Sommaire

Présidence de Mme Françoise Cartron

Secrétaires :

M. Serge Larcher, Mme Catherine Tasca.

1. Procès-verbal

2. Décès d’un ancien sénateur

3. Dépôt d’un rapport

4. Débat sur l'influence de la France à l'étranger

Mme Jacky Deromedi, au nom du groupe UMP

MM. Yves Pozzo di Borgo, Louis Duvernois, Mmes Marie-Françoise Perol-Dumont, Leila Aïchi, MM. Michel Billout, Robert Hue, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Bariza Khiari, M. Bernard Fournier, Mme Hélène Conway-Mouret

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

5. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux projets de loi

6. Communication du Conseil constitutionnel

7. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Secrétaires :

M. Serge Larcher,

Mme Catherine Tasca.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures quinze.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Décès d’un ancien sénateur

Mme la présidente. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Paul Favre, qui fut sénateur de Haute-Savoie de 1966 à 1968.

3

Dépôt d’un rapport

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport retraçant l’évolution des missions de surveillance et de financement du cantonnement exercées par l’Établissement public de financement et de restructuration, établi en application de l’article 4 du décret n° 95-1316 du 22 décembre 1995.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des finances.

4

Débat sur l'influence de la France à l'étranger

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur l’influence de la France à l’étranger, organisé à la demande du groupe UMP.

La parole est à Mme Jacky Deromedi.

Mme Jacky Deromedi, au nom du groupe UMP. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je souhaite excuser Christophe-André Frassa, qui ne peut être parmi nous aujourd’hui. Je tiens également à remercier le groupe UMP de ce débat, qui permet aux élus représentant les Français établis hors de France de s’exprimer. Nos compatriotes expatriés ne sont-ils pas les premiers acteurs de l’influence de la France à l’étranger ?

L’année 2015 est celle de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance de Singapour. La France s’est associée à cet anniversaire au travers d’une brillante manifestation, qui a réuni 1 000 convives. Je tiens d’ailleurs à vous remercier très chaleureusement, monsieur le ministre, du message vidéo que vous avez bien voulu enregistrer et au travers duquel vous avez présenté vos vœux à Singapour. Il a été hautement apprécié.

Je commencerai mon intervention en rendant hommage à Lee Kuan Yew, Premier ministre de la République de Singapour de 1959 à 1990, ensuite ministre mentor jusqu’à sa disparition voilà quelques jours. Il a supervisé l’indépendance de son pays en 1965, menant cette cité-État de pays en développement sans ressources naturelles vers le « premier monde » et faisant de Singapour un pays développé possédant l’une des économies les plus florissantes au monde.

Dans ce pays, les différentes races et religions vivent ensemble en parfaite harmonie et la population est un exemple de nationalisme. Le respect du drapeau, des aînés et des valeurs pourrait être une source d’inspiration en ces temps difficiles.

M. Gérard Longuet. C’est bien vrai !

Mme Jacky Deromedi. L’influence, c’est la transformation de certains éléments de la présence en véritables références universelles ou nationales pour les pays étrangers. On peut être présent dans un État, y vendre des produits et repartir. Être influent, en revanche, c’est venir avec une valise pleine d’idées et laisser celle-ci sur place.

La France a une grande influence dans le monde, nonobstant les promoteurs du french bashing, ces prophètes de malheur d’un déclin inexorable de notre pays. Elle existe sur la scène internationale et l’on est fier d’être Français lorsque l’on vit à l’étranger.

L’influence française, c’est d’abord notre capacité à peser sur le sort du monde en luttant pour nos valeurs de démocratie et de liberté, en combattant les extrémismes et la barbarie à l’œuvre non seulement en Syrie et en Irak, mais aussi sur le continent africain, au Mali, en Libye, en Tunisie ces jours derniers. Nous pensons avec émotion aux victimes des attentats et à leurs familles.

L’armée française a démontré ses capacités opérationnelles et la valeur militaire qui anime ses officiers, ses sous-officiers et ses soldats, auxquels je tiens à rendre en cet instant un hommage soutenu. On ne peut que regretter que le pacte de stabilité et de croissance européen ne tienne pas compte de l’incidence budgétaire des interventions militaires des États membres au service de la paix. Monsieur le ministre, dans ce domaine, qu’en est-il des demandes de la France auprès de ses partenaires ? S’agit-il de vœux pieux reçus comme tels ou de demandes concrètes se traduisant par une véritable solidarité européenne ? Nous ne pouvons être les seuls en Europe à fournir des efforts en la matière.

Par ailleurs, la culture française et la francophonie constituent des relais majeurs de notre influence. L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, notre réseau d’enseignement à l’étranger, et les alliances françaises y contribuent de façon éminente.

Je veux souligner l’action si importante de l’Assemblée parlementaire de la francophonie dont je fais partie.

Du point de vue culturel, comme en matière de commerce extérieur, l’heure est à la restructuration, à la réduction des crédits et à la mutualisation des moyens, dans un contexte de budget contraint, comme nous le disent si élégamment nos administrations.

Ainsi, 95 établissements à autonomie financière ont été fusionnés avec les services de coopération et d’action culturelle, 59 services continuent d’exister dans les postes qui étaient dépourvus d’établissement. Cette fusion assure un pilotage unifié et une harmonisation des méthodes de travail. Elle permet de mobiliser des financements extrabudgétaires : recettes tirées des activités des établissements, cofinancements dans le cadre de partenariats publics ou privés.

Le taux d’autofinancement moyen est passé de 62 % en 2011 à 66,6 % en 2013 et le montant des cofinancements de 187 millions d'euros en 2012 à 205 millions d'euros en 2013. Il faut continuer sur cette lancée.

Je regrette toutefois l’abandon du projet de rattachement du réseau culturel public à l’opérateur Institut français, projet de longue date, soutenu par les rapporteurs de la mission commune d’information du Sénat sur la réforme de l’action culturelle extérieure, Jacques Legendre et Josselin de Rohan, et par mes collègues lors de l’examen budgétaire. Sa concrétisation aurait permis l’émergence d’une structure publique française d’envergure, sur le modèle du British Council ou du Goethe Institut. L’expérimentation sur douze postes, conduite entre 2011 et 2013, a été jugée trop coûteuse, preuve que, en matière de culture aussi, l’argent reste toujours le nerf de la guerre.

L’Institut français, programmé pour absorber le réseau et qui s’était doté des outils administratifs et comptables pour y faire face, se retrouve en manque de missions.

Monsieur le ministre, qu’en est-il du nouveau contrat d’objectifs et de moyens en vue de conforter le rôle de stratège de l’Institut français ?

Passons maintenant au volet économique de notre influence.

UbiFrance et l’Agence française pour les investissements internationaux ont été regroupées pour constituer un pôle économique performant à l’international : Business France. Des négociations ont été engagées par Business France et CCI International. Ces changements ont suscité quelques inquiétudes dans plusieurs chambres de commerce françaises à l’étranger.

Les chambres assurent des fonctions d’accueil, d’organisation de missions et de réception d’entrepreneurs, d’accompagnement des sociétés, d’hébergement en pépinières d’entreprises, d’aide à l’emploi, de travail en réseau. Elles emploient du personnel, en majorité français. Elles sont appréciées par les autorités locales qui les soutiennent. Elles privilégient une approche de terrain. Il ne faut surtout pas tuer tout cela.

Il faut laisser de la souplesse dans l’application du nouvel accord qui vient d’être conclu, dès lors que les chambres ont le niveau, et ne pas mettre celles-ci en difficulté après qu’elles aient investi pendant des années et assuré ce rôle avec le plus grand professionnalisme.

Ces structures sont dans certains cas dirigées par un bureau exécutif composé de bénévoles : entrepreneurs et dirigeants de grands groupes français qui donnent leur temps et leur expérience aux PME et aux personnes en recherche d’emploi.

La mise en œuvre de cet accord est subordonnée à la signature d’accords locaux.

Quelques questions demeurent sur l’efficacité du nouveau dispositif.

Business France aura-t-il les moyens de reprendre une partie des missions accomplies aujourd’hui avec efficacité par les chambres de commerce françaises à l’international ?

Dégagera-t-on des moyens supplémentaires ou ira-t-on puiser dans ce qui était auparavant les revenus des chambres de commerce françaises à l’international, mettant ainsi ces dernières dans une situation financière difficile, les obligeant à réduire leurs services, leur personnel et leurs installations ?

Le plafond d’emplois de Business France sera-t-il ajusté ?

Monsieur le ministre, permettez-moi aussi d’évoquer le problème des nouvelles nominations des conseillers du commerce extérieur.

Trop souvent, les candidatures masculines de l’étranger sont refoulées, au motif de la féminisation... En effet, un quota de 20 % de femmes auquel sera ajouté 1 % par an pour le porter à 23 % au mois de juillet 2017 est exigé pour l’ensemble des nouvelles promotions. Ce chiffre, qui peut paraître très raisonnable, est difficile à atteindre à l’étranger où, pour l’instant, peu de femmes viennent en tant qu’entrepreneurs ou occupent des postes de direction de grands groupes.

Ce pourcentage, outre le côté dévalorisant d’avoir à « imposer » des femmes, dont le principal critère de sélection est le seul fait d’être femme, peut empêcher la nomination d’hommes bénévoles, occupant des postes de direction dans des grands groupes, volontaires pour participer aux travaux des conseillers du commerce extérieur dans le but d’améliorer le commerce extérieur de la France.

La diminution constante du nombre de ces conseillers dans le monde constitue un autre effet induit par la féminisation et le refus de nouvelles candidatures masculines. Ainsi, les sortants ne sont pas remplacés à nombre au moins égal par de nouvelles nominations.

Cela étant, le réseau consulaire français est l’un des signes majeurs de la présence et de l’influence de notre pays. Troisième réseau mondial en nombre d’implantations et occupant le premier rang eu égard à l’éventail des services offerts, il est confronté à la nécessité de s’adapter à la cartographie des communautés françaises à l’étranger et au progrès rapide des techniques de communication.

Admirons la richesse de la langue administrative pour traduire certaines de ces adaptations : consulats d’influence à gestion simplifiée, postes de présence diplomatique à format allégé, développement de la subsidiarité entre réseaux, allégement des missions de consulats généraux à gestion simplifiée par des mesures de mutualisation et d’adossement à une structure française présente, brigades volantes en cas de pics d’activité.

Monsieur le ministre, je puis vous assurer que, contrairement à la publicité qui vante les performances des produits allégés, nos compatriotes expatriés n’aiment pas trop ces « allégements » de notre réseau consulaire. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Ils préféreraient une expression toute simple : « création de consulats de proximité ».

Vous avez pris l’excellente initiative de réunir les parlementaires représentant les Français établis hors de France pour les informer de vos intentions dans ce domaine. Leurs vœux vous sont connus. Je citerai tout particulièrement l’amélioration de l’accueil des Français et des étrangers dans certains postes, notamment pour prendre des rendez-vous, ainsi que l’élargissement des compétences et moyens des consuls honoraires.

Citons également l’augmentation de la capacité du portail de téléservice à la disposition de nos compatriotes – MonConsulat.fr –, notamment pour l’inscription au registre. La création d’un véritable consulat virtuel ne peut-elle être envisagée ?

Citons aussi la politique de réduction des délais pour la délivrance des visas, comme cela s’est pratiqué en Chine, pour favoriser nos échanges.

Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez déclaré que l’art culinaire figurait parmi nos vecteurs d’influence.

La diplomatie a en effet de tout temps regardé l’art culinaire comme un moyen de faciliter la négociation, de créer une ambiance de détente, sinon de bonne humeur, autour de discussions ardues ou crispantes. « Donnez-moi de bons cuisiniers, je me charge du reste ! » disait Talleyrand.

La gastronomie participe au rayonnement de la France à l’international. Elle est partie intégrante de notre patrimoine culturel et de notre savoir-vivre.

Cette année, la Journée du goût de France, dont vous êtes à l’initiative, a été célébrée avec éclat par tout notre réseau diplomatique.

Soyons fiers d’être le pays de l’élégance et des plaisirs de la table !

Ce sont ces valeurs-là, bien françaises, d’optimisme, de travail, d’engagement et d’excellence, dont les deux millions de Français de l’étranger sont les ambassadeurs dans le monde. C’est là aussi que réside la véritable influence française, en tout cas celle que personne ne nous conteste ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les puissances occidentales jouent un rôle important dans la sécurité collective. Cela est vrai aussi bien dans l’enceinte du Conseil de sécurité de l’ONU que lors d’interventions unilatérales. Nous devons nous adapter aux réalités d’un monde multipolaire, vous l’avez souvent dit, monsieur le ministre, où l’emploi de la force n’est plus un gage de réussite. Les stratégies d’influence et la diplomatie ont repris leurs droits dans un monde où les équilibres sont multiples.

Dans le cas de la France, son influence s’apprécie différemment selon les pays concernés, les crises en cours et la politique étrangère menée par le Président de la République et par vous-même.

J’évoquerai ainsi successivement la question de notre influence en Libye, en Syrie, et dans le monde arabo-musulman en général, et, enfin, en Ukraine.

Concernant la Libye, la Syrie et le monde arabo-musulman, nous devons cesser de considérer, comme certains semblent parfois encore le croire, que nous détenons toujours un mandat de la Société des Nations au Proche-Orient.

Pour nous adapter et être de nouveau influents, nous devons apprendre à connaître les dynamiques propres à ces aires géographiques.

Pendant trop longtemps, nous avons refusé de voir la réalité en face. Nous avons trop voulu croire à la spontanéité de la transition démocratique dans les pays musulmans à la suite des printemps arabes.

À cet égard, je me contenterai de citer les propos que m’a tenus un jour en aparté M. Lakhdar Brahimi, ancien représentant spécial conjoint des Nations Unies et de la Ligue des États arabes pour la Syrie : « Vous, les Français, vous avez mis beaucoup d’années à découvrir la démocratie. Laissez donc au monde arabe et au monde musulman le temps d’y arriver ! »

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la CIA a découvert en 2011, à la suite de l’exécution d’Oussama Ben Laden, des écrits qui attestent d’une vision construite et réfléchie du djihadisme comme idéologie. Celle-ci prospère en raison à la fois des problèmes de développement économique et social propres à ces pays et du ressentiment que suscite l’interventionnisme occidental depuis plus de deux décennies.

À trop croire que nous pouvions faire du monde arabe un pré carré occidental, nous avons fini par surestimer la portée de notre interventionnisme armé. Cette erreur de diagnostic nous a fait perdre de vue la réalité du terrain, ainsi que nos relais d’influence et d’information dans ces pays.

En Libye, si nous avons eu raison de protéger la population de Benghazi, il ne faut pas se cacher les conséquences de cette intervention. Je regrette que celle-ci ait été limitée au renversement du pouvoir en place.

En effet, ce pays tend à devenir un foyer terroriste à mesure que nous y intervenons. L’État islamique s’y est implanté, comme en témoigne l’horrible massacre de vingt et un Égyptiens coptes. Plus récemment, les attentats du musée du Bardo à Tunis, revendiqués par Daech, illustrent aussi les conséquences indirectes des opérations extérieures décidées sous le coup de l’émotion et de l’urgence.

La situation est d’autant plus sensible que ce pays nous fournissait avant 2011 près de 10 % de notre pétrole et qu’il jugulait les flux migratoires à destination de l’Europe. De fait, en 2015, la Libye est une véritable bombe migratoire à retardement.

Lors d’une rencontre avec la Commission européenne hier à Bruxelles, cette dernière a indiqué que l’immigration clandestine en provenance de ce pays double pratiquement chaque année et pourrait concerner plus de 500 000 personnes à l’horizon 2016-2017.

Face à cette situation, monsieur le ministre – si ce n’est pas vous qui fixez la politique de l’Union européenne, votre rôle n’en est pas moins important, comme on l’a bien constaté sur le dossier ukrainien – Frontex, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, n’est dotée que de 80 millions d’euros pour protéger les frontières de l’Europe, alors même que 9 milliards d’euros sont consacrés à l’aide au développement. Il faudrait sans doute s’interroger sur ces chiffres.

Peut-être nous faut-il changer d’approche pour être efficaces ? Prenons l’exemple de la Syrie.

Étant donné l’évolution de la guerre civile, nous n’avons pas vu venir le péril que représente désormais l’État islamique. L’évacuation complète de notre personnel diplomatique sur place au mois de février 2012 nous a privés de nos relais habituels d’influence et d’information, alors que nous disposions de relations anciennes et privilégiées avec la Syrie.

Le terrible bilan de la guerre civile est ce qu’il est, le sort des rebelles syriens est également regrettable, mais nous devons apprécier les choses telles qu’elles sont en 2015.

Nous le savons très bien, le président Bachar al-Assad est un assassin ; il est en grande partie responsable de la situation actuelle sur le terrain, mais aussi des 200 000 victimes estimées du conflit, ce qui représente un bilan humain très lourd.

Cela étant rappelé, je voudrais citer les propos de Mgr Sleiman, archevêque de Bagdad et de nationalité libanaise, récemment rencontré : « Nous autres, Libanais, nous a-t-il dit, nous connaissons bien la Syrie. Quand elle occupait le Liban, c’était très dur, les assassinats ciblés étaient réguliers. Mais, aujourd’hui, 90 % des chrétiens d’Irak ont disparu ou ont fui le pays, et c’est la Syrie de Bachar al-Assad qui nous protège. »

Nous vous avons plusieurs fois interrogé sur le drame syrien, monsieur le ministre. Vous nous avez répondu, et c’est le bon sens, que, avec les Russes, vous cherchiez une solution qui passerait éventuellement par le maintien du régime en place, mais en tout cas sans Bachar al-Assad. Mais la réalité, c’est que Bachar al-Assad est et reste le président de la Syrie. Certes, comparaison n’est pas raison, mais un pays pourrait-il dire aux autorités françaises : « Je veux traiter avec M. Fabius, et non pas avec M. Hollande » ? (M. le ministre sourit.) La réaction ne serait sans doute pas très amicale ! Le pouvoir de Bachar al-Assad est donc une réalité. Et je sais que votre tâche n’est pas simple, monsieur le ministre, eu égard en particulier à notre attachement aux droits de l’homme.

Cependant, je ne suis pas sûr que la réponse que vous apportez actuellement aux commissions parlementaires et au public soit la bonne.

Cela étant, les forces de recomposition de la région sont à l’œuvre ; pourtant, notre pays, qui dispose à peine des moyens d’intervenir dans les airs, refuse encore de s’engager davantage et de reconnaître quels sont les acteurs régionaux capables d’agir au sol.

Je reprendrai des propos de mon ami Aymeri de Montesquiou. L’Iran est présent en Syrie : ce sont des conseillers militaires iraniens et un général iranien qui dirigent l’armée irakienne. L’Iran exerce son influence sur la Syrie, sur le Hezbollah au Liban, et elle forme avec la Russie l’un des axes prépondérants dans ce conflit. En face, l’autre axe est constitué de l’Arabie saoudite et du Qatar. Et l’on a l’impression, monsieur le ministre, que notre diplomatie hésite entre ces deux axes. Qu’en est-il réellement ? Je le répète, je sais que votre tâche n’est pas simple, que la diplomatie est beaucoup plus complexe qu’une prise de position manichéenne, et que vous êtes obligé, parfois, de tenir un discours officiel. Pour autant, en examinant le fond des choses, tel est bien le sentiment que l’on a.

Quoi qu’il en soit, l’affaissement de notre influence n’est pas une fatalité, au contraire : je pense que la diplomatie française se débrouille bien et que la France est de plus en plus présente sur les grands dossiers internationaux. La crise ukrainienne en fournit la preuve.

Je considère, et je tenais à vous le dire, monsieur le ministre, de même que j’ai eu plusieurs fois l’occasion de l’indiquer en commission, que, dans cette affaire, M. le Président de la République et vous-même avez joué un grand rôle. Et si nous avons obtenu les résultats que nous connaissons, je crois que c’est à porter au crédit de votre action et de celle du Président de la République.

M. Yves Pozzo di Borgo. La commission des affaires européennes a rencontré hier M. Alain Le Roy, qui a remplacé M. Pierre Vimont au poste de secrétaire général exécutif du Service européen pour l’action extérieure, ainsi que notre ambassadeur auprès de l’Union européenne, et ils nous ont raconté le déroulement de la dernière réunion du Conseil européen.

Je voudrais vous féliciter, parce que, manifestement, l’Europe était très divisée sur l’attitude à adopter dans cette crise.

Songez tout de même que, lors des accords de Minsk améliorés – les accords de Minsk 2, comme les appelle, à tort, je pense, Mme Merkel –, Donald Tusk, qui a pourtant été nommé président du Conseil européen, n’a apporté qu’un soutien prudent aux initiatives de Mme Merkel et de M. Hollande, ce qui, étant donné la fonction qu’il occupe, est quand même un peu fort !

Ainsi, M. Tusk, après être parti voir le président Obama, est revenu en Europe avec comme mot d’ordre de poursuivre les sanctions. Et, au Conseil européen, on l’a vu arriver avec les représentants suédois et baltes, et, fort du soutien direct des Britanniques, il pressait les États membres à maintenir les sanctions. À l’entendre, c’est presque s’il ne fallait pas faire un nouveau Vietnam en Ukraine !

La France et l’Allemagne ont alors habilement réussi à atténuer les sanctions et à reporter la décision finale en la matière au dénouement, que l’on espère positif, des accords de Minsk améliorés.

Je le répète, je crois que, dans cette affaire, la France a joué un très grand rôle, et il faut s’en féliciter. La diplomatie française est de retour et l’Europe aussi, puisque c’est sur l’initiative du couple franco-allemand que l’Europe a retrouvé son rôle et a écarté les Américains des négociations de Minsk.

D’ailleurs, selon les échos qui me sont parvenus, les Américains seraient satisfaits de la décision du Conseil européen pour ce qui est des sanctions contre la Russie. En tout cas, ils ont complètement abandonné leur hostilité initiale.

M. Roger Karoutchi. Votre temps de parole est écoulé, mon cher collègue !

M. Yves Pozzo di Borgo. Alors, évidemment, à la suite de ces accords, une question reste en suspens.

Il y a ce grand pays, ce bloc énorme aux frontières de l’Union européenne, la Russie, et le conflit ukrainien n’est pas terminé. Or, depuis le mois de janvier 2014, les rencontres entre responsables communautaires et russes ont cessé.

Les nouveaux responsables de la Commission, que ce soit M. Juncker ou les commissaires, n’ont pas rencontré M. Poutine. Le Président de la République, lui, a pris l’initiative de s’entretenir avec M. Poutine après son voyage à Astana. Au-delà de cette initiative, la question est donc de savoir quelle est la politique de la France et de l’Union européenne à l’égard de la Russie.

Il faut s’interroger sur les sanctions. Dernièrement, lors d’un déjeuner avec le commissaire letton, celui-ci nous a affirmé que les sanctions n’avaient aucune incidence sur l’économie de l’Europe.

Mme la présidente. Il vous faut conclure, mon cher collègue.

M. Yves Pozzo di Borgo. Je conclus, madame la présidente, en citant seulement ce chiffre : selon la commission des affaires européennes, les sanctions coûteraient à l’Union européenne 0,2 % de son PIB, soit un montant comparable à celui du plan Juncker. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que nous inaugurons à l’occasion de cette séance la nouvelle répartition des temps de parole qui se veut plus économe en temps et plus synthétique. Tâchons de nous y tenir !

La parole est à M. Louis Duvernois.

M. Louis Duvernois. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat revêt une portée symbolique pour les élus des Français de l’étranger, qui représentent une communauté singulière de près de 3 millions d’expatriés. Cette singularité est encore trop méconnue, alors qu’elle est un élément essentiel de l’influence de la France à l’étranger.

L’expatriation française est très ancienne et nous remémore l’époque où les sociétés de géographie et les missions chrétiennes étaient les acteurs du rayonnement et de l’influence française hors du territoire national.

Aujourd’hui, le véritable défi pour la France est d’adapter sa stratégie d’influence diplomatique et culturelle à la mondialisation et à la concurrence. L’effacement progressif des frontières nationales impose d’autres critères d’appartenance identitaire. La langue française en est un ; c’est un formidable atout, mais trop souvent politiquement, culturellement et économiquement négligé.

La francophonie, espace géographique de près de soixante-dix pays, pourrait devenir le porte-voix de la diversité culturelle d’un monde au sein duquel la France doit jouer un rôle primordial. Le français exprime un système de pensée original et spécifique, doté d’une forte capacité d’abstraction et de conceptualisation, ce qui fait dire à notre collègue Bruno Retailleau que l’on ne peut se polariser uniquement sur l’économie en laissant en friche le terrain de la circulation des idées, c’est-à-dire la manière dont on redonne de la puissance, de l’enthousiasme et de l’énergie à notre pays.

La priorité est de satisfaire cette « demande de France » et notre engagement consiste également à distiller celle-ci partout où nos intérêts l’exigent, particulièrement là où la France est peu implantée.

Ce sont clairement les enjeux d’un travail d’influence à la française visant à renforcer l’action de nos réseaux culturels, éducatifs et économiques.

Il va nous falloir être créatifs et trouver des moyens innovants afin de bouleverser les codes et les canaux traditionnels alimentés par des fonds publics, et que nous peinons à financer du fait d’un contexte budgétaire de plus en plus contraint.

Permettez-moi de vous rappeler, monsieur le ministre, les avancées de la loi relative à l’action extérieure de l’État du 27 juillet 2010 dont j’ai été le rapporteur pour avis auprès de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Fruit d’une longue réflexion, cette loi reprenait les grandes lignes de mon précédent rapport de 2004 appelant à la définition d’une nouvelle stratégie d’influence de l’action culturelle extérieure.

Cette loi a créé l’Institut français, appellation décidée au sein même de cet hémicycle et dont j’ai été l’ardent défenseur. Elle a également instauré deux autres établissements publics à caractère industriel et commercial, ou EPIC : Campus France, pour l’accueil d’étudiants étrangers à l’université, et France expertise internationale, pour la promotion de l’ingénierie française.

La création de l’Institut français visait à répondre à la concurrence des Instituts Goethe, Cervantès, Confucius ou du British Council en donnant une visibilité élargie à notre action culturelle.

La communauté française expatriée est un autre vecteur d’influence. Elle est constituée de 1 700 000 inscrits sur les listes électorales consulaires, chiffre en hausse de 35 % en dix ans, ce qui fait de nos compatriotes dispersés aux quatre coins du monde une sorte de « huitième département » en nombre d’électeurs.

Cette tendance constatée – c’est heureux – contrebalance l’image d’une France passéiste, dont l’influence reculerait, ou même celle d’une France repliée sur elle-même et rétive à la globalisation dans un monde d’échanges de produits, de services et de personnes. N’en déplaise à l’ancien ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, son apologie d’une « démondialisation » de la France est à contre-courant de l’évolution du monde actuel.

Il est à l’évidence nécessaire de prendre en compte le fort potentiel d’influence de nos compatriotes hors du territoire national. Ils incarnent une France en mouvement, capable de prendre des risques, en particulier dans un contexte économique incertain. Bref, dans l’Union européenne ou à des milliers de kilomètres du territoire national, ils représentent une France dynamique, engagée et ouverte sur le monde. Sachons prendre en compte cette présence extérieure et exploiter positivement l’image qu’elle nous renvoie dans l’Hexagone. Aussi importe-t-il de renforcer les liens avec cette « collectivité d’outre-frontière », comme la définissait notre ancien collègue Christian Cointat.

Certes, l’expatriation n’est pas toujours un chemin balisé. Il est difficile d’accéder à des données chiffrées, car l’administration ne dispose pas des outils nécessaires pour mesurer ce phénomène. Il conviendrait donc de mettre en place des mesures statistiques fiables, élaborées, par exemple, par l’INSEE, en association avec les réseaux consulaires.

Les trois millions de Français expatriés font aussi la France. Leur vision et le recul que leur confère l’éloignement sont précieux pour notre pays.

Cessons de croire qu’une grande partie d’entre eux sont des exilés fiscaux. L’expatriation fiscale demeure certes un sujet difficile à appréhender. Selon Bercy, elle concernerait moins de 1 % de l’ensemble des expatriés.

L’expatriation des jeunes diplômés, particulièrement des ingénieurs, tend en revanche à augmenter. Elle témoigne de l’incapacité de la France à proposer des emplois en corrélation avec la qualité et le niveau des diplômes obtenus. Dès lors, il est légitime de s’interroger sur l’attractivité du marché du travail à l’étranger, où les contrats à durée déterminée n’existent pas et où les droits sociaux sont moins nombreux, et qui offre pourtant à nos jeunes plus de perspectives d’avenir que la France !

Néanmoins, relativisons le phénomène d’émigration de ces jeunes diplômés. Dans ce domaine, les chiffres de votre ministère, monsieur le ministre, sont précis : la France est moins concernée que l’Espagne et reste dans la moyenne européenne.

Alors doit-on considérer cette émigration comme un facteur négatif ? Pourquoi ne l’aborder que sous le prisme franco-français ? Ce type d’interrogation démontre bien à mon sens une méconnaissance de l’international et des chances pour la France d’en tirer au contraire avantage.

Pourquoi ne pas admettre que ces départs sont aussi liés à un mouvement inéluctable et qu’ils s’inscrivent dans une tendance générationnelle banalisant fortement la mobilité internationale, laquelle est facilitée par internet ? C’est ce qu’a mis en avant Luc Chatel dans le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’exil des forces vives de France.

Avant de conclure, monsieur le ministre, j’attire votre attention sur les retours de nos compatriotes en France : leur expérience est une source extraordinaire de richesses pour toute la société française. Leur plurilinguisme et leur adaptation à d’autres systèmes culturels et professionnels devraient être exploités.

Mes chers collègues, à cet instant, je veux profiter de cette tribune pour remercier tous nos compatriotes à l’étranger de ce qu’ils font et sont pour la France en matière d’influence et de rayonnement et, dans le contexte sécuritaire tragiquement marqué par le terrorisme que nous connaissons, des risques qu’ils prennent en incarnant les valeurs de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est en France une maladie singulière, dont les symptômes sont, pour ceux qui en sont atteints, une tendance à regretter notre glorieux passé et à déplorer que la France d’aujourd’hui soit, selon eux, l’ombre de celle d’hier. Pour autant, ils ne contribuent pas à construire l’avenir.

Si les commentaires sont libres, les faits, eux, sont sacrés. Aussi permettez-moi de rappeler quelques chiffres. La France est à ce jour la cinquième puissance mondiale, la sixième puissance militaire, et notre langue est parlée par des millions de personnes. Ainsi, malgré ce qu’en disent les Cassandre, la voix de la France compte toujours, en Europe et dans le monde.

Notre pays a depuis longtemps une vision universelle. Depuis 1789, la patrie des droits de l’homme a toujours prétendu défendre, en tout temps et en tous lieux, les amoureux de la liberté et de l’égalité, mais il est vrai que ce messianisme a pu parfois être confondu avec une forme de prédation économique, ce que l’on ne peut que regretter. Cependant, aujourd’hui encore, si nos amis étrangers nous appellent à l’aide lorsqu’ils sont menacés, s’ils demandent notre assistance et notre expertise, ce n’est pas par hasard.

Si certains en France doutent de notre influence à l’étranger, c’est qu’ils doutent de nous-mêmes et de nos atouts. Or ceux-ci sont incontestables : nous disposons de ressources naturelles, humaines et intellectuelles, ainsi que d’une capacité d’innovation qui ont fait et qui font toujours leurs preuves.

Il ne sert à rien de regarder les deux derniers siècles avec nostalgie. Le rêve d’une gloire passée, d’une France qui se serait perdue et qu’il faudrait retrouver, au mépris de l’évolution du monde et des rapports entre les peuples, est un mirage peut-être séduisant, mais sûrement dangereux, un mirage que certains partis exploitent avec des intentions trop contraires à nos principes républicains pour que nous les laissions faire en toute impunité.

L’histoire de la France n’est pas seulement à célébrer, elle est aussi à faire, elle est à construire au quotidien, car notre pays a bel et bien un rôle essentiel à jouer sur la scène internationale au XXIe siècle. Pour cela, notre action extérieure doit être différente de celle des dix dernières années. Tel est le sens de la politique étrangère menée par le Président de la République, François Hollande, depuis le début de son quinquennat ; tel est le sens de votre action, monsieur le ministre.

Force est de constater qu’il y a du travail à accomplir pour redorer l’image de notre pays à l’étranger, car, et ce n’est pas une critique, la France de la première décennie de ce début de siècle n’a pas été, je le pense, à la hauteur des grands enjeux du moment à l’échelon international.

Faut-il rappeler l’échec de l’Union pour la Méditerranée ? Et que dire de la gestion des crises européennes ? Loin de l’esprit de dialogue et de négociation qui prévaut en matière diplomatique, à-coups et revirements avaient alors provoqué de multiples accrochages avec nos partenaires. Que dire aussi de la gestion des printemps arabes ? Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que si la France n’avait pas proposé une coopération policière au président tunisien, sa diplomatie n’aurait sans doute pas connu les critiques dont elle fut alors l’objet.

Au mois de février 2011, un groupe de diplomates rassemblés sous le pseudonyme « Marly » résumait ainsi les choses dans les colonnes du journal Le Monde : « l’Europe est impuissante, l’Afrique nous échappe, la Méditerranée nous boude, la Chine nous a domptés et Washington nous ignore ! ». Il s’agit là d’une sévère analyse du bilan du quinquennat précédent.

M. Roger Karoutchi. C’est caricatural !

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Je ne dis pas que je partage intégralement cette analyse, monsieur Karoutchi !

N’en déplaise à certains d’entre vous, mes chers collègues, l’envoi de troupes contre Kadhafi et la rupture des relations diplomatiques avec Bachar al-Assad ne sauraient faire oublier que le premier avait planté sa tente dans les jardins de l’Élysée au mois de décembre 2007 et que le second était l’invité d’honneur, en 2008, du défilé du 14 juillet. Cette politique avait alors, je le pense, fragilisé la crédibilité de la France dans le monde.

M. Roger Karoutchi. Il faut oser ! (Sourires.)

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. On ne peut donc que saluer la volonté de François Hollande de promouvoir de nouveau l’influence de la France à l’échelon international, dans le domaine tant militaire que diplomatique. Lorsque cela était possible, le chef de l’État a privilégié avant tout le dialogue et les négociations, qui sont la base de toute bonne politique extérieure.

M. Roger Karoutchi. Maintenant, nous sommes respectés partout, c’est sûr…

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Au mois de janvier 2013, si la France est intervenue militairement au nord du Mali, c’est à l’appel du président malien. Quelques mois plus tard, c’est en Centrafrique que notre pays a été conduit à lancer l’opération Sangaris, après des mois d’inaction du Conseil de sécurité.

En septembre 2014, si la lutte contre le terrorisme s’est intensifiée avec les frappes aériennes en Irak, c’est qu’il était nécessaire d’agir contre un groupe terroriste qui menace l’équilibre et la sécurité du monde dans sa globalité, comme en attestent les tristes événements de Tunisie ces dernières semaines, après ceux de Paris et de Copenhague.

Comment ne pas également saluer, comme cela a déjà été fait, l’initiative diplomatique sans précédent du Président de la République et de la Chancelière allemande au mois de février dernier à Minsk, afin d’arrêter l’escalade de la guerre en Ukraine et d’éviter un embrasement de l’Europe ? Naturellement, tous ces efforts ne vaudront rien si les accords ne sont pas respectés.

Nous savons bien qu’accompagner le changement n’est pas une tâche aisée. D’aucuns d’ailleurs pourraient penser que, au-delà des références mécaniques aux droits de l’homme, notre pays intègre difficilement à sa politique étrangère le lien, pourtant nécessaire, avec les sociétés civiles des pays où il agit, le soutien aux dissidents, et la capacité, dans ce cas précis, à identifier les bons interlocuteurs. La majorité de nos concitoyens qui travaillent pour l’action extérieure de la France le savent bien : seul le soutien à la démocratie et aux droits de l’homme de par le monde permettra d’assurer à terme une stabilité globale d’un point de vue économique et social.

Cela étant, en termes de diplomatie, s’il est parfois nécessaire de discuter avec des interlocuteurs a priori infréquentables, il faut que cela serve un but précis et non une politique à courte vue. Notre diplomatie, sans négliger la relation avec les États, même autoritaires, doit aussi renforcer le dialogue avec les sociétés.

Pour conclure, monsieur le ministre, puisque le débat qui nous réunit porte sur l’influence française dans le monde, sachez que nombres d’entre nous saluent l’action engagée par ce gouvernement en la matière et lui apportent leur entier soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, à la suite du tragique accident survenu hier, je tiens à présenter, au nom de l’ensemble du groupe écologiste du Sénat, mes sincères condoléances aux familles et aux proches des victimes. Toutes nos pensées vont vers eux.

J’en viens maintenant au débat qui nous occupe aujourd’hui sur l’influence de la France à l’étranger. Nous en sommes tous conscients dans cet hémicycle, en ces temps troublés, la France a un rôle majeur à jouer à l’échelon international et elle se doit de le maintenir en renforçant sa diplomatie.

Monsieur le ministre, nous devons éviter d’aborder les enjeux internationaux sous le seul spectre sécuritaire, comme cela est bien souvent le cas. Face aux défis d’aujourd’hui et de demain, nous devons impulser une réelle dynamique en matière de diplomatie environnementale et économique.

En effet, si nous voulons être entendus, notre diplomatie doit être multidimensionnelle et multipartite. Nous le constatons tous les jours : tout est imbriqué, tout est connecté, tout est lié. Face aux enjeux actuels, nous devons nous adapter et parfois remettre en cause les schémas de pensée qui étaient les nôtres jusqu’à présent.

À l’aune du dérèglement climatique et dans un monde de plus en plus interdépendant, notre approche des relations internationales ne peut plus se définir à la seule lumière de la défense de la souveraineté et des intérêts de la nation. C’est en ce sens que la promotion d’une diplomatie environnementale globale et inclusive est primordiale, et vous le savez bien, monsieur le ministre. Plus personne ne peut nier l’urgence qui s’impose à nous dans ce domaine. Et la France, en tant qu’hôte de la COP21, doit être exemplaire et être à l’origine d’une réelle prise de conscience. Cette échéance sera l’occasion pour notre pays de se positionner comme leader dans le cadre des négociations sur le climat.

Si nous voulons que notre diplomatie environnementale soit efficace, nous devons nous inscrire dans une démarche au quotidien, car, bien souvent, force est de le constater, les enjeux stratégiques actuels, quelle que soit leur origine, sont intimement liés à l’accès aux ressources naturelles, aux matières premières et à l’énergie.

Récemment, Nicolas Hulot apportait un éclairage novateur sur le conflit syrien : « le conflit a été, sinon déclenché, en tout cas amplifié par un facteur climatique. C’est en effet un phénomène de désertification accru par le changement climatique qui a amené un million et demi de personnes à se déplacer et à passer du nord au sud-est de la Syrie. » Il est aujourd’hui avéré que l’accroissement inéluctable des stress hydriques, nourriciers, environnementaux et énergétiques est dû au changement climatique, à la finitude des ressources, à l’évolution démographique et aux modes de vie.

Monsieur le ministre, nous connaissons et nous saluons votre investissement dans la préparation de la COP21. Nous connaissons également votre engagement en faveur des sujets environnementaux qui nous préoccupent. Mais au-delà, quid de la position de la France sur la relance des aires protégées transfrontalières, du Fonds vert pour le climat, de la reconnaissance d’un statut pour les « réfugiés climatiques » ou encore des États en grandes difficultés climatiques à l’échelon mondial ?

Pour réussir et influer sur les négociations internationales, nous devons nous montrer novateurs et ambitieux.

Un renforcement de notre diplomatie économique est également nécessaire. À l’heure où la compétition internationale redouble et où notre économie peine à redémarrer, la diplomatie économique apparaît aussi comme un outil essentiel et encore trop peu mis en avant. Or il s’agit là d’un formidable canal pour la promotion de notre savoir-faire et de notre expertise en matière d’emplois innovants. En qualité de rapporteur pour avis du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » du projet de loi de finances, j’avais déjà attiré votre attention au mois de décembre dernier sur l’importance d’adapter notre réseau diplomatique au nouveau paysage économique mondial en renforçant notamment la présence française en Asie et, plus généralement, dans les pays émergents, sans oublier l’Afrique, bien évidemment.

Ce redéploiement est essentiel pour mener à bien la diplomatie économique devenue une priorité du Quai d’Orsay. En cela, le rattachement du commerce extérieur et du tourisme à votre ministère, dénommé ministère des affaires étrangères et du développement international, paraît aujourd’hui être une évidence, monsieur le ministre. C’est au plus près des réalités de terrain que peut se mener utilement la bataille pour le développement des entreprises françaises à l’international et la promotion de l’attractivité de notre pays auprès des investisseurs et des touristes étrangers.

Avant toute chose, il faudrait améliorer en quantité et en qualité la présence politique de l’État que permettent les visites officielles, en particulier les visites ministérielles, dans les pays où les entreprises françaises sont susceptibles de se développer. Souvent, ces visites constituent des occasions essentielles de mise en valeur des atouts de nos PME. Les multiplier, c’est donc augmenter les chances de ces dernières.

Les défis qui se posent à nous, monsieur le ministre, sont multiples et nous imposent une approche proactive et globale.

À titre d’exemple, et alors que nous célébrions le 20 mars dernier la Journée internationale de la francophonie, nous devons massivement promouvoir le moteur essentiel de solidarité et d’influence qu’est la francophonie, et je sais qu’il s’agit là de l’une de vos priorités. Les dernières projections prévoient près de 750 millions de locuteurs du français demain, dont une grande partie de jeunes. Ne faisons pas l’impasse sur cet incroyable vivier, qui est une opportunité et une chance pour le rayonnement de la France.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’influence de la France à l’étranger ? « Vaste programme ! », comme a pu dire le général de Gaulle en d’autres temps, et sur un autre sujet.

Nos collègues du groupe UMP nous invitent à cette réflexion, à l’heure où il est parfois de bon ton, dans certains milieux, de déplorer le déclin auquel notre pays serait inexorablement voué.

De quoi s’agit-il ?

De l’image de la France à l’étranger ? Celle-ci est, par nature, éminemment subjective, donc diversement perçue suivant les pays, la période historique et les rapports que nous entretenons avec tel ou tel peuple.

De l’influence de notre pays sur le cours des événements à travers le monde ? Dans ce cas, l’action diplomatique du Gouvernement et les grands principes qui la guident seraient en question.

Dans le court laps de temps de six minutes qui m’est imparti – auquel je me tiendrai, madame la présidente –, je ne me lancerai pas dans une analyse de politique étrangère, réservée aux trop rares débats que nous avons sur ce sujet. Je me limiterai simplement à quelques éléments tangibles et concrets sur lesquels nous avions eu l’occasion de porter des appréciations lors de la discussion budgétaire.

Les crédits affectés sont effectivement un élément objectif – bien qu’il ne soit pas le seul – à partir duquel on peut examiner l’action d’un département ministériel dont le rôle est précisément de promouvoir les valeurs, la culture, la langue de notre pays, mais aussi de défendre ses intérêts politiques et économiques dans le monde.

Monsieur le ministre, vous avez récemment eu l’occasion de rappeler devant notre commission des affaires étrangères les quatre objectifs que vous vous fixiez dans ce domaine. Parmi ceux-ci, vous avez notamment cité « le redressement et le rayonnement de la France » – ce que l’on pourrait d’ailleurs comprendre comme étant une critique implicite de l’action menée par vos prédécesseurs.

Dans le contexte international troublé que nous connaissons, ce sont des objectifs ambitieux et difficiles à atteindre. Ils nécessitent de la conviction, certes, mais surtout des moyens importants ou, tout au moins, suffisants. Or, paradoxalement, pour conserver le statut de puissance d’influence de notre pays, le budget qui nous avait été présenté à la fin de l’année dernière prévoyait de réduire les crédits affectés à quelques programmes et, conséquence de moyens diminués, de redéployer la présence française vers de nouvelles sphères d’influence.

Cela s’est ainsi traduit par la programmation de la suppression de 450 postes entre 2015 et 2017, dont 220 dès cette année. Certes, notre réseau diplomatique est encore le troisième au monde, mais, en poursuivant sur cette pente, en supprimant des postes chaque année, le rayonnement auquel nous prétendons aura plus de difficultés à s’exercer dans le monde actuel.

C’est aussi dans ce cadre rétréci que, pour limiter les effets négatifs de cette déflation des effectifs, il avait été décidé de redéployer une centaine d’agents du ministère vers des zones géographiques prioritaires, comme les pays dits « émergents ».

De même, la réduction de nos contributions aux organisations internationales et aux opérations de maintien de la paix, auxquelles nous participons pourtant de plus en plus fréquemment, a été une décision allant à l’encontre de la place que nous tenons et du rôle international que nous prétendons jouer.

Le rayonnement de notre pays repose également sur notre capacité à développer l’éducation. Dans ce domaine aussi, les crédits regroupant l’ensemble des moyens octroyés aux politiques culturelles, linguistiques, universitaires et scientifiques ainsi que ceux qui sont destinés au service d’enseignement français à l’étranger ont été diminués.

Il faut cependant apprécier à sa juste mesure la création de l’Institut français, qui est un excellent vecteur de notre action culturelle à l’étranger, sans oublier les outils performants que sont Campus France et France expertise internationale.

Enfin, la faiblesse de notre aide publique au développement illustre malheureusement le décalage qui existe trop souvent entre les paroles et les actes. En effet, pour la cinquième année consécutive, les crédits qui ont été engagés au titre de 2015 ont baissé. Le résultat de ce constat est malheureusement que, dans le combat pour l’éradication de la pauvreté et pour le développement, notre position parmi les grandes nations et notre image dans le monde se sont fortement détériorées. Nous sommes devenus le cinquième bailleur, après les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne et le Japon. Quand on se souvient que notre pays était au deuxième rang dans le milieu des années quatre-vingt-dix, on ne peut que déplorer la voie suivie.

Les efforts, modestes, que nous consacrons au développement des pays et des peuples qui en ont le plus besoin ne sont pourtant pas qu’une affaire de finances publiques et de budget contraint ; ils révèlent une conception de l’aide au développement qui ne se fonde pas sur la solidarité internationale, ni sur de grands principes ni sur des valeurs dont un pays comme le nôtre aurait quelque titre à se prévaloir.

Je tempérerai ces quelques critiques en reconnaissant néanmoins vos efforts en matière de diplomatie économique, ce qui contribue à la promotion de nos intérêts et à l’attractivité de notre pays.

Je terminerai mon propos en relevant avec satisfaction le fait que le ministre des affaires étrangères soit désormais également chargé de la politique touristique de notre pays. C’est une reconnaissance de l’importance de ce que ce secteur apporte à notre économie, mais aussi de son rôle social, éducatif et culturel, et, bien entendu, de sa contribution au rayonnement de notre pays dans le monde.

Monsieur le ministre, notre groupe reconnaît tout votre talent et nous ne doutons pas de vos convictions et de votre bonne volonté, mais nous regrettons profondément que le gouvernement auquel vous appartenez ne se donne pas, dans ce secteur comme dans d’autres, les moyens à la hauteur des ambitions et des principes qu’il affiche. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 11 janvier dernier, dans un contexte dramatique, la France a été le centre du monde durant quelques heures. Dans un élan de solidarité, de nombreux chefs d’État et de gouvernement se sont joints à la marche républicaine organisée en hommage aux victimes des attentats de Charlie Hebdo et de Vincennes. Monsieur le ministre, je sais la part que vous avez prise personnellement à la venue de ces chefs d’État.

C’est parce que la France véhicule depuis longtemps cette image de pays des libertés que tous ces dirigeants se sont rassemblés à Paris, d’une façon exceptionnelle. C’est aussi parce que la France et sa diplomatie ont toujours su nouer des liens privilégiés sur tous les continents.

C’est enfin parce que la France a de hautes exigences démocratiques pour elle-même qu’elle entend conserver une influence pour mieux faire partager ses idéaux de liberté et de progrès.

Aussi, à une époque où de nombreux « déclinologues » voient partout l’affaiblissement du rayonnement français, ne soyons pas trop pessimistes, tout en demeurant vigilants et prospectifs.

Bien que récemment rétrogradée, la France est la sixième puissance mondiale, ce qui lui confère une aura particulière. J’entends bien les débats, et il est vrai aussi que, aujourd’hui, dans un monde de plus en plus ouvert et dans lequel des puissances émergentes souhaitent, à juste titre, prendre toute leur place aux côtés des puissances établies, la France doit se donner les moyens de ses ambitions pour peser.

À cet égard, je veux souligner que le gouvernement actuel a pris des initiatives qui ont démontré combien la France pouvait être écoutée et entendue.

S’adressant aux corps diplomatiques en début d’année, François Hollande a rappelé que la France était « attendue sur la scène internationale pour promouvoir des valeurs que nous partageons ». Cette phrase est importante, et ce sera un honneur et un nouveau défi pour la France d’accueillir en décembre, avec la vingt et unième Conférence des parties de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, dite « COP 21 », l’un des temps forts les plus importants de la planète cette année.

Je rappellerai que notre pays est à l’origine de presque un quart des résolutions des Nations unies depuis l’an 2000.

Dans les situations de crises les plus récentes, le chef de l’État a pris ses responsabilités, sur les plans tant diplomatique que militaire.

S’agissant de l’Ukraine, la France a été aux avant-postes dans les discussions aboutissant aux accords de Minsk 1 et 2. En Afrique, que ce soit au Mali, avec l’opération Serval, ou en Irak, avec l’opération Chammal, contre Daesh, la France s’est rapidement mobilisée. Je n’oublie pas l’intervention française en République centrafricaine, qui a au moins permis de stabiliser la situation politique, une intervention saluée par l’ancien secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan.

Comme j’ai eu l’occasion de l’exprimer dans différents débats, le groupe du RDSE, très attaché au respect des droits de l’homme, a approuvé tous ces engagements. Pour ma part, j’ai rappelé qu’ils étaient souvent nécessaires, compte tenu des situations d’urgence humanitaire.

Mais je voudrais aussi souligner que la France a une tradition de coopération en matière de développement qu’elle doit affirmer davantage, car la paix est avant tout conditionnée par le recul permanent de la pauvreté dans le monde.

Mes chers collègues, beaucoup reste à faire pour atteindre les fameux objectifs du Millénaire pour le développement. Or, si la France demeure l’un des premiers contributeurs au monde en matière d’aide publique au développement mondiale, nous avons relâché nos efforts au cours des dernières années, et pas seulement depuis 2012. Vous le savez, monsieur le ministre, l’aide française a reculé depuis 2010, et nous nous éloignons ainsi de l’objectif de 0,7 % du revenu national brut consacré à l’aide publique au développement, alors que les Britanniques, les Danois et les Suédois l’ont atteint.

Au-delà de la question du niveau de l’aide qu’il convient d’amplifier, permettez-moi en tout cas de me réjouir de sa répartition géographique, qui privilégie l’Afrique.

Cela répond aux engagements décidés lors du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement du 31 juillet 2013.

Mes chers collègues, certains d’entre vous connaissent mon attachement à l’Afrique et mon tropisme pour l’afro-optimisme. À mes yeux, ce continent doit en effet demeurer la cible prioritaire de notre ère d’influence. Nous avons des liens anciens avec nombre de pays qui le composent. Près de la moitié des locuteurs francophones se trouvent en Afrique. Comme je le disais en introduction, nous sommes aujourd’hui dans un monde multipolaire qui nous invite à revoir nos équilibres pour conserver une influence sur la scène mondiale.

Dans cette perspective, la constitution d’un pôle Europe-Afrique que la France a les moyens d’encourager me paraît être un objectif essentiel. La dynamique démographique des pays africains et les pressions migratoires qu’elle engendre nous indiquent que notre avenir est lié à celui qui se joue de l’autre côté de la Méditerranée. À mon sens, l’avenir de l’influence de la France à l’étranger passe en premier lieu par le renforcement du poids de notre pays et de la francophonie en Afrique.

Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez l’orientation que je porte pour faire de l’Afrique une chance pour l’Europe. Qu’il me soit permis d’ajouter que la dynamique que vous donnez à la diplomatie économique est un élément majeur de l’influence de la France.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Je vous remercie, monsieur le sénateur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans autodénigrement ni optimisme béat, comment évaluer l’influence de la France à l’étranger ? Parts de marché, densité du réseau diplomatique, nombre d’expatriés, attractivité de l’enseignement en français... les indicateurs sont multiples, et souvent imprécis.

Une chose est sûre : la diplomatie d’influence nécessite de mobiliser une grande variété d’acteurs économiques, politiques et culturels. Les contraintes budgétaires minent la capacité de la France à fonder son influence sur son seul réseau d’ambassades et de centres culturels.

Ce réseau, historiquement très dense et remarquable, est au régime sec. Il faut donc mieux mobiliser la société civile.

Des dispositifs existent de longue date, tels que le réseau des conseillers du commerce extérieur pour les chefs ou cadres d’entreprise. D’autres se développent, comme le réseau des anciens élèves des lycées français à l’étranger. Surtout, nous devons davantage œuvrer pour que les millions de francophiles et Français établis à l’étranger soient de vrais ambassadeurs de notre pays.

Le temps où la population française à l’étranger était surtout composée de diplomates et d’expatriés envoyés par de grandes entreprises est révolu. De plus en plus de jeunes, d’entrepreneurs, de salariés en contrat local, de binationaux et de seniors gonflent le vivier de notre diaspora. Ingénieurs, architectes, cuisiniers, étudiants, journalistes, chercheurs, artistes, retraités font rayonner la France à l’étranger, mais trop souvent dans un relatif isolement. De nouveaux réseaux sont donc à animer, voire à créer.

Notre diplomatie s’efforce de mieux tirer parti d’internet et des réseaux sociaux. Bravo ! Mais il faudrait aussi mieux s’appuyer sur les élus de terrain que sont les conseillers et délégués consulaires.

Les Français de l’étranger se sentent citoyens du monde, et c’est heureux. Mais il est dans notre intérêt qu’ils conservent un lien fort avec leurs racines nationales. Plusieurs mesures pourraient renforcer leurs liens civiques à notre nation : pour les jeunes, l’organisation systématique de journées « défense et citoyenneté » à l’étranger ; pour les actifs, une réserve citoyenne à l’étranger ; pour les seniors, un système de volontariat international de coopération technique et d’enseignement du français.

La francophonie constitue un autre levier essentiel. Hélas, notre contribution aux instances francophones décline.

La francophonie est pourtant un levier fondamental pour les grands défis transnationaux liés à la mondialisation comme le terrorisme, les épidémies, l’environnement ou le réchauffement climatique.

La francophonie est aussi un atout pour notre diplomatie économique. Le français est la troisième langue des affaires, après l’anglais et le chinois. L’élan peut être encore amplifié par le dynamisme démographique de l’aire francophone, ou s’essouffler, si notre langue cesse d’être vue comme une source d’opportunités et si nous n’aidons pas les pays pauvres à mieux l’enseigner.

Pour finir, je voudrais insister sur ce qui, à mon sens, constitue la clé de voûte de notre influence et de notre crédibilité à l’international : la défense de nos valeurs.

Je suis frappée par le décalage entre notre morosité hexagonale et l’image positive de la France à l’étranger.

M. Daniel Reiner. C’est vrai !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ce capital d’estime est ancré dans notre capacité à défendre nos valeurs dites « universelles », plus que jamais menacées.

En Afrique et au Moyen-Orient, la diplomatie française est attendue au tournant. Nous ne pouvons, monsieur le ministre, mes chers collègues, laisser Daesh déstabiliser la région, exterminer les minorités, notamment mais pas seulement chrétiennes, et attiser ainsi le terrorisme mondial.

Monsieur le ministre, ce matin, lors d’une réunion avec les responsables politiques, religieux et associatifs consacrée aux chrétiens d’Orient, en préparation de la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU du 27 mars, vous nous avez dit votre détermination à agir. Je vous en remercie.

Je veux saluer l’écoute dont vous avez fait preuve, notamment sur la question cruciale de la saisine de la Cour pénale internationale. En juillet dernier, des dizaines de parlementaires avaient cosigné ma lettre demandant au président Hollande d’initier une telle saisine. Sur ce dossier aussi, il nous faut accélérer.

Pour conserver un rang international à la hauteur de ses ambitions, la France doit faire entendre son approche singulière, conciliant la défense du droit international et des droits de l’homme et une stratégie de dialogue avec des États avec lesquels nos relations sont beaucoup plus difficiles – je veux parler de l’Iran, de la Russie, mais aussi de la Syrie.

Alors que la France préside, pour quelques jours encore, le Conseil de sécurité de l’ONU, notre responsabilité géopolitique est immense. Nous ne pouvons, monsieur le ministre, décevoir tous ceux qui attendent de nous des mesures fortes, qui attendent de la France qu’elle incarne ces valeurs qui sont les siennes et qui nous ont, pendant très longtemps, rendus si fiers, qui attendent que la France soit la voix de ces millions de gens vivant aujourd’hui dans la peur de la barbarie. Monsieur le ministre, nous comptons vraiment sur vous ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari.

Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le texte sur la codification du tourisme, j’ai porté, en tant que rapporteur, le projet de loi sur le développement et la modernisation des services touristiques, avec comme disposition phare la création d’Atout France.

Cette agence résulte de la fusion de plusieurs organismes œuvrant dans le domaine de l’ingénierie touristique, de l’observation économique et de la promotion de la France – nous avons également ajouté le nouveau classement des hébergements. Christian Mantéi, directeur d’Atout France, a mené à bien cette fusion et a su installer entre ces entités différentes une culture d’entreprise commune. Il a notamment œuvré pour la mise en œuvre du nouveau classement touristique, permettant ainsi à l’hôtellerie française de s’aligner sur les standards internationaux.

Le second changement est intervenu avec le rattachement de la compétence « tourisme » à votre ministère. Ce premier anniversaire est l’occasion de faire un point d’étape.

Pour l’histoire, je rappelle que, ces trente dernières années, la compétence « tourisme » a été placée sous des tutelles diverses et variées : une seule fois un ministère de plein exercice, le plus souvent un secrétariat d’État rattaché à différents ministères.

Cette nouvelle et prestigieuse tutelle, inédite dans l’histoire de l’industrie touristique, est un signal fort et positif.

Trop longtemps, le tourisme a été considéré comme un sujet périphérique, comme si la richesse, la beauté et l’attractivité naturelle de la France nous dispensaient de tout effort. Les collectivités locales ne s’y sont pas trompées : il suffit de se reporter à nos nombreux débats, dans cet hémicycle, sur le bon niveau de compétences en matière de tourisme pour mesurer l’importance stratégique de ce secteur pour nos territoires.

Nous constatons tout d’abord que les chiffres sont ambivalents. Première destination touristique mondiale, la France n’est que troisième en termes de recettes. Nos visiteurs ne dépensent pas autant que nous le voudrions, et peut-être pas autant qu’ils le souhaiteraient.

M. Roland Courteau. C’est sûr !

Mme Bariza Khiari. Élément nouveau : l’ouverture dominicale annoncée dans les zones touristiques internationales sera de nature à permettre de manière certaine une augmentation de la dépense par touriste. Extrêmement concentrés sur certaines provenances, nos flux touristiques sont également trop concentrés sur certaines destinations.

Nous avons donc deux défis à relever pour atteindre l’objectif des 100 millions de touristes par an que vous avez fixé, monsieur le ministre : il s’agit, premièrement, d’élargir notre zone d’influence à de nouveaux pays – 80 % des touristes internationaux viennent d’Europe – et, deuxièmement, d’allonger la durée des séjours en incitant les visiteurs à découvrir d’autres sites sur notre territoire.

En effet, la France n’est pas une simple destination, elle est une collection de destinations. Son identité se nourrit de la diversité de nos régions. L’attrait et l’influence qu’exerce la France à l’international tiennent également aux idéaux qui la fondent et qui l’inscrivent comme patrie universelle de ceux qui se réclament de l’esprit des Lumières. Cette dimension est essentielle pour comprendre en quoi la France reste une référence dans le monde.

Plus prosaïquement, il nous revient, en tant qu’hôte, d’assurer un accueil de qualité : l’accueil est une chaîne de production et il ne saurait y avoir de maillon faible si nous voulons que ces touristes, de retour chez eux, deviennent à leur tour des prescripteurs de la destination France.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Bariza Khiari. Il nous revient également de lever les différents obstacles qui sont de nature à « contrarier » la venue de visiteurs chez nous. Vous le savez, la liaison aéroport-Paris n’est pas satisfaisante. Je forme le vœu que le projet de liaison express entre Paris et Roissy aboutisse : c’est indispensable pour développer le tourisme de court séjour et le tourisme d’affaires lié aux congrès et aux salons.

D’autres actions sont mises en œuvre ou envisagées pour que les recettes du tourisme soient en adéquation avec notre rang de première destination mondiale. C’est dans cette perspective que vous avez facilité l’accès au territoire français grâce à l’opération « visas en 48 heures » pour les ressortissants chinois, visiteurs à forte contribution, ce qui a permis d’augmenter considérablement le nombre de ces touristes. Envisagez-vous, monsieur le ministre, une extension du plan « visas en 48 heures » à d’autres pays ?

J’aimerais saluer aussi l’opération Goût de France-Good France, que vous avez initiée, et qui a permis, dans plusieurs milliers de restaurants situés sur les cinq continents, et dans toutes nos ambassades, de célébrer le repas gastronomique français, élevé par l’UNESCO au rang de patrimoine immatériel. Cette opération a permis de valoriser notre savoir-faire et de contribuer, par ce moment de partage, au rayonnement de nos traditions, tout en montrant notre inventivité en matière de gastronomie.

La couverture médiatique internationale qu’elle a reçue prouve que cette opération a suscité intérêt, et même engouement, car vous n’êtes pas sans savoir, monsieur le ministre, que le rédactionnel généré par Good France vaut plus qu’une campagne de publicité payante à grande échelle. Envisagez-vous de reconduire cette opération inédite ?

Enfin, vous avez nommé Jacques Maillot, professionnel du tourisme reconnu par ses pairs, chargé de mission « tourisme fluvial et croisières ». Envisagez-vous de développer ce secteur, qui dispose d’une très grande marge de progression ?

J’aurais voulu, monsieur le ministre, vous interroger sur la conférence climat et vous demander comment le secteur du tourisme peut s’inscrire dans cette belle ambition, mais je crains que l’indulgence de Mme la présidente n’ait atteint ses limites ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. En effet, ma chère collègue !

La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je voudrais commencer en félicitant le Président de la République et le Quai d’Orsay pour l’activisme dont ils font preuve, depuis le début du quinquennat, en matière de politique étrangère.

En cela, ils s’inscrivent dans la droite ligne de leurs prédécesseurs, qui ont toujours bataillé pour défendre les intérêts et l’influence de notre pays dans le monde. Vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre, la « parole » de la France sur les grandes questions internationales est souvent attendue avec intérêt et ses prises de position scrutées par les autres pays. De par son histoire, le rayonnement de sa culture et sa place dans les principales institutions internationales, notamment à l’ONU, la France est écoutée avec un intérêt tout particulier.

Depuis 2012, dans un climat international extrêmement dégradé, de nombreuses initiatives ont été prises par le Président de la République qui, en moins de trois ans, aura engagé nos forces armées sur quatre terrains d’actions principaux, au Mali, en Centrafrique, dans la zone sahélo-saharienne et, contre Daesh, en Irak. En outre, l’intensification de la crise ukrainienne ces derniers mois a amené notre diplomatie à prendre de fortes initiatives, en partenariat avec l’Allemagne. Les accords de Minsk 2, même s’ils restent très fragiles, sont une avancée.

Face à la réorientation de la politique étrangère des États-Unis, son désengagement de plus en plus marqué vis-à-vis du vieux continent, face aussi à l’inertie de l’Europe et à ses divisions en matière de politique étrangère, nous ne pouvons que saluer le rôle et le dynamisme de la diplomatie française.

Toutefois, cela ne veut pas dire que je suis personnellement d’accord avec toutes les positions internationales prises par le Président de la République – tant s’en faut ! Par ailleurs, lorsque l’on parle d’influence de la France à l’étranger, il faut bien évidemment la replacer dans le temps et analyser l’ensemble de ses composantes.

Et là, monsieur le ministre, mon avis sera sûrement différent du vôtre. Il ne s’agit pas ici de faire du « déclinisme », mais d’examiner notre position et notre influence de façon objective, réaliste.

En effet, aujourd’hui, qui peut réellement nier que notre capacité à influencer « les affaires du monde » s’estompe sérieusement ?

La première raison, et sans doute la plus importante, tient à la stagnation de notre économie, qui connaît des taux de croissance assez faibles depuis la deuxième moitié des années soixante-dix, et qui subit de plein fouet depuis 2008 la crise économique et financière. Pour prendre l’exemple européen, il est évident aujourd’hui que notre décrochage économique par rapport à l’Allemagne nuit à notre importance dans les institutions européennes et dans le monde. La France compte 121 000 entreprises exportatrices, alors que l’Italie en compte le double, et l’Allemagne le triple !

Je n’aurai malheureusement pas le temps de parler de nos grandes entreprises, qui, les unes après les autres, se font racheter en partie ou totalement par des groupes étrangers, et sont donc de moins en moins françaises : Alstom, le Club Med, Pechiney... Cela contribuera sans aucun doute, à moyen terme, à la perte d’influence de notre pays.

Dans le même temps, nous avons assisté à un développement sans précédent des pays émergents, qui représentent à eux seuls 40 % de la population de la planète et un cinquième du PIB mondial. La multiplication des acteurs mondiaux nous renvoie, hélas, à un rôle de puissance moyenne parmi d’autres.

Par ailleurs, l’Union européenne a quelque peu dilué la parole de la France, qui est souvent obligée de prendre des initiatives plus personnelles pour faire entendre sa voix ou entraîner les autres États derrière elle.

Concernant l’Afrique, il suffit de regarder le montant des investissements chinois pour mesurer à quel point l’influence de la Chine augmente pendant que la nôtre décline. Les parts de marché de l’Hexagone sur le continent sont passées de 16 % en 2000 à 8 % en 2010.

La paralysie de l’ONU dans de nombreux conflits majeurs récents pénalise également notre politique étrangère.

Enfin, le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN en 2009 masque mal notre perte d’indépendance et l’affaiblissement de nos armées ; je salue à cette occasion le professionnalisme remarquable dont elles font preuve malgré des moyens de plus en plus réduits.

Personne ne peut ignorer la corrélation entre la puissance militaire d’un pays et son influence diplomatique. Il suffit, là encore, de mettre en regard le développement économique de certains pays – le Brésil, la Chine ou l’Inde – et l’augmentation de leurs budgets militaires.

Si elle veut garder un rôle international important, la France doit à tout prix sécuriser le budget de la défense, qui ne doit plus servir de variable d’ajustement. C’est d’autant plus nécessaire que, malgré les risques internationaux, l’Europe fait preuve de beaucoup de naïveté.

Pour résumer une question aussi vaste en cinq minutes, je dirai que nous faisons preuve de beaucoup d’« activisme » et de bonne volonté –  c’est tout à l’honneur de notre pays –; mais que l’influence de la France dans le monde est malheureusement en recul. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il semble que les influences que l’on n’arrive pas à discerner soient les plus puissantes. À défaut de pouvoir les saisir, il est possible de les deviner grâce aux indices qu’un récent déplacement en Uruguay m’a permis de retrouver ; je désire vous les faire partager.

À suivre l’image que ce pays nous renvoie de l’influence française, celle-ci – je le dis non sans humour – s’exercerait au travers du béret basque, de l’imprimante 3D et de la loi de séparation de 1905. (Sourires.)

Je commencerai par la loi de séparation. Nous le savons, depuis les philosophes des Lumières et la révolution de 1789, la France est avant tout attendue pour ses idées. Suivant l’exemple français, la laïcité a été reprise dans la plupart des constitutions latino-américaines, dont la constitution uruguayenne de 1917. Je soupçonne Clemenceau, qui fit une tournée en Amérique du Sud en 1910, de ne pas y avoir été totalement étranger.

Cette influence des idées, qui est aussi celle du code civil ou du système éducatif, se retrouve symboliquement dans la devise du Brésil, « Ordre et progrès », inspirée par le philosophe Auguste Comte. Cela signifie que, depuis plus d’un siècle, les élites brésiliennes ont installé dans leurs systèmes de formation des références françaises dans toute une série de domaines.

L’influence de la France est naturellement aidée, on le devine, par la diffusion du français. Cette année, plus de 200 000 élèves étrangers, dans 135 pays, sont scolarisés au sein de nos établissements à l’étranger. Ce réseau unique au monde est un instrument essentiel de notre diplomatie d’influence, puisque les élèves étrangers effectuant leur scolarité dans notre langue, conformément aux valeurs de notre éducation, sont ainsi incités à poursuivre leurs études supérieures en France ; beaucoup d’entre eux deviennent ensuite des décideurs ou des personnes d’influence dans leur pays. Je me souviens ainsi d’un déjeuner officiel offert par le président guatémaltèque, Otto Pérez Molina, ancien élève du lycée Jules-Verne de Guatemala ville, qui se tint en français. Ces anciens élèves et étudiants constituent autant de partenaires naturels pour la France et autant de relais de son influence.

L’Alliance française, la Mission laïque française et l’Institut français contribuent également à notre influence. On peut penser que, si la notion d’« exception culturelle », selon laquelle la culture n’est pas une marchandise, a été reprise lors la réunion du GATT à Marrakech, en 1993, c’est peut-être aussi parce qu’un certain nombre de négociateurs, parlant la même langue, à savoir le français, partageaient les mêmes idées.

Mais l’influence par les idées n’a d’égale que l’influence du béret basque ! (Sourires.) L’Uruguay compte en effet une communauté française originaire du Pays basque et du Béarn. Au XIXe siècle, elle représenta presque 15 % de la population. Il en reste aujourd'hui le béret des gauchos. Cette communauté est à l’image des près de trois millions de Français établis hors de France, qui font vivre quotidiennement, dans leurs pays de résidence, notre langue et nos idées. Ce sont eux qui, directement et au travers de leurs conseillers consulaires – ces nouveaux élus de proximité les représentent localement –, sont nos meilleurs relais, voire nos ambassadeurs, pour reprendre un terme utilisé précédemment.

On le sait, les motifs de l’expatriation sont nombreux. Par leur capacité à tendre des passerelles avec le monde, celles et ceux que j’ai rencontrés repoussent les frontières de la France. Les jeunes actifs se montrent de plus en plus mobiles. Ils constituent une richesse pour notre pays, ainsi qu’une source de compétitivité, notamment à leur retour.

L’expatriation est une liberté, même si certains se plaisent aujourd'hui à la contester ou à la stigmatiser en parlant de « fuite » et d’« exil ». C’est surtout une nécessité pour toute nation ambitieuse aspirant à conquérir de nouveaux marchés. La mobilité internationale des Français est un précieux levier pour le redressement économique de la France.

L’influence française s’incarne également dans l’imprimante 3D développée par quarante ingénieurs français, qu’utilise un jeune entrepreneur français –je l’ai récemment rencontré à Montevideo -, pour produire des drones civils. C’est bien ce dynamisme de la science, récompensé par prix Nobel et médailles Fields, c’est bien ce dynamisme des créateurs autant que des penseurs qui est essentiel à l’influence de la France.

Notre pays doit aussi son influence à la grande qualité de ses professionnels et de son éducation. On trouve des ingénieurs et des chercheurs français dans le monde entier. Ils sont particulièrement compétitifs dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics, des transports et de l’énergie, ainsi que dans l’industrie agronome et agroalimentaire, l’informatique, les télécommunications et les nouvelles technologies.

À l’heure où la France cherche à redresser un déficit commercial de 70 milliards d’euros, qui faisait partie de l’héritage légué en 2012, la présence de Français à l’étranger est une chance pour notre pays. Ce levier de développement économique n’est pas toujours perçu à sa juste valeur.

Certes, mes chers collègues, j’aurais pu rappeler, plus simplement, que la France reste la deuxième économie d’Europe et la cinquième du monde, qu’elle demeure le sixième exportateur mondial de biens, qu’elle est attendue et appréciée à l’étranger, que son image est renforcée par votre action, monsieur le ministre, et surtout que les Français sont présents et actifs dans tous les domaines.

Cependant, il manquerait encore à cette énumération ce qui, selon moi, fait l’influence de la France.

Cette influence n’est pas le fait de l’État ni de quelques-uns, même lorsqu’ils y participent activement. Non, je crois qu’elle est le fait de ceux qui transforment leurs rêves en actions.

C’est pour les encourager et les accompagner que, sous votre impulsion, monsieur le ministre, le Gouvernement s’est attaché, depuis trois ans, à assurer la mise en réseau de tous les acteurs de notre présence afin de démultiplier notre influence.

Sachez que vous pouvez compter sur notre soutien pour vous aider à mobiliser tout notre potentiel dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs et, si vous me le permettez, chers amis, je tiens d’abord à vous remercier d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat sur l’influence de la France à l’étranger. Je remercie également les orateurs de la tonalité de leurs propos, qui ont porté sur le fond et dont je remarque qu’ils n’ont pas été cruels, pour employer une expression qui ne serait pas désavouée par les fonctionnaires du Quai d’Orsay, dont, comme vous le savez, le parler est spécifique. (Sourires.)

Je reprendrai chaque intervention en m’efforçant – j’espère que vous me pardonnerez cette méthode quelque peu schématique – d’en tirer une leçon particulière sur un point particulier, étant entendu que, comme il est naturel, vos observations respectives se sont souvent recoupées.

Je remercie Jacky Deromedi de son intervention. Je m’associe à l’hommage qu’elle a rendu à Lee Kuan Yew, que j’ai bien connu ; cela ne me rajeunit pas… Cet homme tout à fait extraordinaire a vraiment contribué à porter Singapour à son niveau actuel. Ce qui m’a toujours frappé chez lui, c’est sa qualité de visionnaire : parmi les hommes d’État que j’ai rencontrés, c’était l’un de ceux qui avaient la vision la plus juste et la plus tournée vers la prospective, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir le souci du détail et du concret.

Vous avez tous souligné – et ce n’était pas une complaisance de langage – la fierté des Français de l’étranger. Bien entendu, il leur arrive parfois, dans un moment d’égarement, d’être légèrement critiques à l’égard des gouvernements français successifs (Sourires.), mais ils expriment une vraie fierté. Et nous mesurons la force de leur sentiment d’appartenance et l’intensité de leur fierté à chaque fois que nous nous rendons à l’étranger.

Je voudrais rappeler, comme l’ont fait à juste titre beaucoup d’entre vous, que nous n’avons pas assez de Français à l’étranger. Certains soutiennent, en prenant appui sur je ne sais quelle considération fiscale, qui peut exister, que le départ de Français à l’étranger est une catastrophe. Je ne suis absolument pas d'accord. L’un d’entre vous a souligné que, dans un monde globalisé, il était tout à fait normal que beaucoup de Français aillent à l’étranger – beaucoup reviennent ensuite – et que, de la même façon, beaucoup d’étrangers viennent en France ; ils sont les bienvenus lorsqu’ils ont, comme c’est le cas, beaucoup à lui apporter.

Il est donc très important que les parlementaires représentant les Français de l’étranger, et plus largement l’ensemble des parlementaires, redressent la perception que l’on a de la réalité des Français de l’étranger.

Encore une fois, c’est une très bonne chose qu’il y ait beaucoup de Français à l’étranger. Les Français de l’étranger sont nos ambassadeurs dans tous les domaines. Ils sont fiers de ce que fait la France ; laissons de côté les questions d’appartenance politique.

Vous avez d'abord souligné, madame Deromedi – d’autres sénateurs l’auraient sans doute fait si vous ne les aviez pas devancés – notre situation spécifique en matière de défense. Jean-Claude Juncker déclarait récemment sur une radio française – je reprends l’esprit, non la lettre, de ses propos – que la défense européenne était très largement assurée par l’armée française. Au sens propre, ce n’est pas exact, mais la réalité – je le constate lorsque j’en discute avec les uns et les autres –, c’est que tout le monde félicite la France et se félicite de ce que fait la France, sans pour autant en tirer exactement les conséquences financières que l’on pourrait attendre.

Autant le gouvernement français, pour des raisons que chacun comprendra, s’abstient justement d’insister sur cet aspect – cela pourrait être perçu comme une volonté de contourner nos obligations, alors qu’il n’en est rien –, autant il me paraît tout à fait salutaire que les parlementaires cherchent à convaincre leurs groupes respectifs au Parlement européen de la réalité de notre action et s’expriment sur ce sujet. Il est tout à fait vrai que nous assumons des dépenses considérables, que nous consentons des sacrifices considérables, et, disant cela, je pense aux hommes et à leur courage. Cet effort pourrait être davantage reconnu.

Je ne m’attarderai pas davantage sur l’intervention de Jacky Deromedi, mais je tenais à la remercier de ses propos.

Monsieur Pozzo di Borgo, vous avez abordé beaucoup de sujets, mais il en est un sur lequel je voudrais revenir en particulier, car je sais qu’il s’agit d’une interrogation que partagent plusieurs de vos collègues. Je veux parler du bien-fondé de la position que le Gouvernement adopte à l’égard de la Syrie, sujet qui revient dans beaucoup de conversations.

Au préalable, je tiens à vous remercier, monsieur le sénateur, des propos que vous avez tenus sur l’action de la diplomatie française concernant l’Ukraine. Les diplomates français sont sensibles aux compliments, comme d’ailleurs tout un chacun. Sachez que je ne les prends pas pour moi, mais pour eux, et pour le travail remarquable qu’ils font.

Sur la Syrie, nous pouvons avoir des points de vue différents, mais je voudrais expliquer la logique de la position que nous avons prise, et que nous assumons.

C’est une certitude, le groupe terroriste Daesh est d’une dangerosité absolue. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé, avec beaucoup d’autres au sein de la coalition, de le combattre. Nous le faisons notamment en Irak, avec notre aviation, et nous le ferons partout où sa menace s’étend, à savoir sur de nombreux territoires.

En passant, je souligne un paradoxe, qui dit beaucoup sur l’influence de la France : au Nigeria, pays confronté aux attaques redoutables de Boko Haram, ce n’est pas la Grande-Bretagne qui s’est portée au secours des autorités - son Premier ministre vient de dire des choses fort aimables sur la France (Sourires.), auxquelles je ne répondrai pas. Qui a-t-on appelé ? La France ! Cela signifie, comme beaucoup d’entre vous l’ont dit, que l’influence française en matière de politique internationale est reconnue.

Mais revenons à la Syrie. Daesh est un groupe terroriste totalitaire. Comme nous le disions ce matin avec ceux d’entre vous qui étaient présents à la réunion que j’ai animée sur les chrétiens d’Orient, cette organisation ne laisse aux populations que trois solutions : soit vous êtes avec nous, soit vous partez, soit nous vous tuons. Ils ne sortent pas de cette mécanique.

Il est donc tout à fait normal, logique, nécessaire, de participer à la lutte contre Daesh. Encore faut-il le faire dans des conditions efficaces. En Irak, c’est le cas, mais, en Syrie, la situation est plus complexe, car nous considérons qu’il n’y a pas un péril, mais deux. Si nous décidions, comme certains le proposent, de soutenir M. Bachar El-Assad, nous rendrions un signalé service au groupe Daesh.

Pourquoi ?

Il y a d’abord des raisons morales, que, pas plus qu’aucun d’entre vous, je n’écarterai d’un revers de la main, même s’agissant de politique internationale. Non pas que la morale puisse dicter tous nos choix : si nous ne devions discuter qu’avec les grands démocrates, le ministre des affaires étrangères aurait beaucoup de loisirs…

Mais il y a aussi des limites à soutenir un dirigeant qualifié par le secrétaire général des Nations unies, homme mesuré s’il en est, de « criminel contre l’humanité », un dirigeant qui, ne l’oublions pas, à partir d’une révolte de quelques jeunes en Syrie, a agi de telle manière qu’aujourd’hui il y a plus de 200 000 morts et des millions de personnes déplacées, un dirigeant, enfin, qui a utilisé l’arme chimique et qui est à l’origine de la création de Daesh, puisque c’est en libérant des prisonniers qu’il a favorisé le terrorisme.

Indépendamment donc de la morale, soyons pragmatiques et recherchons l’efficacité. Qui peut croire que, si nous mettions sur le pavois M. Bachar El-Assad en personne, la population syrienne, dans sa majorité, se rallierait à celui qui est le premier assassin de son peuple ?

Je le répète, une telle solution serait un signalé service à l’égard des groupes terroristes. Vous me répondrez : si ce n’est ni Bachar El-Asssad ni Daesh, qui donc ?

Tel est précisément l’objet de la recherche de la solution diplomatique à laquelle nous travaillons de façon à la fois ouverte et, chacun le comprendra, plus discrète, avec les Russes, avec l’envoyé spécial des Nations unies, M. de Mistura, avec les populations arabes, et aussi, je le dis à cette tribune, avec des éléments du régime de M. Bachar El-Assad. Nous voulons en effet éviter, et les représentants des chrétiens partagent ce sentiment, que l’État syrien, ou ce qu’il en reste, ne s’effondre, comme ce fut le cas dans le passé avec l’Irak, situation catastrophique à laquelle nous ne souhaitons pas aboutir.

Nous tentons donc d’établir une distinction, ce qui n’est pas facile, d’autant que nous ne pouvons pas parler de manière ouverte. En effet, si nous avouons négocier avec M. X ou avec M. Y, peu de jours s’écouleront avant que la personne n’ait disparu. Mais c’est bien la direction que nous empruntons, sur la base de Genève I, pour une formule incluant des éléments de l’opposition et des éléments du régime, ce que l’opposition modérée reconnaît dorénavant, étant observé que le point commun de tous les interlocuteurs doit être la reconnaissance de la diversité des communautés et de la nécessité de garanties pour chacune d’entre elles.

C’est évidemment très compliqué, mais il nous semble que c’est le chemin, indépendamment de l’aspect moral, qui permettra, nous l’espérons, d’aboutir.

Je ne veux pas être plus long, même si ce qu’a dit M. Pozzo di Borgo mériterait bien d’autres développements. Je voulais reprendre ce point, car j’entends bien l’argument qui monte dans l’opinion publique : Daesh et Bachar El-Assad sont horribles, mais prenons le moins horrible. Non ! L’un et l’autre sont l’avers et le revers d’une même médaille.

Monsieur Duvernois, vous avez également abordé beaucoup de sujets, et je vous en remercie. À mon sens, vous avez dessiné les contours du concept de « diplomatie globale ». Quand je regarde ce que nous essayons de faire, c’est ce concept qui me vient à l’esprit.

Pendant très longtemps, la diplomatie a été essentiellement stratégique. Sans remonter même à Talleyrand, si nous prenons les grands et moins grands ministres des affaires étrangères de la Ve République, nous constatons que l’essentiel tenait dans la stratégie. C’est ce qui était demandé à la fois aux ministres et aux ambassadeurs.

Aujourd’hui, le contexte est différent. Bien sûr, l’aspect stratégique compte toujours, mais n’est pas Metternich qui veut…

Alors, certes, vous l’avez suffisamment souligné, la France n’est pas la première puissance du monde. En passant, je vous conseille de ne pas trop insister sur le classement actuel de la France, notamment en matière économique, car, de toutes les manières, si vous vous projetez dans le temps, l’Inde, le Brésil, ou d’autres pays, ne resteront pas à la place où ils se trouvent aujourd’hui. Le classement évoluera donc certainement.

Cependant, la France est singulière, car elle peut, elle, jouer sur l’ensemble de la palette.

Il y a d’abord la dimension stratégique. À cet égard, nous pouvons remercier le général de Gaulle d’avoir fait de notre pays un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Sur 195 pays, il n’y en a que cinq dans ce cas, qui peuvent lever ou baisser le pouce. On peut trouver cela injuste, mais c’est ce qui a été décidé à l’issue de la guerre.

Nous sommes donc une puissance singulière, avec des moyens militaires que, comme vous l’avez rappelé, nous n’hésitons pas à utiliser, le cas échéant, alors que les théories à la mode actuellement sont que la politique extérieure n’a pas besoin de défense, laquelle n’a pas besoin de moyens militaires. Ce n’est évidemment pas la théorie de la France, ni sa pratique.

Nous avons aussi une langue, des principes, une histoire, une économie, des sciences. Nous avons beaucoup entendu parler du déclin français l’an dernier – c’est moins le cas aujourd’hui. Lorsque je m’adressais à des compatriotes à l’étranger, je disais avec humour qu’ils ne devaient pas oublier que la France avait obtenu le prix Nobel de littérature, la médaille Fields de mathématiques et le prix Nobel d’économie. Pour une nation en déclin…

Je le disais d’autant plus volontiers que le Gouvernement, reconnaissons-le, n’a qu’une faible responsabilité dans l’obtention de ces prix.

Nous sommes donc une puissance globale, avec des atouts nouveaux, auxquels nous n’aurions pas pensé autrefois, et qui peuvent faire sourire. Ainsi, plusieurs d’entre vous ont parlé du tourisme et de la cuisine, ce en quoi ils ont eu tout à fait raison. La gastronomie est un élément important de notre rayonnement.

Nous pourrions également parler du sport : les jeux Olympiques et les grandes compétitions internationales sont des éléments de puissance universelle.

Vous le voyez, nous avons la totalité de la palette à notre disposition, et je demande à nos diplomates d’en jouer. Il n’y a pas beaucoup de pays qui peuvent en faire autant.

Pourquoi, en ce moment, la France a-t-elle une influence peut-être plus grande qu’elle même, si je puis dire ? Il y a à cela des raisons structurelles et d’autres qui le sont moins.

Pour ce qui est des raisons structurelles, je vais me référer à un concept, avec lequel j’ai déjà ennuyé beaucoup d’entre vous. Il est, certes, un peu schématique, mais il permet de clarifier la pensée.

À l’issue de la guerre, le monde est bipolaire, avec l’URSS et les États-Unis : ce sont eux qui font la loi, et, lorsqu’il y a une crise, ils la règlent entre eux, même s’ils sont ennemis ; ils sont adversaires et en même temps amis.

Ensuite, pendant quelques années après la chute du mur de Berlin, le monde est unipolaire : les États-Unis font la loi, car ils sont la seule grande puissance sur le plan technologique, culturel, militaire, etc.

Aujourd’hui, en schématisant un peu, je dirai que nous sommes dans un monde apolaire ou « zéropolaire », c’est-à-dire qu’aucune puissance, ni à elle seule ni en s’alliant avec une autre, ne peut résoudre toutes les crises.

Or nous voulons aller vers un monde multipolaire organisé, objectif que nous avons en commun avec beaucoup d’autres nations. Pour le moment, ce n’est pas le cas, et c’est la raison pour laquelle les crises ont tant de mal à se résoudre. Voilà deux ou trois décennies, la crise syrienne n’aurait pas duré quatre ans, et nous n’aurions pas à constater une évolution qui tourne, comme au Yémen, à l’affrontement sunnites-chiites, Iran-Arabie Saoudite, Al-Qaida - Daesh, ou que sais-je encore…

Dans ce monde apolaire, la France, puissance globale, a donc une influence plus forte qu’elle-même.

Monsieur Duvernois, vous avez exprimé cela d’une autre manière, tout en rappelant qu’une loi de 2010 avait créé l’Institut français, ce qui est tout à fait exact.

À ce sujet, je voudrais vous présenter en passant un des objectifs que nous sommes en train d’atteindre : je souhaite que, dans chaque domaine de la compétence extérieure de l’État, et lorsque c’est nécessaire, il y ait un seul opérateur.

C’est ce que nous avons fait avec Business France. Il y avait avant plusieurs opérateurs, l’un pour l’exportation des PME, l’autre pour les investissements étrangers, l’AFII. Nous avons tout regroupé, et, avec les dirigeants que nous avons nommés, qui peuvent compter sur la détermination des leurs collaborateurs, nous commençons à enregistrer des progrès, notamment s’agissant du nombre d’exportateurs.

Nous pouvons faire les mêmes constats pour l’Institut français et pour l’expertise. Avant, chaque ministère avait sa petite expertise, ce que certains d’entre vous ont connu. C’était commode, à divers égards, mais, lorsque nous avions à faire face à l’expertise allemande, nous ne faisions pas le poids. Ce n’est plus le cas : grâce à vous, et je vous en remercie, nous avons créé au 1er janvier une expertise, au travers de Campus France.

Donc, pour chaque domaine d’action, nous avons dorénavant un opérateur, ce qui permet de clarifier les choses.

Madame Pérol-Dumont, vous avez été assez incisive, suscitant quelques remarques sur telle ou telle travée. Je ne dirai pas, comme l’autre, du passé faisons table rase, car il ne faut jamais procéder ainsi, mais je reconnais qu’il y a eu des évolutions.

Prenons un exemple qui n’est pas polémique : la façon dont le Président de la République parle de l’Afrique et agit sur ce continent n’est pas la copie conforme de celle de son prédécesseur… En même temps, ce n’est pas non plus le jour et la nuit sur tous les plans.

En ce qui nous concerne – le Président de la République, le Premier ministre et moi-même –, nous nous fixons quatre objectifs, et, à chaque fois que nous avons une décision à prendre, nous essayons de la rapporter à ces objectifs. Sinon, face aux nombreuses crises internationales, nous risquerions, dans notre politique étrangère, de tomber dans l’anecdote ou dans le pointillisme.

Nous devons adopter une vision d’ensemble et, à cette fin, nous assignons quatre objectifs principaux à notre action. Permettez-moi de les rappeler.

Premier objectif : la paix et la sécurité. La paix n’est pas le pacifisme, car il faut parfois recourir à la force, malheureusement. Cela étant, chaque fois qu’un conflit se présente, nous nous demandons ce que la France doit faire pour aller dans le sens de la paix et de la sécurité.

C’est cette considération qui nous a déterminés dans le cas de l’Ukraine, ce qui ne veut pas dire que la solution ait été trouvée, car la situation reste très fragile, notamment ces derniers jours. Nous avons pensé, alors que la Russie et l’Ukraine ne se parlaient plus, qu’il incombait à la France d’essayer, avec l’Allemagne, de rétablir le lien entre ces deux pays. Les accords de Minsk 2 n’auraient évidemment pas été conclus sans cette médiation.

Deuxième objectif : la planète, envisagée à la fois sous l’angle de son organisation – globale, avec l’ONU, mais aussi régionale, avec l’Union africaine, par exemple – et de sa préservation. Deux d’entre vous ont abordé ce sujet en évoquant la COP 21, qui va être la grande affaire diplomatique de ce quinquennat.

Pour le moment, cette conférence semble encore lointaine, puisqu’elle doit se tenir à la fin de l’année. Nous travaillons tous à son succès, que je ne peux pas actuellement vous garantir, puisqu’il faudrait, sur un sujet aussi difficile, obtenir que les 196 parties lèvent ensemble la main pour dire « oui » à l’issue de leurs travaux ! Personne ne pourrait le garantir, mais cette unanimité reste notre objectif, vraisemblablement le plus important au regard de l’histoire, parce que la question qui est posée, sans employer de grands mots, consiste à savoir si l’humanité va encore pouvoir vivre correctement sur la planète.

Troisième objectif : l’Europe. Il en a malheureusement été peu question aujourd’hui, et c’est peut-être significatif, mais la relance et la réorientation de l’Europe - car nous ne séparons pas ces deux aspects - sont, certes, un objectif difficile à atteindre, mais restent une préoccupation permanente.

Enfin, le quatrième objectif est le redressement et le rayonnement de la France, notamment dans le domaine économique, mais pas uniquement.

Chaque fois que nous devons prendre une décision, nous essayons de la rapporter à l’un de ces quatre objectifs.

Mme Aïchi a évoqué, en particulier, la COP 21, ce dont je la remercie. En effet, comme je le disais à l’instant, il s’agit de la première tâche de la diplomatie française. Lorsque vous vous rendez à l’étranger, je pense que vous pouvez constater que la préparation de cette conférence est devenue une dimension importante de la mission de nos ambassadeurs.

Si la présidence de la France peut apporter un plus – il n’est pas question d’imposer nos vues, car le rôle de la présidence est d’écouter chacun, susciter des synthèses et des compromis et maintenir un niveau d’ambition suffisant –, c’est grâce à son réseau diplomatique et à son expérience de la négociation, beaucoup de mes interlocuteurs étrangers me le disent. Si la présidence de cette conférence a été confiée au ministre des affaires étrangères, c’est parce que son rôle même consiste à trouver des accords ; en revanche, la position de la France sera défendue, comme le veut la logique, par sa ministre de l’écologie.

Enfin, Mme Aïchi a également souligné, ce dont je la remercie, le caractère nécessaire de notre décision de renforcer notre présence en Asie et en Afrique notamment, parce qu’il a fallu adapter notre réseau diplomatique à la réalité du monde d’aujourd’hui, comme il faudra le faire pour le monde de demain.

M. Billout, dans une intervention très maîtrisée, s’est interrogé sur la notion même d’influence. S’il avait disposé de plus de temps, il aurait sûrement abordé une série d’autres sujets, mais il a centré son intervention sur la question des moyens financiers, qu’il juge insuffisants, ce qui nous renvoie à nos discussions budgétaires.

Sans manquer à la solidarité gouvernementale, mais sans vouloir paraître non plus manquer de lucidité, je me dois de constater que les moyens nous sont mesurés. Compte tenu de nos contraintes budgétaires, l’action devient très difficile dans certains secteurs. Comme on le dit familièrement, on ne peut pas aller « au-delà de l’os » – quand on s’approche de l’os, la situation devient déjà dangereuse !

Quoi qu’il en soit, nous avons les moyens de travailler, mais il faut évidemment rechercher beaucoup plus d’efficacité et améliorer notre organisation. Je reconnais que cette contrainte est forte.

M. Billout a également évoqué la question de l’aide au développement : si nos chiffres n’atteignent pas le niveau qui pourrait être le leur dans une période plus prospère, la France reste malgré tout un des grands apporteurs d’aide, et c’est nécessaire.

Enfin, M. Billout, comme la plupart des autres orateurs, a bien voulu souligner nos efforts en matière de diplomatie économique et de tourisme.

M. Hue a insisté, en particulier, sur la priorité que nous accordons à l’Afrique, et je sais qu’il est très attaché à ce continent. Il nous aidera à développer nos relations économiques avec un pays qu’il connaît très bien, l’Afrique du Sud, ce dont je le remercie. Il a souligné à juste titre tout ce que nous faisions, en Ukraine, au Mali, en Irak et en Centrafrique, et rappelé que les événements dramatiques que nous avons vécus en janvier avaient révélé une solidarité mondiale extraordinaire.

Il est vrai que la France est ce pays singulier qui, touché par un drame tel que celui que nous avons vécu, voit cinquante chefs d’État et de gouvernement répondre présent et se rassembler dans les rues de sa capitale. C’est une singularité de la France - elle n’est pas liée au gouvernement actuel, ce serait absurde de le prétendre -, qui témoigne de la place spécifique de notre pays dans la conscience mondiale.

Mme Garriaud-Maylam a abordé de nombreux sujets, notamment la défense de nos valeurs et le décalage constaté entre la morosité intérieure et l’estime extérieure.

M. Daniel Reiner. C’est vrai !

M. Laurent Fabius, ministre. C’est effectivement ce que l’on observe ! Essayons donc de pencher plutôt du côté de l’estime…

Mme Garriaud-Maylam a également évoqué la réunion que j’ai prévu d’organiser vendredi prochain au Conseil de sécurité de l’ONU, présidé par la France ce mois-ci, et dont j’espère qu’elle débouchera sur des résultats.

Répondant à la demande de nombreux responsables, j’ai en effet souhaité organiser un débat, en présence du secrétaire général des Nations unies, sur la situation des minorités au Moyen-Orient, en particulier celle des chrétiens.

Je recevais ce matin un certain nombre d’hôtes au Quai d’Orsay pour préparer ce débat et je compte intervenir sur le refus de toute impunité pour ces criminels et sur la démarche à engager devant la Cour pénale internationale. L’idée a été émise ce matin – même si elle ne peut pas trouver une traduction immédiate, vous l’approuverez certainement – de considérer que le « génocide culturel » doit pouvoir être retenu parmi les éléments permettant de qualifier les crimes contre l’humanité. La France va essayer de faire bouger les lignes dans ce sens, même si la tâche est très difficile.

Mme Khiari a soulevé la question du tourisme. Permettez-moi de vous livrer quelques chiffres qui me paraissent intéressants, dans ce domaine.

En 2014, nous avons délivré 2,8 millions de visas, soit 300 000 de plus qu’en 2013, ce qui représente une augmentation de 12,4 %. La Chine est devenue le premier pays d’origine, avec une augmentation de 57 %. Nous avons décidé de délivrer nos visas en 48 heures non seulement en Chine, mais aussi en Inde, en Afrique du Sud et dans les pays du Golfe ; des centres délocalisés ont été ouverts pour faciliter les démarches.

Pour les deux premiers mois de 2015, on m’indique que les demandes de visas touristiques sont en forte augmentation. Si la tendance devait se maintenir, ce serait un objet de satisfaction, car on aurait pu craindre que les événements de janvier n’aient une incidence sur la fréquentation touristique, même si ce phénomène ne doit pas être exclu dans certains secteurs.

Les demandes de visa depuis la Chine ont augmenté de 65,5 % – c’est un chiffre à la dimension de ce pays-continent ! – et depuis l’Inde de 38,41 %. Les délais de prise de rendez-vous restent inférieurs à cinq jours dans la plupart des postes.

J’accorde une attention particulière à ces sujets, parce que, si l’on veut développer le tourisme – une mine d’or pour la France, tout le monde en convient –, il faut commencer par améliorer la délivrance des visas, puis les dessertes aériennes, l’accueil dans les aéroports, l’hôtellerie et la diversité d’offre de nos régions. Paris et l’Île-de-France constituent une région-capitale magnifique, mais il faut que les touristes étrangers et français puissent découvrir la diversité de nos régions, qui font toutes de gros efforts.

La France pourra alors passer de 85 millions à 100 millions de touristes accueillis chaque année.

En tout cas, nous prenons vraiment toutes les dispositions pour y parvenir. Le Premier ministre et le Président de la République ont bien voulu accepter ma demande de rattachement du tourisme au Quai d’Orsay. Même si je n’ai pas à disposer pour la suite, dans une trentaine d’années, quand je ne serai plus ministre des affaires étrangères (Sourires.), je pense que ce lien entre le ministère des affaires étrangères et le tourisme est vraiment utile puisqu’il pousse les ambassadeurs à s’investir dans ce domaine.

Monsieur Fournier, je vais vous décevoir parce que non seulement je souscris aux compliments que vous avez formulés, mais aussi je conviens des faiblesses que vous avez dénoncées, même si je les exprime un peu différemment. En effet, un pays ne peut pas conjuguer – en tout cas, pas sur le long terme –une diplomatie forte et une économie faible. Cela étant, il faut avoir le sens des proportions et garder en tête que, dans le monde, 190 pays ont une économie moins forte que la nôtre.

J’ai été ministre de l’économie et des finances au début des années deux mille. Revenu au Gouvernement, je me suis aperçu que notre industrie avait vraiment beaucoup décliné – un recul qui se traduit dans les chiffres et dans la valeur ajoutée. Il faut faire le maximum pour essayer de la redresser. La tâche est compliquée, mais elle nous donne un objectif commun, et nous avons d’ores et déjà pris des initiatives en ce sens, en matière de filières prioritaires et de financement de l’export, notamment.

Nous devons prendre garde, cependant, à ne pas nous faire piéger par notre propre raisonnement. Il est à la fois regrettable et tout à fait normal que la part relative de la France dans certains secteurs commerciaux s’atténue, puisque la Chine, l’Inde et d’autres pays sont en train de gagner des parts de marché. S’il faut donc essayer de progresser en valeur absolue, il est très difficile de relever le défi en valeur relative.

Je sillonne le monde et j’admets que la France puisse, dans tel ou tel domaine, être dépassée par un autre grand pays. Il n’y a en revanche aucune raison de céder du terrain au profit d’un concurrent de taille moyenne ou petite !

Donc, je vous rejoins tout à fait, monsieur le sénateur, sur le fait qu’il y a là de gros efforts à consentir.

Quant à l’Union européenne, nous souhaiterions en effet qu’elle soit plus présente à nos côtés dans l’exécution de certaines tâches.

Mme Conway-Mouret a évoqué l’influence sur les élèves de la laïcité, de la technologie, des sciences, des prix Nobel… Elle a tout à fait raison et nous envisageons d’ailleurs de faire une campagne sur ce thème.

Ce qui caractérise le mieux la France, c’est la créativité, car cette notion transversale reflète la vérité de notre pays dans différents domaines, qu’il s’agisse des arts, de la littérature, des sciences, de l’ingénierie, ou encore de l’économie.

Parce que nous sommes perçus ainsi, c’est autour de ces notions d’excellence et de créativité que nous devons, en évitant le détestable travers de l’arrogance, essayer de développer l’influence de la France, non seulement en quantité, si je puis dire, mais aussi en qualité, sachant, comme l’a dit excellemment Mme Conway-Mouret, que l’influence vient, en définitive, non pas de telle ou telle décision gouvernementale, mais des acteurs du développement eux- mêmes.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais dire en vous remerciant vraiment beaucoup non seulement des propos que vous avez tenus au cours de ce débat, mais aussi du soutien permanent que cette assemblée apporte aux diplomates et à moi-même.

Je veux le redire à cette tribune, nous savons que la politique, au sens général du terme, peut nous exposer à telle ou telle critique, mais le fait de recevoir le soutien des sénateurs de ce beau pays qu’est la France compte beaucoup pour nous. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Je vous remercie à mon tour, monsieur le ministre.

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur l’influence de la France à l’étranger.

5

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux projets de loi

Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et l’Ukraine, d’autre part, déposé sur le bureau du Sénat le 25 mars 2015.

En application du même article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer, déposé sur le bureau du Sénat le 25 mars 2015.

6

Communication du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 25 mars 2015, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 115–3 du code de l’action sociale et des familles (Interruption pour non-paiement des factures de la distribution d’eau) (2015-470 QPC).

7

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 30 mars 2015, à seize heures et le soir :

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, renforçant la lutte contre le système prostitutionnel (n° 207, 2013-2014) ;

Rapport de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission spéciale (n° 697, 2013-2014) ;

Texte de la commission (n° 698, 2013-2014).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures quinze.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART