M. Christian Cambon. Très bien !

M. Jacques Gautier. Si la sécurité des Français est votre priorité, elle requiert un effort de la nation en faveur de la défense et de l’intérieur. Il ne saurait y avoir de reprise économique, de recul du chômage, d’avancée sociale, de culture ou de développement durable sans la sécurité de tous les Français. Nous savons que l’engagement des forces doit s’exercer sur notre territoire national, mais aussi loin de nos frontières, afin d’empêcher la pieuvre djihadiste qu’est Daech de déstabiliser des régions entières, et de projeter vers l’Europe des terroristes, via notamment le retour de combattants étrangers formés au Yémen, au Sahel ou au Levant.

Dans trois mois, monsieur le ministre, vous présenterez l’actualisation de la LPM, devenue absolument nécessaire au regard de ces menaces.

Vous avez indiqué les cinq grandes réorientations qui devraient être opérées dans le cadre de cette actualisation.

Premièrement, il s’agit de revoir la trajectoire des effectifs et d’intégrer le nouveau modèle de l’armée de terre, intitulé « Au contact », que le général Bosser vient de vous présenter. Des crédits, nouveaux et complémentaires, devront donc être affectés à cette priorité.

Deuxièmement, vous souhaitez renforcer, selon nous à juste titre, certaines priorités fixées en 2013. Parmi celles-ci, vous citez les moyens de renseignement techniques et humains, le volet « cyber » de notre stratégie et l’importance des forces spéciales.

À ce sujet, Gérard Larcher, Daniel Reiner et moi-même avons montré dans notre rapport sur le sujet que la montée en puissance du commandement des opérations spéciales, le COS, – il passera de 3 000 à 4 000 hommes – ne suffisait pas si elle n’était pas accompagnée de livraisons d’équipements individuels et collectifs. Il faut donc consacrer un budget supplémentaire, fût-il modeste, pour doter en urgence nos forces spéciales du matériel dont elles ont besoin.

De même, il faut simplifier les procédures, toujours trop longues et trop administratives, en faveur de l’homogénéisation et de l’homologation des équipements et matériels des forces spéciales – et cela ne coûte rien ! La fourniture de ces matériels, pourtant limités en nombre, devrait se voir appliquer des procédures simplifiées du code des marchés publics. La solution pourrait passer par un abondement d’une dizaine de millions d’euros, somme ridicule, dont le COS dispose pour les préparations et les équipements d’urgence.

Vous évoquez, monsieur le ministre, l’effort réalisé dans le domaine de l’intelligence-surveillance-reconnaissance, l’ISR, avec l’acquisition d’un troisième Reaper, la commande de trois autres, et le lancement d’études pour le futur drone européen à l’horizon 2025, avec l’Allemagne et l’Italie. Des crédits doivent être affectés à cette recherche et développement ; les industriels les attendent.

À ce sujet, il serait temps que le ministère de l’intérieur comprenne l’importance des drones pouvant être utilisés au-dessus du territoire national. Ce type de matériel existe « sur étagère » ; Beauvau doit maintenant les acquérir.

Troisièmement, vous entendez faire porter un effort plus marqué sur les équipements majeurs de nos forces et sur notre politique industrielle. Je ne peux que m’en réjouir. Vous me permettrez, monsieur le ministre, de saluer au passage votre engagement personnel pour l’exportation de nos matériels militaires.

Quatrièmement, vous voulez, selon vos propres termes, « crédibiliser et sanctuariser les ressources financières nécessaires à la LPM ». C’est là un vrai défi !

Dès la fin de l’année 2014, cela a été dit, il vous a fallu inventer les sociétés de projet pour pallier l’absence des 2,2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles. Vous le savez bien, cela devrait être encore le cas en 2016 et en 2017, d’autant que Bercy, dans le triennal et le projet de loi de finances pour 2015, a ajouté 1,8 milliard d’euros de REX sur la période, en remplacement de vrais crédits budgétaires.

Bercy va encore vous faire le coup, monsieur le ministre, en invoquant la faible inflation, la baisse du prix des carburants, le report des versements ou les économies provoquées par les ventes de FREMM – frégates européennes multimissions – ou de Rafale !

Cela n’est pas acceptable. Nos armées, non seulement l’armée de terre, mais aussi l’armée de l’air et la marine, sont en surchauffe ; on ne peut ni réduire leurs effectifs, ni toucher aux crédits d’entraînement, déjà insuffisants, ni faire des économies dans le secteur du maintien en conditions opérationnelles – MCO –, déjà sinistré.

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

M. Jacques Gautier. Quant au remplacement de nos équipements, il ne peut plus attendre. Nous sommes arrivés, vous le savez, au bout du bout.

Les armées ont besoin, au minimum, de 3 milliards d’euros supplémentaires sur les trois ans qui viennent, faute de quoi l’édifice de la LPM s’écroulera.

Compte tenu du temps limité dont je dispose, je ne pourrai évoquer ni le service militaire adapté, ni la réserve opérationnelle, ni le droit d’association.

En revanche, je voudrais insister sur la nécessité pour les pays européens de développer la coopération et la mutualisation, notamment sur le plan opérationnel. À Riga, vous avez plaidé en ce sens, monsieur le ministre ; il vous faudra enfoncer le clou au mois de juin prochain.

L’Union européenne ne doit pas avoir peur d’affirmer son sens stratégique, y compris en matière budgétaire. (Mme Nicole Bricq acquiesce.) La règle des 3 % doit être modulée en tenant compte d’une partie des dépenses militaires. Le coût des opérations extérieures et celui des investissements pour la défense pourraient ainsi être exclus des calculs de la Commission européenne.

Vous l’avez compris, monsieur le ministre, je suis, nous sommes à vos côtés pour l’actualisation de la LPM. Mais, au-delà des déclarations et des engagements, il est nécessaire d’intégrer, dès ce rendez-vous, les moyens budgétaires complémentaires qui font défaut à nos armées Cela nécessitera un engagement total du Président de la République, chef de nos armées et responsable de la sécurité des Français. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – Mme Hélène Conway-Mouret et M. Jeanny Lorgeoux applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, du 11 septembre 2001 aux derniers attentats de Sanaa, du Waziristan au Mali, en passant par le Levant, en tout lieu, en tout temps, le terrorisme frappe et fait fi des frontières.

Nous l’avons malheureusement subi sur notre territoire lors des attentats du mois de janvier, qui ont endeuillé la nation, mais aussi révélé sa capacité de résilience. Les décisions ont alors été prises pour renforcer la sécurité de nos concitoyens.

Cette menace n’est, hélas ! pas une surprise pour nous. Les Livres blancs de 2008 et de 2013 évoquaient les risques. En revanche, l’acuité du problème et la nécessité de protéger nos concitoyens imposent d’anticiper l’actualisation de la LPM, que nous avions sagement prévu, à l’article 6, de réaliser avant la fin de l’année 2015. Je constate que le groupe UMP a souhaité « anticiper l’anticipation », en sollicitant ce débat.

Monsieur le ministre, dès le mois de janvier, vous annonciez devant notre commission des affaires étrangères et de la défense que l’actualisation interviendrait avant l’été, afin « d’adapter notre analyse, nos contrats opérationnels et notre réponse capacitaire au nouveau contexte ».

J’aborderai principalement les effectifs et la sanctuarisation budgétaire. Ces deux questions sont évidemment liées et elles sont cruciales pour l’avenir de notre sécurité.

À propos des effectifs, le Livre blanc de 2013 énonçait : « L’engagement des armées en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile en cas de crise majeure pourra impliquer jusqu’à 10 000 hommes des forces terrestres ».

Pour rappel, l’opération Sentinelle prévoit le déploiement de plus de 10 000 militaires, pas seulement des forces terrestres d’ailleurs, afin de protéger près de 700 sites en France métropolitaine et outre-mer. Cette opération s’ajoute aux OPEX, où plus de 10 000 hommes sont actuellement engagés. On voit là l’imbrication des sécurités extérieure et intérieure, clairement établie par les Livres blancs de 2008 – et cela n’allait pas, alors, totalement de soi – et de 2013.

Cela justifie en tout point la nécessité de continuer à lutter contre le terrorisme à l’extérieur. C’est de ce continuum complexe que naissent les risques d’attentats sur nos territoires. Dès lors, il devient impossible d’envisager de baisser la garde à l’extérieur pour se recroqueviller, si l’on peut dire, sur la seule protection de notre territoire national.

D’ailleurs, dès la mise en place de l’opération Sentinelle, le Président de la République a pris la mesure de cette tension sur les effectifs en annulant la suppression de 7 500 postes, décidant ainsi de ralentir la tendance baissière des effectifs. Depuis lors, il a autorisé l’armée de terre à augmenter ses effectifs jusqu’en 2017, à hauteur de 11 000 hommes.

Cette revue nouvelle des effectifs ainsi qu’une montée en puissance des composantes renseignement, cyberdéfense et réserve opérationnelle – qu’on oublie trop souvent – permettront aux armées françaises d’honorer les contrats opérationnels qui s’imposent tant à l’extérieur que sur le territoire national. Mais il faut tout de même se souvenir que le Livre blanc de 2008 avait programmé 54 000 suppressions d’emplois quand celui de 2013 n’en prévoyait « que » 24 000 ; bien sûr, compte tenu du contexte, ce sera finalement beaucoup moins.

Ainsi que Jacques Gautier vient de le souligner, cette décision aura évidemment des conséquences budgétaires. Il faudra les évaluer dans l’actualisation. Mais la sécurité de nos concitoyens sur le territoire national comme à l’extérieur impose cet effort supplémentaire.

Subsiste donc la nécessité de lever le verrou budgétaire qui pèse, telle une épée de Damoclès, au-dessus de nos armées. Nous devons éviter les errements que de précédentes lois de programmation ont connus.

Deux éléments devraient permettre aujourd’hui de « sanctuariser » le budget à court terme, selon la volonté du Président de la République.

Le premier, et c’est un motif de satisfaction, concerne nos derniers succès à l’exportation – vous en avez pris votre part, monsieur le ministre –, notamment, outre le marché pour le Liban, la fourniture d’équipements majeurs à l’Égypte. Vous avez rappelé au cours de votre dernière conférence de presse que la LPM reposait sur la réussite de contrats d’exportation. L’un d’entre eux concernait l’avion de combat Rafale. Or la vente de vingt-quatre appareils à l’Égypte permettra de respecter la cible de la LPM en fournitures de Rafale aux forces aériennes tout en maintenant l’activité des chaînes de montage à hauteur de l’engagement ancien de l’État, dont nous avons hérité, vis-à-vis de l’entreprise. Si nous concluons d’autres contrats, l’étau se desserrera naturellement, et nous pourrons affecter d’autant mieux les moyens ainsi dégagés aux autres forces.

Le second élément est le point qui fait débat entre nous ; il s’agit évidemment de la question des sociétés de projet.

Dès 2012, le budget de la défense a été sanctuarisé à 31,4 milliards d’euros. Et ce n’était pas si simple ! Depuis, nous avons, bon an mal an, réussi respecter la trajectoire fixée par la LPM. Je conteste donc qu’il manque un milliard d’euros, comme cela a été affirmé tout à l’heure.

La contraction des crédits budgétaires de défense a été compensée par un recours accru aux recettes exceptionnelles. La construction budgétaire de cette année repose évidemment sur plus de 2 milliards d’euros de recettes exceptionnelles. En l’absence de crédits, votre ministère n’a pas trouvé d’autres solutions que la création de sociétés de projet.

Cette question sera débattue ici même dans les semaines qui viennent, lors de l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Il s’agira de lever les obstacles juridiques pour pouvoir créer ces sociétés. D’ailleurs, il n’est pas impossible que celles-ci soient par la suite fort utiles, en mobilisant des capitaux privés, pour répondre à une demande à la fois des industriels et de pays potentiellement importateurs.

La décision a été prise et arbitrée au plus haut niveau de l’État, et les moyens nécessaires seront affectés. En outre, il est prévu à l’article 3 de la LPM que des ressources manquantes peuvent être intégralement compensées par « d’autres recettes exceptionnelles», parmi lesquelles des « produits de cessions additionnelles de participations d’entreprises publiques ».

À présent, je vais vous livrer le fond de ma pensée. Depuis quelque temps déjà, nous connaissons des difficultés à trouver des recettes pour équilibrer le budget de la défense. Sur toutes les travées, chacun s’accorde à reconnaître la gravité des menaces et sur la nécessité impérieuse pour ce gouvernement d’assurer la protection de nos concitoyens. Le caractère aléatoire des recettes exceptionnelles contraste notablement avec cette impérieuse nécessité.

L’année prochaine, nous serons confrontés une fois de plus à ce caractère aléatoire et incertain. Il en sera peut-être de même en 2017. Certes, il y a toujours eu des recettes exceptionnelles prévues dans les LPM. Les produits de cessions immobilières ont, bon an mal an, permis d’abonder pour partie cette ligne. Le programme d’investissements d’avenir auquel la défense a eu recours l’an passé, en en respectant bien la lettre et l’esprit et en en faisant bénéficier le Commissariat à l’énergie atomique et le Centre national d’études spatiales, l’a également permis. Mais nous le savons tous ici, la cession de fréquences hertziennes a peu de chances d’être réalisée cette année.

Il devient évident que ce caractère aléatoire, qui porte à la fois sur le montant des recettes en question et sur le calendrier de leur mobilisation, ne peut plus convenir à un budget « sanctuarisé » comme celui de la défense.

En conséquence, la simple logique voudrait que le budget de la défense soit abondé uniquement par des crédits budgétaires, des crédits sûrs, tant en valeur qu’en délais. (M. Jacques Gautier applaudit.) Je crois savoir qu’une réflexion sur ce sujet est en cours, y compris au sein du ministère de l’économie et des finances.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Reiner. Je propose de passer aux actes dès 2016 et de réorienter les recettes exceptionnelles vers d’autres budgets qui pourraient éventuellement en supporter le caractère plus aléatoire.

Il n’est plus temps de se perdre continuellement dans de longs débats et arguties budgétaires. Le sujet est trop grave. Cela finit par nuire à la sérénité nécessaire au fonctionnement de l’ensemble de notre appareil de défense, institutionnel, militaire et industriel.

Nous sommes confrontés à des défis sans précédent. Soyons à la hauteur, notre sécurité collective l’exige ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur diverses autres travées.)

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, alors que nous débattions la semaine dernière de la diplomatie française, nous discutons aujourd’hui de la révision de la LPM 2014-2019, qui aura lieu dans le courant du mois de juin.

Avant tout, je tiens à saluer l’engagement remarquable de nos soldats au cours des derniers mois. Dans un contexte particulièrement difficile, ils ont contribué de manière substantielle à la solidarité et à la cohésion sociale.

Force est de le constater, l’évolution de la situation internationale, avec des opérations extérieures toujours plus nombreuses depuis deux ans, et le plan Vigipirate, qui est maintenu à son niveau maximum depuis le début du mois de janvier, obligent le ministère de la défense à réajuster les trajectoires définies voilà presque deux ans maintenant.

Monsieur le ministre, vous avez vous-même déclaré voilà peu devant notre commission que les déploiements actuels se situaient déjà à un niveau légèrement supérieur aux contrats opérationnels définis en 2013.

Il y a donc urgence ! Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion en profondeur sur les priorités diplomatiques de la France. Avons-nous toujours aujourd’hui les moyens d’intervenir à la fois en Afrique et au Moyen-Orient ?

La question de la soutenabilité de la multiplication des engagements de la France à l’étranger se pose. Nous avions déjà largement attiré votre attention sur la faible provision OPEX pour 2015. Or ces surcoûts ont un impact regrettable sur les crédits d’équipements, ainsi que sur les moyens alloués à la formation et à la préparation opérationnelle des forces. Pourtant, l’une et l’autre sont primordiales ! Les soldats doivent en effet être la priorité : ils sont au cœur de la vision écologique de la défense que nous portons. Je sais que c’est également votre souci, monsieur le ministre, et je connais votre engagement à cet égard.

La prévention des conflits et la gestion des crises passent avant tout par l’humain.

En effet, les difficultés croissantes d’accès aux ressources, difficultés dues à des raisons climatiques, mais aussi anthropiques, sont déjà responsables d’une montée des tensions qui va croissante. Ces tensions, à l’échelle d’un village, d’une région, d’un pays, voire de plusieurs pays, seront des facteurs de déstabilisation majeurs dans les années à venir. C’est pourquoi les missions des forces armées doivent être repensées.

Monsieur le ministre, le dérèglement climatique n’est pas un simple « effet multiplicateur ». C’est un risque stratégique à part entière !

Les hommes sont indispensables pour répondre à de tels défis. Alors que les annonces de début d’année sur les 7 500 postes qui seront conservés répondent à un contexte particulier à court terme, il est temps de revoir de manière globale la logique de déflation des effectifs qui domine depuis de nombreuses années.

Plus encore, la réévaluation de la loi de programmation militaire doit impérativement s’inscrire dans une réflexion au niveau européen.

Les difficultés du ministère de la défense à trouver des recettes exceptionnelles afin de boucler son budget doivent nous pousser à réfléchir hors du cadre national. Récemment encore, les sociétés de projet ont relancé le débat. Comme vous pouvez l’imaginer, monsieur le ministre, les écologistes s’interrogent franchement sur le bien-fondé d’une privatisation du matériel opérationnel.

Face à de telles difficultés, nous devons à nouveau réfléchir à l’opportunité d’une mutualisation au niveau européen. En effet, il serait possible de répondre aux besoins des uns et des autres tout en mutualisant les coûts. Nous ne pouvons plus nous cantonner dans une approche franco-française.

Ainsi, alors que le développement de la cyberdéfense et des moyens alloués aux renseignements apparaissent comme deux priorités majeures de la LPM, nous devons appréhender ces nouveaux enjeux dans le cadre européen.

D’une part, la capacité à gérer au mieux l’intégrité du cyberespace français passe par une défense concertée à l’échelle de l’Union européenne, notamment parce qu’une grande partie des normes en matière de système d’information relève de la compétence communautaire.

D’autre part, l’utilisation croissante de drones dans le renseignement devrait être accompagnée de l’élaboration d’une doctrine d’emploi ainsi que du développement d’une position européenne commune.

Au-delà du seul aspect capacitaire, face aux menaces transnationales d’aujourd’hui – dérèglement climatique, terrorisme, instabilité régionale, risques de la faiblesse, menaces de la force –, il est indispensable d’adapter notre approche stratégique.

Pour conclure, revenant à l’échelon national, je dirai quelques mots sur le renforcement du lien entre l'armée et la nation.

Je voudrais tout particulièrement porter à votre attention le programme « Unis pour faire face » lancé par le chef d’état-major de l’armée de l’air. Ce programme permet à des aviateurs en formation de parrainer des jeunes en difficulté scolaire et de leur transmettre le goût de l’aéronautique et ses valeurs. Il s’agit là d’une réelle chance pour ces jeunes qui, parallèlement à leurs cours, ont ainsi la possibilité, quelques heures par semaine, de découvrir et d’apprendre en dehors du cadre scolaire. (M. le ministre de la défense acquiesce.) Les premiers retours montrent un effet d’entraînement et un impact très positif sur les études.

C’est ce genre d’initiative que nous devons financer et encourager, monsieur le ministre, puisque ce sont elles qui, au quotidien, contribuent au renforcement du lien entre l’armée et les citoyens, lien ô combien important aujourd’hui. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux mois après les attentats commis en région parisienne qui ont coûté la vie à dix-sept personnes entre le 7 au 9 janvier, tout le monde a pris conscience du fait que la menace terroriste contre notre pays constituait une donnée majeure et durable et qu’elle devait être prise en compte en conséquence dans la réflexion sur les moyens qu’il faut consacrer à notre défense.

Parallèlement, ces événements ont relancé le débat public sur le coût de la sécurité du pays. Dans la perspective de l’actualisation de la loi de programmation militaire – dont vous avez à juste titre, monsieur le ministre, avancé la présentation au Parlement du fait de ces événements –, le débat de cet après-midi, dû à l’initiative de nos collègues de l’UMP, est tout à fait opportun et nécessaire.

À ce stade, l’expérience des derniers mois m’incite à penser qu’il faut réexaminer la LPM sur au moins deux points particuliers, qui ont du reste un lien entre eux.

Il s’agit, d’une part, de la décision de réduire les effectifs de nos armées de 26 000 postes d’ici à 2019 et, d’autre part, des solutions envisagées d’ici au mois de juillet pour faire face à un manque se chiffrant, selon le président de notre commission des affaires étrangères, à 3 milliards d’euros pour garantir, comme s’y est engagé le Président de la République, les 31,4 milliards prévus dans la LPM. En effet, l’un des enseignements à tirer des attentats du mois de janvier est que l’objectif de réduction inconsidérée des effectifs était une profonde erreur, sûrement due à une vision étroitement comptable des choses.

Il faut admettre aujourd’hui que le format d’armée résultant d’une baisse des effectifs dont la seule justification était de faire des économies au profit des équipements ne permet pas de répondre à une situation de crise imprévue.

En ne comptant que les opérations en Irak, dans la bande sahélo-saharienne et en République centrafricaine, c’est la première fois que notre pays a pratiquement autant de soldats engagés à l’extérieur du pays.

Bien sûr, le Président de la République a eu raison de considérer que la lutte contre le terrorisme djihadiste ne se déroulait pas uniquement sur les théâtres d’opérations extérieurs et que, pour combattre ce fléau, il fallait aussi assurer la protection de nos concitoyens sur le territoire national.

Le Livre blanc de 2013 prévoyait bien que 10 000 soldats pourraient être déployés pour une mission de protection du territoire, mais il n’en avait pas précisé la durée. Or, avec l’opération Sentinelle, ce sont 10 500 hommes qui sont déployés en permanence depuis plus de deux mois.

Tous les chefs d’état-major l’ont dit avec force, chacune des trois armées est aujourd’hui engagée au maximum de ses capacités, et aucune ne peut tenir ce rythme dans la durée. Cet engagement s’est fait au prix de l’annulation de permissions, de la prolongation de la présence de certaines unités en opérations extérieures, de l’annulation d’exercices et de formations, enfin, plus grave encore, du raccourcissement des préparations opérationnelles.

Autant dire qu’il n’est pas acceptable que, pour remplir la mission particulière de protection de nos concitoyens, nos armées soient conduites à réduire leurs capacités futures à combattre.

En conséquence, le Président de la République, pour assurer cette mission dans de bonnes conditions sans réduire les capacités de nos armées, a pris la juste décision de moins diminuer les effectifs qu’il n’était prévu, puisque l’on parle de réductions inférieures de 30 % au projet initial.

Je vous demanderai donc, monsieur le ministre, de nous préciser comment vous envisagez d’appliquer cette décision, qui présente bel et bien un coût budgétaire.

Ma seconde préoccupation a trait au mode de financement des engagements prévus par la LPM et aux solutions que vous proposez, en particulier pour remplacer des recettes exceptionnelles qui feront défaut.

Je veux évidemment parler de la mise en place des sociétés de projet, sur lesquelles pèsent encore beaucoup d’incertitudes malgré votre volonté de les voir aboutir et les éclaircissements que vous avez récemment apportés.

D’abord, sur le plan de la méthode, il est regrettable que ce sujet, fondamental pour l’équilibre et la sincérité de la LPM, soit abordé, voire réglé avant que cette dernière soit discutée, et cela au détour d’un article d’un texte fourre-tout sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques !

J’ai bien compris qu’il y avait urgence et qu’il fallait impérativement trouver une solution avant le mois de juillet. Mais, précisément, le flou qui entoure encore cette question et les réticences du ministre des finances – il semble qu’il cherche une autre solution – ne sont pas de nature à nous rassurer et pourraient même nous faire craindre que vous n’agissiez dans la précipitation. Au demeurant, je ne suis pas persuadée que nous aurons, dans quinze jours, plus d’éléments en main pour nous prononcer en toute connaissance de cause.

Dans l’immédiat, je suis très partagée sur la solution que vous avancez. L’une de mes principales interrogations porte sur le fait que cette solution ne permettrait évidemment pas d’assurer des recettes pérennes. En ce sens, elle ne traduit pas une vision à long terme du financement de nos équipements militaires.

Je n’irais peut-être pas jusqu’à employer les mots – souvent repris ces derniers temps – de « cavalerie budgétaire ».

M. Jeanny Lorgeoux. Non, il ne vaut mieux pas !

Mme Michelle Demessine. Néanmoins, je pense que le montage financier prévu a pour seule vertu de faire engranger rapidement – en une fois, la première année – les sommes qui nous font défaut.

Ces sociétés de projet ne seraient d’ailleurs pas non plus sans risques pour l’État sur le plan financier, si l’on considère que cette expérience de leasing a été plutôt négative en termes de coût et d’efficacité en Grande-Bretagne.

Monsieur le ministre, dans l’intérêt de ce débat de contrôle parlementaire, j’espère que vous nous apporterez les éclaircissements nécessaires sur vos intentions et que vous nous préciserez les points sur lesquels vous nous proposerez une réactualisation de la loi de programmation militaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)