic ainsi que sur une partie des solutions.

Le diagnostic tient en deux constatations.

Première constatation, il apparaît que le problème est avant tout psychologique : les médecins craignent les conséquences des signalements sans suite, des poursuites à leur encontre et de ce qu’ils considèrent comme le mécanisme broyeur de la justice. Ils redoutent l’effet en retour de ces signalements sur les familles – sur leur lien de confiance avec elles –, sur leur clientèle et sur l’ensemble de leur zone de travail.

Seconde constatation, les médecins ne sont pas formés à la reconnaissance des situations de maltraitance et à la procédure de signalement.

C’est pourquoi la présente proposition de loi prévoyait, dans sa rédaction initiale, d’imposer aux médecins une véritable obligation de signaler « sans délai » au procureur de la République toute présomption de violences commises sur « un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ».

L’avancée était indéniable, mais la réforme proposée posait néanmoins quelques problèmes d’ordre juridique.

Si une obligation de saisir « sans délai » le procureur de la République était imposée aux médecins, ceux-ci pourraient voir leur responsabilité civile engagée en cas de non-signalement. Or, selon les représentants des syndicats de médecins, dans 90 % des cas, les situations de maltraitance sont très difficiles à caractériser. Les médecins risqueraient donc de signaler le moindre fait afin de satisfaire à leur obligation ; il serait alors difficile pour le procureur d’identifier les signalements de situations dangereuses.

L’obligation de dénonciation constituerait par ailleurs un danger pour les victimes elles-mêmes, les auteurs des sévices risquant de ne pas les présenter au médecin par crainte d’être dénoncés.

S’agissant de la protection des victimes, une apparente erreur de rédaction a conduit à omettre le signalement par le médecin des violences dont les victimes ne sont ni des mineurs ni des personnes en état d’incapacité physique ou psychique, mais, par exemple, des femmes majeures. Le signalement de ces violences doit évidemment pouvoir être maintenu, mais avec l’accord des victimes, car sinon le risque est grand de dissuader les personnes de se rendre chez leur médecin.

Enfin, l’obligation faite de saisir « sans délai » le procureur de la République priverait le médecin de la possibilité de rechercher un avis supplémentaire ou de demander des examens complémentaires, notamment par le biais d’une hospitalisation, alors qu’une telle mesure peut se révéler fort utile.

Ces faiblesses de rédaction n’ont pas entamé l’enthousiasme dont a fait preuve notre commission pour participer à l’œuvre législative que nous propose Colette Giudicelli. Nous avons ainsi adopté un amendement de réécriture de l’article unique de la proposition de loi. Estimant que les dispositions en vigueur de l’article 226-14 du code pénal étaient plus adaptées, nous avons supprimé la partie du dispositif relative à l’obligation pour le médecin de signaler toute présomption de violences commises sur un mineur ou une personne vulnérable.

J’en viens à la question de la responsabilité civile, pénale et disciplinaire des médecins.

Le droit existant offre déjà des protections au médecin signalant des présomptions de maltraitance : le secret professionnel étant levé, sa responsabilité disciplinaire ou pénale ne peut être engagée, sauf en cas de signalement abusif. Les médecins qui font des signalements dans le respect des conditions fixées à l’article 226-14 du code pénal n’encourent donc aucune sanction disciplinaire ou pénale. Autrement dit, en l’absence de mauvaise foi, le médecin ne peut pas être poursuivi s’il signale ; d’ailleurs, il ne peut pas l’être non plus s’il ne signale pas. Seuls les délits de non-empêchement de crime ou de non-assistance à personne en péril pourraient lui être reprochés.

Quant à la responsabilité civile du médecin, elle ne pourra être engagée en l’absence de faute disciplinaire ou pénale. Il revient seulement au médecin de rapporter des faits au procureur de la République et non de désigner leurs auteurs ou, a fortiori, d’établir un certificat médical sans avoir constaté lui-même les sévices ou privations.

Cependant, et c’est là tout l’intérêt de la proposition de loi, les dispositions de l’article 226-14 du code pénal ne sont peut-être pas suffisamment lisibles. Leur compréhension nécessite des compétences de juriste, puisqu’elle implique une lecture combinée de plusieurs textes et une connaissance approfondie de l’articulation qui existe entre les différents types de responsabilité.

En réaffirmant clairement l’irresponsabilité des médecins sans pour autant modifier au fond le droit en vigueur, le quatrième alinéa de l’article unique de la proposition de loi initiale améliore la lisibilité des textes. Il affirme sans ambiguïté, et de manière parfaitement explicite, que le médecin qui signale dans les conditions fixées une présomption de maltraitance ne peut voir sa responsabilité, quelle qu’elle soit, engagée. La rédaction proposée est beaucoup plus claire et beaucoup plus lisible ; elle est donc de nature à rassurer les médecins.

La commission des lois a néanmoins apporté une précision juridique, en remplaçant – cela revient au même, mais il s’agit de recourir à une notion juridique plus connue – la référence à la preuve de la mauvaise foi par la référence à la preuve de l’absence de bonne foi du médecin.

Mais d’autres moyens peuvent être utilisés pour améliorer la mise en œuvre du dispositif de signalement existant. Notre commission a ainsi apporté plusieurs modifications à la proposition de loi.

Nous proposons d'abord d’étendre l’immunité pénale de la violation du secret professionnel à l’ensemble des membres des professions médicales ainsi qu’aux auxiliaires médicaux.

Nous souhaitons également réaffirmer – c’est important – la possibilité donnée aux médecins qui n’ont que de simples doutes d’adresser leurs signalements à la CRIP de leur département, qui est, elle, habilitée à effectuer des vérifications supplémentaires, plutôt que d’alerter immédiatement le procureur de la République.

Enfin, la commission des lois a adopté un amendement visant à compléter la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Le devoir de signalement étant un devoir déontologique, il doit être conçu comme un soin à part entière et donc être enseigné en tant que tel dans les facultés de médecine. Aussi proposons-nous d’instaurer une obligation de formation des professionnels aux procédures de signalement des maltraitances.

Outre ces modifications législatives, dont vous avez bien compris qu’elles ne visaient qu’à rendre la loi lisible et compréhensible – cela devrait toujours être le cas, puisque nul n’est censé ignorer la loi –, nous estimons que l’amélioration de la détection des situations de maltraitance passe par des mesures d’information et de sensibilisation des professionnels de santé. Les pouvoirs publics, en particulier la Haute Autorité de santé, devraient donc améliorer le libellé des formulaires de signalement adressés aux médecins, notamment en y ajoutant les dispositions qui protègent ces derniers et en précisant les formes que doit prendre le signalement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. - M. Patrick Abate applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame Giudicelli, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte dont nous discutons cet après-midi a pour objectif d’améliorer et de renforcer encore les réponses collectives que nous pouvons apporter pour mieux protéger les enfants.

Vous connaissez mon engagement et ma volonté d’agir. Je veux me saisir de chaque occasion qui nous permet de placer la protection de l’enfance au cœur du débat public.

Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, la protection de l’enfance est souvent dans l’angle mort des politiques publiques, même si elle l’est de moins en moins, grâce à l’implication et au travail des élus, au sein de cette assemblée comme dans les territoires, grâce, aussi, à la volonté du Gouvernement, grâce, enfin, aux nombreux rapports qui ont récemment été portés à notre connaissance.

Que nous disent tous les acteurs ?

La maltraitance est une triste réalité. Les chiffres qui l’étayent sont déjà extrêmement préoccupants, mais ils sont probablement bien en deçà de la réalité. Les auteurs de l’une des études publiées en 2009 par la revue scientifique britannique The Lancet estiment que, dans les pays à hauts revenus comme la France, 10 % des enfants seraient victimes de maltraitance. Encore très récemment, une enquête nationale nous donnait à voir l’importance des violences sexuelles chez les enfants, 81 % des victimes révélant avoir vécu les premières violences avant l’âge de dix-huit ans.

Ces travaux nous disent aussi que la maltraitance est protéiforme et qu’elle n’est pas un phénomène socialement marqué, c’est-à-dire qu’elle touche toutes les catégories sociales. Ils nous amènent à conclure que la maltraitance constitue non seulement un sujet de société, mais aussi une véritable problématique de santé publique.

Alors, lorsque l’on soulève une telle question, on tourne nécessairement le regard vers les médecins, non seulement en tant que soignants, mais aussi en tant qu’acteurs de la prévention, du repérage des enfants en danger et en risque de danger.

La maltraitante commence le plus souvent très tôt dans la vie des enfants qui la subissent. Or, aux premiers âges de la vie, l’enfant voit très régulièrement un médecin, pour les vaccinations, le suivi de la croissance ou du développement. Les professionnels de santé sont donc en première ligne pour détecter d’éventuelles violences. Pourtant, les médecins ne représentent qu’une part infime des auteurs de signalements : en 2002, seulement 2 % à 5 % des signalements émanaient du corps médical, d’après le Conseil national de l’Ordre des médecins.

Le Gouvernement dresse le même constat : les médecins font trop peu de signalements, et transmettent encore moins d’informations préoccupantes. Pourtant, le Conseil national de l’ordre des médecins nous a précisé récemment, par un courrier en date du 20 février 2015, que, si des sanctions disciplinaires ont bien été prises à l’encontre de médecins qui n’avaient pas procédé à un signalement, en revanche, aucun d’entre eux n’aurait été sanctionné disciplinairement pour y avoir procédé.

Il faut dire qu’il existe d’ores et déjà dans le code pénal, mais aussi dans le code de l’action sociale et des familles et le code de déontologie, des textes qui prévoient les obligations et possibilités d’échanger des informations soumises au secret. Nous ne partons donc pas de rien en la matière. L’adoption de la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection de l’enfance – je salue le président Philippe Bas, qui l’a fait adopter à l’époque –,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Merci !

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. … a permis des avancées majeures pour améliorer le repérage de la maltraitance.

Elle a notamment introduit dans notre droit la notion d’« information préoccupante » et créé dans chaque département les cellules de recueil, d’évaluation et de traitement des informations préoccupantes, plus connues chez les spécialistes sous le nom de CRIP, ouvrant ainsi la possibilité d’intervenir dès le risque de danger.

Ces dispositions permettent aux médecins, comme aux autres professionnels, d’échapper à un véritable dilemme, dénoncer ou se taire, pour ouvrir une troisième voie, celle qui consiste à partager une préoccupation avec des professionnels formés, à qui il revient de procéder à une évaluation pluridisciplinaire des situations de danger ou de risque de danger.

La loi de 2007 donne de surcroît un cadre légal au partage d’informations concernant « les mineurs en danger ou qui risquent de l’être », aménageant ainsi le secret professionnel.

Pour accompagner les médecins et conforter les dispositions de la loi de 2007, la Haute Autorité de santé a communiqué, le 17 novembre dernier, ses recommandations à l’attention des professionnels de santé, afin de mieux repérer les cas de maltraitance infantile. Elle a présenté des outils très opérationnels pour les médecins, tels qu’un modèle type de signalement ou de certificat médical sur demande spontanée. La HAS a également rappelé, à cette occasion, que la protection de l’enfant est un acte médical et une obligation légale.

Un professionnel de santé a, comme n’importe quel citoyen, l’obligation de porter assistance à une personne en danger, comme le précise l’article 223-6 du code pénal. Les sanctions que peuvent encourir les professionnels de santé qui n’auraient pas satisfait à cette obligation sont très lourdes : cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende en cas d’inculpation pour non-assistance à personne en danger ; trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende en cas d’inculpation pour non-dénonciation de crime.

La loi est ainsi à la fois protectrice et incitatrice. Pour autant, les chiffres évoqués précédemment et communiqués par le Conseil national de l’ordre des médecins nous disent qu’il faut encore avancer.

Les freins aux signalements par les médecins sont de nature diverse, comme le souligne la HAS.

Il faut citer d’abord le manque de formation aux questions de maltraitance. Sur ce point, je vous invite à visionner le court-métrage réalisé pour la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains, la MIPROF, en ligne sur le site stop-violences-femmes.gouv.fr, et qui montre bien comment nos professionnels peuvent agir, tout en respectant les obligations liées au secret professionnel.

Ensuite, vient la méconnaissance des procédures légales.

En outre, les représentations idéalisées de la famille, naturellement bonne et protectrice, ou encore les relations interpersonnelles qui s’instaurent entre la patientèle et le médecin de famille sont autant d’autres freins aux signalements.

Enfin, la crainte d’un signalement abusif, qui est l’objet de notre discussion d’aujourd’hui, ou encore l’absence d’information en retour du signalement n’incitent pas le médecin à agir.

C’est pourquoi je fais mienne la préoccupation des parlementaires à l’origine de cette proposition de loi, qui souhaitent encourager les médecins à partager leurs inquiétudes quand ils craignent un danger pour un enfant rencontré dans leur exercice professionnel.

J’ajoute que, pour être efficaces, les réponses devront être plurielles. On doit sans doute rassurer les médecins en tenant compte de leurs préoccupations et modifier l’article 226-14 du code pénal pour préciser encore – si c’était nécessaire - que la transmission d’informations à la CRIP ou les signalements au procureur d’une situation de danger pour un enfant ne peuvent se traduire par une condamnation au titre de l’article 226-13 du code pénal.

Il faut également profiter de ces modifications pour rappeler les dispositions de la loi du 5 mars 2007 sur les conditions de l’échange d’informations à caractère secret.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous devrons même aller plus loin en encourageant dans les pratiques les liens entre les conseils départementaux de l'Ordre des médecins et les observatoires départementaux de la protection de l’enfance.

Il est aussi nécessaire de mieux faire connaître les procédures à suivre en cas de doute, pour favoriser la remontée des informations préoccupantes transmises par les médecins. De ce point de vue, les expériences des départements montrent que la présence d’un médecin au sein de la CRIP est réellement facilitatrice.

L’article 4 de la proposition de loi rédigée par les sénatrices Michèle Meunier et Muguette Dini, modifié par un amendement du Gouvernement, vise d’ailleurs à généraliser cette pratique, comme le recommande la Haute Autorité de santé dans son rapport. Cette proposition de loi, les spécialistes de la question la connaissent par cœur, puisqu’elle reviendra dès demain devant vous, et ce pour la troisième fois, pour la fin de son examen en première lecture au Sénat.

Je le disais au début de mon propos, nous devons saisir chaque occasion qui nous est offerte de parler de protection de l’enfance. Le Sénat – qu’il en soit remercié ! – nous donne cette semaine deux chances de sortir cette politique publique de l’ombre et il faut les saisir. Je m’en réjouis d’autant plus que les objectifs convergent, indépendamment des appartenances politiques, sur des sujets aussi fondamentaux que la protection de l’enfance.

Ces réflexions s’inscrivent dans la perspective de l’amélioration des missions de l’enfance et trouveront leur traduction, d’abord dans la loi. Mmes Meunier et Dini ont fourni un formidable travail d’évaluation de la loi de 2007 avant d’aboutir à la rédaction d’une proposition de loi commune. Les dispositions de la proposition de loi de Mme Colette Giudicelli auraient d’ailleurs trouvé toute leur place au sein de l’approche globale de ses collègues sénatrices, et je regrette un peu que nous n’ayons pas eu l’occasion de discuter de ce texte comme amendement à la proposition de loi Meunier-Dini qui est en cours d’examen. Mais deux assurances valent mieux qu’une, même en légistique ! (Sourires.)

Ces réflexions doivent aussi trouver leur traduction dans les pratiques. Nous le savons, un certain nombre de dispositions de la loi de 2007 ne sont pas appliquées sur le terrain, ou bien le sont de manière très différente selon les endroits. Le cloisonnement est encore trop présent entre les différentes professions qui interviennent dans le champ de la protection de l’enfance. J’en profite néanmoins pour souligner que chacune d’entre elles fournit un travail remarquable au quotidien pour servir une politique publique exigeante, car elle est très technique et en même temps pleine d’affect.

C’est dans cette perspective d’évolution des pratiques que j’ai mis en œuvre une grande concertation réunissant l’ensemble des acteurs de cette politique publique. À l’issue de ce processus, au mois de mai, j’en présenterai les conclusions, ainsi qu’un calendrier des travaux à conduire avec les acteurs de la protection de l’enfance, parmi lesquels j’identifie les professionnels de santé, que j’ai associés à cette réflexion collective. Nous élaborerons ensemble les outils et les références d’un travail en commun dont nous avons besoin et qui suscite auprès de chaque acteur des attentes fortes.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, contrairement à ce que j’imaginais spontanément, j’ai découvert que, encore, dans notre pays, parler de maltraitance des enfants pouvait être un sujet subversif.

Subversif, parce que, pour assurer la protection de l’enfant, il nous faut souvent pousser des portes bien verrouillées. Il s’agit de celles que passent les professionnels de l’aide sociale à l’enfance chaque matin, mais aussi des portes symboliques, qui sont celles de l’entrée de l’action publique au sein de la sphère privée.

Subversif, aussi, car le sujet fait ressortir un certain nombre de dogmes, de fausses alternatives, qui s’affrontent depuis de nombreuses années : celles qui opposent droits de l’enfant et droits de la famille ; celles qui opposent le maintien du lien parental au placement ; celles qui opposent le tout-judiciaire à la méfiance à l’égard de la justice, ou encore le secret professionnel au partage de l’information.

Subversif, enfin, car la lutte contre la maltraitance des enfants impose à chacun d’interroger ses propres pratiques. Si nous ne sommes pas, ou n’avons pas été des parents maltraitants, avons-nous pour autant toujours été des parents bientraitants ? Vous le savez, la bientraitance est, dans l’exercice des responsabilités de mon ministère, l’ambition ultime de la lutte contre la maltraitance. Alors, pour l’examen de textes relatifs à la protection de l’enfance, j’en appelle au Sénat, qui montrera, j’en suis sûre, qu’aujourd’hui comme demain il sait être la chambre de la sagesse et du consensus. (M. le rapporteur applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame Giudicelli, mes chers collègues, je pense que nul ne m’en voudra de ne pas utiliser les quatorze minutes qui me sont allouées pour exprimer un avis tellement évident en faveur d’un texte qui ne peut que recueillir le consensus.

Pour autant, je parle avec beaucoup d’humilité, car nous savons bien que, hélas, ce n’est pas cette modification de la loi qui va changer tous les comportements. Néanmoins, en votant ce texte, nous pouvons y contribuer.

Je serai un peu plus nuancée que Mme la secrétaire d’État sur le caractère dramatique de la situation. Il est vrai que les violences intrafamiliales et la maltraitance des enfants sont des sujets importants. En même temps, mesurons le chemin parcouru : c’est parce que, aujourd’hui, des dénonciations sont faites, c’est parce que, au sein des cellules familiales, on peut en parler que, du coup, effectivement, ce phénomène apparaît davantage sur la place publique.

Notons aussi que la médecine a fait des progrès : voilà dix ans, le syndrome des bébés secoués n’était même pas identifié. Il n’en est plus de même aujourd’hui et les médecins peuvent dénoncer des comportements de cette nature.

Par ce texte, madame Giudicelli, vous proposez d’améliorer la situation des médecins. Votre proposition de loi initiale visait, certes, à les protéger de toute action en cas de violation du secret professionnel, mais aussi à leur imposer une obligation de dénonciation au procureur de la République, comme d’autres pays l’ont fait, sur les recommandations du Conseil de l’Europe.

Je pense que la commission des lois a eu raison d’être prudente, mais il ne faut pas exclure de devoir envisager un jour cette obligation, car elle peut être une façon de protéger le médecin dans sa relation à la famille : il peut expliquer qu’il est obligé de signaler, sauf à s’exposer à des poursuites. Il pourrait déjà le faire aujourd’hui, car, d’un point de vue tant civil que pénal, un médecin qui suspecterait des faits de maltraitance sans les dénoncer pourrait être poursuivi du chef de non-assistance à personne en danger.

Pour sensibiliser les médecins, il faut peut-être leur dire qu’ils doivent avoir le courage, même s’ils sont médecins de famille, de dénoncer des faits qu’ils constatent.

L’autre problème réside dans la difficulté de la constatation. Les violences faites aux enfants, la maltraitance ne se remarquent pas forcément de manière évidente, surtout lorsqu’elles sont d’ordre psychologique. De toute façon, l’enfant en âge de parler qui est victime de maltraitance se sent mal-aimé, et il n’aura pas envie de se confier au médecin. La relation intrafamiliale est extrêmement complexe, et on retombera sur le même problème au moment de la décision de placement de l’enfant ou de son maintien dans la cellule familiale. Telles sont les difficultés que l’on peut connaître lorsque l’on traite de ces sujets.

Cette proposition de loi est donc équilibrée et je pense que M. le rapporteur a eu raison de l’amender pour que les professionnels de santé s’adressent aux cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, les CRIP, car l’information y est partagée, au lieu de saisir directement le procureur de la République. En effet, dans la pensée des professionnels concernés, cette saisine s’apparente trop à une dénonciation susceptible d’être communiquée à la police voire à un juge d’instruction. Or, au stade du signalement, il n’existe pas encore de certitude, il convient donc rester extrêmement prudent.

L’équilibre trouvé par la commission fait que je ne vois pas comment on pourrait envisager de ne pas soutenir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre collègue Colette Giudicelli visant à modifier l’article 11 de la loi n° 2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance.

Le sujet est grave et important, puisqu’il s’agit de dispositions relatives au signalement des actes de maltraitance envers les mineurs. En la matière, les chiffres sont sidérants. On dénombre, dans notre pays, 98 000 cas connus d’enfants en danger : 19 000 sont victimes de maltraitance et 79 000 se trouvent dans des situations à risque ; 44 % des enfants maltraités ont moins de six ans.

Derrière ces chiffres souvent rappelés, il y a la réalité crue de l’enfance en danger, de l’enfance maltraitée. Nous devons faire face à cette réalité : 98 000 enfants en danger, ce sont 98 000 enfants pour lesquels chacun doit prendre ses responsabilités.

Notre responsabilité de législateur consiste alors à évaluer et à améliorer, si nécessaire, les procédés de signalement des maltraitances envers les enfants, afin qu’ils soient les plus efficaces possible et que ces chiffres terrifiants baissent enfin. Or, comme l’a rappelé notre rapporteur, François Pillet, seuls 5 % des signalements d’enfants en danger proviennent du secteur médical : 4 % des signalements sont dus aux médecins hospitaliers et 1 % aux médecins libéraux. Il convient donc de comprendre pourquoi le dispositif de signalement est si peu utilisé par le corps médical et de le renforcer.

En 2003, le Parlement, notamment notre Haute Assemblée, considérait déjà que le droit existant entravait les signalements, par les médecins, d’actes de maltraitance subis par des mineurs. Certaines modifications avaient alors été apportées à l’article 226-14 du code pénal afin de renforcer la protection de l’enfant, mais également celle du médecin qui émet un signalement. Plus de dix ans après la promulgation de cette loi, force est de constater qu’il faut revoir ses dispositions.

Comme l’exposé des motifs le rappelle, « depuis 1997, environ deux cents médecins – qu’ils soient psychiatres d’enfants, médecins généralistes, pédiatres ou encore gynécologues – ont fait l’objet de poursuites pénales et/ou de sanctions disciplinaires sur l’initiative du ou des auteurs présumés des agressions », ce qui a créé « un climat de stress et un malaise profond au sein du monde médical ».

Les auteurs de la présente proposition de loi estiment, pour leur part, que la loi n° 2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance « n’a malheureusement pas été suffisante pour protéger les victimes mineures et encourager les médecins à signaler les violences » et souhaitent, en cas de signalement, « protéger l’ensemble des médecins des poursuites qui pourraient leur être intentées et, de ce fait, renforcer et encourager leur mission de protection des mineurs faisant l’objet de violences ».

Le groupe écologiste souscrit à ce constat et partage la volonté de modifier le droit, afin d’instaurer une véritable protection juridique pour le corps médical. C’est d’ailleurs la solution qui a été adoptée par de nombreux pays européens et qui est défendue par le Conseil de l’Europe.

Je veux saluer ici le travail de fond réalisé par notre rapporteur, qui a contribué à améliorer encore le dispositif de cette proposition de loi, en y incluant l’ensemble des membres des professions médicales, ainsi que les auxiliaires médicaux.

Finalement, en affirmant sans ambiguïté et de manière parfaitement explicite que le professionnel qui signale régulièrement une présomption de maltraitance ne peut voir sa responsabilité, quelle qu’elle soit, engagée, le texte issu des travaux de la commission des lois permet de libérer les personnes concernées du dilemme dans lesquelles elles se trouvent, entre le devoir moral de signaler, le respect du secret médical et la crainte des poursuites.

Nous en sommes convaincus, cette meilleure protection des professionnels ne peut que rendre plus efficace la lutte pour la défense de l’enfance en danger. C’est donc sans hésitation que le groupe écologiste votera cette proposition de loi. (M. le rapporteur applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les études internationales, bien que difficiles à mener, nous montrent qu’un quart des adultes dans le monde déclament avoir subi des violences physiques dans leur enfance et qu’une femme sur cinq et un homme sur treize disent avoir subi des violences sexuelles.

Parce que ces formes de violences physiques, psychologiques et de traitements négligents à l’égard de mineurs ont des conséquences importantes sur la santé de l’enfant, son développement, puis sur la dignité de l’adulte tout au long de sa vie, elles représentent un véritable enjeu de santé publique.

La maltraitance provoque un stress auquel on associe une perturbation du développement précoce du cerveau qui peut affecter le développement des systèmes nerveux et immunitaire. Dès lors, les enfants maltraités, devenus adultes, sont davantage exposés à divers troubles comportementaux, physiques ou psychiques. Certains penseront peut-être qu’il s’agit là de lieux communs, mais je pense qu’il était malgré tout utile de rappeler ces éléments.

Ce problème concerne l’ensemble des pays, même s’il est clair que les situations de conflit armé, l’apparition de zones de non-droit, de grande misère sociale ou éducative aggravent particulièrement les maltraitances. Les jeunes filles y sont particulièrement exposées, subissant exploitation, violences sexuelles et autres sévices.

La maltraitance n’est pourtant pas l’apanage des pays pauvres ou des pays en guerre. Elle concerne l’ensemble des pays développés, et en leur sein, tous les milieux sociaux et l’ensemble des familles. Loin d’être un phénomène rare, la maltraitance infantile est très fréquente puisque 10 % des enfants en seraient victimes dans les pays dits « à hauts revenus ».

Cher Jacques Bigot, malgré le chemin parcouru en termes de techniques d’investigation, de parole libérée, et même si le phénomène ne connaît pas d’augmentation, il n’en reste pas moins que 10 % des enfants sont maltraités. Pour bien comprendre ce que cela veut dire, il faut aller au-delà des chiffres et se représenter une petite cohorte de dix enfants qui quittent leur école pour se rendre à la cantine scolaire du village ou du quartier : statistiquement, un de ces dix enfants est maltraité !

Or ces maltraitances ne sont que rarement signalées : la Haute Autorité de santé estime ainsi qu’elles ne le sont pas dans 90 % des cas. Elles sont en outre peu déclarées par les médecins : seuls 5 % des cas de maltraitance font l’objet d’un signalement par les médecins – 1 % en ville, 4 % à l’hôpital –, alors qu’un tiers des signalements émanent des services sociaux, 20 % de l’éducation nationale, un peu plus de 15 % du voisinage ou de l’entourage et un peu plus de 15 % aussi de la famille elle-même.

Pourtant, les médecins sont, notamment dans les premières années de la vie, des acteurs essentiels dans le repérage de la maltraitance et ils devraient être les plus à même d’appréhender les violences physiques et psychologiques. Or ils participent peu à son signalement, comme je viens de le rappeler.

Difficulté à caractériser la maltraitance par manque de formation, réticence à remettre en cause la sphère de la famille opposée à la sphère publique, mais aussi méconnaissance du dispositif de signalement à la justice ou aux cellules de recueil des informations préoccupantes des conseils généraux – j’ai pu le constater tout récemment encore – tels sont les freins à l’action des médecins.

Il ne faut pas non plus oublier le risque de poursuites judiciaires par les présumés agresseurs, qui peut constituer un dernier frein au signalement, encore que, rappelons-le, l’absence de signalement fasse également courir un risque au médecin pour non-assistance à enfant en danger. Cela dit, il ne s’agit pas d’un phénomène massif : depuis 1997, environ deux cents médecins – pédopsychiatres, médecins généralistes, pédiatres – ayant signalé au procureur de possibles maltraitances sur des enfants ont fait l’objet de poursuites. Ce chiffre est important, mais il n’est pas énorme ; il faut malgré tout s’en préoccuper.

Pour protéger la victime, le repérage précoce est décisif. Les professionnels de santé, parce qu’ils sont en contact régulier avec les enfants dès leur plus jeune âge, sont en première ligne pour détecter un cas de maltraitance et le signaler aux autorités compétentes.

Cette proposition de loi tend à favoriser le signalement par les médecins, en instaurant, dans sa version initiale, une obligation de signalement dans tous les cas de présomption de maltraitance. Elle vise également à écarter la mise en cause de la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire du praticien, à moins que sa mauvaise foi n’ait été judiciairement établie. L’objectif est louable, puisqu’il s’agit de renforcer et d’encourager les signalements des médecins.

Cette proposition de loi va dans le bon sens, même si, nous l’avons vu, les freins au signalement sont beaucoup plus complexes et dépassent le seul risque de poursuites judiciaires, plutôt réduit.

La commission a modifié et enrichi ce texte dans un sens qui nous convient.

Tout d’abord, l’obligation de signalement a été supprimée par la commission. Elle partait d’un bon sentiment, mais elle aurait pu aboutir à des résultats contraires à l’objectif.

En outre, la commission a ajouté la mention dans la loi d’un signalement à la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes. Ce point est extrêmement important, parce que le recours à la CRIP est beaucoup plus souple, mesuré et équilibré, et donc beaucoup plus efficace.

La commission a également élargi le dispositif aux situations de violences au sein des couples, avec les conséquences qu’elles peuvent avoir pour les enfants.

Enfin, elle a ajouté un article prévoyant une formation aux modalités de signalement des situations de violences aux autorités administratives et judiciaires.

Le texte qui résulte des travaux de la commission est ainsi plus complet, même si la question de la formation des médecins et des auxiliaires médicaux reste posée, bien qu’elle soit évoquée à l’article 2 ajouté par la commission. Il ne faudra pas négliger cet aspect et y consacrer des moyens.

Nous ne pouvons que saluer l’initiative de notre collègue auteur de cette proposition de loi, de même que nous ne pouvons que nous féliciter du travail réalisé par le rapporteur et par la commission. Le consensus observé sur l’ensemble de nos travées est bien la moindre des contributions que pourra apporter notre assemblée à ce texte qui, s’il ne change pas complètement la donne, aura au moins le mérite de contribuer à améliorer la situation de la petite enfance.

Vous l’aurez compris, notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte déposé par Mme Colette Giudicelli et plusieurs de ses collègues vise à renforcer le rôle des médecins dans leur mission de protection des mineurs victimes de violences.

Est ainsi introduite dans le code pénal une obligation de signalement pour tous les médecins, signalement qui ne pourra pas engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire.

Face aux faits de violence, de viols, de mauvais traitements sur des mineurs que les médias nous rapportent quotidiennement, l’intention des auteurs de cette proposition de loi est louable.

À chaque fois, la même question se pose : pourquoi ces drames n’ont-ils pas fait l’objet de signalement plus tôt ?

Cette maltraitance, longtemps méconnue, souvent cachée, ignorée, y compris au sein des familles, nous interpelle tous.

Elle concerne tous les citoyens, et pas seulement les médecins, les professionnels de santé ou les acteurs sociaux. Et a posteriori, on peut, à juste titre, s’offusquer de faits récurrents et répétitifs qui se déroulent pendant des années sans que personne n’ose en parler. Les voisins, les proches, étaient-ils ou non au courant ?

La maltraitance est un problème massif de santé publique dont les conséquences se retrouvent des années plus tard, quand les victimes atteignent l’âge adulte, notamment dans les cas de sévices sexuels.

Les enfants maltraités seront davantage exposés à divers troubles comportementaux, physiques ou psychiques : désordres affectifs, mais aussi troubles du comportement, penchants pour des actes violents, dépression, toxicomanie, désocialisation.

Il n’est que de lire les comptes rendus d’audience des cours d’assises pour constater la fréquence d’un passé familial douloureux parmi les accusés ! Cela ne peut, en aucun cas, être une excuse, mais cela peut expliquer certaines dérives.

Combien de personnes adultes traînent en silence ce boulet d’une maltraitance subie dans l’enfance ou l’adolescence ? Ainsi, dans un certain nombre de cas, l’absence de signalement de la part des proches, de la famille, des médecins – pédiatre ou médecin de famille – a pu jeter l’opprobre sur ces victimes.

Face au problème de signalement, il est certain qu’il fallait exonérer les médecins de sanctions. C’est ce que la loi du 2 janvier 2004 relative à la protection de l’enfance a instauré. Est-ce suffisant ? Pour les auteurs de la proposition de loi, probablement pas !

Comme le souligne Adeline Gouttenoire dans son rapport d’avril 2014, « le domaine médical est un maillon particulièrement important de la protection de l’enfance ». La maltraitance commence en effet souvent aux premiers instants de la vie, à un moment où l’enfant est pourtant suivi assez régulièrement par des professionnels de santé. Néanmoins, comme cela a été rappelé, seulement 5 % des signalements émanent du corps médical.

Cela s’explique par la crainte d’être poursuivi ou de perdre contact avec la famille, auquel il faut ajouter l’absence de suites données à un certain nombre de signalements par les autorités compétentes. Autre facteur d’explication, l’absence de formation dans le cursus universitaire. Effectivement, 5 % de signalements, c’est bien peu pour ceux qui sont appelés à veiller sur l’enfant ou l’adolescent !

Les auteurs de la proposition de loi considèrent que le dispositif actuel n’est « pas suffisant pour protéger les victimes mineures et encourager les médecins à signaler les violences ». Ils rappellent par ailleurs qu’il existe une obligation, pour les médecins fonctionnaires, de signalement de tout acte de maltraitance en vertu de l’article 40 du code pénal. D’où cette proposition de légiférer pour étendre cette obligation à tous les médecins, avec la suppression de l’accord de la victime pour les majeurs.

Je veux le répéter, nous sommes tous conscients de la gravité de ces problèmes. À l’instar du rapporteur, je considère toutefois que le texte proposé initialement était d’application délicate. Le rapporteur l’a parfaitement expliqué, imposer une obligation de signalement n’est pas judicieux.

Aussi, le texte qui nous est proposé par la commission apporte des précisions utiles à la loi de 2004. Sans modifier au fond le droit en vigueur, il le rend plus lisible en affirmant explicitement que le médecin qui signale en toute bonne foi une présomption de maltraitance n’encourt aucune sanction, quelle qu’elle soit.

Le texte prévoit également la possibilité pour le médecin de saisir la CRIP. C’est certainement une bonne chose, sachant que les médecins hésitent bien souvent à saisir l’autorité judiciaire.

Enfin, la commission a souhaité renforcer la formation des professionnels pouvant être confrontés à des situations de maltraitance. Nous avons bien conscience de la nécessité d’une formation, actuellement très insuffisante, mais il faudra trouver une place dans les programmes de formation !

Pour avoir personnellement exercé pendant plus de dix ans en chirurgie infantile, je peux attester qu’il faut agir avec précaution sur ces suspicions de maltraitance, même si, en milieu hospitalier, l’approche est peut-être plus facilement collégiale. La question est plus délicate pour le médecin généraliste isolé. Et une meilleure formation me semble prioritaire. N’imposons cependant pas au médecin des contraintes trop lourdes ! C’est la raison pour laquelle, sur ce texte, je suivrai, avec les membres de mon groupe, la commission. (Applaudissements au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la lutte contre la maltraitance des enfants ou des personnes vulnérables est une cause hautement prioritaire. Je salue donc le travail de l’auteur de la proposition de loi, Mme Colette Giudicelli, et celui du rapporteur, M. François Pillet.

Je ne reviens pas sur les chiffres, ils ont été cités. Chacun les connaît et ils nous imposent d’agir.

Il est capital, en effet, de renforcer la détection précoce et la prise en charge de l’enfant maltraité ou de la personne vulnérable. Le médecin est, bien sûr, l’acteur de proximité qui a l’occasion d’identifier les signes d’une maltraitance. Pourtant, la plupart des cas ne sont pas signalés et les signalements provenant des professionnels de santé sont loin de représenter la majeure partie des signalements. N’étant pas membre du corps médical, j’avoue avoir été très surpris en découvrant les chiffres.

M. Charles Revet. Nous aussi !

M. François Zocchetto. Quels sont les principaux freins qui expliquent ces constats ? Le plus souvent, c’est la crainte d’être poursuivi pour dénonciation abusive, mais c’est aussi la méconnaissance du phénomène de maltraitance par les médecins eux-mêmes, si curieux que cela puisse paraître pour nous qui n’exerçons pas cette profession.

Pour lutter contre ce dénominateur commun qu’est la peur – peur de la victime à désigner ses maux, peur du médecin à les dénoncer –, la confiance et la protection doivent être renforcées de part et d’autre, de manière à briser le silence et à libérer la parole.

Rendre obligatoire le signalement – j’espère que l’auteur de la proposition de loi ne m’en voudra pas de le dire ! – conduirait, me semble-t-il, à une situation de confusion, voire d’extrême confusion. En effet, de peur de voir sa responsabilité engagée, le médecin serait contraint de signaler le moindre fait. Et, devant l’afflux de signalements, il deviendrait très difficile pour le procureur d’identifier les situations particulièrement dangereuses et donc prioritaires.

Comme l’a relevé notre rapporteur, la gravité de la situation ne justifie pas toujours l’urgence. Une telle obligation serait, il faut le dire, incompatible avec les principes de la déontologie médicale, qui imposent au médecin de faire preuve de prudence, de circonspection et d’apprécier chaque situation en toute conscience.

Selon le dernier sondage de l’association L’Enfant bleu, 60 % des victimes ont gardé secrète leur maltraitance.

Pour lutter contre la peur qui réduit les victimes au silence, le lien de confiance unissant le médecin à son patient doit être solide et indéfectible. Une victime sera d’autant plus réticente à aller consulter si elle est consciente du fait que son médecin peut procéder à un signalement contre son gré.

Par ailleurs, chacun comprend bien que l’obligation de signalement fragiliserait ainsi encore plus les victimes mineures ou incapables et risque de les mettre en danger si les auteurs des sévices hésitent à présenter leur enfant à un médecin par crainte d’être dénoncés.

Parce que les médecins doivent aussi se sentir en confiance, l’affirmation claire de l’irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire du médecin est essentielle.

Il y a eu, c’est vrai, une accumulation de poursuites judiciaires et disciplinaires pour des cas de signalement erroné. Il est donc très important de réaffirmer cette irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire. La réaffirmer, c’est aussi confirmer notre confiance en la profession médicale.

Cependant, la crainte de poursuites n’est pas l’unique facteur restrictif en la matière, car le médecin est souvent placé devant un cas de conscience. L’impact humain et social d’un signalement est lourd. Il peut conduire, en cas d’erreur – toujours possible, en la matière – à la destruction d’une famille ou de la carrière professionnelle de la personne soupçonnée.

D’où l’importance de renforcer la formation au repérage des signes de maltraitance afin d’atténuer les doutes et les hésitations des médecins et de les aider à établir leur diagnostic.

Le signalement, qui est un devoir déontologique, doit donc être conçu comme un soin à part entière, enseigné comme tel dans les universités de médecine.

C’est une avancée majeure qui est proposée par ce texte. Elle était attendue et réclamée par la Haute Autorité de santé et le Conseil national de l’ordre des médecins.

Encourager la parole des médecins, c’est aussi comprendre leur cadre de travail et s’adapter à leurs contraintes. Or, on le sait, ils se montrent réticents à s’adresser directement à l’autorité judiciaire.

Permettre aux médecins de solliciter directement la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, avec laquelle ils sont plus généralement enclins à dialoguer, favorisera sans aucun doute leur intervention.

Enfin, le médecin de famille, de par la stature qu’il a et la confiance qu’il est censé inspirer, n’est paradoxalement pas toujours le mieux placé pour procéder à un signalement. D’où l’importance d’associer d’autres acteurs à cette procédure, afin de permettre la montée en puissance de l’identification des cas.

Je salue donc l’initiative qui permet à l’ensemble du personnel paramédical et aux auxiliaires médicaux d’être aussi couverts par l’immunité pénale en cas de violation du secret professionnel.

Vous l’aurez compris, pour le groupe UDI-UC, l’esprit du texte lui-même et toutes les modifications introduites en commission vont dans le bon sens. C’est la raison pour laquelle nous voterons la proposition de loi sans aucune hésitation. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Béchu.

M. Christophe Béchu. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais joindre mes remerciements à ceux des orateurs précédents qui ont salué le travail de Colette Giudicelli et le dépôt de cette proposition de loi.

J’aimerais saluer également la tâche qui a été effectuée par notre rapporteur et féliciter Alain Milon, dont l’absence inopinée me permet de m’exprimer devant vous cet après-midi, pour l’action qu’il a menée et la manière dont il s’est penché sur l’ensemble de ces questions.

Je remercie Colette Giudicelli d’avoir déposé un texte qui permet de répondre à une problématique relevant du champ de la protection de l’enfance en ouvrant la possibilité de signalements sécurisés pour les professionnels de santé.

Le rapporteur, qui a enrichi la rédaction initiale, a fait en sorte de circonscrire aux mineurs la suppression de l’exigence du consentement, qui est maintenue pour les majeurs, tout en veillant à ne pas ouvrir, en posant une obligation de signalement, d’autres possibilités de poursuites, alors que l’objet de la proposition de loi est précisément de sécuriser les signalements pas les praticiens.

Les chiffres ont été rappelés à cette tribune. Mme la secrétaire d'État a cité une estimation qui se fonde principalement sur des travaux britanniques : 10 % des enfants ont été victimes de maltraitance et, dans les deux tiers des cas, le silence prévaut encore aujourd'hui sur les violences qu’ils ont pu subir.

J’ai eu l’honneur de présider, pendant plusieurs années, le groupement d’intérêt public Enfance maltraitée, le GIPEM, et, de ce fait, l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED. À ce titre, je peux dire qu’une prise de conscience a eu lieu depuis la loi Bas de 2004 et qu’elle n’a cessé de se poursuivre. Les différents gouvernements ont intégré le fait que, faute de conduire un travail permettant d’objectiver le phénomène par des chiffres plus sûrs, notre pays aurait toutes les peines à faire progresser la législation sur la protection de l’enfance qui, vous l’avez très bien dit, madame la secrétaire d’État, est dans un « angle mort » du débat public.

La protection de l’enfance, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, est un sujet qui nous met tous mal à l’aise et ne donne pas lieu à des inaugurations !

Quand on a la responsabilité des questions sociales, on dispose de multiples manières de travailler sur le handicap, l’autonomie du grand âge ou l’insertion, par exemple.

Ainsi, dans le champ du handicap, on peut ouvrir des établissements qui seront consacrés à l’amélioration de tel ou tel type d’accompagnement ou se donner les moyens de se battre pour la scolarisation des autistes.

Dans le champ de l’autonomie et du grand âge, nous avons également l’occasion de braquer des projecteurs sur l’investissement des collectivités locales ou du Gouvernement et de saluer la qualité des dispositifs mis en place. Je ne parle pas seulement des anniversaires de centenaires dans les maisons de retraite – nous ne les fêtons d’ailleurs plus, car nous y passerions tous nos week-ends ! (Sourires.) – ou des plans canicule et autres, mais aussi de l’ouverture des centres d’activités naturelles tirées d’occupations utiles, les CANTOUS.

Ce qui est vrai en matière de handicap et de vieillissement l’est tout autant dans le champ de l’insertion.

Accompagner des chantiers d’insertion, prévoir des clauses spécifiques dans les marchés publics, s’efforcer de diminuer la précarité dans un certain nombre de secteurs, par exemple en agissant dans le domaine de l’aide alimentaire : on le voit, il est possible dans tous les champs de la solidarité de montrer que les pouvoirs publics ne restent pas inactifs et, dans le même temps, de mobiliser des ressources et des forces de travail.

Dans le domaine de la protection de l’enfance, en revanche, la règle primordiale est la préservation de l’anonymat des enfants.

Là réside la première difficulté : lorsqu’il n’est pas possible de désigner les bénéficiaires d’un certain nombre de dispositifs, il est complexe de mettre en valeur la politique que l’on choisit de conduire.

Deuxième difficulté : ce sujet suscite chez chacun d’entre nous, quelles que soient ses convictions politiques, un profond sentiment de malaise.

Comment peut-on s’attaquer à des enfants ? Et comment peut-on, car c’est ce que laissent apparaître la plupart des situations, s’attaquer à ses propres enfants ? Comment celles et ceux, adultes, parents, qui ont d’abord la responsabilité de protéger, d’éduquer, d’accompagner, d’élever, de faire grandir, peuvent-ils être les premiers bourreaux ? Et qui irait invoquer sans répugnance ces figures parentales contre lesquelles viennent se briser tant d’enfances ?

Alors, oui, la protection de l’enfance s’invite dans notre quotidien au travers d’affaires et de procès retentissants à l’occasion desquels les actions que nous menons ne sont, la plupart du temps, guère mises en avant.

Je me réjouis donc de la présentation de cette proposition de loi que, bien entendu, l’ensemble du groupe UMP votera, tout en insistant sur le caractère crucial du signalement.

Sans signalement, en effet, rien n’est possible : les cas susceptibles de faire l’objet de mesures de prévention ne peuvent pas être repérés ; on ne peut pas prendre de mesures d’intervention en milieu ouvert ou de décisions de placement.

Le signalement, c’est la porte d’entrée de tout dispositif en la matière. Si nous ne travaillons pas sur le signalement, nous nous heurterons, une fois encore, au mur du silence.

Les chiffres sont éloquents. Lorsque l’on se penche sur la réalité des chiffres, on s’aperçoit que l’écrasante majorité des signalements visent d’abord les parents eux-mêmes et sont émis par des voisins ou des amis qui ont des doutes.

Cela pose une autre difficulté : lorsque la maltraitance est réelle et que l’auteur des faits est le parent, ce qui apparaît statistiquement comme la situation la plus fréquente, alors de tels signalements ne sont pas utiles. D’ailleurs, seuls 20 % environ des signalements sont transmis aux services sociaux, de police, ou par l’intermédiaire du 119, le numéro unique d’appel.

La loi Bas a été une grande loi.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Elle l’est toujours ! (Sourires.)

M. Christophe Béchu. Malgré tout, un certain nombre de ses dispositions doivent être améliorées.

Mes chers collègues, au-delà du consensus qui nous réunit autour de ce texte, je voudrais aborder devant vous les quelques sujets sur lesquels, non, vraiment, le compte n’y est pas.

Tout d’abord, on veut, nous dit-on, sécuriser les signalements. Mais pourquoi viser seulement les professions de santé ? Pourquoi ne pas viser les instituteurs ou les autres lanceurs d’alerte susceptibles, eux aussi, d’être concernés par la judiciarisation croissante constatée à l’heure actuelle ?

Je vous livrerai mon propre témoignage de président de conseil général : voilà quelques années, une assistante sociale appelle sa responsable de circonscription, laquelle appelle à son tour le président du conseil général, en préconisant le placement d’un enfant, mais en précisant qu’il est préférable de ne rien écrire afin d’éviter que la famille ne puisse se retourner contre nous…

Combien de présidents de conseil général ont-ils été confrontés à une telle situation ?

Ensuite, parler de la protection de l’enfance, c’est aussi s’interroger sur le caractère extrêmement préoccupant de son financement et de sa soutenabilité financière.

Pour ce qui est des dépenses de solidarité – la prestation de compensation du handicap, la PCH, l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, le revenu de solidarité active, le RSA –, des mesures ont été prises, même si l’on peut discuter de leur nature.

L’aide sociale à l’enfance, en revanche, est considérée comme une dépense sociale obligatoire ne reposant pas sur des critères absolument objectifs. Elle peut donc devenir, demain, une variable d’ajustement à la baisse, en cas de difficulté financière.

De la même manière, on ne peut pas laisser de côté le sujet des mineurs isolés étrangers, lequel « embolise » une partie des dispositifs d’accueil classique, là où sont placés des enfants victimes de maltraitance. Et chacun sait que, dans ce domaine, en dépit de la circulaire Taubira, la question de la régulation n’est pas résolue : certains départements font plus que leur part, quand d’autres accueillent très, très peu.

Madame la secrétaire d’État, vous en avez appelé au Sénat en tant que chambre de consensus et de sagesse. Je ne résiste donc pas à la tentation de rappeler qu’ici même, en 2012, la proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire au service d’aide à l’enfance lorsque l’enfant a été confié à ce service par décision du juge, présentée par Catherine Deroche et moi-même, avait été adoptée par 330 voix sur 346, contre l’avis du Gouvernement. Elle avait fait l’objet d’un consensus presque total : le groupe CRC, l’Union centriste, le RDSE, l’UMP, ainsi que le groupe socialiste, à l’exception de quatre de ses membres, avaient voté pour ; seul le groupe des écologistes avait voté contre.

Je suis convaincu qu’il est nécessaire de moraliser le dispositif de l’aide à l’enfance. Les allocations familiales ne sauraient être perçues par des parents qui maltraitent leurs enfants ; ...

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Christophe Béchu. … elles doivent être versées à des tiers dignes de confiance, aux familles d’accueil, aux conseils généraux. Cette mesure, qui ne coûterait pas un centime à l’État, puisqu’il s’agit simplement de transférer ces fonds au bénéfice de ceux qui assument la responsabilité des enfants, permettrait, à la fois, de faire montre d’une forme d’autorité et de dégager plusieurs centaines de millions d’euros, notamment pour financer des dispositifs nouveaux dans le cas où ces sommes ne seraient pas affectées directement. Nous démontrerions ainsi que, dans ce domaine, au-delà de la question du signalement, les ambitions énoncées à cette tribune peuvent se traduire par des décisions.

À l’issue du débat sur notre proposition de loi, votre prédécesseur, Mme Bertinotti, nous avait répondu que tout n’était pas à jeter dans notre texte, mais que nous devions attendre la grande loi sur la protection de l’enfance.

Presque trois ans se sont écoulés, et la présente proposition de loi comme celles de demain et sans doute d’après-demain ne conduiront qu’à de petits ajustements. Le moment est sans doute venu d’adopter une vision plus large, plus ambitieuse, qui nous permette d’être à la hauteur de ce défi ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Charles Revet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Je veux saluer, tout d’abord, la qualité de la discussion générale qui vient de se tenir et le consensus qui s’est dessiné au travers des interventions des représentants des différents groupes.

Je souhaite répondre à M. Béchu sur les différents points qu’il vient d’évoquer en fin de discussion générale et qui dépassent un peu la seule maltraitance.

M. Charles Revet. Mais qui sont très importants aussi !

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Tout à fait, monsieur le sénateur, et je vais y venir.

Il faut veiller à ne pas trop associer protection de l’enfance et maltraitance. Selon les chiffres dont nous disposons – mais il faudrait sans doute les pondérer, compte tenu du nombre, précédemment évoqué, de non-signalements –, seuls 30 % des enfants confiés à l’Aide sociale à l’enfance le sont pour des faits de maltraitance et 70 % pour d’autres raisons, carences, défaillances familiales ou difficultés momentanées.

Je vous le concède, néanmoins, ces deux sujets sont connexes.

Vous avez évoqué, monsieur le sénateur, une « grande loi sur la protection de l’enfance ». En tant que membre – pragmatique – du Gouvernement, je sais combien il est difficile de « pousser » des véhicules législatifs, voire de les faire sortir de la gare de triage lorsqu’il ne s’agit pas de « TGV »... (Sourires.)

Si j’ai choisi comme véhicule législatif la proposition de loi relative à la protection de l’enfant de Michelle Meunier et Muguette Dini, c’est parce qu’elle était déjà sur les rails ! La grande loi que vous appelez de vos vœux se construira donc sur la base de ce texte et du travail mené au Sénat, à l’Assemblée nationale, puis de nouveau au Sénat.

Je l’ai dit dans mon intervention liminaire, je mène parallèlement une très grande concertation avec tous les acteurs de la protection de l’enfance, en particulier – je le dis aux présidents, actuels et anciens, de conseil général – avec les départements.

J’ai en effet le sentiment que les départements, après avoir fait valoir dans un premier temps que la politique de protection de l’enfance était l’une de leurs prérogatives au titre de la libre administration des collectivités locales, sont désormais quelque peu demandeurs d’un pilotage national. En effet, sans vouloir renoncer à ce domaine d’intervention, ils sont d’accord pour que nous évoquions ensemble un tel pilotage.

Je travaille donc avec les départements et tous les acteurs concernés. Afin d’assurer une bonne coordination, nous ferons des allers et retours entre la concertation – je ferai des propositions au mois de mai – et la procédure législative. Ce pragmatisme législatif, je souhaite le partager avec vous.

S’agissant des allocations familiales, question dont je sais qu’elle fait l’objet de débats, ici comme à l’Assemblée nationale, je veux rappeler que 55 % seulement des allocations familiales sont versées aux familles. Les sommes restantes sont d’ores et déjà versées, sur décision du juge, à l’ASE.

Le juge est en effet en capacité, aujourd’hui, de choisir de verser les allocations familiales à la famille ou à l’ASE. Et, comme le prouve le pourcentage que je viens de citer, il use de cette faculté.

En outre, je ne crois pas judicieux de verser systématiquement les allocations familiales à l’ASE. Il se peut, en effet, que les placements soient temporaires et destinés à faire face à une situation familiale particulière, comme l’hospitalisation de l’un des parents ou une défaillance momentanée. Ensuite, ces allocations servent parfois à payer le logement, et les parents peuvent continuer d’accueillir leurs enfants lors de la période durant laquelle ceux-ci sont placés.

Verser systématiquement les allocations familiales à l’ASE, ce serait, d’un certain point de vue, rendre encore plus difficile le retour des enfants dans leur famille. Or faciliter ce retour est l’une des vocations de l’aide sociale à l’enfance.

Le droit en vigueur, qui permet au juge de décider en fonction de la spécificité de chaque cas et de chaque famille, me paraît offrir la solution la mieux adaptée à la diversité des situations humaines auxquelles nous avons à faire face.

Mais je ne doute pas, monsieur Béchu, que cette discussion se poursuivra ; il y a encore des niches dans le débat qui va suivre...

Vous avez évoqué, enfin, les modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers. La circulaire, vous le savez, a été annulée par le Conseil d’État pour défaut de base légale, mais nullement en considération de son contenu ou de son esprit. Une fois qu’elle aura retrouvé sa base légale, cette circulaire sera appliquée.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé
Article 2 (nouveau)

Article 1er

L’article 226-14 du code pénal est ainsi modifié :

1° À la première phrase du 2°:

a) Le mot : « médecin » est remplacé par les mots : « membre d’une profession médicale ou à un auxiliaire médical » ;

b) Après les mots : « procureur de la République » sont insérés les mots : « ou de la cellule mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles » ;

2° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues au présent article ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi. »

Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Après le mot :

cellule

insérer les mots :

de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être,

et après le mot :

familles

insérer le signe :

,

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur. Je me félicite de l’excellente collaboration entre la commission des lois et Mme la secrétaire d’État et ses services, collaboration dont cet amendement de précision rédactionnelle est le fruit. Il aurait très bien pu être défendu par le Gouvernement et, si tel avait été le cas, j’aurais émis un avis favorable.

Lors des travaux de la commission, on m’a fait remarquer que la CRIP, la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, n’intervenait qu’en cas de maltraitance sur mineur. Il est donc apparu nécessaire et opportun de mentionner explicitement cette structure dans le texte, ce qui évite de renvoyer à un autre texte et rend la proposition de loi encore plus lisible.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Avis favorable !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.

Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé
Article additionnel après l'article 2 (début)

Article 2 (nouveau)

À la fin de l’article 21 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, les mots : « ainsi que sur les mécanismes d’emprise psychologique » sont remplacés par les mots : « , sur les mécanismes d’emprise psychologique, ainsi que sur les modalités de leurs signalements aux autorités administratives et judiciaires ».

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Mme la présidente. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.

Article 2 (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé
Article additionnel après l'article 2 (fin)

Article additionnel après l'article 2

Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L’article 1er de la présente loi est applicable en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna.

II. - Après l’article 713-3 du code pénal, il est inséré un article 713-3-1 ainsi rédigé :

« Art. 713-3-1. - Pour l’application de l’article 226-14 :

« - au 2°, les mots : « ou de la cellule mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles » sont supprimés ;

« - au dernier alinéa, les mots : « civile, » et les mots : « ou disciplinaire » sont supprimés. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement vise à permettre l’application de la proposition de loi dans les collectivités territoriales d'outre-mer.

Je propose toutefois de le rectifier pour tenir compte de l’adoption de l’amendement n° 1, en précisant l’intitulé exact de la CRIP, à savoir « cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être ».

Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, et ainsi libellé :

Après l’article 2

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - L’article 1er de la présente loi est applicable en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna.

II. - Après l’article 713-3 du code pénal, il est inséré un article 713-3-1 ainsi rédigé :

« Art. 713-3-1. - Pour l’application de l’article 226-14 :

« 1° Au 2°, les mots : « ou de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être, mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles, » sont supprimés ;

« 2° Au dernier alinéa, les mots : « civile, » et les mots : « ou disciplinaire » sont supprimés. »

Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Il s’agit d’un excellent amendement de précision sur lequel le Gouvernement émet un avis favorable.

Mme Françoise Gatel. Quelle chance !

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Béchu, pour explication de vote.

M. Christophe Béchu. Cette précision est tout à fait excellente et nous aurions pu déposer d’autres amendements, notamment sur un sujet que nous avons évoqué un peu plus tôt.

Madame la secrétaire d'État, sur les allocations familiales, je vous renvoie à notre proposition de loi telle qu’elle a été votée.

Je formulerai trois remarques.

Premièrement, rien n’est prévu en ce qui concerne l’allocation de rentrée scolaire. Elle continue d’être versée intégralement aux familles, alors que les frais de scolarité sont entièrement pris en charge par le département.

Mme Françoise Gatel. C’est vrai !

M. Christophe Béchu. Deuxièmement, en l’état actuel du texte, c’est tout ou rien : le juge ne peut pas moduler l’affectation des allocations familiales. Aujourd’hui, le système prévoit soit de tout verser aux familles, soit de tout verser aux institutions. Or le compromis auquel nous étions parvenus, notamment avec Yves Daudigny et le groupe socialiste, consistait à permettre un partage de ces allocations afin d’éviter un gain de pouvoir d’achat pour les parents maltraitants et d’assurer la continuité du lien. Il ne s’agit en aucun cas de tout prendre, y compris dans les cas les plus graves, compte tenu des charges résiduelles.

Troisièmement, il faut faire très attention aux chiffres que l’on avance sur les victimes de violences, notamment au moment de leur entrée dans le placement. Le chiffre de 30 % ne vaut que pour le jour de l’entrée. Quand un enfant est retiré d’un milieu maltraitant, dans la moitié des cas, il révèle les violences subies plusieurs semaines, voire plusieurs mois après le début du placement.

Ainsi, lorsque nous tentons une photographie de la maltraitance sur mineurs et que nous participons à des débats sur la protection de l’enfance, nous nous fondons sur des données qui nous paraissent exactes, mais qui, à cause de la loi du silence contre laquelle nous nous battons, ne correspondent pas à la réalité, car elles ne tiennent pas compte de la difficulté pour les victimes à dire les violences subies.

Grâce à cet amendement de précision dont l’adoption améliorera la qualité de ce texte, nous pourrons avec finesse, sans tabou, sans préjugé, sans a priori idéologique, travailler collectivement à améliorer la situation.

M. Charles Revet. Très bien !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 2.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Magnifique !

Mme la présidente. L'ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à vingt et une heures.)

Article additionnel après l'article 2 (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé
 

Mme la présidente. La séance est reprise.

8

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

9

Débat préalable à la réunion du conseil européen des 19 et 20 mars 2015

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 19 et 20 mars 2015, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.

La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d’abord remercier le Sénat et sa commission des affaires européennes de l’organisation de ce débat préalable au Conseil européen des 19 et 20 mars prochains, qui se tiendra sur deux jours en raison du nombre et de l’importance des points inscrits à son ordre du jour.

Vos analyses et vos observations nous seront très utiles dans la perspective des négociations à venir. J’en tiendrai naturellement le plus grand compte en vue du conseil Affaires générales de la semaine prochaine.

Ce Conseil européen portera en premier lieu sur le projet d’Union de l’énergie dont la France a souhaité la mise en œuvre et qui sera une nouvelle étape de la construction européenne.

Le débat se fondera sur les trois communications présentées par la Commission européenne le 25 février dernier.

La première de ces communications a trait au cadre stratégique de l’Union de l’énergie. Elle s’articule autour de cinq piliers : la sécurité énergétique, le marché intérieur, l’efficacité énergétique, la décarbonation de l’économie, la politique de recherche et d’innovation. À nos yeux, ces cinq piliers constituent un ensemble cohérent, et nous veillerons au maintien de cette cohérence dans le lancement des travaux de mise en place de l’Union de l’énergie et dans les conclusions du Conseil européen. Respecter cette cohérence, c’est aussi respecter l’équilibre auquel nous sommes parvenus lors du Conseil européen d’octobre 2014 sur le cadre énergie-climat pour 2030.

Certains, dans la préparation de ce Conseil européen de mars, sont tentés de privilégier un seul élément, par exemple le marché intérieur ou la sécurité d’approvisionnement énergétique. Ce serait, à notre sens, une erreur. Pour construire l’Europe de l’énergie, il faut avancer sur toutes ses dimensions : les infrastructures, les approvisionnements, les économies d’énergie et l’efficacité énergétique, qui sont aussi des éléments de l’indépendance énergétique de l’Europe, ainsi que les énergies renouvelables et les autres sources d’énergie décarbonées, comme le nucléaire, sans oublier, plus généralement, le soutien aux filières industrielles, à la recherche et à l’innovation dans le secteur des technologies à bas carbone.

Nous devrons donc rester vigilants, pendant toute la phase de préparation de ce Conseil européen, sur le respect de cette approche cohérente, intégrée, globale, ainsi que sur certains sujets concernant la régulation, comme celui des tarifs réglementés, parce qu’il y va du service public. En tout état de cause, cette communication de la Commission, qui sera le point de départ de la discussion, nous semble constituer une bonne base de travail.

La deuxième communication de la Commission porte sur les interconnexions. Elle comporte des mesures pour atteindre l’objectif minimal de 10 % d’interconnexion électrique au plus tard en 2020, au moins pour les États membres ne présentant pas encore un niveau minimal d’intégration au sein du marché intérieur de l’énergie, comme les États baltes, le Portugal et l’Espagne, ou pour ceux qui constituent leur principal point d’accès au marché intérieur de l’énergie.

Pour la Commission, la réalisation des interconnexions électriques constitue ainsi la première étape concrète de la construction de l’Union de l’énergie. Lors du sommet de Madrid de la semaine dernière, qui rassemblait le Président de la République, les Premiers ministres espagnol et portugais et le président Juncker, celui-ci a évoqué de nouveau l’importance qu’il attachait à ce sujet et le soutien que la Commission apporterait au financement des infrastructures nécessaires. Ce point est évidemment crucial, compte tenu de l’ampleur des investissements à réaliser, qu’il s’agisse d’interconnexions électriques ou gazières, notamment entre l’Espagne et la France. Une ligne enterrée à haute tension de très haute technologie vient d’être inaugurée par les Premiers ministres français et espagnol, mais la création de trois autres lignes à haute tension est en projet – l’une passera sous la mer, dans le golfe de Gascogne, et les deux autres à travers les Pyrénées –, ainsi qu’un renforcement des interconnexions gazières.

La troisième communication expose la vision de l’accord de la COP 21 de Paris sur le climat qui doit, selon la Commission, être défendue par l’Union européenne.

La Commission européenne insiste sur plusieurs aspects qui nous paraissent essentiels : l’ambition, sur le fond –l’objectif de réduction des émissions – comme sur la forme – la mise en place d’un instrument juridiquement contraignant –, la clarté des engagements, la transparence et la responsabilisation, l’agenda des solutions, l’adaptation au changement climatique et, bien sûr, le financement.

S’agissant de la diplomatie du climat, la Commission mentionne le besoin d’une intense mobilisation de l’Union européenne et de ses vingt-huit États membres en 2015, lors de tous les rendez-vous internationaux – le G20, le G7, les réunions au sein de l’Organisation des Nations unies consacrées aux nouveaux objectifs de développement et celle d’Addis-Abeba – et auprès de tous les acteurs, qu’il s’agisse des autres États parties à la COP 21, des entreprises, des organisations non gouvernementales ou des collectivités locales.

À cet égard, je veux saluer l’accord intervenu lors du conseil des ministres de l’environnement, vendredi dernier à Bruxelles, sur la contribution européenne à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le document a pu être envoyé aux Nations unies avant la date qui avait été convenue à Lima. Cela permet à l’Europe d’être à l’initiative du mouvement international que nous souhaitons promouvoir en matière de lutte contre le changement climatique, d’être exemplaire et en ordre de marche dans la perspective de la COP 21.

Nous attendons maintenant des autres pays, et en particulier des grands émetteurs de gaz à effet de serre que sont les États-Unis ou la Chine, qu’ils s’engagent à leur tour. Chacun doit prendre ses responsabilités. L’Europe continuera à se mobiliser au côté de la France. C’est ce que propose la Commission européenne, c’est ce que nous demanderons au Conseil européen de décider, afin que l’ensemble des États préparent un accord ambitieux, indispensable pour limiter l’élévation de la température à moins de deux degrés d’ici à la fin du siècle.

Le semestre européen, et plus généralement les enjeux en matière de croissance et d’emploi, est le deuxième grand sujet à l’ordre du jour du Conseil européen.

Comme lors de tous les Conseils européens du mois de mars, les chefs d’État ou de Gouvernement auront un échange sur la situation économique en Europe, la situation budgétaire et la mise en œuvre des réformes structurelles au sein des États membres. Ils devraient approuver les trois piliers de l’examen annuel de croissance établi par la Commission : stimuler l’investissement, accélérer les réformes structurelles, procéder à un assainissement budgétaire responsable et favorable à la croissance. Ils devraient également encourager les États membres à tenir compte de ces trois priorités dans les programmes nationaux de réforme, ainsi que dans les programmes de stabilité ou de convergence que chaque État communiquera en avril prochain.

Permettez-moi à cet égard de revenir sur deux décisions prises aujourd’hui même par le conseil Ecofin, réuni à Bruxelles.

Premièrement, en lien avec le semestre européen, une décision a été prise sur la trajectoire budgétaire française. Les États membres ont approuvé la recommandation de la Commission, confortant ainsi le choix qui avait été fait par la représentation nationale de respecter l’obligation de passer sous les 3 % de déficit par rapport au PIB en 2017. La trajectoire que la France s’était fixée à elle-même et la trajectoire établie par l’Union européenne convergent donc sur une même cible, à un rythme et dans des conditions qui permettent de réduire le déficit sans nuire à la reprise et à la croissance.

Toutes les politiques menées dans l’Union européenne, en particulier au sein de l’Union économique et monétaire, doivent en effet se conjuguer pour conforter la croissance et l’emploi. C’est là notre conviction, et c’est la ligne que nous avons défendue tout au long de ces deux dernières années.

La politique monétaire, qui relève de la Banque centrale européenne, apporte incontestablement une contribution très importante à la reprise. Je citerai notamment le lancement, hier, d’un programme de rachat de dettes qui va fortement contribuer à encourager les investissements. Le niveau de l’euro a baissé – cela tient à des décisions prises antérieurement, telles la baisse des taux d’intérêt et les dispositions visant à injecter des liquidités dans l’économie européenne –, comme l’avait souhaité le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale. C’est une bonne chose pour nos exportations. Les liquidités sont importantes et les banques peuvent apporter des financements aux entreprises.

Nous menons en France les réformes avec détermination. C’est le cas dans la plupart des pays de la zone euro. En Allemagne, elles ont été engagées voilà dix ans. Le pacte de responsabilité est entré en vigueur le 1er janvier. Il prévoit notamment la baisse des charges sur les salaires au niveau du SMIC, une montée en puissance du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, qui concerne maintenant 6 % de la masse salariale, jusqu’à deux fois et demie le SMIC. Si l’on y ajoute d’autres mesures d’allégement de la fiscalité pour les entreprises, ce sont de nouvelles marges qui sont données aux entreprises pour pouvoir investir.

Les indicateurs de croissance s’améliorent, l’emploi des jeunes également. D’autres réformes sont engagées et seront débattues devant votre assemblée, au travers par exemple du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Elles seront, elles aussi, favorables à la croissance et à l’emploi.

En ce qui concerne maintenant les investissements, nous venons aussi de franchir une étape aujourd’hui, puisque le conseil Ecofin a décidé d’appuyer le plan Juncker d’investissement de 315 milliards d’euros proposé par la Commission européenne. C’est la seconde décision du conseil Ecofin que je voulais évoquer.

Le conseil Ecofin vient en effet d’adopter à Bruxelles ce que l’on appelle une « orientation générale » sur le règlement relatif au Fonds européen pour les investissements stratégiques, c’est-à-dire d’exprimer la position favorable du Conseil avant que ne s’ouvrent les négociations avec le Parlement européen. C’est une avancée importante, qui devrait permettre, si les travaux au sein du Parlement européen sont menés avec la même célérité – j’ai insisté sur ce point auprès des chefs de délégation que j’ai rencontrés aujourd’hui même à Strasbourg –, de tenir l’échéance d’une adoption en juin de ce règlement, et donc de commencer à soutenir des projets au travers du plan Juncker dès cet été. C’est un enjeu économique majeur, mais il y va aussi de la crédibilité politique de l’Europe. La Banque européenne d’investissement, la BEI, l’a bien compris, qui s’est engagée par anticipation à mettre immédiatement en œuvre sur ses fonds propres des financements nouveaux au profit de certains projets.

La France s’engage elle aussi pleinement. À l’occasion de sa rencontre vendredi à Luxembourg avec le président de la Banque européenne d’investissement, M. Werner Hoyer, le Président de la République a annoncé une participation de 8 milliards d’euros aux projets qui seront sélectionnés dans le cadre du plan Juncker, sous forme de cofinancement via la Caisse des dépôts et consignations et BpiFrance, qui constitueront une plate-forme de soutien à ces projets. Cela nous place au même niveau que l’Allemagne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil européen abordera également des sujets urgents liés à la situation internationale.

Il évoquera en particulier la situation en Libye, qui a des effets sur la stabilité de l’ensemble du bassin méditerranéen et du Sahel, qu’il s’agisse des flux migratoires ou du risque de voir apparaître un nouveau sanctuaire terroriste, et la préparation du sommet de Riga des 21 et 22 mai prochains sur le partenariat oriental, qui recouvre des enjeux extrêmement importants.

Il se penchera aussi, évidemment, sur la situation dans l’est de l’Ukraine, un peu plus d’un mois après l’entrée en vigueur de l’accord trouvé à Minsk, le 12 février, grâce à l’initiative diplomatique conjointe du Président de la République et de la Chancelière allemande. À l’est de l’Ukraine, bien que les tensions restent fortes, des signes d’amélioration sont apparus depuis plusieurs semaines : le cessez-le-feu tient dans l’ensemble, malgré des tensions persistantes, notamment autour de Marioupol, et le retrait des armes lourdes est engagé. En outre, des échanges de prisonniers ont eu lieu, conformément à ce qui avait été convenu à Minsk.

Cette amélioration reste cependant fragile, et nous devons continuer à faire preuve d’une vigilance extrême pour garantir le respect de l’ensemble des engagements pris à Minsk. C’est la raison pour laquelle nous allons renforcer les moyens de la mission de l’OSCE, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, afin de lui permettre de jouer pleinement son rôle de surveillance, en particulier des frontières, dans l’intégralité de la zone de démarcation.

Tout cela doit nous pousser à renforcer la mobilisation diplomatique européenne pour garantir le plein respect des accords de Minsk. En effet, nous sommes convaincus que seuls le dialogue et la recherche d’une solution politique permettront de mettre durablement un terme à cette crise, de faire respecter la souveraineté de l’Ukraine et de permettre de rétablir des relations normales entre l’Ukraine et la Russie, et partant entre la Russie et l’Union européenne.

La réunion informelle des ministres des affaires étrangères qui s’est déroulée à Riga les 6 et 7 mars derniers a permis de confirmer une nouvelle fois que la France et l’Allemagne bénéficiaient, dans leurs efforts, du plein soutien de l’ensemble des États membres.

Voilà, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes questions qui seront à l’ordre du jour de ce Conseil européen, à la fois consacré au traitement des urgences qui s’imposent à l’Europe, à ses frontières comme en son sein – le point sera fait sur la mise en œuvre des décisions prises en matière de lutte contre le terrorisme –, et tourné vers l’avenir avec l’instauration de l’Union de l’énergie, qui constituera une étape décisive dans l’histoire de la construction européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UDI–UC. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

Mme la présidente. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de huit minutes aux porte-parole de chaque groupe politique et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

La commission des finances et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant huit minutes chacune.

Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs, puis nous aurons une série de questions, avec réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Simon Sutour, pour le groupe socialiste.

M. Simon Sutour. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis quelques mois, des signaux européens tangibles montrent enfin que l’urgence est non plus à l’austérité, mais à la croissance et à l’investissement : annonce d’un plan d’investissement européen, clarification des principes de flexibilité du pacte de stabilité et de croissance, perspective de la mise en place d’une stratégie numérique et d’une Union de l’énergie qui devraient permettre de développer les investissements.

Malgré ces signaux, la concrétisation de ces projets nécessaires à la croissance en Europe risque de se faire attendre. Il reste en effet à adopter la création du Fonds européen pour les investissements stratégiques, le FEIS, pour lancer le plan d’investissement, dont le champ et la force de frappe restent, pour le moins, perfectibles. En outre, aucun projet concret majeur n’a encore été annoncé en matière de stratégie numérique, et les bénéfices d’une Union de l’énergie fondée sur une transition énergétique se feront, par définition, attendre. Quant aux propositions tendant au renforcement de l’Union économique et monétaire, leur examen a été repoussé à une date ultérieure. Enfin, je tiens à le souligner tout particulièrement, le volet social reste le parent pauvre de ce début de mandature de la Commission européenne.

Certes, l’actualité s’est largement invitée au prochain sommet européen. Terrorisme, Ukraine, Grèce : autant de défis qui ont nécessité des réponses rapides. Nous en appelons à plus d’audace de la part de nos dirigeants européens.

En ce qui concerne la Grèce, tout d’abord, la question est complexe et éminemment politique. La Banque centrale européenne ne s’y est pas trompée : en refusant pour l’instant d’ouvrir le rachat des dettes souveraines des États membres à celles de la Grèce, elle place les États face à leurs responsabilités politiques et les oblige à définir une stratégie de sortie de crise pour la Grèce qui ne soit pas seulement une succession de plans d’aide. La gestion de cette crise depuis 2010 démontre que les solutions ne peuvent pas être que comptables et que l’on ne peut pas se borner à demander l’application d’un plan de consolidation budgétaire sans tenir compte de ses conséquences sociales et économiques.

Enfin, et c’est le président du groupe d’amitié France-Grèce du Sénat qui s’exprime à présent, la Grèce n’est pas un pays européen comme les autres. Son adhésion à l’Union européenne s’est faite après la dictature des colonels, période pendant laquelle la France a joué un rôle majeur pour le retour à la démocratie. Par ailleurs, n’oublions jamais que la Grèce est le berceau de notre civilisation et de la démocratie, comme l’indique l’étymologie de ce mot.

Concernant la communauté de l’énergie, une stratégie-cadre a été rendue publique le 25 février dernier par la Commission européenne. Celle qui avait été adoptée par le Conseil européen de mars 2009 a eu une portée très limitée, par manque d’ambition et d’engagement des États membres et de la Commission européenne d’alors. Le paquet climat-énergie, pourtant adopté en octobre dernier, pourrait connaître le même sort, pour les mêmes raisons. Or nous ne pouvons plus nous permettre ce luxe aujourd’hui.

La mise en place de l’Union de l’énergie – les socialistes appellent depuis longtemps de leurs vœux la création d’une « communauté de l’énergie », proposée par Jacques Delors – a été défendue par le Président de la République lors du Conseil européen informel qui lui a été consacré, puis lors du Conseil européen de juin 2014.

Dans l’attente des propositions législatives, je m’arrêterai aujourd’hui sur les objectifs de cette Union de l’énergie. L’Union européenne se doit d’adopter, d’ici à la conférence sur le climat de Paris de décembre 2015, une feuille de route très ambitieuse, combinant propositions concrètes, financement et échéances. Afin d’en faire un succès, nous devons agir selon plusieurs objectifs : réaliser des économies d’énergie, grâce notamment au déploiement de politiques d’efficacité énergétique systématiques ; mettre fin à la dépendance aux hydrocarbures ; donner une place importante au nucléaire, en apportant bien entendu les garanties de sûreté nécessaires ;…

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. Simon Sutour. … développer les énergies renouvelables, afin de « décarboner » les économies européennes.

Je voudrais souligner particulièrement quelques points.

Premièrement, cette nouvelle stratégie énergétique doit prévoir des mesures fortes de protection des consommateurs et accorder une attention particulière aux besoins des plus vulnérables : il s’agit, en un mot, de déclarer la guerre à la pauvreté énergétique. Elle doit également comporter un volet fort en matière d’emploi, notamment dans le cadre du développement des infrastructures et du soutien aux politiques de recherche et d’innovation en matière énergétique.

Deuxièmement, le secteur énergétique en Europe souffre aujourd’hui d’un sous-investissement chronique. Certes, le mécanisme d’interconnexion européen est destiné à développer de grandes infrastructures énergétiques à l’échelle européenne, mais il sera en partie « recyclé » dans le cadre du plan d’investissement européen. Comment ce dernier pourra-t-il financer, d’une part, des projets énergétiques publics et privés, et, d’autre part, la recherche et l’innovation pour conforter et développer nos filières d’excellence dans le secteur énergétique ? Peut-être faudrait-il réfléchir à la mise en place d’un instrument d’investissement spécifique, faute de quoi il sera difficile d’atteindre les objectifs fixés. J’en suis convaincu, le financement sera déterminant.

Troisièmement, l’Union européenne doit pouvoir s’exprimer d’une seule voix à l’égard des pays tiers. Si l’Union doit assumer la responsabilité première de la planification et du développement des projets majeurs en matière d’infrastructures, ainsi que définir et développer les routes et fournisseurs d’énergie alternatifs, notamment pour les États membres les plus dépendants, les États doivent conserver la responsabilité première en matière de sécurité de leur approvisionnement énergétique et de leurs contrats d’approvisionnement passés avec des pays tiers. En tout cas, ce point continue de faire débat, comme on a pu le voir lors du conseil Énergie du 5 mars dernier.

Pour autant, il est clair qu’il faut développer une véritable solidarité, à la fois en coordonnant mieux nos choix et nos stratégies nationaux et en développant un mécanisme destiné à assurer la sécurité énergétique des États membres les plus vulnérables.

Sur le volet de la politique extérieure de l’Union européenne, que le Conseil européen ne manquera pas d’aborder, je voudrais manifester mon accord avec les propos que vous avez tenus sur la Libye, monsieur le secrétaire d’État : les développements de la situation sont de plus en plus inquiétants et la déstabilisation de ce pays emporte des conséquences importantes pour l’Union européenne.

Quant à la situation en Ukraine, elle est loin d’être stabilisée. Le cessez-le-feu, intervenu en application des accords de Minsk du 12 février dernier, constitue évidemment une avancée, aussi remarquable qu’inédite, à porter au crédit du couple franco-allemand. Néanmoins, ce cessez-le-feu reste fragile.

Dans certains secteurs de la ligne de front, les armes lourdes ont été effectivement retirées, le Président de la République et la Chancelière allemande ayant pu obtenir l’aval de Kiev et de Moscou pour un renforcement de la présence de l’OSCE à l’est du pays. Toutefois, la situation peut rapidement basculer et rendre caducs les accords de Minsk. Je pense qu’il est nécessaire de réajuster les sanctions en fonction des efforts déployés par la diplomatie des chancelleries européennes. On peut déplorer que la réunion informelle de Riga n’ait pas adapté ce dispositif afin de mieux accompagner les efforts diplomatiques de Paris et de Berlin. En tout état de cause, je voudrais affirmer avec force que rien ne remplacera un dialogue apaisé et constructif avec ce grand pays qu’est la Russie.

Monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, comme souvent, l’actualité européenne est dense, et les enjeux européens sont toujours aussi importants pour le développement et le bien-être de nos sociétés. Nous savons, monsieur le secrétaire d’État, que vous œuvrez au mieux pour faire en sorte que les intérêts de l’Europe et ceux de la France se rejoignent, et nous comptons sur vous pour poursuivre le combat de la France pour une Europe plus politique et, surtout, plus sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. – M. Yves Pozzo di Borgo et Mme Colette Mélot applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout, pour le groupe CRC.

M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen portera donc principalement sur les orientations visant à la construction d’une Union de l’énergie, sur les relations entre l’Union européenne et la Russie et sur la situation en Ukraine. Je consacrerai mon intervention à ces sujets, même si d’autres seront abordés, comme le partenariat oriental ou les conclusions du second semestre 2015.

Je voudrais tout d’abord évoquer la situation en Ukraine, parce que des populations souffrent profondément aux portes de l’Union : 6 000 personnes, principalement des civils, ont déjà été tuées en onze mois de guerre civile. Il s’ensuit de difficiles relations avec la Russie, qui ont une incidence directe sur la construction de l’Union de l’énergie.

Voilà soixante-dix ans tout juste, les dirigeants de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de l’Union soviétique signaient les accords de Yalta. Ce traité a divisé l’Europe en deux sphères d’influence politiques. La ligne ainsi tracée ne reposait sur aucune définition de l’Est ou de l’Ouest, mais résultait du rapport de force militaire et d’un pur compromis politique. Pourtant, elle a coupé l’Allemagne en deux et redessiné les contours de la plupart des pays du centre de l’Europe, souvent au mépris de la volonté des peuples, en ignorant tout de leur culture et de leur langue. Faut-il aujourd’hui, en recherchant une issue à la crise, négocier en quelque sorte le tracé d’une nouvelle frontière est-ouest en Ukraine ?

Les accords de Minsk 2 ont été conclus le 12 février dernier, après des heures d’âpres négociations. La signature d’un accord de cessez-le-feu, dont le respect se heurte à bien des difficultés, et d’un document de règlement politique et sécuritaire du conflit comportant treize points vise à la conclusion d’un accord de paix global dans le Donbass.

Si cette action diplomatique mérite d’être saluée, je ne peux que m’interroger sur certaines conséquences que cet accord pourrait emporter pour l’avenir de l’Ukraine.

La feuille de route prévoit l’organisation, sous législation ukrainienne, d’élections locales dans les territoires occupés du Donbass et la mise en place d’un régime ou statut spécial à l’intérieur des deux « républiques populaires ». Ainsi, l’Ukraine doit modifier sa constitution avant la fin de 2015, afin de prévoir un statut spécial pour les « républiques » du Donbass, et donc reconnaître de fait les représentants de Lougansk et de Donetsk comme des autorités quasiment légitimes et, implicitement, l’existence des territoires de l’Est. De plus, ces accords intensifient la notion de décentralisation de l’État, ce qui met forcément en question la perception même de l’influence de l’autorité politique nationale.

Ces nouveaux accords de Minsk pourraient donc être diversement appréciés par les Ukrainiens et créer de nouvelles tensions, d’autant que nous ne pouvons totalement écarter la possibilité d’une nouvelle phase d’expansion territoriale de cette crise vers la ville côtière de Marioupol, ce qui aboutirait à la formation d’un corridor terrestre entre les « républiques » du Donbass et la Crimée.

Les accords de Minsk 2 relèvent néanmoins d’une volonté de donner une solution politique au conflit. Je préfère nettement cette voie à l’action des États-Unis, qui, en envoyant 3 000 soldats manœuvrer aux frontières de la Russie, avec chars, véhicules de combat et hélicoptères, ne peuvent que contribuer à faire monter la tension. Et que penser du souhait du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, de voir créer une armée européenne, au motif qu’« une armée commune à tous les Européens ferait comprendre à la Russie que nous sommes sérieux quand il s’agit de défendre les valeurs de l’Union européenne » ? Cette annonce ne va pas non plus dans le sens de la recherche d’un apaisement des relations entre l'Union européenne et la Russie. Déjà, l’OTAN se sent recouvrer une certaine légitimité de guerre froide, dès lors qu’il s’agit de tenir tête à la Russie, voire de la combattre.

Dans une situation aussi grave, on est en droit d’attendre un peu plus de sérieux de la part du président de la Commission européenne. Pour mémoire, l’Union européenne possède déjà des groupements tactiques, gérés par rotation, censés permettre de réagir rapidement par la force. Ces groupements n’ont cependant jamais été utilisés ; alors, une armée commune…

En outre, cette déclaration va à l’encontre de la nécessaire mise en œuvre de coopérations renforcées en matière de sécurité et de défense, qui mériterait pourtant un peu plus de volontarisme. Elle se heurte à des problèmes de structure de commandement, de chaîne de décision, de gestion des ressources humaines et du budget. Enfin, l’armée est une incarnation de la nation, or il n’existe pas de nation européenne.

L’Europe a d’autres moyens de pression que le recours à une armée européenne. Je sais, monsieur le secrétaire d'État, que la Grande-Bretagne et la France sont réticentes à l’idée de donner une dimension militaire à l’Union. Pouvez-vous cependant préciser la position de notre pays à l’égard de cette déclaration de M. Juncker ?

Le conflit en Ukraine fait également ressortir la problématique de la dépendance énergétique de l’Union européenne à l’égard de la Russie, qualifiée par les décideurs politiques de « fournisseur non fiable », utilisant son énergie comme une arme politique. Environ 30 % des livraisons de gaz russe à l'Union européenne transitent en effet par l’Ukraine.

L’abandon par la Russie de son projet de gazoduc South Stream, qui devait livrer soixante-trois milliards de mètres cubes de gaz à l’Union par an et était censé contourner l’Ukraine en passant par la Bulgarie, rend encore plus pressante la nécessité de trouver d’autres fournisseurs, d’autant que la Russie, comme on le sait, a changé de tactique : plutôt que de construire des gazoducs, elle acheminera du gaz jusqu’aux frontières de l'Union européenne, où les clients pourront l’acheter.

Après la présentation de l’Union de l’énergie le 25 février dernier à Bruxelles, on peut s’interroger sur les nouveaux partenariats que compte développer l'Union européenne afin de s’affranchir de cette dépendance énergétique.

Certes, je comprends bien qu’il faille diversifier les fournisseurs d’énergie afin d’éviter la réapparition de pénuries comme celle de 2009. Toutefois, compte tenu de l’instabilité de la situation dans nombre des pays concernés – où agissent des groupes terroristes comme Daech, où des guerres sévissent, comme en Irak et en Libye –, je ne suis pas convaincu que nous rendrons ainsi notre approvisionnement plus sûr. Comme certains observateurs l’ont déjà signalé, il semble prématuré de compter sur l’Iran, dont le programme nucléaire attire encore l’attention du monde, et sur l’Irak, toujours en proie à une guerre civile, pour être des fournisseurs sûrs, fût-ce à long terme. De même, que penser de coopérations avec la Turquie, l’Azerbaïdjan ou le Turkménistan ?

Comme le souligne Iverna MacGowan, directrice adjointe du bureau des institutions européennes d’Amnesty International, « en coopérant avec ces pays, sans condamner publiquement leurs violations des droits de l’homme, l'Union européenne donne pratiquement son feu vert à ces violations ». L’Union européenne assène que les droits de l’homme doivent être la pierre angulaire de toutes ses politiques étrangères, mais, dans son rapport annuel sur les droits de l’homme publié le 26 février dernier, Amnesty International dénonce clairement certains des pays avec lesquels l’Union compte faire affaire.

Nous ne pouvons fermer les yeux sur les pratiques de certains pays au seul motif que leur gaz ou autres ressources énergétiques nous intéressent ! Remplacer notre dépendance énergétique à l’égard de la Russie par une dépendance à l’égard de régimes peu soucieux du respect des droits de l’homme ne garantit nullement une plus grande sécurité énergétique à l’Europe.

Le marché intérieur de l’énergie est un autre sujet essentiel. L’Union de l’énergie avait déjà appelé à un remaniement considérable des interventions des États sur le marché. Le document du Conseil européen indique maintenant clairement que les « politiques nationales non coordonnées » en matière de potentiel de production et d’énergies renouvelables devront être remplacées par une réglementation ambitieuse, en ajoutant que les interventions des États sur la tarification créent une distorsion en termes de coûts. Dans cette perspective, l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie, l’ACER, se verra confier la régulation du marché unique de l’énergie, ce qui élargira considérablement les pouvoirs dont elle dispose aujourd’hui.

Cela veut-il dire que, une fois encore, nous préférons laisser le marché de l’énergie à de grands groupes industriels et financiers plutôt que d’en avoir une vision globale et sociale ? L’accès à l’énergie doit pourtant être garanti à chaque citoyen européen. Il est donc impératif que les États puissent conserver la possibilité d’assurer une maîtrise publique de l’énergie : tout ne doit pas être livré au marché !

Il est par conséquent indispensable de concevoir, au travers de l’Union de l’énergie, un véritable projet ambitieux prévoyant la façon dont les politiques commerciales et de développement européennes doivent contribuer à la réalisation des objectifs climatiques de l'Union européenne, tout en prenant acte du fait que l’énergie ne doit pas être considérée comme une simple marchandise, tant elle est vitale pour le développement humain et peut s’avérer nocive pour l’avenir de notre planète si l’on n’opère pas les bons choix. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Jean-Yves Leconte applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la semaine dernière, le Sénat a adopté le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, après en avoir enrichi l’article 1er d’un alinéa rappelant la nécessité de contribuer à la mise en place d’une Union européenne de l’énergie. Hasard du calendrier, cette préoccupation figure en tête de l’ordre du jour du prochain Conseil européen.

Comme vous le savez, mes chers collègues, les questions énergétiques ont été au fondement du projet européen, avec la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier puis le traité Euratom sur l’énergie. Plus d’un demi-siècle plus tard, on évoque donc plus concrètement la nécessité de bâtir une véritable Union européenne de l’énergie.

En effet, si l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne vise la politique énergétique, les déclarations et les initiatives en la matière ne se multiplient que depuis quelques années. Sans être totalement absent des débats européens, le problème de l’énergie a été jusqu’à présent traité sous l’angle de la dérégulation des marchés. Or, aujourd’hui, c’est davantage l’idée d’une convergence qui fait son chemin : c’est là, selon nous, un progrès.

Le 5 février dernier, le Président de la République a déclaré qu’il fallait construire une Europe énergétique. De même, le président du Conseil européen, Donald Tusk, s’est exprimé en ce sens à plusieurs reprises depuis sa prise de fonction.

Le RDSE, attaché à l’approfondissement de l’intégration européenne, se réjouit de cet intérêt renforcé pour la mise en place d’une politique énergétique commune.

Je rappelle que l’Europe consomme un cinquième de l’énergie produite dans le monde, alors qu’elle ne dispose que de peu de réserves propres. Notre dépendance aux importations en provenance des pays de l’OPEP, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, et de la Russie constitue une véritable faiblesse.

L’Union européenne se trouve confrontée au défi de s’organiser pour garantir son approvisionnement, de s'assurer l’accès à une énergie à un tarif compétitif pour favoriser sa croissance et d’améliorer les réseaux énergétiques.

Bien sûr, je n’oublie pas l’enjeu environnemental, mais celui-ci ne peut pas demeurer le seul ressort de notre politique énergétique. De surcroît, l’Union européenne a souscrit des engagements pour 2020 et 2030, que la France a déclinés au travers du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Les objectifs du paquet énergie-climat seront d’ailleurs rediscutés lors de la COP 21. Tout cela est très bien, mais la politique énergétique européenne ne doit pas se borner à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, qu’elles émanent ou non des vaches… (Sourires.) Comme je le disais, l’Europe doit sécuriser son approvisionnement énergétique et, pour cela, mettre en œuvre une stratégie de construction d’un véritable marché européen de l’énergie assorti de réseaux énergétiques modernes interconnectés. La recherche technologique et l’innovation doivent être davantage encouragées.

Naturellement, une telle coordination ne va pas de soi, tous les États membres n’ayant pas les mêmes intérêts. En France, nous avons développé l’énergie d’origine nucléaire, ce qui rend notre pays moins dépendant, par exemple, que la Pologne, qui importe presque tout son pétrole de Russie. Ajoutons à cela que les sensibilités à l’égard de telle ou telle énergie varient d’un pays à l’autre. On le constate depuis longtemps pour l’énergie nucléaire et on le voit aujourd’hui pour l’exploitation du gaz de schiste, plus ou moins bien acceptée.

Si l’on ne peut que souhaiter, bien sûr, le développement des énergies renouvelables, l’Europe dispose du plus grand espace maritime au monde, et donc d’un potentiel d’exploitation sous-marine qu’il ne faudra pas non plus négliger.

La consommation en hausse des Européens – et donc notre dépendance accrue à l’égard de l’extérieur – ne nous laisse pas d’autre choix que de faire valoir nos intérêts communs pour garantir à l’Union européenne un approvisionnement stable. Les États membres qui importent de Russie une large part de leur énergie craignent à juste titre pour leur sécurité énergétique quand la situation géopolitique se dégrade…

Cela m’amène à aborder brièvement un autre point de l’ordre du jour du Conseil européen : nos relations avec la Russie dans le contexte de la crise ukrainienne.

En prenant différentes initiatives depuis février 2014, l’Union européenne a pris la mesure de l’implication de la Russie dans la crise ukrainienne, ce qui est une bonne chose. Je salue à cet égard la démarche franco-allemande ayant abouti aux accords de Minsk 2. Certes, ces accords sont fragiles, mais le cessez-le-feu se met timidement en place. Tout au long de la crise, l’Union européenne a adopté un régime de sanctions à l’encontre de la Russie. Comme l’a indiqué l’Élysée la semaine dernière, une réaction serait nécessaire « en cas de rupture majeure » dans l’application des accords de Minsk.

Je partage cette position, et je me félicite que le Conseil européen informel de Riga n’ait pas proposé de nouvelles sanctions économiques contre la Russie. On peut toutefois s’inquiéter de l’existence de divergences entre les États membres, certains d’entre eux préconisant d’armer l’Ukraine. Il faudrait absolument pouvoir parler d’une seule voix.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire lors du débat sur le projet de loi relatif à l’accord d’association avec la Moldavie, nous devons tout faire pour contenir les tensions avec la Russie. Dans cette optique, nous devons mener une politique de voisinage raisonnable à l’est de l’Europe, car la Russie ne cèdera pas quant à sa volonté de créer une sorte de « cordon sanitaire » la séparant de l’OTAN sur sa frontière occidentale. Il faut tenir compte de cette volonté, illustrée, hélas ! par les cas de la Transnistrie et de la Crimée.

Voilà, mes chers collègues, ce que je voulais vous dire au nom du RDSE. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe UDI-UC.

M. Philippe Bonnecarrère. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de votre fidélité à ce rendez-vous du débat préalable au Conseil européen, qui est pour notre assemblée l’occasion de faire le point sur les questions qui seront évoquées lors de ce dernier et de mettre les choses en perspective.

Le prochain Conseil européen portera sur les trois questions suivantes : la construction d’une Union de l’énergie, les relations entre l’Union européenne et la Russie au regard de la situation en Ukraine et le semestre budgétaire européen. Sur ces sujets, je formulerai quelques observations au nom du groupe UDI-UC, avec la liberté de ton qui est de règle dans notre assemblée.

La Commission européenne et la Banque centrale européenne font preuve depuis plusieurs mois d’un véritable activisme, qui mérite d’être salué, en faveur de la reprise économique. Pour sa part, la France se retrouve, comme en 2013 et en 2014, placée face à ses contradictions, dans la mesure où elle a les plus grandes difficultés à mettre en place des réformes structurelles pourtant incontournables.

Monsieur le secrétaire d’État, dans quelles conditions la France abordera-t-elle la prochaine réunion du Conseil européen ? S’agit-il de gagner du temps, en « surfant » sur une conjoncture plus favorable, ou de prendre sa part des efforts visant à la reprise économique, à l’instar de la Commission et de la BCE ?

J’évoquerai maintenant les recommandations faites par la Commission européenne à notre pays.

La France fait face à un triple déficit, budgétaire, commercial et au regard du marché du travail. Je fais ici allusion non seulement à notre taux de chômage, tout à fait considérable à l’échelle européenne, mais aussi au nombre d’heures de travail : de nombreuses études font apparaître que la durée du travail est moindre en France qu’en Grande-Bretagne ou en Allemagne, pour ne citer que nos principaux partenaires.

Plusieurs délais successifs ont été accordés à notre pays pour respecter les objectifs européens. Il nous est aujourd’hui demandé de ramener notre déficit public à 2,8 % du PIB en 2017. Des efforts nous sont également demandés afin de réduire de 0,8 % en 2016 et de 0,9 % en 2017 notre déficit structurel. Il serait d’ailleurs opportun, à mon sens, de faire preuve de pédagogie à l’égard de nos concitoyens sur la notion de déficit structurel.

Nous sommes actuellement très loin de ces objectifs, ce qui amène ma deuxième question : monsieur le secrétaire d’État, comment le Gouvernement envisage-t-il d’opérer la correction pluriannuelle qui lui est demandée ? Alors qu’il prévoyait initialement 50 milliards d’euros d’économies, la Commission européenne préconise un effort supplémentaire de 30 milliards d’euros. La situation est d’autant plus inquiétante que, sur les 50 milliards d’euros d’économies annoncées en avril 2014 au travers du pacte dit « de responsabilité », près de 30 milliards d’euros ont vocation à permettre de financer une diminution des charges sociales pour améliorer la compétitivité de notre pays. Je peine donc à concevoir comment on peut intégrer cette somme à notre effort d’économies. Comment le Gouvernement compte-t-il procéder pour respecter les objectifs fixés à l’échelon européen ?

Pour ne pas être discourtois, je ne reviendrai pas sur ce que j’appellerai la « première génération » de réformes structurelles. Je n’évoquerai donc pas la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques d’octobre 2012, ni l’accord national interprofessionnel de janvier 2013, dont on nous avait pourtant dit grand bien. Quant aux effets du CICE, les avis sont assez divergents.

Je m’attacherai davantage à la seconde génération, donc à la manière dont notre pays dégagera les 50 milliards d’euros d’économies budgétaires annoncés et mènera des réformes de structures. Nous examinerons à partir du 9 avril prochain le projet de loi dit « Macron » : nous nous interrogeons fortement sur la contribution que ce texte pourra apporter à la restauration de la compétitivité de notre pays ou à la décongestion du marché du travail.

Pour être objectif, je dois dire que je vous apporte, monsieur le secrétaire d’État, un soutien tout particulier pour ce qui concerne le décompte des dépenses militaires pour le calcul du déficit public de notre pays. Que le président de la Commission, M. Juncker, évoque la mise en place d’une défense européenne ne me choque pas, au regard des contraintes en matière d’efficacité et des logiques stratégiques, qui relèvent indiscutablement, à mes yeux, du cadre européen. En revanche, je considère comme peu convenable que la plupart des pays d’Europe se satisfassent aujourd'hui de vivre sous la protection de l’OTAN, d’une part, et de la Grande-Bretagne et de la France, d’autre part. Il ne me choquerait donc pas que, au titre des « pistes comptables » qui ont été évoquées, les dépenses liées aux opérations extérieures que nous menons ou à l’entretien de notre outil de défense soient exclues du calcul de notre déficit budgétaire, ces dépenses profitant également aux autres pays européens. Quel est votre sentiment à ce sujet, monsieur le secrétaire d’État ? Pensez-vous que nous pourrons tenir nos engagements européens par le biais d’une simple régulation budgétaire, ou faudra-t-il élaborer une loi de finances rectificative ?

J’avais prévu d’évoquer les distorsions, en termes de taux de croissance, entre la France et les autres pays européens. Mon propos, monsieur le secrétaire d’État, vise essentiellement à briser le cercle des faux-semblants et à demander que notre pays, comme d’autres l’ont fait, prenne des mesures fortes.

Enfin, la situation en Libye et les relations avec la Russie et l’Ukraine figurent également à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. Notre groupe compte, avec M. Pozzo di Borgo, un véritable spécialiste des questions internationales et de leurs liens avec les politiques énergétiques. Lors d’un prochain débat, il aura l’occasion de faire le point sur ces sujets, en particulier sur la mise en œuvre des accords de Minsk 2. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour le groupe UMP.

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen traitera de sujets variés et particulièrement importants. Étant donné la richesse de son ordre du jour, je me concentrerai plus particulièrement sur les questions liées à l’Union de l’énergie et au semestre européen.

L’énergie est sans aucun doute l’un des grands domaines stratégiques dans lesquels une intégration européenne s’avère particulièrement nécessaire et porteuse de valeur ajoutée.

Les enjeux sont gigantesques. Ils concernent d’abord la sécurité de notre approvisionnement, dans un contexte géopolitique tendu avec la Russie et plus qu’incertain en Libye et au Moyen-Orient. Ils sont ensuite intimement liés à la compétitivité de nos entreprises et au pouvoir d’achat des ménages, touchés par la crise économique. Ils ont enfin un lien très direct avec nos engagements en matière de lutte contre le changement climatique, au regard notamment de la prochaine conférence mondiale sur le climat, qui se tiendra à Paris en décembre 2015.

La situation n’est pour l’heure guère satisfaisante. L’Europe importe aujourd’hui près de 55 % de son énergie, la facture atteignant 400 milliards d’euros par an. L’électricité et le gaz y sont substantiellement plus chers qu’aux États-Unis, et nos transports sont dépendants de carburants fossiles presque intégralement importés.

La Commission européenne estime à 2 000 milliards d’euros les investissements à réaliser d’ici à 2025 pour moderniser et interconnecter notre système énergétique, et l’adapter à l’émergence des énergies renouvelables.

Une action européenne déterminée sur le long terme est indispensable. Or l’Europe de l’énergie est toujours très loin d’être une réalité. Le cadre stratégique présenté le 25 février dernier représente donc un pas en avant important pour relever les défis qui se présentent à nous, et le socle intersectoriel proposé apparaît comme une base de discussion solide.

Cependant, nous n’en sommes qu’au tout début d’un processus qui sera long et ardu. Étant donné le caractère hautement stratégique de ce secteur et la grande diversité des situations des États membres, les écueils seront nombreux.

Quelques principes devront toutefois guider la négociation des textes à venir. L’intégration et l’interconnexion du marché intérieur devront certes renforcer la résilience de nos systèmes énergétiques et engendrer de réelles économies, mais il faudra surtout jouer sur la complémentarité des mix énergétiques nationaux et s’appuyer sur l’ensemble des sources d’énergie disponibles, notamment sur l’énergie nucléaire, pour l’instant parent pauvre de cette stratégie.

Il faudra également donner un cap solide aux investisseurs. Si les instruments financiers de la BEI, la Banque européenne d’investissement, du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, des fonds structurels et du Fonds européen pour les investissements stratégiques pourront être mobilisés, c’est bien sur les entreprises que reposera l’essentiel de la charge des investissements. Ces acteurs devront donc pouvoir bénéficier d’un environnement favorable à l’investissement, y compris bien sûr au niveau national, pour mener à bien les projets nécessaires.

La transition et l’amélioration de l’efficacité énergétiques devront permettre d’atteindre nos objectifs en matière environnementale, mais elles devront aussi ouvrir de réelles opportunités pour conférer une avance technologique durable aux entreprises européennes et leur permettre de développer des filières d’excellence compétitives à l’échelon mondial.

Enfin, la coordination des accords intergouvernementaux et des contrats commerciaux dans le secteur du gaz devra permettre d’adresser des messages forts et cohérents aux partenaires stratégiques et aux fournisseurs.

L’équilibre sera toutefois particulièrement difficile à trouver entre cette nécessaire coordination, la mise en place d’un système efficace de gouvernance globale de l’Union de l’énergie et la liberté, pour les États membres, de conduire la politique énergétique la mieux adaptée à leurs besoins et à leurs impératifs politiques et stratégiques.

Les étapes à franchir sont donc encore nombreuses et complexes avant que l’Union de l’énergie soit le succès que nous appelons de nos vœux. Celle-ci est une chance pour la France, qui, avec trente-sept interconnexions sur six frontières, se trouve au carrefour des échanges européens. Notre pays dispose d’entreprises leaders sur le plan mondial dans ce domaine. Le Gouvernement devra donc montrer une implication sans faille et jouer un rôle moteur dans les négociations à venir pour tirer le meilleur parti de ce projet.

Les relations avec la Russie et la crise ukrainienne ont bien sûr une résonance très forte dans le domaine de l’énergie, mais c’est naturellement le conflit se déroulant à nos portes qui occupe aujourd’hui tous les esprits. Je laisserai toutefois mes collègues sénateurs de l’UMP s’exprimer sur ce sujet au cours du débat interactif.

Le prochain Conseil européen conclura enfin la première phase du semestre européen. Évidemment, les résultats des dernières élections en Grèce nous ont tous interpellés, s’agissant notamment de la question centrale de la coordination des budgets nationaux et des réformes structurelles à mener au sein des économies de la zone euro.

Je souhaite toutefois me concentrer sur la situation française.

Le bilan approfondi et les recommandations faits par la Commission sont inquiétants. Le niveau de l’effort budgétaire demandé pour 2015 a été fixé à 0,5 % du PIB, ce qui signifie qu’au moins 4 milliards d’euros d’économies devront être dégagés à très court terme. La Commission avait dans un premier temps préconisé, sur la base du programme de réformes présenté par le Gouvernement, un effort de 0,3 % du PIB. L’ajustement est donc important et témoigne du peu d’efficacité des réformes mises en œuvre jusqu’à présent. Dans son analyse, la Commission conclut d’ailleurs assez explicitement que le CICE et le pacte de responsabilité n’auront pour ainsi dire pas d’effet réel sur la compétitivité des entreprises, et donc sur la croissance, alors qu’il s’agissait de leur objectif premier.

Certes, deux années de délai ont été accordées pour redresser les comptes publics ; certes, d’autres pays se trouvent dans une situation similaire de déséquilibre excessif ; mais, en la matière, c’est la trajectoire qui compte : la France passe cette année au stade suivant de la procédure.

À politique inchangée, le déficit français ne pourra pas repasser sous la barre des 3 % en 2017. Les économies budgétaires devront donc d’ici là être très largement supérieures, de près de 30 milliards d’euros, à celles qu’avait prévues le Gouvernement, alors même que le ministre de l’économie a annoncé ces derniers jours qu’aucun effort supplémentaire ne serait fourni.

Une liste de réformes macroéconomiques devra également être présentée d’ici au mois de mai, faute de quoi la France pourrait finalement être mise en demeure, première étape vers la prise de sanctions.

Le bilan et les perspectives ne sont pas réjouissants. Je cite le rapport de la Commission : « Une reprise modeste est attendue pour 2015. Le taux de chômage ne devrait pas refluer de manière significative au cours des prochaines années. Les investissements ont diminué en 2014. La dépréciation de l’euro et les réformes récentes ne suffiront pas à enrayer les pertes de parts de marchés des exportations. L’inflation devrait tomber à zéro en 2015. »

Pourtant, les carences économiques de la France sont désormais largement connues. Elles imposent notamment d’agir résolument en faveur de la compétitivité des entreprises, afin de leur permettre de restaurer leurs marges pour investir, d’innover pour embaucher, et enfin de redresser la balance commerciale du pays. Cela exige d’abaisser de façon réelle le coût du travail et le niveau de la pression fiscale et des dépenses publiques, qui ne cessent de croître. Cela impose aussi de s’attaquer sans faiblesse aux rigidités du marché du travail, ainsi qu’à la complexité et à la lourdeur réglementaires, qui pèsent de plus en plus sur nos entreprises dans la compétition internationale. Nous savons bien que, dans une économie ouverte et concurrentielle, ne pas résoudre ces problèmes équivaut à terme à accepter l’échec.

La France échappe pour l’instant de justesse à l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif, mais elle restera, jusqu’à l’expiration du nouveau délai, sous la pression de la Commission et des États membres qui font les efforts nécessaires au redressement de leur situation sans pourtant bénéficier d’autant de mansuétude. L’image de notre pays n’en sera que davantage ternie.

La France est la deuxième économie de la zone euro. Elle entretient des liens commerciaux, financiers et bancaires étroits avec les autres États membres. Par conséquent, si nos problèmes structurels ne sont pas corrigés, cela aura des répercussions fortes sur nos partenaires.

Le louvoiement n’est plus possible et la France ne peut demeurer le mauvais élève de la classe européenne. Le redressement réel de notre économie est urgent et indispensable. Il l’est d’abord, naturellement, pour nos concitoyens, mais il l’est également pour l’ensemble des Européens, car il s’agit d’une clé du retour de la croissance en Europe. Il y va donc de la responsabilité européenne de notre pays.

Monsieur le secrétaire d'État, vous l’avez compris, nos attentes sont fortes ; pouvez-vous nous rassurer ce soir ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme Fabienne Keller. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des finances.

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Conseil européen des 19 et 20 mars sera largement consacré aux relations entre l’Europe et la Russie et à la situation en Ukraine, un mois environ après les accords de Minsk 2.

À titre personnel, je considère que la manière dont les Européens vont gérer le dossier ukrainien sera déterminante pour l’avenir de l’Europe politique et pour l’équilibre de notre continent.

En tant que présidente de la commission des finances, j’observe que l’évolution de la crise ukrainienne constitue un aléa important pour la croissance en Europe en 2015.

Dans ses prévisions économiques de cet hiver, la Commission européenne relève que l’impact économique des sanctions contre la Russie et des « contre-sanctions » pourrait être plus important que prévu, en particulier si les sanctions sont appliquées plus longtemps que ce que l’on pouvait envisager au départ.

La crise ukrainienne nous affecte négativement, car elle pèse sur la confiance des acteurs européens. Elle pèse sur les échanges en raison de cette perte de confiance, mais aussi du fait des sanctions mises en œuvre de part et d’autre. Les exportations vers la Russie et l’Ukraine sont pénalisées. Cela affecte en particulier les pays de l’Est, plus dépendants de ces marchés, mais nous sommes aussi atteints, comme le ressentent durement nos agriculteurs, alors que les soutiens annoncés par l’Union européenne n’auraient pas tous été mis en place.

La crise ukrainienne pèse aussi sur l’investissement, en particulier sur les flux d’investissements étrangers vers les pays voisins de la Russie et de l’Ukraine.

À l’heure où l’Europe souffre d’un manque d’investissements et où elle tente de les relancer en créant un fonds européen pour les investissements stratégiques dans le cadre de ce que l’on appelle le « plan Juncker », cette situation est pénalisante. On comprend donc que le débat sur le devenir des sanctions imposées à la Russie, qui arrivent à échéance en juillet, sera essentiel. Plusieurs États ont fait savoir dans quel sens ils tenteraient de peser sur la discussion. Il nous serait précieux, monsieur le secrétaire d'État, de savoir dans quel état d’esprit le Gouvernement abordera ce débat.

La situation en Ukraine a également une incidence sur l’autre grand sujet inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen : l’Union européenne de l’énergie.

Notre préoccupation immédiate est la sécurité de notre approvisionnement énergétique en gaz dans le cadre de notre partenariat stratégique avec l’Ukraine, mais la crise ukrainienne a aussi mis en évidence la nécessité d’une solidarité énergétique européenne. La France y prend toute sa part en développant ses capacités d’interconnexion avec ses voisins. Notre pays et l’Italie souhaitent que l’interconnexion électrique à travers le tunnel du Fréjus puisse être financée dans le cadre du plan Juncker. Divers projets électriques et gaziers sont également en cours avec l’Espagne et ont été évoqués à l’occasion du récent sommet trilatéral entre la France, l’Espagne et le Portugal.

Au-delà des principes, il faudra évoquer la question des financements, puisque les investissements nécessaires à la mise en œuvre des orientations présentées le 25 février par la Commission européenne sont estimés à 1 000 milliards d’euros sur cinq ans.

Cela me conduit à évoquer le dernier point inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen de mars, qui marque la fin de la première phase du semestre européen.

Après avoir pris connaissance des travaux conduits depuis novembre par la Commission, le conseil Ecofin et le Parlement européen, les chefs d’État ou de Gouvernement vont adopter des orientations de politique économique, sur la base desquelles les États devront, en avril, présenter leurs projets en matière de finances publiques, dans le cadre de leur programme de stabilité, et de réformes structurelles, au titre de leur programme national de réformes.

Avec la situation en Ukraine et les discussions en cours depuis les élections en Grèce, les États membres, ceux appartenant à la zone euro en particulier, se sont trouvés confrontés, au cours de la première phase du semestre européen, à des défis historiques qui ne pourront être relevés qu’à condition de proposer une politique économique cohérente et tournée vers la croissance.

C’est à cette fin que des recommandations spécifiques sont adressées à chacun des pays, pour faire en sorte qu’ils avancent tous dans la même direction.

S’agissant de la France, ces recommandations sont d’abord formulées dans le cadre de la procédure de correction des déficits excessifs prévue par le pacte de stabilité et de croissance.

Comme elle l’avait annoncé le 28 novembre 2014 à l’issue de la procédure d’examen des projets de plans budgétaires instituée par le Two-Pack, la Commission européenne a arrêté sa position concernant la situation budgétaire de la France le 27 février dernier.

Elle a recommandé au Conseil de reporter de deux années l’échéance pour la correction du déficit excessif de notre pays, soit jusqu’en 2017.

Cette proposition a, de toute évidence, été favorablement accueillie par nos partenaires européens. J’en veux pour preuve que, au cours du déplacement que j’ai effectué à Berlin la semaine passée avec le rapporteur général de la commission des finances et le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, la totalité de nos interlocuteurs allemands nous ont indiqué que le report du délai de correction était justifié, en particulier dans la perspective d’un rétablissement de la confiance en France, qui profiterait à l’ensemble de l’Europe.

Demain, le vice-président de la Commission européenne chargé de l’euro et du dialogue social présentera, lors d’une audition ouverte à tous les sénateurs, la recommandation de la Commission au Conseil sur le budget de la France.

Des recommandations nous sont également adressées dans le cadre de la procédure, plus récente, dite de « correction des déséquilibres macroéconomiques ».

Dans ses conclusions rendues publiques le 27 février, la Commission européenne souligne l’importance que revêtira le prochain programme national de réformes de la France et indique que c’est en mai prochain qu’elle décidera ou non d’engager le volet correctif de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques, qui, je le souligne, peut aboutir à des sanctions financières.

Par conséquent, monsieur le secrétaire d'État, vous serait-il possible de nous apporter des précisions quant à cette échéance du mois de mai et au déroulement de cette procédure ?

Plus que jamais, nos procédures budgétaires nationales et les procédures européennes sont imbriquées. Le Parlement français sera destinataire, dans les prochaines semaines, des projets de programme de stabilité et de programme national de réforme. Le Haut Conseil des finances publiques statuera, en vue de l’examen du projet de loi de règlement, sur le respect par la France de sa trajectoire de solde structurel et sur la nécessité ou non de déclencher le mécanisme de correction automatique. Il nous faudra ensuite examiner les orientations budgétaires pour 2016.

Parallèlement, la Commission européenne étudiera les projets de programme de stabilité, ainsi que les programmes nationaux de réforme, et adressera au Conseil une « recommandation de recommandation » à la France et aux autres États membres.

Tout cela est complexe, et si nous voulons que cette construction conserve un sens, que l’Europe reste notre amie, nous avons besoin d’y voir clair sur les étapes et les enjeux. C’est pourquoi je vous remercie par avance, monsieur le secrétaire d'État, des réponses et des éclaircissements que vous pourrez nous apporter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat préalable au Conseil européen est un rendez-vous auquel nous sommes tous très attachés. Le thème principal de la réunion des 19 et 20 mars sera l’Union de l’énergie. Nous venons tout juste de voter le projet de loi relatif à la transition énergétique. Il était donc très important que le Sénat puisse débattre des perspectives européennes en la matière.

Je remercie le président du Sénat et la conférence des présidents d’avoir donné suite à la demande de la commission des affaires européennes, ainsi que M. le secrétaire d’État pour sa disponibilité.

Quelle est la situation énergétique en Europe ? L’Union importe 53 % de l’énergie qu’elle consomme ; elle dépense plus de 1 milliard d’euros par jour pour acquitter sa facture énergétique ; elle importe 90 % de son pétrole brut, 66 % de son gaz naturel, 42 % de ses combustibles solides et 40 % de ses combustibles nucléaires. En ce qui concerne le gaz, il provient à hauteur de 39 % de Russie, qui est son fournisseur principal, 50 % du gaz russe importé transitant par l’Ukraine.

Ces chiffres suffisent à montrer tout l’intérêt d’une véritable politique européenne coordonnée en matière énergétique.

Le traité de Lisbonne donne les bases juridiques pour agir ; il faut s’en féliciter. Le Conseil européen de juin 2014 a fait de la création d’une Union de l’énergie « dotée d’une politique en faveur du climat tournée vers l’avenir » un axe prioritaire. Le président Juncker l’a par la suite inscrite en bonne place parmi les projets prioritaires de la nouvelle Commission.

Cette démarche doit être soutenue, mais dans quelle direction faut-il aller ?

L’Union européenne subit une désindustrialisation aux causes certes multiples, mais dans laquelle le prix de l’énergie joue un rôle croissant depuis la révolution du gaz de schiste aux États-Unis. On ne peut faire l’impasse sur la mise à disposition d’une énergie sécurisée, bon marché et bénéficiant de larges interconnexions sur le territoire européen.

L’Union européenne est en pointe dans la lutte contre le changement climatique. Elle doit aussi veiller à ne pas se fragiliser de manière unilatérale : des millions d’emplois directs et indirects sont en jeu.

Une réponse internationale est requise, d’où l’intérêt de la COP 21, qui se tiendra à Paris en 2015. La France a par ailleurs une grande expertise en matière d’énergie nucléaire. C’est un élément important de la compétitivité de notre pays, ne l’oublions pas. En vue de la COP 21, il faut réfléchir à élargir le périmètre des énergies décarbonées, pour y inclure le nucléaire.

L’objectif de la transition énergétique est consensuel, mais cette transition rencontre des difficultés qui tirent leur origine de l’intermittence subie. En l’absence de capacité de stockage digne de ce nom et faute de « réseaux intelligents » à même de caler partiellement la consommation d’énergie sur la production, les lignes à haute tension subissent des variations. L’absence de ces réseaux déstabilise l’ensemble du marché.

Nous devons aussi nous interroger sur le financement de la transition dans des conditions qui assurent la réindustrialisation de l’Union européenne. Les faibles prix de revient caractérisant la filière électronucléaire apportent la seule ressource disponible à même de financer une évolution que les considérations techniques imposent d’inscrire dans la durée.

Je veux aussi insister sur le rôle moteur que doivent jouer la France et l’Allemagne. Nos deux pays sont les deux principaux producteurs d’énergie renouvelable au sein de l’Union européenne. Ils sont aussi les principaux producteurs d’énergie toutes catégories confondues, ainsi que les deux principaux consommateurs. Ils doivent donc promouvoir une coopération leur permettant d’élaborer des schémas cohérents d’investissements.

Je souhaiterais maintenant aborder la situation en Ukraine, qui continue de susciter de vives inquiétudes. La France et l’Allemagne ont joué un rôle déterminant pour promouvoir le nouvel accord de Minsk. Je dois saluer en la circonstance l’action déterminante du Président de la République et de la Chancelière, ce couple franco-allemand retrouvé qui a suscité l’adhésion de l’ensemble des États membres.

Néanmoins, nous savons que cet accord demeure fragile. Vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, il n’existe pas de solution militaire à cette crise ; seule une issue négociée dans le cadre des accords de Minsk peut être acceptable. L’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine doivent être respectées. L’Union européenne doit donc utiliser les moyens de pression à sa disposition, notamment les sanctions individuelles, contre ceux, y compris en Russie, qui soutiennent les actions militaires des séparatistes. L’Union européenne doit aussi agir pour favoriser l’émergence d’une solution politique. Comme l’a souligné le président Larcher lors de ses récents entretiens en Russie et en Allemagne, le Sénat, qui a une grande expérience de la décentralisation, est prêt à apporter un concours en la matière, au travers notamment de l’implication de l’OSCE.

À travers le partenariat oriental, l’Union européenne doit définir des lignes claires pour approfondir ses relations avec ses partenaires orientaux. Le sommet de Riga, en mai prochain, sera important à cet égard. Le partenariat doit respecter le cadre fixé dans la déclaration de Prague de 2009, notamment les principes de conditionnalité et de différenciation. Il doit être distinct de la politique d’élargissement, je tiens à le redire. Lors du sommet de Vilnius de novembre 2013, cette distinction a clairement été maintenue. Nous devons aussi être pragmatiques et privilégier une logique de projets pour avancer dans la bonne direction.

Enfin, le Conseil européen clôturera la première phase du semestre européen. Notre commission aura un échange sur ce thème, avec une communication de Fabienne Keller et François Marc. Nous entendrons demain, avec la commission des finances, le vice-président Dombrovskis sur la recommandation de la Commission européenne concernant le déficit public de la France. J’indique à nos collègues que cette audition sera ouverte à tous les sénateurs. Le Conseil devait adopter aujourd’hui même la recommandation de la Commission européenne visant à ce qu’il soit mis fin à la situation de déficit public excessif en France. La lecture de cette recommandation, que je vous conseille, est édifiante ; la crédibilité de notre pays est en jeu. Nous devons respecter nos engagements budgétaires et engager enfin un programme de réformes structurelles. Nous avons trois mois devant nous ; la date du 10 juin prochain sera importante, voire fatidique. Je souhaite que la Commission regarde avec beaucoup d’objectivité les efforts et les engagements structurels que notre pays aura engagés dans les prochains mois.

Au-delà, la zone euro ne peut fonctionner sans discipline commune. Elle doit se conjuguer avec une action résolue pour renforcer la compétitivité des entreprises et la croissance. L’euro est fondé sur la responsabilité de chacun des États membres de veiller à faire converger les politiques budgétaires et économiques. C’est dans ce cadre que la nécessaire solidarité peut jouer tout son rôle. Le cas de la Grèce nous préoccupe. Nous souhaitons une solution réaliste, qui ne peut faire l’impasse sur des engagements fermes concernant les réformes indispensables. Avec l’Allemagne, la France a apporté une large contribution pour soutenir ce pays avec lequel nous avons des liens très forts, rappelés tout à l’heure par le président du groupe d’amitié France-Grèce du Sénat. Je souligne que l’engagement de la France en faveur de la Grèce s’élève à 48 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter 20 milliards d’euros au titre de la réassurance, soit un total de 68 milliards d’euros, c’est-à-dire à peine moins que l’Allemagne. Il ne faut pas l’oublier, les contribuables français sont directement concernés par l’évolution de ce dossier. Oui à la solidarité, mais oui à la responsabilité également ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. –M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions.

En ce qui concerne l’Union de l’énergie, nous partageons tous, le débat l’a montré, les mêmes priorités : faire en sorte que cette nouvelle étape dans la construction européenne permette de répondre aux enjeux en matière d’indépendance énergétique et de sécurité d’approvisionnement, mais aussi de lutte contre le changement climatique, qu’elle soit un moteur pour l’innovation, l’investissement, qu’elle permette d’atteindre un certain nombre d’objectifs sociaux.

S’agissant de la protection des consommateurs, ou plus précisément de la lutte contre la précarité énergétique, angle sous lequel M. Sutour a abordé cette question, nous considérons que cet élément doit effectivement être pris en compte au titre de la politique de l’énergie : il ne relève pas seulement de la politique sociale, comme d’aucuns le pensent peut-être. Par conséquent, nous serons attentifs à garantir un accès à l’énergie à un coût abordable. Cela est d’ailleurs important aussi pour l’économie. À cet égard, M. Bizet a bien souligné la contribution qu’apporte l’énergie nucléaire à la compétitivité de notre pays. Nous veillerons donc au maintien des tarifs réglementés. Ceux-ci ne doivent pas, pour autant, entraver la mise en place d’un marché intérieur de l’énergie, laquelle, réciproquement, ne doit pas nous faire oublier que l’énergie n’est pas un bien comme les autres et que tous les citoyens doivent y avoir accès.

Plusieurs d’entre vous ont souligné la nécessité de pouvoir mobiliser le Fonds européen pour les investissements stratégiques, afin de pallier le sous-investissement actuel et de soutenir nos ambitions, en matière d’interconnexion notamment. Ce sera un facteur important de la réussite de l’Union de l’énergie.

M. Billout a également insisté sur la nécessité d’être attentifs, en termes de gouvernance et d’organisation du marché de l’énergie, à ne pas remettre en cause des mécanismes qui sont indispensables, sur le plan social ou pour des raisons de diversification du bouquet énergétique.

Concernant le semestre européen, je souligne à nouveau que la recommandation de la Commission qui a été adoptée aujourd’hui par le conseil Ecofin est convergente avec notre propre stratégie budgétaire. Nous respecterons nos engagements. Dans cette perspective, nous menons un dialogue et un travail permanents avec la Commission européenne, car nous sommes parfaitement conscients de nos responsabilités et du fait que notre situation économique a une incidence sur l’ensemble de la zone euro et sur le fonctionnement de l’Union économique et monétaire.

Cela étant, il convient de prendre en compte la situation économique dans son ensemble. C’est pourquoi la Commission elle-même a introduit dans sa doctrine, au travers d’une communication qu’elle a publiée voilà quelques semaines, la notion de flexibilité, pour que la consolidation budgétaire, c’est-à-dire la baisse des déficits et le désendettement, ne vienne pas entraver la mise en œuvre de l’objectif de soutien à la croissance. En effet, in fine, c’est aussi la meilleure contribution que chaque pays peut apporter à la bonne santé de la zone euro que de s’assurer que la croissance redémarre en son sein.

Aujourd’hui, la croissance est en train de repartir en Europe. La Commission européenne, le Fonds monétaire international ou l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, sont d’accord pour considérer que les politiques d’austérité, de restriction budgétaire trop marquées ont un effet négatif sur l’activité économique. La Commission européenne prend donc en compte cet élément dans ses prévisions de croissance, et notre dialogue avec elle porte sur les conditions à réunir pour ramener notre déficit public en dessous de 3 % en 2017 sans pour autant freiner la croissance, qui est en passe de repartir en France.

La loi de finances de 2015 a été bâtie sur une prévision de croissance de 1 %, qui coïncide avec celle de la Commission européenne, d’autres instances étant même plus optimistes. Par conséquent, cette hypothèse nous semble solide, et nous espérons pouvoir conforter encore cette tendance à la reprise, sachant que, en 2014, la croissance a été de 0,4 %.

Nous remettrons à la Commission avant même la date butoir du 10 juin prochain le rapport exposant de quelle façon nous réaliserons un effort supplémentaire de réduction de 0,2 % de notre déficit structurel pour l’année 2015, afin de diminuer celui-ci de 0,5 % au total, au lieu de 0,3 % comme initialement prévu. Le ministre des finances l’a dit, nous serons présents au rendez-vous, nous ferons cet effort supplémentaire ; je réponds par là même à la question de Mme la présidente de la commission des finances.

Nous sommes tout à fait déterminés à atteindre cet objectif, ainsi qu’à mener les réformes de structures qui permettront de moderniser le fonctionnement de notre économie, de notre administration, de nos collectivités locales, de notre marché du travail, afin de renforcer notre compétitivité.

La réforme territoriale que nous avons engagée s’inscrit dans cette perspective. Le Parlement a adopté la nouvelle carte des régions. Aujourd’hui même, l’Assemblée nationale a voté en première lecture le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Nous avançons par ailleurs sur la simplification des normes, ainsi que sur une forme de libéralisation de certains secteurs de notre économie, avec le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Nous progressons également dans l’amélioration de certains aspects de l’organisation du marché du travail et de la vie sociale au sein des entreprises. Ainsi, la conclusion de l’accord national interprofessionnel, évoqué par M. Bonnecarrère, est largement considérée, me semble-t-il, comme un progrès en matière de négociations dans les entreprises confrontées à des restructurations. En outre, un texte relatif au dialogue social sera prochainement présenté par François Rebsamen.

Nous sommes tout autant déterminés à réduire les prélèvements obligatoires et la dépense publique, mais nous voulons y parvenir en maintenant un haut niveau de solidarité et de services publics, les Français y étant attachés. Au demeurant, il est nécessaire, y compris pour garantir l’avenir économique de notre pays, d’investir dans l’éducation, de préserver un système de santé qui demeure l’un des meilleurs du monde, mais qui peut sans doute être organisé pour fonctionner à coûts moindres : c’est tout l’enjeu des réformes en cours.

Nous pensons donc qu’il est possible de réduire la dépense publique et d’engager des réformes de structures sans casser le modèle social et républicain auquel nos compatriotes sont attachés. C’est dans cet esprit que nous dialoguons avec la Commission européenne et avec nos partenaires de l’Union.

Je rappelle que l’Europe était là, à Paris, dans la rue, le 11 janvier, aux côtés des Français, aux côtés du Président de la République, pour exprimer sa solidarité, pour dire que nous ne céderions pas, que nous ne nous laisserions pas intimider par la terreur, mais aussi que nous défendrions notre modèle de société. Or, au cœur des valeurs qui structurent ce modèle, figurent à la fois la liberté d’expression, la solidarité et la cohésion sociale.

Aujourd’hui, malgré les divergences qui se font jour, le débat sur la situation de l’Union économique et monétaire va de pair avec la conscience qu’il est tout à fait légitime, pour chacun des pays membres, de mener les réformes permettant d’améliorer sa situation économique et de préserver ce modèle de société. Ce dernier forme la base même de la construction européenne. C’est un modèle de liberté, mais c’est aussi un modèle de solidarité.

J’en viens aux questions internationales et, tout d’abord, à la défense.

Le président de la Commission européenne a employé une expression audacieuse et forte, parlant d’« armée européenne ». Pour notre part, nous considérons qu’il faut commencer par faire progresser la défense européenne et la politique de sécurité et de défense commune. Vous le savez, nous agissons en ce sens en travaillant à renforcer très concrètement les outils de l’unité européenne dans le domaine de la défense.

Nous devons, en effet, faire en sorte que les besoins de sécurité de l’Europe, ainsi que les devoirs qui sont les siens en la matière, soient exercés et assumés collectivement. Plusieurs orateurs l’ont souligné : chaque État membre doit prendre sa part. On ne peut faire reposer les efforts de défense, y compris les interventions armées qui sont parfois nécessaires, sur un ou deux pays seulement.

Parallèlement, nous nous employons à la mise en œuvre d’outils collectifs. Tel était l’objet des discussions du Conseil européen de décembre 2013, au terme duquel des orientations concrètes ont été fixées et regroupées en trois volets : l’efficacité de la politique de sécurité et de défense commune, le renforcement des capacités en matière de défense et le soutien à l’industrie de défense.

Premièrement, pour ce qui est de l’efficacité, nous avons engagé des travaux en vue de réformer le système de financement des opérations extérieures, connu sous le nom de mécanisme Athena. Ces opérations représentent un coût extrêmement important, lequel n’est, pour l’heure, supporté que par quelques États membres, en particulier la France. Nous souhaitons qu’un certain nombre de dépenses liées à ces opérations puissent être mutualisées à plus grande échelle.

Cette mutualisation ne se confond pas avec la possibilité de décompter les dépenses de défense des déficits structurels, mais elle procède malgré tout du même constat ; il est clair que, si certains États assument seuls ces charges, leurs dépenses publiques et leur déficit finiront par en être affectés. C’est pourquoi il faut augmenter la part de ces dépenses qui peut être assumée par le budget européen, donc par l’ensemble des pays membres.

Deuxièmement, au titre des capacités, nous souhaitons accélérer la mise en commun des efforts, en particulier avec l’Agence européenne de défense, l’AED, et via la programmation d’un certain nombre de grands projets nécessitant des investissements communs. Je songe au drone européen de défense ou encore à la flotte d’avions ravitailleurs.

À cet égard, nous demandons à tous les États membres de respecter l’objectif qui a été fixé : réserver 2 % de leur PIB à la défense en consacrant 20 % de cet effort aux équipements et à la recherche et développement. Les États de l’Union européenne membres de l’OTAN ont d’ailleurs pris cet engagement dans le cadre de cette organisation.

Troisièmement, s’agissant du volet industriel, nous souhaitons accroître le soutien apporté à la recherche et développement. Nous tenons en outre à faciliter l’accès aux financements pour les PME du secteur de la défense.

À propos du sommet de Riga, je tiens à confirmer l’importance de la distinction, soulignée par M. Bizet, entre la politique de voisinage et la politique d’élargissement : il ne doit pas y avoir de confusion à cet égard !

Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. C’est sûr !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Nous devons nous donner les moyens d’une politique de voisinage assurant la stabilité à travers des accords de partenariat et d’association. Toutefois, l’action dans ce domaine ne doit pas être confondue avec la politique d’élargissement, sauf à nourrir des ambiguïtés qui pourraient susciter des difficultés et, finalement, nuire à la stabilité.

Au sujet de l’Ukraine, nous l’avons toujours dit, les sanctions sont un outil pour parvenir à la négociation. Il faudra se pencher sur leur éventuelle reconduction. L’enjeu, en l’espèce, ce sont les sanctions sectorielles, qui arrivent à échéance le 31 juillet 2015. Elles devront être examinées en fonction du respect des accords de Minsk, en particulier de Minsk 2, donc de la feuille de route dont j’ai rappelé un certain nombre d’éléments en ouvrant ce débat.

Outre les enjeux liés au cessez-le-feu, au retrait des armes et à la surveillance de la frontière, Michel Billout a insisté sur le volet politique. Il s’agit de faire en sorte que, en Ukraine même, soient conduites des réformes portant notamment sur la décentralisation et le futur statut des territoires de l’est, en particulier sur le statut spécial de certaines régions du Donbass. Sur ce plan également, on constate des avancés. Ces chantiers sont très importants pour la stabilité durable de l’Ukraine.

À échéance, des élections devront être organisées dans ces provinces de l’est de l’Ukraine. En vertu de la Constitution actuellement en vigueur dans ce pays, un scrutin doit y avoir lieu le 25 octobre prochain.

Vous le constatez, un certain nombre d’engagements très précis ont été pris dans ce domaine. Ils ont pour but d’assurer la désescalade de la violence, laquelle est engagée. Désormais, il faut veiller à ce que toutes les parties respectent totalement le cessez-le-feu, donc l’arrêt des affrontements militaires. Ces engagements tendent, ensuite, à permettre une stabilité durable, pour les régions de l’est de l’Ukraine et pour les relations entre l’Ukraine et la Russie.

Au cours de ce Conseil européen, sera confirmée l’aide financière très importante que nous apportons à l’Ukraine, parallèlement aux réformes que nous lui demandons de mettre en œuvre pour moderniser son administration, notamment en luttant contre la corruption.

Cette action est menée non seulement à titre bilatéral, entre l’Union européenne et l’Ukraine, mais aussi à travers le Fonds monétaire international. Cela étant, les pays de l’Union européenne apportent aussi dans ce cadre une contribution substantielle.

Je conclurai en évoquant la question de la Grèce. Ce sujet a été notamment abordé par Simon Sutour, qui, au Sénat, préside le groupe interparlementaire d’amitié France Grèce.

Hier, au cours du conseil Ecofin, il a été décidé de continuer à travailler avec le gouvernement grec sur la liste de réformes communiquée par ce dernier. Ainsi, une confiance s’instaurera entre les partenaires de la zone euro et le nouveau gouvernement de la Grèce, qui s’emploie logiquement à mettre en œuvre les engagements qu’il a pris lors de la campagne électorale.

Les électeurs grecs ont fait un choix : ils ont décidé de tourner la page des politiques d’austérité, qui se sont révélées très dures. À travers le mécanisme économique que j’ai détaillé il y a quelques instants, ces politiques ont, dans les faits, aggravé la récession. Celle-ci trouvait certes son origine dans les faiblesses de l’économie et des finances publiques grecques, faiblesses antérieures à la crise, mais celle-ci a eu pour effet de les mettre pleinement en lumière.

Cela étant, le nouveau gouvernement grec a reçu pour mandat de travailler dans le cadre de l’Europe et de la zone euro. En effet, les électeurs grecs ont fait le choix d’une formation politique et d’un leader s’engageant, tout en menant le changement, à maintenir le pays au sein de la zone euro. Un récent déplacement à Athènes, au cours duquel j’ai rencontré plusieurs membres du gouvernement grec ainsi que le nouveau Président de la République, m’a permis de m’assurer qu’il n’y avait pas d’ambiguïté sur ce point.

De surcroît, M. Tsipras l’a confirmé lors de son entrevue à Paris avec le Président de la République, peu de temps après son élection : le gouvernement grec travaille bien, au sein de la zone euro, dans le cadre des règles européennes.

Nous devons faire en sorte que la mise en œuvre des réformes permette à la Grèce de sortir de la situation de crise dans laquelle elle se trouve. Nous allons y contribuer de manière très concrète, au-delà de l’aide que nous apportons à la conclusion d’un accord. Vous le savez, nous avons joué un rôle très important dans ce domaine, depuis l’élection du 25 janvier. Nous apportons par ailleurs une assistance technique à la Grèce au titre de la réforme de l’administration, de la réforme fiscale et de la modernisation des finances publiques.

Cet accompagnement tient bien entendu à l’amitié qui nous lie à la Grèce. Toutefois, à mon sens, c’est un devoir politique pour l’Union européenne tout entière, en particulier pour les membres de la zone euro, de permettre à ce pays de continuer à vivre son destin au sein de cette communauté politique qu’est l’Union européenne. Bien entendu, c’est la seule option sur laquelle nous travaillons. Nous devons continuer, sur cette base, à aider le gouvernement grec. Notre action est menée dans la clarté et dans le respect des engagements pris par la Grèce vis-à-vis de ses partenaires européens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les précisions que je tenais à apporter sur les principaux points que vous avez abordés.

Je vous remercie de nouveau de ce débat, de vos interventions et du soutien que vous avez exprimé, en particulier, au projet d’Union de l’énergie.

Pour répondre à une question posée au cours de cette discussion, je vous assure que la France se rendra à ce Conseil européen dans un état d’esprit qui est celui de l’engagement et du leadership. Nous sommes déterminés à aider l’Union européenne à prendre les décisions lui permettant d’avancer sur tous les points inscrits à l’ordre du jour : la construction de l’Europe de l’énergie, le soutien à la croissance et à l’investissement, l’engagement pour la paix en Ukraine, pour la sécurité et la stabilité dans son environnement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)

Débat interactif et spontané

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes au maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre.

La parole est à Mme Fabienne Keller.

Mme Fabienne Keller. Monsieur le secrétaire d’État, plusieurs de mes collègues l’ont rappelé, il y a quelques jours, la Commission européenne a accordé un nouveau délai pour la réduction du déficit de notre pays : 4 % du PIB en 2015, 3,4 % en 2016 et, enfin, 2,8 % en 2017. Telle est la trajectoire fixée.

À cette occasion, la Commission nous a répété que les économies de 50 milliards d’euros déjà programmées ne suffiraient pas à atteindre cet objectif.

Vous l’avez vous-même rappelé, à l’instar de Pascale Gruny et de Philippe Bonnecarrère, il nous faut assumer un effort budgétaire structurel supplémentaire de 0,5 point de PIB. Ainsi, il serait possible de dégager 4 milliards d’euros d’économies, mais 4 milliards d’euros sur le déficit structurel. Cela signifie que ces économies ne peuvent pas reposer sur l’affaiblissement de l’euro et les bas prix du pétrole.

S’agissant des moyens de parvenir à l’objectif, vous avez indiqué quelques pistes.

Vous avez évoqué le projet de loi NOTRe. Mais, dans un premier temps, ce texte ne changera pas grand-chose. Du reste, les sources d’économies qu’il est censé apporter ne sont pas évidentes. Quant à la nouvelle carte des régions, vous le savez, les travaux dont elle a déjà fait l’objet montrent qu’elle commencera par susciter des charges supplémentaires avant de permettre d’éventuelles économies, lesquelles ne sont pas certaines non plus.

Vous avez également mentionné le chantier de la simplification. En la matière, nous attendons les effets du travail en cours. Quoi qu’il en soit, pour l’essentiel, la future loi Macron ne devrait pas être applicable en 2015. Dès lors, cette réforme ne pourra pas aider à dégager les 4 milliards d’euros dont il est question.

Quant aux autres actions que vous avez citées, je ne puis dire avec certitude qu’elles dégageront bel et bien des économies.

Dans tous les cas, il nous faudrait des mesures identifiées, plus précises, assorties des modalités de leur mise en œuvre. Vous l’avez rappelé, le véritable délai, c’est plutôt la fin du mois de mai : un projet de loi de finances rectificative serait nécessaire avant cette échéance pour sécuriser et crédibiliser cet engagement de la France.

Chacun d’entre nous en est convaincu : tous nos partenaires de l’Union européenne, à commencer par l’Allemagne et le Royaume-Uni, attendent que la France prenne enfin des décisions de fond, à même de redonner espoir à l’ensemble de l’Europe ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame Keller, la Commission européenne, tout en confirmant qu’elle approuvait notre trajectoire budgétaire d’ici à 2017, a effectivement demandé à la France un effort structurel supplémentaire pour 2015, mais il est de 0,2 point de PIB pour cette année, l’objectif étant d’arriver à 0,5 point en 2017. De cette préconisation découlent les 4 milliards d’euros d’économies que vous avez mentionnés.

Cela étant, vous avez raison de dire que ni les réformes territoriales qui sont actuellement examinées ni celles qui ont déjà été votées ne provoqueront pas immédiatement une baisse de la dépense publique. Il n’en demeure pas moins que, à terme, la fusion des régions, la clarification des compétences, la fin du « millefeuille », emporteront des effets structurels importants sur notre dépense publique. C’est ce que nous avons tous souhaité, mais, nous, nous l’avons fait ! (Exclamations dubitatives sur les travées de l’UMP.) Et nous espérons que vous nous soutiendrez !

Cette baisse de 0,2 % de la dépense structurelle sur le budget de 2015 découlera donc d’autres mesures, que Michel Sapin est en train de préparer et qui vous seront présentées de façon détaillée au cours des prochaines semaines.

Vous savez que nous réalisons déjà continuellement des économies dans de nombreux domaines de la vie de l’administration. Nous nous en tenons néanmoins à certains objectifs prioritaires, par exemple en matière d’éducation. Il fallait en effet former et employer davantage d’enseignants, car nous bénéficions, contrairement à d’autres, d’une croissance démographique positive, qui nous impose certaines contraintes.

Nous avons dû prendre des mesures en matière de sécurité depuis 2012, que nous avons renforcées depuis les attentats des 7, 8 et 9 janvier, et dont le coût est d’environ un milliard d’euros. Cela nous conduit à ajuster le niveau des dépenses publiques. Pour ce qui est des charges supplémentaires liées à la lutte contre le terrorisme, le Premier ministre a demandé à l’ensemble des ministres de réduire, au prorata de leur budget, leurs dépenses afin de financer les mesures en question.

Un certain nombre de dispositions vont être prises en vue de réaliser les économies à hauteur de 0,2 point de PIB au titre 2015 et de tenir ainsi nos engagements vis-à-vis de la Commission européenne, sans renoncer pour autant aux priorités de politique publique que nous nous sommes fixées ni au soutien de la croissance au moment où celle-ci redémarre.

Je rappelle que nous avons engagé une lutte impitoyable contre la fraude et l’évasion fiscales, en obtenant notamment la mise en œuvre de l’échange automatique d’informations dans un avenir très proche, amenant donc un certain nombre de contribuables qui dissimulaient des comptes à l’étranger à les déclarer et à rapatrier leurs avoirs de manière à les intégrer dans leur patrimoine imposable.

La Commission a reconnu la contribution de cette politique à la baisse de nos dépenses structurelles. Cela a en effet rapporté 2 milliards d’euros supplémentaires au budget de l’État en 2014, et nous estimons qu’il en ira de même en 2015.

Nous disposons donc d’un certain nombre de leviers d’action qui nous permettent aujourd’hui et nous permettront demain de faire baisser la dépense publique de façon structurelle, d’accroître certaines rentrées dans le budget de l’État et de respecter entièrement nos engagements vis-à-vis de la Commission européenne.

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur une proposition de la présidence lettone qui a trait au système bancaire et qui nous cause quelque souci.

Nous voyons là réapparaître, sous une forme un peu nouvelle, une proposition formulée précédemment par le commissaire Barnier et inspirée des recommandations de M. Vickers, que les Britanniques ont appliquée. À l’époque, cette idée avait rencontré une hostilité assez forte puisque, de manière un peu curieuse s’agissant d’un règlement, elle ne devait pas s’appliquer à la Grande-Bretagne elle-même. Elle n’avait pas survécu à la fin de la Commission Barroso.

Revient donc sur la table une proposition qui vise à classer les banques en fonction de la taille de leur bilan, et non du niveau de risque qu’il intègre. Ce système, qui consiste à répartir les banques dans des zones rouge, orange ou verte, vise les banques françaises, qui sont les seules grandes banques universelles. Les Allemands n’en ont qu’une, la Deutsche Bank, qui va émigrer à Londres ; les Britanniques n’étant pas dans le système, il apparaît clairement que celui-ci ne vise que la France.

Selon nous, cette proposition ne doit pas prospérer, d’autant qu’elle tend, de surcroît, à remettre en cause les réformes menées à bien en France et en Allemagne, et que la Commission nous reproche à mi-voix. En conséquence, j’espère que la France saura défendre sa législation bancaire et ses établissements.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Yung, il existe en effet un projet de règlement de séparation des activités bancaires, issu du rapport Liikanen, qui avait été lancé par la Commission Barroso. Il n’en est cependant qu’au stade de la discussion interne, au sein de la Commission. Certains, sans doute, seraient favorables à ce qu’il suive son chemin jusqu’à être soumis au Parlement européen et au Conseil, mais la France a toujours défendu la même position : nous sommes très attachés à notre modèle de banque universelle.

Notre propre loi de séparation des activités bancaires, que vous avez votée, a été pensée de manière à remédier à une partie des problèmes qui ont été à l’origine de la crise financière, notamment par une séparation des activités de nature spéculative de celles de banque de détail.

Nous n’avons donc aucune raison d’envisager ou d’accepter un projet de règlement européen qui s’éloignerait de cette vision. Nous considérons que beaucoup d’outils ont été mis en place par ailleurs, notamment à travers l’Union bancaire.

Les stress tests conduits par la Banque centrale européenne, que toutes les banques françaises ont passés avec succès, ont permis de vérifier leur solidité.

Certaines des banques qui ont fait défaut étaient des banques universelles, mais la plupart d’entre elles, Lehman Brothers aux États-Unis comme un certain nombre d’autres en Grande-Bretagne ou en Irlande, n’en étaient pas.

Nous ne souhaitons pas remettre en cause la législation adoptée en France, dont nous estimons qu’elle est de nature à assurer la stabilité du système bancaire. Nous considérons donc qu’il n’y a pas de raison que la Commission européenne s’engage dans une réforme de ce type.

M. Richard Yung. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je souhaite évoquer la toute récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne enjoignant à la France de porter à 20 % le taux de TVA applicable au livre numérique, au lieu du taux réduit dont il bénéficie depuis janvier 2012.

Certes, ce sujet n’est pas inscrit à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, mais il ne peut être passé sous silence compte tenu de son importance pour nos industries culturelles.

Je rappelle que, sur l’initiative du Sénat, le législateur a considéré comme nécessaire d’appliquer le taux réduit de TVA au livre, quel que soit son support, afin de favoriser à la fois la diffusion accrue des œuvres d’expression européenne face à la concurrence anglo-saxonne et le développement du marché unique du numérique.

Tel n’a pas été le sentiment de la Commission européenne sur le sujet, bien que la majorité des États membres se soient déclarés favorables à ce parallélisme fiscal.

Souvenons-nous que l’Allemagne elle-même s’est ralliée, en juillet 2013, à la position de la France à cet égard. La perspective d’une modification de la directive TVA de novembre 2006 avait alors été envisagée, d’autant que, parallèlement à son recours, la Commission européenne avait déposé une consultation sur le taux réduit.

Je suis consternée par cette décision, qui paraît aller à contre-courant de la stratégie politique en faveur du numérique, nécessaire pour relever les immenses défis qui sont devant nous. L’Europe doit évoluer sur ces questions fiscales, mais aussi se montrer beaucoup plus offensive quant à la nécessité d’une régulation concurrentielle, garante d’une véritable neutralité, s’appliquant non seulement aux réseaux mais aussi aux services et aux plateformes. Il faut bâtir un régime exigeant et réaliste des données personnelles, à l’heure du cloud, des objets connectés et du big data, et mettre en œuvre une politique industrielle forte.

Monsieur le secrétaire d'État, je vous avais déjà posé cette question lors du débat préalable au précédent Conseil européen : face à l’urgence que souligne cette récente décision, quelle stratégie le Gouvernement entend-il adopter pour avancer sur ce sujet difficile ?

Encore une fois, je suis consternée de constater que la question du marché unique numérique n’est abordée que par le biais d’une possible révision de la directive sur le droit d’auteur de 2001. Rien d’autre n’est envisagé au niveau européen ! Que peut-on faire, que comptez-vous faire sur ce sujet crucial ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la présidente Morin-Desailly, la Cour de justice de l’Union européenne a effectivement pris une décision qui remet en cause l’application du taux réduit de TVA au livre numérique.

En réalité, nous avions simplement étendu au livre numérique le taux de TVA applicable au livre papier. La Cour de justice a estimé que cela n’était pas conforme à la directive TVA de 2006, qui limite strictement l’application du taux réduit. Or, lorsque cette directive a été prise, le livre numérique, tout comme la presse en ligne d’ailleurs, était beaucoup moins développé qu’il ne l’est aujourd'hui : en Europe, il existait déjà, mais seulement à l’état embryonnaire. La directive ne pouvait donc intégrer l’absence de raison de principe commandant d’appliquer des taux différents pour un même bien culturel selon qu’il est acheté et consulté sur support numérique ou sur support papier.

Nous avons immédiatement réagi à la décision de la Cour de justice. Avec la ministre de la culture et le ministre des finances, je vais demander à la Commission européenne de proposer des mesures d’ordre législatif permettant de garantir la neutralité technologique pour les biens culturels.

À nos yeux, la voie la plus normale serait une révision de la directive TVA de 2006, qui ajouterait à la liste des exceptions les biens culturels numériques, en particulier les livres. L’important, c’est de développer l’accès au livre et de garantir la rémunération des auteurs et des éditeurs.

Alors que l’Europe a choisi de faire du numérique l’un de ses grands chantiers, après la mise en place de l’Union de l’énergie, il serait absurde de faire ainsi obstacle à la diffusion du livre numérique, probablement appelé à un grand avenir.

Il faut s’assurer que les conditions dans lesquelles les œuvres culturelles sont diffusées par voie numérique ne nuisent pas à la protection du droit d’auteur ni à la rémunération des créateurs. De ce point de vue, il ne serait pas logique de maintenir une fiscalité plus lourde sur les biens culturels dès lors qu’ils sont diffusés sur support numérique, et non sur les supports traditionnels.

Je vous rejoins donc totalement : nous allons mener ce combat, avec l’Allemagne et d’autres pays. La difficulté réside dans le fait que, s’agissant d’une directive sur la fiscalité, elle est soumise à la règle de l’unanimité. Nous nous battrons cependant pour obtenir que le livre numérique ne soit pas taxé davantage que le livre papier.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le secrétaire d'État, l’ordre du jour du prochain Conseil européen abordera la question du partenariat oriental de l’Union européenne et celle des relations avec l’Ukraine et la Russie. C’est un point fondamental, dont les enjeux et les conséquences sont essentiellement liés.

Tous les responsables européens, les parlementaires nationaux ainsi que les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dont je suis, sont extrêmement préoccupés par l’application des accords de Minsk du 12 février dernier. Nous nous réjouissons, bien sûr, du cessez-le-feu négocié, mais ce que l’on appelle diplomatiquement, presque pudiquement, le « conflit ukrainien » ne doit pas nous faire oublier la réalité.

Nous souhaitons tous que les négociations de paix aboutissent. Toutefois, cela signifie-t-il que l’annexion de la Crimée par la Russie, au mépris du droit et des traités internationaux, est aujourd’hui un fait irrévocable ?

Les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne, réunis à Riga la semaine dernière, ont renoncé à la possibilité de prendre de nouvelles sanctions contre la Russie. Dès lors, qu’en est-il du respect stricto sensu des accords de Minsk quant à la libération des otages et du retrait des troupes russes ?

Moscou refuse la libération de Nadia Savchenko, ma collègue membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, détenue en Russie depuis juin 2014 et qui poursuit une grève de la faim, mettant sa vie en péril. La justice russe ne la considère pas comme un otage et affirme disposer de chefs d’inculpation sérieux. Quelle est la position de la France sur ce sujet et quelle sera son action en la matière ?

Enfin, je tiens à rappeler que le Partenariat oriental de l’Union européenne a pour objet d’instaurer un espace de stabilité démocratique et économique. Il s’accompagne également d’accords d’association. Le Sénat a voté la semaine dernière le projet de loi autorisant la ratification d’un accord d’association avec la Moldavie, tout en rappelant qu’un tel accord n’était pas un préalable à une intégration du pays considéré. Il importe en effet que ces accords ne soient pas perçus par la Russie comme des éléments de concurrence avec l’Union économique eurasiatique proposée par la Russie aux pays concernés par le Partenariat oriental de l’UE.

Pour ce faire, il faut que les institutions européennes adoptent une politique diplomatique plus claire, de nature à apaiser les relations entre l’Union européenne et la Russie. (Mme Colette Mélot applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, je tiens tout d’abord à indiquer que nous ne reconnaissons pas l’annexion de la Crimée par la Russie et que nous défendons la souveraineté de l’Ukraine. Nous demandons en outre la libération de Nadia Savchenko.

Comme vous l’avez dit, nous recherchons l’apaisement. À cet égard, les accords de Minsk sont évidemment importants. Les initiatives du Président de la République et de la Chancelière allemande ont été saluées et soutenues par tous les membres du Conseil européen, un soutien confirmé à la fin de la semaine dernière par les ministres des affaires étrangères qui se sont rencontrés à Riga. La seule issue possible à cette crise passe en effet par la voie diplomatique et la négociation.

C’est pourquoi nous travaillons à rétablir entre l’Ukraine et la Russie des relations de voisinage normales, dans tous les domaines. Dans le cadre des accords de Minsk, cela suppose la libération des prisonniers, des otages, mais aussi le respect de la frontière et le rétablissement des relations économiques. Sur ce plan, le commissaire européen chargé de l’énergie est intervenu pour faire en sorte qu’un accord sur l’approvisionnement de l’Ukraine en gaz soit signé dans les prochains mois, afin que ce pays ne se retrouve pas privé d’énergie, ne serait-ce que pour que la population puisse se chauffer.

L’apaisement des relations entre les deux pays est donc au cœur de notre feuille de route et c’est le sens des initiatives prises par le couple franco-allemand, avec le soutien de l’ensemble des Européens. Dans l’intérêt même de l’Ukraine – je connais votre attachement à ce pays, madame la sénatrice –, c’est la voie qu’il faut suivre. Il n’y a pas de solution militaire à ce conflit : envoyer des troupes armées ne résoudra pas le problème. Toutes les escalades militaires ont conduit à un désastre humanitaire dans l’est de l’Ukraine.

Il importe de ramener les Ukrainiens et les Russes à la table des négociations, de faire cesser le soutien militaire aux séparatistes et de veiller au respect de toutes les dispositions prévues dans les accords de Minsk, une tâche à laquelle se sont attelés le Président de la République et la Chancelière allemande.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Mon intervention portera également sur l’Ukraine, mais, une fois n’est pas coutume, c’est à M. le président de la commission des affaires européennes que j’adresserai une question.

Je tiens tout d’abord à saluer l’action du gouvernement français et du gouvernement allemand pour faire en sorte que ce soit entre Européens, et seulement entre Européens, qu’une issue soit trouvée à cette guerre.

Personne n’a le moindre doute quant à la réalité de l’engagement russe : nous savons bien qu’il est le moteur de ce conflit, qui n’est pas une guerre civile. L’attaque conduite près de Marioupol est un test de la capacité de la Russie et de l’Ukraine – mais d’abord de la Russie – à respecter les accords de Minsk, et j’ai, moi aussi, une pensée pour Mme Savchenko.

Ce qui s’est passé l’année dernière en Ukraine n’est rien de moins qu’une révolution. Une révolution, à nous Français, cela ne devrait pas nous faire peur : nous en avons connu une ! Et les Russes aussi ! C’est un événement qui est ancré dans nos histoires respectives. Dès lors, personne en France et en Russie n’a le droit de dire que ce qui s’est passé était un coup d’État !

Aujourd'hui, l’Ukraine a un nouveau parlement, dont plus de la moitié des membres ont été renouvelés, qui doit s’atteler à des tâches énormes pour réformer l’économie, la justice et la police, lutter contre la corruption et procéder à une décentralisation. Sur tous ces sujets, la coopération avec l’ensemble des parlements de l’Europe est absolument indispensable : c’est la condition d’une mise en place réussie d’une véritable démocratie en Ukraine.

Voilà pourquoi je souhaiterais, monsieur le président de la commission des affaires européennes, que nous puissions travailler avec les parlements de l’Union européenne pour accompagner nos collègues ukrainiens dans les difficiles réformes qu’ils doivent mettre en œuvre pour instaurer une authentique démocratie dans leur pays.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Mon cher collègue, j’ai été informé par le président Gérard Larcher, qui était avec vous et d’autres collègues à Moscou, des entretiens qu’il a eus avec le président Poutine et d’autres interlocuteurs.

Cette coopération interparlementaire est indiscutablement une voie à explorer. Le concept de « décentralisation approfondie », qui figure dans le communiqué publié à la suite de votre déplacement, peut être examiné dans le cadre de l’OSCE et dans le respect des deux principes fondamentaux rappelés précédemment par M. le secrétaire d’État : l’intégrité territoriale de l’Ukraine, avec le respect des frontières, et les accords de Minsk 2, même si l’on peut imaginer une certaine autonomie de certaines provinces, à l’instar de ce que nous connaissons en France avec les départements d’outre-mer.

Comme l’ont souligné tant M. le secrétaire d’État que de nombreux autres orateurs, les solutions sont uniquement pacifiques. S’il devait y avoir à Marioupol ou ailleurs des manquements aux engagements pris par les uns ou par les autres, ce délicat projet tomberait carrément à l’eau.

Nous sommes ouverts et réalistes : la coopération interparlementaire doit avoir lieu dans le cadre de l’OSCE.

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le secrétaire d'État, même si de nombreux collègues ont déjà évoqué la question de l’énergie, je me permets d’y revenir : le sujet est suffisamment important pour que l’on s’y attarde.

Avec un solde exportateur net de plus de 65 térawatts-heure en 2014, la France fait partie des tout premiers exportateurs d’électricité au monde. Grâce à l’utilisation soutenue des interconnexions européennes, dont le développement est au cœur de la stratégie pour une Union de l’énergie, elle est également le premier exportateur européen.

C’est notamment en s’appuyant sur la sécurité de cette production que l’Europe, en particulier l’Allemagne, a pu développer ces dernières années les énergies éolienne et photovoltaïque, des énergies certes renouvelables mais, surtout, extrêmement fluctuantes.

La stabilité, le volume et la compétitivité de notre production électrique, qui sont à la base de notre capacité exportatrice, proviennent évidemment en très grande partie de nos capacités nucléaires. Or cette énergie demeure le parent pauvre de la stratégie présentée le 25 février dernier.

La France a signé avec sept autres États membres un courrier soulignant le rôle important joué par l’énergie nucléaire dans la sécurité de l’approvisionnement, les faibles émissions de carbone et la compétitivité de l’économie. Ce courrier réclame également que les mécanismes de financement mobilisés dans le cadre de l’Union de l’énergie pour les grands projets d’infrastructures sobres en carbone puissent également être appliqués aux nouveaux projets de la filière nucléaire.

Monsieur le secrétaire d’État, je me réjouis que la France tienne ce langage au niveau européen. Toutefois, le contenu de ce courrier semble en contradiction flagrante avec les objectifs affichés par le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.

Ce projet de loi prévoyait, avant son examen par le Sénat, un calendrier de réduction de la part du nucléaire dans notre bouquet énergétique, ainsi que le plafonnement du parc électronucléaire à sa puissance actuelle, ce qui aboutirait à la fermeture rapide de plusieurs réacteurs existants.

Si l’on souhaite adopter la vision résolument européenne d’un marché intérieur à la fois efficace et interconnecté et respectant les choix et les atouts énergétiques des différents États membres, il faut préserver les capacités françaises en matière nucléaire, car notre pays joue un rôle essentiel de stabilisateur pour l’ensemble du marché énergétique européen.

Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous indiquer avec précision la stratégie poursuivie par le Gouvernement et la majorité en matière d’énergie nucléaire aux niveaux national et européen ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, vous évoquez le courrier que Ségolène Royal et plusieurs de ses homologues ont adressé à la Commission européenne et qui faisait valoir notre approche équilibrée, cohérente et globale de la politique énergétique de l’Union européenne, tout en soulignant la contribution qu’apporte l’énergie nucléaire dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la lutte contre le réchauffement climatique.

Le nucléaire participe aussi à la réduction de notre dépendance vis-à-vis des fournisseurs d’hydrocarbures, qui se trouvent pour la plupart hors de l’Europe ou, en tout cas, hors de l’Union européenne. Il s’agit, en outre, d’une filière industrielle marquée par l’excellence technologique et créatrice de nombreux emplois.

Vous le savez, pour développer les énergies renouvelables, on a besoin d’une production d’énergie stable en raison de l’intermittence de la production d’énergie d’origine solaire ou éolienne. C’est pourquoi nous sommes très attachés à défendre la part du nucléaire nécessaire dans notre bouquet énergétique.

La réponse nationale est le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, dont l’objet est tout à fait clair : comme vous l’avez rappelé, il plafonne au niveau actuel la production d’électricité d’origine nucléaire. Cela signifie que la production nucléaire ne diminuera pas. Certes, les anciennes installations, telle la centrale de Fessenheim, seront remplacées, mais des EPR sont en chantier, à commencer par celui de Flamanville.

L’objectif est de nous en tenir à 50 % d’énergie nucléaire, compte tenu de la montée en puissance des énergies renouvelables. Cela signifie que nous allons continuer à renouveler notre parc, à entretenir cette filière et à faire reposer une grande partie de notre production d’électricité sur cette technologie.

Nous demandons que, au niveau européen, cette possibilité ne soit pas remise en cause : les États membres doivent conserver ce libre choix. Certains pays ont, comme nous, choisi cette voie et investissent dans le nucléaire : c’est notamment le cas de la Grande-Bretagne, qui a d’ailleurs fait appel à la France pour son projet d’Hinkley Point C. D’autres pays ont, pour le moment, pris une décision de principe, sans avoir encore lancé de chantier. Nous espérons qu’ils iront au bout de la démarche, et ce point sera l’un de ceux qui seront abordés dans les discussions que le Premier ministre aura demain et après-demain avec son homologue polonaise. J’aurai le plaisir de l’accompagner en Pologne et je peux vous assurer que nous défendrons, bien entendu, les qualités de la filière nucléaire française.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de vous remercier de votre disponibilité et de la clarté de vos réponses. Je sais qu’il ne vous était pas facile d’être ce soir au Sénat dans la mesure où vous étiez il y a quelques heures encore à Strasbourg.

Je souhaite, avant que ce débat ne s’achève, vous adresser deux messages.

Le premier a trait au plan Juncker. Jeudi prochain, le commissaire Jyrki Katainen sera à Paris pour avancer sur la mise en œuvre du plan qui prévoit d’injecter 315 milliards d’euros dans l’économie des vingt-huit États membres. Au moment où nos collectivités territoriales voient baisser les dotations qui leur sont destinées – d’environ 14 milliards d’euros sur deux ans –, alors qu’elles ne sont responsables que d’à peine 5 % du déficit public et qu’elles réalisent quelque 60 % des investissements publics, tout ce qui pourra concourir à injecter de l’argent au plus près des territoires sera bénéfique.

Le Sénat, représentant les collectivités territoriales, est très attentif à ce que l’ensemble du territoire soit irrigué et à ce que les élus locaux de notre pays utilisent au mieux cette aide. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d’État, que vous le soyez aussi, avec l’ensemble de vos services, pour que nous puissions aider les élus locaux à mobiliser ces fonds, principalement destinés à de gros projets, que ce soit par le biais de l’Association des régions de France ou de l’Association des maires de France. À l’heure où les régions vont entrer dans une phase de renouvellement, il ne faut pas oublier les autres élus territoriaux !

Mon second message est relatif à l’achèvement de la première phase du semestre européen.

J’aimerais partager votre optimisme, monsieur le secrétaire d’État ! Je suis en effet un peu inquiet. Certes, le président Juncker, dans sa communication du 13 janvier 2015, nous invite à interpréter le pacte de stabilité avec une certaine souplesse. Cependant, puisque la France est classée, avec la Croatie, la Hongrie, l’Italie et le Portugal, parmi les pays connaissant quelques difficultés, c’est-à-dire un déficit excessif, il nous enjoint en fait d’engager un certain nombre de réformes.

La réforme territoriale est pratiquement derrière nous. Je souhaite donc parler de la réforme qui est devant nous et dont nous débattrons ici au début du mois d’avril.

J’ai eu l’occasion de participer, hors de tout cadre parlementaire, à une table ronde où M. Emmanuel Macron était présent. Il a eu l’honnêteté intellectuelle de considérer que sa loi n’allait pas révolutionner la compétitivité de la société française et nous placer soudainement dans une situation extraordinaire.

Pour ma part, je pense que ce texte se caractérise par un certain nombre de rendez-vous manqués. C’est sur cela que le Sénat souhaite mettre l’accent, en adoptant une attitude absolument constructive.

Très franchement, je ne vois pas dans la mise des professions réglementées sous la tutelle de l’Autorité de la concurrence le moyen de rendre notre société plus compétitive. Je ne vois pas dans le travail du dimanche le moyen de donner plus de flexibilité à notre marché du travail.

Monsieur le secrétaire d’État, j’ai peur du rendez-vous du 10 juin 2015 : il nous faudra trouver non seulement 4 milliards d’euros, mais aussi les 3 milliards d’euros inscrits dans la loi de programmation militaire, soit un total de 7 milliards d’euros ! Voilà pourquoi je suis plutôt inquiet, tout en ayant envie de me tromper et de partager votre optimisme. Rendez-vous le 10 juin !

Quoi qu'il en soit, monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie encore une fois de votre disponibilité.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Nous en avons terminé avec le débat préalable au Conseil européen des 19 et 20 mars 2015.

10

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 11 mars 2015, de quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap titulaires de la carte de stationnement (n° 126, 2014 2015) ;

Rapport de Mme Claire-Lise Campion, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 238, 2014 2015) ;

Texte de la commission (n° 239, 2014 2015).

Proposition de loi sur la participation des élus locaux aux organes de direction des deux sociétés composant l’Agence France locale (n° 536, 2013 2014) ;

Rapport de M. Alain Anziani, fait au nom de la commission des lois (n° 315, 2014 2015) ;

Texte de la commission (n° 316 2014 2015).

Suite de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant (n° 799, 2013 2014) ;

Rapport de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 146, 2014 2015) ;

Texte de la commission (n° 147, 2014 2015) ;

Avis de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (n° 139, 2014 2015).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART