M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous me permettrez de m’adresser à M. Henri Tandonnet, qui a fait allusion aux liens que j’entretiens avec le Lot-et-Garonne : oui, je suis toujours heureux d’y être ! Je m’y trouvais la semaine dernière et j’y retourne ce soir. Entre deux séjours, généralement trop courts, dans ce département, il m’arrive en effet de faire des séances d’« apnée internationale », que vous qualifiez de « voyages » et que j’appelle pour ma part des « déplacements » ; je laisse chacun apprécier la nuance. (Sourires.)

La Haute Assemblée examine cet après-midi en première lecture un texte qui peut sembler technique mais qui recouvre des réalités très importantes dans nos territoires ruraux : la proposition de loi tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales, qui avait fait l’objet d’un renvoi en commission, en octobre dernier.

Cette proposition de loi a un double objectif. Elle vise, d’une part, à rendre imprescriptible l’ensemble des biens immeubles appartenant au domaine privé des collectivités territoriales et, d’autre part, à surmonter la jurisprudence du Conseil d’État prohibant l’échange des chemins ruraux.

Le droit de la propriété des personnes publiques se fonde sur la distinction entre domaine public et domaine privé, l’appartenance d’un bien à l’un ou à l’autre déterminant le régime juridique qui lui est applicable, ainsi que la compétence juridictionnelle en cas de litige : juridiction administrative ou juridiction judiciaire.

Cependant, les caractéristiques propres à certains biens justifient que leur régime déroge, sur certains points, à cette distinction. Tel est le cas des chemins ruraux, comme l’explique, avec beaucoup de pertinence, M. Tandonnet dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi et comme cela a été rappelé au cours des débats.

La commission des lois a fait le choix de centrer ses travaux sur ces biens en particulier, la question de la prescription acquisitive étant en effet très sensible sur l’ensemble des chemins ruraux.

La France compte près de 750 000 kilomètres de chemins ruraux. Ces espaces ne cessent de démontrer leur intérêt pour le développement de nos territoires, pour les activités agricoles et touristiques, pour la préservation de notre environnement.

Ce sont des voies de circulation, aussi bien pour les cultivateurs et les forestiers que pour les résidents des hameaux.

Ce sont également des viviers de la biodiversité, protecteurs contre l’érosion des sols et donc des supports pour le maintien de la Trame verte et bleue.

Ce sont enfin, au moment où nous cherchons à valoriser les territoires ruraux en matière d’agritourisme et, d’une manière plus générale, de tourisme rural, des atouts pour la valorisation de nos territoires pour les randonneurs ou les cyclistes. Je pense notamment à l’écotourisme, qui s’appuie sur les « déplacements doux », et vous savez à quel point je suis attentif aux questions liées au tourisme rural.

Les chemins ruraux font toutefois l’objet de nombreuses appropriations, en particulier parce qu’ils peuvent parfois constituer une gêne pour les exploitations et les nouveaux modes de culture. Ils sont alors labourés, clôturés et donc soumis à une prescription acquisitive.

Vous souhaitez endiguer ce mouvement, pour mieux garantir la survie et la préservation des chemins existants. C’est ce dont nous allons débattre aujourd’hui et c’est un objectif largement partagé par le Gouvernement.

Pour remédier à la « vulnérabilité » des chemins ruraux, vous souhaitez lever les difficultés et les contentieux trop nombreux qui résultent aujourd’hui du droit, parfois qualifié d’hybride, qui s’applique aux chemins ruraux.

Dans cette optique, vous avez entendu explorer de la manière la plus ample les mesures à même d’assurer la protection des chemins ruraux ainsi que leurs implications juridiques. C’est la raison pour laquelle, alors que l’objet du texte était très largement consensuel au sein de votre hémicycle, vous aviez choisi, en octobre dernier, de renvoyer ce texte en commission pour en approfondir l’examen sur certains points.

Cette décision avait été soutenue par le Gouvernement ; il s’en félicite aujourd’hui, car ces semaines d’examen supplémentaires ont effectivement permis aux membres de votre commission de définir un cadre encore plus efficace de protection des chemins ruraux et d’apporter des précisions utiles sur les mesures à prendre.

Ce cadre, le Gouvernement y souscrit dans sa globalité. Il estime en effet, tout comme la commission des lois, qu’il n’est pas judicieux de rendre les biens du domaine privé des collectivités territoriales imprescriptibles dans le but d’empêcher l’application à leur encontre de la prescription acquisitive.

En premier lieu, une telle disposition emporte des conséquences juridiques potentiellement risquées dans la mesure où elle remet en cause la frontière entre le régime du domaine privé et le régime du domaine public.

En second lieu, introduire l’imprescriptibilité des immeubles du domaine privé représenterait un vrai bouleversement. Au-delà du risque de confusion entre les domanialités, il faudrait alors effectuer une revue précise de tous les types d’immeubles appartenant au domaine privé. En effet, c’est l’unique moyen par lequel nous serions en mesure d’évaluer les conséquences pratiques d’un tel renversement de la règle.

Concernant la proposition de limiter l’imprescriptibilité aux seuls chemins ruraux, le Gouvernement partage le constat de la commission des lois : cette disposition créerait, là aussi, une confusion puisqu’elle accorderait à un élément du domaine privé une caractéristique juridiquement propre au domaine public.

Lors de l’examen en commission, un amendement visant à inciter les communes à procéder au recensement de leurs chemins ruraux a été adopté. Cette disposition semble de nature à faciliter la mise en œuvre par les communes d’une stratégie cohérente en matière de protection des chemins ruraux.

Cela va dans le bon sens, car il est difficile, pour une municipalité, notamment dans les territoires ruraux, d’avoir une connaissance exhaustive et tout à fait précise des dizaines de kilomètres de chemins ruraux qui jalonnent son territoire. Il arrive d’ailleurs qu’une commune découvre qu’un tiers est fondé à lui opposer la prescription acquisitive le jour où elle prend l’initiative de mettre un de ces biens en valeur.

Il s’agit donc d’aider les collectivités et les élus qui les administrent dans leurs efforts de mise en valeur, d’investissement, voire tout simplement de sauvegarde de leur patrimoine historique ou de la physionomie de leur terroir. Il faudra veiller à ce que cette disposition soit effectivement applicable dans les faits, et il convient de savoir quels sont les chemins ruraux pour pouvoir les protéger.

Enfin, l’introduction du principe d’échange de parcelles des chemins ruraux paraît particulièrement intéressante dans la mesure où celui-ci permettra de combler un vide juridique.

La plupart du temps, le maire qui essaie de redresser les chemins de sa commune ou de les restructurer doit procéder par voie de vente. Il en résulte souvent deux actes successifs : une vente et un achat engendrant des frais inutiles, ainsi que des discussions sans fin sur la valeur des terrains. Or un simple échange permettrait de conserver ou même de récupérer le chemin déjà prescrit ou en voie de prescription, son nouveau tracé évitant par exemple de passer au bord d’une ferme, de couper un champ labouré ou d’entraver un système d’irrigation ; ce sont là des réalités très concrètes que vous connaissez toutes et tous ici.

Cette simplification permettra non seulement de réduire les frais, mais aussi de sécuriser l’opération, car le projet de rétablissement sera conçu en une seule opération avec le propriétaire concerné, évitant ainsi de nombreux contentieux pour nos petites communes.

Tel qu’il est conçu, le dispositif d’échange proposé par votre rapporteur n’aura vocation à être mis en œuvre que dans l’hypothèse où il s’agira de faire perdurer le chemin rural, en ajustant son tracé par échanges de parcelles. Ce resserrement du champ d’application du dispositif nous semble une bonne solution, car il garantit que celui-ci ne sera pas un biais pour abandonner un chemin rural.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous le voyez, le Gouvernement soutient dans ses grandes lignes le texte que vous examinez aujourd’hui. Celui-ci apporte des garanties importantes pour la protection de nos chemins ruraux et va dans le sens d’un renforcement nécessaire de la maîtrise publique du foncier.

Cette ressource fait l’objet de tensions fortes, du fait notamment des phénomènes de périurbanisation, de l’artificialisation des sols, de la nécessaire préservation des espaces naturels et agricoles. Ce n’est qu’au travers de sa maîtrise raisonnée par la puissance publique que nous pourrons garantir un développement équilibré et durable de tous les territoires de la France.

Aussi, sous réserve de l’adoption des quelques évolutions techniques que j’ai indiquées dans mon propos, le Gouvernement est favorable à la présente proposition de loi. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck.

M. René Vandierendonck. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, incontestablement, Henri Tandonnet doit déjà mieux respirer ! (Sourires.)

Le Sénat honore en effet, grâce aux initiatives et à la diligence du rapporteur de la commission des lois, l’engagement qu’il avait pris en adoptant le renvoi en commission, celui-ci devant être vu non pas comme un « enterrement de première classe », mais comme le signe d’une volonté réelle et unanime d’approfondir la question de la préservation des chemins ruraux, que vous avez eu, mon cher collègue, l’immense mérite de poser.

Ce travail a été réalisé dans un laps de temps très court et l’excellent rapport de M. Détraigne a pour première qualité de faire le point sur la situation actuelle des chemins ruraux.

Le chemin rural est effectivement un être hybride : il relève du domaine privé par détermination de la loi quand bien même il remplit intrinsèquement les critères de la domanialité publique. Il est d’autant plus hybride – je le dis avant M. Mézard (Sourires.) – que les pouvoirs de police du maire s’y appliquent. Et quand vous considérez les conditions d’aliénation des chemins ruraux, vous vous apercevez que les procédures prévues par le code rural n’ont rien à envier en lourdeur et en rigidité aux mécanismes propres au déclassement et à la vente de biens déclassés du domaine public !

Ne nous payons pas de mots : par les temps qui courent, il n’est pas tout à fait illégitime que des communes, placées dans la situation financière que l’on sait, considèrent que, s’il faut bien sûr protéger ce qui doit être protégé, dans le même temps, on doit pouvoir aliéner ce qui n’a pas à être protégé.

En effet, cette préoccupation est également prise en compte dans notre démarche, et je l’assume ; si nous ne le faisions pas, nous n’irions pas au bout des potentialités de cette proposition de loi.

Notre seconde préoccupation, fort bien rappelée par M. le rapporteur et fort modestement – le style, c’est l’homme ! – acceptée par notre collègue Tandonnet, était de ne pas remettre en cause, au hasard d’une proposition de loi, la summa divisio entre le domaine public et le domaine privé, telle qu’elle a été précisée par le Conseil d’État dans ses arrêts sur l’allée des Alyscamps et le port de Bonneuil-sur-Marne. Les raisons de ce choix n’étaient pas seulement esthétiques : cette distinction entraîne des conséquences juridiques, contractuelles et en termes de responsabilité. Il ne fallait donc pas déstabiliser excessivement ce cadre, même si les chemins ruraux ont un statut hybride.

Dans ces conditions, y avait-il une solution permettant d’atteindre l’objectif sans remettre en cause la cohérence de la construction ? C'est là que vous apparaissez, monsieur le rapporteur ! (Sourires.)

Après avoir dressé un diagnostic sans faille, vous avez proposé une démarche pragmatique, en décidant de commencer par un recensement des chemins ruraux existant sur leur territoire. Toujours avec le même pragmatisme, dont aurait pu aussi faire preuve Jacques Mézard, qui a tant fait pour la défense des départements – j’en profite pour remercier le Gouvernement de les avoir conservés (M. Jacques Mézard s’esclaffe.) – et pour le maintien de leur compétence en matière de voirie, vous vous êtes dit qu’il manquait un élément.

Il était nécessaire de prévoir un amendement visant, à l’heure de la réforme territoriale, à articuler la compétence départementale avec la protection des intérêts touristiques et cynégétiques, voire bucoliques (Sourires.), qui s’attachent aux chemins ruraux.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le recensement est très important, d’autant plus qu’il sera suivi d’une révision du plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée.

J’aimerais soulever un autre point, même s’il n’est pas très populaire de le faire. J’ai examiné toute la jurisprudence du Conseil d’État sur les chemins ruraux depuis vingt ans. Or, dans les commentaires de doctrine, il n’y a pas un seul professeur de droit pour considérer que les conditions d’aliénation des chemins ruraux posent problème. C'est une question importante à un moment où les communes subissent de lourdes contraintes financières. Le recensement est le préalable ; c'est une priorité absolue pour la protection de ces chemins ruraux.

Grâce à votre habilité, monsieur le rapporteur, nous avons déjà obtenu un avantage énorme, avec la possibilité qui est offerte aux communes, alors qu’elle était jusqu’à présent prohibée par le Conseil d’État, d’échanger des chemins ruraux, si – et seulement si – cet échange permet de garantir la continuité des itinéraires de promenade. Après le recensement, les maires – j’en connais beaucoup ! – devront choisir s’ils veulent garder ou vendre les chemins ruraux.

Voilà le pragmatisme que le groupe socialiste m’a demandé d’afficher. Toutefois, je tiens à dire que nous avons pris plaisir à travailler avec vous, monsieur Tandonnet ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Abate.

M. Patrick Abate. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous allons poursuivre cette partie de plaisir ! En effet, nous sommes bien engagés sur la voie du consensus, ce qui me semble d'ailleurs assez normal.

Je veux simplement rappeler ici notre réticence au renvoi en commission d’une proposition de loi examinée dans le cadre des niches parlementaires. Ces renvois doivent, selon nous, rester l’exception. À défaut, l’initiative parlementaire, en particulier celle de l’opposition, risquerait d’être mise à mal.

Comme l’a rappelé à l’instant, avec un grand talent, notre collègue René Vandierendonck, ce travail a été réalisé avec l’accord de l’auteur de la proposition de loi. Loin de l’enterrer, la commission a réécrit le texte avec beaucoup d’intelligence et de pragmatisme. Aujourd'hui, la proposition de loi revient devant nous.

Sur le fond, M. le rapporteur nous rappelle, à bon droit, dans son rapport que « s’il y a un problème de protection de ces chemins affectés à l’usage du public et appartenant au domaine privé des communes, il était souhaitable de rester dans le schéma traditionnel selon lequel, hormis leur insaisissabilité, les biens du domaine privé des personnes publiques sont – contrairement aux biens du domaine public – régis par les règles de droit commun de la propriété, sous réserve de quelques dérogations. »

Je tiens à remercier notre collègue Henri Tandonnet d’avoir permis, avec l’aide de M. le rapporteur, d’expliciter des points de droit concernant les chemins ruraux, lesquels sont l’unique objet de cette proposition.

Au-delà des aspects juridiques liés au régime de domanialité des collectivités, se pose une véritable question : celle de la capacité de nos communes, et surtout des plus petites d’entre elles, à maîtriser le développement de leur territoire et l’évolution de leur patrimoine, tout particulièrement en milieu rural.

Parce qu’ils sont justement à l’usage du public, ces chemins ruraux remplissent de véritables missions d’intérêt général, et un certain nombre d’associations et de riverains font pression sur les communes pour qu’ils fassent l’objet d’un entretien régulier. Les communes n’ont aucune obligation d’entretien puisqu’ils font partie de leur domaine privé. Néanmoins, la pression est là, et il est parfois difficile d’y résister, d’autant que cet entretien peut se révéler particulièrement utile.

Dans le même temps, le régime actuel, qui autorise une absence d’entretien des chemins ruraux, justifie que ceux-ci deviennent, au bout d’un certain temps, la propriété exclusive de particuliers riverains.

C’est sans doute contestable, car cela prive les communes de capacités d’intervention sur leur patrimoine à des fins de développement touristique, de préservation de leur patrimoine naturel et de la biodiversité, d’augmentation du nombre de liaisons douces et de voies vertes communales ou intercommunales.

Nous sommes tous d’accord pour convenir qu’une telle situation n’est pas satisfaisante et inquiets quant à la capacité de nos communes de protéger, à l’avenir, leur patrimoine, d’autant que – je veux y insister – les ressources financières des collectivités et, par là même, leurs capacités d’intervention diminuent loi de finances après loi de finances.

Elles ont donc de moins en moins les moyens d’entretenir tous les chemins ruraux, comme, du reste, bien d’autres éléments patrimoniaux du domaine privé à rénover : je pense aux moulins, aux granges, aux fontaines et autres fours à pain, qui sont les vestiges d’une époque révolue, mais dont nous devrions pouvoir garder la trace. Ces éléments méritent toute notre attention et même – pour continuer dans la partie de plaisir – l’utilisation de nos réserves parlementaires…

Il faut saluer le travail qui a été effectué, car, finalement, le nouveau texte que nous examinons apporte une réponse concrète à un véritable problème. Facilitateur et pragmatique, il tend à renforcer la maîtrise foncière des élus, en prévoyant la réalisation d’un état des lieux d’un patrimoine qui, certes, est hybride, mais qui est aussi tellement utile. Si l’on n’y prend pas garde, en effet, ce patrimoine pourrait disparaître du paysage, au sens propre comme au sens figuré.

Nous voterons donc ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe votera le texte qui nous est proposé. À mon tour, je tiens à remercier M. le rapporteur, Yves Détraigne, d’avoir tenu compte des observations que nous avions formulées.

Nous avions bien conscience que l’objectif de l’auteur de la proposition de loi, Henri Tandonnet, était tout à fait louable, mais nous étions totalement opposés à l’idée de rendre les chemins ruraux, qui font partie du domaine privé de nos communes, imprescriptibles. Cela nous paraissait poser un problème juridique de fond s’agissant de la distinction entre le domaine public et le domaine privé : sa proposition conduisait à créer une troisième catégorie, alors que nous en avions déjà assez de deux !

Monsieur le rapporteur, je constate que, bien que vous soyez publiciste, vous avez su arrondir les angles dans le domaine du droit privé, ce qui est relativement rare ! (Sourires.) Je ne peux que vous en féliciter.

Pourquoi étions-nous réticents sur la question de l’imprescriptibilité ? Les conflits sont tout de même relativement rares. J’attends toujours, monsieur le secrétaire d'État – je crois que j’attendrai jusqu’à la fin de mon existence, au moins parlementaire –, que l’on me communique le nombre de litiges portés devant les tribunaux de grande instance en matière d’usucapion trentenaire, ce qui suppose d'ailleurs que l’administration connaisse ce terme !

Nous savons qu’il y a peu de cas et qu’il ne peut y avoir utilisation de la prescription contre les communes que si le tribunal est saisi pour faire constater que les conditions de l’usucapion trentenaire sont remplies. Pour autant, la rareté des cas de contentieux ne signifie pas qu’il n’y a pas de problèmes sur le terrain.

Toutefois, pour pouvoir bénéficier de la prescription acquisitive, il faut remplir les conditions de l’article 2261 du code civil, c’est-à-dire prouver que, pendant trente ans, la possession a été paisible, publique, non équivoque et continue, ce qui est tout de même assez difficile à établir.

De deux choses l’une : soit le chemin rural dessert une seule parcelle, et la commune a tout de même intérêt à céder le chemin rural au seul bénéficiaire ; soit il dessert plusieurs parcelles appartenant à des propriétaires différents, ce qui fait que la possession n’est pas paisible, publique et continue et que la prescription acquisitive ne peut alors jouer.

Comme l’a rappelé très justement le Gouvernement, il y a 750 000 kilomètres de chemins ruraux. Quelle est la situation sur le terrain ? Je regrette que le groupe qui représente la défense de l’environnement ne se soit pas senti concerné par cette intéressante question…

M. André Gattolin. Nous allons voter, tout de même !

M. Jacques Mézard. Nombre de chemins ruraux ne sont pas entretenus par les communes parce que celles-ci n’ont pas les moyens de le faire : voilà la réalité !

C’est un véritable problème. Que des associations de randonneurs souhaitent ouvrir tel ou tel chemin, c’est tout à fait louable. Néanmoins, il existe déjà des dispositions juridiques qui permettent de le faire, en particulier l’article L. 361-1 du code de l’environnement, qui est relatif au plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée et qui offre toute une série de solutions.

Ces chemins ne sont donc, pour la plupart, pas entretenus. Le côté tout à fait positif de cette proposition de loi, c'est de permettre aux communes d’entreprendre un recensement. Il existe un cadastre, dont on nous dit qu’il n’est pas précis. Cependant, si toutes les communes de France font ce recensement – c’est une bonne chose de leur en avoir donné la possibilité et les garanties juridiques –, je vous assure qu’il faudra embaucher quelques dizaines de milliers d’experts-géomètres ! En effet, le travail est tellement considérable qu’il ne pourra jamais être réalisé dans les délais impartis.

Ce texte marque donc un progrès, parce qu’il donne la possibilité aux communes de lancer des procédures de recensement dans de bonnes conditions, tout en interrompant la prescription. Nous y sommes tout à fait favorables, tout comme aux échanges, qui sont une bonne solution.

Cette proposition de loi aura permis, cher Henri Tandonnet, de faire des progrès, ce qui était nécessaire. Néanmoins, monsieur le secrétaire d’État, il faudra bien prendre conscience que le véritable problème, c’est de donner aux communes les moyens, soit d’entretenir les chemins ruraux, soit de les céder facilement.

En effet, aujourd'hui, dans des milliers de communes, non seulement les maires n’ont plus les moyens d’entretenir les chemins, mais les citoyens ne sont pas non plus en mesure, soit de faire-valoir à l’amiable leur volonté de devenir acquéreurs de ces chemins, soit de saisir les tribunaux. Et cette situation aboutit à la déshérence de dizaines de milliers de kilomètres de chemins.

De ce point de vue, la présente proposition de loi constitue un progrès. Toutefois, il faudra peut-être chercher des solutions complémentaires pour que les chemins communaux pouvant légitimement revenir à des propriétaires privés leur soient cédés plus facilement et pour que ceux qui doivent rester dans le giron du domaine de la commune puissent y demeurer et être entretenus.

Évidemment, et j’en termine sur ce point, monsieur le secrétaire d'État, il s’agit là de problèmes très ruraux… Nous savons combien il est difficile d’y sensibiliser les gouvernements successifs, quels qu’ils soient ! Toutefois, je ne doute pas que, compte tenu de votre présence régulière sur le terrain, vous ne manquerez pas de nous faciliter le travail. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet.

M. Michel Canevet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux, au nom du groupe UDI-UC, saluer la persévérance de notre collègue Henri Tandonnet, qui a déposé la présente proposition de loi au début de l’année 2014.

Depuis lors, la proposition de loi a été examinée en séance publique – c’était en octobre dernier – et renvoyée en commission pour un examen plus approfondi. Comme cela a été évoqué par mes prédécesseurs à la tribune, celui-ci a permis d’améliorer considérablement la qualité du texte, grâce à la compétence du rapporteur, M. Yves Détraigne, dont je tiens à saluer le travail, la lecture de son rapport m’ayant particulièrement passionné.

De quoi parlons-nous ? Du patrimoine des communes, lequel, depuis l’ordonnance de 1959, est divisé entre les voies communales, issues des chemins vicinaux, et les chemins ruraux. Ce point est important.

Alors que, initialement, j’étais moi aussi assez sensible à la proposition d’éviter la prescription acquisitive trentenaire des chemins ruraux par un certain nombre de riverains, les différents arguments mis en avant par le rapporteur m’ont convaincu que procéder ainsi serait peut-être aller un peu vite en besogne et qu’il valait mieux suivre une autre voie.

Ce sujet est particulièrement important dans les 36 000 communes de notre pays, dont la plupart, vous le savez, mes chers collègues, sont rurales. Les élus ruraux, dont nous sommes, sont attachés au maintien de cette voirie dans le patrimoine communal.

Or, force est de le constater, les maires n’ont pas toujours la capacité de vérifier que ces chemins restent bien dans le domaine communal et ne sont pas utilisés par des particuliers ou appropriés par différentes personnes, notamment par certains agriculteurs, malgré l’article D. 161-14 du code rural et de la pêche maritime, qui leur défend « de labourer ou de cultiver le sol dans les emprises de ces chemins et de leurs dépendances ».

En effet, cette vérification demanderait de faire appel aux hommes de l’art que sont, en l’espèce, les géomètres, ce qui induirait des coûts que les collectivités ne peuvent pas toujours assumer, surtout lorsque ce sont de petites parcelles qui sont concernées : pour celles-ci, le coût de vérification apparaît prohibitif au regard des enjeux.

Mes chers collègues, le fait que les collectivités tendent à ne pas pouvoir s’occuper de ce problème, notamment pour des raisons financières, est particulièrement préjudiciable, les chemins ruraux constituant tout simplement une vraie richesse pour chacune de nos communes.

Bien sûr, certains chemins sont utilisés conformément à leur vocation initiale, c'est-à-dire la desserte des parcelles qu’ils sont censés désenclaver, mais de nombreux autres usages en ont été développés. Ainsi, les promeneurs, les chasseurs ou encore les cavaliers sont, de plus en plus, amenés à utiliser l’ensemble de ces voies. Pour cette raison, il importe absolument que celles-ci soient maintenues dans le patrimoine communal et il faut prêter attention aux conditions et aux moyens qui sont mis à la disposition des maires pour leur permettre de les entretenir.

Vous le voyez, ce sujet est particulièrement important pour les élus ruraux et le patrimoine des communes.

Si, aujourd'hui, un certain nombre d’usages de ces chemins sont connus, tous ne peuvent être prévus. En particulier, les communes ont parfois laissé les riverains s’approprier des chemins, considérant que ceux-ci n’avaient pas d'utilité, avant de s’apercevoir qu’elles en avaient finalement besoin, par exemple pour assurer la continuité d’itinéraires de randonnée ou pour desservir de nouvelles parcelles issues de cessions de terrains, y compris, en certaines circonstances, de divisions de parcelles. Il convient d’en tenir compte.

Dans le rapport d’Yves Détraigne, j’ai lu qu’en Picardie – c’est un exemple parmi d’autres – une association avait recensé 40 000 kilomètres de chemins ruraux dans le cadastre et seulement 30 000 sur le terrain. Autrement dit, la part des chemins qui ont fait l’objet d’une appropriation s’élève à 25 %. C’est significatif !

À cet égard, décider de faire le point sur la situation et d’engager les élus à réaliser cet inventaire, de façon à pouvoir vérifier que les chemins recensés par le cadastre figurent bien dans le patrimoine communal, me semble une très bonne solution : cela permettra d’apporter les réponses appropriées aux préoccupations exprimées par Henri Tandonnet et ses collègues au travers de la présente proposition de loi.

Se pose également la question des échanges de terrains, à laquelle je suis moi-même confronté, en tant que maire d’une commune rurale. Aujourd'hui, les textes ne donnent pas véritablement aux élus les outils nécessaires pour assurer ces échanges dans de bonnes conditions, laissant bien souvent à la jurisprudence une grande marge d’interprétation – on connaît la façon très restrictive dont le Conseil d'État a tranché un certain nombre de litiges dont il a été saisi.

Il importait donc de donner aux élus la sécurité juridique dont ils avaient besoin en la matière. Je me réjouis tout particulièrement que le texte apporte des clarifications sur ce point : cela permettra à nos collègues élus de mieux cerner la réalité du patrimoine qu’ils ont à gérer durant leur mandat.

Pour conclure, je veux remercier M. le rapporteur, ainsi que notre collègue Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi. Bien entendu, le groupe UDI-UC votera ce texte, dont nous espérons qu’il puisse aboutir le plus rapidement possible ! (Applaudissements.)