Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est en France une maladie singulière, dont les symptômes sont, pour ceux qui en sont atteints, une tendance à regretter notre glorieux passé et à déplorer que la France d’aujourd’hui soit, selon eux, l’ombre de celle d’hier. Pour autant, ils ne contribuent pas à construire l’avenir.

Si les commentaires sont libres, les faits, eux, sont sacrés. Aussi permettez-moi de rappeler quelques chiffres. La France est à ce jour la cinquième puissance mondiale, la sixième puissance militaire, et notre langue est parlée par des millions de personnes. Ainsi, malgré ce qu’en disent les Cassandre, la voix de la France compte toujours, en Europe et dans le monde.

Notre pays a depuis longtemps une vision universelle. Depuis 1789, la patrie des droits de l’homme a toujours prétendu défendre, en tout temps et en tous lieux, les amoureux de la liberté et de l’égalité, mais il est vrai que ce messianisme a pu parfois être confondu avec une forme de prédation économique, ce que l’on ne peut que regretter. Cependant, aujourd’hui encore, si nos amis étrangers nous appellent à l’aide lorsqu’ils sont menacés, s’ils demandent notre assistance et notre expertise, ce n’est pas par hasard.

Si certains en France doutent de notre influence à l’étranger, c’est qu’ils doutent de nous-mêmes et de nos atouts. Or ceux-ci sont incontestables : nous disposons de ressources naturelles, humaines et intellectuelles, ainsi que d’une capacité d’innovation qui ont fait et qui font toujours leurs preuves.

Il ne sert à rien de regarder les deux derniers siècles avec nostalgie. Le rêve d’une gloire passée, d’une France qui se serait perdue et qu’il faudrait retrouver, au mépris de l’évolution du monde et des rapports entre les peuples, est un mirage peut-être séduisant, mais sûrement dangereux, un mirage que certains partis exploitent avec des intentions trop contraires à nos principes républicains pour que nous les laissions faire en toute impunité.

L’histoire de la France n’est pas seulement à célébrer, elle est aussi à faire, elle est à construire au quotidien, car notre pays a bel et bien un rôle essentiel à jouer sur la scène internationale au XXIe siècle. Pour cela, notre action extérieure doit être différente de celle des dix dernières années. Tel est le sens de la politique étrangère menée par le Président de la République, François Hollande, depuis le début de son quinquennat ; tel est le sens de votre action, monsieur le ministre.

Force est de constater qu’il y a du travail à accomplir pour redorer l’image de notre pays à l’étranger, car, et ce n’est pas une critique, la France de la première décennie de ce début de siècle n’a pas été, je le pense, à la hauteur des grands enjeux du moment à l’échelon international.

Faut-il rappeler l’échec de l’Union pour la Méditerranée ? Et que dire de la gestion des crises européennes ? Loin de l’esprit de dialogue et de négociation qui prévaut en matière diplomatique, à-coups et revirements avaient alors provoqué de multiples accrochages avec nos partenaires. Que dire aussi de la gestion des printemps arabes ? Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que si la France n’avait pas proposé une coopération policière au président tunisien, sa diplomatie n’aurait sans doute pas connu les critiques dont elle fut alors l’objet.

Au mois de février 2011, un groupe de diplomates rassemblés sous le pseudonyme « Marly » résumait ainsi les choses dans les colonnes du journal Le Monde : « l’Europe est impuissante, l’Afrique nous échappe, la Méditerranée nous boude, la Chine nous a domptés et Washington nous ignore ! ». Il s’agit là d’une sévère analyse du bilan du quinquennat précédent.

M. Roger Karoutchi. C’est caricatural !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Je ne dis pas que je partage intégralement cette analyse, monsieur Karoutchi !

N’en déplaise à certains d’entre vous, mes chers collègues, l’envoi de troupes contre Kadhafi et la rupture des relations diplomatiques avec Bachar al-Assad ne sauraient faire oublier que le premier avait planté sa tente dans les jardins de l’Élysée au mois de décembre 2007 et que le second était l’invité d’honneur, en 2008, du défilé du 14 juillet. Cette politique avait alors, je le pense, fragilisé la crédibilité de la France dans le monde.

M. Roger Karoutchi. Il faut oser ! (Sourires.)

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. On ne peut donc que saluer la volonté de François Hollande de promouvoir de nouveau l’influence de la France à l’échelon international, dans le domaine tant militaire que diplomatique. Lorsque cela était possible, le chef de l’État a privilégié avant tout le dialogue et les négociations, qui sont la base de toute bonne politique extérieure.

M. Roger Karoutchi. Maintenant, nous sommes respectés partout, c’est sûr…

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Au mois de janvier 2013, si la France est intervenue militairement au nord du Mali, c’est à l’appel du président malien. Quelques mois plus tard, c’est en Centrafrique que notre pays a été conduit à lancer l’opération Sangaris, après des mois d’inaction du Conseil de sécurité.

En septembre 2014, si la lutte contre le terrorisme s’est intensifiée avec les frappes aériennes en Irak, c’est qu’il était nécessaire d’agir contre un groupe terroriste qui menace l’équilibre et la sécurité du monde dans sa globalité, comme en attestent les tristes événements de Tunisie ces dernières semaines, après ceux de Paris et de Copenhague.

Comment ne pas également saluer, comme cela a déjà été fait, l’initiative diplomatique sans précédent du Président de la République et de la Chancelière allemande au mois de février dernier à Minsk, afin d’arrêter l’escalade de la guerre en Ukraine et d’éviter un embrasement de l’Europe ? Naturellement, tous ces efforts ne vaudront rien si les accords ne sont pas respectés.

Nous savons bien qu’accompagner le changement n’est pas une tâche aisée. D’aucuns d’ailleurs pourraient penser que, au-delà des références mécaniques aux droits de l’homme, notre pays intègre difficilement à sa politique étrangère le lien, pourtant nécessaire, avec les sociétés civiles des pays où il agit, le soutien aux dissidents, et la capacité, dans ce cas précis, à identifier les bons interlocuteurs. La majorité de nos concitoyens qui travaillent pour l’action extérieure de la France le savent bien : seul le soutien à la démocratie et aux droits de l’homme de par le monde permettra d’assurer à terme une stabilité globale d’un point de vue économique et social.

Cela étant, en termes de diplomatie, s’il est parfois nécessaire de discuter avec des interlocuteurs a priori infréquentables, il faut que cela serve un but précis et non une politique à courte vue. Notre diplomatie, sans négliger la relation avec les États, même autoritaires, doit aussi renforcer le dialogue avec les sociétés.

Pour conclure, monsieur le ministre, puisque le débat qui nous réunit porte sur l’influence française dans le monde, sachez que nombres d’entre nous saluent l’action engagée par ce gouvernement en la matière et lui apportent leur entier soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, à la suite du tragique accident survenu hier, je tiens à présenter, au nom de l’ensemble du groupe écologiste du Sénat, mes sincères condoléances aux familles et aux proches des victimes. Toutes nos pensées vont vers eux.

J’en viens maintenant au débat qui nous occupe aujourd’hui sur l’influence de la France à l’étranger. Nous en sommes tous conscients dans cet hémicycle, en ces temps troublés, la France a un rôle majeur à jouer à l’échelon international et elle se doit de le maintenir en renforçant sa diplomatie.

Monsieur le ministre, nous devons éviter d’aborder les enjeux internationaux sous le seul spectre sécuritaire, comme cela est bien souvent le cas. Face aux défis d’aujourd’hui et de demain, nous devons impulser une réelle dynamique en matière de diplomatie environnementale et économique.

En effet, si nous voulons être entendus, notre diplomatie doit être multidimensionnelle et multipartite. Nous le constatons tous les jours : tout est imbriqué, tout est connecté, tout est lié. Face aux enjeux actuels, nous devons nous adapter et parfois remettre en cause les schémas de pensée qui étaient les nôtres jusqu’à présent.

À l’aune du dérèglement climatique et dans un monde de plus en plus interdépendant, notre approche des relations internationales ne peut plus se définir à la seule lumière de la défense de la souveraineté et des intérêts de la nation. C’est en ce sens que la promotion d’une diplomatie environnementale globale et inclusive est primordiale, et vous le savez bien, monsieur le ministre. Plus personne ne peut nier l’urgence qui s’impose à nous dans ce domaine. Et la France, en tant qu’hôte de la COP21, doit être exemplaire et être à l’origine d’une réelle prise de conscience. Cette échéance sera l’occasion pour notre pays de se positionner comme leader dans le cadre des négociations sur le climat.

Si nous voulons que notre diplomatie environnementale soit efficace, nous devons nous inscrire dans une démarche au quotidien, car, bien souvent, force est de le constater, les enjeux stratégiques actuels, quelle que soit leur origine, sont intimement liés à l’accès aux ressources naturelles, aux matières premières et à l’énergie.

Récemment, Nicolas Hulot apportait un éclairage novateur sur le conflit syrien : « le conflit a été, sinon déclenché, en tout cas amplifié par un facteur climatique. C’est en effet un phénomène de désertification accru par le changement climatique qui a amené un million et demi de personnes à se déplacer et à passer du nord au sud-est de la Syrie. » Il est aujourd’hui avéré que l’accroissement inéluctable des stress hydriques, nourriciers, environnementaux et énergétiques est dû au changement climatique, à la finitude des ressources, à l’évolution démographique et aux modes de vie.

Monsieur le ministre, nous connaissons et nous saluons votre investissement dans la préparation de la COP21. Nous connaissons également votre engagement en faveur des sujets environnementaux qui nous préoccupent. Mais au-delà, quid de la position de la France sur la relance des aires protégées transfrontalières, du Fonds vert pour le climat, de la reconnaissance d’un statut pour les « réfugiés climatiques » ou encore des États en grandes difficultés climatiques à l’échelon mondial ?

Pour réussir et influer sur les négociations internationales, nous devons nous montrer novateurs et ambitieux.

Un renforcement de notre diplomatie économique est également nécessaire. À l’heure où la compétition internationale redouble et où notre économie peine à redémarrer, la diplomatie économique apparaît aussi comme un outil essentiel et encore trop peu mis en avant. Or il s’agit là d’un formidable canal pour la promotion de notre savoir-faire et de notre expertise en matière d’emplois innovants. En qualité de rapporteur pour avis du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » du projet de loi de finances, j’avais déjà attiré votre attention au mois de décembre dernier sur l’importance d’adapter notre réseau diplomatique au nouveau paysage économique mondial en renforçant notamment la présence française en Asie et, plus généralement, dans les pays émergents, sans oublier l’Afrique, bien évidemment.

Ce redéploiement est essentiel pour mener à bien la diplomatie économique devenue une priorité du Quai d’Orsay. En cela, le rattachement du commerce extérieur et du tourisme à votre ministère, dénommé ministère des affaires étrangères et du développement international, paraît aujourd’hui être une évidence, monsieur le ministre. C’est au plus près des réalités de terrain que peut se mener utilement la bataille pour le développement des entreprises françaises à l’international et la promotion de l’attractivité de notre pays auprès des investisseurs et des touristes étrangers.

Avant toute chose, il faudrait améliorer en quantité et en qualité la présence politique de l’État que permettent les visites officielles, en particulier les visites ministérielles, dans les pays où les entreprises françaises sont susceptibles de se développer. Souvent, ces visites constituent des occasions essentielles de mise en valeur des atouts de nos PME. Les multiplier, c’est donc augmenter les chances de ces dernières.

Les défis qui se posent à nous, monsieur le ministre, sont multiples et nous imposent une approche proactive et globale.

À titre d’exemple, et alors que nous célébrions le 20 mars dernier la Journée internationale de la francophonie, nous devons massivement promouvoir le moteur essentiel de solidarité et d’influence qu’est la francophonie, et je sais qu’il s’agit là de l’une de vos priorités. Les dernières projections prévoient près de 750 millions de locuteurs du français demain, dont une grande partie de jeunes. Ne faisons pas l’impasse sur cet incroyable vivier, qui est une opportunité et une chance pour le rayonnement de la France.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’influence de la France à l’étranger ? « Vaste programme ! », comme a pu dire le général de Gaulle en d’autres temps, et sur un autre sujet.

Nos collègues du groupe UMP nous invitent à cette réflexion, à l’heure où il est parfois de bon ton, dans certains milieux, de déplorer le déclin auquel notre pays serait inexorablement voué.

De quoi s’agit-il ?

De l’image de la France à l’étranger ? Celle-ci est, par nature, éminemment subjective, donc diversement perçue suivant les pays, la période historique et les rapports que nous entretenons avec tel ou tel peuple.

De l’influence de notre pays sur le cours des événements à travers le monde ? Dans ce cas, l’action diplomatique du Gouvernement et les grands principes qui la guident seraient en question.

Dans le court laps de temps de six minutes qui m’est imparti – auquel je me tiendrai, madame la présidente –, je ne me lancerai pas dans une analyse de politique étrangère, réservée aux trop rares débats que nous avons sur ce sujet. Je me limiterai simplement à quelques éléments tangibles et concrets sur lesquels nous avions eu l’occasion de porter des appréciations lors de la discussion budgétaire.

Les crédits affectés sont effectivement un élément objectif – bien qu’il ne soit pas le seul – à partir duquel on peut examiner l’action d’un département ministériel dont le rôle est précisément de promouvoir les valeurs, la culture, la langue de notre pays, mais aussi de défendre ses intérêts politiques et économiques dans le monde.

Monsieur le ministre, vous avez récemment eu l’occasion de rappeler devant notre commission des affaires étrangères les quatre objectifs que vous vous fixiez dans ce domaine. Parmi ceux-ci, vous avez notamment cité « le redressement et le rayonnement de la France » – ce que l’on pourrait d’ailleurs comprendre comme étant une critique implicite de l’action menée par vos prédécesseurs.

Dans le contexte international troublé que nous connaissons, ce sont des objectifs ambitieux et difficiles à atteindre. Ils nécessitent de la conviction, certes, mais surtout des moyens importants ou, tout au moins, suffisants. Or, paradoxalement, pour conserver le statut de puissance d’influence de notre pays, le budget qui nous avait été présenté à la fin de l’année dernière prévoyait de réduire les crédits affectés à quelques programmes et, conséquence de moyens diminués, de redéployer la présence française vers de nouvelles sphères d’influence.

Cela s’est ainsi traduit par la programmation de la suppression de 450 postes entre 2015 et 2017, dont 220 dès cette année. Certes, notre réseau diplomatique est encore le troisième au monde, mais, en poursuivant sur cette pente, en supprimant des postes chaque année, le rayonnement auquel nous prétendons aura plus de difficultés à s’exercer dans le monde actuel.

C’est aussi dans ce cadre rétréci que, pour limiter les effets négatifs de cette déflation des effectifs, il avait été décidé de redéployer une centaine d’agents du ministère vers des zones géographiques prioritaires, comme les pays dits « émergents ».

De même, la réduction de nos contributions aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix, auxquelles nous participons pourtant de plus en plus fréquemment, a été une décision allant à l’encontre de la place que nous tenons et du rôle international que nous prétendons jouer.

Le rayonnement de notre pays repose également sur notre capacité à développer l’éducation. Dans ce domaine aussi, les crédits regroupant l’ensemble des moyens octroyés aux politiques culturelles, linguistiques, universitaires et scientifiques ainsi que ceux qui sont destinés au service d’enseignement français à l’étranger ont été diminués.

Il faut cependant apprécier à sa juste mesure la création de l’Institut français, qui est un excellent vecteur de notre action culturelle à l’étranger, sans oublier les outils performants que sont Campus France et France expertise internationale.

Enfin, la faiblesse de notre aide publique au développement illustre malheureusement le décalage qui existe trop souvent entre les paroles et les actes. En effet, pour la cinquième année consécutive, les crédits qui ont été engagés au titre de 2015 ont baissé. Le résultat de ce constat est malheureusement que, dans le combat pour l’éradication de la pauvreté et pour le développement, notre position parmi les grandes nations et notre image dans le monde se sont fortement détériorées. Nous sommes devenus le cinquième bailleur, après les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Japon. Quand on se souvient que notre pays était au deuxième rang dans le milieu des années quatre-vingt-dix, on ne peut que déplorer la voie suivie.

Les efforts, modestes, que nous consacrons au développement des pays et des peuples qui en ont le plus besoin ne sont pourtant pas qu’une affaire de finances publiques et de budget contraint ; ils révèlent une conception de l’aide au développement qui ne se fonde pas sur la solidarité internationale, ni sur de grands principes ni sur des valeurs dont un pays comme le nôtre aurait quelque titre à se prévaloir.

Je tempérerai ces quelques critiques en reconnaissant néanmoins vos efforts en matière de diplomatie économique, ce qui contribue à la promotion de nos intérêts et à l’attractivité de notre pays.

Je terminerai mon propos en relevant avec satisfaction le fait que le ministre des affaires étrangères soit désormais également chargé de la politique touristique de notre pays. C’est une reconnaissance de l’importance de ce que ce secteur apporte à notre économie, mais aussi de son rôle social, éducatif et culturel, et, bien entendu, de sa contribution au rayonnement de notre pays dans le monde.

Monsieur le ministre, notre groupe reconnaît tout votre talent et nous ne doutons pas de vos convictions et de votre bonne volonté, mais nous regrettons profondément que le gouvernement auquel vous appartenez ne se donne pas, dans ce secteur comme dans d’autres, les moyens à la hauteur des ambitions et des principes qu’il affiche. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 11 janvier dernier, dans un contexte dramatique, la France a été le centre du monde durant quelques heures. Dans un élan de solidarité, de nombreux chefs d’État et de gouvernement se sont joints à la marche républicaine organisée en hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo et de Vincennes. Monsieur le ministre, je sais la part que vous avez prise personnellement à la venue de ces chefs d’État.

C’est parce que la France véhicule depuis longtemps cette image de pays des libertés que tous ces dirigeants se sont rassemblés à Paris, d’une façon exceptionnelle. C’est aussi parce que la France et sa diplomatie ont toujours su nouer des liens privilégiés sur tous les continents.

C’est enfin parce que la France a de hautes exigences démocratiques pour elle-même qu’elle entend conserver une influence pour mieux faire partager ses idéaux de liberté et de progrès.

Aussi, à une époque où de nombreux « déclinologues » voient partout l’affaiblissement du rayonnement français, ne soyons pas trop pessimistes, tout en demeurant vigilants et prospectifs.

Bien que récemment rétrogradée, la France est la sixième puissance mondiale, ce qui lui confère une aura particulière. J’entends bien les débats, et il est vrai aussi que, aujourd’hui, dans un monde de plus en plus ouvert et dans lequel des puissances émergentes souhaitent, à juste titre, prendre toute leur place aux côtés des puissances établies, la France doit se donner les moyens de ses ambitions pour peser.

À cet égard, je veux souligner que le gouvernement actuel a pris des initiatives qui ont démontré combien la France pouvait être écoutée et entendue.

S’adressant aux corps diplomatiques en début d’année, François Hollande a rappelé que la France était « attendue sur la scène internationale pour promouvoir des valeurs que nous partageons ». Cette phrase est importante, et ce sera un honneur et un nouveau défi pour la France d’accueillir en décembre, avec la vingt et unième Conférence des parties de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, dite « COP 21 », l’un des temps forts les plus importants de la planète cette année.

Je rappellerai que notre pays est à l’origine de presque un quart des résolutions des Nations unies depuis l’an 2000.

Dans les situations de crises les plus récentes, le chef de l’État a pris ses responsabilités, sur les plans tant diplomatique que militaire.

S’agissant de l’Ukraine, la France a été aux avant-postes dans les discussions aboutissant aux accords de Minsk 1 et 2. En Afrique, que ce soit au Mali, avec l’opération Serval, ou en Irak, avec l’opération Chammal, contre Daesh, la France s’est rapidement mobilisée. Je n’oublie pas l’intervention française en République centrafricaine, qui a au moins permis de stabiliser la situation politique, une intervention saluée par l’ancien secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan.

Comme j’ai eu l’occasion de l’exprimer dans différents débats, le groupe du RDSE, très attaché au respect des droits de l’homme, a approuvé tous ces engagements. Pour ma part, j’ai rappelé qu’ils étaient souvent nécessaires, compte tenu des situations d’urgence humanitaire.

Mais je voudrais aussi souligner que la France a une tradition de coopération en matière de développement qu’elle doit affirmer davantage, car la paix est avant tout conditionnée par le recul permanent de la pauvreté dans le monde.

Mes chers collègues, beaucoup reste à faire pour atteindre les fameux objectifs du Millénaire pour le développement. Or, si la France demeure l’un des premiers contributeurs au monde en matière d’aide publique au développement mondiale, nous avons relâché nos efforts au cours des dernières années, et pas seulement depuis 2012. Vous le savez, monsieur le ministre, l’aide française a reculé depuis 2010, et nous nous éloignons ainsi de l’objectif de 0,7 % du revenu national brut consacré à l’aide publique au développement, alors que les Britanniques, les Danois et les Suédois l’ont atteint.

Au-delà de la question du niveau de l’aide qu’il convient d’amplifier, permettez-moi en tout cas de me réjouir de sa répartition géographique, qui privilégie l’Afrique.

Cela répond aux engagements décidés lors du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement du 31 juillet 2013.

Mes chers collègues, certains d’entre vous connaissent mon attachement à l’Afrique et mon tropisme pour l’afro-optimisme. À mes yeux, ce continent doit en effet demeurer la cible prioritaire de notre ère d’influence. Nous avons des liens anciens avec nombre de pays qui le composent. Près de la moitié des locuteurs francophones se trouvent en Afrique. Comme je le disais en introduction, nous sommes aujourd’hui dans un monde multipolaire qui nous invite à revoir nos équilibres pour conserver une influence sur la scène mondiale.

Dans cette perspective, la constitution d’un pôle Europe-Afrique que la France a les moyens d’encourager me paraît être un objectif essentiel. La dynamique démographique des pays africains et les pressions migratoires qu’elle engendre nous indiquent que notre avenir est lié à celui qui se joue de l’autre côté de la Méditerranée. À mon sens, l’avenir de l’influence de la France à l’étranger passe en premier lieu par le renforcement du poids de notre pays et de la francophonie en Afrique.

Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez l’orientation que je porte pour faire de l’Afrique une chance pour l’Europe. Qu’il me soit permis d’ajouter que la dynamique que vous donnez à la diplomatie économique est un élément majeur de l’influence de la France.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Je vous remercie, monsieur le sénateur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans autodénigrement ni optimisme béat, comment évaluer l’influence de la France à l’étranger ? Parts de marché, densité du réseau diplomatique, nombre d’expatriés, attractivité de l’enseignement en français... les indicateurs sont multiples, et souvent imprécis.

Une chose est sûre : la diplomatie d’influence nécessite de mobiliser une grande variété d’acteurs économiques, politiques et culturels. Les contraintes budgétaires minent la capacité de la France à fonder son influence sur son seul réseau d’ambassades et de centres culturels.

Ce réseau, historiquement très dense et remarquable, est au régime sec. Il faut donc mieux mobiliser la société civile.

Des dispositifs existent de longue date, tels que le réseau des conseillers du commerce extérieur pour les chefs ou cadres d’entreprise. D’autres se développent, comme le réseau des anciens élèves des lycées français à l’étranger. Surtout, nous devons davantage œuvrer pour que les millions de francophiles et Français établis à l’étranger soient de vrais ambassadeurs de notre pays.

Le temps où la population française à l’étranger était surtout composée de diplomates et d’expatriés envoyés par de grandes entreprises est révolu. De plus en plus de jeunes, d’entrepreneurs, de salariés en contrat local, de binationaux et de seniors gonflent le vivier de notre diaspora. Ingénieurs, architectes, cuisiniers, étudiants, journalistes, chercheurs, artistes, retraités font rayonner la France à l’étranger, mais trop souvent dans un relatif isolement. De nouveaux réseaux sont donc à animer, voire à créer.

Notre diplomatie s’efforce de mieux tirer parti d’internet et des réseaux sociaux. Bravo ! Mais il faudrait aussi mieux s’appuyer sur les élus de terrain que sont les conseillers et délégués consulaires.

Les Français de l’étranger se sentent citoyens du monde, et c’est heureux. Mais il est dans notre intérêt qu’ils conservent un lien fort avec leurs racines nationales. Plusieurs mesures pourraient renforcer leurs liens civiques à notre nation : pour les jeunes, l’organisation systématique de journées « défense et citoyenneté » à l’étranger ; pour les actifs, une réserve citoyenne à l’étranger ; pour les seniors, un système de volontariat international de coopération technique et d’enseignement du français.

La francophonie constitue un autre levier essentiel. Hélas, notre contribution aux instances francophones décline.

La francophonie est pourtant un levier fondamental pour les grands défis transnationaux liés à la mondialisation comme le terrorisme, les épidémies, l’environnement ou le réchauffement climatique.

La francophonie est aussi un atout pour notre diplomatie économique. Le français est la troisième langue des affaires, après l’anglais et le chinois. L’élan peut être encore amplifié par le dynamisme démographique de l’aire francophone, ou s’essouffler, si notre langue cesse d’être vue comme une source d’opportunités et si nous n’aidons pas les pays pauvres à mieux l’enseigner.

Pour finir, je voudrais insister sur ce qui, à mon sens, constitue la clé de voûte de notre influence et de notre crédibilité à l’international : la défense de nos valeurs.

Je suis frappée par le décalage entre notre morosité hexagonale et l’image positive de la France à l’étranger.