Sommaire

Présidence de Mme Françoise Cartron

Secrétaire :

M. Philippe Nachbar.

1. Procès-verbal

2. Dépôt d’un rapport d’une commission d’enquête

3. Usage contrôlé du cannabis. – Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (suite) :

Mme Françoise Gatel

M. Jean-Pierre Godefroy

Mme Brigitte Micouleau

M. Michel Forissier

M. Jean Desessard, rapporteur de la commission des affaires sociales

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 1 de la commission. – Adoption.

Mme Esther Benbassa

Rejet, par scrutin public, de l’article modifié.

Article 2. – Rejet

Article 3

M. Olivier Cadic

M. Éric Bocquet

Rejet de l’article.

Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n'est pas adoptée.

4. Nouveaux indicateurs de richesse. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale :

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget

M. Antoine Lefèvre, rapporteur de la commission des finances

M. Jean-Claude Requier

M. David Rachline

M. Claude Kern

M. Maurice Vincent

M. André Gattolin

M. Éric Bocquet

M. Francis Delattre

M. Franck Montaugé

Clôture de la discussion générale.

Article unique

M. Éric Bocquet

Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission.

5. Guide de pilotage statistique pour l’emploi. – Adoption d’une proposition de résolution

M. Jean Desessard, auteur de la proposition de résolution

M. Claude Kern

Mme Colette Mélot

M. Maurice Vincent

M. Dominique Watrin

M. Jean-Claude Requier

M. Jean Desessard

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Clôture de la discussion générale.

Adoption de la proposition de résolution.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

6. Débat sur la préparation de la révision de la loi de programmation militaire

M. Dominique de Legge, au nom du groupe UMP

MM. Joël Guerriau, Jacques Gautier, Daniel Reiner, Mmes Leila Aïchi, Michelle Demessine, MM. Philippe Esnol, David Rachline, Jean-Pierre Raffarin, Gilbert Roger

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

7. Modernisation de la presse. – Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire

Discussion générale :

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication

Mme Colette Mélot

M. David Assouline

M. Claude Kern

M. Michel Billout

M. Robert Hue

M. André Gattolin

Clôture de la discussion générale.

Texte élaboré par la commission mixte paritaire

Article 11 A

Amendement n° 1 du Gouvernement

Amendement n° 2 du Gouvernement

Article 11

Amendement n° 3 du Gouvernement

Amendement n° 4 du Gouvernement

Amendement n° 5 du Gouvernement

Article 17

Amendement n° 6 du Gouvernement

Amendement n° 7 du Gouvernement

Adoption définitive de la proposition de loi dans le texte de la commission mixte paritaire, modifié.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture

8. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Secrétaire :

M. Philippe Nachbar.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d’un rapport d’une commission d’enquête

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu hier un rapport de M. Jean-Pierre Sueur au nom de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, créée le 9 octobre 2014 sur l’initiative du groupe UDI-UC en application de l’article 6 bis du règlement.

Ce dépôt a été publié au Journal officiel, édition « Lois et Décrets », de ce jour. Cette publication a constitué, conformément au paragraphe III du chapitre V de l’Instruction générale du bureau, le point de départ du délai de six jours nets pendant lequel la demande de constitution du Sénat en comité secret peut être formulée.

Ce rapport sera publié sous le n° 388, le mercredi 8 avril 2015, sauf si le Sénat, constitué en comité secret, décide, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie de ce rapport.

3

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi autorisant l'usage contrôlé du cannabis
Discussion générale (suite)

Usage contrôlé du cannabis

Suite de la discussion et rejet d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi autorisant l’usage contrôlé du cannabis, présentée par Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collègues (proposition n° 317 [2013-2014], résultat des travaux de la commission n° 251, rapport n° 250).

Je vous rappelle que nous avons entamé l’examen de ce texte le 4 février dernier.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Gatel.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi autorisant l'usage contrôlé du cannabis
Article 1er

Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi visant à légaliser le cannabis dont nous débattons aujourd’hui, après une longue pause quelque peu regrettable, ouvre un débat pertinent sur un sujet complexe aux ramifications multiples : en matière de santé publique, d’économie souterraine, d’éducation et de prévention, mais aussi de sécurité publique et de répression.

À ce titre, je salue le travail de qualité mené par le rapporteur, notre collègue Jean Desessard, sur une question souvent clivante.

Nul ne peut nier la réalité et l’ampleur du phénomène. S’interroger est juste. Mais la réponse proposée par ce texte est-elle suffisamment pertinente ?

La première question est celle de la santé publique. Rappelons-le clairement, il n’y a pas de consommation de drogue sans effets nocifs sur la santé.

Ainsi, l’usage régulier de cannabis peut accompagner ou aggraver l’apparition de troubles psychiatriques, et, de façon plus courante, sa consommation perturbe les fonctions cérébrales, diminue les capacités de mémorisation et d’apprentissage, réduit le jugement et la concentration. Elle entraîne un temps de réaction plus long, une difficulté à effectuer des tâches complètes et des troubles de la coordination motrice susceptibles d’augmenter les risques associés à la conduite.

Les statistiques sur les accidents de la route le confirment : en 2011, la consommation de cannabis aurait provoqué 455 accidents mortels sur les routes de France. Une enquête réalisée en 2005 par l’Observatoire français des drogues et toxicomanies précise que fumer un joint multiplie par deux les risques d’accident mortel sur la route, voire par quinze s’il est associé à l’alcool...

Par ailleurs, le cannabis brûle moins que le tabac et produit davantage de gaz carbonique. À dose égale, fumer du cannabis serait ainsi vingt fois plus dangereux que fumer du tabac, selon l’étude néo-zélandaise publiée en 2008 par le Journal européen de pneumologie.

Mais les effets, madame la secrétaire d'État, sont particulièrement dramatiques chez les jeunes, dont le cerveau est encore en formation. Ils sont les plus gros consommateurs, puisque 42 % des adolescents âgés de dix-sept ans ont déjà fumé au moins une fois du cannabis.

Aussi, comment penser que l’État, garant de la santé publique, puisse légaliser l’usage et la production d’un produit dangereux ? En autorisant son usage, l’État brouillerait nécessairement le message sur la nocivité du produit.

La deuxième question a trait aux effets sociaux et sociétaux, qui sont importants.

La consommation du cannabis favorise le décrochage scolaire, l’absentéisme et la marginalisation sociale, tandis que son usage a souvent de lourdes répercussions sur l’équilibre familial, qu’il fragilise. Légaliser le cannabis pour les adultes reviendrait aussi à oublier le comportement naturellement transgressif des jeunes, qui s’affirment par la consommation à la fois de drogue et d’alcool.

Ainsi, l’interdiction des lieux de vente d’alcool à proximité des établissements scolaires ou sportifs n’a nullement empêché le phénomène de binge drinking chez les jeunes, y compris chez les collégiens.

La consommation d’alcool ou de drogue n’est pas sans relation avec le mal-être de notre société, qui peine à accompagner les jeunes vers leur vie d’adulte et, d'une façon générale, toutes les personnes fragiles. On ne peut passer sous silence la perte de repères et les difficultés de nombreux parents à assumer l’éducation de leurs enfants. Ce constat conduit même certaines communes à créer des « écoles de parents ».

Je crois que si la consommation de drogue a de lourdes conséquences sociales, les difficultés de notre société contribuent à encourager la recherche des paradis artificiels. À cet égard, le groupe UDI-UC regrette la faiblesse des propositions en termes de prévention et d’éducation. La prévention ne devrait-elle pas conduire à s’interroger sur les causes pour lutter avec efficacité contre les conséquences ?

Cette proposition de loi, madame la secrétaire d'État, reconnaît l’importance de la prévention ; mais celle-ci fonctionne très mal aujourd’hui ; le langage utilisé ne percute pas et aucun système ne centralise les initiatives. L’information reste cloisonnée au lieu d’être partagée entre la police ou la gendarmerie, la communauté éducative, le milieu associatif et la commune.

La troisième question soulevée par cette proposition de loi concerne ce que vous qualifiez, monsieur Desessard, de faillite du système de répression et de développement de la criminalité organisée.

Si la répression ne suffit pas à supprimer un danger, il ne peut y avoir de société sans règles et donc sans répression. La répression signale le risque et résonne comme une alerte, un garde-fou.

Selon le texte qui nous est proposé, la légalisation enrayerait l’économie souterraine mafieuse effectivement engendrée par la vente illégale de cannabis. Mais cette légalisation ne concernerait que les personnes majeures. Les jeunes continueraient donc à s’approvisionner de manière clandestine, avec la même insécurité. Par ailleurs, cette présomption revient à sous-estimer la capacité de la criminalité organisée, dont l’imagination est infinie, à choisir et à développer des productions afin de générer une nouvelle demande et de nouvelles sources de revenus.

De plus, penser que la législation aurait pour corollaire une diminution de la consommation de drogue conduirait inévitablement à se poser un jour la question de la légalisation d’autres drogues, telles que l’ecstasy, l’héroïne ou la cocaïne.

Enfin, nous devons garder à l’esprit une variable cruciale : le prix du produit légalisé. Un prix trop élevé n’aurait aucun effet sur l’économie souterraine, tandis qu’un prix trop faible entraînerait une augmentation de la consommation.

La quatrième question est celle des finances publiques.

Il est vrai, monsieur le rapporteur, que la création d’une nouvelle taxe sur le cannabis engendrerait des ressources fiscales non négligeables pour un État en difficulté. Mais si l’État voulait combler son déficit par une taxe sur des produits dangereux, comment expliquer aux industriels de l’agroalimentaire que l’État s’autorise ici ce qu’il condamne ailleurs ? En effet, lorsqu’un produit alimentaire présente un risque sanitaire, l’État engage avec diligence, à juste titre, des enquêtes sanitaires pouvant aller jusqu’à la fermeture d’un site de production.

Mais outre l’aspect quelque peu cynique de cette solution qui permettrait à l’État de combler partiellement son déficit en autorisant la vente de produits dangereux, il y a fort à parier que l’argent rapporté à l’État par cette taxe doive être assez naturellement utilisé pour couvrir les frais de santé publique résultant précisément d’une consommation croissante de cannabis.

En conclusion, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui a le grand mérite – et je le pense sincèrement – de soulever un véritable enjeu de santé publique, qui doit être traité avec énergie et efficacité.

À cet égard, j’évoquerai également l’usage thérapeutique du cannabis qui est de plus en plus reconnu en vue de soulager les symptômes de certaines maladies, tels la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, le sida ou encore la dépression.

Depuis juin 2013, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé peut délivrer des autorisations de mise sur le marché de médicaments contenant du cannabis. J’espère qu’un bilan sera fait de cet usage thérapeutique.

Mais, comme vous l’aurez pressenti, si le groupe UDI-UC reconnaît l’intérêt de ce texte, il ne peut être favorable à ses propositions qui, à mon sens, apportent une réponse trop simple à une question complexe. Monsieur le rapporteur, pour prendre une image familière, penser endiguer la consommation de cannabis par la légalisation, c’est cacher la poussière sous le tapis ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Mme Brigitte Micouleau applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la question de l’encadrement législatif du cannabis est récurrente dans nos débats. Elle avait notamment été abordée en 2011 par le rapport de la mission d’information commune au Sénat et à l’Assemblée nationale sur les toxicomanies de nos collègues Gilbert Barbier et Françoise Branget. Si les rapporteurs rejetaient la dépénalisation, ils préconisaient en revanche la création d’une amende contraventionnelle pour les usagers de cannabis.

Plus récemment, en novembre 2014, la question a également été abordée par le rapport d’information du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, présenté par les députés Anne-Yvonne Le Dain et Laurent Marcangeli, sur l’évaluation de la lutte contre l’usage de substances illicites. Les rapporteurs constatent que la politique de prohibition en vigueur et les moyens qui l’ont accompagnée n’ont pas permis d’obtenir de résultats probants sur la consommation de cannabis, dont la prévalence en France est parmi les plus élevées en Europe.

M. Jean Desessard, rapporteur de la commission des affaires sociales. Exactement !

M. Jean-Pierre Godefroy. S’ils s’accordent sur la nécessité de réviser la loi de 1970 et le régime de l’usage du cannabis, leurs positions divergent quant à la portée de cette révision : M. Marcangeli prône une contravention respectant l’individualisation des peines à la place du délit actuel, alors que Mme Le Dain est favorable à une légalisation du cannabis dans l’espace privé pour les personnes majeures et à une offre réglementée du produit, sous le contrôle de l’État.

Les auteurs de ces rapports, malgré des divergences dans leurs préconisations, se retrouvent sur le constat des failles de notre législation, de son insuffisance et de la nécessité de la réviser.

Le Gouvernement a lancé le plan de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017. Si ce plan comporte des mesures parfois très intéressantes sur les questions sociales, sanitaires, de prévention et de lutte contre les trafics, je ne suis pas certain qu’il soit suffisant. Il ne me semble en effet pas affronter véritablement la contradiction résultant du fait que la France dispose de la législation la plus répressive en Europe à l’égard du cannabis, alors que les Français sont parmi les plus gros consommateurs...

M. Jean Desessard, rapporteur. Eh oui !

M. Jean-Pierre Godefroy. À l'évidence, il faudrait donc approfondir la réflexion sur les choix que nous devons faire. La proposition de loi de Mme Benbassa a le mérite d’aborder le sujet, de poser ces questions et d’émettre des propositions.

L’encadrement législatif de l’usage du cannabis renvoie à deux enjeux : celui de la santé publique, d’une part, et celui de l’ordre social, d’autre part.

Sur le volet sanitaire, les dangers que présente le cannabis ont été démontrés, tout particulièrement chez les jeunes. Le cannabis est le premier produit psychoactif illicite consommé par les adolescents.

À court terme, il peut s’agir d’une baisse des performances intellectuelles, d’angoisses, de difficultés de coordination, d’une modification des perceptions, de troubles de la concentration, d’une altération de la mémoire courte, d’une baisse de la vigilance et des réflexes, la baisse étant encore plus importante lorsque la consommation de cannabis est couplée à l’alcool – cela a déjà été dit.

À long terme, ce sont des risques de cancer accrus par rapport à la consommation de cigarettes à cause de la concentration de goudron, des cas d’isolement social et des troubles du processus de développement cérébral chez les adolescents. Des études établissent aussi une relation de causalité entre la consommation de cannabis et l’aggravation ou la survenue de certains troubles psychotiques graves tels que la schizophrénie ou la paranoïa. Des recherches défendent l’idée que le cannabis, s’il n’est pas suffisant pour déclencher la schizophrénie, pourrait être un facteur nécessaire à son apparition et de nature à exacerber les symptômes déjà présents. Ces risques pourraient être accrus chez les adolescents dont le cerveau n’est pas encore arrivé à maturation.

Aussi, la question du produit en lui-même pose problème. Depuis une quinzaine d’années, des études ont montré une hausse importante de la concentration dans le cannabis de tétrahydrocannabinol, ou THC, ce qui accroît la dangerosité du produit sur la santé physique et mentale des consommateurs. De même, les agents de coupe utilisés pour augmenter le poids du cannabis ou améliorer son aspect peuvent être particulièrement nocifs : sable, colle, talc, verre, plomb, cirage, huile de pneu, huile de vidange...

Il est donc établi que, sur le plan sanitaire, les conséquences de la consommation de cannabis peuvent être gravissimes.

C’est aussi du point de vue de l’ordre public que le sujet soulève des questions. En France, la consommation de cannabis est interdite, la loi exposant les consommateurs à une peine de 3 750 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement. Dans le même temps, on sait qu’environ un Français sur cinq a consommé du cannabis dans sa vie, que 1,2 million en consomme régulièrement et que le cannabis est la substance illicite la plus consommée dans les pays de l’Union européenne. La contradiction est flagrante !

Face à l’importance du phénomène de consommation, la particulière sévérité de nos dispositions répressives, qui trouvent leur origine dans une loi de 1970, ne doit-elle pas nous pousser à nous interroger sur la pertinence d’une telle législation et échelle des peines ? Avant la loi de 1970, l’usage privé du cannabis n’était pas sanctionné. Nous sommes forcés de constater que notre arsenal répressif actuel, qui ne parvient pas à faire baisser la consommation de cannabis, ne présente véritablement de solution ni pour la santé publique ni dans le cadre de la lutte contre les réseaux mafieux.

Les peines prévues, qui sont les plus sévères d’Europe, ne sont manifestement pas dissuasives pour les usagers. Bien entendu, l’action publique n’est pas toujours exercée, et des mesures alternatives telles que les injonctions thérapeutiques sont souvent mises en œuvre. Cependant, la marge laissée au magistrat est source de disparités de traitement entre les cours, et donc entre les justiciables. Aussi, même si les emprisonnements pour simple usage de cannabis sont rares, on recense de nombreux emprisonnements pour ce qui relève de la petite revente, alors que les gros trafiquants demeurent rarement atteints.

Or nous devons veiller à ne pas risquer de fragiliser les personnes qui rencontrent des problèmes d’insertion. Envoyer les petits revendeurs en prison, c’est risquer d’abîmer davantage des personnes qui se trouvent déjà dans des situations instables.

L’Uruguay et le Colorado ont fait le choix d’une expérimentation de la légalisation.

M. Jean Desessard, rapporteur. Eh oui !

M. Jean-Pierre Godefroy. En Uruguay, la loi du 1er décembre 2013 a instauré une régulation de la production et de la vente de cannabis sous l’autorité de l’État. Les consommateurs de cannabis majeurs et enregistrés dans une base de données sont autorisés à acheter jusqu’à 40 grammes de cannabis par mois dans des pharmacies homologuées. La loi permet aussi de cultiver six plants de cannabis à domicile par an. Ce dispositif est en expérimentation depuis un an. Il faudra attendre pour véritablement analyser les résultats d’une telle politique.

La légalisation avec encadrement et monopole étatiques présente des avantages non négligeables en ce qu’elle peut contribuer à casser les marchés parallèles, permettre de limiter la concentration en THC contenu dans le cannabis et éviter l’usage d’agents de coupe nocifs. Dans le même temps, les dernières informations en provenance du Colorado qui nous sont parvenues n’encouragent pas à aller dans cette direction. En effet, le produit des taxes rapporte tellement à l’État du Colorado que celui-ci doit rendre de l’argent, en vertu d’une loi de 1992, soit à l’État fédéral, soit aux contribuables. Qu’en est-il en revanche sur le plan de la santé publique ? On peut s’interroger.

La légalisation poserait aussi de nombreuses questions particulièrement délicates à trancher : quelles modalités concrètes dans la mise en œuvre d’une telle politique ? Quel type de production et de distribution organiserait-on ? Passerait-on par les bureaux de tabac, les pharmacies ou de nouvelles entités ad hoc ? Quels tarifs seraient pratiqués, sachant que les prix devraient être de nature à casser les réseaux de trafic et qu’il ne faudrait donc absolument pas y voir un moyen de ressources supplémentaires pour l’État ?

Je finirai par quelques mots sur l’importance de la prévention, à propos de laquelle nous n’insisterons jamais assez. Je suis convaincu que la pédagogie serait plus utile et plus efficace que l’interdiction brutale. Nos lois répressives n’empêchent pas la consommation de cannabis ; ce sont donc les individus, et particulièrement les jeunes – c’est en effet souvent à cette période de la vie que se fait l’initiation à la consommation de cannabis –, que nous devons informer, prévenir, éduquer, et même convaincre, dirai-je ! Pour ce faire, des campagnes et actions de prévention dans les collèges et lycées, dirigées vers ces publics potentiellement exposés aux dangers du cannabis, doivent être mises en œuvre. Elles doivent intervenir dès le début du collège, puis être adaptées et répétées.

Mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui ne me semble pas suffisamment aboutie pour être votée en l’état. Les nombreux renvois à des décrets sont d’ailleurs révélateurs. Ce texte doit néanmoins être salué, car il ouvre le débat sur un problème de santé publique de premier plan.

Je le rappelle, Mme la ministre de la santé nous a fait part, le 4 février dernier, des mesures envisagées par le Gouvernement à ce sujet.

En conséquence, le groupe socialiste ne votera pas ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Micouleau.

Mme Brigitte Micouleau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Esther Benbassa, qui vise à autoriser la vente au détail de cannabis aux personnes majeures, c'est-à-dire à mettre en place une dépénalisation, nous permet d’ouvrir un débat. Comme ma collègue Françoise Gatel, je regrette que celui-ci ait été coupé en deux !

Cette proposition de loi conduirait à aligner la vente du cannabis sur le modèle du tabac. Ainsi, l’État contrôlerait la distribution du cannabis, tout en en interdisant la publicité et la vente aux mineurs.

Je dois reconnaître que l’exposé des motifs de votre proposition de loi, madame Benbassa, ainsi que le rapport de M. Desessard soulèvent des questions essentielles telles que l’inefficacité de nos politiques de prévention et de lutte contre le cannabis, ou la dangerosité et les conséquences néfastes de la consommation de cannabis.

En effet, malgré une répression sévère, la France est, après l’Espagne, le pays d’Europe où l’on consomme le plus fréquemment du cannabis.

Hier, dans la « matinale » d’une grande radio nationale, un baromètre officiel, encore non diffusé, a été évoqué. Il révèle des chiffres alarmants : on serait ainsi passé de 500 000 à 700 000 consommateurs quotidiens en quatre ans. Les consommateurs fumant au moins dix joints par mois représenteraient désormais 1,5 million d’individus, tandis que les usages réguliers seraient de plus en plus banalisés dans tous les milieux.

Par ailleurs, d’après l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, l’OFDT, 41,5 % des jeunes âgés de dix-sept ans ont déclaré, en 2011, avoir fumé du cannabis au cours de leur vie. Parmi ces derniers, plus de un sur cinq déclare avoir consommé du cannabis au cours du dernier mois, ces consommations ayant lieu principalement le week-end.

Quel est le problème d’une consommation occasionnelle et festive, diront certains ? Mes chers collègues, de nombreuses études le montrent, cette consommation n’est malheureusement pas sans conséquence.

Comment pourrions-nous fermer les yeux, alors que nous savons que le cannabis peut entraîner, notamment en cas de consommation régulière, une dépendance, surtout psychique, entraînant des problèmes non seulement relationnels, mais aussi scolaires ou professionnels ?

Comment laisser croire à des jeunes que cette consommation est anodine, quand nous savons que la consommation de cannabis altère les capacités de mémorisation, d’apprentissage et de concentration, ainsi que les aptitudes au raisonnement ?

Enfin, comment passer sous silence les troubles de la coordination motrice induits par cette consommation, lesquels sont susceptibles d’augmenter les risques associés à la conduite ? La prise de cannabis potentialise en outre les effets de l’alcool.

L’enquête SAM, Stupéfiants et accidents mortels de la circulation routière, a montré les liens entre consommation de cannabis et accidents de la route, notamment les accidents mortels. Malheureusement, depuis au moins trois ans, le nombre de conducteurs arrêtés pour conduite sous l’emprise de cannabis est en constante augmentation.

En effet, d’après l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, le nombre de conducteurs contrôlés sous l’emprise de stupéfiants a augmenté de 18 % sur l’année 2009-2010, de 1,2 % en 2010-2011 et de 13 % au cours des sept premiers mois de l’année 2012.

Mais la consommation de cannabis a également des conséquences sociales, puisqu’il s’agit de la première substance en cause dans le cadre des interpellations pour usage de stupéfiants.

D’après l’OFDT, les interpellations pour usage de cannabis représentent toujours 90 % des interpellations pour usage de stupéfiants. Ces dernières ont augmenté de 65 % par rapport à l’année 2000. En dehors de l’usage, les services de police et de gendarmerie ont effectué 15 302 interpellations pour usage- revente et trafic de cannabis en 2010.

J’en viens donc naturellement à évoquer la question du trafic. Selon vous, madame Benbassa, la dépénalisation constituerait un moyen d’y mettre fin et de tarir une source de revenus du crime organisé.

Pourtant, d’après Stéphane Quéré, criminologue au département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines de l’université de Paris II, et grand spécialiste du grand banditisme et du crime organisé, la dépénalisation de la consommation du cannabis dans certains pays n’a pas fait disparaître le crime organisé. Celui-ci s’est simplement adapté, réussissant à s’implanter, notamment aux Pays-Bas, dans les coffee shops, tout en gardant la main sur la culture du cannabis.

C’est pourquoi, aux Pays-Bas, pays pionnier dans ce domaine, les autorités font aujourd’hui marche arrière. Elles ont ainsi récemment décidé d’encadrer davantage l’installation des coffee shops, qu’elles n’autorisent plus qu’à grande distance des frontières et, surtout, des écoles.

On peut également faire un parallèle avec le tabac : sa vente et sa consommation sont légales dans notre pays, ce qui n’empêche pourtant pas les trafics. En tant que sénatrice de la Haute-Garonne, département proche de l’Espagne et de l’Andorre, je peux témoigner du trafic florissant de cigarettes, notamment à Toulouse.

Par ailleurs, on le sait aussi, la consommation de cannabis peut conduire à la prise de drogues dures, bien que la transition soit loin d’être automatique. L’expérience de l’Espagne dans les années quatre-vingt en est la parfaite illustration.

Le fait de légaliser le marché de certaines formes de cannabis pourrait aussi contribuer au développement d’un marché parallèle d’un cannabis plus puissant, synonyme d’effets psychotropes amplifiés, mais aussi et surtout d’une plus grande dangerosité pour les consommateurs.

Enfin, on peut se demander quelle signification sociale se dégagerait d’un scénario de « nationalisation » du cannabis. Quel signal enverrait l’État en organisant le commerce d’un produit réputé néfaste et dangereux ? Ne sommes-nous pas là face à une fausse bonne solution ?

Aussi, si la dépénalisation n’entraîne pas un meilleur contrôle du trafic et ne réduit pas les dangers liés à une consommation régulière, pourquoi devrait-on se diriger vers cette solution ?

C’est pour toutes ces raisons que le groupe UMP votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Forissier.

M. Michel Forissier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à débattre d’un sujet qui n’est pas nouveau et fait même régulièrement l’objet de débats d’idées passionnels, non seulement en France, mais aussi partout dans le monde. Ce sujet sociétal fait l’objet une proposition de loi visant à faire sortir de l’ombre les non-dits liés à la consommation, et donc à la vente du cannabis.

Légaliser la consommation du cannabis signifie donner un cadre légal à une drogue qui, jusqu’à présent, n’en avait pas dans la mesure où elle était définie comme interdite. Le cadre juridique peut prendre plusieurs formes, de la plus stricte à la plus libérale. L’alcool et le tabac, deux substances addictives et potentiellement dangereuses pour la santé, sont aujourd’hui – tel n’a pas toujours été le cas – vendus et consommés sous la responsabilité de chacun, selon des règles encadrantes : loi Evin, monopole du tabac pour un contrôle de la production jusqu’à la vente, interdiction de vente à des mineurs…

La question de la légalisation se pose actuellement pour ce qui concerne le cannabis. Allons-nous, comme nos amis américains des États du Colorado et de Washington, autoriser la légalisation du cannabis à des fins récréatives, dans une société en quête de repères, avec un gardien, un régulateur, qui serait l’État ? Allons-nous confier à notre administration française le monopole de la vente au détail de cette drogue qu’est le cannabis, lui donner la mission de contrôler sa production, sa fabrication, sa détention et sa circulation ? Selon moi, il faut savoir raison garder.

Autoriser l’usage contrôlé du cannabis et de ses dérivés, c’est donner un mauvais signal à notre République.

La commission des affaires sociales du Sénat a examiné le texte proposé par Mme Benbassa, sénatrice du groupe écologiste. Les débats ont été à la hauteur des passions. Le législateur, garant de l’intérêt général, rappelons-le, ne remplirait pas sa mission en repoussant les limites d’une société déjà ébranlée.

Le texte dans sa globalité me pose problème, car je pense que notre société a un besoin fondamental de repères, surtout aujourd’hui.

Il ne nous appartient pas de minimiser ou de nier les incidences sur la santé liées à l’absorption, même occasionnelle, du cannabis. Je veux parler par exemple de la baisse des facultés cognitives, des troubles psychotiques et de la déscolarisation. Légaliser une drogue, c’est prendre le risque de pouvoir accroître sa disponibilité, et donc le nombre de consommateurs. Voulons-nous prendre ce risque pour nos jeunes ?

Le rapporteur a dressé un excellent tableau de la situation actuelle, et je pense que la légalisation serait un mauvais signal dans le contexte actuel.

Les experts estiment que les substances addictives licites, comme peuvent l’être les deux fléaux que sont l’alcool et le tabac, ont des niveaux de consommation plus de huit fois supérieurs à ceux des drogues illicites.

Enfin, il n’existe aucun lien automatique – le précédent intervenant l’a rappelé – entre la fin de la prohibition et celle des trafics. Le trafic de cigarettes est la source financière principale de certaines organisations criminelles, qui ont mis en place une véritable économie parallèle dans certains pays, alors que le tabac a un statut légal dans le monde entier.

Pour lutter contre les trafics de cannabis, nous disposons déjà d’un arsenal répressif ; une légalisation du cannabis ne permettrait pas d’enrayer les trafics dans nos quartiers.

Si la prohibition du cannabis est une utopie, la légalisation est tout aussi irréaliste quant à sa finalité.

Cependant – et M. le rapporteur a bien mis en évidence cet aspect des choses –, il y a dans la proposition de loi des aspects intéressants, notamment l’article 2, qui est consacré à la prévention. C’est sous cet angle, me semble-t-il, qu’il faut aborder le problème du cannabis.

Voilà un an, madame la secrétaire d'État, le Gouvernement a mis en place un plan stratégique qui donne la priorité à la prévention par rapport à la répression. Les adolescents sont mis en garde par de jeunes adultes, qu’ils ont l’habitude d’écouter plus que les adultes ! Le plan est dit « pédagogique », avec des professionnels au contact des jeunes. C’est cette prévention qu’il faut à mon avis favoriser.

Les associations de lutte contre les drogues donnent les grandes lignes de prévention de la consommation.

Premièrement, il faut donner à son adolescent les bonnes raisons de ne pas prendre de drogues.

Deuxièmement, il faut éviter que son adolescent ne se retrouve dans des situations à risques.

Troisièmement, il faut montrer l’exemple : les comportements des référents comptent aussi dans la prévention. Qu’en est-il de la figure d’autorité qui admet souvent avoir été ou être consommatrice ?

Pour toutes ces raisons, les sénateurs UMP de la commission des affaires sociales ont voté contre la proposition de loi. En somme, l’interdit des drogues en France ne doit pas être affaibli par une légalisation d’une partie d’entre elles. Le cannabis est un vrai sujet de santé publique, et nous devons à notre jeunesse vigilance et bon sens.

Je le redis, la société française a besoin d’affirmer les limites qui sont les siennes, conformes à nos valeurs, à nos principes fondamentaux. L’interdiction de l’usage du cannabis est pour moi un principe essentiel. (Mme Françoise Gatel, MM. David Rachline et Michel Vaspart applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur de la commission des affaires sociales. Je tiens à remercier les différents intervenants de la mesure dont ils ont fait preuve dans leurs propos. Ils ont admis que ce débat avait le mérite d’exister, et je sais donc gré à Mme Benbassa d’avoir déposé cette proposition de loi, qui nous a permis d’engager cette discussion.

Madame Micouleau, vous avez insisté, comme Mme Gatel et comme je l’ai fait moi-même dans mon rapport, sur le paradoxe suivant : on enregistre en France une des plus fortes consommations de cannabis en Europe alors que la répression est très forte dans notre pays. Je vous remercie d’avoir dressé ce constat, qui est bien la source du problème : la répression, si elle faisait diminuer la consommation, se justifierait plus facilement ; or il semble que, en dépit d’une répression accrue, la consommation n’en finit pas d’augmenter.

Mme Gatel et M. Forissier ont déploré sinon les lacunes, du moins les insuffisances de la prévention. Si le cannabis était légalisé, ne peut-on pas penser que la prévention s’en trouverait favorisée ? Ce qui est grave, c’est que des adultes consomment du cannabis en quantité. Comme vous l’avez signalé, monsieur Forissier, certains pays ont autorisé sa consommation, mesurée, par les adultes à des fins récréatives. Pour les adultes, donc, c’est bien la surconsommation, la consommation abusive, excessive qui est grave. En revanche, vous y avez bien insisté, la consommation de cannabis même à faible dose par les jeunes peut être grave et avoir des conséquences sur leur développement cérébral.

Madame Gatel, vous avez insisté sur la question de la dépendance. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous : le cannabis, si on le compare à d’autres drogues, n’entraîne qu’une faible dépendance – cela figure dans le rapport. De même, autant le tabac ou l’héroïne entraînent une forte dépendance, autant la dépendance au cannabis n’est pas supérieure à la dépendance à l’alcool.

Mme Françoise Gatel. Il n’empêche qu’elle existe !

M. Jean Desessard, rapporteur. M. Godefroy nous a proposé de prendre du recul, d’attendre les résultats des expérimentations menées en Uruguay et au Colorado avant toute décision – en tout cas, c’est ce que j’ai cru comprendre.

Il a aussi abordé l’aspect financier de la question. Je dois avouer que je n’ai pas compris l’argument qu’il tire de l’expérience menée au Colorado quand il déplore le surplus de recettes qu’a retiré cet État de la légalisation du cannabis. Dans la situation d’endettement dans laquelle elle se trouve actuellement, comment la France pourrait-elle se priver d’un surcroît de recettes ?

Vous l’avez dit, la consommation de cannabis entraîne des problèmes de santé. Certes, mais la consommation est aujourd’hui très importante. Et ces problèmes sont d’autant moins faciles à régler que cette consommation n’est pas légalisée. La légalisation du cannabis serait source de recettes complémentaires – à l’instar des taxes qui pèsent sur les tabacs. En même temps – et vous n’y avez fait aucune référence –, la lutte contre les mafias nécessite des moyens policiers et judiciaires très importants. De fait, la légalisation du cannabis permettrait d’éviter la constitution de ces mafias qui se sont complètement investies dans le trafic de cannabis. C’est quand même là le problème numéro un.

Mme Micouleau a souligné que la dépénalisation de la consommation du cannabis aux Pays-Bas n’avait pas fait disparaître les mafias, celles-ci s’étant adaptées. Le problème, c’est que les Pays-Bas ont fait les choses à moitié : lorsque l’on traverse un fleuve, on n’est pas en sécurité tant que l’on n’a pas rejoint la rive opposée !

M. Francis Delattre. Cela fait trente ans qu’ils sont au bord du fleuve !

M. Jean Desessard, rapporteur. Ils ont légalisé non pas la production du cannabis, mais simplement sa distribution. De fait subsiste tout un secteur gris : d’où vient le cannabis qui est légalement consommé ? C’est pourquoi il est important de légaliser la production du cannabis parallèlement à sa distribution afin d’enrayer tout phénomène de clandestinité.

M. Forissier a évoqué l’usage récréatif du cannabis autorisé dans certains pays. Je l’en remercie, même si son propos, qu’il a nuancé, ne valait pas approbation de cette mesure. Effectivement, la question est posée : quelle différence entre le cannabis et l’alcool ? Une consommation équilibrée, mesurée d’alcool peut être considérée comme récréative ; c’est son abus qui est dangereux. De la même façon, on peut penser que l’usage du cannabis par les adultes peut être récréatif, sa consommation excessive pouvant cependant être dangereuse.

Mme Micouleau a également évoqué la conduite de véhicules sous l’emprise de stupéfiants. Mais si la réaction aux tests de détection pratiqués à l’occasion d’un contrôle routier est positive trois heures après l’absorption d’alcool, elle l’est encore, s’agissant du cannabis, trois ou quatre jours après l’usage ! C’est d’ailleurs ce qui explique qu’un nombre croissant d’automobilistes soient arrêtés pour conduite sous l’emprise de cannabis. Or la dangerosité des effets de cette drogue s’atténue bien avant ces trois ou quatre jours. Il est donc nécessaire de revoir la question des tests.

Pour conclure, j’ai bien compris que la tendance générale n’était pas à l’adoption de cette proposition de loi. (Mme la secrétaire d’État le confirme avec malice.) Néanmoins, je me félicite que ce texte ait pu être examiné malgré tout dans un climat positif, et que la discussion ait progressé. Une chose dont je suis sûr, c’est que ce débat n’est pas terminé. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Claude Bérit-Débat applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.

proposition de loi autorisant l'usage contrôlé du cannabis

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi autorisant l'usage contrôlé du cannabis
Article 2

Article 1er

Le livre IV de la troisième partie du code de la santé publique est complété par un titre III ainsi rédigé :

« Titre III

« usage contrôlé du cannabis

« Chapitre Ier

« Dispositions générales

« Art. L. 3431-1. – Sont autorisés, dans les conditions prévues par les dispositions du présent chapitre, la vente au détail et l’usage, à des fins non thérapeutiques, de plantes de cannabis ou de produits du cannabis dont les caractéristiques sont définies par décret en Conseil d’État et dont la teneur en tétrahydrocannabinol n’excède pas un taux fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.

« Les conditions d’autorisation et de contrôle de la production, de la fabrication, de la détention et de la circulation des plantes de cannabis et des produits du cannabis mentionnés au premier alinéa sont déterminées par décret en Conseil d’État.

« Art. L. 3431-2. – Le monopole de la vente au détail des plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 est confié à l’administration qui l’exerce, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret, par l’intermédiaire de débitants désignés comme ses préposés.

« Toute revente est interdite.

« Art. L. 3431-3. – Le représentant de l’État dans le département peut prendre des arrêtés pour interdire l’installation de débits de plantes de cannabis et de produits du cannabis, à l’intérieur d’un périmètre qu’il détermine, autour :

« - des établissements scolaires et des établissements de formation ou de loisirs accueillant des mineurs ;

« - des installations sportives.

« Art. L. 3431-4. – Sont interdites :

« - la distribution ou l’offre à titre gratuit des plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 ;

« - la vente de ces plantes et produits aux mineurs. La personne qui les délivre peut exiger de tout client qu’il établisse la preuve de sa majorité ;

« - leur vente en distributeurs automatiques.

« Un débitant ne peut en aucun cas vendre à un acheteur une quantité de plantes ou de produits mentionnés à l’article L. 3431-1 supérieure à celle, fixée par décret en Conseil d’État, dont la détention est autorisée.

« Art. L. 3431-5. – L’usage des plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 est interdit dans les lieux publics, dans les lieux affectés à un usage collectif et dans les moyens de transport collectifs.

« Art. L. 3431-6. – La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 est interdite.

« Les enseignes des débits de vente doivent être conformes à des caractéristiques définies par arrêté interministériel.

« Toute opération de parrainage est interdite lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité d’un produit ou d’un article autre que les plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 lorsque, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une marque ou de tout autre signe distinctif, elle rappelle ces plantes ou produits.

« Art. L. 3431-7. – Les plantes et produits définis à l’article L. 3431-1 sont vendus dans des emballages mentionnant :

« - leur composition intégrale ;

« - leur teneur en tétrahydrocannabinol.

« Ces emballages portent également un message à caractère sanitaire.

« Un arrêté du ministre chargé de la santé fixe les modalités d’inscription de ces mentions obligatoires, ainsi que la méthode d’analyse permettant de mesurer la teneur en tétrahydrocannabinol et les méthodes de vérification de l’exactitude des mentions portées sur les emballages.

« Art. L. 3431-8. – L’État organise des campagnes d’information et de prévention des risques inhérents à l’usage de produits stupéfiants.

« Chapitre II

« Dispositions pénales

« Art. L. 3432-1. – Est constitutif du délit défini à l’article 222-39 du code pénal :

« - Le fait, pour toute personne, de céder ou d’offrir des plantes ou produits mentionnés à l’article L. 3431-1 sans avoir la qualité de débitant au sens de l’article L. 3431-2, ou de revendre ou d’offrir des plantes ou produits vendus par un débitant ;

« - Le fait, pour tout débitant, de vendre à des mineurs les plantes ou produits mentionnés à l’article L. 3431-1, ou de vendre à un acheteur une quantité de ces plantes ou produits supérieure à celle fixée en application du dernier alinéa de l’article L. 3431-4.

« Art. L. 3432-2. – Le fait, pour un débitant, de mettre à disposition du public un appareil automatique distribuant les plantes et produits mentionnés à l’article L. 3431-1 est puni d’une amende de 10 000 euros. L’appareil ayant servi à commettre l’infraction est saisi et le tribunal en prononce la confiscation.

En cas de récidive, un emprisonnement de 6 mois peut en outre être prononcé.

« Art. L. 3432-3. – Est constitutif du délit défini à l’article L. 3421-1 le fait, pour toute personne, de détenir des plantes ou produits mentionnés à l’article L. 3431-1 en quantité supérieure à celle fixée en application du dernier alinéa de l’article L. 3431-4, ou d’en faire usage en violation des dispositions de l’article L. 3431-5.

« Art. L. 3432-4. – Les infractions aux dispositions de l’article L. 3431-6 sont punies d’une amende de 100 000 euros. »

Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par M. Desessard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 6

Remplacer les mots :

par les dispositions du

par le mot :

au

II. – Alinéa 8

Après les mots :

plantes et

insérer le mot :

des

III. – Alinéa 14

Après les mots :

plantes et

insérer le mot :

des

IV. – Alinéa 15, première phrase

Après les mots :

Plantes et

insérer les mots :

de ces

V. – Alinéa 17

Remplacer les mots :

, fixée par décret en Conseil d’État, dont la détention est autorisée

par les mots :

dont la détention est autorisée par décret en Conseil d’État

VI. – Alinéa 19

Après les mots :

plantes et

insérer le mot :

des

VII. – Alinéa 20

Remplacer les mots :

doivent être

par le mot :

sont

VIII. – Alinéa 21

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Est interdite toute opération de parrainage qui, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une marque ou de tout autre signe distinctif, rappelle les plantes et les produits mentionnés à l’article L. 3431-1.

IX. – Alinéa 22

1° Après les mots :

plantes et

insérer le mot :

les

2° Remplacer le mot :

définis

par le mot :

mentionnés

X. – Alinéa 31

1° Après les mots :

céder ou d’offrir des plantes ou

insérer le mot :

des

2° Remplacer les mots :

revendre ou d’offrir des plantes ou

par les mots :

revendre ou d’offrir ces plantes ou ces

XI. – Alinéa 32

1° Après les mots :

les plantes ou

insérer le mot :

les

2° Après les mots :

ces plantes ou

insérer les mots :

de ces

XII. – Alinéa 33, première phrase

Après les mots :

les plantes et

insérer le mot :

les

XIII. – Alinéa 35

Après les mots :

plantes ou

insérer le mot :

des

XIV. – Alinéa 36

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 3432-4. – Le fait de contrevenir aux dispositions de l’article L. 3431-6 est puni d’une amende de 100 000 €. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean Desessard, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

Je précise, à l’attention de celles et de ceux qui seraient tentés de voter contre cet amendement, que son adoption ne signifie pas adoption de la proposition de loi ! Cet amendement tend simplement à améliorer la rédaction de l’article 1er.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement, même si cela ne correspond pas à son avis sur l’ensemble du texte. (Sourires.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote sur l'article.

Mme Esther Benbassa. Mes chers collègues, monsieur le rapporteur, je voudrais tout d’abord vous remercier de votre présence dans cet hémicycle en ce jour important pour beaucoup d’entre vous, puisque sont désignés aujourd’hui les présidents de conseil départemental, et du sérieux qui a entouré ces débats.

Il semble bien que la Haute Assemblée ne soit pas encore prête à envisager sereinement l’autorisation de l’usage contrôlé du cannabis. Mais le débat est lancé, et je m’en réjouis. Nous ne sommes qu’au début du chemin, et certaines questions importantes ont été posées.

Dans quelques années, j’en suis certaine, nous finirons nous aussi par emprunter la voie de la légalisation de l’usage contrôlé du cannabis, voie ouverte par d’autres pays et qui a fait ses preuves. J’en ai la forte conviction tout simplement parce que nous ne pouvons continuer de fermer les yeux sur une réalité sociale dont l’ampleur ne peut plus être niée.

La consommation de cannabis ne cesse d’augmenter dans notre pays ; à cet égard, les derniers chiffres de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies sont édifiants.

Nous avons le devoir de nous saisir de ce phénomène et, quelle que soit la voie choisie, de répondre aux enjeux à la fois sanitaires et sécuritaires qui nous préoccupent.

Nous avons le devoir, quelle que soit notre orientation politique, d’élaborer une véritable politique de santé publique à destination des adolescents et des jeunes adultes, et d’apporter des réponses concrètes et pragmatiques à nos concitoyens.

Je suis ravie de voir que, malgré l’opposition à ce texte, quelques signaux positifs ont été donnés par toutes les sensibilités politiques. J’ose penser que cette proposition de loi a finalement permis une sensibilisation quant à l’usage contrôlé du cannabis. Tel était en effet l’objectif principal que visait son dépôt. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Claude Bérit-Débat applaudit également.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.

J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe écologiste et, l'autre, du groupe UMP.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 117 :

Nombre de votants 327
Nombre de suffrages exprimés 302
Pour l’adoption 13
Contre 289

Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Francis Delattre applaudit également.)

Article 1er
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Article 3 (début)

Article 2

À la première phrase de l’article L. 312-18 du code de l’éducation, les mots : « une séance annuelle » sont remplacés par les mots : « trois séances annuelles ».

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 n'est pas adopté.)

Article 2
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Article 3 (fin)

Article 3

Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Mme la présidente. Mes chers collègues, avant de mettre aux voix l’article 3, je vous rappelle que, par cohérence avec la suppression des deux premiers articles, cet article ne devrait pas être adopté dans la mesure où il prévoit un gage. S’il est supprimé, il n’y aura plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi et il n’y aura pas d’explications de vote sur l’ensemble.

La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote sur l'article.

M. Olivier Cadic. Mes chers collègues, comme beaucoup d’entre vous, je réprouve absolument sans réserve la consommation de cannabis. Il s’agit d’une drogue qui, comme chacun le sait, peut provoquer de graves dommages intellectuels, sans parler des risques de dérive vers des drogues plus dures.

Cela étant dit, il faut prendre acte de l’échec absolu de la politique de répression de l’usage du cannabis et de sensibilisation à cet égard. La réponse de la société à ce fléau ne fonctionne pas. Pourquoi ? Peut-être pensez-vous que l’on n’a pas été assez ferme en matière de répression ? Face à l’échec, notre premier réflexe est toujours de vouloir faire plus de la même chose, comme l’a démontré le sociologue Paul Watzlawick.

Comme M. Desessard, je pense qu’il est nécessaire d’agir autrement. Fumer du cannabis est un vice, que l’État doit encadrer comme il a encadré le jeu : il s’est ainsi attribué le monopole des jeux de hasard au lieu de laisser proliférer les tripots clandestins. De la même façon, il a encadré la vente d’alcool et de tabac.

Déjà, au siècle dernier, les États-Unis avaient expérimenté sans succès la prohibition de l’alcool. Dans un rapport publié en 2011, le Global Commission on Drug Policy indique que les États-Unis ont dépensé 1 000 milliards de dollars depuis 1971 dans la lutte contre les drogues. Le rapport conclut que la guerre mondiale contre les drogues a échoué. Les États-Unis sont aujourd’hui le pays où la consommation de drogue est la plus élevée au monde. La moitié de sa population carcérale est ainsi détenue pour violation de la réglementation sur les drogues.

À l’inverse, le Portugal a décriminalisé en 2001 l’usage personnel de toutes les drogues, substituant les soins à la prison. Cinq ans plus tard, cet usage avait nettement diminué chez les adolescents et le nombre de décès liés aux drogues a réduit de moitié.

Tant que le cannabis sera interdit, il attirera les jeunes par goût de la transgression et fera la fortune des réseaux mafieux ! En réalité, interdire le cannabis n’empêche pas les gens de fumer ; cela les empêche juste de respecter la loi !

C’est la raison pour laquelle j’ai voté tout à l’heure en faveur de l’article 1er de cette proposition de loi qui vise à autoriser la consommation encadrée du cannabis. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.

M. Éric Bocquet. Comme l’avait souligné ma collègue Laurence Cohen lors de la discussion générale, les addictions à des substances licites ou illicites soulèvent des problèmes de santé publique, de sécurité et de « mieux vivre ensemble ».

Le cannabis défraie souvent la chronique et est également source de vives polémiques. De nombreux travaux et études en provenance du monde entier soulignent à la fois la complexité du phénomène et la nécessité de ne pas en faire un problème à part.

Au fond, il est demandé au législateur que nous sommes non seulement de mesurer tous les enjeux de ce débat, mais également de mieux faire comprendre ces derniers à l’ensemble de la société.

La loi actuellement en vigueur date de 1970 et considère l’usager de drogue, quelle que soit la substance utilisée, comme une personne dangereuse qu’il convient d’enfermer. Ce postulat a permis à de précédents gouvernements de prendre des dispositions répressives accrues.

Or, quel en a été le résultat ? Comme cela a été rappelé par divers intervenants, la seule consommation du cannabis en France, notamment chez les jeunes, est l’une des plus élevées d’Europe alors que notre pays dispose de la législation la plus répressive. Cela ne fonctionne donc pas !

Cette chasse aux consommateurs a de surcroît favorisé la multiplication des procédures juridico-policières, entraînant l’encombrement des tribunaux et des prisons par les consommateurs, au lieu de permettre à l’État de consacrer ses moyens à la lutte contre les trafics et les trafiquants.

La proposition de loi du groupe écologiste a de nouveau ouvert le débat au sein de la Haute Assemblée. C’est sans doute une bonne chose. Néanmoins, nous nous interrogeons pour notre part quant à l’angle d’attaque choisi : pour ou contre la légalisation du cannabis ?

Le groupe communiste républicain et citoyen est, quant à lui, favorable à la dépénalisation de l’usage du cannabis, ce qui permettrait à la police et à la justice de concentrer leurs efforts sur les réseaux.

Il nous semble surtout que la baisse des consommations de drogue ne peut résulter que d’une politique globale de prévention et d’une réflexion sur l’ensemble des addictions. Il y a véritablement urgence à mettre en place une politique de haut niveau de réduction des risques, avec un travail en profondeur auprès de la population, permettant une prise de conscience et une mobilisation de l’opinion.

Cela nécessite bien entendu un accroissement et un renforcement des moyens humains et financiers, ainsi qu’une volonté affirmée de développer la prévention, et donc la formation. Or rien n’est prévu dans ce domaine, que ce soit au niveau des études de médecine ou en matière de nomination des professeurs : il n’existe ainsi aucune chaire de médecine préventive.

Par ailleurs, un plan gouvernemental vient d’être lancé. S’il semble intéressant sur le papier, il risque fort de n’avoir aucun effet, faute des financements adéquats.

La lutte contre les addictions mérite une loi globale. Telle est en tout cas la conviction de notre groupe. Ne prendre qu’un aspect de la problématique est, selon nous, très réducteur et renvoie à un débat tronqué.

Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe CRC s’abstiendra sur cette proposition de loi.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Les trois articles de la proposition de loi ayant été successivement supprimés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble du texte n’est pas nécessaire puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi autorisant l’usage contrôlé du cannabis n’est pas adoptée.

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi autorisant l'usage contrôlé du cannabis
 

4

Nouveaux indicateurs de richesse

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. (proposition n° 269, texte de la commission n° 363, rapport n° 362).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques
Article unique (début)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd’hui autour d’un texte qui a été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Or c’est bien l’esprit de cette proposition de loi, je pense, que de chercher le rassemblement.

Ce texte qui vous est proposé comporte, à mon sens, deux objectifs principaux.

Le premier objectif consiste à mieux mesurer le quotidien des Françaises et des Français, afin de mieux orienter les politiques publiques. On critique beaucoup, à cet égard, l’utilisation du produit intérieur brut, ce PIB qui est devenu l’étalon de l’activité économique, et donc l’indicateur phare pour la prise de décision. Il serait vain, me semble-t-il, de vouloir remplacer le produit intérieur brut par un nouvel indice synthétique, ce qui n’est d’ailleurs pas l’objet de cette proposition de loi. Il s’agit plutôt de compléter le PIB pour mieux éclairer tel ou tel aspect de la société pour lequel des réponses doivent être apportées ; cela me semble particulièrement utile.

L’exemple le plus récent qui me vient à l’esprit est celui de la jeunesse. La création d’un indicateur spécifique sur les jeunes, les « NEET », c’est-à-dire les jeunes de moins de vingt-cinq ans qui ne sont ni en éducation, ni en formation, ni dans l’emploi, a permis de mieux appréhender cette population très particulière, qui représentait plus de 18 % des jeunes en 2013, parmi les pays de l’OCDE.

Des politiques publiques spécifiques pour tenter de s’attaquer à ce phénomène ont été mises en œuvre. Je pense notamment à la « garantie jeunes », que nous avons d’ailleurs souhaité renforcer en France, pour donner toutes ses chances à la jeunesse.

On voit donc que le fait de mesurer peut avoir des conséquences importantes sur l’action publique. Cela ne vaut cependant que si l’on donne suffisamment de poids à ces indicateurs pour qu’ils entrent dans le débat national ; la présente proposition de loi, visant à en débattre au moins une fois par an au sein du Parlement, me semble utile et raisonnable.

Que faut-il mesurer ? À quelle fréquence ? Combien d’indicateurs faut-il ? Autant de questions légitimes, méritant à mon sens que l’on prenne le temps de la concertation, sous une forme à préciser. Il faudra toutefois veiller à être à la fois complet et concis dans le choix des mesures à mettre en avant, sans quoi on oublierait l’essentiel, qui est de donner du sens à cette démarche.

Le second objectif de cette proposition de loi est de remettre le long terme au cœur des politiques publiques. C’est, à mon sens, un facteur clé pour construire une croissance de qualité, c’est-à-dire qui soit assise sur des bases solides afin de produire des gains durables.

Retrouver une croissance solide et durable, telle est la priorité du Gouvernement.

Lorsque nous misons sur l’éducation en créant 60 000 postes et en favorisant l’accès à la formation professionnelle via le compte personnel de formation, nous travaillons pour le présent et pour l’avenir.

Lorsque nous portons une loi sur la transition énergétique et que nous nous investissons pleinement pour la réussite de la conférence sur le climat de cette fin d’année, nous travaillons pour le présent et pour l’avenir.

Lorsque nous réduisons les déficits, en veillant à ce que le rythme de réduction ne compromette pas la croissance, nous travaillons pour le présent et pour l’avenir.

Le présent texte vient donc conforter notre ambition, qui est de donner à chacun un cadre de vie meilleur, sur le court terme comme sur le long terme. Le Gouvernement s’associe donc pleinement à la démarche engagée par ce texte. J’espère, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous saurons dépasser nos différences pour nous rassembler autour de cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à la prise en comptes des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. Ce texte a été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 29 janvier dernier, sur l’initiative d'Eva Sas et de plusieurs de ses collègues du groupe écologiste.

Cette proposition de loi a été élaborée à la suite du dépôt, également sur l’initiative du groupe écologiste de l’Assemblée nationale, d’une proposition de loi organique portant modification de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse. Toutefois, cette dernière proposition avait été retirée par ses auteurs, le recours à un texte de nature organique ayant été jugé peu opportun par nos collègues députés.

Quoi qu’il en soit, la proposition de loi dont nous sommes saisis vise à ce que le Gouvernement remette annuellement au Parlement, le premier mardi d’octobre, un rapport « présentant l’évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable ». De même, elle prévoit une évaluation des politiques publiques engagées et à venir sur la base de ces nouveaux indicateurs de richesse. Enfin, la proposition de loi dispose que « ce rapport peut faire l’objet d’un débat devant le Parlement ».

Force est de constater que la proposition de loi répond à une véritable préoccupation. En effet, elle tend à ce que soient pris en compte de nouveaux indicateurs de richesse venant compléter, sans le remplacer, le produit intérieur brut, dont les limites sont connues de tous.

Le PIB constitue indéniablement une mesure utile de l’évolution des performances économiques, M. le secrétaire d’État vient de le rappeler à l’instant, puisqu’elle n’est pas sans lien avec le bien-être des individus, dès lors qu’elle influe, par exemple, sur le niveau de chômage et qu’elle permet aux autorités publiques d’adapter leurs politiques en conséquence.

Pour autant, cet indicateur ne permet pas d’appréhender la « qualité » de la croissance, ou encore sa « soutenabilité ». En particulier, en application du principe d’« objectivation » des comptes, le PIB ne distingue pas les activités ayant une incidence positive et celles dont l’effet sur le bien-être des individus est négatif. À titre d’exemple, le trafic de stupéfiants est comptabilisé comme toute autre activité de nature commerciale…

Cette « limite » du PIB a été perçue dès l’origine, notamment par l’économiste Simon Kuznets, qui est considéré comme le père de la comptabilité nationale.

Dans ces conditions, de nombreuses initiatives se sont succédé pour étendre ou compléter le PIB, dont je ne citerai que les principales : l’indice de développement humain, l’IDH, développé dans le cadre du Programme des Nations unies pour le développement, le PNUD, au début des années quatre-vingt-dix ; la mesure du bien-être économique, conçue par deux célèbres économistes américains, William D. Nordhaus et James Tobin, au cours des années soixante-dix ; l’indicateur de santé sociale, l’ISS, ou encore l’empreinte écologique.

À quelques exceptions près, les indicateurs de richesse apparus dans la seconde moitié du XXsiècle n’ont connu qu’un succès limité, conservant une visibilité bien moindre que le PIB. Néanmoins, la crise économique et financière a remis à l’ordre du jour les interrogations sur la finalité de la croissance, relançant, par la même occasion, les réflexions relatives aux nouveaux indicateurs de richesse.

À cet égard, il convient de citer les initiatives prises par les organisations internationales et européennes. Ainsi, quelques mois avant la crise, soit en juin 2007, l’OCDE organisait un forum mondial intitulé « Mesurer et favoriser le progrès des sociétés ». La déclaration d’Istanbul qui en a résulté a relevé « un consensus émergeant sur la nécessité de procéder à une mesure du progrès social dans chaque pays, allant au-delà des mesures économiques conventionnelles comme le PIB par tête », ses signataires appelant à ce que des mesures concrètes soient prises afin de favoriser le développement et la diffusion de mesures nouvelles du « progrès social ».

Continuant dans cette voie, l’OCDE a engagé, sur le fondement des travaux menés dans le cadre de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, mise en place par le Président de la République Nicolas Sarkozy et conduite par Joseph Stiglitz, l’initiative « Vivre mieux ».

En 2009, la Commission européenne a, de son côté, publié une communication ayant pour titre Le PIB et au-delà. Mesurer le progrès dans un monde en mutation, dans laquelle elle identifie cinq actions à réaliser à court et moyen terme, tendant notamment à l’ajout d’indicateurs environnementaux et sociaux au PIB, à une précision accrue des rapports sur la distribution et les inégalités et au développement d’un tableau de bord européen du développement durable.

À ces initiatives internationales et européennes s’ajoutent les mesures prises au niveau national. À ce titre, je souhaiterais citer l’exemple britannique. L’institut de statistiques du Royaume-Uni a lancé, à la fin de l’année 2010, un « programme de mesure du bien-être national » qui a débuté par un vaste débat à l’échelle du pays, faisant appel à des experts et à des contributions citoyennes : 30 000 réponses ont alors été récoltées. Dans ce cadre, des indicateurs du bien-être ont été identifiés et font, depuis lors, l’objet d’une attention accrue dans les analyses de l’institut de statistiques.

La France est, sans aucun doute, l’un des pays où les travaux menés sur les nouveaux indicateurs de richesse ont été les plus nombreux au cours des années récentes.

Ainsi, en 2005, le Conseil national de l’information statistique, le CNIS, a mis en place un groupe de travail sur le niveau de vie et les inégalités sociales, dont les conclusions accordent une large place aux indicateurs sociaux.

De même, saisi par le Premier ministre du projet de stratégie nationale de développement durable pour la période 2009-2013, le Conseil économique, social et environnemental a rendu un avis en novembre 2009, présenté par Philippe Le Clézio, considérant que la diffusion régulière d’indicateurs de développement durable constituait la voie privilégiée de l’appropriation de cette stratégie.

Comme je l’indiquais, une commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social a été mise en place par le Président de la République Nicolas Sarkozy ; conduite par Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi, cette commission a rendu son rapport en septembre 2009. Ses conclusions ont eu une influence déterminante sur les travaux relatifs aux nouveaux indicateurs de richesse menés par les organisations internationales, mais aussi par l’INSEE et le Commissariat général au développement durable.

S’inspirant également du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, l’Association des régions de France a créé, en 2012, trois déclinaisons régionales d’indicateurs de richesse jusqu’alors réservés aux États – l’indice de développement humain, l’indicateur de santé sociale et l’empreinte écologique –, de même que vingt-deux indicateurs de contexte de développement durable.

En outre, dans son rapport Quelle France dans dix ans ? Les chantiers de la décennie, rendu public en juin 2014, France Stratégie appelle à « associer au PIB un petit nombre d’indicateurs de la qualité de la croissance pouvant faire l’objet d’un suivi annuel ». En septembre 2014, France Stratégie a publié une note d’analyse dans laquelle elle propose sept indicateurs susceptibles d’accompagner le PIB dans un tableau de bord de la qualité de la croissance française.

Plus récemment, sous l’égide du Conseil économique, social et environnemental, et en collaboration avec France Stratégie, des travaux ont été engagés afin de développer un tableau de bord d’indicateurs venant compléter le PIB. Ces travaux sont encore en cours et devraient s’achever, après la consultation d’experts et de panels de citoyens, au mois de septembre de cette année.

Il apparaît donc que les nouveaux indicateurs de richesse ne manquent pas. Toutefois, ces derniers ont pour principale faiblesse de présenter une visibilité limitée et ne sont, par conséquent, pas en mesure de « modifier » la perception qu’ont les acteurs publics et les citoyens des politiques qui sont menées. Aussi la finalité de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est-elle de renforcer la saillance de ces nouveaux indicateurs de richesse et de prévoir que ces derniers soient régulièrement actualisés et suivis.

Ces nouveaux indicateurs de richesse permettraient de compléter utilement le PIB, dont j’ai rappelé brièvement les lacunes. Néanmoins, en ma qualité de rapporteur, j’ai identifié différents éléments susceptibles, selon moi, de limiter l’efficacité de la proposition de loi. Je pense notamment à la date de transmission au Parlement du rapport relatif aux nouveaux indicateurs de richesse, ou encore à la nécessité de préciser que les indicateurs qui seront retenus dans ce cadre devront reposer sur des données objectives et quantifiables.

Dans ces conditions, j’avais initialement proposé un amendement tendant à modifier la rédaction du dispositif de la présente proposition de loi. Néanmoins, en raison des contraintes inhérentes à l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale des textes déposés sur l’initiative des groupes d’opposition et des groupes minoritaires, j’ai retiré cet amendement lors de l’examen en commission, afin de ne pas retarder plus que de raison l’adoption définitive de la proposition de loi et ai proposé une adoption conforme du texte, recommandation qui a été suivie par la commission des finances. (Bravo ! sur les travées du groupe écologiste.)

Aussi, mes chers collègues, je vous propose d’adopter sans modification la proposition de loi visant à la prise en comptes des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis plusieurs décennies, le produit intérieur brut constitue l’un de nos principaux repères de pilotage des politiques publiques.

Indicateur central de la comptabilité nationale, le PIB exerce une influence déterminante sur nos politiques publiques. C’est en effet en fonction de cet indicateur de notre performance économique que nos budgets, notre déficit, notre dette sont calculés et que bien des décisions sont prises.

Cet outil, qui se voulait être un instrument de mesure pour nous permettre de mieux appréhender les évolutions de notre croissance économique, constitue aujourd’hui le critère déterminant pour juger de l’efficacité des politiques publiques et donc de l’action menée par un gouvernement.

Toutefois, la situation de crises à laquelle nous devons aujourd’hui faire face interroge cet indicateur, qui n’a assurément pas permis de nous alerter sur les dangers sociaux, économiques et environnementaux qui s’annonçaient. D’autres indicateurs s’en sont chargés, fort heureusement...

Ainsi, le PIB présente un bon nombre de limites, en ce qu’il n’appréhende que de manière quantitative la performance de notre activité économique, sans en mesurer la soutenabilité et les effets qualitatifs, d’un point de vue social, mais aussi environnemental.

Le développement d’une société ne peut plus se résumer au seul développement économique, même si ce dernier reste primordial pour assurer le bien-être !

Le PIB ne permet d’analyser ni les inégalités croissantes dans la répartition des richesses créées ni l’épuisement des ressources naturelles nécessaires à leur production. En effet, cet indicateur ne distingue pas les activités qui ont une incidence positive de celles qui ont un impact négatif sur le bien-être individuel et collectif des êtres humains. Il comptabilise même positivement des catastrophes naturelles, qui, bien qu’à la source de pertes matérielles voire humaines, font croître le PIB du fait des réparations des dégâts qu’elles engendrent !

De nombreux travaux ont déjà été consacrés aux limites de cet indicateur de notre modèle économique et social. À ce titre, les Nations unies et l’OCDE ont travaillé à de nouveaux instruments de mesure, le plus connu étant l’indice de développement humain, l’IDH.

Les conclusions de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, dite « commission Stiglitz », réunie par M. Sarkozy lorsqu’il était Président de la République, sont également venues conforter l’idée d’une remise en cause du PIB et la nécessité d’élaborer de nouveaux indicateurs de développement humain durable.

En France, Dominique Méda, Patrick Viveret ou encore Florence Jany-Catrice ont contribué à enrichir ces travaux avec, notamment, l’indice de santé sociale et l’empreinte écologique.

Si ces indicateurs sont utilisés par l’INSEE ou encore par le Commissariat général au plan, leur rôle reste secondaire dans l’évaluation des politiques publiques.

Aussi les sénateurs du RDSE souscrivent-ils à la philosophie qui sous-tend cette proposition de loi : cette dernière constitue un début de réflexion – et de réponse - sur un vrai sujet.

L’article unique du présent texte indique que, chaque année, le Gouvernement remet au Parlement un rapport présentant « l’évolution, sur les années passées de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable », ainsi qu’une évaluation des politiques publiques engagées et à venir sur la base de ces indicateurs.

Nous sommes toujours très réservés quant à l’efficacité des demandes de rapport, surtout que ces derniers tardent à arriver jusqu’au Parlement...

Il est nécessaire de ne plus évaluer nos politiques publiques au seul prisme quantitatif et d’affiner nos outils statistiques.

De plus, il devient urgent d’appréhender nos politiques à l’aune de véritables objectifs : la création d’emplois, la qualité de vie, la réduction des inégalités et la protection de l’environnement. Il s’agit, par là même, de rendre tout son sens à l’action politique. C’était d’ailleurs l’esprit de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.

Il faut poursuivre le travail engagé. L’examen de cette proposition de loi nous en offre l’occasion. Qui plus est, le présent texte nous permet d’ouvrir un plus large débat démocratique sur ces nouveaux indicateurs à mettre au point, dont la liste reste ouverte.

Ces indicateurs devront témoigner de notre capacité collective à passer de la société du « beaucoup d’avoir pour quelques-uns », à une société du « bien vivre pour tous, ensemble, dans un environnement préservé et partagé ». Toutefois, ne cédons pas pour autant aux sirènes de la décroissance. Sans croissance économique, nous n’aurons qu’une seule issue : le déclin et la paupérisation !

Mes chers collègues, en découvrant cette proposition de loi, nous étions très réservés – d’ailleurs, je vous l’avoue, quand j’ai lu ce texte, je n’y ai rien compris ! (Sourires.) Il a fallu le rapport de la commission des finances pour m’éclairer. À l’origine, je craignais qu’au PIB l’on n’ajoute des indices de croissance relevant – passez-moi l’expression – de la philosophie bobo, des petits oiseaux, et j’en passe… (Protestations amusées sur les travées du groupe écologiste.)

M. Jean-Claude Requier. En fait, tel n’est pas tout à fait le cas. Les membres du RDSE ont été convaincus…

M. Jean Desessard. Oh là là !

M. Jean-Claude Requier. … par le travail de la commission et par M. le rapporteur.

Même si, à l’instar de M. Lefèvre, nous émettons des réserves quant à la pertinence du choix consistant à associer l’examen éventuel de ce rapport au seul débat budgétaire, nous apporterons notre soutien à cette proposition de loi du groupe écologiste ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste. – Mme la présidente de la commission des finances et M. le rapporteur applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, face à la financiarisation de l’économie à laquelle nous sommes confrontés, cette proposition de loi du groupe écologiste me semble positive.

M. Roger Karoutchi. Eh bien… !

M. David Rachline. Il s’agit d’assurer une meilleure prise en compte des réalités sociale, environnementale et écologique dans le calcul de nos hypothèses de croissance et de nos performances économiques, ce afin de prendre également en compte les indicateurs de l’économie réelle.

Prenons l’exemple des questions environnementales. La financiarisation de l’économie et la mondialisation sont très loin d’être propices à l’écologie. Elles privilégient le jetable sur le durable, la mainmise du financier sur la sphère économique et ne permettent pas de financer de réels projets de développement durable. (Marques d’étonnement amusé sur les travées du groupe écologiste.)

Dès lors, l’idée d’engager une réflexion sur nos indicateurs économiques est tout à fait de bon aloi. Déjà, en 2012, les régions se sont dotées de nouveaux indicateurs pour piloter le développement de leur territoire. Il est grand temps de leur emboîter le pas.

Il faut améliorer notre vision en puisant, au-delà des indicateurs classiques, dans de nouveaux indicateurs innovants, qui s’attachent à mesurer la qualité de vie réelle de nos concitoyens.

Indicateur central qui irrigue l’ensemble de nos réflexions, le PIB impose en effet une vision beaucoup trop quantitative de l’activité économique. Ses limites sont bien connues.

Indicateur global, le PIB est incapable d’expliquer l’accroissement concomitant des inégalités et de la richesse.

Indicateur de valeur ajoutée, le PIB ignore les aspects négatifs d’une catastrophe naturelle, laquelle est susceptible de créer de la richesse par les « réparations » qu’elle induit – cela a été rappelé à l’instant.

Indicateur quantitatif, le PIB ne tient pas compte de la qualité de la richesse produite.

Indicateur de court terme, le PIB ne prend pas en considération l’environnement, le bien-être des populations et l’évolution des ressources.

Par ailleurs, le PIB ne tient pas compte de l’économie informelle, qu’il s’agisse, par exemple, du bénévolat ou du travail des mères au foyer, auxquelles il faut désormais ajouter les pères au foyer.

M. David Rachline. Je ne nie pas leur existence, chère collègue !

Chacun est aujourd’hui conscient des limites et des contradictions du PIB comme principal indicateur de mesure de la richesse, tant dans ses hypothèses que dans son mode de construction.

Je note que cette proposition de loi ne définit pas les nouveaux indicateurs. C’est un point positif, dans la mesure où ces derniers sont très nombreux : il eût été réducteur de les définir a priori. (M. André Gattolin opine.)

Je souligne l’ampleur du débat proposé, de manière pourtant non systématique. En effet, si ces indicateurs, fussent-ils nouveaux, sont biaisés, tout cela perd de son intérêt. Un véritable travail doit être mené en la matière.

Ainsi, nous souhaitons l’instauration d’indicateurs d’inflation distincts selon les tranches de revenus, par exemple tous les déciles. Ce faisant, l’on pourra constater clairement que l’inflation est beaucoup plus forte pour les bas revenus que pour les hauts revenus, car le prix des produits achetés par les plus modestes augmente beaucoup plus vite que le coût du panier moyen d’une personne aisée. C’est évident, mais cela va mieux en le disant !

Cette méthode nous permettrait de disposer d’une véritable vision de l’évolution du pouvoir d’achat par tranche de revenus, ce qui serait éminemment intéressant et révélateur de la politique catastrophique menée depuis de trop nombreuses années par les gouvernements successifs, et en particulier par le parti socialiste, pourtant censé défendre les plus fragiles.

En revanche, je regrette que nous ne trouvions pas la possibilité de concrétiser ces questions ailleurs que dans un énième rapport, qui risque de s’ajouter à la pile des études, hélas, condamnées à l’oubli

Toutefois, même si, pour l’heure, nous en restons au stade du symbole, la réflexion est engagée. À mon sens, il s’agit là d’une voie dans laquelle il faut poursuivre.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le produit intérieur brut exerce une forme d’hégémonie parmi nos indicateurs économiques. En effet, il suffit de consulter le projet de loi de finances pour constater que, parmi les indicateurs du fameux « carré magique », seul le PIB permet de construire les projections en matière de recettes fiscales et de dépenses budgétaires. Ni le taux de chômage ni le déficit commercial ne sont utilisés. Quant au taux d’inflation, son rôle demeure secondaire par rapport à la prééminence du PIB.

Nous connaissons pourtant les limites de cet indicateur. Il s’agit du problème classique des imputations : une fenêtre brisée, bien qu’elle inflige une perte de bien-être à un agent économique, constitue une source d’activité et donc de stimulation de la croissance du PIB.

Si l’on élargit ce problème, force est de constater que le PIB repose en partie sur des éléments de la production qui peuvent se révéler périlleux, à long terme, pour le bien-être des populations. Ainsi, la soutenabilité environnementale de l’activité économique à long terme ne permet pas de déflater le PIB de ses implications pondérées à court ou moyen terme.

Prenons un exemple : les pics de pollution aux particules fines qui ont récemment affecté les grandes villes de France, notamment Paris, présentent un risque sanitaire majeur qui pourrait se traduire, dans quelques décennies, par de lourdes dépenses sociales du fait des maladies respiratoires qu’ils sont susceptibles d’entraîner. Toutefois, ces pics de pollution dénotent un afflux de circulation et de consommation de carburant qui stimule à court terme l’activité économique.

Nous le voyons clairement : face à une telle situation, le PIB est bien inadapté pour éclairer la prise de décision publique.

L’autre écueil du PIB tient à la prise en compte de l’apport de la dépense publique à la richesse nationale. En effet, la dépense publique est appréhendée sous un angle purement comptable, où l’on considère qu’elle ne rapporte finalement que ce qu’elle coûte.

En conséquence, les externalités positives liées à la dépense publique ne sont pas prises en compte : on ne mesure pas annuellement l’apport de l’éducation nationale ou de nos infrastructures au flux de production de la richesse nationale. Autrement dit, ni le bénéfice individuel de l’effort collectif de financement des biens publics ni l’impact de celui-ci sur la production privée ne sont mesurés.

J’ajoute que le taux de croissance du PIB représente un flux sans vision patrimoniale d’ensemble.

Cet inventaire à la Prévert des carences du PIB conduirait à nous faire perdre confiance dans un indicateur qui reste pourtant, à l’heure actuelle, la donnée la plus communément produite par les pays du globe. Le PIB a beau être imparfait, il a le mérite d’exister et d’avoir été adopté par l’ensemble de la communauté économique et par tous les gouvernements.

Les limites de cet indicateur sont bien connues. La crise économique que nous traversons nous les a une nouvelle fois rappelées. C’est pour cette raison que Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, avait institué une commission de travail présidée par le prix Nobel Joseph Stiglitz et chargée de réfléchir à l’évolution des indicateurs économiques, en particulier du PIB.

La présente proposition de loi s’inscrit dans cette filiation. Aussi, je salue l’initiative du groupe écologiste qui a permis la tenue, aujourd’hui, de ce débat en séance publique.

Le présent texte prévoit la remise d’un rapport, concomitant au dépôt du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, dressant un tableau de bord formé d’indicateurs économiques alternatifs.

À cet égard, cette proposition de loi a le mérite de trancher entre une réforme du PIB que nous serions les seuls à mener et la volonté d’avoir une vision un peu plus globale, à travers un faisceau d’indicateurs économiques.

Toutefois, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la pertinence d’une action par voie législative qui, au total, se limiterait à une demande de rapport au Gouvernement. En effet, la loi organique relative aux lois de finances dispose que le Gouvernement est tenu d’adresser un certain nombre de rapports au Parlement en les annexant au projet de loi de finances initiale. Le Gouvernement a donc toute latitude pour adresser ces données aux assemblées par ce canal déjà existant et bien identifié.

Enfin, quel usage pourrait-on faire de ce tableau de bord ?

La compilation de données alternatives au PIB, comme l’indice de développement humain, l’empreinte écologique ou encore la mesure du bien-être économique proposée dans les années soixante-dix par Nordhaus et Tobin, ne nous offrirait pas une information suffisante quant à la soutenabilité sociale et environnementale de l’activité économique nationale.

En effet, on ne pourrait au mieux qu’observer d’éventuels liens de corrélation entre ces indicateurs. Ces critères suffiraient-ils à orienter nos politiques publiques et donc à fixer les orientations définies par le Gouvernement lorsqu’il élabore le projet de loi de finances ? Il me semble malheureusement que la réponse est non. Nos politiques publiques resteront principalement construites sur le PIB, car seule cette donnée économique nous permet d’évaluer les voies et moyens de l’action des pouvoirs publics.

Monsieur le secrétaire d’État, cette intervention me permet de vous faire cette suggestion : peut-être faudrait-il, à moyen terme, inviter le Gouvernement à engager une réflexion au sujet d’une éventuelle réforme des modalités de calcul du PIB,…

M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Vaste programme !

M. Claude Kern. … afin de prendre en compte les conséquences environnementales et sociales de l’activité économique.

Cette réforme reviendrait simplement à faire évoluer les méthodes d’analyse de l’INSEE. Elle n’exigerait pas de loi supplémentaire. A fortiori, l’INSEE pourrait produire ce nouvel indicateur, ce « PIB enrichi » en complément du PIB, au sens classique du terme. Cet indicateur aurait le temps d’asseoir son autorité dans les comparaisons économiques internationales.

Ainsi, je crois bien que notre discussion de ce jour est encore loin d’épuiser le sujet. (M. le secrétaire d’État acquiesce.) Dans cet ordre d’idées, le dispositif proposé par nos collègues écologistes ne me semble pas d’une portée suffisante pour changer notre rapport à la production et notre conception de l’impact des politiques publiques.

Mes chers collègues, pour ces raisons, et même s’ils adhèrent à nombre des constats dressés, les sénateurs du groupe UDI-UC s’abstiendront sur la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC – M. Bruno Retailleau applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Vincent.

M. Maurice Vincent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question de la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques est parfois abordée de manière désinvolte, voire ironique. On fait allusion aux doux rêveurs soixante-huitards, parfois même qualifiés d’« attardés », qui voudraient voir le PIB remplacé par un « bonheur national brut » dont il est facile de dénigrer la naïveté, voire la dangerosité, si l’on va jusqu’à mettre derrière cette notion l’ambition folle d’un État prétendant définir de façon autoritaire le bonheur des individus.

La caricature, même quand elle a l’avantage de susciter le sourire, ne doit pas pour autant nous conduire à sous-estimer l’importance et l’intérêt d’autres approches, plus scientifiques et politiques, celles-là, de cette question.

Je veux rappeler ici, non sans émotion, le talent pédagogique de Bernard Maris, qui soulignait régulièrement qu’il ne contribuait pas beaucoup à l’augmentation du PIB en rejoignant à vélo les locaux de France Inter ou de Charlie Hebdo, contrairement à beaucoup d’autres Franciliens, coincés dans les embouteillages automobiles et donc consommateurs d’essence, produisant de la pollution atmosphérique et alimentant bientôt une industrie anti-pollution.

L’intérêt de cette proposition de loi est d’éviter tout risque de dévoiement, dans la mesure où ses auteurs ne proposent en rien d’abandonner la référence au PIB comme élément essentiel de la préparation et de l’analyse du budget. En effet, les indicateurs suggérés viennent seulement en complément du PIB.

Le texte met ainsi en relation le questionnement scientifique de la notion de PIB et de ses limites, pour mesurer objectivement la croissance économique et précisément dépasser ces limites, connues depuis bien longtemps.

Il conduit à souligner la nécessité, qui sera de plus en plus ressentie dans les années à venir, de rechercher la croissance indispensable en en contrôlant les effets les plus graves sur le devenir à moyen terme de la planète.

Les universitaires et les scientifiques français ont légitimement abordé la question des indicateurs disponibles ou souhaitables pour mesurer plus précisément la croissance économique sous ses aspects quantitatifs et qualitatifs. D’autres chercheurs le font dans le monde, mais les contributions françaises sont à la fois nombreuses et reconnues pour leur qualité, à l’instar des travaux de Dominique Méda, de Jean Gadrey ou de Jean-Paul Fitoussi, pour n’en citer que quelques-uns.

Au moment où se prépare la conférence COP 21 dans notre pays, il est bienvenu de le rappeler. La question de la mesure de la croissance et de sa compatibilité avec la maitrise du réchauffement climatique sera en effet nécessairement à l’ordre du jour de cette conférence.

Au regard de la qualité des travaux scientifiques, l’une des difficultés soulevées par cette proposition de loi porte sans doute sur le nombre, la fiabilité et la qualité des indicateurs susceptibles d’être choisis pour éclairer le débat public, sans pour autant le saturer de chiffres ou de notions qui pourraient relever de l’appréciation subjective.

En retenant les références aux inégalités, à la qualité de vie et au développement durable, un premier tri louable a été opéré. Il reste à la fois à limiter le nombre des indicateurs et à veiller à leur actualisation régulière, sans emporter pour autant des coûts de collecte et de traitement trop importants.

Le dispositif de tableau de bord envisagé me semble pertinent. Je suis personnellement partisan d’un nombre limité d’indicateurs, pas plus d’une dizaine, afin que l’évaluation des décisions budgétaires et des résultats des politiques publiques soit limitée aux questions essentielles et ne se perde pas dans des considérations qui pourraient vite couvrir un champ démesuré.

Le débat démocratique suggéré pour la sélection des indicateurs ne peut pas, lui non plus, être conduit sans organisation - France Stratégie ainsi que le Conseil économique, social et environnemental devront y veiller – d’autant plus que nous disposons déjà de nombreux rapports sur le sujet.

Le contrôle de la liste des indicateurs retenus doit, me semble-t-il, revenir au Parlement, et non être concédée à telle ou telle instance de démocratie participative, si utile soit elle.

Enfin, il me semble que la période proposée – le mois d’octobre – pour la diffusion de ce rapport est adaptée à une bonne prise en considération de ces nouveaux indicateurs dans le débat budgétaire. La logique voudrait que nous en retrouvions toutes les traces dans les études d’impact accompagnant les nouvelles décisions - c’est en tout cas le vœu que je forme -, afin de faciliter les débats sur le projet de loi de finances.

Sur le fond, l’intérêt primordial de cette proposition de loi réside dans la question fondamentale qu’elle aborde : on ne pourra plus, dans les années à venir, établir des budgets annuels sans y intégrer des considérations de moyen et long terme permettant de garantir la soutenabilité de la croissance, que tout le monde recherche.

Tous ces arguments me conduisent donc à vous inviter, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi conforme, c'est-à-dire dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme l’ont rappelé plusieurs d’entre nous, parfois sur un mode gentiment ironique, cette proposition de loi consiste en une demande de rapport, ce qui peut, en effet, sembler bien anecdotique. En réalité, mes chers collègues, ce sont seulement les moyens de l’action parlementaire qui sont anecdotiques et qui ne nous permettent pas, en la matière, d’être plus normatifs. (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)

Le problème abordé ici est pourtant crucial : il s’agit de l’inadéquation de nos outils de gouvernance économique aux besoins de nos concitoyens et aux exigences de notre environnement.

Le seul objectif que nous assignons aujourd’hui à notre économie, c’est la croissance du PIB, conçue comme condition nécessaire et suffisante à la félicité universelle.

Or, si l’on ne considère que lui, le PIB est un assez mauvais indicateur de l’état de notre société. Il mesure une production de richesse, mais ne dit rien de sa répartition, ni de sa qualité, et encore moins de sa durabilité. Une croissance forte peut très bien s’accompagner d’une récession sociale, sanitaire et environnementale.

De plus, l’écrasante omniprésence du PIB dans les discours économiques ne permet pas de penser un monde où la croissance semble, notamment dans nos sociétés les plus développées, atteindre des limites structurelles. C’est que l’indicateur n’est pas seulement un outil d’observation, il oriente les analyses et préfigure les décisions. Pour le dire autrement, en usant d’une métaphore, quand vous ne disposez que d’un marteau, vous vous persuadez rapidement que votre seul problème est un clou ! (Sourires.)

D’autres indicateurs sont donc nécessaires, presque tout le monde en convient désormais, non pour remplacer le PIB, mais pour le compléter. Ils existent, me direz-vous. On en trouve même en très grand nombre dans les documents statistiques, et jusque dans les annexes au projet de loi de finances. Ils sont pourtant largement inexploités dans les analyses économiques et absolument inaudibles dans le débat public.

Pour ne prendre qu’un seul exemple, lorsque le Parlement débat longuement, à l’automne, du budget du pays, toutes les interventions évoquent l’évolution du PIB. C’est bien normal ! Combien, toutefois, abordent l’évolution des inégalités territoriales, l’évolution des inégalités de revenus ou l’évolution de l’empreinte carbone ? Très peu, vous en conviendrez. Ces indicateurs ne sont pourtant pas moins importants.

L’évolution de l’empreinte carbone, notamment, offre une première approximation de notre impact sur le climat. Or, depuis la publication, il y a bientôt une dizaine d’années, du fameux rapport Stern, même les économistes les plus orthodoxes admettent désormais que le changement climatique se traduira inexorablement – cela se voit déjà ! – par un coût financier monumental, représentatif d’espèces sonnantes et trébuchantes, et d’autant plus élevé qu’il est différé.

S’interroger avec un minimum d’acuité sur l’évolution de notre empreinte carbone lorsque nous établissons le budget public semblerait donc assez naturel !

Quant à la question des inégalités, elle nous ramène à l’actualité électorale. En effet, plusieurs travaux universitaires récents, croisant géographie, cartographie et sociologie politique, démontrent une corrélation positive entre, d'une part, le vote Front National et, d'autre part, la montée des inégalités et de la précarité, particulièrement importante dans certains de nos territoires.

À l’heure où beaucoup déplorent dans la montée du Front National une fatalité, nous tenons là, au contraire, une piste d’action concrète et prometteuse : agir pour résorber les inégalités sociales territoriales. Mais comment s’y atteler, si nous nous focalisons exclusivement sur l’évolution du PIB, dont la croissance est précisément indépendante de celle des inégalités ?

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette proposition de loi, portée avec ténacité par notre collègue députée Eva Sas, qui nous écoute depuis les tribunes et que je salue, a donc l’ambition de contribuer à faire émerger quelques indicateurs complémentaires du PIB, afin qu’ils gagnent en popularité jusqu’à pouvoir aider le Parlement, notamment, à penser des politiques publiques mieux adaptées au contexte de crises multifactorielles dans lequel notre pays se débat.

Ne vous imaginez pourtant pas que cela placerait la France à la tête d’une avant-garde hippie, guidée par le seul « bonheur national brut », un indicateur qui a cours dans ce lointain pays qu’est le Bhoutan. En réalité, cette proposition de loi nous permettrait tout juste de nous inscrire dans les pas de nos voisins anglais, belges et allemands, dont les gouvernements ou les parlements organisent déjà le débat public autour de ces indicateurs complémentaires.

Monsieur le secrétaire d’État, même si ce texte a connu, du temps de vos prédécesseurs, quelques péripéties inattendues à l’Assemblée nationale, je me réjouis que vous nous apportiez aujourd’hui le soutien très clair du Gouvernement, et je ne doute pas que ses auteurs pourront compter sur vous, si le texte était adopté, pour accompagner son ambition dans la durée.

Monsieur le rapporteur, cher Antoine Lefèvre, je tiens à vous remercier très sincèrement d’avoir pris le soin d’examiner ce texte pour ce qu’il est, sans esprit partisan, et je me réjouis que, ce faisant, au-delà de la question de la rédaction, qui pouvait en effet se discuter, vous ayez jugé utile de souligner l’intérêt de cette démarche.

Mes chers collègues, à l’instar de notre commission des finances, je vous invite donc à soutenir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. le rapporteur applaudit également)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la richesse d’un pays se mesure-t-elle à l’usage plus ou moins dispendieux qu’il fait de ses propres ressources ?

C’est en gardant à l’esprit les conclusions de nombreuses réflexions menées depuis une cinquantaine d’années de par le monde, depuis les activités du Club de Rome de Sicco Mansholt, auteur en 1972 d’un ouvrage intitulé Les limites de la croissance, jusqu’aux travaux de la commission Brundtland, du nom de l’ancienne Premier ministre de Norvège, sur le développement soutenable, que nos collègues du groupe écologiste ont jugé utile d’ouvrir un débat sur le contenu et la qualité de la croissance.

La question n’est pas l’existence ou non d’une nouvelle ligne de fracture politique entre partisans de la croissance, de l’activité et de l’égalité des chances économiques, d’une part, et tenants de la décroissance, de l’autre : chacune de ces deux positions développe en elle-même une large palette d’appréciations.

La vérité commande de dire que, tout en reconnaissant l’apport théorique essentiel de grands économistes issus de diverses écoles philosophiques, on ne peut réduire la thématique de la richesse nationale et de son évaluation à la seule qualité d’un appareil statistique, certes de très haut niveau en France, capable de mesurer avec une exactitude presque millimétrique la réalité de la production dite « marchande ».

Notons d’emblée ce formidable paradoxe : c’est bel et bien parce que l’État et la puissance publique se sont emparés de la question de la construction d’un appareil statistique de haut niveau, articulé autour de l’INSEE et de sa propre filière de formation, l’ENSAE, et aujourd’hui largement développé dans de nombreux domaines de l’action publique, que nous disposons d’une capacité de mesure précise des mouvements de la société marchande.

Oui, formidable paradoxe, la qualité du non-marchand se révèle déterminante pour mesurer le marchand !

Le débat sur les nouveaux indicateurs de richesse se pose évidemment avec une acuité particulière dans une société marquée, comme la nôtre, par quelques décennies de mise en déclin de la dépense publique directe ainsi que par le creusement des inégalités sociales, singulièrement des inégalités de patrimoines. Ce débat sous-tend en grande partie un autre débat, celui-là politique et singulièrement parlementaire, notamment quand nous sommes amenés à examiner les textes budgétaires.

Je constate d’ailleurs que France Stratégie, qui remplace l’ancien Commissariat général au plan et qui publie des études d’impact relativement sommaires sur certains aspects des textes gouvernementaux, a lui-même apporté sa pierre à la réflexion que nous invitent à mener nos collègues auteurs de la proposition de loi.

Sept indicateurs ont retenu l’attention de Jean Pisani-Ferry et de son équipe : l’évolution des actifs, incorporels ou physiques, du secteur productif ; la proportion de diplômés de niveau baccalauréat et plus au sein de la population âgée de vingt-cinq à soixante-quatre ans ; l’artificialisation du territoire ; l’empreinte carbone de l’activité économique ; le rapport entre les revenus des 20 % les plus pauvres et des 20 % les plus riches parmi les ménages ; la dette publique nette vis-à-vis du PIB et la dette extérieure nette vis-à-vis du PIB.

On aura constaté l’importance, parmi ces indicateurs, de la dimension incorporelle, ainsi versée au débat public. Cela répond à la nécessité de prendre en compte le niveau de qualification de la main-d’œuvre, générateur par excellence de gains de productivité mesurés par la « productivité apparente du travail », mais aussi la réalité de l’enrichissement en termes incorporels du capital productif disponible.

Soyons clairs, les paramètres retenus par les services de M. Pisani-Ferry ne font pas le compte, car il y manque, à notre avis, quelques éléments clés que nous pourrions voir figurer au sein des critères résumés dans le texte de la présente proposition de loi.

La judicieuse initiative prise par nos collègues du groupe Europe Écologie Les Verts appelle à un débat serein et contradictoire sur ce que nous voulons pour notre pays et son peuple, en des temps troublés où il est de plus en plus évident qu’un décalage existe et s’amplifie entre réalités économiques et sociales et ressenti des populations.

Si ce débat peut d’une certaine manière atténuer les considérations déclinistes en vogue ces derniers temps, ce ne sera pas, au fond, un mal. Encore faut-il qu’il soit mené, et le meilleur moyen de le faire est d’adopter la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Delattre.

M. Francis Delattre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la prise en compte d’indicateurs de richesse autres que la croissance du produit intérieur brut dans l’élaboration des politiques publiques, notamment des lois de finances, est en réalité une question technocratique récurrente dans le débat public, mais qui, pour autant, recèle des enjeux majeurs, et je rejoins ici nombre d’intervenants.

Il s’agirait notamment de prendre en compte des indicateurs écologiques et sociaux, des indicateurs tenant au développement durable, à la qualité de vie ou encore aux inégalités.

J’insisterai sur les inégalités.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les inégalités se creusent dans ce pays.

Prenez l’école : selon votre lieu de résidence, vous aurez plus ou moins de chance de réussir dans la vie. L’égalité des chances devient ainsi en simple slogan, vide de tout contenu.

Prenez le logement, secteur dont on dit qu’il est en crise : l’accès des jeunes au logement est très difficile. Il s’agirait de rompre avec cette aide à la pierre dont nous connaissons tous les effets maléfiques et qui, la plupart du temps, n’a d’autre effet que de faire grimper les prix, rendant encore plus difficile l’accès au logement pour les primo-accédants.

Prenez la sécurité, autre sujet important : le nombre d’agents de sécurité privée excède, en France, celui des policiers travaillant dans les commissariats ! Aussi certaines résidences font-elles l’objet d’une surveillance permanente tout au long de la nuit, grâce à des gardiens à demeure, tandis que les résidents des logements sociaux en sont réduits à attendre parfois plusieurs heures l’intervention de la brigade anti-criminalité, après des incidents souvent graves.

La question des inégalités territoriales, qui ne se pose pas seulement pour les territoires ruraux, mérite aussi d’être citée.

En région parisienne, et je le dis devant M. Roger Karoutchi,…

M. Roger Karoutchi. Je n’y suis pour rien ! Voyez le Gouvernement !

M. Francis Delattre. … l’organisation d’un noyau dur, très riche, et de départements de la grande couronne relégués soulève une véritable interrogation. Là aussi se créent de nouvelles inégalités.

Mon département, qui compte tout de même 1,3 million d’habitants, ne dispose, sur son territoire, d’aucune classe préparatoire aux grandes écoles. Les étudiants issus de ce département sont donc contraints de louer un studio à Paris, s’ils veulent accéder aux lycées parisiens accueillant ces classes préparatoires.

Il convient d’évoquer aussi les inégalités d'accès à l’emploi et les difficultés que rencontrent dans ce domaine tous les jeunes de ce pays, confrontés qu’ils sont aux rigidités du marché du travail, même lorsqu’ils sont diplômés.

En réalité, mes chers collègues, les inégalités seront l’un des grands thèmes des prochaines échéances électorales nationales. Aussi, ces questions, qui sont posées - au demeurant très habilement - par les auteurs de la proposition de loi, ne sauraient être balayées d’un revers de main. Telle est la raison pour laquelle nous regrettons que le dispositif de la proposition de loi, dont nous anticipons qu’il se traduira par un rapport, un de plus, soit bien insuffisant au regard de l’objectif.

Le critère unique de la croissance du produit intérieur brut, sur lequel sont bâties les lois de finances, peut souvent apparaître déconnecté des réalités. Ainsi, alors que, depuis la crise, les familles composent avec une dégradation généralisée de leur pouvoir d’achat, le PIB ne cesse de croître, même si son taux d’augmentation a été faible et parfois même égal à zéro.

Cette incapacité du PIB à rendre compte des réalités vécues par nos concitoyens creuse un véritable fossé entre un certain discours politique – on nous assure que la situation économique s'améliore - et le ressenti des Français, de plus en plus sceptiques quant à la réalité de l’efficacité des politiques publiques qui leur sont proposées.

Dans ce contexte, il pourrait être utile de disposer de nouveaux indicateurs permettant de nuancer les discours en fonction du ressenti réel de nos concitoyens. Je pense au logement, à la santé, à l’emploi, à l’accès à des écoles performantes ou encore à la qualité de la formation professionnelle.

Autre exemple, l’inégalité liée à la ruralité ou à cette « rurbanité » que je connais dans mon département est un critère non négligeable pour nombre de Français qui se sentent abandonnés, et doit à ce titre être prise en compte dans l’élaboration des politiques publiques.

À l’inverse, en milieu urbain, notamment dans la région parisienne, le logement est essentiel, car il impacte directement le niveau de vie des salariés. Ainsi, les habitants de ce pays consacrent au financement de leur logement 50 % de plus de leur salaire que les citoyens allemands. Et c’est aussi la cause d’un autre problème économique, puisque c’est autant de moins de pouvoir d’achat que nos concitoyens consacrent à la consommation et, par conséquent, à la croissance.

La question du coût des transports dans les zones rurales, mais aussi dans les grandes agglomérations, selon que l’on habite dans le centre ou en banlieue, est également digne d’intérêt, mais n’est pas assez prise en compte. Les dispositifs de péréquation, que nous mettons en place gaillardement ici, sur la base de chiffres et de statistiques, ne prennent pas assez en compte cet aspect.

Les villes moyennes de région parisienne contribuent – nous l’observons - au financement des villes moyennes de province, mais la question du coût des transports n’est pas assez prise en compte dans l’élaboration de cette politique de péréquation, de même que les difficultés d’accès à des services présentant des conditions correctes de fonctionnement.

Dès 2008, le sujet qui nous réunit ici a fait l’objet d’une réflexion menée par la commission Stiglitz. Cette commission a traité de la mesure des performances économiques et du progrès social en veillant à éviter une approche trop quantitative ou trop comptable de la mesure des performances collectives du pays et à élaborer de nouveaux indicateurs de richesse. L’initiative de cette démarche avait été prise – je le rappelle pour finir de mettre de bonne humeur certains ici –, par l’ancien Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, le 8 janvier 2008.

Cette commission était composée, notamment, de cinq prix Nobel d’économie, dont M. Stiglitz, économiste américain de renom, et le professeur Amartya Sen, de Harvard, ainsi que l’économiste français Michel Fitoussi, président de l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques.

La Commission, dans un rapport de septembre 2009, avait également remis en cause la pertinence de l’évolution du PIB en tant qu’indicateur de performance et de progrès et avait proposé, elle aussi, de prendre en compte de nouveaux indicateurs.

Aujourd’hui, et c’est toute la difficulté, chacun s’accorde à penser que de nouveaux indicateurs sont nécessaires, mais nous n’en percevons concrètement aucun.

Ce sujet fait également l’objet d’un examen attentif du Conseil économique, social et environnemental, qui travaille en ce moment même sur cette question.

Si donc tout le monde s’attelle au sujet des indicateurs de richesse, vous obtiendrez peut-être satisfaction, monsieur le rapporteur, au cours des semaines ou des mois à venir. Pour autant, il est difficile de souscrire à l’objectif sans considération pour le dispositif de la proposition de loi, modeste au point d’être inexistant…

En Allemagne, neuf indicateurs de richesse alternatifs au PIB ont été élaborés par une commission parlementaire spéciale, transpartisane, et prenant en compte non seulement l’économie, mais aussi l’écologie et la qualité de vie.

Qu’attend-on, monsieur le secrétaire d’État, pour mener en France un travail de même nature ? Vous me direz que pareille tâche incombe aux assemblées. Vous aurez raison : nous sommes sur le point de soumettre des propositions en ce sens au président du Sénat.

Néanmoins, comme l’a très bien souligné, en commission des finances, M. le rapporteur général, tout comme notre rapporteur, Antoine Lefèvre, que notre groupe tient à féliciter pour la qualité du travail accompli, la rédaction de la présente proposition de loi n’est pas pleinement satisfaisante. La date de remise du rapport, en outre, n’est pas des plus opportunes. Il reste notamment, encore, à définir un cadre plus précis. Pour autant, des propositions qui nous paraissent intéressantes ont été formulées.

Il serait préférable de mesurer l’impact des lois de finances sur les indicateurs de richesse au moment de la discussion du projet de loi de règlement, qui présente le résultat de l’année précédente, plutôt qu’au moment d’établir des prévisions pour l’année suivante. La discussion du projet de loi de règlement coïncide en outre avec les discussions inhérentes à la transmission à Bruxelles du programme de stabilité et de croissance, avec son programme national de réformes. Ce moment serait donc sans doute le plus approprié.

L’impact ainsi mesuré permettrait de tirer des leçons utiles au débat d’orientation sur les finances publiques en vue de la préparation du budget suivant.

Nous ne pouvons donc que saluer les propositions de M. le rapporteur et encourager la Haute Assemblée à travailler sur ces données objectives et quantifiables.

Les informations recueillies apporteraient également un éclairage utile pour juger des péréquations horizontales : la mise à jour de tous ces indicateurs permettrait certainement de lever bien des injustices en la matière. De ce point de vue-là aussi, je ne peux que nous encourager à persévérer !

En conclusion, si notre groupe, dans sa majorité, n’est pas du tout hostile à l’objectif de la présente proposition de loi et y est même tout à fait favorable, il ne veut pas non plus délivrer un blanc-seing au Gouvernement sur un texte franchement trop descriptif. Un rapport, encore un rapport ! Notre souhait est plutôt de passer à l’action.

Dans cette attente, nous allons aujourd’hui, majoritairement, nous abstenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au-delà du contenu de cette proposition de loi, dont je partage les objectifs, Mme Eva Sas, que je salue, nous invite à réfléchir au rapport existant entre la quantification des phénomènes socio-économiques et environnementaux et l’efficacité de l’action politique et publique.

Comme nous le disent des chercheurs tels qu’Albert Ogien, dans son étude sur « la valeur sociale du chiffre », la quantification du politique est une démarche qui ne va pas de soi. Elle est problématique.

La politique, dans sa définition comme dans son appréciation, ne saurait être résumée à une représentation chiffrée, fût-elle hautement sophistiquée. Lorsque l’on examine les diverses modalités de quantification de l’action politique, on repère deux approches types très différentes, l’une centrée sur la mesure de la performance, l’autre sur le développement de la démocratie.

Utilisé au service de la performance, le chiffre est conçu comme un facteur contribuant à encadrer l’action sans souci particulier de soumettre les choix possibles à la décision collective.

Utilisé au service de la démocratie, le chiffre est au contraire envisagé comme un facteur d’extension du débat public et d’accroissement des sphères d’exercice de la responsabilité politique des citoyens.

D’une certaine manière, on peut dire que c’est entre ces deux approches, radicalement différentes, que se situe la manière dont les gouvernements utilisent le système du chiffre, appelons-le ainsi, afin de mener l’action politique et de réformer l’État sous l’empire du principe d’efficacité.

En filigrane, la présente proposition de loi soulève la question de la performance des politiques, une question centrale qui doit faire l’objet d’un débat démocratique. Or notre mode de fonctionnement institutionnel, dans ses dimensions politique et administrative, nous amène à constater que l’écart se creuse entre le registre de la performance et le registre de la démocratie. Ainsi, la performance mal orientée ou mal définie peut desservir la démocratie et l’intérêt général, notion d’ailleurs elle aussi problématique.

Au fond, les indicateurs de richesse comme le PIB ne sont que des conventions, aujourd’hui mises à mal par la crise économique et sociale, qui est très profonde. Nous savons bien, en effet, que le PIB ne dit rien du creusement des inégalités sociales, ce qui peut expliquer le décalage, ou l’écart, entre les perceptions qu’ont de la réalité les citoyens et les experts.

Les dernières consultations ont confirmé une fois de plus la tendance constante à la baisse de la participation électorale. Comment intéresser ou ré-intéresser le citoyen français à la chose publique, à la Politique avec un grand « P » ? Telle est la question qui se pose à nous tous ; elle est cruciale pour notre avenir commun car, à travers elle, c’est la démocratie elle-même qui est interrogée.

Jean-Paul Fitoussi, qui a déjà été largement cité ce matin, a tenu, au sujet des inégalités, des propos auxquels je souscris pleinement : « Elles conduisent à l’exclusion et à la violence, qui rompent la cohésion sociale et donc la démocratie. La confiance et la démocratie sont des actifs dits intangibles, mais elles sont essentielles pour la soutenabilité » de notre développement.

Une manière de combler l’écart entre les perceptions de la réalité dont j’ai parlé consisterait à amplifier les pratiques de la démocratie en garantissant aux citoyens le droit de participer activement au processus d’élaboration des systèmes de quantification de la vie publique.

Dans son dernier ouvrage, L’Humanitude au pouvoir ; comment les citoyens peuvent décider du bien commun, le professeur Jacques Testart met en lumière l’étonnante capacité des citoyens à comprendre les enjeux, à réfléchir, à délibérer et à prendre des décisions au nom de l’intérêt commun. Les jurys citoyens, constitués notamment pour traiter des controverses sociotechniques, sont la preuve concrète de la réalité de ces capacités citoyennes.

La présente proposition de loi marque une première étape intéressante sur le chemin vers une implication directe du citoyen dans l’évaluation plus rationnelle de l’efficience des politiques menées. La réflexion qu’elle ouvre devra être poursuivie sur le terrain de l’institution d’un droit politique à définir les valeurs sociales que la collectivité veut voir exprimées par le chiffre. Ce droit nouveau pourrait permettre de régénérer le débat démocratique de fond, ce dont notre pays a besoin pour retrouver la confiance dans ses institutions et ses représentants.

Nous connaissons déjà les conseils citoyens institués par la nouvelle politique de la ville. Pourquoi ne pas créer par la loi des conférences citoyennes du bien commun qui traiteraient des systèmes de quantification et d’évaluation des politiques publiques, nationales comme locales ?

Sur la question des valeurs sociales et des indicateurs susceptibles de leur correspondre, le projet républicain demeure, pour moi, le cadre de référence ; il doit seulement être actualisé pour prendre en compte les grands enjeux climatiques et environnementaux. Versons au débat public, par l’intermédiaire des conférences citoyennes du bien commun dont je propose l’instauration, des propositions d’indicateurs de nature à faire le lien entre politiques publiques et valeurs républicaines traduites dans la vie concrète de tous les citoyens français.

Mes chers collègues, au-delà des systèmes d’indicateurs existants, nombreux mais dont l’utilisation est réservée, pour l’essentiel, à des professionnels et à des spécialistes, il s’agit d’ouvrir la voie à une représentation de la réalité de notre société et de ses évolutions, éventuellement critiquables, pour permettre une prise de conscience commune et un débat. La présente proposition de loi répond à cette nécessité démocratique, et c’est pourquoi je la voterai.

Cela étant, d’autres démarches propres à mobiliser activement les citoyens sur ce sujet pourraient la prolonger. Tel est le sens de ma proposition de créer des conférences citoyennes du bien commun. J’apporterai, le cas échéant, ma contribution à cette construction démocratique et républicaine, grandement nécessaire, me semble-t-il, dans la période que traverse actuellement notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur les travées du RDSE.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques
Article unique (fin)

Article unique

(Non modifié)

Le Gouvernement remet annuellement au Parlement, le premier mardi d’octobre, un rapport présentant l’évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable, ainsi qu’une évaluation qualitative ou quantitative de l’impact des principales réformes engagées l’année précédente et l’année en cours et de celles envisagées pour l’année suivante, notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces indicateurs et de l’évolution du produit intérieur brut. Ce rapport peut faire l’objet d’un débat devant le Parlement.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, sur l’article.

M. Éric Bocquet. La véritable limite de la logique quantitative qui a animé la construction de l’appareil statistique en France tient au fait que l’économie n’est pas seulement affaire de chiffres, mais également de ressenti et de comportement individuel de ses acteurs.

En particulier, on peut penser que la mesure des inégalités de revenus, même si elle fait bien ressortir le creusement de l’inégalité dans notre pays, ne suffit pas à rendre compte de l’état des discriminations sociales, spatiales et économiques. Il nous semble que l’on pourrait tout aussi bien mesurer les inégalités de patrimoine, d’autant que moult dispositions fiscales prises depuis trente ans ont favorisé l’enrichissement de certains, parfois au détriment d’autres.

De la même manière, nous devons nous interroger sur la qualité du service public et sur son apport à la qualité de vie dans le pays. Ainsi, si l’allongement global de la durée de vie participe au progrès de l’ensemble de la société, il semble bel et bien qu’il ne soit pas équitablement partagé. Nous devons pouvoir disposer en la matière de données mesurées, de nature à nous aider, en particulier, à concevoir et à voter des lois de financement de la sécurité sociale assurant la permanence, la pertinence et la qualité des soins.

À la vérité, la commission constituée, il y a déjà plusieurs années, autour de Joseph Stiglitz avait réservé une place relativement importante à la prise en compte de certains indicateurs sociaux touchant à la qualité de vie de la population.

L’abstention de la moitié des électeurs inscrits lors des récentes opérations électorales atteste, selon nous, une crise réelle des modes de représentation politique et démocratique, qui participe d’un certain sentiment général de mal-être. La crise économique et sociale du monde occidental se traduit, dans les faits, par le désinvestissement croissant du corps électoral et civique, en France comme dans l’ensemble des pays développés.

Je le répète, il importe que nous nous interrogions sur l’apport décisif des services publics à la qualité de vie et à la richesse de notre pays. En particulier, chacun s’accorde à reconnaître la contribution de l’éducation à la capacité d’innovation, de création, de recherche et de développement, c’est-à-dire à la compétitivité d’une économie et à la force d’une société.

Plus généralement, le service public, dont l’activité est déterminante pour la société tout entière, est dans son ensemble facteur de valeur ajoutée. Ainsi, sans service public de la recherche, les capacités de recherche et de développement dans notre pays ne seraient sans doute pas très importantes, et nul doute que, sans la sécurité sociale, la qualité de notre main-d’œuvre serait moindre. Contrairement aux fonds de pension et aux assurances maladie personnelles existant aux États-Unis, nos budgets sociaux ne relèvent pas de la capitalisation boursière.

Par ailleurs, nous devons aussi réfléchir à la question des actifs nets publics, qu’ils soient détenus par l’État, les établissements de santé ou les collectivités territoriales. En effet, leur évaluation est un autre enjeu essentiel, alors que l’on continue de nous raconter bien des choses erronées sur la dette publique.

Le débat est ouvert, et nous devrons le poursuivre, sans oublier la réalité des antagonismes à l’œuvre en toile de fond de l’économie et de la société contemporaines.

Mme la présidente. Je ne suis saisie d’aucun amendement.

Je vais donc mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.

Je rappelle que le vote sur l’article unique vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques.

(La proposition de loi est définitivement adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste, ainsi qu’au banc de la commission.)

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques
 

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Guide de pilotage statistique pour l’emploi

Adoption d’une proposition de résolution

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe écologiste, de la proposition de résolution pour un guide de pilotage statistique pour l’emploi, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Jean Desessard et les membres du groupe écologiste (proposition n° 325).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean Desessard, auteur de la proposition de résolution.

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour un guide de pilotage statistique pour l'emploi
Discussion générale (fin)

M. Francis Delattre. Encore ? Si ça continue, c’est lui qui entrera bientôt au Gouvernement… (Sourires.)

M. Jean Desessard, auteur de la proposition de résolution. Il y a un mercato, c’est vrai !

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juin 2013, au cours d’un débat sur la formation des chômeurs, j’ai soulevé la question des emplois non pourvus, dont le Conseil d’orientation pour l’emploi, le COE, estime le nombre à 820 000 dans notre pays !

À cette occasion, monsieur le ministre, j’ai souligné que l’on ne connaissait pas précisément la part de chacune des différentes causes expliquant que des emplois ne soient pas pourvus ; il me semble que ce constat est toujours valable aujourd’hui, à moins que vous n’ayez des données nouvelles à nous communiquer.

Après que j’eus de nouveau attiré votre attention sur ce problème à la fin de l’année 2013, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014, vous m’avez invité au ministère, ce dont je vous remercie. Je m’y suis rendu avec mon petit dossier, heureux à l’idée de pouvoir enfin travailler avec vous sur ce sujet. Vous m’avez alors présenté une « techno », membre de votre cabinet, qui m’a asséné, en guise de réponse à mes interrogations, une litanie de chiffres et d’éléments de langage. Et patati, et patata… Je me suis en quelque sorte retrouvé dans la situation des chômeurs qui, dans nos circonscriptions, nous demandent ce que nous faisons concrètement pour eux, et à qui nous répondons par une énumération de mesures, ce qui bien sûr ne les satisfait pas !

Voilà ce qui m’a conduit, monsieur le ministre, à déposer la présente proposition de résolution.

Que recouvre, au juste, ce chiffre de 820 000 emplois non pourvus, dont l’énormité ne peut manquer d’interpeller un gouvernement dont la priorité affichée est l’emploi ?

Selon les experts, il s’expliquerait, à concurrence d’un peu moins de la moitié, par le temps nécessaire pour remplacer un salarié parti ou pourvoir un poste nouvellement créé. Il s’agit là d’une situation normale, disent-ils, sur un marché du travail où les entreprises mettent du temps à trouver le bon profil. De fait, en France, le processus de recrutement dure en moyenne quatre semaines. En somme, il en va du marché du travail comme de celui du logement : entre le départ d’un locataire et l’entrée dans les lieux de son successeur, il s’écoule toujours une période de vacance. On estime donc que 400 000 emplois ne seraient pas pourvus à cause de ce phénomène : ce chiffre me paraît élevé, mais admettons ; peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, confirmer ou infirmer cette estimation.

Restent donc 420 000 emplois vacants, ce qui n’est pas rien. Ces 420 000 emplois, je vous les offre, monsieur le ministre : vous pouvez en disposer pour réduire d’autant le nombre des chômeurs !

Pourquoi donc ces emplois-là ne sont-ils pas pourvus ?

D’abord, un employeur peut abandonner un processus de recrutement, notamment si le contexte économique se dégrade. Soit, mais combien de postes cela concerne-t-il ?

Ensuite, certains postes demeurent non pourvus en raison d’une insuffisante attractivité, en termes de salaire et de conditions de travail – c’est l’attractivité objective – ou d’image du métier – c’est l’attractivité subjective. Combien de vacances d’emploi s’expliquent-elles ainsi ? On ne le sait pas, personne n’est capable de nous le dire !

Enfin, l’employeur peut ne pas trouver de candidats suffisamment compétents pour le poste, ce qui pose la question de la formation professionnelle.

Concernant le contexte économique, une offre d’emploi peut être publiée sans déboucher finalement sur un recrutement. Ainsi, un tiers des TPE-PME auraient abandonné un projet de recrutement au cours de l’année 2013. Avons-nous les moyens de vérifier l’exactitude de ce chiffre élevé ?

Un poste peut également être non pourvu à cause de son manque d’attractivité, qui peut être lié à des représentations culturelles, à des clichés, à des stéréotypes.

Ainsi, on nous dit que l’on ne trouve plus de maçons, parce que l’image du métier n’est pas bonne. Cependant, lorsque je consulte le site de Pôle emploi, les demandes d’emploi de maçon semblent beaucoup plus nombreuses que les offres. Là encore, on n’arrive pas à savoir ce qu’il en est en réalité !

L’image des métiers de la restauration s’est beaucoup améliorée, monsieur le ministre, grâce à des émissions de télévision telles que MasterChef. Aujourd'hui, l’image du cuisinier est en hausse, mais qu’en est-il vraiment pour les autres métiers manuels ?

Les conditions de travail sont également déterminantes en matière d’attractivité. Les enquêtes « Besoins en main-d’œuvre » de Pôle emploi et les évaluations du Gouvernement ayant précédé la mise en place du plan « Formations prioritaires pour l’emploi » situent les besoins les plus forts dans les mêmes filières : BTP, hôtellerie-restauration, agroalimentaire. Ces secteurs présentent une caractéristique commune : une stabilité de l’emploi des salariés relativement limitée et des rythmes de travail que l’on peut sans peine qualifier de « soutenus ».

Monsieur le ministre, avez-vous fait réaliser une véritable étude sur l’existence d’un lien entre les conditions de travail, les salaires ou la précarité dans certains métiers et la pénurie de candidats pour les exercer ? Est-il étonnant qu’un emploi à mi-temps pour une durée de quinze jours et imposant de longs déplacements reste non pourvu ? Ne s’agit-il pas de conditions de travail peu intéressantes ? Avez-vous des statistiques à nous communiquer sur ce point, monsieur le ministre ?

Dans les métiers de bouche, on parle souvent de pénuries de salariés, mais les vacances de postes ne correspondent-elles pas plutôt à une mutation de ces professions ? Un boucher ne préfère-t-il pas aujourd’hui travailler dans un supermarché, pour bénéficier d’une certaine stabilité de l’emploi en tant que salarié ? Ces questions doivent être examinées ; pour l’heure, nous n’avons pas les moyens d’y répondre.

On sait que, dans le secteur de la santé, il existe une demande forte d’infirmières, de médecins, mais, en l’espèce, la pénurie tient au numerus clausus, qu’il faut remettre en question.

On peut aussi, bien sûr, évoquer la formation, les lacunes de l’enseignement scolaire qui pénalisent les demandeurs d’emploi dans leur recherche. À cet égard, je souligne le bilan positif du programme « Compétences clés » mis en place par l’État pour combler les lacunes des demandeurs d’emploi en matière d’informatique, de langues ou de mathématiques. Ce dispositif connaît un grand succès, puisque les 50 000 formations dispensées chaque année ne suffisent pas à satisfaire toutes les demandes. C’est un point intéressant.

En revanche, les formations professionnelles sont si nombreuses et leur organisation si complexe que personne ne connaît leur nombre exact. Ainsi, même l’Inspection générale des affaires sociales, dans son rapport du mois d’août 2013, ne parvient pas à dénombrer précisément ces dispositifs et se borne à évoquer un système complexe, fondé sur une addition de « logiques différentes selon les acteurs institutionnels ». On manque d’un pilotage.

Telles sont, rapidement brossées, les possibles causes de l’existence d’emplois non pourvus. Cependant, comme on ne sait pas précisément quel est le poids de chacune d’entre elles ni quelles personnes sont concernées, on ne peut pas apporter de réponse adaptée.

Voilà pourquoi, monsieur le ministre, je vous propose de mettre en place un guide de pilotage statistique pour l’emploi, autant dire un GPS pour l’emploi,…

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. C’est bien trouvé !

M. Jean Desessard. … qui nous mette sur la bonne route. On repère tel besoin de formation sur un territoire ? Hop, en quelques mois, on met en place une formation adéquate, en lien avec la région ! On observe que les difficultés de recrutement dans tel secteur sont liées aux conditions de travail ? Hop, on engage une réflexion, puis on prend une mesure ! Voilà à quoi servirait le GPS : à orienter l’action pour donner rapidement une réponse adaptée. On ne peut pas se satisfaire de l’existence de 420 000 emplois non pourvus dans notre pays !

J’ai consulté le site de Pôle emploi afin d’étudier l’offre et la demande d’emploi dans un certain nombre de métiers pour lesquels le recrutement est réputé difficile.

Ainsi, monsieur le ministre, pour le département de la Côte-d’Or, j’ai relevé 17 offres d’emploi de maçon, et 81 offres proches, pour 2 716 curriculum vitae déposés. Il n’y a donc pas de manque de candidats !

On m’a dit que l’on manquait de frigoristes. Pour Paris, on dénombre 50 offres d’emploi de frigoriste, et 100 offres proches, pour 2 158 curriculum vitae.

On affirme aussi que l’on manque d’ascensoristes : pour la Seine-Saint-Denis – département où, paraît-il, les ascenseurs sont souvent en panne –, on relève une offre d’emploi d’ascensoriste, 97 offres proches, pour 729 curriculum vitae.

Pour le département de l’Ain, on note 4 offres d’emploi d’aide-comptable, et 146 offres proches, pour 12 056 curriculum vitae déposés… C’est fabuleux, à peine croyable !

Qu’est-ce que cela veut dire ? Que fait Pôle emploi ? Où sont les postes vacants ? Que fait-on de ces 12 056 demandes d’emploi d’aide-comptable pour le seul département de l’Ain ? Je ne parle même pas des doublons : en Côte-d’Or, par exemple, un même poste de maçon est proposé par trois agences d’intérim différentes. Il faut donc encore minorer les chiffres déjà faibles d’offres d’emploi que j’ai cités !

Comment faire des statistiques dans ces conditions, monsieur le ministre ? Il faut clarifier les choses.

Des initiatives privées se font jour pour améliorer l’adéquation entre offres et demandes d’emploi. Il faut les soutenir, car elles répondent à un besoin. J’ai rencontré les responsables de la start-up DepecheJob, qui a développé une application permettant de mettre directement en relation les employeurs et les candidats pour les emplois manuels et de la restauration. Lorsque je leur ai demandé s’ils disposaient de statistiques sur leurs résultats, ils m’ont répondu que c’était encore trop tôt. Quand je les ai interrogés sur le nombre des offres non pourvues, ils n’ont rien su me dire de concret… En somme, c’est l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’employeur sans candidat pour pourvoir un poste !

On répète à l’envi qu’il y a des postes non pourvus, que des chômeurs ne veulent rien faire, que l’on n’arrive pas à trouver de candidats, mais tout cela n’apparaît pas dans la réalité du terrain quand on examine les choses de près.

Comment agir, monsieur le ministre, si nous ne savons pas précisément pour quelles raisons des emplois restent non pourvus ? Comment mesurer l’efficacité et la pertinence des mesures prises en l’absence de tout système d’évaluation ? Afin d’y voir clair, je vous propose, monsieur le ministre, de créer un GPS pour l’emploi, qui permettra de bien identifier les besoins, d’analyser les difficultés et d’orienter l’action pour plus d’efficacité.

Je n’irai pas plus loin : tout le monde a compris le sens de ma proposition de résolution.

Monsieur le ministre, je sais que vous allez me dire que j’ai raison, mais qu’il n’y a pas d’argent. Je vous renvoie à un article paru dans le Canard enchaîné de cette semaine, sous le titre suivant : « Burger King croque l’argent de Pôle emploi ».

De quoi s’agit-il ? Sous couvert de les former par le biais de stages financés par Pôle emploi, Burger King fait travailler des personnes gratuitement… Pourquoi privilégie-t-on de tels dispositifs ? N’y a-t-il pas d’autres priorités ? Ne faudrait-il pas réfléchir à une meilleure utilisation de Pôle emploi ?

Monsieur le ministre, je sais que vous n’avez pas aujourd'hui les moyens de mettre en place le GPS pour l’emploi, mais prenez le temps d’étudier les dispositifs de Pôle emploi : mettre fin à ceux qui ne sont pas pertinents – je viens d’en citer un, mais il y en a certainement d’autres – vous permettra de dégager le budget nécessaire.

En conclusion, monsieur le ministre, la création de ce GPS est impérative pour que nous soyons en mesure de lutter efficacement contre le chômage, ce qui est la priorité du Gouvernement, notre priorité à tous. Cela permettrait aussi de combattre le préjugé selon lequel il y aurait partout des emplois inoccupés, que les chômeurs ne veulent pas prendre parce qu’ils seraient trop fainéants, qu’ils n’auraient pas envie de se salir les mains… On colporte trop de rumeurs sur ce sujet des emplois non pourvus, il est temps de faire la lumière !

Je vous invite, chers collègues, à voter ma proposition de résolution visant à la mise en place d’un GPS pour l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste, de l'UDI-UC et de l’UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le groupe écologiste d’avoir présenté cette proposition de résolution portant sur le thème, crucial s’il en fût, de l’emploi. Elle met en exergue un problème avéré, qui a notamment fait l’objet d’un rapport du Conseil d’orientation pour l’emploi remis en 2013.

Pardonnez ma sévérité, mais j’affirme que la classe politique française dans son ensemble exploite le mythe selon lequel notre pays serait assis sur un immense gisement d’emplois salariés non pourvus.

Nous nous satisfaisons d’une nébuleuse de chiffres, marquée par l’absence de statistiques fiables, par un amalgame entre le nombre d’emplois vacants et celui des offres non pourvues faute de candidats. Ainsi, de 200 000 à 500 000 emplois ne trouveraient pas preneur : la fourchette est large, et le curseur se déplace selon les acteurs politiques !

L’existence supposée d’un tel gisement d’emplois vacants suscite des interrogations et donne lieu à des batailles de chiffres, souvent utilisés hors contexte et ne permettant pas d’établir un diagnostic précis de la situation. Notre collègue Jean Desessard l’a très bien montré.

Ces chiffres alimentent aussi des propos stigmatisants –notamment le discours sur la fraude – et servent à la fois des interprétations partisanes et la justification de mesures avancées pour combattre le chômage.

Mes chers collègues, monsieur le ministre, l’examen d’une question aussi capitale que celle de l’emploi exige une objectivité absolue dans les constats et ne saurait se satisfaire d’estimations approximatives, établies à l’emporte-pièce.

Comment proposer des moyens adaptés et efficaces pour résoudre un problème sans avoir effectué un diagnostic précis ?

Ce guide de pilotage statistique pour l’emploi dont la création est réclamée par le groupe écologiste, qui propose d’identifier et de comptabiliser clairement les offres d’emploi non pourvues et leurs causes, constituera un nouvel outil opportun en vue de clarifier ces données nébuleuses et de cesser de mettre en œuvre à l’aveugle des politiques souvent coûteuses, qui s’apparentent à des coups d’épée dans l’eau.

J’en viens à l’amalgame sémantique.

Il faut éviter la confusion entre la notion d’emploi vacant et celle d’emploi non pourvu faute de candidats. Bien qu’elles évoquent toutes deux l’idée d’un stock d’emplois, elles ne recouvrent pas forcément des emplois durablement inoccupés. Or il est courant que les médias et les personnes publiques recourent indifféremment à l’une ou à l’autre, ce qui engendre une confusion gênante.

Au sens européen, un emploi vacant correspond à « un poste rémunéré nouvellement créé, non pourvu, ou qui deviendra vacant sous peu, pour le pourvoi duquel l’employeur entreprend activement de chercher, en dehors de l’entreprise concernée, un candidat apte ».

Cette notion ne comporte pas d’indication sur la durée de la vacance d’emploi et recouvre un ensemble bien plus large que la seule catégorie des emplois durablement non pourvus.

Quant à la notion d’offre non pourvue, elle ne correspond à aucune donnée statistique couvrant l’économie française dans son ensemble. Elle peut désigner aussi bien des offres non encore pourvues pour lesquelles la recherche d’un candidat est en cours que des offres annulées, car pourvues en interne ou retirées faute de candidats ou de besoin de l’entreprise.

Concernant l’imprécision des données sur le taux d’emplois vacants d’Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne, je voudrais souligner, bien que cela ne soit pas l’objet du présent texte, une incohérence qui obère la fiabilité des statistiques élaborées par cet organisme.

Le règlement du 23 avril 2008 impose aux États membres de transmettre trimestriellement des données relatives aux emplois vacants pour le calcul du taux d’emplois vacants dans l’Union européenne, qui s’établissait à 1,7 % au quatrième trimestre de 2014.

Or les données permettant de calculer cet indice ne couvrent pas tous les emplois à pourvoir dans l’ensemble de l’économie européenne, et les données françaises sont incomplètes. Elles résultent de l’enquête dite ACEMO pour les entreprises de plus de dix salariés du secteur marchand et sont complétées une fois par an de résultats issus de la même enquête pour les TPE.

Les données des institutions publiques sont tout simplement absentes de la collecte, et la transmission de données concernant les activités agricoles et sylvicoles, la pêche et les services à la personne est facultative pour tous les États membres.

Comment la compilation de données aussi hétérogènes peut-elle aboutir à une comparaison européenne fiable ? Intéressons-nous au calcul hasardeux du nombre d’offres non pourvues.

Je reviens sur le problème principal qui nous occupe : si les causes des vacances d’emploi sont identifiées, nous avons une connaissance imprécise de la part de chacune d’entre elles.

La question est simple : d’où viennent les chiffres qui apparaissent dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution, à savoir 820 000 emplois vacants et 400 000 tentatives de recrutement abandonnées chaque année ? Ils reposent sur une extrapolation fragile et approximative, dont le peu de rigueur surprend, fondée sur le nombre d’offres d’emploi recensées en fin de mois par Pôle emploi et sur la part de marché de cet opérateur, estimée à 37,5 %.

On peut, en effet, s’interroger sur une telle méthode. Au regard des déclarations uniques d’embauche pour des emplois d’une durée supérieure à un mois, on estime que les offres collectées par Pôle emploi représentent 37 % de ces recrutements. Cependant, on constate que la part de marché de Pôle emploi est bien plus faible pour les offres d’emploi d’une durée inférieure à un mois, les recruteurs recourant alors à d’autres canaux. Tous les recrutements ne s’effectuent pas via Pôle emploi. Ne faut-il pas mieux prendre en compte le rôle du web, qui a révolutionné le marché de la recherche d’emploi et échappe au compteur de Pôle emploi ?

Vous conviendrez, mes chers collègues, que les ordres de grandeur que j’ai cités ne sont pas très fiables ! Au total, avec cette méthode, le nombre des « emplois durablement vacants » et des « abandons de recrutement » est globalement estimé à 400 000.

En ce qui concerne maintenant les difficultés de recrutement, on peut estimer, en recoupant les différentes sources, à la fois administratives et déclaratives, dont nous disposons, qu’entre un quart et un tiers des recrutements sont difficiles, pour des raisons variant selon les métiers, les secteurs et les territoires.

Ces données proviennent, notamment, des enquêtes sur les besoins de main-d’œuvre du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CREDOC, de l’enquête « offre d’emploi et recrutement », dite OFER, de l’indicateur de tension élaboré par la DARES, la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, de l’observatoire Tendance emploi compétence du MEDEF et de l’enquête annuelle de Manpower sur la pénurie de talents.

Mais, là encore, ces résultats ne peuvent être extrapolés à l’ensemble des recrutements. Ils reposent sur les intentions déclarées des employeurs, portant pour la plupart sur des recrutements sous contrat de longue durée.

Le nouvel outil que propose d’instaurer le groupe écologiste permettrait de remédier à l’absence de statistiques et de clarifier une situation qui ne permet pas, pour l’heure, de légitimer les moyens déployés dans la lutte contre le chômage. Enfin, on peut penser que la mise en place de ce dispositif serait aussi source d’emplois.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC votera en faveur de l’adoption de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de toute évidence, l’estimation avancée par le COE en septembre 2013 doit susciter une certaine inquiétude : comment peut-il exister 820 000 emplois non pourvus dans notre pays, qui connaît un taux de chômage de plus de 10 % ? M. Desessard a très bien souligné ce point.

Les employeurs déclarent rencontrer des difficultés pour recruter dans un quart à un tiers des cas. Environ 400 000 tentatives de recrutement sont abandonnées chaque année faute de candidats. On peut alors se demander si tout a été fait pour mettre en contact les employeurs potentiels et les demandeurs d’emploi.

Nous connaissons les conséquences néfastes de ce décalage entre l’offre et la demande d’emplois : les entreprises, surtout celles de taille modeste, voient leur fonctionnement ralenti, et l’image des chômeurs se dégrade.

Ce phénomène est préoccupant, et le groupe UMP ne peut que partager les motivations de la résolution proposée par Jean Desessard et le groupe écologiste. Il faut en effet se doter d’un outil statistique qui permette de mesurer finement les besoins en compétences des entreprises, en les étudiant au plus près des bassins d’emploi et de chaque filière.

Si des ressources existent déjà, tels l’enquête « Besoins en main-d’œuvre » de Pôle emploi, l’observatoire Tendance emploi compétence du MEDEF, l’enquête OFER de 2005 ou l’enquête annuelle mondiale sur la pénurie de talents de Manpower, elles ne sont pas suffisantes et se fondent sur des critères souvent différents.

Les causes majeures des vacances d’emploi sont connues, mais le poids de chacune d’entre elles est difficile à estimer, car cette « anomalie » ne touche pas identiquement les différentes régions et les différents corps de métiers.

Les postes peuvent rester non pourvus du fait de problèmes structurels, d’un manque de fluidité du marché du travail, par exemple de conditions particulières de mobilité, ou d’une saisonnalité de l’emploi proposé.

Ils peuvent également être refusés en raison de leur manque d’attractivité en termes de salaire, de conditions de travail ou d’image de l’entreprise, facteur dont l’importance est très significative pour certains métiers difficiles. On peut citer par exemple, à cet égard, des secteurs comme l’hôtellerie-restauration, la maintenance, les métiers de la santé, les industries mécaniques ou le travail des métaux.

Enfin, l’explication le plus souvent mise en avant par les employeurs est l’inadéquation des candidats au poste proposé. Sur ce point, il appartiendrait aux pouvoirs publics d’effectuer des réformes, en revoyant notre dispositif de formation initiale et continue ou en favorisant l’acquisition d’expérience, notamment par l’apprentissage et l’alternance. Nous sommes tous d’accord sur le constat, mais nous ne parvenons malheureusement pas à faire évoluer les choses.

La création du guide de pilotage statistique préconisée au travers de cette proposition de résolution doit être un premier pas en vue d’une meilleure orientation de l’action des opérateurs du marché de l’emploi, partant des besoins des entreprises.

Je partage le diagnostic et les conclusions présentés dans le rapport du COE. Si nous connaissons les causes des emplois non pourvus, nous sommes incapables, à l’heure actuelle, d’en établir la hiérarchie claire et d’utiliser ces informations à des fins opérationnelles.

On peut d’ailleurs regretter que, devant la montée du chômage, le Gouvernement n’ait pas tiré les enseignements de ce rapport et qu’une initiative parlementaire se soit révélée nécessaire.

Notre politique de l’emploi ne peut faire l’économie de l’approfondissement de la connaissance statistique des emplois à pourvoir, qui améliorera la collaboration entre les différents acteurs. À court terme, le COE estime que cet approfondissement doit permettre de répertorier, d’ici à cinq ans, les offres aux échelons local et national, et de rendre public le nombre d’offres en stock toutes les fins de mois à Pôle Emploi, quel que soit le type de contrat.

À l’échelon régional, le guide de pilotage statistique permettra de systématiser l’identification par les acteurs locaux – je pense notamment aux DIRECCTE, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, aux observatoires régionaux, aux maisons de l’emploi – des métiers rencontrant des difficultés de recrutement, sur la base d’une méthodologie harmonisée, et de faire un meilleur usage de ces informations.

Je n’entrerai pas davantage dans le détail des recommandations formulées dans le rapport, mais nous ne pouvons pas, me semble-t-il, nous permettre de ne les suivre qu’à moitié.

En tant que membre de la commission des affaires européennes, j’insisterai sur le fait que le phénomène visé par la proposition de résolution ne peut être efficacement combattu sans une coopération à l’échelle européenne des instances de recherche statistique publiques et privées, qui permettra de comparer les différentes situations nationales.

Le développement d’une sociologie de l’emploi solide requiert que le guide de pilotage ne figure pas seulement dans les résolutions adoptées par les parlements nationaux et qu’il soit présenté au Parlement européen. Les instances communautaires ont déjà requis la trimestrialisation des données relatives aux emplois vacants dans les TPE ; il faut y ajouter la collecte des données sur ces emplois dans tous les types d’entreprises et la fonction publique.

Cette fois en tant que membre de la commission de la culture et de l’éducation, j’ajouterai que s’il est bien une évidence que souligne le rapport et que soutient l’UMP, c’est que la gouvernance actuelle de notre système de formation et les modalités de financement qui en découlent ne facilitent pas la collaboration entre les employeurs et les acteurs de la formation. L’outil statistique est nécessaire, mais il ne servira à rien si l’identification des besoins des employeurs n’a aucun effet sur les formations continues proposées par Pôle emploi, ainsi que sur les formations du secondaire et du supérieur.

Améliorer la réactivité des formations en amont de la recherche d’emploi suppose non seulement, comme le préconise le rapport, d’associer les présidents d’université plus étroitement aux comités de coordination régionaux de l’emploi et de la formation professionnelle, mais aussi, inversement, d’assurer une meilleure représentation des entreprises et autres pourvoyeurs d’emplois dans l’élaboration des formations elles-mêmes.

Nous espérons donc, en conclusion, que le Gouvernement saura tirer les conséquences de cette proposition de résolution pour la définition de sa politique de formation à l’emploi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe écologiste. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Vincent.

M. Maurice Vincent. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un rapport du Conseil d’orientation de l’emploi publié le 30 septembre 2013 chiffrait à 820 000 le nombre d’emplois non pourvus en France. À la même période, l’enquête ACEMO estimait le nombre d’emplois vacants à 180 000. Les services des relations humaines des grandes entreprises avancent souvent, quant à eux, que ce nombre est compris entre 300 000 et 400 000. Une récente campagne de communication du MEDEF faisait d’ailleurs état de ce dernier chiffre. Certains journalistes vont jusqu’à évoquer 600 000 emplois non pourvus, sans toutefois indiquer leurs sources.

On le voit, tous ces chiffres tiennent manifestement du ressenti. Pôle emploi, qui ne couvre pas toute l’offre disponible – un grand nombre d’offres passent aujourd'hui par les sites de recrutement en ligne –, estime à 40 % la proportion des recrutements considérés comme difficiles, 10 % des offres n’étant finalement pas satisfaites, ce qui représente entre 300 000 et 350 000 emplois.

Au niveau européen, Eurostat estime que les emplois vacants représentent de 0,3 % à 0,5 % de l’emploi total, mais souligne que la méthode de construction statistique de ces données, concernant notamment la France, est contestable.

Au final, on voit qu’une clarification des chiffres s’impose et, de ce point de vue, cette proposition de résolution est manifestement bienvenue.

Sur le plan européen, je veux souligner que, en dépit de leur imprécision, les chiffres diffusés par Eurostat montrent que la France fait partie des pays où le taux de postes ne trouvant pas preneur est le moins élevé : il est ainsi nettement inférieur à la moyenne européenne.

On pourrait considérer, a priori, qu’il s’agit là d’un élément plutôt positif, mais il nous faut, en réalité, privilégier une autre interprétation, moins favorable : contrairement aux idées reçues, un pays qui affiche un taux d’emplois vacants élevé est aussi, souvent, un pays qui propose beaucoup d’emplois. Autrement dit, si le taux d’emplois vacants par rapport au nombre d’emplois total est élevé en France, c’est parce qu’il n'y a pas assez d’emplois à occuper, et non parce que des armées de chômeurs démotivés n’en chercheraient pas.

Le Portugal, l’Italie, l’Espagne sont dans des situations proches de la nôtre. À l’inverse, l’Allemagne a un taux d’emplois vacants élevé, ce qui la conduit d’ailleurs à favoriser une immigration professionnelle.

On le voit, l’interprétation des statistiques est complexe. Elles sont davantage le reflet de divergences démographiques, croisées avec des situations économiques diverses, notamment pour ce qui concerne la fluidité du marché du travail et le niveau de croissance. Bien évidemment, il faut à la fois renforcer la croissance et améliorer la fluidité du marché du travail.

Les raisons pour lesquelles des offres d’emploi ne trouvent pas preneur sont extrêmement variées : déconnexion entre la rédaction de l’annonce et les compétences réellement nécessaires, pourvoi en interne, recrutement via un autre réseau, etc.

On sait depuis longtemps quelles branches sont les premières victimes de cette situation : l’hôtellerie et la restauration, l’agroalimentaire, certains métiers de bouche, certains métiers de la santé, l’accompagnement des personnes âgées dépendantes, les transports, l’informatique. Concernant la restauration, je suis plus dubitatif que l’auteur de la proposition de résolution sur l’impact positif de l’émission MasterChef : aujourd'hui, pour une grande partie de nos concitoyens, l’image de ce secteur est aussi associée, me semble-t-il, aux fast-foods et à la précarité.

Les causes de ces difficultés à pourvoir des emplois sont finalement fort différentes suivant les secteurs : déficit d’image, conditions de travail difficiles, faiblesse des salaires, réelle pénurie de candidats qualifiés dans certains métiers, tels que ceux de l’informatique. Nous avons besoin, à cet égard, de renforcer l’offre de notre système éducatif.

Le Gouvernement, ainsi que les régions, qui interviennent beaucoup dans ce domaine, ont pris des mesures pour remédier à ces difficultés. Deux plans successifs visant à offrir, respectivement, 30 000 et 100 000 formations prioritaires aux métiers en tension ont été mis en œuvre, avec des résultats qui ont dépassé les objectifs. Le programme « compétences clés », en matière d’informatique et de langues, rencontre un grand succès, avec 50 000 formations annuelles. Des dispositifs comme la préparation opérationnelle à l’emploi permettent d’apporter à des candidats des compétences pouvant être rapidement acquises, afin qu’ils puissent sortir du chômage. En 2014, c’est un total de 446 000 formations professionnelles qui ont été financées, soit une hausse de près de 9 % par rapport à 2013.

D'ailleurs, la proposition de résolution souligne cet effort considérable, consenti prioritairement en faveur de la formation des demandeurs d’emploi, trop longtemps reléguée au second plan.

Cependant, il est exact que les dispositifs de formation, qui dépendent d’une multitude d’acteurs, sont aujourd'hui trop nombreux et trop complexes ; un large consensus existe sur ce point. De ce fait, on peut légitimement s’interroger sur le degré d’efficacité de la dépense de 32 milliards d’euros consentie chaque année pour le secteur de la formation professionnelle. Chacun sait bien que des gains d’efficacité sans doute importants peuvent être réalisés.

À cet égard, la proposition de résolution de Jean Desessard et du groupe écologiste est intéressante. Les technologies dont on dispose aujourd’hui permettent un pilotage en continu des statistiques relatives aux postes vacants, afin d’éviter que des emplois ne soient pas pourvus, notamment dans les métiers en tension. Un guide de pilotage des formations accessibles aux demandeurs d’emploi pourrait ainsi être mis en place, en collaboration avec les différents partenaires, au premier rang desquels Pôle emploi, les régions ou encore l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA. Il faudra veiller à ce que simplicité et facilité d’utilisation soient les maîtres mots de son élaboration.

Bien sûr, il importe aussi que les conseillers de Pôle emploi aient une réponse à apporter aux demandeurs d’emploi, dont ils sont les premiers interlocuteurs. Il faut qu’ils puissent leur faire une ou des propositions pour leur redonner des perspectives concrètes, ce qui implique qu’ils aient accès à une information complète, actualisée, fiable et réactive.

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, nous soutenons, sur le principe, cette proposition de résolution, en vous demandant de nous indiquer quelles perspectives vous-même et vos services pouvez ouvrir en ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’objet de cette proposition de résolution est de mieux connaître les causes des offres d’emploi non pourvues, afin d’aiguiller en conséquence les politiques publiques.

Pour commencer, je rappellerai que l’étude des causes du chômage est déjà réalisée par Pôle emploi, l’INSEE, les DIRECCTE et la DARES, y compris, pour cette dernière structure, à l’échelon des bassins d’emploi.

L’exposé des motifs de cette proposition de résolution met en avant, à juste titre, trois causes principales de non-pourvoi des emplois, dont il s’agit d’apprécier le poids respectif.

Premièrement, des causes économiques peuvent expliquer que des emplois restent non pourvus. D’après les auteurs du texte, des embauches prévues peuvent être remises en question pour cause de manque de trésorerie. Sur ce point, notre position est claire : pour lutter contre cette difficulté, qui frappe surtout les PME, il faut mettre en place des dispositifs permettant à celles-ci de se financer sur le marché bancaire de manière fluide. Ce sont les fameux fonds régionaux pour l’emploi et la formation dont les membres du groupe CRC ont prôné à maintes reprises la création dans cette enceinte, sans jamais être entendus. En clair, il s’agit d’aider, par des mécanismes sélectifs, pouvant aller jusqu’à l’octroi de prêts à taux d’intérêt négatif, les projets de petites et moyennes entreprises susceptibles de créer des emplois, y compris en accompagnant la formation, si nécessaire, et en aidant à passer des caps difficiles.

Deuxièmement, le manque d’attractivité de certains postes, lié au contenu du travail, à sa rémunération ou aux conditions de travail, est un problème fondamental. Il est trop facile de culpabiliser les demandeurs d’emploi quand des postes demeurent non pourvus pour de telles causes réelles et objectives.

Troisièmement, la question de l’inadéquation entre les compétences des candidats et les besoins des employeurs, importante et très vaste, recouvre plusieurs pierres d’achoppement pour le retour à l’emploi.

Tout d’abord, le candidat à l’emploi est-il toujours en mesure de s’informer sur l’existence de postes vacants correspondant à ses compétences ? Réciproquement, les entreprises savent-elles communiquer de manière efficace pour informer les demandeurs d’emploi de l’existence d’un poste ?

Ensuite, la mobilité peut poser problème : les centres d’emploi sont souvent concentrés dans les grandes agglomérations, mais les besoins sont partout. Il peut en résulter des barrières à la mobilité si les questions du transport ou du logement – et d’autres encore, parfois dites « périphériques », mais souvent essentielles – ne sont pas prises en compte.

Enfin, on considère qu’il existe toujours, même en situation de plein emploi, un flux de personnes sans emploi et de postes non pourvus, directement lié au temps moyen de retour à l’emploi. Si celui-ci peut sans doute être réduit, en agissant sur les causes précédentes, il ne pourra probablement jamais être annulé.

En priorité, il importe de s’interroger sur la situation catastrophique de l’emploi dans notre pays. Si l’on peut estimer à quelques centaines de milliers les emplois non pourvus pour les raisons que je viens de rappeler, n’oublions pas l’essentiel, à savoir les plus de 5 millions de chômeurs, laissés pour compte des politiques d’austérité menées par les gouvernements successifs, et la recherche maximale de profit, qui aboutit trop souvent à des destructions ou des délocalisations d’emplois. Selon nous, vouloir traiter un problème somme toute annexe sans s’attaquer au sujet principal serait, en définitive, laisser le champ libre à un discours par trop répandu qui fait des chômeurs les potentiels responsables de leur situation.

Ainsi, puisqu’il apparaît que les missions qu’il est proposé d’assigner à ce « GPS emploi » sont déjà réparties entre plusieurs organismes gouvernementaux ou publics, ajouter un dispositif spécifique ne sera pas vraiment utile, a fortiori quand Pôle emploi et les inspections du travail attendent déjà des moyens supplémentaires, quand, dans certaines régions, le taux d’encadrement des demandeurs d’emploi est catastrophique, avec un conseiller pour environ cent personnes. On mesure que les freins à l’embauche pourraient être levés bien plus efficacement en dotant correctement le service public.

Par ailleurs, il est tout à fait imaginable que les régions puissent mettre en place des observatoires locaux, via les schémas régionaux de développement économique. Cela se pratique d’ailleurs déjà, par exemple, dans ma région du Nord-Pas-de-Calais, pour ce qui concerne l’emploi des jeunes.

Pour toutes ces raisons, les membres du groupe CRC voteront contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les auteurs de la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui demandent au Gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour mettre en place un guide de pilotage statistique pour l’emploi – un « GPS emploi » ou un « Galileo emploi » (Sourires.) – qui puisse référencer aux échelons local et national les offres d’emploi non pourvues et en identifier les causes.

En France, 350 000 emplois ne trouveraient pas preneur, selon le ministère du travail, et 400 000 selon le MEDEF. En fait, la dimension exacte de ce phénomène fait régulièrement débat. Les chiffres avancés sont nombreux et imprécis, comme l’atteste un rapport du Conseil d’orientation pour l’emploi, ce qui révèle l’absence de diagnostic clair sur le sujet.

Quoi qu’il en soit, de nombreux rapports montrent que la France souffre d’une inadéquation entre les compétences disponibles sur le marché du travail et les besoins nécessaires à la relance de son économie. La grande majorité des employeurs qui rencontrent des difficultés d’embauche se trouvent en fait confrontés à des candidats au profil inadéquat ou à une pénurie de candidats. En effet, ce n’est pas parce qu’un poste est vacant qu’il peut immédiatement être pourvu. C’est notamment le cas pour les métiers en tension, comme ceux des secteurs des transports, de l’hôtellerie ou du bâtiment, où l’on peine à trouver des candidats qualifiés. L’appariement entre offres et demandes reste complexe. Dans un contexte économique dégradé, où le chômage est particulièrement important, cette question est prégnante.

Si certains postes ne trouvent pas preneur, c’est notamment en raison du manque de qualité des emplois proposés, lié à la faiblesse des salaires, au caractère atypique des horaires ou encore à de mauvaises conditions de travail. Certains secteurs souffrent aussi d’une mauvaise image, expliquant ce manque d’attrait.

Surtout, il existe un problème d’inadéquation de la formation des candidats aux besoins du marché du travail. Les étudiants sont encore trop souvent orientés vers des filières saturées – je pense, en particulier, à la sociologie et à la psychologie – et méconnaissent les métiers les plus porteurs.

Le 12 juin 2014, lors de la discussion d’une question orale avec débat, posée par Jean Desessard, sur l’adéquation de la formation professionnelle aux besoins des demandeurs d’emploi, nous avions déjà abordé ce sujet. Notre collègue Françoise Laborde avait alors rappelé que le niveau élevé du chômage et l’accélération des mutations économiques devaient nous conduire à considérer le développement des compétences et des qualifications comme un outil majeur de l’accès et du retour à l’emploi des personnes et de la compétitivité des entreprises. Il est donc nécessaire de combler le décalage entre les compétences attendues et les compétences disponibles.

Pour cela, le Gouvernement a lancé à l’été 2013 le plan « Formations prioritaires pour l’emploi », l’objectif étant de dispenser 30 000 formations supplémentaires avant la fin de cette même année, afin qu’une partie des 200 000 à 300 000 emplois demeurant vacants faute de candidats ayant les compétences requises puissent être pourvus. Il s’agissait d’aider les employeurs à trouver les candidats qualifiés qui leur manquent et d’orienter les chômeurs vers des emplois qui ne trouvent pas preneur. C’est ainsi 39 000 chômeurs qui sont entrés en formation entre août et décembre 2013.

Le bilan fut positif, puisque les deux tiers des chômeurs qui ont bénéficié de ce plan en 2013 ont trouvé un emploi dans les six mois ; pour 76 % d’entre eux, il s’est agi d’un emploi durable et en lien avec la formation suivie, dans un secteur identifié comme présentant des besoins en matière de recrutement.

Pour 2014, le Gouvernement s’était fixé l’objectif de 100 000 formations supplémentaires et, en juillet dernier, 57 000 inscriptions avaient été enregistrées. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, ce plan a fonctionné, et nous ne pouvons que nous en féliciter.

Je tiens également à saluer l’initiative de Pôle emploi, qui a mis en place les enquêtes « Besoins en main-d’œuvre », réalisées avec le concours des DIRECCTE et du CREDOC. Il s’agit de mesurer les intentions de recrutement des employeurs pour l’année à venir. Je pense qu’il s’agit là d’un élément essentiel pour la connaissance du marché du travail. Chaque année, Pôle emploi adresse ainsi un questionnaire à plus de 1,6 million d’établissements, pour connaître leurs besoins en matière de recrutement, par secteur d’activité et par bassin d’emploi. Cela permet notamment d’anticiper les difficultés de recrutement, d’améliorer l’orientation des demandeurs d’emploi vers des formations ou des métiers, en adéquation avec les besoins du marché du travail, et d’informer les demandeurs d’emploi sur l’évolution du marché du travail et sur les métiers porteurs.

Le groupe RDSE votera cette proposition de résolution, qu’il juge intéressante. Pour la deuxième fois ce matin, nous votons en faveur de l’adoption d’un texte émanant du groupe écologiste : cela n’était pas arrivé depuis longtemps ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Un consensus semble se dessiner pour voter cette proposition de résolution. Seul le groupe CRC a émis certaines réticences, estimant qu’un GPS ne suffira pas à résoudre le problème du chômage… Il est vrai qu’un GPS, à lui seul, ne permet pas de circuler : il faut aussi un véhicule. Néanmoins, il permet de s’orienter dans la bonne direction. Nous n’avons donc pas la prétention de résorber le chômage grâce à cette proposition de résolution, mais son dispositif constitue du moins un moyen de répondre de manière plus adaptée et plus rapide au problème des offres d’emploi non pourvues.

Monsieur le ministre, notre seul objectif est de vous aider dans votre action. Nous sommes tous concernés par la résorption du chômage. En effet, dans nos circonscriptions, dans nos villes, dans nos départements, dans nos régions, le chômage est le problème numéro un.

La mise en place d’un guide de pilotage statistique pour l’emploi permettrait d’élaborer des réponses adaptées à la diversité des situations. Si l’on aperçoit que les difficultés tiennent à un manque de formation, on pourra alors définir rapidement les formations à mettre en œuvre. S’il s’agit d’un problème de manque d’attractivité, lié à des conditions de travail ou des salaires insatisfaisants, on pourra envisager des solutions avec les représentants des branches professionnelles concernées, voire une aide conjoncturelle de l’État.

Il faut aussi prendre en compte le développement des nouvelles technologies. Peut-être pourra-t-on s’appuyer, demain, sur un GPS interactif pour faire de la prospective sur l’évolution de l’emploi, du fait par exemple de la généralisation de l’utilisation des robots. Dans cette perspective, il faudrait déjà anticiper les besoins en formation, mais nous n’en sommes pas encore là… (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les différents orateurs, que je remercie de leur contribution au débat.

Peut-on quantifier précisément les emplois non pourvus et, grâce à cela, avancer dans le traitement du chômage ? Parvenir à des données statistiques incontestables est excessivement difficile, car les méthodes d’analyse diffèrent et les choses évoluent très vite.

Je voudrais souligner que vous raisonnez comme si toutes les offres d’emploi étaient déposées à Pôle emploi, alors que 40 % seulement le sont aujourd’hui : rien n’oblige un employeur désirant recruter à s’adresser à Pôle emploi. Il existe, en effet, d’autres voies de recrutement : un chef d’entreprise peut, par exemple, solliciter son réseau relationnel. Cette situation ne remet d’ailleurs nullement en cause la qualité du travail accompli par le personnel de Pôle emploi.

C’est pour cette raison que nous allons mettre en place un « emploi store » afin de regrouper à Pôle emploi, grâce aux nouveaux outils numériques, un maximum d’offres d’emploi.

Par ailleurs, il est vrai que des processus de recrutement sont abandonnés. Cela concerne un tiers des PME.

J’ai le sentiment que, pour vous, les problèmes tiennent principalement à une insuffisance de la formation. Nous voulons agir au plus près du terrain, en mettant en place des formations en lien avec les régions et les branches professionnelles, ainsi que Pôle emploi lorsque c’est possible, afin de répondre au mieux aux demandes des entreprises. Comme l’a indiqué notamment M. Requier, 30 000 formations prioritaires ont été mises en place, puis encore 100 000 l’an dernier, pour répondre aux besoins de bassins d’emploi. Ce sont là des actions très concrètes, dans lesquelles Pôle emploi joue son rôle et qui donnent des résultats.

J’ajoute, à l’adresse de M. Watrin, que 4 000 emplois ont été créés en deux ans au sein de Pôle emploi : 2 000 en 2012 et autant en 2013. On ne peut donc pas affirmer qu’aucun effort n’a été fourni, puisque les effectifs sont passés de 45 000 à 49 000 agents. Pôle emploi, issu de la fusion des ASSEDIC et de l’ANPE, bénéficie d’une double culture, ce qui permet à ses personnels d’apporter des réponses au plus près de la réalité des situations, ce qui n’est pas forcément évident.

Cela a été souligné, les méthodes de calcul employées, en termes de mesure du chômage, ne sont pas toujours les mêmes. Ainsi, selon l’Union européenne et le Bureau international du travail, il y aurait 2,9 millions de chômeurs en France, tandis que Pôle emploi recense 3,5 millions de personnes inscrites en catégorie A. Pourquoi un tel écart, d’autant plus étonnant qu’il n’existait pas voilà quatre ans ? Cette question pourrait peut-être faire l’objet d’une prochaine proposition de résolution…

J’ai effectivement reçu M. Desessard au ministère, après qu’il eut oublié un premier rendez-vous ! (Sourires.) Cela témoigne de l’importance que j’accorde à cette question des emplois non pourvus, qui revient souvent dans l’actualité politique, à juste titre. En effet, il n’est pas acceptable qu’un nombre important d’emplois ne trouvent pas preneur dans le contexte économique difficile que nous connaissons.

Cela étant, l’existence d’emplois non pourvus est un phénomène normal sur le marché du travail, qui est animé par un flux permanent de créations et de destructions d’emplois. Pourvoir un poste prend nécessairement un certain temps.

En fait, la notion d’emploi non pourvu recouvre des réalités différentes : des vacances de poste sont liées au délai incompressible de recrutement, des offres d’emploi sont finalement retirées en raison de la disparition du besoin qui avait motivé leur dépôt, des recrutements sont annulés faute de candidats. À cet égard, l’enquête sur les besoins de main-d’œuvre du CREDOC fait apparaître les raisons qui peuvent entraîner le retrait d’une offre d’emploi.

Ce sont ces offres d’emploi retirées faute de candidats qui sont révélatrices des difficultés de recrutement des entreprises. Nous disposons tout de même d’outils statistiques fiables. Ainsi, selon la DARES, qui produit des enquêtes de grande qualité, monsieur Desessard, environ 300 000 recrutements échouent chaque année. Cela représente 1,5 % des recrutements annuels, hors intérim.

Comment expliquer ces échecs ? Les employeurs avancent plusieurs raisons, en particulier le manque de candidats, le décalage entre les compétences attendues et les compétences disponibles.

Ces échecs se rencontrent surtout dans les PME et les TPE, qui ont souvent une faible expérience en matière de recrutement. Moins on recrute, plus on a de difficulté à recruter, plus on veut s’entourer de précautions… À l’inverse, plus l’entreprise est habituée à recruter, plus le risque d’échec est faible.

Deuxième question : comment identifier et répondre aux difficultés de recrutement ?

Les causes de ces dernières sont essentiellement de trois ordres : la difficulté de la mise en place des projets de recrutement et de l’identification des candidats disponibles ; l’inexpérience des recruteurs ; l’appariement assez complexe entre offre et demande pour des raisons de formation ou d’attractivité des métiers, point qui a tout particulièrement retenu votre attention, monsieur Desessard.

Pour proposer une réponse aussi adéquate que possible, il faut agir sur ces trois axes et donc éviter, comme vous avez tous pris soin de le faire, les postures qui réduisent le sujet à une simple inadéquation entre offres et demandes d’emplois ou à un manque de volonté des demandeurs d’emploi.

Ce projet de résolution tend à mettre en place, en matière d’emploi, un guide de pilotage statistique – autrement dit un GPS, ce qui témoigne d’un beau sens de la communication ! (Sourires.) – qui permettrait de trouver, derrière chaque emploi non pourvu, à la fois une raison et une réponse, car c’est évidemment là qu’est tout le problème.

Il s’agit de comptabiliser tous les emplois non pourvus, bassin d’emploi par bassin d’emploi, métier par métier, et de préciser de manière systématique pourquoi ils ne sont pas pourvus. Or, je le répète, la tâche est d’une immense difficulté, car elle est à la fois de longue haleine – d’autant que les outils n’existent pas forcément – et coûteuse, il faut bien le dire, même si, monsieur Desessard, vous n’aimez guère qu’on invoque ce dernier argument.

Il faut donc mobiliser les travaux déjà réalisés à l’échelle nationale ou territoriale pour orienter les moyens de l’action publique et favoriser l’embauche.

Cette proposition de résolution nous donne une piste à suivre : il nous faut absolument harmoniser les méthodes de calcul, de façon à être en mesure de faire des comparaisons.

Vous le savez, la rencontre entre offres et demandes d’emplois devient elle-même un véritable marché, auquel s’intéressent de plus en plus d’entreprises. Du reste, vous l’avez dit, de nombreuses start-up se créent en ayant pour projet de faciliter la tâche de l’entreprise offrant un poste ou de la personne en recherche d’emploi, et ainsi de permettre une meilleure adéquation entre offre et demande sur le terrain : bientôt, il suffira de consulter son smartphone pour savoir si une offre d’emploi correspond à sa recherche dans un rayon de deux kilomètres !

Nous devons tenir compte de ces évolutions à venir. C’est pourquoi nous créons un « emploi store » au sein de Pôle emploi.

Il existe déjà beaucoup d’études sur les difficultés de recrutement et leurs causes, que ce soit au niveau national ou au niveau territorial. Ces enquêtes montrent d’ailleurs la grande diversité des situations selon les secteurs et les territoires.

Au niveau national, il s’agit essentiellement de l’enquête de besoin de main-d’œuvre de Pôle emploi, des indicateurs de tensions par famille professionnelle de la DARES, des travaux des observatoires prospectifs des métiers et des qualifications au niveau des branches professionnelles et, enfin, des travaux des comités de filières. Les partenaires sociaux sont aussi à pied d’œuvre pour améliorer l’adéquation entre employeurs et candidats.

Le Conseil d’orientation pour l’emploi va croiser toutes les données disponibles sur le plan national afin d’identifier les métiers où l’on constate le plus de difficultés de recrutement. Nous allons même plus loin : France stratégie a d'ores et déjà identifié les postes qui seront le plus nécessaires à l’horizon 2022 ; nous devons nous y préparer par la formation.

À cet égard, monsieur Desessard, je vous indique qu’il existe des formations courtes qui sont immédiatement qualifiantes. Vous avez cité l’exemple de Burger King. Or cette entreprise va tout de même créer 3 500 emplois cette année. Ce ne sont sans doute pas les emplois dont vous rêvez, monsieur le sénateur, mais un emploi est un emploi ! Chaque chômeur embauché après une formation, qu’elle soit courte ou longue, se voit offrir une chance et éventuellement une perspective de réussite ! En tout cas, je tiens à le souligner, il existe des formations très courtes qui fonctionnent très bien, d’autant que certaines personnes ont besoin d’une simple adaptation, non d’une certification.

Je signale par ailleurs que, en deux mois, 22 000 formations viennent d’être certifiées. Qui valide ces formations ? Les partenaires sociaux, via le Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation, le COPANEF, qui est spécifiquement en charge de cette mission. Depuis le 1er janvier dernier, 1 200 000 comptes personnels de formation ont été ouverts.

Il peut s’agir de formations assez longues, certifiantes, ou de formations plus courtes, organisées par les branches professionnelles et destinées à répondre rapidement à une demande.

Les indicateurs de tension par famille professionnelle de la DARES sont déclinés régionalement. De plus, les enquêtes de besoin de main-d’œuvre sont accessibles à l’échelle des bassins d’emploi. C’était d’ailleurs l’idée défendue par Jean-Louis Borloo lors de la création des Maisons de l’emploi.

Les données identifiant et expliquant les causes des emplois durablement non pourvus existent. L’enjeu essentiel est donc l’exploitation de ces travaux à des fins opérationnelles par les différents acteurs concernés.

L’exploitation de ces données doit permettre de mener des actions concrètes de communication, de soutien aux entreprises dans leurs démarches de recrutement et aussi de favoriser la construction d’une offre de formation adaptée aux besoins des entreprises.

Le combat est donc engagé pour faire baisser le nombre d’emplois durablement non pourvus. Dans cette optique, nous adoptons une méthodologie ambitieuse, fondée sur l’identification des métiers où se posent le plus de difficultés de recrutement. C’est cette méthode qui a permis la réussite des formations prioritaires.

Forts de cette méthode, nous agissons dès maintenant, de manière concrète, selon trois axes principaux.

Premier axe : chercher à mieux connaître et faire connaître les opportunités de recrutement et le profil des candidats. Pôle Emploi met en œuvre un programme « transparence du marché du travail » permettant d’agréger et de diffuser des offres et des CV grâce à des partenariats avec les acteurs de l’emploi en ligne. J’ai déjà mentionné le projet d’« emploi store », grande innovation dont vous entendrez encore parler.

Par ailleurs, des procédés tels que le recrutement par simulation ont été mis en place ; ils ont montré leur efficacité pour répondre le plus rapidement et le plus précisément possible aux besoins des entreprises.

Deuxième axe : appuyer et accompagner les recruteurs. Pôle emploi développe son offre de services pour appuyer et conseiller les entreprises qui souhaitent recruter. C’est le fruit de la convention tripartite signée le 18 décembre 2014.

Troisième axe : orienter, former et favoriser la mobilité des demandeurs d’emploi Les aides à la mobilité ont été réformées en vue de les rendre plus simples et plus accessibles, particulièrement pour les TPE-PME, qui constituent a priori le plus grand gisement d’emplois.

J’ai mis en place un plan contre le chômage de longue durée, que j’ai présenté au niveau européen. Je souhaite que l’Europe agisse dans ce domaine et propose de nouveaux services pour rendre plus mobiles les chômeurs très éloignés de l’emploi.

En outre, vous le savez, puisque vous êtes tous sur le terrain, les DIRECCTE sont mobilisées sur cette thématique comme sur tous les enjeux de recrutement et de gestion de l’emploi que rencontrent aujourd’hui les TPE-PME.

Vous l’aurez compris, nous agissons pour diminuer la part d’offres d’emplois non pourvus pour cause de difficultés de recrutement.

Comme le laisse entendre la proposition de résolution, identifier les métiers et les territoires sur lesquels nous devons concentrer notre effort est effectivement un enjeu crucial. À cet égard, sachez que l’enquête « Offre d’emploi et recrutement » de la DARES est en préparation : elle nous permettra d’analyser les embauches de la rentrée 2015 et d’ajuster les dispositifs.

Pour autant, le développement d’un outil plus global prendrait du temps – il faudrait définir en amont les bonnes méthodologies statistiques – et engendrerait des coûts importants. C'est la raison pour laquelle, malgré tout l’intérêt que je porte à cette proposition de résolution, elle ne me paraît pas totalement opportune.

Nous disposons déjà d’un organisme statistique, la DARES…

M. Jean Desessard. Mettez les statistiques en ligne !

M. François Rebsamen, ministre. Je viens justement de vous apporter un élément de réponse avec l’enquête « Offre d’emploi et recrutement » qui est en préparation. Elle permettra d’avoir cette vision que vous appelez de vos vœux.

Je le redis : tant que les employeurs ne déposeront pas leurs offres au même endroit – ce que personne ne peut imposer –, nous ne disposerons pas d’un outil statistique parfait.

Nous préférons apporter des réponses rapides, notamment grâce aux formations. Cela marche très bien ! J’en veux pour preuve le fait que 466 000 formations ont été suivies l’année dernière sur l’ensemble du territoire. Nous poursuivons les formations prioritaires pour apporter une meilleure réponse à la question des offres d’emploi non pourvues sur un territoire.

Je vous remercie d’avoir pris toute votre part à ce débat très intéressant. Sur la proposition de résolution qui est présentée, le Gouvernement s’en remet à la sagesse bien connue de la Haute Assemblée. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution pour un guide de pilotage statistique pour l’emploi

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Prenant acte des conclusions du conseil d’orientation pour l’emploi qui estime le nombre d’emplois vacants en France à plus de 800 000 ;

Reconnaissant les raisons multiples qui expliquent ce chiffre : formation et compétences inadaptées, attractivité limitée du poste, éloignement des demandeurs d’emploi du lieu de travail, abandon du projet de recrutement ;

Prenant acte de l’absence de statistiques, aussi bien nationales que locales, permettant de chiffrer le nombre de postes vacants imputables à chacune de ces causes ;

Estimant que l’existence de postes non pourvus dans une société où le chômage est élevé laisse libre cours à toutes les interprétations et accusations, le plus souvent à l’encontre des chômeurs ;

Affirmant que l’objectif de l’emploi pour tous doit être inscrit au cœur de toutes les politiques publiques ;

Souhaite que le Gouvernement prenne les mesures nécessaires pour mettre en place un guide de pilotage statistique pour l’emploi (GPS-Emploi), référençant au niveau local et national les offres d’emploi non pourvues ainsi que leurs causes.

Mme la présidente. Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.)(Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour un guide de pilotage statistique pour l'emploi
 

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

6

Débat sur la préparation de la révision de la loi de programmation militaire

M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur la préparation de la révision de la loi de programmation militaire, organisé à la demande du groupe UMP.

La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge, au nom du groupe UMP. Monsieur le président, monsieur le ministre de la défense, mes chers collègues, l’UMP a souhaité ouvrir ce débat pour deux raisons.

En premier lieu, l’article 6 de la loi de programmation militaire – LPM – prévoit que celle-ci sera actualisée avant la fin de l’année 2015 afin de « vérifier, avec la représentation nationale, la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans la (…) loi et les réalisations ».

En second lieu, à la suite des attentats terroristes que nous avons connus sur notre sol, le Président de la République a annoncé un certain nombre de mesures qui doivent trouver leurs traductions concrètes dans le budget dès cette année et qui sont susceptibles de modifier les objectifs de la LPM.

Le groupe UMP a toujours soutenu la politique de défense, quel que soit le gouvernement. Il n’y a donc pas de débat sur le fond entre nous, monsieur le ministre. Toutefois, une chose est de partager des objectifs et une autre est de se donner les moyens de les atteindre.

C’est sur ce point que portera mon propos, et je m’attacherai à poser des questions concrètes sur cinq sujets.

Le premier est l’engagement de nos forces.

Lorsque la LPM a été votée, notre retrait d’Afghanistan était acté, notre engagement au Mali aussi, mais notre engagement en Centrafrique ou en Irak n’était pas à l’ordre du jour. L’opération Barkhane, dans la bande sahélo-saharienne, se déroule désormais sur trois théâtres d’opérations : Mali, Tchad et Niger. En outre, la mobilisation d’effectifs sur le territoire national n’avait pas été décidée. Cela me conduit, monsieur le ministre, à vous poser plusieurs questions.

Compte tenu de cette modification du périmètre de nos engagements et alors qu’aucune perspective de retrait, hélas ! ne se dessine, envisagez-vous de revoir le contrat opérationnel de la LPM ?

Dès lors, pensez-vous que la trajectoire budgétaire de 31,4 milliards d’euros pour la période 2014 à 2016, tant en fonctionnement qu’en investissement, est toujours réaliste au regard des besoins ? Et y a-t-il lieu de considérer que la légère augmentation du budget, qui est passé de 31,7 milliards d’euros en 2017 à 32,5 milliards d’euros en 2019, sera suffisante ?

Le deuxième sujet est le dispositif de sécurité mis en place à la suite des événements du début de l’année.

Le Président de la République a annoncé, en janvier, la mise en œuvre de l’opération Sentinelle sur le territoire national et, concomitamment, une révision à la baisse de la déflation des effectifs, mais sans préciser si cette dernière était liée à une mobilisation sur notre territoire ou constituait une réponse au prolongement de notre présence sur les théâtres extérieurs. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?

Nous avons été saisis d’un décret d’avance pour le financement de l’opération Sentinelle, afin de doter les ministères de l’intérieur et de la justice de moyens renforcés. Très curieusement, bien que votre ministère – avec 10 000 personnes et les moyens dont elles disposent – soit fortement mobilisé, il n’est pas concerné par ce décret. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

Qu’en est-il exactement de la diminution des effectifs ? Initialement, la déflation devait être de 24 000 postes sur la période 2014-2019, en sus de ceux qui avaient été supprimés par la précédente LPM. Elle ne serait plus maintenant que de 16 500 postes, voire de 13 000 postes. Quelle est la traduction budgétaire de cette évolution ? La question se pose d’autant plus que, lors du vote de la LPM, il avait été indiqué que la baisse des effectifs permettrait de financer des équipements. Qu’en est-il au juste, car plus d’hommes c’est aussi plus d’équipements ?

On peut penser que ces moindres réductions vont toucher les sous-officiers et les hommes du rang, ce qui rend encore plus problématique le dépyramidage. Quelles armes vont être affectées par cette mesure ?

Enfin, devons-nous considérer ce nouveau format des effectifs comme un aménagement de la baisse des effectifs sans en remettre en cause le volume à l’horizon 2019, soit au terme de la LPM, ou bien s’agit-il d’une donnée nouvelle, qui s’inscrira au-delà de la LPM ?

Le troisième sujet concerne les OPEX, les opérations extérieures.

Tous les ans, nous avons le même débat. Une provision est inscrite, mais elle se révèle toujours insuffisante : 450 millions d’euros en 2013 pour 1,1 milliard d’euros de dépenses, 450 millions d’euros en 2014 pour vraisemblablement 1,2 milliard d’euros de dépenses, 450 millions d’euros en 2015 pour une somme qui, en fin de compte, avoisinera celle des années précédentes.

Ce n’est pas nouveau, mais peut-on continuer indéfiniment à sous-estimer la réalité financière et la réalité tout court ?

Je sais que la LPM prévoit que les surcoûts sont financés par la réserve interministérielle, présentée comme la garantie selon laquelle les autres ministères vont payer. Cela m’amène à trois considérations.

Au-delà des subtilités budgétaires et autres artifices de présentation, je ne vois pas l’intérêt de continuer, tant pour le budget des armées que pour celui de l’État dans son entier, à inscrire des crédits dont on sait qu’ils représentent le tiers seulement de la dépense réelle, qu’il faudra bien acquitter d’une façon ou d’une autre.

Je conteste la notion même de réserve interministérielle pour financer les OPEX, non seulement parce qu’il s’agit d’une dépense certaine, mais aussi parce qu’elle est constituée par le budget de chaque ministère au prorata de son importance dans le budget général. Chacun sait que, après l’éducation nationale et la charge de la dette, c’est le budget des armées qui pèse le plus lourd. Ainsi, on aboutit au paradoxe suivant : plus la défense est sollicitée, plus les moyens budgétaires qui lui sont alloués sont proportionnellement réduits.

M. Dominique de Legge. Autrement dit, peut-on continuer à ignorer la contribution annuelle de la défense pour la seule couverture des OPEX, qui s’élève à près de 300 millions d’euros par an, sans en tirer les conséquences sur la LPM ?

Mes chers collègues, entre 2013 et 2015, c’est près d’un milliard d’euros qui auront manqué à la LPM. Dans ces conditions, je ne suis pas certain que l’on puisse parler encore de « sanctuarisation ».

Enfin, sans ouvrir le débat complexe d’une défense européenne, il faut bien reconnaître que nos engagements extérieurs sont approuvés par les pays de l’Union européenne, qui en perçoivent le bien-fondé pour leurs propres intérêts.

La présence de nombreux chefs d’État ou de gouvernement le 11 janvier à Paris nous a fait chaud au cœur. Mais n’était-ce pas l’occasion d’appeler à une solidarité plus tangible que celle qui passe simplement par les mots et par l’image ?

Le terrorisme, c’est l’affaire de l’Europe, et pas seulement de la France. Le Premier ministre a eu raison de rappeler récemment à M. Juncker que la défense de l’Europe était principalement assurée par l’armée française.

Pensez-vous qu’une initiative pourra être prise afin que nous ne soyons plus les seuls à supporter la majeure partie des coûts des OPEX ? Il ne s’agit pas de nous affranchir de la norme comptable des 3 %, car il faudra bien payer les factures, mais d’espérer et d’exiger un peu plus de solidarité.

Le quatrième sujet a trait aux conséquences des ventes récemment réalisées, notamment auprès de l’Égypte.

La frégate qui devait être livrée à nos armées sera finalement vendue à ce pays. Quelles seront les conséquences pratiques de cette décision sur le plan financier et opérationnel ? Y aura-t-il reversement au budget militaire ? Cette vente affecte-t-elle le programme de livraison des autres frégates, tant en volume qu’en délai ?

M. André Trillard. Bonne question !

M. Dominique de Legge. Sur le plan opérationnel, que devient l’équipage formé qui devait embarquer à bord de ce nouveau navire ? Est-ce que cela conduit à prolonger la durée de service d’une frégate pour laquelle les travaux de maintenance n’avaient pas été programmés ?

Par ailleurs, quelle est la conséquence de la vente des Rafale sur le cadencement et le prix de nos livraisons ?

Enfin, le cinquième sujet est celui des recettes exceptionnelles.

L’inscription de ces recettes au budget de l’État n’est pas une innovation, mais j’accuse Bercy de vouloir, aujourd’hui comme hier, financer les armées avec de la monnaie virtuelle alors que les besoins et les dangers sont réels.

Bercy, depuis de nombreux mois, sait que les recettes exceptionnelles censées provenir de la vente de fréquences et qui ont été inscrites au budget de 2015 ne se réaliseront pas. Il ne peut l’ignorer, le rapport rédigé conjointement par l’IGF, – Inspection générale des finances –, la DGA – Direction générale de l’armement – et le Contrôle général des armées le confirme.

Je déplore que M. le Président de la République, en réponse aux interrogations formulées lors du vote du budget de la défense pour 2015 par M. Gérard Larcher, président du Sénat, et par M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ait feint de croire que les recettes de la vente de fréquences seraient au rendez-vous en 2015.

Je déplore que M. le Premier ministre, en réponse à la lettre que lui adressait encore M. Raffarin le 17 mars, affirme que la vente de fréquences en 2015 pour assurer les recettes exceptionnelles est toujours d’actualité, alors que vous-même,, monsieur le ministre, déclariez la semaine dernière devant la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques que le recours à des sociétés de projet résultait de ce que ces ventes ne seraient pas réalisées en temps utile.

Je condamne le fait que ce soit au détour de ce projet de loi, qui n’a rien à voir avec un sujet aussi grave et aussi régalien, que l’on ait tenté d’éluder la difficulté. Le dépôt par le groupe UMP d’un amendement de suppression de l’article 50 de ce texte ne préjuge en rien, je le dis très clairement, notre vote final sur les sociétés de projet. Nous voulons seulement un débat et un arbitrage sur ce dossier.

Monsieur le ministre, nous le savons, la situation internationale est préoccupante. Sans doute n’avons-nous jamais vécu dans un monde aussi complexe, où les menaces et les dangers sont aussi diffus. Nous en appelons à la responsabilité de tous. Vous pouvez compter sur la nôtre. Encore faut-il que cesse l’improvisation entre Bercy, qui ne veut ni des sociétés de projet ni de crédits budgétaires, sans fournir pour autant la moindre solution, et votre ministère, qui propose des sociétés de projet les contours – et ce n’est pas vous faire offense de le dire – restent flous. Nous aimerions en particulier savoir s’il s’agit d’une mesure temporaire ou d’un montage pérenne ?

Alors qu’il y a urgence à régler le problème avant l’été, le Premier ministre a écrit dans sa réponse à M. Raffarin, déjà évoquée : « Il m’est difficile d’apporter les éléments techniques de réponse à vos questions et je vous invite à vous rapprocher des ministres concernés sur ces sujets précis. » (M. Charles Revet s’exclame.)

M. Christian Cambon. Mais qui est le chef du Gouvernement ? C’est incroyable !

M. Dominique de Legge. Je laisse à chacun le soin d’apprécier ces propos… Je serais tenté de dire au Premier ministre que, sauf son respect, les questions posées ne sont pas techniques, mais politiques, et que, jusqu’à preuve du contraire, un Premier ministre, c’est fait pour arbitrer entre ses ministres, non pour botter en touche.

Je vous remercie par avance, monsieur le ministre, des réponses que vous pourrez nous apporter. Formons le vœu que le chef suprême des armées, le Président de la République, ne se contente pas d’assurer que les moyens des armées sont sanctuarisés, mais qu’il nous dise enfin comment elles le sont, c’est-à-dire qu’il rende ses arbitrages et que le Premier ministre mette un terme aux déclarations contradictoires de son gouvernement. Ils le doivent à nos armées, dont les hommes risquent leur vie. Ils le doivent à la représentation nationale, qui vote les lois et qui incarne l’unité nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi de programmation militaire de décembre 2013 a traduit le souhait du Gouvernement d’assurer l’évolution de notre outil de défense pour faire face à de nouvelles menaces tout en tenant compte de la forte contrainte budgétaire.

Ce souhait, nous l’avons largement partagé au sein de notre commission des affaires étrangères et dans cet hémicycle. Toutefois, depuis l’automne dernier, soit moins d’un an après l’entrée en vigueur de la LPM, les projections financières et humaines sont devenues incompatibles avec les interventions de nos forces armées à l’extérieur, mais aussi sur notre sol.

Fort heureusement, l’article 6 de la LPM prévoit une première actualisation de cette trajectoire avant la fin de l’année 2015. Cette rectification, annoncée dès janvier dernier pour cet été, devra relever deux défis majeurs : il s’agit, d’une part, de renforcer notre capacité financière, d’autre part, d’ajuster notre stratégie de défense à moyen terme. Ce sont les deux points que j’aborderai.

Le premier défi pose la question de la crédibilité budgétaire.

Sous votre impulsion, monsieur le ministre, la LPM tendait à sanctuariser les crédits alloués à notre outil de défense. Le chiffre annoncé était de 31,4 milliards d’euros par an, pour toute la durée d’application de cette loi. Cette enveloppe financière devait être composée de crédits budgétaires votés en loi de finances et de 2,4 milliards d’euros de recettes exceptionnelles, les REX, issues de cessions immobilières et de cessions de bandes de fréquences hertziennes. Ce compromis budgétaire devait être respecté sous le contrôle des commissions des affaires étrangères et de la défense des deux assemblées.

En théorie, le montage était crédible. Malheureusement, l’exécution de cette orientation a été bien différente. À ce jour, nous n’avons pas vu le premier centime des fameuses recettes exceptionnelles annoncées. La cession de bandes hertziennes n’est toujours pas réalisée, alors qu’elle est évoquée depuis plus de deux ans.

Parallèlement, les opérations extérieures sont toujours sous-budgétisées, à 450 millions d’euros, alors que nous savons qu’elles représenteront un coût potentiellement supérieur à un milliard d’euros. L’effet de ciseau est là ! Il manque près de 3 milliards d’euros à notre défense pour la seule année 2015.

La sonnette d’alarme avait déjà été tirée en décembre dernier par la commission des finances et la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées du Sénat. Lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, le compte n’y était pas ; cela nous a conduits à rejeter les crédits de la mission « Défense ».

Aujourd’hui, nous craignons que de très fortes tensions dans le financement de la défense nationale n’apparaissent dès le mois de septembre. Cette situation est d’autant plus préoccupante que la France est la première puissance militaire de notre continent et contribue ainsi à sa sécurité.

L’urgence vous amène à conduire une politique au cas par cas. J’en veux pour preuve l’article 50 A du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui tend à créer des sociétés de projet dont la finalité serait de doter notre outil de défense en matériel par crédit-bail, en passant par un montage juridique discutable.

Le calendrier étant contraint, la mise en place des sociétés de projet et la réalisation des opérations financières devraient se réaliser en quelques semaines. N’est-ce pas déjà trop tard ? À quelle échéance, et pour quelle part, des capitaux privés intégreraient-ils ces sociétés ? Quelles sont les implications en matière de disponibilité du matériel ? Quelles sont les incidences juridiques ?

Le ministère de l’économie et des finances évoquerait même une troisième piste financière, différente des sociétés de projet et des cessions de bandes hertziennes.

Autant de flou a convaincu la commission de supprimer l’article 50 A. Vous le comprendrez, monsieur le ministre, nous serions tout à fait intéressés par de plus amples informations à ce sujet.

Il apparaît clairement que le Gouvernement cherche de nouvelles sources de financement, y compris des recettes de trésorerie. L’addition est lourde ; vos efforts, monsieur le ministre, suffiront-ils pour la régler ?

Notre pays faisant face à de nouvelles menaces, notre armée conduit de nouvelles missions. Cela implique que nous soyons en mesure de les financer. Pour l’heure, sans nouvelles propositions budgétaires, nous ne pourrons que rester inquiets.

Le second défi a trait à la stratégie de défense.

Est-il responsable, quand la décision est prise d’intervenir militairement, de faire le premier pas si nous ne sommes pas capables de financer le dernier ? Je rappelle que 8 500 militaires sont actuellement engagés sur des opérations extérieures, dans différents milieux : terrestre, naval et aérien. Nous menons notamment des opérations aériennes en Irak et des interventions au sol en Centrafrique et au Mali. Le rôle de la France est primordial, d’autant qu’aucun pays européen ne s’investit avec la même ampleur. Pourtant, c’est pour la sécurité de tous que nous intervenons.

De plus, la menace terroriste a durement frappé notre pays, en janvier. Elle conduit au déploiement d’une très vaste opération intérieure, l’opération Sentinelle, qui mobilise près de 10 000 personnes.

Monsieur le ministre, nous approuvons le choix de maintenir un niveau élevé de présence sur la scène internationale, tout en garantissant la protection de nos concitoyens. Mais la conséquence de la conjonction de ces deux engagements est simple : nous avons besoin d’hommes, de matériels et de financements. Or, en l’état actuel, la LPM n’est pas en phase avec cette politique. Les dépenses augmentent quand les financements sont absents.

Il ne reste, selon nous, qu’une seule alternative : soit nous limitons nos interventions extérieures en recentrant nos forces, soit nous accroissons les moyens mis à la disposition de notre défense en trouvant des financements.

M. Jeanny Lorgeoux. Au détriment de quoi ?

M. Joël Guerriau. Concernant la multiplication de nos interventions à l’extérieur, le Président de la République donne l’impression de prendre des décisions parfois hâtives. Sa politique d’actions au coup par coup fragilise l’équilibre technique et financier voté par le Parlement. Prendre de la hauteur sur le plan stratégique demande du temps.

Nos forces armées sont surexposées au danger. Nos militaires assurent la défense de notre nation dans un contexte complexe. À trop mobiliser nos troupes sans contreparties professionnelles, nous courons le risque de fragiliser notre outil de défense et l’engagement du monde combattant.

À ce titre, nous avons le devoir de veiller à assurer un meilleur traitement de la situation de nos militaires, notamment en corrigeant les ravages causés par le logiciel Louvois et en prenant en considération les carrières contrariées par la déflation des effectifs.

Lors de votre audition par la commission des affaires étrangères du Sénat, vous aviez déclaré, monsieur le ministre, que la révision de la LPM devrait mettre fin au cycle de la réduction des effectifs. Pouvez-vous nous le confirmer ?

Vous présenterez vos décisions lors du prochain conseil de défense. Quelles seront vos nouvelles propositions pour redéfinir la question des effectifs ? Nous en avions prévu la baisse régulière, au rythme de 7 000 par an. Compte tenu du contexte, ce choix évoluera-t-il, et comment ?

La LPM prévoit des efforts d’économie significatifs sur la masse salariale ainsi que sur les coûts de structure. Seront-ils possibles si les interventions extérieures se multiplient, entraînant la hausse des charges salariales et de nouveaux investissements ?

La rectification de la LPM se profile. Elle conduira, ou non, à trancher entre deux conceptions de la défense de notre pays : une défense recentrée sur notre sol et nos besoins les plus immédiats, qui respecte ainsi la trajectoire financière initiale ; ou bien une défense plus ambitieuse à l’échelle mondiale, soutenue par l’Europe, ce qui pose le problème de son financement.

Si notre pays doit être, avec le Royaume-Uni, le bouclier de l’ensemble du continent européen, il semble impératif que nous poursuivions un dialogue avec le Conseil européen, la Commission européenne et le Parlement européen, afin d’obtenir un soutien financier qui fait aujourd’hui cruellement défaut. Sommes-nous en mesure de convaincre les États-membres de l’Union européenne à participer au soutien de notre engagement militaire ? Sans cela, en effet, nous serons contraints de recentrer nos efforts.

Pour que nos interventions portent, il faut que nous soyons aptes à les mener jusqu’au bout. Rappelons que Colin Powell voulait dissuader le président Bush d’intervenir en Irak et que Jacques Chirac avait pris la sage décision de ne pas suivre l’injonction américaine.

M. Jeanny Lorgeoux. Il aurait donc fallu ne pas intervenir au Mali ou en Centrafrique ? Il faut être logique, mon cher collègue !

M. Joël Guerriau. Devons-nous n’être qu’un petit contributeur, aux côtés des États-Unis ? Il leur appartient d’assumer leurs responsabilités en Irak.

M. Gérard Larcher. Veuillez conclure, monsieur Guerriau.

M. Joël Guerriau. En suremployant l’armée française, nous risquons de l’épuiser, sans même en tirer le moindre bénéfice politique. Vous le savez bien, monsieur le ministre, il n’y a d’intérêt stratégique que si notre influence sur la sortie du conflit est réelle et si les bénéfices sont concrets.

Nous ne devons pas mobiliser toutes nos forces militaires, d’autant que rien ne nous permet d’affirmer qu’il n’y a pas d’autres dangers qui nous attendent.

Monsieur le ministre, vous bénéficiez, auprès des sénateurs de la commission des affaires étrangères, d’une écoute attentive. Nous avons su vous suivre, à l’unanimité, dans l’intérêt de l’unité nationale. Il ne faudrait pas, cependant, surestimer la capacité de notre pays à tout entreprendre, sans en avoir réellement l’envie ni les moyens, et sans disposer de soutiens. L’argent est le nerf de la guerre, et la détermination seule ne suffit pas quand les recettes font défaut. À trop entreprendre, nous diluons nos capacités et perdons en efficacité.

Pour conclure, je veux néanmoins souligner que, fidèle à ses convictions, le groupe UDI-UC approuve toute action qui contribue à soutenir l’armée française. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, la France est présente sur de nombreux théâtres extérieurs, où ses militaires font preuve de leur professionnalisme et de leur engagement pour leur pays, parfois jusqu’au sacrifice suprême.

Depuis les attentats de début janvier, la défense de notre pays se déroule aussi sur le territoire national, dans le cadre de l’opération Sentinelle, qui, par la volonté du Président de la République, s’inscrit dans la durée, certainement jusqu’à l’élection présidentielle de 2017.

Comme toujours, la défense a répondu présent, en mobilisant plus de 10 000 hommes en trois jours pour assurer la sécurité des lieux de culte, d’écoles ou de points sensibles. Il faut saluer cette réactivité, due à son expérience de la projection.

Dès le 11 mars, à la suite du Président de la République, vous dressiez, monsieur le ministre, le constat de la montée en puissance des menaces, y compris sur le sol national, et évoquiez « l’incursion soudaine, mais sans aucun doute durable, de cette menace terroriste dans l’environnement sud de l’Europe et jusqu’au cœur de nos sociétés ».

Cette aggravation des attentats et attaques terroristes en Tunisie, au Sahel, au Nigéria, en Libye, en Irak, en Syrie, mobilise déjà nos forces armées dans la durée. Mais il est clair qu’en additionnant opérations extérieures, forces de souveraineté et de présence et opération Sentinelle, nous avons fait exploser les capacités de notre armée. Ce qu’il était possible de faire pendant quelques semaines, dans le cadre du plan Vigipirate élevé au niveau « alerte attentat », ne l’est plus dans la durée.

Le Président de la République et vous-même en avez tiré les conclusions : une réduction de la déflation des effectifs a été engagée. On parle du maintien de 18 000 hommes sur les 24 000 qui auraient dû voir leur poste supprimé sur trois années. On ne peut que s’en féliciter.

Mais tout cela a un prix ; ces décisions pourraient représenter un coût de plus de 600 millions d’euros en année pleine, et près de 1,3 milliard d’euros sur le triennal. Or les économies permises par la déflation des effectifs ont déjà été prises en compte dans le budget de la défense, calibré au plus juste.

Autant le dire haut et fort à cette tribune, il n’est pas question que Bercy, encore une fois, utilise un stratagème comptable pour priver votre ministère d’un complément de crédits budgétaires indispensable.

M. Christian Cambon. Très bien !

M. Jacques Gautier. Si la sécurité des Français est votre priorité, elle requiert un effort de la nation en faveur de la défense et de l’intérieur. Il ne saurait y avoir de reprise économique, de recul du chômage, d’avancée sociale, de culture ou de développement durable sans la sécurité de tous les Français. Nous savons que l’engagement des forces doit s’exercer sur notre territoire national, mais aussi loin de nos frontières, afin d’empêcher la pieuvre djihadiste qu’est Daech de déstabiliser des régions entières, et de projeter vers l’Europe des terroristes, via notamment le retour de combattants étrangers formés au Yémen, au Sahel ou au Levant.

Dans trois mois, monsieur le ministre, vous présenterez l’actualisation de la LPM, devenue absolument nécessaire au regard de ces menaces.

Vous avez indiqué les cinq grandes réorientations qui devraient être opérées dans le cadre de cette actualisation.

Premièrement, il s’agit de revoir la trajectoire des effectifs et d’intégrer le nouveau modèle de l’armée de terre, intitulé « Au contact », que le général Bosser vient de vous présenter. Des crédits, nouveaux et complémentaires, devront donc être affectés à cette priorité.

Deuxièmement, vous souhaitez renforcer, selon nous à juste titre, certaines priorités fixées en 2013. Parmi celles-ci, vous citez les moyens de renseignement techniques et humains, le volet « cyber » de notre stratégie et l’importance des forces spéciales.

À ce sujet, Gérard Larcher, Daniel Reiner et moi-même avons montré dans notre rapport sur le sujet que la montée en puissance du commandement des opérations spéciales, le COS, – il passera de 3 000 à 4 000 hommes – ne suffisait pas si elle n’était pas accompagnée de livraisons d’équipements individuels et collectifs. Il faut donc consacrer un budget supplémentaire, fût-il modeste, pour doter en urgence nos forces spéciales du matériel dont elles ont besoin.

De même, il faut simplifier les procédures, toujours trop longues et trop administratives, en faveur de l’homogénéisation et de l’homologation des équipements et matériels des forces spéciales – et cela ne coûte rien ! La fourniture de ces matériels, pourtant limités en nombre, devrait se voir appliquer des procédures simplifiées du code des marchés publics. La solution pourrait passer par un abondement d’une dizaine de millions d’euros, somme ridicule, dont le COS dispose pour les préparations et les équipements d’urgence.

Vous évoquez, monsieur le ministre, l’effort réalisé dans le domaine de l’intelligence-surveillance-reconnaissance, l’ISR, avec l’acquisition d’un troisième Reaper, la commande de trois autres, et le lancement d’études pour le futur drone européen à l’horizon 2025, avec l’Allemagne et l’Italie. Des crédits doivent être affectés à cette recherche et développement ; les industriels les attendent.

À ce sujet, il serait temps que le ministère de l’intérieur comprenne l’importance des drones pouvant être utilisés au-dessus du territoire national. Ce type de matériel existe « sur étagère » ; Beauvau doit maintenant les acquérir.

Troisièmement, vous entendez faire porter un effort plus marqué sur les équipements majeurs de nos forces et sur notre politique industrielle. Je ne peux que m’en réjouir. Vous me permettrez, monsieur le ministre, de saluer au passage votre engagement personnel pour l’exportation de nos matériels militaires.

Quatrièmement, vous voulez, selon vos propres termes, « crédibiliser et sanctuariser les ressources financières nécessaires à la LPM ». C’est là un vrai défi !

Dès la fin de l’année 2014, cela a été dit, il vous a fallu inventer les sociétés de projet pour pallier l’absence des 2,2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles. Vous le savez bien, cela devrait être encore le cas en 2016 et en 2017, d’autant que Bercy, dans le triennal et le projet de loi de finances pour 2015, a ajouté 1,8 milliard d’euros de REX sur la période, en remplacement de vrais crédits budgétaires.

Bercy va encore vous faire le coup, monsieur le ministre, en invoquant la faible inflation, la baisse du prix des carburants, le report des versements ou les économies provoquées par les ventes de FREMM – frégates européennes multimissions – ou de Rafale !

Cela n’est pas acceptable. Nos armées, non seulement l’armée de terre, mais aussi l’armée de l’air et la marine, sont en surchauffe ; on ne peut ni réduire leurs effectifs, ni toucher aux crédits d’entraînement, déjà insuffisants, ni faire des économies dans le secteur du maintien en conditions opérationnelles – MCO –, déjà sinistré.

M. Jean-Claude Carle. Très bien !

M. Jacques Gautier. Quant au remplacement de nos équipements, il ne peut plus attendre. Nous sommes arrivés, vous le savez, au bout du bout.

Les armées ont besoin, au minimum, de 3 milliards d’euros supplémentaires sur les trois ans qui viennent, faute de quoi l’édifice de la LPM s’écroulera.

Compte tenu du temps limité dont je dispose, je ne pourrai évoquer ni le service militaire adapté, ni la réserve opérationnelle, ni le droit d’association.

En revanche, je voudrais insister sur la nécessité pour les pays européens de développer la coopération et la mutualisation, notamment sur le plan opérationnel. À Riga, vous avez plaidé en ce sens, monsieur le ministre ; il vous faudra enfoncer le clou au mois de juin prochain.

L’Union européenne ne doit pas avoir peur d’affirmer son sens stratégique, y compris en matière budgétaire. (Mme Nicole Bricq acquiesce.) La règle des 3 % doit être modulée en tenant compte d’une partie des dépenses militaires. Le coût des opérations extérieures et celui des investissements pour la défense pourraient ainsi être exclus des calculs de la Commission européenne.

Vous l’avez compris, monsieur le ministre, je suis, nous sommes à vos côtés pour l’actualisation de la LPM. Mais, au-delà des déclarations et des engagements, il est nécessaire d’intégrer, dès ce rendez-vous, les moyens budgétaires complémentaires qui font défaut à nos armées Cela nécessitera un engagement total du Président de la République, chef de nos armées et responsable de la sécurité des Français. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – Mme Hélène Conway-Mouret et M. Jeanny Lorgeoux applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, du 11 septembre 2001 aux derniers attentats de Sanaa, du Waziristan au Mali, en passant par le Levant, en tout lieu, en tout temps, le terrorisme frappe et fait fi des frontières.

Nous l’avons malheureusement subi sur notre territoire lors des attentats du mois de janvier, qui ont endeuillé la nation, mais aussi révélé sa capacité de résilience. Les décisions ont alors été prises pour renforcer la sécurité de nos concitoyens.

Cette menace n’est, hélas ! pas une surprise pour nous. Les Livres blancs de 2008 et de 2013 évoquaient les risques. En revanche, l’acuité du problème et la nécessité de protéger nos concitoyens imposent d’anticiper l’actualisation de la LPM, que nous avions sagement prévu, à l’article 6, de réaliser avant la fin de l’année 2015. Je constate que le groupe UMP a souhaité « anticiper l’anticipation », en sollicitant ce débat.

Monsieur le ministre, dès le mois de janvier, vous annonciez devant notre commission des affaires étrangères et de la défense que l’actualisation interviendrait avant l’été, afin « d’adapter notre analyse, nos contrats opérationnels et notre réponse capacitaire au nouveau contexte ».

J’aborderai principalement les effectifs et la sanctuarisation budgétaire. Ces deux questions sont évidemment liées et elles sont cruciales pour l’avenir de notre sécurité.

À propos des effectifs, le Livre blanc de 2013 énonçait : « L’engagement des armées en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile en cas de crise majeure pourra impliquer jusqu’à 10 000 hommes des forces terrestres ».

Pour rappel, l’opération Sentinelle prévoit le déploiement de plus de 10 000 militaires, pas seulement des forces terrestres d’ailleurs, afin de protéger près de 700 sites en France métropolitaine et outre-mer. Cette opération s’ajoute aux OPEX, où plus de 10 000 hommes sont actuellement engagés. On voit là l’imbrication des sécurités extérieure et intérieure, clairement établie par les Livres blancs de 2008 – et cela n’allait pas, alors, totalement de soi – et de 2013.

Cela justifie en tout point la nécessité de continuer à lutter contre le terrorisme à l’extérieur. C’est de ce continuum complexe que naissent les risques d’attentats sur nos territoires. Dès lors, il devient impossible d’envisager de baisser la garde à l’extérieur pour se recroqueviller, si l’on peut dire, sur la seule protection de notre territoire national.

D’ailleurs, dès la mise en place de l’opération Sentinelle, le Président de la République a pris la mesure de cette tension sur les effectifs en annulant la suppression de 7 500 postes, décidant ainsi de ralentir la tendance baissière des effectifs. Depuis lors, il a autorisé l’armée de terre à augmenter ses effectifs jusqu’en 2017, à hauteur de 11 000 hommes.

Cette revue nouvelle des effectifs ainsi qu’une montée en puissance des composantes renseignement, cyberdéfense et réserve opérationnelle – qu’on oublie trop souvent – permettront aux armées françaises d’honorer les contrats opérationnels qui s’imposent tant à l’extérieur que sur le territoire national. Mais il faut tout de même se souvenir que le Livre blanc de 2008 avait programmé 54 000 suppressions d’emplois quand celui de 2013 n’en prévoyait « que » 24 000 ; bien sûr, compte tenu du contexte, ce sera finalement beaucoup moins.

Ainsi que Jacques Gautier vient de le souligner, cette décision aura évidemment des conséquences budgétaires. Il faudra les évaluer dans l’actualisation. Mais la sécurité de nos concitoyens sur le territoire national comme à l’extérieur impose cet effort supplémentaire.

Subsiste donc la nécessité de lever le verrou budgétaire qui pèse, telle une épée de Damoclès, au-dessus de nos armées. Nous devons éviter les errements que de précédentes lois de programmation ont connus.

Deux éléments devraient permettre aujourd’hui de « sanctuariser » le budget à court terme, selon la volonté du Président de la République.

Le premier, et c’est un motif de satisfaction, concerne nos derniers succès à l’exportation – vous en avez pris votre part, monsieur le ministre –, notamment, outre le marché pour le Liban, la fourniture d’équipements majeurs à l’Égypte. Vous avez rappelé au cours de votre dernière conférence de presse que la LPM reposait sur la réussite de contrats d’exportation. L’un d’entre eux concernait l’avion de combat Rafale. Or la vente de vingt-quatre appareils à l’Égypte permettra de respecter la cible de la LPM en fournitures de Rafale aux forces aériennes tout en maintenant l’activité des chaînes de montage à hauteur de l’engagement ancien de l’État, dont nous avons hérité, vis-à-vis de l’entreprise. Si nous concluons d’autres contrats, l’étau se desserrera naturellement, et nous pourrons affecter d’autant mieux les moyens ainsi dégagés aux autres forces.

Le second élément est le point qui fait débat entre nous ; il s’agit évidemment de la question des sociétés de projet.

Dès 2012, le budget de la défense a été sanctuarisé à 31,4 milliards d’euros. Et ce n’était pas si simple ! Depuis, nous avons, bon an mal an, réussi respecter la trajectoire fixée par la LPM. Je conteste donc qu’il manque un milliard d’euros, comme cela a été affirmé tout à l’heure.

La contraction des crédits budgétaires de défense a été compensée par un recours accru aux recettes exceptionnelles. La construction budgétaire de cette année repose évidemment sur plus de 2 milliards d’euros de recettes exceptionnelles. En l’absence de crédits, votre ministère n’a pas trouvé d’autres solutions que la création de sociétés de projet.

Cette question sera débattue ici même dans les semaines qui viennent, lors de l’examen du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. Il s’agira de lever les obstacles juridiques pour pouvoir créer ces sociétés. D’ailleurs, il n’est pas impossible que celles-ci soient par la suite fort utiles, en mobilisant des capitaux privés, pour répondre à une demande à la fois des industriels et de pays potentiellement importateurs.

La décision a été prise et arbitrée au plus haut niveau de l’État, et les moyens nécessaires seront affectés. En outre, il est prévu à l’article 3 de la LPM que des ressources manquantes peuvent être intégralement compensées par « d’autres recettes exceptionnelles», parmi lesquelles des « produits de cessions additionnelles de participations d’entreprises publiques ».

À présent, je vais vous livrer le fond de ma pensée. Depuis quelque temps déjà, nous connaissons des difficultés à trouver des recettes pour équilibrer le budget de la défense. Sur toutes les travées, chacun s’accorde à reconnaître la gravité des menaces et sur la nécessité impérieuse pour ce gouvernement d’assurer la protection de nos concitoyens. Le caractère aléatoire des recettes exceptionnelles contraste notablement avec cette impérieuse nécessité.

L’année prochaine, nous serons confrontés une fois de plus à ce caractère aléatoire et incertain. Il en sera peut-être de même en 2017. Certes, il y a toujours eu des recettes exceptionnelles prévues dans les LPM. Les produits de cessions immobilières ont, bon an mal an, permis d’abonder pour partie cette ligne. Le programme d’investissements d’avenir auquel la défense a eu recours l’an passé, en en respectant bien la lettre et l’esprit et en en faisant bénéficier le Commissariat à l’énergie atomique et le Centre national d’études spatiales, l’a également permis. Mais nous le savons tous ici, la cession de fréquences hertziennes a peu de chances d’être réalisée cette année.

Il devient évident que ce caractère aléatoire, qui porte à la fois sur le montant des recettes en question et sur le calendrier de leur mobilisation, ne peut plus convenir à un budget « sanctuarisé » comme celui de la défense.

En conséquence, la simple logique voudrait que le budget de la défense soit abondé uniquement par des crédits budgétaires, des crédits sûrs, tant en valeur qu’en délais. (M. Jacques Gautier applaudit.) Je crois savoir qu’une réflexion sur ce sujet est en cours, y compris au sein du ministère de l’économie et des finances.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Reiner. Je propose de passer aux actes dès 2016 et de réorienter les recettes exceptionnelles vers d’autres budgets qui pourraient éventuellement en supporter le caractère plus aléatoire.

Il n’est plus temps de se perdre continuellement dans de longs débats et arguties budgétaires. Le sujet est trop grave. Cela finit par nuire à la sérénité nécessaire au fonctionnement de l’ensemble de notre appareil de défense, institutionnel, militaire et industriel.

Nous sommes confrontés à des défis sans précédent. Soyons à la hauteur, notre sécurité collective l’exige ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur diverses autres travées.)

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, alors que nous débattions la semaine dernière de la diplomatie française, nous discutons aujourd’hui de la révision de la LPM 2014-2019, qui aura lieu dans le courant du mois de juin.

Avant tout, je tiens à saluer l’engagement remarquable de nos soldats au cours des derniers mois. Dans un contexte particulièrement difficile, ils ont contribué de manière substantielle à la solidarité et à la cohésion sociale.

Force est de le constater, l’évolution de la situation internationale, avec des opérations extérieures toujours plus nombreuses depuis deux ans, et le plan Vigipirate, qui est maintenu à son niveau maximum depuis le début du mois de janvier, obligent le ministère de la défense à réajuster les trajectoires définies voilà presque deux ans maintenant.

Monsieur le ministre, vous avez vous-même déclaré voilà peu devant notre commission que les déploiements actuels se situaient déjà à un niveau légèrement supérieur aux contrats opérationnels définis en 2013.

Il y a donc urgence ! Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion en profondeur sur les priorités diplomatiques de la France. Avons-nous toujours aujourd’hui les moyens d’intervenir à la fois en Afrique et au Moyen-Orient ?

La question de la soutenabilité de la multiplication des engagements de la France à l’étranger se pose. Nous avions déjà largement attiré votre attention sur la faible provision OPEX pour 2015. Or ces surcoûts ont un impact regrettable sur les crédits d’équipements, ainsi que sur les moyens alloués à la formation et à la préparation opérationnelle des forces. Pourtant, l’une et l’autre sont primordiales ! Les soldats doivent en effet être la priorité : ils sont au cœur de la vision écologique de la défense que nous portons. Je sais que c’est également votre souci, monsieur le ministre, et je connais votre engagement à cet égard.

La prévention des conflits et la gestion des crises passent avant tout par l’humain.

En effet, les difficultés croissantes d’accès aux ressources, difficultés dues à des raisons climatiques, mais aussi anthropiques, sont déjà responsables d’une montée des tensions qui va croissante. Ces tensions, à l’échelle d’un village, d’une région, d’un pays, voire de plusieurs pays, seront des facteurs de déstabilisation majeurs dans les années à venir. C’est pourquoi les missions des forces armées doivent être repensées.

Monsieur le ministre, le dérèglement climatique n’est pas un simple « effet multiplicateur ». C’est un risque stratégique à part entière !

Les hommes sont indispensables pour répondre à de tels défis. Alors que les annonces de début d’année sur les 7 500 postes qui seront conservés répondent à un contexte particulier à court terme, il est temps de revoir de manière globale la logique de déflation des effectifs qui domine depuis de nombreuses années.

Plus encore, la réévaluation de la loi de programmation militaire doit impérativement s’inscrire dans une réflexion au niveau européen.

Les difficultés du ministère de la défense à trouver des recettes exceptionnelles afin de boucler son budget doivent nous pousser à réfléchir hors du cadre national. Récemment encore, les sociétés de projet ont relancé le débat. Comme vous pouvez l’imaginer, monsieur le ministre, les écologistes s’interrogent franchement sur le bien-fondé d’une privatisation du matériel opérationnel.

Face à de telles difficultés, nous devons à nouveau réfléchir à l’opportunité d’une mutualisation au niveau européen. En effet, il serait possible de répondre aux besoins des uns et des autres tout en mutualisant les coûts. Nous ne pouvons plus nous cantonner dans une approche franco-française.

Ainsi, alors que le développement de la cyberdéfense et des moyens alloués aux renseignements apparaissent comme deux priorités majeures de la LPM, nous devons appréhender ces nouveaux enjeux dans le cadre européen.

D’une part, la capacité à gérer au mieux l’intégrité du cyberespace français passe par une défense concertée à l’échelle de l’Union européenne, notamment parce qu’une grande partie des normes en matière de système d’information relève de la compétence communautaire.

D’autre part, l’utilisation croissante de drones dans le renseignement devrait être accompagnée de l’élaboration d’une doctrine d’emploi ainsi que du développement d’une position européenne commune.

Au-delà du seul aspect capacitaire, face aux menaces transnationales d’aujourd’hui – dérèglement climatique, terrorisme, instabilité régionale, risques de la faiblesse, menaces de la force –, il est indispensable d’adapter notre approche stratégique.

Pour conclure, revenant à l’échelon national, je dirai quelques mots sur le renforcement du lien entre l'armée et la nation.

Je voudrais tout particulièrement porter à votre attention le programme « Unis pour faire face » lancé par le chef d’état-major de l’armée de l’air. Ce programme permet à des aviateurs en formation de parrainer des jeunes en difficulté scolaire et de leur transmettre le goût de l’aéronautique et ses valeurs. Il s’agit là d’une réelle chance pour ces jeunes qui, parallèlement à leurs cours, ont ainsi la possibilité, quelques heures par semaine, de découvrir et d’apprendre en dehors du cadre scolaire. (M. le ministre de la défense acquiesce.) Les premiers retours montrent un effet d’entraînement et un impact très positif sur les études.

C’est ce genre d’initiative que nous devons financer et encourager, monsieur le ministre, puisque ce sont elles qui, au quotidien, contribuent au renforcement du lien entre l’armée et les citoyens, lien ô combien important aujourd’hui. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux mois après les attentats commis en région parisienne qui ont coûté la vie à dix-sept personnes entre le 7 au 9 janvier, tout le monde a pris conscience du fait que la menace terroriste contre notre pays constituait une donnée majeure et durable et qu’elle devait être prise en compte en conséquence dans la réflexion sur les moyens qu’il faut consacrer à notre défense.

Parallèlement, ces événements ont relancé le débat public sur le coût de la sécurité du pays. Dans la perspective de l’actualisation de la loi de programmation militaire – dont vous avez à juste titre, monsieur le ministre, avancé la présentation au Parlement du fait de ces événements –, le débat de cet après-midi, dû à l’initiative de nos collègues de l’UMP, est tout à fait opportun et nécessaire.

À ce stade, l’expérience des derniers mois m’incite à penser qu’il faut réexaminer la LPM sur au moins deux points particuliers, qui ont du reste un lien entre eux.

Il s’agit, d’une part, de la décision de réduire les effectifs de nos armées de 26 000 postes d’ici à 2019 et, d’autre part, des solutions envisagées d’ici au mois de juillet pour faire face à un manque se chiffrant, selon le président de notre commission des affaires étrangères, à 3 milliards d’euros pour garantir, comme s’y est engagé le Président de la République, les 31,4 milliards prévus dans la LPM. En effet, l’un des enseignements à tirer des attentats du mois de janvier est que l’objectif de réduction inconsidérée des effectifs était une profonde erreur, sûrement due à une vision étroitement comptable des choses.

Il faut admettre aujourd’hui que le format d’armée résultant d’une baisse des effectifs dont la seule justification était de faire des économies au profit des équipements ne permet pas de répondre à une situation de crise imprévue.

En ne comptant que les opérations en Irak, dans la bande sahélo-saharienne et en République centrafricaine, c’est la première fois que notre pays a pratiquement autant de soldats engagés à l’extérieur du pays.

Bien sûr, le Président de la République a eu raison de considérer que la lutte contre le terrorisme djihadiste ne se déroulait pas uniquement sur les théâtres d’opérations extérieurs et que, pour combattre ce fléau, il fallait aussi assurer la protection de nos concitoyens sur le territoire national.

Le Livre blanc de 2013 prévoyait bien que 10 000 soldats pourraient être déployés pour une mission de protection du territoire, mais il n’en avait pas précisé la durée. Or, avec l’opération Sentinelle, ce sont 10 500 hommes qui sont déployés en permanence depuis plus de deux mois.

Tous les chefs d’état-major l’ont dit avec force, chacune des trois armées est aujourd’hui engagée au maximum de ses capacités, et aucune ne peut tenir ce rythme dans la durée. Cet engagement s’est fait au prix de l’annulation de permissions, de la prolongation de la présence de certaines unités en opérations extérieures, de l’annulation d’exercices et de formations, enfin, plus grave encore, du raccourcissement des préparations opérationnelles.

Autant dire qu’il n’est pas acceptable que, pour remplir la mission particulière de protection de nos concitoyens, nos armées soient conduites à réduire leurs capacités futures à combattre.

En conséquence, le Président de la République, pour assurer cette mission dans de bonnes conditions sans réduire les capacités de nos armées, a pris la juste décision de moins diminuer les effectifs qu’il n’était prévu, puisque l’on parle de réductions inférieures de 30 % au projet initial.

Je vous demanderai donc, monsieur le ministre, de nous préciser comment vous envisagez d’appliquer cette décision, qui présente bel et bien un coût budgétaire.

Ma seconde préoccupation a trait au mode de financement des engagements prévus par la LPM et aux solutions que vous proposez, en particulier pour remplacer des recettes exceptionnelles qui feront défaut.

Je veux évidemment parler de la mise en place des sociétés de projet, sur lesquelles pèsent encore beaucoup d’incertitudes malgré votre volonté de les voir aboutir et les éclaircissements que vous avez récemment apportés.

D’abord, sur le plan de la méthode, il est regrettable que ce sujet, fondamental pour l’équilibre et la sincérité de la LPM, soit abordé, voire réglé avant que cette dernière soit discutée, et cela au détour d’un article d’un texte fourre-tout sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques !

J’ai bien compris qu’il y avait urgence et qu’il fallait impérativement trouver une solution avant le mois de juillet. Mais, précisément, le flou qui entoure encore cette question et les réticences du ministre des finances – il semble qu’il cherche une autre solution – ne sont pas de nature à nous rassurer et pourraient même nous faire craindre que vous n’agissiez dans la précipitation. Au demeurant, je ne suis pas persuadée que nous aurons, dans quinze jours, plus d’éléments en main pour nous prononcer en toute connaissance de cause.

Dans l’immédiat, je suis très partagée sur la solution que vous avancez. L’une de mes principales interrogations porte sur le fait que cette solution ne permettrait évidemment pas d’assurer des recettes pérennes. En ce sens, elle ne traduit pas une vision à long terme du financement de nos équipements militaires.

Je n’irais peut-être pas jusqu’à employer les mots – souvent repris ces derniers temps – de « cavalerie budgétaire ».

M. Jeanny Lorgeoux. Non, il ne vaut mieux pas !

Mme Michelle Demessine. Néanmoins, je pense que le montage financier prévu a pour seule vertu de faire engranger rapidement – en une fois, la première année – les sommes qui nous font défaut.

Ces sociétés de projet ne seraient d’ailleurs pas non plus sans risques pour l’État sur le plan financier, si l’on considère que cette expérience de leasing a été plutôt négative en termes de coût et d’efficacité en Grande-Bretagne.

Monsieur le ministre, dans l’intérêt de ce débat de contrôle parlementaire, j’espère que vous nous apporterez les éclaircissements nécessaires sur vos intentions et que vous nous préciserez les points sur lesquels vous nous proposerez une réactualisation de la loi de programmation militaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Esnol.

M. Philippe Esnol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 3 décembre dernier, je me tenais devant vous à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Défense » et tentais de déterminer si le budget pour 2015 donnait à notre pays les moyens d’assurer sa défense, à savoir garantir l’intégrité de son territoire et la protection de sa population, mais aussi contribuer à lutter contre toutes les menaces susceptibles de mettre à mal la sécurité nationale eu égard au tumulte du monde actuel.

Les priorités définies dans la loi de programmation militaire 2014-2019 étant respectées et le budget de la mission « Défense » étant sanctuarisé, j’en concluais, sous quelques réserves, que je pouvais répondre par l’affirmative. La part du budget consacré à l’effort de défense était significative.

Depuis, il y a eu le 7, le 8 et le 9 janvier 2015. La France et les Français ont été touchés au cœur. Les hommages, en particulier ceux des chefs d’État européens, se sont multipliés.

Depuis, se sont également produits les attentats de Copenhague et du Bardo, les 14 février et 18 mars derniers. Ils sont venus allonger la liste des victimes, y compris françaises, du terrorisme djihadiste. Pour eux aussi, évidemment, j’ai une pensée émue. Je souhaiterais que cette comptabilité macabre s’arrête là.

Toujours est-il que quelque chose a changé. Les menaces identifiées dans la loi de programmation militaire 2014-2019 se sont concrétisées. Nous ne les découvrons donc pas.

Si l’on considère ces terribles événements et le niveau d’engagement de nos troupes sur les théâtres extérieurs, mais aussi, désormais, leur exceptionnelle mobilisation sur notre sol dans le cadre de l’opération Sentinelle – décidée en complément du plan Vigipirate, élevé au niveau « alerte attentats » –, si l’on y ajoute le fait que la menace terroriste ne faiblit pas, alors se pose la question de la révision de cette loi ; non qu’elle ne soit pas pertinente, mais l’évolution de la situation rend son actualisation nécessaire.

Pour le groupe RDSE, les mesures récemment annoncées par le Gouvernement vont incontestablement dans le bon sens. En effet, la loi de programmation militaire, inspirée du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, a été votée avec pour objectif de déterminer le montant et l’affectation des crédits budgétaires en matière de dépenses militaires jusqu’en 2019. Elle exigeait des armées, comme chacun le sait ici, des efforts considérables et prévoyait, entre autres, une réduction importante des effectifs, à hauteur de 34 000 postes.

Les attentats commis en début d’année nous ont tragiquement fait prendre conscience que, pour la première fois depuis longtemps, nous avions aussi un ennemi sur notre propre sol. En l’espace de trois jours, ce sont 10 000 militaires – soit l’effectif maximum –, dont 6 000 en région parisienne, qui ont dû être déployés pour assurer la protection du territoire national, notamment celle des sites touristiques stratégiques et des sites confessionnels, en particulier juifs.

Ce dispositif, toujours en vigueur, fait peser des contraintes très lourdes sur nos soldats. Ainsi, les préparations opérationnelles ont été réduites et les permissions supprimées. En l’état, nous ne disposons pas de marge de manœuvre en cas de nouvelle dégradation de la situation sécuritaire, et nous devrons rapidement faire évoluer ce mode opératoire pour reprendre la préparation de nos forces et permettre la relève sur des théâtres extérieurs.

C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, nous ne pouvons qu’être d’accord avec la révision de la trajectoire des effectifs que vous proposez pour soutenir l’effort contre le terrorisme, ainsi qu’avec la décision de porter le nombre de réservistes à 40 000, contre 28 000 actuellement.

Nous avions déjà accueilli positivement l’annonce faite par le Président de la République, à l’occasion de ses vœux aux armées, concernant la sauvegarde de 7 500 postes afin que le plan Vigipirate normal puisse mobiliser 7 000 militaires, et non 1 000 comme c’était le cas jusqu’à présent.

En outre, réfléchir à un nouveau modèle de l’armée de terre pour tenir compte des nouvelles missions qui lui sont attribuées, et notamment pouvoir faire face au retour de ressortissants français partis faire le djihad en Syrie, nous apparaît tout à fait pertinent.

Nous partageons également l’avis selon lequel l’autre enjeu de l’actualisation de la loi de programmation militaire est d’accentuer un certain nombre de priorités établies en 2013, au premier rang desquelles figure le renseignement. L’examen prochain par le Parlement d’un projet de loi sur le renseignement, la commande de nouveaux drones Reaper et la réalisation avec l’Allemagne d’un troisième satellite militaire d’observation sont également de bonnes nouvelles.

De la même façon, les multiples cyberattaques dont nous avons récemment fait l’objet attestent, s’il en était besoin, la nécessité de renforcer la cyberdéfense et de procéder à des recrutements – j’oserai dire « massifs » – de spécialistes en la matière.

Enfin, l’annonce de la sanctuarisation des ressources financières dédiées à la défense recueille notre plein soutien tant elle nous apparaît indispensable en la circonstance.

Toutefois, le RDSE ne peut s’empêcher de s’interroger sur les modalités de financement et attend du Gouvernement quelques éclairages. En effet, la part des recettes exceptionnelles dans le budget de la défense pour 2015 s’est encore accrue, pour atteindre 2,3 milliards d’euros. Or il est aujourd’hui établi que le produit de la cession des fréquences hertziennes qui devait en constituer la majeure partie ne sera pas disponible à temps.

J’avais déjà eu l’occasion d’exposer notre scepticisme concernant la création de sociétés de projet. À nos yeux, elles ne constituent en rien une solution durable. Ce système de crédit-bail, qui permet à ces sociétés d’acheter le matériel militaire afin d’en concéder ensuite un droit d’usage au ministère contre loyer, s’il peut avoir du sens appliqué à une entreprise capable de créer de la valeur ajoutée compensant le coût de l’opération, se justifie mal s’agissant de l’État.

Un pas supplémentaire vers la création de ces sociétés de projet avait été franchi avec l’adoption par nos collègues de l’Assemblée nationale d’un amendement dans le cadre de l’examen du projet de loi Macron, mais il vient d’être supprimé par la commission spéciale du Sénat. La question du financement de la défense reste donc entière. Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre, sur un éventuel plan B ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. . Il n’y en a pas !

M. Philippe Esnol. Par ailleurs, la géopolitique comprend une grande part d’imprévisibilité. Cela rend le surcoût lié aux OPEX relativement aléatoire. Pour cette année, on comptera 750 millions d’euros de dépenses supplémentaires par rapport aux prévisions. Quant à l’opération Sentinelle, elle devrait coûter environ 250 millions d’euros. La solidarité interministérielle jouera, mais le ministère de la défense n’en sera pas moins mis à contribution. Nous demandons que l’équipement des forces ne serve pas de variable d’ajustement, car il a absolument besoin d’être modernisé.

De surcroît, les hommes et les femmes qui composent notre armée, bien que toujours dévoués, sont attentifs à cet aspect, qui conditionne non seulement leur efficacité sur le terrain, mais aussi leur sécurité.

Enfin, malgré votre volontarisme, monsieur le ministre, s’agissant du renforcement de la coopération entre les États membres de l’Union européenne en matière de défense, hormis la réalisation avec l’Allemagne d’un troisième satellite militaire d’observation, des résultats tangibles se font, hélas ! toujours attendre. Nous ne doutons nullement de votre détermination, et vous avez d’ailleurs réaffirmé récemment avec force la nécessité du partage du « fardeau ». Pourtant, force est de constater que, depuis plusieurs années, sous la pression de la crise économique, l’Europe désarme pendant que le reste du monde réarme. La France, quant à elle, forte de sa puissance militaire, assume une charge dont une partie concerne des missions qui relèvent de l’intérêt de l’ensemble de l’Union.

Si, dans la situation exceptionnelle que nous connaissons, l’effort de défense doit être une priorité nationale, il doit aussi désormais être une priorité européenne.

Entendons-nous bien : je ne suis pas en train d’appeler de mes vœux l’émergence d’une force commune européenne (M. David Rachline s’exclame.), mais je considère en revanche qu’une plus grande mutualisation des financements s’impose.

Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour que, dans le cadre du prochain Conseil européen du mois de juin, consacré aux questions de défense, la France joue un rôle proactif en ce sens.

M. le président. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, arrêtons de nous voiler la face : la loi de programmation militaire ne répond pas à une problématique d’évaluation stratégique de la menace que les différents Livres blancs expertisent, mais obéit à la seule logique budgétaire ! Arrêtez de nous faire croire que les effectifs de nos armées sont « adaptés » à la menace ! Quand des hommes enchaînent instantanément les opérations extérieures avec l’opération Sentinelle, quand des hommes, entre deux missions de plusieurs mois, n’ont qu’une seule semaine de permission, quand la disponibilité des aéronefs est plus que faible, de l’ordre de 10 % par exemple pour les Atlantique 2 de patrouille maritime, quand la disponibilité technique opérationnelle des matériels de l’armée de terre est de 60 % alors que les objectifs sont de 80 %, et quand vous envisagez de fermer le Val-de-Grâce, vitrine mondiale de notre service de santé des armées, ne nous dites pas que les effectifs et les matériels sont adaptés !

M. Jeanny Lorgeoux. De grâce !

M. David Rachline. Eh oui, c’est le cas de la dire !

Tout d’abord, la menace est extrêmement fluctuante et évolutive. J’en veux pour preuve que dans les 160 pages du Livre blanc de 2013, Libre blanc qui, sauf erreur de ma part, a conduit à la LPM pour les années 2014 à 2019, je n’ai trouvé l’Irak mentionné qu’une seule fois et jamais je n’ai lu le mot « islamiste » alors que Daesh et Boko Haram sont aujourd’hui identifiés comme constituant un risque majeur pour notre pays et pour un certain nombre de pays amis.

Je ne dis pas que l’exercice du Livre blanc ne sert à rien, mais il faut prendre conscience que ce travail n’est pas suffisant : notre outil de défense ne doit pas être ajusté à la seule vision stratégique d’un Livre blanc. Au contraire, cet outil doit envisager des capacités supérieures afin de nous permettre de garder une liberté d’action, qui, je le rappelle, est l’un des trois principes de la guerre établis par le maréchal Foch.

Dans le Livre blanc de 2013, on peut lire que vous allez augmenter les effectifs de l’armée de terre de 11 000 hommes. En fait, il s’agit juste d’une diminution de la diminution ! En effet, en 2008, les effectifs étaient de 90 000 ! Certes, la diminution prévue à 66 000 dans le dernier Livre blanc est revue à la baisse, mais cela reste une forte diminution par rapport à 2008 ! Je rappelle que c’est la défense qui, en 2014, a supporté 60 % des baisses d’effectifs de l’État ! Or la sécurité de notre pays est chaque jour menacée, comme les événements de janvier nous l’ont cruellement rappelé.

Ainsi que je l’avais dénoncé, le budget que vous nous avez présenté il y a quelques mois sur la mission « Défense » n’était pas sincère. Il apparaît au grand jour que vous avez délibérément caché des faits à la représentation nationale et, au pis, que vous lui avez menti en présentant des chiffres que vous saviez pertinemment impossibles à atteindre !

Le Gouvernement cherche des artifices pour préserver un tant soit peu le budget de votre ministère : aujourd’hui, l’artifice trouvé s’appelle « sociétés de projet ». Malheureusement, un artifice reste un artifice et le fond de la question, celle de la préservation de notre outil de défense, demeure entier.

En réalité, vos choix stratégiques de défense sont malheureusement des choix budgétaires, et ces choix budgétaires sont les choix de l’Union européenne !

Monsieur le ministre, nous savons les efforts que vous faites et la passion qui vous anime personnellement pour préserver notre outil de défense. Hélas ! cette passion n’est pas partagée par certains de vos collègues ; je pense, par exemple, au ministre des finances. Surtout, cette passion n’est pas celle des technocrates bruxellois qui font la pluie et le beau temps sur les finances de la France.

L’Europe, parlons-en. L’armée française est aujourd’hui la seule armée à protéger l’Europe ! Alors, monsieur le ministre, soyez audacieux, soyez courageux, prélevez sur la contribution de la France au fonctionnement de l’Union européenne les milliards nécessaires à notre défense : nos vingt-six partenaires devraient comprendre puisque nous assurons leur sécurité !

Je note que l’Allemagne, qui ne participe pas tellement aux opérations extérieures, vient d’augmenter de 8 millions d’euros son effort de défense.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Huit milliards !

M. David Rachline. Encore un domaine dans lequel nous allons être dépassés par les Allemands, peut-être pas immédiatement, mais demain certainement, car un outil de défense se construit dans la durée et, malheureusement, se détruit sur le très court terme.

Pour conclure, je vous rappellerai notre vision de la défense, notre vision de notre armée. Nous proposons le renforcement réel de nos effectifs militaires et la garantie de fournir à nos soldats des matériels de très haut niveau, comme notre industrie sait les fabriquer. À cet effet, nous sanctuariserons dans la Constitution, et non dans une loi de programmation, un effort de défense au moins égal à 2 % du PIB. C’est le minimum que nous devons à nos compatriotes et à ceux d’entre eux qui assurent notre sécurité, parfois au prix de leur vie !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin.

M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme on l’a vu récemment, le peuple français aime son armée. Ce sentiment n’est pas le fait du hasard : il est lié à la qualité des services, notamment à la qualité des personnels.

En effet, ce qui frappe, s’agissant de l’armée que notre pays a réussi à construire avec le temps, c’est la qualité de ses chefs et celle de tous ses personnels. Au fond, quand on regarde les récentes opérations qui ont été menées par les armées françaises, on constate une qualité d’intervention qui fait légitimement la fierté de notre pays.

La France aime son armée et le pays a besoin de sa défense. Nous le mesurons d’autant plus aujourd'hui que la menace augmente tous les jours.

Dès que l’on règle un conflit quelque part, surgit un nouveau danger. Les négociations qui ont lieu actuellement à Lausanne constituent peut-être un progrès, mais, au-delà de la satisfaction immédiate, quelles en seront les conséquences pour les équilibres du Moyen-Orient ?

On le voit, les menaces sont sans fin, raison pour laquelle nous devons protéger notre pays.

Dominique de Legge l’a souligné : si le groupe UMP a voulu organiser ce débat, monsieur le ministre, c’est parce qu’il estime qu’il convient de discuter des questions financières dans le cadre du calendrier accéléré que vous souhaitez mettre en œuvre. Nous ne voulons pas être otages d’une procédure budgétaire. Nous ne voulons pas nous entendre dire au mois de juillet prochain que le pays est dans l’impossibilité de faire face au financement des 2,2 milliards d’euros dont la loi de programmation militaire a nécessairement besoin.

Par ailleurs, nous ne voulons pas d’un débat de procédure qui serait gagné par les « malins » contre ceux qui ont la charge de protéger le pays. Voilà pourquoi nous désirons soulever le problème en amont, afin d’essayer de trouver des solutions, car la France est à la recherche de 2,2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles, sans parler du financement des OPEX, même si les chapitres budgétaires ne sont pas les mêmes.

Au total, nos armées ont besoin de davantage de crédits.

Nous souhaitons dire clairement à nos autorités, au Gouvernement, au Président de la République, qui est chef des armées, qu’il ne peut être question d’attendre la fin du mois de juin pour annoncer à nos armées qu’une décision budgétaire s’imposera en fin d’année ou en tout début d’année prochaine pour garantir les dépenses de 2015. Ce serait prendre le risque d’une crise, car les chefs militaires se sont engagés devant leurs troupes, comme le Parlement s’est engagé, comme vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, avec la loi de programmation militaire : nous sommes donc collectivement engagés, et les troupes ont besoin que nous tenions notre parole. C’est pourquoi nous appelons les autorités à tenir leurs engagements !

Les écrits qui nous ont été transmis à ce jour ne posent aucun problème, si ce n’est qu’ils sont insuffisamment précis.

M. Alain Gournac. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Raffarin. Puisque les engagements sont pris,…

M. Christian Cambon. En termes très généraux…

M. Jean-Pierre Raffarin. … il est grand temps de nous révéler comment trouver les 31,4 milliards d’euros de crédits annoncés. La parole du chef de l’État ne doit pas être donnée à la légère !

Or nous éprouvons quelque méfiance à l’égard d’un certain nombre de techniques budgétaires, car nous savons bien qu’il existe dans l’appareil d’État – ce n’est pas nouveau et j’ai moi-même quelques souvenirs à cet égard –, un grand ministère, situé au bord de la Seine, qui élabore sa propre loi de programmation militaire, globalement en prévoyant 2 milliards d’euros de moins que ce qui était envisagé initialement pour faire coïncider les crédits alloués avec l’épure collective qu’il a concoctée ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme Nicole Bricq. C’est facile, comme argument !

M. Jean-Pierre Raffarin. Or c’est précisément cela que nous ne voulons pas ! Nous n’approuvons pas les hésitations qui se font jour et qui finissent par porter atteinte à la crédibilité de ce qui sera probablement la solution proposée. Je sais que ce sujet fait débat au sein du groupe UMP, mais, personnellement, je ne suis pas choqué par l’instauration d’une société de projet.

Mme Nicole Bricq. Heureusement !

M. Jean-Pierre Raffarin. Lorsque j’étais Premier ministre, j’ai créé les partenariats public-privé. Certains d’entre eux sont bons, d’autres sont mauvais. Je sais qu’ils peuvent avoir une certaine utilité. Il faut certes prévoir des protections, mais grâce de tels partenariats des décisions d’intérêt national peuvent quelquefois être avancées de quinze ou vingt ans. Tout cela, évidemment, a un coût, mais a surtout un intérêt !

M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin. Il faut mettre en balance le coût et l’intérêt, et voir ce qu’il est possible de réaliser.

En tout état de cause, il n’est pas conforme à l’éthique des affaires publiques que des responsables d’État critiquent une solution, alors que nul n’ignore que c’est celle qui sera proposée dans quelques semaines au pays.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin. Sur ce sujet, nous avons besoin de clarté ; or nous en manquons !

Nous comptons sur vos efforts, monsieur le ministre, car force est de reconnaître que vous n’avez jamais été ambigu, ni en ce qui concerne la perspective, ni en ce qui concerne l’engagement, ni même en ce qui concerne la solution à proposer. Ainsi que l’ont souligné Dominique de Legge, Jacques Gautier et Daniel Reiner, nous appelons de nos vœux une programmation militaire structurée comme celle que nous avons votée.

D’ailleurs, on pourrait se poser cette question : ce qui est reproché aux armées, n’est-ce pas précisément d’avoir une programmation ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Si !

M. Jean-Pierre Raffarin. Dans l’appareil d’État, quand l’organisation financière se met en route, l’annualité budgétaire permet finalement à celui qui tient le couperet de détenir le pouvoir année après année. Au fond, celui qui veut programmer, qui souhaite prévoir à moyen terme est dangereux parce qu’il engage la vie de l’État sur des périodes un peu plus longues.

Voilà pourquoi nous avons du mal, dans notre pays, dans notre démocratie, à intégrer les stratégies de moyen et de long terme. C’est une difficulté à laquelle il nous faudra réfléchir, car, de ce point de vue, certains régimes autoritaires se montrent parfois plus performants que nous qui sommes contraints par cette règle d’annualité budgétaire qui nous empêche de programmer à plus longue échéance ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Dans ce contexte, monsieur le ministre, vous trouverez le Parlement à vos côtés pour boucler le budget de 31,4 milliards d’euros au titre de l’année 2015 prévu par la loi de programmation militaire. Nous serons également à vos côtés pour défendre les grandes orientations qui ont été prises.

Le discours du Président de la République pour conforter la dissuasion nucléaire va dans la bonne direction. Ce point fait l’objet d’un consensus national, par-delà les courants politiques, car il y va de la défense de la France. De même, la priorité confirmée aux forces spéciales est un élément très important auquel nous sommes profondément attachés.

Enfin, la loi sur le renseignement est un sujet très difficile, mais qui s’impose à nous. Il est essentiel de trouver où placer le curseur entre sécurité et liberté. Il s’agit d’une question évidemment très complexe à trancher. Néanmoins, dans la mesure où ce texte prévoit, d’un côté, de donner plus d’efficacité à nos services et, de l’autre, d’accorder au citoyen des voies de recours pour faire appel quand il s’estime atteint dans ses libertés, il parvient à un équilibre acceptable pour la sécurité du pays.

Nous connaissons la situation de la France : des centaines de djihadistes côtoient plus de deux millions de jeunes désœuvrés, sans qualification et, bien souvent, sans capacité d’intégration. Ces derniers peuvent, au gré des circonstances et des événements, se connecter à des populations plus agitées. Ainsi, dans la mesure où l’on peut considérer que notre pays fait face à un risque majeur, le renseignement est l’une des forces importantes de notre stabilité.

Il est important que nous puissions améliorer, conformément au rôle du Parlement, le texte qui sera proposé. Nous devons donner à nos services les sécurités juridiques dont ils ont besoin et aux citoyens les protections qu’ils peuvent attendre.

Concernant l’article 50 A du projet de loi Macron, que nous examinerons la semaine prochaine, nous sommes prêts, M. de Legge l’a dit, à soutenir les orientations qui sont les vôtres, monsieur le ministre, et les réponses que vous apporterez, car nous ne voulons pas que le Parlement bloque une solution qui permettrait de financer la loi de programmation militaire. Nous avons besoin, comme le Premier ministre l’a écrit lui-même, d’avoir une discussion avec vous. Nous comptons sur vous pour tenir vos engagements, car nous ne doutons pas de leur sincérité. Ceux qui nous inspirent des doutes sont ceux de certains de vos partenaires installés de l’autre côté de la Seine...

Enfin, je partage ce qui a été dit tout à l’heure par MM. Daniel Reiner et Jacques Gautier, qui nous ont en quelque sorte présenté un discours recto verso. Je veux seulement souligner qu’il nous faudra trouver des solutions moins aléatoires pour le financement de notre défense nationale.

À l’évidence, la sécurité du pays est un élément fort de notre cohésion nationale. Face à la fragilité d’un État comme le nôtre, pour ce qui concerne non seulement la sécurité des personnes, mais aussi celle des entreprises, du développement économique et des grandes infrastructures, la politique de défense est en train de devenir une politique centrale : d’une part, elle apporte la sécurité à nos concitoyens ; d’autre part, elle touche à tous les enjeux nationaux.

Voyez les secteurs industriels dans lesquels la France connaît aujourd'hui des avancées technologiques et jouit d’un grand respect international : vous y trouverez souvent nos industries de défense ! Ces dernières sont au cœur des intérêts du pays, parce qu’elles créent de l’emploi et de la valeur, en même temps qu’elles défendent la liberté des personnes. Dès lors, pourquoi ne pas mêler nos intérêts économiques à ce qui constitue une valeur importante de notre société ?

J’en suis persuadé, quand les Français demandent et même rêvent d’un retour au service national, ils ne pensent pas forcément à la situation passée, qui serait inadaptée aux circonstances présentes. Ils sentent simplement que notre société actuelle manque parfois d’autorité. Or il nous faut de l’autorité ! À certains moments, notamment dans l’adversité, il faut savoir cesser les discours et être capable d’agir avec autorité. Telle est l’image de notre défense et de la fonction régalienne.

C’est la raison pour laquelle, au-delà de l’évocation de son budget, la défense représente une articulation essentielle, une colonne vertébrale de notre corps social, et il convient de la soutenir.

Vous le constatez, monsieur le ministre, nous parlons de ces sujets avec passion. C’est parce que nous savons que, pour que la France soit forte, il faut que ceux qui ont la responsabilité de la défense puissent dire aux Français : n’ayez pas peur ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – Mme Évelyne Yonnet, M. Daniel Reiner et M. Jeanny Lorgeoux applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.

M. Gilbert Roger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi l’organisation d’un tel débat, à la demande du groupe UMP, alors qu’une discussion sur le même sujet aura lieu au Parlement à l’occasion de l’actualisation de la loi de programmation militaire, à la fin du mois de juin ? Personne n’est dupe de cette démarche politicienne ! (M. Alain Gournac s’esclaffe.) Rappelons-le, les sénateurs UMP avaient tous voté contre la loi de programmation militaire adoptée le 10 décembre 2013 au Sénat (Protestations sur les travées de l'UMP.), à l’exception de huit d’entre eux, dont plusieurs membres de la commission des affaires étrangères et de la défense, dont je salue le courage.

Conformément aux engagements du Président de la République, et malgré un contexte économique et budgétaire extrêmement difficile, l’actuelle loi de programmation militaire maintient l’effort consacré à la défense à un niveau significatif. Entre 2014 et 2019, les ressources du ministère de la défense s’élèveront à 190 milliards d’euros courants. En sanctuarisant le budget de la défense nationale, le Président a fait le choix du maintien d’un niveau d’ambition élevé sur la scène internationale, à la hauteur des besoins et des responsabilités de la France. Il faut rappeler que peu de pays dans le monde peuvent, comme le nôtre, se prévaloir d’une armée capable d’assumer les trois missions fondamentales que sont la protection du territoire national et de la population, une dissuasion nucléaire à deux composantes et l’intervention sur des théâtres extérieurs.

Depuis le Livre blanc de 2008, le contexte stratégique a connu des évolutions majeures, du fait notamment des conséquences de la crise économique et financière, mais surtout de l’accroissement de la menace terroriste, qui doit évidemment être prise en compte. Il y a trois mois, la France était frappée sur son territoire national par la pire attaque terroriste menée depuis cinquante ans.

Tenir compte de ces évolutions est devenu indispensable pour adapter notre stratégie et notre outil de défense, poursuivre notre lutte contre le terrorisme, sans pour autant perdre de vue l’objectif de redressement des finances publiques, dont la dégradation est devenue en elle-même un enjeu de souveraineté.

Ainsi, la loi de programmation militaire adoptée en décembre 2013 prolonge, mais de façon modérée, la réduction du format de nos armées, amorcée par les gouvernements Fillon entre 2008 et 2012 avec la suppression de 48 325 effectifs et de nombreuses casernes, ainsi que le regroupement de bases de défense sur le territoire.

L’actuelle loi de programmation militaire prévoit la suppression de 23 500 emplois entre 2014 et 2019. En raison de la situation exceptionnelle que connaît la France depuis les attentats terroristes des 7, 8 et 9 janvier 2015, le Président de la République, lors d’un conseil de défense réuni le 21 janvier dernier, a décidé que les moyens nécessaires seraient consacrés à une vigilance permanente, au travers d’une organisation adaptée à l’évolution de la menace terroriste sur notre territoire.

Le Président a par ailleurs annoncé que, sur les 10 000 militaires engagés en soutien des forces de sécurité du ministère de l’intérieur, 7 000 seraient déployés dans la durée pour contribuer à cette protection.

Aussi le chef de l’État a-t-il pris la décision de réduire de 7 500, dont 1 500 dès 2015, les déflations d’effectifs prévus sur 2015-2019. Je tiens à saluer cette décision, qui permettra non seulement de maintenir la qualité de nos interventions à l’extérieur, puisque nous serons en mesure de mobiliser à tout moment 10 000 hommes, mais également de créer 250 postes supplémentaires dans le domaine du renseignement.

Cette actualisation du contrat de protection défini dans la LPM devrait être examinée par le Parlement au mois de juin. La question qui va évidemment se poser est celle de son financement. J’ai tout à fait conscience, comme vous, des fragilités et des défis auxquels cette programmation sera confrontée lors de son exécution. Selon moi, il ne faut pas les dissimuler. Ces défis seront liés non seulement à la nécessité de garantir que les recettes exceptionnelles seront bien au rendez-vous, au montant et au moment prévus, mais aussi au succès de nos industriels à l’export.

Sur ce dernier point, nous pouvons nous féliciter de la livraison de vingt-quatre Rafale à l’Égypte, ainsi que d’une frégate, pour un montant total de 5,2 milliards d’euros. Je n’aurai pas le mauvais esprit de rappeler que Nicolas Sarkozy, malgré l’annonce intempestive d’une commande de soixante Rafale par le Brésil, ne sera jamais parvenu à en vendre un seul sous son quinquennat...

Reste en suspens la question de la part des recettes exceptionnelles, qui doivent atteindre un montant de 2,2 milliards d’euros en 2015. Nous savons que ces recettes pourraient ne pas être débloquées assez tôt cette année, compte tenu du fait que la vente aux enchères de fréquences de 700 mégahertz aux opérateurs de téléphonie mobile n’est pas prévue avant le mois de décembre 2015.

Je souhaite le rappeler, une telle situation n’est pas nouvelle, puisque la loi de programmation militaire 2009-2014, adoptée en juillet 2009 sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, prévoyait d’allouer à la mission « Défense » 128,7 milliards d’euros courants, ce montant prenant en compte les ressources exceptionnelles issues de la cession de biens immobiliers et de bandes de fréquences détenues par le ministère de la défense. Or, en exécution, sur la période 2009-2012, le ministère de la défense n’aura bénéficié que de 125,7 milliards d’euros, soit un écart de 2,9 milliards d’euros entre la trajectoire programmée et la trajectoire exécutée.

En outre, n’oublions pas la débâcle technique et administrative qu’a représentée le logiciel de paie Louvois, mis en place de façon précipitée en 2011. Vous avez pris, monsieur le ministre de la défense, la décision judicieuse de le remplacer.

Enfin, je souhaite souligner le rôle qu’a joué la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat dans la préparation de l’actuelle LPM. Je pense en particulier aux contributions de mes collègues Jean-Louis Carrère, Jacques Gautier et Daniel Reiner. Avez-vous oublié, chers collègues, que le Sénat a permis d’apporter au texte du Gouvernement un ensemble de modifications substantielles, en renforçant les « clauses de sauvegarde » financières, en particulier celles portant sur les recettes exceptionnelles, en prévoyant l’introduction d’une « clause de revoyure », ainsi que l’intégration d’une « clause de retour à meilleure fortune », qui prévoit, en cas d’amélioration de la situation économique, le redressement de l’effort de défense de la nation, pour atteindre l’objectif de 2 % du PIB ?

J’ai entendu les critiques formulées à l’encontre des sociétés de projet, s’agissant notamment de la question des taux d’intérêt, qui pourraient être élevés. Je pense cependant qu’il nous faut faire preuve de pragmatisme, et que tout doit être mis en œuvre pour réussir à constituer ces sociétés de projet.

Monsieur le ministre, vous devez pouvoir compter sur la mobilisation des sénateurs pour garantir la sécurité de notre pays. Il y va de la crédibilité de notre gouvernement auprès de nos militaires et du maintien d’un niveau d’ambition élevé de la France sur la scène internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de ce débat, qui me permet de bénéficier des éclairages de la Haute Assemblée sur le sujet qui me préoccupe en ce moment, à savoir l’actualisation de la loi de programmation militaire, sur laquelle travaillent mes services et mes collaborateurs. Elle fera l’objet d’une décision à la fin du mois, dans le cadre d’un conseil de défense, et d’un texte qui sera examiné par le Parlement au mois de juin prochain.

La démarche en est encore à ses débuts et porte sur de nombreux sujets. J’apporterai les éléments de d’information dont je dispose actuellement, étant entendu que de nombreux arbitrages, y compris les miens, n’ont pas encore été rendus. Au demeurant, monsieur Raffarin, j’aurai sûrement le plaisir, dans les jours qui viennent, d’évoquer tout cela devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Nous avons souhaité que cette actualisation ait lieu plus rapidement que prévu. En effet, depuis le vote de la loi de programmation militaire, en décembre 2013, nous avons été confrontés à une série de crises qui, bien qu’elles confortent l’analyse stratégique contenue dans le Livre blanc de 2013, confirment aussi la nécessité d’ajuster notre posture de défense, en raison de leur simultanéité, de leur rapidité et de leur intensité.

Je pense en premier lieu à la crise russo-ukrainienne, qui ravive le spectre des menaces de la force – l’expression que j’avais mise en avant dans le Livre blanc a été reprise par plusieurs d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Pour la première fois depuis 1945, les frontières internes de notre continent ont été modifiées par l’annexion d’une partie d’un pays par un autre. Au-delà, une menace pèse sur la partie orientale de l’Ukraine.

Cette situation est lourde de conséquences pour la stabilité de l’Europe, pour la sécurité de centaines de milliers de personnes et, au-delà, pour le respect du droit international.

Malgré nos interventions extérieures et la mobilisation de nos forces, que les uns et les autres ont rappelées dans leurs interventions, nous tiendrons nos engagements en matière de réassurance, donc de solidarité. Le mois prochain, des blindés français participeront sur le territoire polonais à des exercices de réassurance au côté des forces polonaises. Je tenais à le souligner. Cela montre que nous respectons l’ensemble de la programmation et que nous avons les moyens d’assumer nos responsabilités, là où c’est nécessaire.

Je veux également dire un mot de la menace terroriste d’inspiration djihadiste, qui, depuis décembre 2013, a pris une dimension globale. Elle dessine un arc qui va du Waziristan au golfe de Guinée, en passant par le Proche-Orient, la corne de l’Afrique, le Sahel et la Libye. Cette menace a franchi un nouveau seuil avec la progression militaire et politique de Daech.

À plusieurs reprises depuis un an, j’ai fait part de mes interrogations sur le risque de jonction entre ce qui se passait au Levant et ce qui se passait en Afrique, singulièrement dans la bande sahélo-saharienne. Je demandais que l’on prenne garde à ce qui arriverait quand Daech, alors implantée en Syrie et en Irak, s’installerait dans cette bande. Or c’est chose faite depuis l’attentat qui a frappé les Coptes égyptiens, depuis que Boko Haram a décidé de se rallier à Daech et depuis l’implantation de camps d’entraînement à Derna sous la houlette de cette organisation.

Ainsi, Daech développe son arc, et, demain, ce seront les combattants étrangers de Syrie qui viendront s’entraîner en Libye. Le danger est là ; la menace est grave. Ces effets, cela a été rappelé par les uns et les autres, se manifestent jusqu’au cœur de nos sociétés. Les attentats des 7, 8 et 9 janvier dernier ont montré que cette menace, qui se jouait déjà des frontières à l’extérieur, pouvait désormais frapper la France et l’Europe en leur cœur. Jamais, dans notre histoire récente, la menace extérieure et la menace intérieure n’ont été aussi imbriquées. C’est là une nouvelle donne.

La matrice stratégique du Livre blanc de 2013 avait déjà pris en compte ces risques et ces menaces. Ce qui a changé, c’est cette succession de crises qui nous conduit à une mobilisation et à une mise sous tension considérables de nos forces.

À cet instant, je veux rendre hommage à nos forces armées. Plusieurs d’entre vous l’ont fait, en particulier vous-même, monsieur Raffarin. Elles montrent toute leur valeur, tout leur professionnalisme et tout leur courage dans cette période de grande mobilisation. Dans un contexte d’une gravité exceptionnelle, elles contribuent à la protection de nos concitoyens, tant sur le territoire national, aux côtés des forces de sécurité intérieure, qu’à l’extérieur de nos frontières, pour neutraliser au plus loin des adversaires plus que jamais déterminés à frapper la France et ses alliés.

Les événements du début du mois de janvier dernier sont déjà un peu loin dans les esprits, mais je suis bien placé pour savoir, ainsi que le ministre de l’intérieur, que la menace est permanente et que les risques sont toujours présents.

Le Président de la République, sur ma proposition, a souhaité que l’on puisse avancer l’actualisation de la loi de programmation militaire. Selon l’article 6 de la loi, elle était prévue avant la fin de l’année 2015. Elle se fera plus tôt, et c’est une très bonne chose.

Je veux reprendre quelques points de mes réflexions et peut-être apporter des réponses aux interrogations qu’ont exprimées les différents orateurs.

Tout d'abord, la préparation de la révision de la loi de programmation militaire, actuellement en cours, devrait aboutir à la fin de ce mois, avant d’être présentée en conseil de défense, qui est l’instance décisionnelle. Ensuite viendra l’examen devant le Parlement.

MM. de Legge, Gautier et Reiner ont rappelé les cinq grandes orientations que j’ai assignées aux états-majors, directions et services de mon ministère pour préparer cette actualisation. Nous n’allons pas refaire une loi de programmation militaire. Il ne s’agit pas d’une révision fondamentale ; les principes de base que j’ai évoqués à l’instant demeurent. Toutefois, cinq inflexions significatives sont prévues.

Premièrement, il nous faut revoir la trajectoire des effectifs inscrite dans la loi. L’enjeu est d’abord de prendre en compte le très haut niveau d’engagement de nos armées – un niveau qui dépasse les seuils des contrats opérationnels, à la fois à l’extérieur et sur le territoire, M. de Legge l’a rappelé avec raison.

Contrairement à ce que j’ai cru comprendre dans la bouche de certains orateurs, nous n’en concluons pas pour autant que nous devrions renoncer à certaines interventions extérieures. Lesquelles, d’ailleurs ? Faudrait-il renoncer à l’opération Barkhane, en République centrafricaine, grâce à laquelle nous avons évité des massacres de masse ? Faudrait-il renoncer à prendre part à la lutte contre Daech au Levant ? Je pense que non, tant l’état des menaces nous amène à être présents sur tous les terrains.

Il n’en demeure pas moins que notre présence en République centrafricaine va progressivement s’amoindrir : de 2 600, le nombre des militaires français présents dans ce pays passera normalement avant la fin de l’année à 800, soit une réduction assez significative.

Il nous faut convenir d’un nouveau contrat opérationnel pour notre armée professionnelle, qui viendra surtout affecter à la hausse les effectifs de la force opérationnelle terrestre, laquelle compte aujourd’hui 66 000 hommes.

Ainsi, comme l’a rappelé M. Roger, le Président de la République a souhaité qu’une première mesure soit prise, à savoir réduire de 7 500 postes les déflations d’effectifs prévues, dont 1 500 pour l’année 2015.

Cette réduction de la déflation se poursuivra à partir du moment où aura été défini le nouveau contrat opérationnel pour nos forces et singulièrement le niveau de la force opérationnelle terrestre, qui sera renforcée de manière significative pour pouvoir assumer l’ensemble de ses missions.

Cette évolution influencera la physionomie du nouveau modèle de l’armée de terre. D’une certaine manière, on peut même parler d’une petite révolution culturelle, puisque nous intégrerons dans le nouveau dispositif la possibilité de déployer sur notre territoire et sur une longue durée quelque 7 000 militaires, et même 10 000 rapidement, en cas de nécessité et d’urgence. C’est là un nouveau concept.

Le chef d’état-major de l’armée de terre vient de me présenter ce nouveau modèle de l’armée de terre, appelé « Au contact » ; M. Gautier y a fait allusion. Ce nouveau modèle, dont nous aurons l’occasion de parler longuement, intégrera de nouvelles priorités et de nouveaux dispositifs.

Surtout, ce qui me paraît le plus important, c’est que ce nouveau modèle de l’armée de terre présente une cohérence globale, afin d’éviter que la présence permanente de Sentinelle ne conduise à l’apparition d’une armée à deux vitesses. Cette dernière doit demeurer unique, avec des missions qui s’appliquent à tous, les soldats assurant des missions à la fois intérieures et extérieures, dans une même cohérence.

Je rappelle que la mission intérieure de l’armée est une mission militaire et non pas une mission supplétive de celle des forces de police ou de gendarmerie.

Ce nouveau modèle sera sans doute l’un des éléments significatifs de l’actualisation de la loi de programmation militaire. Il viendra en complément du nouveau modèle de la marine déjà connu, « Horizon Marine 2025 », ainsi que du nouveau modèle de l’armée de l’air, « Unis pour faire face », qui subiront quelques inflexions.

En tout cas, je le répète, l’inflexion majeure portera sur le nouveau modèle d’armée de terre et sur la force opérationnelle terrestre. Je ne suis pas en mesure de vous en dire plus sur l’ampleur de cette inflexion, qui fait l’objet de discussions, mais ce qui est certain, c’est que seront préservés plus que les 7 500 postes annoncés par le Président de la République et par moi-même.

Je souhaite également que la place des réserves soit renforcée dans le nouveau dispositif et que nous atteignions un effectif potentiel de 1 000 réservistes sur le territoire national, sur les effectifs de 7 000 à 10 000 qu’il sera nécessaire de mobiliser sur la durée.

Cet objectif, ambitieux par rapport à la situation présente, suppose des modifications. Toutefois, j’ai la ferme volonté d’aboutir, car il n’y a rien de mieux que de renforcer le lien entre l’armée et la nation par une présence de réservistes dans la protection interne du territoire. Plusieurs orateurs se sont exprimés à ce sujet.

Madame Aïchi, vous avez abordé d’autres aspects du lien entre l’armée et la nation. Je vous confirme que, dans le cadre de cette actualisation, nous tiendrons notre engagement de création de trois lieux de service militaire adaptés, et ce, je l’espère, dès la fin de l’année 2015 pour le premier d’entre eux.

Un certain nombre de priorités qui avaient été fixées en 2013 seront confirmées. Je pense en particulier aux forces spéciales, dont les effectifs passeront de 3 000 à 4 000 hommes. Chacun a bien compris qu’il s’agit là d’un bon objectif. Il faut aussi prendre en considération leur équipement ; j’ai bien entendu le message à cet égard.

Je pense aussi à l’ensemble du volet « cyber » et à nos moyens de renseignement. J’aurai l’occasion d’intervenir sur le projet de loi relatif au renseignement lors de son examen par le Sénat, comme je l’ai fait hier devant la commission des lois de l’Assemblée nationale. Le ministère de la défense est bien évidemment concerné par ce texte.

Nous devons nous doter de tous les moyens nous permettant d’acquérir des informations. C’est pourquoi je me réjouis d’avoir conclu avant-hier avec ma collègue allemande Ursula von der Leyen deux engagements : le premier est de réaliser et de financer en commun un troisième satellite-espion au sein du système de satellites de reconnaissance optique – cela n’était jamais arrivé s’agissant d’un domaine régalien aussi important et aussi sensible que celui-ci ; le second est de développer des drones de nouvelle génération destinés à succéder au Reaper.

Ces deux événements passent peut-être inaperçus en France, mais je puis vous assurer que, en Allemagne, ils sont considérés comme un acte majeur de coopération avec la France.

J’en profite pour dire quelques mots sur l’ouverture européenne, un sujet qui nécessiterait à lui seul un débat. J’ai été heureusement surpris de la grande ouverture dont a fait preuve le président Juncker au sujet de l’armée européenne. C’est là une percée conceptuelle audacieuse. Le problème, c’est que le chemin sera long jusqu’à ce que cette armée devienne réalité. Aussi, j’espère que le Conseil européen de juin prochain nous permettra de faire un premier pas, en particulier dans deux directions.

Le premier axe de travail consiste à prendre en compte les groupements tactiques européens, qui existent sur le papier mais n’ont jamais été déployés. Les Allemands, les Italiens, les Espagnols et les Polonais sont sur la même ligne que nous, pour faire en sorte que ces groupements soient opérationnels après le Conseil européen du mois de juin prochain.

Le second axe vise à amplifier le dispositif Athena, en vue de l’accompagnement des opérations extérieures européennes, afin d’en partager le financement. J’ajoute que les financements européens sont également possibles pour la recherche et l’innovation.

Ces perspectives nous paraissent aujourd’hui atteignables, à partir du moment où, par ailleurs, le président de la Commission et le président Tusk ont donné des orientations positives en ce sens.

Le troisième d’effort pour l’actualisation de la loi de programmation militaire consiste, quant à lui, à lever des hypothèques de 2013 concernant certains équipements majeurs de nos forces et à renforcer nos succès à l’exportation.

Je tiens à préciser que, depuis 2012, nous avons doublé nos exportations : elles ont atteint 8,3 milliards d’euros en 2014 et dépasseront ce chiffre en 2015. Néanmoins, ce résultat n’est pas dû à la seule action de votre humble serviteur, mesdames, messieurs les sénateurs ; il résulte aussi de la gravité des menaces et de l’excellence des produits français. Nous avons là un outil très important.

Je citerai l’exportation tout à fait opportune du Rafale, qui nous permettra, dans le cadre de l’actualisation de la loi de programmation militaire, de lever l’ambiguïté qui existait sur les livraisons de ces avions de combat.

Monsieur de Legge, je vous précise que, s’agissant de l’aviation de chasse et des frégates, nous avons prévu une cible, qui figure dans le Livre blanc et la loi de programmation militaire. Cette cible reste inchangée : 225 avions de chasse et 15 frégates de premier rang. Si, en vertu du contrat conclu avec l’Égypte, nous livrons une frégate et des avions Rafale qui étaient initialement destinés à la France, c’est pour permettre à ce pays de se doter le plus rapidement possible de ces équipements et de leurs capacités, comme il le réclamait.

Toutefois, la cible française ne changera pas, et chaque livraison d’une frégate ou d’un Rafale sera compensée par le remplacement d’un navire ou d’un avion. Aucune diminution de notre flotte n’interviendra par rapport aux objectifs initiaux, que je vous confirmerai au moment de l’actualisation de la loi de programmation militaire.

Toujours pour répondre à M. de Legge, qui – je le connais bien – veut des réponses précises à des questions ciblées, l’équipage qui était prévu pour La Normandie se retrouvera sur La Provence, c’est-à-dire qu’il continuera à suivre le cycle normal, même s’il y a un petit décalage.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais aussi vous faire part, dans ce troisième axe de réflexion, de mon souci de développer des plans spécifiques pour doter nos armées en hélicoptères. C’est pour moi tirer les conséquences d’une insuffisance de notre capacité que j’observe depuis nos récentes missions. Je souhaite que l’actualisation de la loi de programmation militaire soit l’occasion de prendre en considération ces besoins en hélicoptères, notamment en appareils de manœuvres et légers. Je serai sans doute amené, dans ce domaine, à formuler des propositions.

Monsieur le président, puis-je prendre encore un peu de temps pour poursuivre mon propos ?

M. le président. Je vous en prie, monsieur le ministre, d’autant qu’il s’agit là d’un sujet essentiel pour l’information du Sénat !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je confirme que nous allons acquérir, en 2015, un troisième Reaper, drone MALE – moyenne altitude, longue endurance – et que nous en commanderons trois autres avant la fin de l’année.

De la même manière, nous engagerons le contrat des satellites de communication, dit « contrat COMSAT NG » avant la fin de l’année, et celui des bateaux de soutien hauturier, qui était attendu depuis longtemps, en particulier pour les territoires d’outre-mer. Tout cela sera confirmé grâce à l’actualisation de la loi de programmation militaire.

J’en viens, enfin, à mon quatrième point, qui porte sur les financements nécessaires à la bonne exécution des mesures prises.

J’ai eu l’occasion de m’expliquer très longuement – près d’une heure et demie, me semble-t-il – devant la commission spéciale sur les sociétés de projet. J’ai ainsi pu aborder largement tous les aspects de la question ; je les reprendrai brièvement, pour citer ceux qui sont fondamentaux.

Tout d'abord, le Président de la République a annoncé à plusieurs reprises qu’il sanctuarisait les crédits du ministère de la défense à hauteur de 31,4 milliards d’euros. Je m’inscris donc en faux contre les propos qui ont été tenus tout à l’heure, selon lesquels il manquerait 1 milliard d’euros. En 2012, le budget annoncé a été respecté rubis sur l’ongle, comme en 2013 et en 2014.

Pour 2015, sur les 31,4 milliards d’euros prévus, plus de 2,2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles ne sont pas alimentés à l’heure où je vous parle. Des ressources exceptionnelles avaient déjà été inscrites au budget de 2014, ainsi qu’en 2013 et au cours des années précédentes, et elles ont toutes été au rendez-vous. Nous devons maintenant faire de même pour cette année.

La loi de programmation militaire prévoit la manière dont on mobilise ces ressources exceptionnelles. Ce point est inscrit dans le texte : soit faire appel au programme d’investissements d’avenir, comme cela s’est produit en 2014, soit mettre aux enchères la bande de fréquence des 700 mégahertz pour développer les divers réseaux, comme en 2013, soit recourir aux ressources immobilières, à l’instar de ce qui s’est passé pendant les trois dernières années, soit, enfin, procéder à des cessions d’actifs.

À ceux qui pensent que cette dernière politique constitue de l’acrobatie financière, voire de la cavalerie, comme je l’ai entendu tout à l’heure, je répondrai que ce type d’opérations fait presque partie de l’action quotidienne de l’État ; il s’est produit à de nombreuses reprises.

Seulement, si l’on veut avoir recours à des cessions d’actifs, on ne peut y parvenir, du fait de la loi organique relative aux lois de finances, qu’en mobilisant ces cessions en capital, donc en investissements. Par exemple, avec une cession d’actifs, le ministère de la défense ne peut pas acheter une frégate. Pour réaliser cette action, il doit détenir une société qui mobilise le capital de la cession d’actifs.

C’est pourquoi la société de projet, composée de capitaux publics, assure le relais pour la mobilisation de la cession d’actifs. Le Président de la République a annoncé, lors de la présentation de ses vœux, qu’il était favorable à cette orientation, au demeurant tout à fait conforme à la loi et aux objectifs qui sont les nôtres. Grâce à ces cessions d’actifs, nous pouvons mobiliser les 2,2 milliards d’euros nécessaires. L’amendement qu’avait déposé mon collègue Emmanuel Macron visait ainsi à rendre possible cette opération, en levant deux ou trois obstacles juridiques à laquelle elle se heurtait.

Une fois ce dispositif mis en œuvre, je reviendrai devant la commission spéciale, comme je l’ai annoncé récemment, pour expliquer comment ces 2,2 milliards d’euros seront mobilisés pour l’acquisition à la fois de frégates et d’un 400 M, c’est-à-dire pour respecter totalement le budget de la défense 2015.

Quant au schéma pour les années suivantes, l’actualisation de la loi de programmation militaire nous permettra de l’éclairer.

L’augmentation des effectifs, en particulier dans l’armée de terre, mais aussi du fait des recrutements nécessaires dans le domaine du renseignement, cela a été évoqué, et de la cyberdéfense, induira un coût, qui n’entrera pas obligatoirement dans l’enveloppe des 31,4 milliards d’euros. C’est pourquoi la loi devra être actualisée chaque année, de 2016 à 2019.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos propos, de vos éclairages et de vos préoccupations prioritaires. Soyez assurés que, au service de notre sécurité et de notre défense se dégage dans notre pays une unanimité, une volonté collective d’agir ensemble. Cet atout est essentiel pour la cohérence et la solidité de la nation. Le débat de cet après-midi y a contribué. (Applaudissements.)

M. le président. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions, qui seront très utiles.

Nous en avons terminé avec le débat sur la préparation de la révision de la loi de programmation militaire.

Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Claude Bérit-Débat.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

7

 
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse
Discussion générale (suite)

Modernisation de la presse

Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse (texte de la commission n° 297, rapport n° 296).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse
Article 1er

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la majorité sénatoriale a la volonté d’élaborer une législation de qualité, grâce à une coopération constructive avec le Gouvernement et sa majorité. Le présent texte en offre une nouvelle preuve, dans le droit fil des objectifs fixés par le président du Sénat.

Le 18 février dernier, la commission mixte paritaire a adopté, à l’unanimité, une nouvelle rédaction de la présente proposition de loi tendant à la modernisation du secteur de la presse, une version que je qualifierai d’utile.

Le dialogue entre les deux chambres a abouti à un consensus. Ce texte n’a pas la prétention de révolutionner le monde de la presse : la grande réforme de ce secteur, en particulier de la presse écrite, reste à mener. Cette proposition de loi n’en est pas moins bienvenue pour les différents acteurs.

Le système coopératif de distribution de la presse écrite se voit offrir de nouvelles perspectives économiques. Parallèlement, l’Agence France-Presse, l’AFP, bénéficiera d’une gouvernance considérablement améliorée et la presse d’information politique et générale disposera de nouvelles ressources. Certains des dispositifs fiscaux existants dont celle-ci disposait présentaient une certaine fragilité, car ils étaient fondés exclusivement sur un rescrit fiscal. Ils sont consolidés et complétés par divers modes de financement innovants.

Au cours de sa séance publique du 25 mars dernier, l’Assemblée nationale s’est prononcée en faveur du texte établi par la commission mixte paritaire, modifié à la marge par sept amendements du Gouvernement.

Outre des éléments de coordination entre plusieurs dispositions et la précision de certaines formulations, le Gouvernement, et je l’en remercie, a proposé de lever le gage attaché à l’un des nouveaux instruments fiscaux innovants que je viens d’évoquer. Ce dispositif, dont le Sénat a eu l’initiative, doit agir en faveur de la presse d’information politique et générale.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a émis un avis favorable sur les amendements gouvernementaux, qui ne visent pas à modifier l’économie du texte.

Je tiens à rappeler le rôle joué par le Sénat au titre de ce texte de loi. Pour la presse écrite, la Haute Assemblée a garanti un meilleur équilibre entre le Conseil supérieur des messageries de presse, le CSMP, et l’Autorité de régulation et de distribution de la presse, l’ARDP, et cela dans le respect des règles de la concurrence.

Par ailleurs, le Sénat a pris toute sa part à la réforme de la gouvernance de l’AFP. Certes, l’accord atteint en commission mixte paritaire ne reprend pas notre proposition de création d’un conseil de surveillance ; mais, sur le fond, il retient l’essentiel des solutions avancées par la Haute Assemblée afin de donner de véritables pouvoirs à une instance indépendance, à savoir le Conseil supérieur. Auprès de la commission financière, cet organe veillera au respect des engagements pris par notre pays vis-à-vis de la Commission européenne. J’ajoute qu’il aura tous les moyens de se prononcer quant à la stratégie de l’AFP et, surtout, qu’il lui incombera de veiller à la pérennité de cette instance.

Madame la ministre, je me permets d’insister sur ce point : l’AFP est une très belle maison, au service de laquelle œuvrent des journalistes passionnés par leur métier. Chacun le sait, il s’agit d’une grande agence mondiale. Néanmoins, force est de rappeler que cette institution subit une situation financière tendue, du fait d’un endettement élevé, que le mécanisme dit « de filiale technique de moyens » va encore accentuer. En effet, l’AFP a été autorisée à souscrire un nouvel emprunt d’un montant de 26 millions d’euros. Or elle a déjà déconsolidé une partie de sa dette, en souscrivant un crédit-bail au titre de son siège.

Bref, cette entreprise publique n’a pas le droit à l’erreur, d’autant qu’elle ne dispose pas de capital propre. De surcroît, par l’accord qu’il a conclu avec la Commission européenne, sur des bases parfaitement correctes et honorables, le gouvernement français s’est interdit de donner, à l’avenir, de nouvelles garanties.

Gardons bien à l’esprit que l’APF doit absolument réussir : il est indispensable que le plan d’investissement dont elle fait l’objet soit couronné de succès. À ce titre, ce programme doit être suivi de très près, d’où l’importance d’une gouvernance plus forte.

À l’heure où, par ailleurs, la gouvernance des sociétés de l’audiovisuel public est en débat, il me semble opportun de souligner toute l’utilité que présente la recherche d’un large consensus, entre les deux assemblées, d’une part, et entre les différentes sensibilités politiques qu’elles abritent, de l’autre, pour définir la gouvernance des grands médias publics.

À l’avenir, sans doute pourrons-nous nous inspirer de cette expérience réussie dont a bénéficié l’AFP – je songe en particulier à ce que j’ai appelé « une gouvernance plus musclée » – pour d’autres sociétés de l’audiovisuel public, dont la gouvernance trahirait aujourd’hui quelques limites...

Pour l’heure, je tiens à remercier Mme la présidente de la commission de la culture de la part qu’elle a prise à l’accord conclu avec l’Assemblée nationale. Je remercie également l’ensemble de nos collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, de leur contribution à l’élaboration de la solution dégagée.

Bien entendu, j’invite le Sénat à adopter cette proposition de loi, telle qu’elle sera modifiée par les amendements proposés par le Gouvernement ; à cet égard, je remercie de nouveau Mme la ministre d’avoir accepté de lever le gage ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en démocratie, les idées et les mots s’opposent, les opinions se confrontent et les partis politiques mesurent leurs forces dans l’arène électorale. Nous l’avons encore observé ces deux derniers dimanches.

Toutefois, aujourd’hui, nous faisons la démonstration que notre attachement aux libertés publiques, que notre recherche démocratique du bien commun et que notre République, enfin, sont plus forts et plus enracinés que nos différences, pourtant bien réelles. Le Gouvernement, sa majorité et la majorité sénatoriale ont su, pour la liberté de la presse, construire, ensemble, un consensus.

À mon sens, ce succès tient au sujet dont traite la présente proposition de loi : la presse, son avenir, sa pérennité, sa diversité pluraliste, sa qualité, à laquelle l’Agence France-Presse apporte une contribution essentielle, et sa distribution sur tous les points du territoire.

Cette réussite est également – je tiens à le souligner – une nouvelle illustration du remarquable travail dont la Haute Assemblée est capable. Loin des affrontements théâtraux et des jeux de rôle, la majorité et l’opposition sénatoriales ont su, par leurs échanges, par leurs idées et par leurs discussions constructives, enrichir le texte que vous allez, je l’espère, adopter aujourd’hui, et lui donner son équilibre.

Je tiens tout particulièrement à remercier M. Bonnecarrère, qui, à la suite du remarquable travail accompli par Michel Françaix à l’Assemblée nationale, s’est saisi, avec beaucoup de finesse, de justesse et d’énergie, des questions de presse écrite.

En outre, je salue les contributions précieuses et inventives que MM. Assouline, Laurent et d’autres encore, sur toutes les travées de cet hémicycle, ont su apporter à cette proposition de loi.

Je le disais la semaine dernière à l’attention des députés, qui examinaient le présent texte : une telle réforme prouve que « Nous sommes Charlie » est non pas une simple formule ou une posture politique, mais une exigence républicaine de rassemblement.

Permettez-moi à présent de détailler l’équilibre trouvé, sujet par sujet, par la commission mixte paritaire, à l’unanimité, et traduit au sein de cette proposition de loi, adoptée la semaine passée, également à l’unanimité, par l’Assemblée nationale. Quelques amendements rédactionnels, que vos collègues députés ont également votés à l’unanimité, tendent à compléter, sans nullement le modifier, l’équilibre atteint.

La première partie du présent texte réforme la régulation de la distribution de la presse au numéro.

Le renforcement du rôle de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, l’ARDP, ne faisait pas débat dans son principe. En première lecture, nous avons consacré, dans cet hémicycle, des discussions approfondies à cette question. La réunion de la commission mixte paritaire a permis d’aboutir sur plusieurs points essentiels.

L’ARDP devient une autorité administrative indépendante en bonne et due forme. Dotée de son propre budget, elle pourra réformer les principales décisions du Conseil supérieur des messageries de presse, le CSMP. Surtout, elle approuvera désormais les barèmes des messageries de presse, après avis du président du CSMP. Cette procédure a le triple mérite de préserver le secret des affaires, de conserver le rôle précieux d’expertise du président et de la commission économique du CSMP et d’affirmer le rôle de régulation de l’ARDP. Là est le premier point d’équilibre.

La deuxième partie du présent texte modernise le statut de l’AFP, dans le respect de sa singularité et de son indépendance, envers l’État aussi bien qu’envers tout acteur privé.

Conformément au souhait exprimé par Michel Françaix dans son rapport, chaque organe de gouvernance de l’agence est renforcé dans son rôle propre.

Ainsi, grâce à un apport décisif du Sénat, la mission déontologique et d’orientation du conseil supérieur de l’AFP est clarifiée, et sa composition évolue pour inclure un parlementaire de chaque assemblée. Le conseil d’administration voit sa composition élargie à cinq personnalités qualifiées et indépendantes, dont trois au moins, comme la Haute Assemblée l’a proposé, devront posséder une expérience significative au niveau international, notamment européen.

Le nombre des représentants des personnels de l’AFP au conseil d’administration est porté de deux à trois. Les désignations au sein de ces deux organes doivent respecter la parité. Enfin, la commission financière, entièrement composée de magistrats de la Cour des comptes en activité, voit ses prérogatives de supervision comptable et budgétaire consolidées. C’est là le second point d’équilibre.

Parallèlement, l’article 12 du présent texte transcrit en droit interne les mesures utiles proposées par la Commission européenne pour garantir le respect du droit européen de la concurrence, en sécurisant le financement public de l’AFP.

La troisième et dernière partie de cette proposition de loi renferme diverses dispositions importantes. Elle traduit, elle aussi, un point d’accord et d’efficacité pour l’accompagnement du développement de la presse.

Ainsi, la création du statut d’entreprise solidaire de presse d’information, inspiré de l’économie sociale et solidaire, doit permettre à des investisseurs de fonder ou de soutenir des projets éditoriaux d’information politique et générale, en s’engageant à maintenir le capital et les dividendes dans la société suffisamment longtemps pour consolider le projet et fidéliser les lecteurs. C’est là une belle occasion pour les projets innovants qui émergent dans ce secteur et pour les repreneurs d’entreprises en difficulté qui choisiraient ce modèle de financement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, deux mesures fiscales sont également soumises à votre approbation.

La première permet une réduction d’impôt sur le revenu pour la souscription de capital d’entreprises de presse d’information politique et générale, réduction accrue pour les titres dotés du statut d’entreprise solidaire de presse d’information.

La seconde mesure, inscrite dans cette proposition de loi sur l’initiative de plusieurs membres de la Haute Assemblée, rend déductibles de l’impôt sur le revenu les dons aux associations, s’ils sont reversés ou investis par ces dernières au capital des titres de presse. Il s’agit là des dispositions de l’amendement dit « Charb ».

Enfin, selon le souhait des deux assemblées, le droit pour des journalistes d’accompagner des parlementaires visitant les prisons est affirmé et précisé.

Telle est la teneur de la proposition de loi que le Sénat examine aujourd’hui en dernière lecture. Je suis heureuse de l’appui, de l’élan et de l’énergie que cette réforme donnera au secteur de la presse. Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse comme ministre, et fière comme citoyenne, des conditions dans lesquelles vous avez bien voulu que ce texte fût débattu et adopté. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent texte est consensuel, car il contient plusieurs avancées pour le fonctionnement de l’information et de la presse dans notre pays. Les sujets ciblés, aussi importants soient-ils – régulation de la distribution, gouvernance de l’AFP, nouveau statut d’entreprise solidaire –, ne suffisent cependant pas à en faire le grand texte susceptible de résoudre les difficultés d’un secteur fortement en crise.

L’inscription de la proposition de loi en procédure accélérée ne la destinait d’ailleurs pas à constituer cette réforme globale recommandée par l’ensemble des rapports publiés depuis les états généraux de la presse. On peut désormais douter qu’une telle réforme prenne forme durant ce quinquennat.

Cette proposition de loi vient tout d’abord répondre à la nécessité de rendre le statut de l’Agence France-Presse conforme au droit de l’Union européenne en matière d’aide de l’État. Parce que la Commission européenne le demandait, il y avait urgence à légiférer.

L’auteur de la proposition de loi, le député Michel Françaix, s’était intéressé, à l’occasion d’une mission d’information, aux difficultés rencontrées par l’agence dans son fonctionnement. Il a donc pu proposer utilement une réforme de sa gouvernance.

J’évoquais dans mon propos introductif le caractère consensuel du texte. Sur ce sujet de la gouvernance de l’AFP, une proposition de loi de l’ancien président de la commission de la culture, notre collègue Jacques Legendre, avait été déposée en 2011 ; elle préconisait déjà de revoir la composition du conseil d’administration de l’AFP, afin, notamment, de tenir compte de sa vocation internationale. Elle n’avait pas été inscrite à notre ordre du jour, mais certaines de ses dispositions sont adoptées aujourd’hui.

Le texte procède à un rééquilibrage au sein du conseil d’administration de l’AFP, en faisant passer la représentation des médias français de huit à cinq sièges, tandis que cinq personnalités qualifiées rejoignent les rangs de cette instance. La commission mixte paritaire a retenu notre proposition de prévoir, au sein de ce conseil, la présence de trois personnalités ayant une expérience internationale significative.

Recherchant un meilleur équilibre des pouvoirs au sein des différentes instances de l’AFP, le Sénat avait également proposé qu’une commission de surveillance soit créée sur la base de la fusion du conseil supérieur et de la commission financière. Elle aurait été garante de l’indépendance, de la déontologie et des comptes financiers de l’AFP et aurait joué un rôle réel dans l’examen de sa stratégie. Il s’agissait de mettre en place un contre-pouvoir fort pour décider des futurs projets de l’agence avec son président-directeur général.

Cette option n’a finalement pas été retenue par la commission mixte paritaire. Son principe a toutefois été compris et s’est concrétisé dans un renforcement du rôle propre de chaque organe de gouvernance de l’agence : conseil d’administration, conseil supérieur et commission financière.

Comme notre rapporteur, je pense que l’existence de trois instances dont les prérogatives sont renforcées risque de compliquer les prises de décision. Ce débat, et la solution de compromis trouvée par notre rapporteur, que je tiens à féliciter pour son travail et son implication, auront toutefois permis de progresser. Nous pourrons revenir plus tard à l’idée d’une fusion si le nouveau dispositif décisionnel ne faisait pas la preuve de son efficacité.

L’empreinte du Sénat a également été remarquable en ce qui concerne le renforcement du soutien financier pouvant être apporté à la presse. Deux dispositifs adoptés par la Haute Assemblée ont été approuvés en commission mixte paritaire.

Le premier permet une réduction d’impôt pour les particuliers souscrivant au capital des entreprises de presse d’information. Cette réduction est majorée lorsqu’il s’agit d’une entreprise solidaire de presse d’information, dont la création est définie dans le présent texte.

Les dispositions du second amendement retenu, que j’avais personnellement défendu en séance publique, nous ont rassemblés au-delà de nos clivages politiques, puisqu’elles ont été déposées à la fois par le groupe CRC et des membres du groupe UMP, avant d’être adoptées à l’unanimité. La défiscalisation des dons à la presse par l’intermédiaire d’associations d’intérêt général ou de fonds de dotation, jusqu’à présent tolérée en raison d’un rescrit fiscal, aura désormais une base législative.

Par ailleurs, l’examen de ce dispositif au sein de la commission mixte paritaire a permis de le sécuriser davantage, en prévoyant que l’organisme bénéficiaire des dons devra être reconnu d’intérêt général et que, par ailleurs, il ne devra exister aucun lien entre le donateur et l’entreprise de presse recevant l’aide.

Notre groupe se réjouit de ces avancées essentielles tant sur le plan financier que sur le plan démocratique, car elles contribuent à garantir le pluralisme de la presse.

Quant aux autres dispositions de la proposition de loi, qui s’attachent à la régulation des réseaux de distribution en renforçant la solidarité et la mutualisation en leur sein, je noterai simplement qu’elles s’inscrivent dans la logique de la loi du 20 juillet 2011, qui avait déjà fait l’objet d’un large accord, et que la décision de confier à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, l’ARDP, la responsabilité d’homologuer les barèmes de messagerie a été maintenue. Nous partageons, en effet, la volonté de garantir la confidentialité des tarifs appliqués et d’éviter toute suspicion de conflit d’intérêts.

La présente proposition de loi, augmentée des apports significatifs du Sénat, a fait très logiquement l’unanimité sur les bancs de l’Assemblée nationale. Notre groupe souhaite qu’il en aille de même ici et que le travail se poursuive, pour protéger l’avenir d’une presse indépendante et diverse. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce texte consensuel vient conforter la liberté de la presse en introduisant d’importants éléments de modernisation. Il ne constitue certes pas une réforme d’ensemble de la presse, mais il répond à une urgence. C’est la raison pour laquelle il a été rapidement discuté : il s’agissait de débloquer certaines situations et d’introduire de la fluidité, notamment pour permettre à l’AFP de conserver le rang que le monde lui reconnaît.

Nous sommes satisfaits de l’esprit consensuel qui a présidé à la discussion. Certes, ce caractère ne suffit pas à prouver la qualité du résultat – c’est même bien souvent le contraire ! –, mais en l’occurrence nous avons abordé les questions posées de façon concrète et pragmatique, pour aboutir à un bon texte.

Cette étape a pris place quelque temps après une autre discussion au Sénat au sujet de la liberté de la presse et de l’indépendance des médias : la loi sur l’audiovisuel, en garantissant l’indépendance des nominations, avait permis de développer et de conforter la liberté de la presse. Je tiens à ce rappel, alors que l’on entend aujourd’hui des déclarations que l’on n’attendrait pas de la part de ceux qui les prononcent. Des nominations sont précisément à l’ordre du jour, et l’on est en droit de se satisfaire qu’elles ne se règlent plus par un coup de téléphone de l’exécutif ! La liberté de la presse est inséparable de son indépendance.

Ce texte reprend principalement les dispositions adoptées par le Sénat. Je remercie à ce propos M. le rapporteur de son travail précis et important. Si l’initiative vient de l’Assemblée nationale, on peut constater que l’apport du Sénat, notamment grâce au travail de son rapporteur, a permis d’avancer.

Les trois grandes parties de la proposition de loi correspondent aux trois éléments clefs de la presse en France : la distribution, l’Agence France-Presse et le financement de la presse.

Le texte entend moderniser les statuts de la presse, et non réaliser une réforme complète du secteur. D’autres sujets restent donc en suspens, qui ne concernent pas seulement la culture et la communication, comme le secret des sources. Il ne faudra pas attendre trop longtemps pour les aborder. Il est en effet souhaitable que soient discutés des projets qui sont dans les tiroirs depuis trop longtemps, sans que se soit produite une avancée tangible, exprimée par la présentation d’un texte.

Le titre Ier s’attache à moderniser le système de distribution de la presse, qui se trouve dans une situation de crise structurelle. La principale avancée est due au Sénat : la fixation des barèmes, qui interviendra désormais après une décision de l’Agence de régulation de la distribution de la presse, précédée par un avis motivé du Conseil supérieur des messageries de presse. Le texte prône donc un dialogue entre ces deux institutions. Il a, par ailleurs, renforcé l’ARDP – créée à l’initiative du Sénat, au cours de travaux auxquels j’avais participé – en lui conférant une indépendance institutionnelle vis-à-vis de l’État, puisqu’elle sera désormais une autorité administrative indépendante.

Le titre II concerne l’Agence France-Presse. Sur ce point, nos chambres ont connu des divergences, relatives, notamment, à la sécurité juridique du dispositif proposé par le Sénat : la création d’une commission de surveillance de l’AFP.

J’ai contribué à débloquer la situation en commission mixte paritaire, et l’état d’esprit des uns et des autres a permis d’y parvenir. Le compromis sur lequel nous nous sommes accordés consiste à appliquer au conseil supérieur de l’AFP toutes les dispositions introduites au Sénat par le biais d’une commission de surveillance, afin de renforcer son rôle de contre-pouvoir au conseil d’administration, lui-même consolidé par des dispositions introduites à l’Assemblée nationale. Ainsi, les motivations des deux assemblées ont été prises en considération, tout en garantissant la sécurité juridique du dispositif, qui était de toute évidence défaillante.

En ce qui concerne la présidence de ce conseil, je veux dire ma satisfaction d’avoir été entendu en commission mixte paritaire. L’indépendance d’une agence de presse comme l’AFP ne pouvait souffrir que son conseil d'administration fût présidé par un parlementaire. Sur ma proposition, cela a été rendu impossible, confortant ainsi son indépendance. Nous éviterons ainsi les faux procès, voire les vrais, relatifs à l’interventionnisme politique. S’agissant de la presse et des médias, il nous faut rester très prudents et bien séparer les choses.

Enfin, le conseil d’administration de l’AFP voit sa composition modifiée, avec cinq personnes qualifiées, et il a l’obligation de se réunir au moins quatre fois par an. Par ailleurs, nous avons sécurisé le dispositif d’aide à l’AFP vis-à-vis du droit européen.

Je suis également satisfait qu’ait été rétablie une disposition présente dans le texte de l’Assemblée nationale, mais qui, une fois n’est pas coutume, a été supprimée au Sénat, visant à autoriser les journalistes à accéder aux lieux de privation de liberté, prisons ou centres de rétention.

J’ai fortement plaidé en ce sens, en faisant valoir que le maintien cette sorte d’inaccessibilité n’empêcherait pas que ces lieux fassent l’objet de débats publics. À défaut de regard indépendant, ceux-ci, en revanche, souffriraient d’un déficit d’information, ce qui alimenterait tabous, a priori et positionnements politiciens qui empêchent d’avancer.

Quand les portes sont fermées, les informations qui sortent malgré tout sont moins crédibles, mais, comme elles sont les seules disponibles, elles prennent beaucoup de place, notamment à l’époque des réseaux sociaux. Permettre à des professionnels, astreints normalement à une déontologie, de regarder et de raconter est la meilleure façon de couper court à ces discours fallacieux.

Pour terminer, je suis très heureux de l’adoption d’une panoplie de dispositifs visant à encourager le don aux entreprises de presse, afin de soutenir le pluralisme. Après les attentats de janvier dernier, le massacre contre Charlie Hebdo et contre la liberté d’expression, ces amendements pour lesquels Charb, notamment, militait fortement devaient être introduits dans la loi. C’était juste, et c’était important d’un point de vue symbolique.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera avec enthousiasme les conclusions de la commission mixte paritaire, ainsi que l’ensemble des amendements, pour l’essentiel de coordination et de précision juridique, qui ont été présentés par le Gouvernement. (M. Claude Kern applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Claude Kern.

M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette CMP s’est déroulée dans le même esprit que lors de l’examen en première lecture de la proposition de loi : un esprit de sérieux, d’écoute et de consensus, par-delà les clivages partisans. C’est exactement l’esprit qui caractérisait l’approche de notre rapporteur, M. Philippe Bonnecarrère. Et c’est précisément grâce à cet état d’esprit que le Sénat a sensiblement amélioré le texte avant de l’adopter, in fine, à l’unanimité. Or la CMP a conservé ces apports. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Le texte soumis à notre examen a deux objets principaux : la régulation du système coopératif de distribution de la presse et la modernisation de la gouvernance de l’AFP.

La CMP n’a pas apporté de modification notable aux règles de régulation de la distribution. Nous ne pouvons que soutenir l’orientation générale du texte, qui, tout en maintenant la répartition bicéphale des rôles entre le CSMP et l’ARDP, renforce les pouvoirs de cette dernière autorité.

L’article 1er, en particulier, opère la traduction législative du principe de péréquation. L’apport principal de cet article concerne l’homologation des barèmes. À ce sujet, le travail de notre rapporteur a été déterminant, puisqu’il confie l’homologation des barèmes à l’ARDP, et non plus au CSMP, comme le prévoyait le texte initial. Cette évolution aboutit à un état du droit beaucoup plus respectueux des impératifs de confidentialité des tarifs et des règles de concurrence.

L’article 7 permet d’envisager une réforme plus substantielle. Il ouvre la voie à la mutualisation des réseaux de distribution, en fournissant une base légale aux dispositifs expérimentaux de distribution des quotidiens nationaux par la presse quotidienne régionale.

Les débats de la CMP se sont principalement concentrés sur les modalités de gouvernance de l’AFP. Je note que la commission mixte paritaire n’a pas remis en cause l’un des deux apports principaux qui étaient le fait du Sénat : celui qui est relatif à la composition du conseil d’administration. En vertu de ce texte, trois des cinq personnalités qualifiées qui intégreront ce conseil pourront justifier d’une véritable expérience au niveau européen ou international, ce qui concrétise l’objet même de la réforme.

En revanche, la CMP est revenue sur l’autre apport essentiel du Sénat en matière de gouvernance de l’AFP. Cette mesure fusionnait le conseil supérieur et la commission financière en une commission de surveillance de l’AFP, afin de constituer un véritable contre-pouvoir, au sein de l’agence, face au conseil d’administration et à son président. La nouvelle commission de surveillance aurait ainsi contrôlé le conseil d’administration et discuté de sa stratégie. Mesure consensuelle, sa création était soutenue par les présidents en exercice du conseil supérieur et de la commission financière de l’AFP. Néanmoins, la CMP a fait le choix de conserver la division entre le conseil supérieur et la commission financière.

Même si nous soutenions résolument la fusion de ces deux organes de gouvernance, nous ne nous opposerons pas au texte issu des travaux de la CMP. En effet, si cette dernière a maintenu en l’état l’architecture actuelle des organes de gouvernance de l’AFP, c’est en conservant l’esprit de la mesure proposée par M. le rapporteur.

En effet, la CMP n’a pas seulement, platoniquement, conservé les organes existants : elle a aussi, dans le même temps, musclé les missions du conseil supérieur, en lui attribuant les compétences que le Sénat souhaitait confier à la commission de surveillance. Il s’agit, notamment, de lui donner le pouvoir de s’exprimer sur la stratégie de l’AFP. De plus, la CMP a précisé que le conseil supérieur donnera un avis sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens, le COM, et non sur le COM lui-même, une fois finalisé. Ce renforcement était le but visé par la création de la commission de surveillance.

Reste le volet fiscal, peu touché par la CMP. Nous saluons le maintien de l’article 15 bis, qui autorise les particuliers à bénéficier d’une réduction d’impôt au titre de leur participation au capital d’entreprises de presse. Nous saluons aussi, et surtout, le maintien de l’amendement dit « Charb », qui tend à élever au rang législatif la défiscalisation des dons des particuliers au bénéfice d’associations ou de fonds de dotation exerçant des actions en faveur du pluralisme de la presse.

Certes, le texte proposé n’aboutira pas à un Grand Soir permettant de sortir la presse de ses ornières. Toutefois, parce qu’il présente des avancées utiles, principalement en matière de gouvernance de l’AFP, le groupe UDI-UC le soutiendra. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la presse connaît une grave crise. Afin de répondre à une partie des difficultés rencontrées par ce secteur de l’économie, cette proposition de loi aborde des thèmes assez larges, allant de la distribution de la presse jusqu’à la gouvernance de l’AFP, en passant par des dispositions fiscales, à l’image de l’amendement dit « Charb », que notre groupe a souhaité voir intégré à ce texte.

Nous nous félicitons particulièrement que cet amendement, que nous avions déposé pour la première fois lors de l’examen de la loi de finances pour 2015, ait finalement été retenu, fort d’une belle unanimité, guidée par une volonté de soutien à la presse d’opinion à la suite des événements douloureux du début du mois de janvier dernier, qui ont, notamment, touché la rédaction de Charlie Hebdo. C’est un beau symbole, qui permet à la fois de rendre hommage aux victimes des attentats et de répondre au besoin de préservation et de sécurisation du financement des supports directs d’une liberté menacée, incarnée par les supports de presse écrite d’information politique et générale.

Cet amendement vise ainsi à clarifier le régime de défiscalisation des dons émanant des particuliers effectués au bénéfice d’associations d’intérêt public ou de fonds de dotation exerçant des actions en faveur du pluralisme de la presse d’information politique et générale. Cette pratique, qui repose pour le moment sur un simple rescrit fiscal, sera désormais inscrite dans le marbre de la loi.

Malgré cela, nous nous étions abstenus sur ce texte, car si nous soutenons sans condition certaines dispositions contenues dans le projet de loi, d’autres, concernant notamment l’Agence France Presse, nous paraissent beaucoup plus contestables ; j’y reviendrai.

En ce qui concerne la distribution de la presse, le texte réforme les modes de gouvernance des systèmes coopératifs, en rappelant l’objectif de garantie d’un système coopératif dans la distribution de la presse et l’absence de concurrence entre les deux messageries.

Le renforcement de la portée du principe de solidarité dans et par la loi constitue un élément positif, de même que l’évocation qui est faite, en l’absence de coopération harmonieuse, d’une possibilité de mutualisation renforcée entre les sociétés de messagerie de presse. Nous continuons cependant à estimer qu’il conviendrait d’aller plus loin, en prévoyant la fusion de ces deux coopératives au bénéfice d’une structure unique de distribution.

En ce qui concerne l’AFP, la CMP est revenue sur un certain nombre de dispositions que nous contestions – il s’agit là d’un effort louable, nous semble-t-il –, mais elle a malheureusement conservé telle quelle la rédaction de l’article 12.

Certes, le projet de création d’une commission de surveillance remplaçant le conseil supérieur et la commission financière de l’AFP a été abandonné, en faveur du renforcement des instances actuelles, ce qui nous satisfait et répond en partie à nos remarques. En revanche, l’article 12 continue de distinguer les comptes de l’AFP, ce qui laisse entendre que l’AFP exercerait des activités ne relevant pas de l’intérêt général. Ce faisant, le montant des aides de l’État est remis en cause et la question de la définition du périmètre des activités d’intérêt général est posée.

Ces dispositions, qui s’inspirent de la récente décision de la Commission européenne, saisie d’une plainte d’une agence de presse allemande, risquent de conforter la diminution de la dotation de l’État et de remettre en cause le statut unique de l’AFP : ni étatisation ni privatisation, garant de son indépendance, par la privatisation d’une partie de l’agence, quand bien même elle constituerait une filiale technique.

En effet, la Commission européenne, si elle a admis l’existence de ces aides en reconnaissant le caractère d’intérêt général qui s’attache au rôle de l’AFP, demande la distinction, dans les versements de l’État, entre dotations de compensation des missions d’intérêt général et paiement des amendements commerciaux. Or, à notre sens, une agence de presse française de rayonnement international, promouvant la liberté d’information et l’indépendance éditoriale, constitue en elle-même l’accomplissement d’une mission d’intérêt général. Cela devrait l’exclure totalement du champ d’application du droit communautaire de la concurrence.

Il y a là, à notre sens, des dossiers et des valeurs dont la défense nécessite de s’opposer avec plus de fermeté aux appréciations, souvent dogmatiques, de la Commission européenne.

Pour conclure, c’est principalement ce dernier point qui nous conduit à réitérer notre abstention face à la présente proposition de loi. J’ajouterai que c’est avec regret, car le texte contient des aspects positifs, dont la presse d’opinion a bien besoin pour continuer d’exister.

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, numérisation, information continue, modernisation des espaces de vente, innovations sur le fond comme sur la forme : la presse se modernise, se met au goût du jour et affirme finalement son ambition de se situer à la hauteur des enjeux actuels.

Nous savons que la presse est la « chienne de garde de la démocratie », mais aussi qu’elle souffre depuis de nombreuses années de multiples difficultés. Elle est pourtant, plus que jamais, le médium nécessaire pour garantir une information de qualité à destination des citoyens. Comme le disait Voltaire, « la presse est la base de toutes les autres libertés, c’est par là qu’on s'éclaire mutuellement ».

La presse doit ainsi trouver les ressources, intérieures, mais aussi extérieures, cela va sans dire, pour se réinventer. Nous participons aujourd’hui, à notre échelle, à cette entreprise ardue, mais précieuse. Nous y procédons dotés d’une volonté de compromis, et ce point est extrêmement important.

Le 25 mars dernier, la commission mixte paritaire a trouvé un accord en reprenant la quasi-totalité des dispositions insufflées par la sagesse du Sénat.

Le mouvement de modernisation de la presse n’épargne pas l’AFP, comme le montre le lancement de l’application AFP TweetFoot, en collaboration avec l’entreprise Tweeter, à travers une sélection des meilleurs comptes du réseau social. Proposer de nouveaux canaux d’information, ainsi qu’un accès des lecteurs aux données, constitue aujourd’hui le moyen par lequel la presse renaîtra de ses cendres.

L’histoire de l’AFP, passée du statut d’agence officieuse à celui d’agence officielle de l’information est aussi celle du récit des événements, et vice versa. C’est dire si les statuts de l’AFP doivent être modernisés, pour qu’elle soit en phase avec son époque. Digne héritière de Havas, forte de plus de deux mille journalistes et techniciens, affichant un chiffre d’affaires de 288 millions d’euros en 2013, dont 40 % proviennent d’abonnements de l’État, l’agence dispose de l’un des réseaux les plus complets et les plus denses au monde.

Les textes qui la régissent dataient tant qu’ils mentionnaient même, ce qui est assez surprenant, l’Union française… L’AFP avait donc grand besoin que sa gouvernance soit modernisée et adaptée aux enjeux actuels. La nouvelle rédaction de la loi du 10 janvier 1957 portant statut de l’Agence France-Presse permettra une amélioration du fonctionnement de l’AFP par l’application du principe de parité, le renforcement de la représentation du personnel et l’introduction de personnalités qualifiées dans le conseil d’administration de l’agence.

À l’heure où les éditeurs les plus puissants entrent dans une stratégie de chantage avec les messageries, afin d’obtenir les tarifs les plus avantageux au détriment des plus modestes, la proposition de confier l’homologation des barèmes à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, après avis du président du conseil supérieur des messageries de presse, permettra un plus grand respect des principes de transparence et de péréquation des coûts de distribution des quotidiens.

Il importe, enfin, de saluer l’unanimité qui a présidé à l’adoption du titre III de la proposition de loi, consacré au soutien à la presse et qui s’articulait autour de trois mesures : la réduction d’impôt pour la souscription au capital d’une entreprise de presse, l’élargissement du champ d’action des fonds de dotation au soutien à la modernisation de la presse, enfin, ce qui est très important, au-delà du symbole, l’amendement dit « Charb », c’est-à-dire la défiscalisation des dons émanant de particuliers effectués au bénéfice d’associations et de fonds de dotation exerçant des actions concrètes pour le pluralisme de la presse.

Comme cela a été souligné au sein de la commission – je me félicite d'ailleurs du travail important réalisé en la matière –, les associations bénéficiaires devront être d’intérêt général et il ne devra y avoir aucun lien économique ou financier direct ou indirect entre le donateur et le bénéficiaire. Ces mesures, pour importantes qu’elles soient, ne sont que des aménagements à un système qui mériterait une véritable révolution, mais elles vont dans le bon sens ; je me réjouis qu’elles soient sur le point d’être adoptées.

Le groupe RDSE se félicite de l’esprit de compromis constructif qui a prévalu au cours de nos débats. Il votera le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.

M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à saluer la qualité du travail accompli par l’ensemble des membres de la commission mixte paritaire, en particulier par notre rapporteur.

Chacun a bien pris conscience qu’il fallait donner de nouveaux moyens à la presse écrite, pour qu’elle puisse, non pas survivre, mais retrouver les voies de son développement. Bien sûr, la présente proposition de loi n’annonce ni la révolution ni le big bang que d’aucuns pourraient appeler de leurs vœux. Il ne s’agit même pas de la réforme d’ampleur qui serait pourtant nécessaire pour permettre au métier de journaliste et aux entreprises de presse de faire face aux défis et aux difficultés qui les assaillent et qui jettent une ombre menaçante sur leur avenir, ainsi que, par voie de conséquence, sur la vitalité et la qualité du débat démocratique dans notre pays.

À la vérité, cette proposition de loi ne s’attache qu’à quelques aspects épars des problèmes profonds rencontrés par notre système de production et de diffusion de l’information. Elle a cependant le mérite de préciser la gouvernance de l’Agence France-Presse et celle de nos messageries de presse.

En ce qui concerne les messageries de presse, si certaines dispositions de la proposition de loi initiale pouvaient inquiéter les acteurs de la distribution, alors que la loi du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse commence tout juste à produire ses pleins effets, il faut reconnaître que la navette parlementaire a largement contribué, notamment grâce aux amendements adoptés par notre assemblée, à lever les doutes et à rassurer ce secteur d’activité en mutation.

Par un terrible hasard de l’actualité, cette proposition de loi a pris une dimension tout à fait nouvelle lorsqu’elle a été mise en débat au Sénat, le 5 février dernier, moins d’un mois après les événements tragiques du 7 janvier. Son examen a été l’occasion de poser haut et fort la question de la liberté d’expression et des conditions d’exercice du pluralisme de la presse, aujourd’hui, dans notre pays.

À l’urgente nécessité d’agir a répondu l’amendement déposé au Sénat et tendant à autoriser la défiscalisation d’une partie des dons consentis en faveur de certains titres de presse d’information générale. Cet amendement, dit « Charb » d’après le nom de plume de l’ancien directeur de la publication de Charlie Hebdo, a été, rappelons-le, adopté à l’unanimité par notre chambre, avant que le Sénat n’adopte à l’unanimité la proposition de loi elle-même.

Bien des fois et dans bien des domaines, on a invoqué le fameux esprit du 11 janvier pour rassembler nos concitoyens autour des valeurs supposées nous animer individuellement et collectivement.

Bien plus que symboliques, ces votes à l’unanimité ont sans doute été l’une des concrétisations les plus marquantes de l’esprit du 11 janvier. Pour preuve, la commission mixte paritaire et, à travers elle, l’Assemblée nationale ont fait leur la disposition issue de cet amendement. En outre, sa mise en œuvre concrète a été largement facilitée par le Gouvernement, qui, à la faveur de son examen en CMP, a accepté de lever le gage pesant sur lui. Nous ne pouvons que saluer cette décision, en faveur de laquelle, madame la ministre, vous avez joué un rôle déterminant.

Reste que cette mesure significative en faveur du pluralisme et de la liberté de la presse ne doit pas occulter que c’est tout notre système d’aides à la presse qui doit être réévalué et repensé.

Comme je l’ai déjà signalé à de nombreuses reprises dans cet hémicycle, nos critères et nos mécanismes d’aide à la presse sont, pour une bonne part, devenus obsolètes et parfois même contre-productifs ; nous ne couperons pas, tôt ou tard, à leur remise à plat. Or plus cette réforme aura lieu tardivement, plus le secteur de la presse et de l’information aura atteint un point de quasi-non-retour.

De fait, nos titres d’information et nos supports d’opinion présentent désormais un taux de mortalité bien supérieur à leur taux de natalité, tant sous la forme papier que sous la forme numérique. Madame la ministre, il est temps d’inverser aussi cette courbe-là, si essentielle à la vie démocratique de notre pays.

Lors du discours qu’il a prononcé pour le soixante-dixième anniversaire de l’Agence France-Presse, le 19 janvier dernier, le Président de la République a annoncé que ce chantier était ouvert et que c’était vous, madame la ministre, qui en aviez la charge. En ces périodes budgétaires difficiles, nous savons que nous pouvons, avec les mêmes moyens, faire bien mieux qu’aujourd’hui, en réajustant nos priorités.

Nous savons aussi que cette refonte doit trouver sa concrétisation en termes de réaffectation des aides, au moyen d’un plan qui devra s’étaler sur trois à cinq ans : trop rapide, ce plan déstabiliserait certains titres dont la santé financière est actuellement correcte ; mais, sans ligne de conduite, sans objectifs clairs ni engagements à terme, il pourrait vite passer à la trappe, sous l’effet des rabots budgétaires successifs et de la découverte de nouvelles urgences encore plus urgentes que les précédentes.

Lors de l’examen de la proposition de loi par le Sénat, le 5 février dernier, j’avais présenté un amendement tendant à prescrire au Gouvernement de remettre au Parlement, avant le 31 juillet 2015, un rapport proposant dans le détail un plan de ce type, destiné à améliorer la répartition des aides directes à la presse écrite en vue de renforcer le pluralisme et la diversité de nos sources d’information. Je regrette que, à une misérable voix près, cet amendement n’ait pas été adopté ! C’est bien dommage.

Je le regrette d’autant plus que nous devons veiller au non-dévoiement du système d’aide à la presse au profit de quelques titres dont la préoccupation majeure n’est pas le commerce des idées, mais le commerce tout court. C’est pourquoi je me permets de vous rappeler l’engagement que vous avez pris, madame la ministre, d’associer le Parlement à toute réforme, même de nature strictement réglementaire.

Bien évidemment, le groupe écologiste votera le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire ! (Applaudissements.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte, en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :

proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse

TITRE IER

DISPOSITIONS RELATIVES À LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse
Article 5

Article 1er

L’article 12 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques est ainsi rédigé :

« Art. 12. – Les barèmes des tarifs de chaque société coopérative de messageries de presse sont soumis à l’approbation de son assemblée générale. Ils sont fixés dans le respect des principes de solidarité entre coopératives et au sein d’une coopérative et de préservation des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse. Ces principes permettent d’assurer l’égalité des éditeurs face au système de distribution grâce à une gestion démocratique, efficiente et désintéressée des moyens mis en commun. Ils permettent également de répartir entre toutes les entreprises de presse adhérant aux coopératives, de façon objective, transparente et non discriminatoire, la couverture des coûts de la distribution, y compris des surcoûts spécifiques induits par la distribution des quotidiens et qui ne peuvent être évités.

« Dans le respect du secret des affaires, les barèmes des tarifs des messageries de presse et ceux des sociétés communes regroupant les messageries de presse sont transmis au président du Conseil supérieur des messageries de presse et à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse dans un délai de quinze jours suivant leur approbation.

« Le président du Conseil supérieur des messageries de presse transmet, dans un délai de quatre semaines à compter de la réception des barèmes, un avis motivé à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, qui se prononce sur ces barèmes dans un délai de six semaines à compter de leur réception. L’autorité peut refuser d’homologuer les barèmes si elle estime qu’ils ne respectent pas les principes mentionnés au premier alinéa. De nouveaux barèmes, tenant compte de ses observations, lui sont alors transmis en vue de leur homologation, dans le délai prévu au deuxième alinéa.

« Si de nouveaux barèmes ne lui sont pas transmis dans un délai d’un mois à compter de son refus d’homologation, l’autorité détermine les barèmes applicables ».

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Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse
Article 6

Article 5

Le deuxième alinéa de l’article 18-2 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 précitée est ainsi modifié :

1° Le mot : « deux » est remplacé par le mot : « trois » ;

2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée :

« En tant que de besoin, elle auditionne le président du Conseil supérieur des messageries de presse ou tout expert extérieur pour éclairer ses délibérations. »

Article 5
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse
Article 6 bis

Article 6

I. – L’article 18-5 de la même loi est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « et de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse » sont supprimés et les mots : « ces organismes pourraient être condamnés » sont remplacés par les mots : « cet organisme pourrait être condamné » ;

1° bis Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’Autorité de régulation de la distribution de la presse dispose des crédits nécessaires à l’accomplissement de ses missions. La loi du 10 août 1922 relative à l’organisation du contrôle des dépenses engagées n’est pas applicable à leur gestion. » ;

2° (Supprimé)

II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2016.

Article 6
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Article 9

Article 6 bis

(Supprimé)

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Article 6 bis
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Article 11 A

Article 9

L’article 18-13 de la même loi est ainsi modifié :

1° (Supprimé)

2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :

a) Après la première phrase, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :

« L’autorité peut, dans le même délai, réformer ces décisions. Elle peut proroger ce délai dans la limite d’un mois pour procéder à toute mesure utile à la réformation de ces décisions. » ;

b) Après le mot : « autorité », la fin de la seconde phrase est ainsi rédigée : « et les éventuelles modifications apportées par elles doivent être motivés. » ;

3° À la seconde phrase du troisième alinéa, après le mot : « décisions », sont insérés les mots : « après les avoir éventuellement réformées, » ;

4° Le quatrième alinéa est supprimé ;

5° Le cinquième alinéa est ainsi modifié :

a) Le début est ainsi rédigé : « Les décisions rendues exécutoires par l’Autorité de régulation de la distribution de la presse en application du présent article peuvent... (le reste sans changement). » ;

b) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée :

« Ce recours n’est pas suspensif. » ;

5° bis Après le mot : « peuvent », la fin de l’avant-dernier alinéa est ainsi rédigée : « également faire l’objet d’un recours devant la cour d’appel de Paris. Ce recours n’est pas suspensif. » ;

6° Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les décisions rendues exécutoires par l’Autorité de régulation de la distribution de la presse et les décisions à caractère individuel prises par le Conseil supérieur des messageries de presse peuvent faire l’objet d’une demande de sursis à exécution devant la cour d’appel de Paris, à compter de la publication de la présente loi. Ce sursis est ordonné lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. »

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TITRE II

DISPOSITIONS RELATIVES À L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Article 9
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Article 11

Article 11 A

L’article 3 de la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 portant statut de l’Agence France-Presse est ainsi rédigé :

« Art. 3. – Il est institué un conseil supérieur chargé de garantir la pérennité de l’Agence France-Presse et de veiller au respect des obligations énoncées à l’article 2. Il se réunit au moins chaque semestre sur un ordre du jour établi par son président.

« Le conseil supérieur peut adresser au président-directeur général des observations sur la mise en œuvre de la stratégie de l’Agence France-Presse qui n’ont pas de caractère obligatoire. Il est consulté par le président-directeur général avant toute décision stratégique pour l’Agence France-Presse ainsi que sur le projet de contrat d’objectifs et de moyens.

« Le président-directeur général fournit au conseil supérieur tous les documents et les renseignements qu’il juge utiles pour l’exercice de ses missions. Il répond à ses convocations pour rendre compte de l’activité, de la gestion et de l’indépendance de l’Agence France-Presse.

« Le conseil supérieur peut rendre ses avis publics.

« Il rend compte, chaque année, de la situation économique, financière et sociale de l’Agence, ainsi que de l’exécution par celle-ci des obligations énoncées à l’article 2, dans un rapport remis au Parlement avant le 30 juin. »

Article 11 A
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Article 12

Article 11

I. – La loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 portant statut de l’Agence France-Presse est ainsi modifiée :

1° L’article 4 est ainsi modifié :

a) Aux deuxième et troisième alinéas, les mots : « ou honoraire » sont supprimés ;

b) Au sixième alinéa, les mots : « de la radiodiffusion télévision française » sont remplacés par les mots : « des sociétés nationales de programmes relevant du titre III de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication » ;

b bis) Le septième alinéa est ainsi rédigé :

« Deux parlementaires désignés, respectivement, par les commissions permanentes chargées des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat. » ;

b ter) Après le septième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le conseil supérieur est composé de telle sorte que l’écart entre le nombre des hommes désignés, d’une part, et des femmes désignées, d’autre part, ne soit pas supérieur à un. » ;

c) Le huitième alinéa est ainsi rédigé :

« Les membres du conseil supérieur sont désignés ou élus pour cinq ans. Leur mandat est renouvelable une fois. Il est incompatible avec celui de membre du conseil d’administration ou de membre de la commission financière. » ;

bis À la fin du quatrième alinéa de l’article 5, le mot « douze » est remplacé par le mot « treize » ;

ter L’article 6 est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Le conseil d’administration se réunit au moins quatre fois par an. »

2° L’article 7 est ainsi modifié :

a) Au début du 1°, le mot : « Huit » est remplacé par le mot : « Cinq » ;

b) Au 2°, les mots : « de la radiodiffusion télévision française » sont remplacés par les mots : « des sociétés nationales de programmes relevant du titre III de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication » ;

c) Après les mots : « par le », la fin du 3° est ainsi rédigée : « ministre des affaires étrangères, le ministre chargé de la communication et le ministre chargé de l’économie ; »

c bis) Les cinquième à septième alinéas sont ainsi rédigés :

« 4° Trois représentants du personnel de l’agence, soit :

« a) Deux journalistes professionnels élus par l’assemblée des journalistes professionnels appartenant au personnel de rédaction de l’agence ;

« b) Un agent, appartenant aux autres catégories de personnel, élu par l’ensemble des agents de ces catégories ; »

d) Après le septième alinéa, il est inséré un 5° ainsi rédigé :

« 5° Cinq personnalités nommées par le conseil supérieur en raison de leur connaissance des médias et des technologies numériques et de leurs compétences économiques et de gestion, trois d’entre elles au moins possédant une expérience significative au niveau européen ou international. Ces personnalités ne peuvent appartenir ni aux corps d’administration, ni aux entreprises dont sont issus les autres membres du conseil d’administration ou les membres du conseil supérieur. » ;

d bis) À la première phrase du neuvième alinéa, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq » ;

e) Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« Les interdictions prévues à l’article L. 249-1 du code de commerce sont applicables aux membres du conseil d’administration. » ;

f) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Le conseil d’administration est composé de telle sorte que l’écart entre le nombre des hommes désignés, d’une part, et des femmes désignées, d’autre part, ne soit pas supérieur à un. » ;

3° L’article 10 est ainsi modifié :

a) À la première phrase du premier alinéa, la seconde occurrence du mot : « trois » est remplacée par le mot : « cinq » ;

b) Le deuxième alinéa est ainsi modifié :

– le mot : « douze » est remplacé par le mot : « treize » ;

– sont ajoutés les mots : « , sur la base de la présentation d’un projet stratégique évalué par le conseil d’administration » ;

c) À la seconde phrase de l’avant-dernier alinéa et au dernier alinéa, le mot : « douze » est remplacé par le mot : « treize » ;

4° L’article 12 est ainsi modifié :

a) (Supprimé)

b) Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :

« Cette commission comprend trois membres de la Cour des comptes en activité désignés par le premier président, dont l’un préside la commission. Les membres de la commission financière sont désignés pour une durée de cinq ans. Leur mandat est renouvelable. » ;

c) Le septième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Les membres de la commission financière siègent, avec voix consultative, au conseil d’administration. »

II. – Le 3° du I est applicable au mandat de président-directeur général en cours à la date de publication de la présente loi.

III. – Les membres du conseil supérieur mentionnés aux deuxième, troisième et septième alinéas de l’article 4 de la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 portant statut de l’Agence France-Presse, dans sa rédaction résultant de la présente loi, sont nommés, dans un délai de trois mois suivant la promulgation de la présente loi, pour la durée restant à courir des mandats en cours des autres membres du conseil supérieur, qui ne sont pas modifiés.

IV. – Les membres du conseil d’administration mentionnés aux 1° et 5° de l’article 7 de la loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 précitée, dans sa rédaction résultant de la présente loi, sont désignés dans un délai de trois mois suivant la promulgation de la présente loi, pour la durée restant à courir des mandats en cours des autres membres du conseil d’administration, qui ne sont pas modifiés. »

Article 11
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Article 15

Article 12

La loi n° 57-32 du 10 janvier 1957 précitée est ainsi modifiée :

1° (Supprimé)

2° Le sixième alinéa de l’article 12 est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Elle s’assure annuellement que la compensation financière versée à l’État, prévue à l’article 13, n’excède pas les coûts nets générés par l’accomplissement des missions d’intérêt général. » ;

3° L’article 13 est ainsi modifié :

a) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les activités de l’Agence France-Presse ne relevant pas des missions d’intérêt général définies aux articles 1er et 2 font l’objet d'une comptabilité séparée. » ;

b) Après la seconde occurrence du mot : « des », la fin du deuxième alinéa est ainsi rédigée : « grilles tarifaires générales de l’agence. Elle prévoit les conditions de leur révision. » ;

4° Après la première phrase du second alinéa de l’article 14, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :

« Dans chacune des hypothèses, les dispositions du livre VI du code de commerce relatives à la détermination des créances et au désintéressement des créanciers sont applicables. La responsabilité de l’État ne peut se substituer à celle de l’Agence France Presse envers ses créanciers. »

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TITRE III

AUTRES DISPOSITIONS RELATIVES AU SECTEUR DE LA PRESSE

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Article 12
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Article 15 bis

Article 15

(Pour coordination)

I. – L’article 719 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° À la fin, les mots : « et les établissements pénitentiaires » sont remplacés par les mots : « , les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés mentionnés à l’article 33 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante » ;

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« À l’exception des locaux de garde à vue, les députés, les sénateurs et les représentants au Parlement européen mentionnés au premier alinéa du présent article peuvent être accompagnés par un ou plusieurs journalistes titulaires de la carte d’identité professionnelle mentionnée à l’article L. 7111-6 du code du travail, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. »

II. – Après l’article 868-4 du même code, il est rétabli un article 869 ainsi rédigé :

« Art. 869. – Pour l'application de l'article 719 dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, les journalistes sont soit titulaires de la carte d’identité professionnelle définie par le code du travail, soit reconnus comme journalistes en application des dispositions ayant le même objet dans ces collectivités. »

Article 15
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Article 16

Article 15 bis

I. – Après le 15° bis du II de la section V du chapitre Ier du titre Ier de la première partie du livre Ier du code général des impôts, il est inséré un 15° ter ainsi rédigé :

« 15° ter : Réduction d’impôt accordée au titre des souscriptions en numéraire au capital d’entreprises de presse

« Art. 199 terdecies-0 C. – 1. Les contribuables domiciliés fiscalement en France au sens de l’article 4 B bénéficient d’une réduction d’impôt sur le revenu égale à 30 % des versements effectués jusqu’au 31 décembre 2018 au titre de souscriptions en numéraire réalisées au capital de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés dans les conditions de droit commun et définies au I de l’article 39 bis A.

« Le taux mentionné au premier alinéa du présent 1 est porté à 50 % lorsque la société bénéficiaire de la souscription a le statut d’entreprise solidaire de presse d’information au sens de l’article 2-1 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.

« 2. Les versements ouvrant droit à la réduction d’impôt mentionnée au 1 sont retenus dans la limite annuelle de 1 000 € pour les contribuables célibataires, veufs ou divorcés, et de 2 000 € pour les contribuables soumis à imposition commune.

« 3. Lorsque tout ou partie des titres ayant donné lieu à réduction d’impôt est cédé avant le 31 décembre de la cinquième année suivant celle de la souscription, la réduction d’impôt obtenue est ajoutée à l’impôt dû au titre de l’année de la cession.

« Le premier alinéa du présent 3 ne s’applique pas en cas de licenciement, d’invalidité correspondant au classement dans la deuxième ou la troisième des catégories prévues à l’article L. 341-4 du code de la sécurité sociale ou du décès du contribuable ou de l’un des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité soumis à imposition commune.

« 4. La réduction d’impôt mentionnée au 1 ne s’applique pas aux titres figurant dans un plan d’épargne en actions mentionné à l’article 163 quinquies D du présent code ou dans un plan d’épargne salariale mentionné au titre III du livre III de la troisième partie du code du travail, ni à la fraction des versements effectués au titre de souscriptions ayant ouvert droit aux réductions d’impôt prévues au g du 2 de l’article 199 undecies A, aux articles 199 undecies B, 199 terdecies-0 A, 199 terdecies-0 B ou 885-0 V bis du présent code. La fraction des versements effectués au titre de souscriptions donnant lieu aux déductions prévues aux 2° quater et 2° quinquies de l’article 83 n’ouvre pas droit à cette réduction d’impôt. »

II. – Le I s’applique aux versements effectués à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.

Article 15 bis
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Article 17

Article 16

(Supprimé)

Article 16
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Article 11 A

Article 17

I. – L’article 200 du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Après le f du 1, il est inséré un bis ainsi rédigé :

« f bis) D’associations d’intérêt général exerçant des actions concrètes en faveur du pluralisme de la presse, par la prise de participations minoritaires, l’octroi de subventions ou encore de prêts bonifiés à des entreprises de presse, au sens de l’article 39 bis A.

« Les donateurs peuvent affecter leurs dons au financement d’une entreprise de presse ou d’un service de presse en ligne en particulier, à condition qu’il n’existe aucun lien économique et financier, direct ou indirect, entre le donateur et le bénéficiaire. »

2° Le 1° du g du 1 est complété par les mots : « ou au f bis » ;

3° Au 2° du g du 1, la référence : « » est remplacée par la référence : « f bis » ;

4° Au dernier alinéa du 1, les mots : « deuxième à huitième alinéas » sont remplacés par les mots : « a à g ».

II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575A du même code.

articles 1er à 9

M. le président. Sur les articles 1er à 9, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole ?...

Le vote est réservé.

article 11 A

Article 17
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Article 17 (début)

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 4, première phrase

Remplacer les mots :

qu’il

par les mots :

que le conseil

La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

De façon générale, tous les amendements déposés par le Gouvernement, à l’exception de l’amendement n° 7, sont des amendements rédactionnels ou de coordination. Si une ambiguïté s’attache au texte de l’un d’entre eux, j’apporterai au Sénat les éclaircissements nécessaires.

En attendant d’éventuelles demandes de précision, je considère donc, monsieur le président, que tous les amendements du Gouvernement sont défendus.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur l’ensemble des amendements du Gouvernement. J’en profite pour remercier de nouveau Mme la ministre d’avoir levé le gage sur l'amendement n° 7, qui est important.

M. le président. Le vote est réservé.

L'amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer les mots :

avis publics

par les mots :

observations publiques

Cet amendement a été défendu et a reçu un avis favorable de la commission.

Le vote est réservé.

article 11

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 10, première phrase

Supprimer les mots :

ou élus

Cet amendement a été défendu et a reçu un avis favorable de la commission.

Le vote est réservé.

L'amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 24

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

d ter) À la dernière phrase du neuvième alinéa, les mots : « le président du conseil ou » sont supprimés ;

Cet amendement a été défendu et a reçu un avis favorable de la commission.

Le vote est réservé.

L'amendement n° 5, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 43

Après la référence :

insérer la référence :

, 4°

Cet amendement a été défendu et a reçu un avis favorable de la commission.

Le vote est réservé.

articles 12 à 16

M. le président. Sur les articles 12 à 16, je ne suis saisi d’aucun amendement.

Quelqu’un demande-t-il la parole ?...

Le vote est réservé.

Article 17

Article 11 A
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Article 17 (fin)

M. le président. L'amendement n° 6, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Après le mot :

sens

insérer les mots :

du 1

Cet amendement a été défendu et a reçu un avis favorable de la commission.

Le vote est réservé.

L'amendement n° 7, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 8

Supprimer cet alinéa.

Cet amendement a été défendu et a reçu un avis favorable de la commission.

Le vote est réservé.

Je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifiée par les amendements du Gouvernement.

Personne ne demande la parole ?...

Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifiée par les amendements du Gouvernement.

(La proposition de loi est définitivement adoptée.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Au terme de ce travail législatif important mené par les deux assemblées, je tiens à saluer les sénateurs de tous les groupes qui ont pris part à l’élaboration et à l’enrichissement de la proposition de loi.

Je remercie particulièrement notre rapporteur, qui, comme Mme la ministre l’a souligné, s’est consacré à sa tâche avec finesse et énergie ; grâce à lui, le Sénat aura beaucoup apporté à la gouvernance de l’Agence France-Presse.

Comme de nombreux orateurs l’ont fait remarquer, la proposition de loi n’annonce pas le Grand Soir. Elle ne prétend pas répondre aux problèmes structurels que la presse rencontre aujourd’hui. Ses dispositions n’en ouvrent pas moins la voie à des progrès substantiels, notamment sur le plan de la gouvernance.

Près de trois mois après l’attentat contre Charlie Hebdo, nous manifestons notre attachement à la défense de la presse, du pluralisme et du journalisme, ce beau métier qui mérite notre soutien collectif.

Nous comptons désormais sur vous, madame la ministre, pour que cette proposition de loi entre très rapidement en application ! (Applaudissements.)

Article 17 (début)
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8

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 7 avril 2015 :

À neuf heures trente : questions orales.

À quinze heures : réception solennelle, dans la salle des séances, de Son Excellence M. Béji Caïd Essebsi, président de la République tunisienne.

À seize heures, le soir et la nuit :

Projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (n° 300, 2014-2015) ;

Rapport de Mmes Catherine Deroche, Dominique Estrosi Sassone et M. François Pillet, fait au nom de la commission spéciale (n° 370, tomes I, II et III, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 371, 2014-2015).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures trente.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART