M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur, les questions de reconnaissance des coûts de revient des services d’aide à domicile et d’émergence d’un tarif national de référence APA sont récurrentes. J’ai d’ailleurs bien en tête le rapport que vous avez co-écrit avec Jean-Marie Vanlerenberghe sur le sujet.

S’agissant, tout d’abord, de la partie de votre question relative au coût de revient, je vous rappelle qu’il s’agit là d’une activité économique largement solvabilisée par la puissance publique. J’entends sans cesse parler du nécessaire engagement de l’État en la matière. Or ce sont 21 milliards d’euros de fonds publics qui sont consacrés chaque année à la prise en charge de la dépendance. Ayons donc ce chiffre en tête lorsque nous traitons de ce sujet.

Avant d’évoquer d’éventuels financements complémentaires, il convient de répondre à plusieurs questions. De quoi parle-t-on ? De quel panier de prestations ? Dans quelles zones d’intervention? Quelle est la qualification des intervenants ? En résumé, quel est le service rendu aux personnes accompagnées à domicile ?

Pour répondre à ces questions, il faut d’abord avoir une connaissance précise de la situation. C’est pourquoi j’ai fait accélérer deux études très attendues par le secteur : l’évaluation par l’Inspection générale des affaires sociales – IGAS – des expérimentations tarifaires des services d’aide et d’accompagnement à domicile – SAAD –, actuellement conduites dans une quinzaine de départements ; une étude nationale des coûts et des prestations dans cinquante services, répartis dans dix départements.

Le rapport de l’IGAS sera disponible avant l’été et l’étude nationale des coûts, en septembre. Ils permettront notamment d’avoir une mesure objective des différences de tarifs observables sur le territoire. Je m’engage d’ailleurs, monsieur Watrin, monsieur Vanlerenberghe, à vous transmettre ces deux rapports dès que je les aurai reçus, afin de solliciter votre avis.

J’en viens à votre deuxième question : faut-il un tarif national de référence APA ? À ce stade des travaux, je n’y suis pas favorable. Il serait en effet fixé assez bas pour permettre aux départements de l’ajuster en fonction des spécificités.

Pour ma part, je souhaite davantage travailler autour de la généralisation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, les CPOM, qui sont au cœur de l’expérimentation conduite entre l’Assemblée des départements de France et les fédérations du secteur. Ces CPOM permettent de financer la prestation directe au domicile de l’usager, mais aussi de prendre en compte les spécificités des services, comme les interventions en zone rurale, les horaires élargis et les démarches de qualité.

Bien entendu, nous aurons l’occasion de poursuivre cette discussion la semaine prochaine, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour la réplique.

M. Dominique Watrin. Madame la secrétaire d’État, vous ne m’avez pas répondu sur le financement.

Vous invoquez les « contraintes financières » pour écarter l’idée, pourtant largement partagée, d’un tarif national de référence à la hauteur des coûts de revient qui garantirait l’équilibre.

Le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, que notre assemblée examinera dans quelques jours, contient effectivement quelques timides avancées pour les usagers. Mais elles reposent uniquement sur la CASA, une taxe de 0,3 % qui pèse sur les seuls retraités…

Puisque vous prétendez manquer de moyens, pourquoi ne pas instaurer une contribution de solidarité des actionnaires qui rapporterait autant que la CASA ? Il suffirait de prélever 1 % sur les dividendes des seuls groupes du CAC 40 ou 0,3 %, comme pour les retraités, sur l’ensemble des 200 milliards d’euros versés aux actionnaires dans notre pays. N’y a-t-il pas là une piste à étudier si l’on veut vraiment répondre aux défis du vieillissement ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le secteur des emplois à domicile représente 3,6 millions d’employeurs et 1,6 million de salariés. Il continue de subir un fort recul, avec une perte estimée à 35 000 équivalents temps plein sur les années 2012 et 2013. Les chiffres de 2014 ne sont pas encore disponibles, mais on sait que la masse salariale sera toujours en net recul pour l’ensemble du secteur.

Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, un abattement forfaitaire doublé avait été introduit par amendement pour les particuliers employant une personne à domicile pour des services liés à la garde d’enfants, aux personnes âgés dépendantes et aux personnes handicapées. Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel pour des raisons de forme. Pour ma part, j’avais déposé un amendement tendant à porter la déduction forfaitaire par heure travaillée pour l’ensemble des emplois concernés de 75 centimes à 1,50 euro.

Indépendamment du nombre d’emplois supprimés, la situation résultant de la décision du Conseil constitutionnel laisse supposer un retour à, au moins, une part de travail non déclaré.

M. Jean-Pierre Godefroy. Ces emplois sont souvent occupés par des personnes en situation précaire qui voient alors leurs cotisations de sécurité sociale et de retraite diminuer fortement, quand elles n’ont pas complètement perdu leur emploi, ce qui les conduit à relever de l’assurance chômage.

Nous le savons d’expérience, les variations des dispositifs fiscaux et sociaux ont des effets directs et rapides sur les emplois à domicile et sur leur déclaration ou leur non-déclaration. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.)

Sans vouloir revenir intégralement aux dispositions qui existaient auparavant – je pense à l’abattement de 15 points sur les cotisations sociales des ménages qui déclaraient leurs employés à domicile sur la base du réel, dispositif supprimé par le gouvernement précédent –, nous souhaiterions connaître les mesures que le Gouvernement envisage de prendre pour remédier à cet état de fait, préjudiciable pour les personnes concernées, c'est-à-dire les employeurs et les salariés, mais également néfaste pour la situation de l’emploi dans notre pays et l’équilibre des différents organismes sociaux.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Monsieur Godefroy, la baisse du nombre d’heures déclarées n’a pas commencé l’année dernière ni même voilà deux ans ; elle est engagée depuis 2009 ! Chacun peut donc y prendre sa part de responsabilité. En outre, elle n’est corrélée ni à l’essor de pratiques illégales ni aux évolutions réglementaires ou fiscales récentes.

Comme la Cour des comptes l’a souligné au mois de juillet 2014, c’est principalement l’évolution à la baisse du revenu disponible des ménages et la maturité atteinte par le secteur depuis la fin des années 2000 qui expliquent les tendances observées.

Les chiffres du secteur pour 2013 nous montrent que la baisse de 3,5 % des heures rémunérées par rapport à 2012 est uniquement imputable au recul de l’emploi direct.

L’activité des services à domicile prestataires, quant à elle, reste stable. L’emploi en mode prestataire a même augmenté de 1,7 %. On assiste en effet depuis 2002 à un vaste mouvement de basculement de l’emploi direct vers le recours aux prestataires. Ainsi, les services prestataires sont passés de 19 % du marché en 2002 à 41 % en 2013.

Vous l’avez rappelé, le Conseil constitutionnel a censuré le dispositif voté par le Parlement au mois de juillet 2014. Le Gouvernement n’a pas souhaité y revenir. En effet, cette mesure présentait plusieurs limites. D’une part, elle n’excluait pas les services de confort et risquait donc de s’avérer mal ciblée. D’autre part, elle aurait été inopérante pour les publics fragiles : les particuliers employeurs en perte d’autonomie bénéficient déjà d’une exonération totale des cotisations patronales de sécurité sociale et sans plafond de rémunération pour l’emploi d’une aide à domicile, quelles que soient la forme et la durée du contrat de travail.

Je terminerai en évoquant la garde d’enfant. Le Gouvernement a fait le choix de cibler son effort en apportant un soutien financier pour la garde des enfants âgés de six à treize ans révolus, qui ne bénéficie aujourd’hui d’aucune aide autre que l’abattement de 75 centimes et la réduction d’impôts. En doublant l’abattement en faveur de la garde de ces enfants, le Gouvernement a mis en place une mesure de solidarité, pour un coût de 75 millions d’euros, qui s’inscrit dans l’ensemble des outils de la politique familiale.

Mme Catherine Procaccia. Vous rognez la politique familiale !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la secrétaire d’État, votre réponse contient des éléments positifs.

Cependant, ce serait, me semble-t-il, une erreur de ne pas prendre en compte l’effet des modifications du régime fiscal sur le volume d’emplois.

Mme Catherine Procaccia. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Godefroy. D’ailleurs, il suffit de se renseigner auprès des personnes employant des salariés à domicile pour s’apercevoir que les mesures fiscales ont eu des conséquences directes sur les conditions d’emploi et le nombre d’heures travaillées.

Je pense qu’une réflexion s’impose. Certains avaient qualifié le dispositif auquel j’ai fait référence de « niche ». Mais lorsqu’une niche permet d’employer des personnes qui cotiseront à la sécurité sociale et aux caisses de retraite, elle mérite que l’on s’y intéresse.

J’engage donc le Gouvernement à considérer la nécessité de revoir les dispositions relatives aux emplois à domicile dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour le groupe UMP.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les services d’aide à la personne permettent, à travers la diversité de leurs activités, d’apporter une réponse globale aux besoins des personnes âgées, handicapées ou malades à leur domicile.

Ces services sont indissociables des politiques sociales menées par l’État depuis les années 1950. Ce secteur est un vivier important d’emplois pour notre pays. Avec le plan Borloo en 2005, il a connu une accélération importante sur la période 2003-2009 : plus de 180 000 postes ont ainsi été créés.

On constate malheureusement, depuis 2008 et 2009, une fragilisation du secteur de l’aide à domicile. Celle-ci est en effet étroitement dépendante des financements publics.

Ce phénomène de fragilisation des organismes d’aide à domicile s’est accentué dernièrement. On assiste à une baisse significative des capacités financières de ses principaux contributeurs : caisses de retraite, sécurité sociale, mutuelles et, plus encore, conseils généraux. Ces derniers ont su combler les déficits, mais de telles solutions restent ponctuelles et locales, d’autant que les dotations de l’État diminuent fortement.

Les services à domicile voient leur trésorerie se réduire. De nombreuses associations ont d’ailleurs mis la clé sous la porte. On estime à plus de 300 le nombre des structures qui seraient menacées.

Face à des difficultés économiques croissantes, les organismes publics et privés à but non lucratif demandent qu’une réflexion soit menée sur le système de financement des services d’aide à domicile.

Déjà éprouvés par des décisions successives de suppression d’exonérations, les organismes prestataires ou mandataires demandent notamment que la CASA, mise en place depuis 2013, soit effective et que les 650 millions d’euros prélevés cette année sur les retraites imposables soient enfin alloués à l’accompagnement des personnes âgées.

Madame la secrétaire d’État, il est du devoir de la Nation de prendre en charge la dépendance et son accompagnement.

Soutenir l’aide à domicile, c’est maintenir la solidarité en milieu rural dans des zones déjà lourdement frappées par le chômage ou la désertification des services ; c’est garantir le maintien de l’autonomie à domicile alors que les structures adaptées pour personnes dépendantes manquent de lits ; c’est veiller au bien-être des professionnels qui exercent un métier difficile en évitant le morcellement du travail, conséquence des économies que doivent faire les organismes ; c’est assurer un vivier d’emplois importants, les projections pour le secteur permettant d’envisager la création de près de 100 000 équivalents temps plein en cinq ans et de 200 000 à 240 000 équivalents temps plein dans les vingt prochaines années.

Madame la secrétaire d’État, il est temps de penser à réformer le système de financement et de tarification de l’aide à domicile. Quelles mesures d’urgence le Gouvernement compte-t-il prendre, quels moyens financiers compte-t-il mobiliser, pour répondre à ce défi, qui relève de la cohésion sociale ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je vous remercie de me donner ainsi l’occasion de compléter la réponse que j’avais adressée tout à l’heure à M. Lemoyne.

Votre collègue m’interrogeait à propos d’une rétractation des CARSAT sur l’aide à domicile. (M. Jean-Baptiste Lemoyne acquiesce.) En réalité, la Caisse nationale d’assurance vieillesse a recentré ses aides selon une autre logique de services, et ses tarifs ont augmenté de 3,6 %, avec un taux horaire à 20,10 euros. Il s’agit donc non d’un désengagement, mais d’une réorientation des actions prioritaires de la CNAV.

Nous partageons tous vos constats, monsieur Pellevat. Nous recherchons des solutions en matière d’évolution de la tarification. C’est le sens du chantier que j’ai engagé le 17 décembre dernier. Avec l’Assemblée des départements de France, nous avons élaboré la feuille de route des réformes à mener en 2015. Comme je viens de le préciser, j’attends avec impatience le rapport de l’IGAS sur l’évaluation des expérimentations tarifaires, pour en tirer toutes les conséquences.

Enfin, j’attends beaucoup de la rédaction du cahier des charges des SPASAD intégrés, que j’ai lancée le 19 février. Je ne fétichise pas les SPASAD, mais je suis convaincue qu’ils représentent une réforme à la fois de l’organisation du travail, de la qualité de l’offre et de l’intervention auprès des personnes âgées et de la qualité de l’emploi et de professionnalisation des personnels qui y travaillent. On ne peut plus se contenter de remettre de l’argent dans le secteur sans faire évoluer les conditions de tarification et la structure.

À mon sens, l’avenir du secteur passe très probablement par l’intégration de l’aide à domicile et des soins infirmiers à domicile.

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.

M. Cyril Pellevat. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État, même si je vous avoue qu’elle me laisse un peu déçu. Les attentes dans le secteur sont très fortes. Nous avons vraiment besoin de moyens pour avancer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. Mes chers collègues, faisant écho à la question posée par M. Desessard, j’aimerais vous renvoyer à la lecture du compte rendu intégral des débats de la séance du 10 novembre 1993, publié dans le Journal officiel de la République française, séance au cours de laquelle le Sénat avait débattu de la création du chèque emploi-service. J’ai quelques souvenirs des discussions de l’époque…

Je me réjouis de constater que ce dispositif fait aujourd'hui l’unanimité. Il est des bonnes idées qui mettent du temps à cheminer… C’est en tout cas la preuve que, même dans des formations politiques dont la sensibilité s’apparente largement à celle de l’actuelle majorité sénatoriale, on peut être à l’origine d’avancées en matière sociale ! (Sourires sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur les services à la personne.

Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Candidature à un organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du conseil d’administration de l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux.

La commission des affaires économiques propose la candidature de M. Franck Montaugé.

Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la protection des chemins ruraux
Discussion générale (suite)

Prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales

Suite de la discussion et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe UDI-UC, de la proposition de loi, renvoyée en commission, tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales, présentée par M. Henri Tandonnet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 2013 2014, texte de la commission n° 318, rapport n° 317).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer la protection des chemins ruraux
Article 1er

M. Henri Tandonnet, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au travers de cette proposition de loi, je vous invite à une douce aventure sur les chemins ruraux ! Cela pourra vous reposer, monsieur le secrétaire d'État, de vos voyages à l’étranger et vous permettra peut-être de retrouver ainsi l’air du Lot-et-Garonne. (Sourires.)

Je tiens tout d’abord à remercier notre rapporteur, Yves Détraigne, du travail effectué sur cette proposition de loi qui a suscité un vif intérêt de la part des membres de la commission des lois et de son président. Nous pouvons, de ce fait, procéder dès à présent à un nouvel examen de ce texte.

En effet, le délai dont avait disposé notre rapporteur lors du premier examen de la proposition de loi était si court qu’il était nécessaire d’approfondir la réflexion sur nos chemins ruraux, qui constituent un objet juridique hybride et complexe, recouvrant pratiquement la notion de domaine public, mais classifié par la loi dans le domaine privé, afin, c’est l’évidence, de ménager les finances publiques.

Je me réjouis donc de constater que ce retour en commission n’a pas débouché sur une impasse et a donné lieu à un travail constructif.

Une réponse au problème de la disparition silencieuse des chemins ruraux soumis à la prescription acquisitive est proposée. Il me semble que ce texte porte des mesures fortement attendues par nos collègues maires des territoires ruraux en pleine mutation.

Tout d’abord, je souhaite rappeler comment j’ai été amené à rédiger cette proposition de loi.

Elle est le fruit du constat que j’ai pu faire tout au long de ma vie professionnelle d’avoué à la cour d’appel d’Agen, qui traite beaucoup d’affaires rurales et dont la compétence s’exerce sur le Lot, le Gers et le Lot-et-Garonne, mais aussi à travers mon investissement au sein de la commission des maires ruraux du Lot-et-Garonne.

Qu’ai-je pu constater de ces points d’observation privilégiés durant de nombreuses années ? J’ai relevé un contentieux récurrent et aigu entre les communes et différents propriétaires privés sur des questions patrimoniales ayant pour origine la prescription acquisitive opposée au conseil municipal qui prend l’initiative de remettre en valeur une partie de son patrimoine.

Les exemples sont aussi divers que la nature du patrimoine rural qui compose notre territoire : cela va du puits au jardin du presbytère, en passant par le lavoir, le glacis des remparts, les dégagements autour des églises, les places, les jardins et, bien entendu, la plupart des chemins ruraux.

Cette problématique est née du fait que, pendant près d’un demi-siècle, ce patrimoine a vu ses fonctions disparaître, notamment en raison de l’exode rural.

Dans certains départements tels que le Gers ou le Lot, des villages entiers ont été abandonnés. Je peux vous citer le cas de la commune de Largade-Fimarcon, village castral laissé aux mains de deux ou trois habitants qui, au fil du temps, s’étaient approprié l’essentiel des lieux privés et publics de la commune. Il s’est ensuivi des procès sans fin avec la municipalité lorsque cette dernière a voulu reconstituer ses biens et mettre en valeur son patrimoine.

Cette question de la prescription acquisitive est très sensible sur l’ensemble des chemins ruraux. C’est clairement le plus grand patrimoine privé communal.

Ces chemins ruraux desservent les exploitations agricoles et relient les communes rurales entre elles. Ils ont fait l’objet de nombreuses appropriations pour des raisons assez simples : bien souvent, ils gênent les exploitations et, du fait de l’agrandissement de celles-ci ainsi que de l’adoption des nouveaux modes de culture, ils ont été labourés, clôturés et donc soumis à une prescription acquisitive.

Ce n’était pas un problème jusqu’en 1959, date à laquelle a été redéfinie la voierie communale dans son ensemble, avec la nouvelle classification des chemins ruraux incorporés dans le domaine privé des communes. Qu’a-t-on vu à partir de 1990, soit trente ans après ? Des particuliers se sont opposés à la réouverture de ces chemins !

Dès lors, les contentieux ont explosé, d’autant que les territoires se sont attachés à l’aménagement et à la réouverture de ces chemins ruraux dans le cadre d’une valorisation touristique, culturelle ou sportive.

Je citerai l’exemple des chemins de grande randonnée, les GR, notamment sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Localement, nous avons créé chez nous un chemin à thème clunisien de 104 kilomètres allant de Moissac à Moirax, et nous nous sommes trouvés face à ce type de difficulté, le chemin étant interrompu par une prescription acquisitive au milieu d’un bois.

Dans ma proposition de loi initiale, j’avais préconisé, de façon générale, de rendre imprescriptible le domaine privé immobilier des collectivités publiques, sachant que l’essentiel était constitué par les chemins ruraux.

Deux objections ont émergé dans les débats : d’une part, la protection de la propriété privée ; d’autre part, la distinction entre domaine public et domaine privé.

Retenir ce principe d’imprescriptibilité, qui s’ajouterait à celui de l’insaisissabilité, ne remet pas en cause l’ensemble des nombreuses autres règles du droit privé : aliénation, gestion, juridiction judiciaire compétente. Cela ne me semblait donc pas constituer un grand bouleversement.

Cependant, si la nécessité de rendre possible l’échange de parcelles comportant des chemins ruraux fait l’unanimité, l’imprescriptibilité a suscité de fortes réticences chez certains de nos collègues.

Je comprends les craintes de voir bousculer le principe régissant la propriété privée. C’est pourquoi la solution alternative et pragmatique adoptée par la commission des lois me convient, car mon objectif principal est bien la conservation des chemins. Cette solution sera un bon outil afin de stopper l’hémorragie à laquelle nous assistons.

La mise en place d’un dispositif incitant les communes à procéder à l’inventaire de leurs chemins et à délibérer sur leur devenir est nécessaire et appropriée.

Sont donc prévues à cet effet, d’une part, la suspension pendant deux ans du délai de prescription pour l’acquisition des parcelles comportant des chemins ruraux et, d’autre part, une procédure permettant à une commune, engagée dans une démarche d’inventaire, d’interrompre ce délai.

Enfin, la commission a repris ma proposition d’échange de parcelles avec des chemins ruraux pour en modifier le tracé. Elle a amélioré cette proposition en simplifiant la procédure de façon adroite. Cette mesure accompagnera opportunément la première partie de la proposition de loi.

Comme l’a signalé Yves Détraigne dans son rapport, « l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture a vu dans la possibilité d’échange proposée une manière paisible de procéder à un réaménagement du parcellaire agricole en vue de l’adapter aux nouvelles pratiques sans en passer par un remembrement ».

Outre le fait que cette faculté d’échange mettra un terme à une jurisprudence mal comprise du Conseil d’État, elle permettra aussi de favoriser le dialogue pour éviter les conflits d’usages.

Bien entendu, je serais très heureux que cette proposition de loi puisse être votée à une large majorité : l’objectif de renforcer la protection des chemins ruraux étant ainsi partagé, il n’en aurait que plus de chances d’être atteint. J’ajoute que j’approuve tout à fait le nouveau titre de la proposition de loi modifiée par la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Henri Tandonnet tendant à interdire la prescription acquisitive des immeubles du domaine privé des collectivités territoriales et à autoriser l’échange en matière de voies rurales, dont nous avons déjà débattu dans cet hémicycle le 29 octobre dernier, soulève une vraie question : celle de la « disparition silencieuse », pour reprendre l’expression utilisée à l’instant par notre collègue, par voie de prescription acquisitive, d’une partie des 750 000 kilomètres de chemins ruraux que compte notre pays, à un moment où ceux-ci retrouvent précisément un nouvel intérêt, que ce soit pour la lutte contre l’érosion des sols, la protection de la biodiversité ou le développement des chemins de randonnée.

Néanmoins, le texte déposé par M. Tandonnet prévoyait une solution qui, en tendant à rendre imprescriptibles ces éléments du domaine privé des communes que constituent les chemins ruraux, allait à l’encontre du principe juridique bien établi selon lequel les biens du domaine privé des personnes publiques sont régis par les règles de droit commun de la propriété.

En raison du caractère hybride de ces chemins qui, bien que relevant du domaine privé, sont affectés à l’usage du public, leur aliénation échappe à ces règles. Leur vente nécessite d’abord leur désaffectation préalable, à la suite d’une procédure d’enquête publique, ce qui amène le Conseil d’État à considérer que leur échange n’est pas possible et que les communes ne peuvent procéder au déplacement de l’emprise d’un chemin rural qu’en mettant en œuvre une procédure d’aliénation, elle-même conditionnée par le constat de fin d’usage du chemin par le public et par une enquête publique suivie d’une délibération, après quoi une procédure de déclaration d’utilité publique permettra à la commune de créer un nouveau chemin.

Le régime juridique des chemins ruraux constitue donc bien un objet « hybride », plus proche de la domanialité publique que des règles usuelles de gestion du domaine privé, auquel ils appartiennent pourtant.

Néanmoins, dans la mesure où les chemins ruraux font partie du domaine privé des communes, ils peuvent faire l’objet d’une prescription acquisitive. D’où l’intérêt de la proposition de loi de notre collègue Tandonnet, qui, à défaut d’avoir convaincu le Sénat de rendre ces chemins imprescriptibles, a mis clairement en évidence la nécessité de mieux les protéger et de se donner les moyens de reconstituer plus facilement, là où cela s’avère nécessaire, la continuité de leur itinéraire.

L’imprescriptibilité des chemins ruraux n’étant pas apparue souhaitable, au regard à la fois des principes du droit privé et de leur intérêt inégal d’un endroit à un autre, la commission des lois a retenu une proposition alternative pour sauvegarder ces chemins.

Il est donc proposé, non pas de les rendre imprescriptibles, mais d’ouvrir la possibilité pour les communes, sur leur initiative, d’interrompre le cours de la prescription acquisitive des chemins ruraux par l’engagement de leur recensement.

Ce type d’inventaire, qui constitue en quelque sorte un acte conservatoire, a déjà été recommandé par une circulaire du 18 décembre 1969 qui demandait aux préfets « d’inviter les communes à dresser un tableau récapitulatif et une carte des chemins ruraux ». Cette circulaire n’a eu que peu de succès, mais on remarque aujourd’hui que des communes voulant valoriser leurs chemins ruraux ont déjà engagé une forme d’inventaire.

La mise en œuvre de ce recensement passerait par une enquête publique et le délai de prescription en cours recommencerait à courir à compter de la délibération marquant la fin de cet inventaire, qui ne pourrait lui-même excéder deux ans. Cela permettrait aux communes confrontées au problème de la disparition d’une partie de leurs chemins ruraux par « occupation de fait » ou usucapion, d’abord, de connaître précisément leur patrimoine dans ce domaine, ensuite, de distinguer, par l’établissement d’un tableau récapitulatif, les chemins ruraux qu’ils souhaitent conserver à l’issue des opérations de recensement de ceux qui ne seraient pas retenus dans cet inventaire et qui, a posteriori, échapperaient à l’interruption de la prescription et pourraient donc être prescrits dans les délais légaux sans que les propriétaires aient à souffrir d’un quelconque retard.

Afin d’inciter les communes à entreprendre ce recensement, la commission propose en outre de suspendre pendant deux ans à compter de la publication de la loi le délai de prescription pour l’ensemble des chemins ruraux, de manière à permettre aux communes de prendre connaissance de ses dispositions et de mesurer l’enjeu que représente pour elles cette faculté nouvelle de recensement.

Bien entendu, je vous proposerai également de rendre possible l’échange des parcelles pour modifier l’assiette d’un chemin rural et conserver sa continuité sans devoir passer par la procédure complexe actuelle, rapidement évoquée par Henri Tandonnet, qui nécessite sa désaffectation préalable.

Voilà, mes chers collègues, exposées rapidement mais, je l’espère, clairement, les principales dispositions que vous propose la commission des lois. Elles sont moins radicales que celles de la proposition initiale. Si elles se limitent aux chemins ruraux et n’abordent pas les autres immeubles du domaine privé des collectivités, elles sont de nature, me semble-t-il, à mieux connaître, à mieux protéger et à mieux mettre en valeur ce patrimoine communal souvent peu connu mais qui présente aujourd’hui un regain d’intérêt. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)