M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je sollicite le retrait de cet amendement et de ce sous-amendement. De toute façon, s’ils ne sont pas retirés, ils seront adoptés,…

M. François Pillet, corapporteur. Non, pas forcément !

M. Emmanuel Macron, ministre. … parce qu’il est satisfaisant d’exprimer une insatisfaction face à Google. Maintenant que je me suis habitué à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que vous ne parviendrez pas à réprimer votre enthousiasme collectif.

Je veux néanmoins plaider devant vous en faveur d’un retrait, qui me semble la meilleure formule.

Tout d’abord, hier, un événement s’est produit : la Commission européenne a pris ses responsabilités dans une procédure, qui, il faut le reconnaître, a commencé en 2010…

M. Emmanuel Macron, ministre. Vous avez raison, madame la sénatrice !

Nous avons constamment appuyé, à tous les niveaux, cette prise de décision, laquelle est importante. Nous avons accompagné les dix-huit opérateurs français qui ont intenté cette action contre Google et, hier, la Commission européenne, après de longues investigations, a trouvé une base lui permettant de contraindre Google à clarifier ses engagements. Elle a notamment annoncé avoir notifié à Google des griefs sur son comparateur de prix. Elle a pu démontrer que l’algorithme utilisé par le moteur de recherche avait favorisé le comparateur de prix de Google indépendamment de ses performances qui s’étaient trouvées améliorées, ce qui créait une discrimination par rapport aux autres acteurs. En même temps, une procédure formelle a été ouverte contre la plateforme mobile Android.

La Commission européenne prend donc ses responsabilités et c’est la commissaire à la concurrence Margrethe Vestager qui mène cette action. Le Gouvernement est constamment intervenu pour pousser la Commission à agir en ce sens. J’ai rappelé notre position lors de chacun de mes contacts avec la nouvelle commissaire. Nous avions été très exigeants avec le précédent commissaire, M. Almunia, à la fin de son mandat, afin qu’il ne conclue pas un compromis hâtif avec les opérateurs sans tests de marché, comme cela avait été à un moment envisagé. Nous continuons donc à avancer.

Je vous incite à retirer votre amendement pour une raison essentielle que vous connaissez parfaitement, madame Morin-Desailly : il s’agit d’un sujet européen. Le bon échelon d’intervention, à la fois en termes de compétences et de taille critique, n’est pas le niveau national, et vous l’avez vous-même écrit dans votre rapport, au mois de mars 2013 : « l’échelon national n’est assurément pas l’échelon pertinent pour appréhender la révolution numérique : seule l’Union européenne a la masse critique pour peser dans le cyberespace. »

C’est doublement vrai ! Tout d’abord, le problème que vous voulez aborder relève en fait de la compétence exclusive de la Commission européenne. Ensuite, l’Union européenne est le seul bon niveau d’intervention. En effet, on peut s’amuser à envoyer des signaux très forts à Google – et on le fait ! –, mais adopter des dispositions du type de la « taxe Google » revient à exposer des acteurs français à des mesures de représailles unilatérales et crée des biais dans l’avancée européenne.

Nous devons continuer à travailler pour convaincre les autres États membres. Dans quelques semaines, au-delà des engagements pris par les chefs d’État et de gouvernement, nous allons proposer un texte qui esquissera les grands traits d’une stratégie numérique franco-allemande pour éclairer la stratégie numérique que la Commission européenne doit annoncer au début du mois de mai. C’est la seule méthode efficace face à ces acteurs qui sont devenus des plateformes mondiales. D’ailleurs, leurs pays d’origine se posent aujourd’hui la même question que les États-Unis voilà plus d’un siècle au sujet de la Standard Oil, à savoir celle du démantèlement. Ces pays ont créé des champions dont les marchés critiques ne sont plus à la taille d’un État : c’est donc le marché européen qui doit être pris en compte si l’on veut « faire mal » à Google, si j’ose dire.

Je pense par conséquent que le procédé que vous avez choisi n’est pas pertinent et risque de déstabiliser l’action groupée qui doit être menée à l’échelon européen, conjointement aux acteurs que nous défendons, dans un dialogue constant avec la Commission européenne pour peser sur la définition de sa stratégie numérique.

Cela étant, vous proposez d’encadrer le comportement des moteurs de recherche en instaurant un régime d’obligations et de sanctions. Sur ce point, je souhaite entrer dans le détail, puisque je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous êtes sensibles à la fabrique du droit – j’ai aussi beaucoup appris sur ce point depuis dix jours !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Et ce n’est pas fini !

M. Emmanuel Macron, ministre. Pour qualifier juridiquement « un effet structurant sur le fonctionnement de l’économie numérique » qui entraînerait l’imposition d’une obligation, on peut se référer au droit de la concurrence, mais, dans ce cas, on est ramené au régime actuel. Le droit sectoriel, comme celui des télécommunications, recourt quant à lui à des analyses exhaustives des marchés en cause avant d’imposer des remèdes, parce qu’il repose sur la base du droit européen. Je pense donc que la qualification que vous retenez, madame Morin-Desailly, vous empêche de reprendre une simple notion de droit de la concurrence, parce qu’il s’agit du secteur des télécommunications et qu’il faudra aller plus loin.

Vous prévoyez ensuite quatre types d’obligations.

La première de ces obligations consisterait, en quelque sorte, à demander à Renault d’afficher sur le pare-brise de ses véhicules qu’il est aussi possible d’acheter une voiture de marque Peugeot ou Fiat. La Commission européenne vient de relever le biais que le moteur de recherche introduisait dans le fonctionnement du comparateur de prix. Une telle obligation ex ante que vous proposez d’imposer est à la fois peu praticable et exagérée. En outre, elle serait vraisemblablement jugée inconstitutionnelle, car elle porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.

La deuxième obligation vise l’information du consommateur. Sur ce point, je vous soutiens. Je pense que nous pouvons faire beaucoup dans ce domaine ; c’est d’ailleurs l’un de nos leviers d’action. Le manquement à cette obligation ne peut néanmoins pas faire l’objet du type de sanction que vous prévoyez, j’y reviendrai plus précisément.

La troisième obligation que vous proposez est au cœur de la procédure engagée par la Commission européenne, car elle est déjà couverte par le droit de la concurrence, à l’échelon national et européen. Il ne vous aura d’ailleurs pas échappé que la procédure européenne que je viens d’évoquer a franchi une étape importante avec la notification des griefs qui est intervenue hier : elle porte sur les conditions de traitement de ses propres services par Google, dans les résultats affichés par son moteur de recherche. L’ouverture d’une phase contentieuse va permettre d’avancer sur ce point. Je déplore comme vous les délais, mais cette étape est significative.

La quatrième obligation que vous prévoyez confond deux sujets : le moteur de recherche et la fourniture des systèmes logiciels pour les terminaux, comme le fait Google avec Android. Ce n’est plus le moteur de recherche qu’il faut encadrer, mais ces systèmes logiciels, ce qui montre que le sujet est bien plus large que le seul objet de votre amendement. Il faut appréhender cette question non seulement dans le cadre de la politique de la concurrence européenne, mais aussi dans une approche beaucoup plus englobante, qui traitera également des logiciels pour terminaux que ne mentionne pas votre amendement. Vous êtes déjà en retard par rapport à ce que Google a fait !

Ces réflexions m’amènent au deuxième volet de votre amendement, à savoir le régime de contrôle et de sanction. Vous proposez de confier ce rôle à l’ARCEP.

En premier lieu, je ne pense pas qu’il soit souhaitable de donner à un régulateur, dont la compétence est circonscrite aux télécommunications, une compétence générale de supervision du « bon fonctionnement des marchés de l’économie numérique », pour reprendre vos propres termes. En effet, le périmètre de ces marchés est évolutif et dépasse largement les compétences de l’ARCEP. J’en veux pour preuve que, à l’échelon européen, c’est non pas la direction générale sectorielle qui s’est saisie de ces sujets, mais bien la commissaire chargée de la concurrence. L’ARCEP n’est donc pas le bon levier.

Je ne vais pas m’exposer à de nouveaux reproches de votre part en disant que l’Autorité de la concurrence serait sans doute plus compétente ! (Sourires.) J’observe cependant que vous invoquez « l’effet structurant sur le fonctionnement de l’économie », qui est une notion de droit de la concurrence et non de droit des télécommunications que l’ARCEP est chargée de faire respecter. Il y a donc un décalage : vous utilisez la base juridique du droit de la concurrence pour fonder une obligation et vous demandez à un régulateur sectoriel de l’appliquer !

Ensuite, l’ARCEP se verrait dotée d’un pouvoir de sanction des moteurs de recherche. Or l’essentiel de son pouvoir de sanction en matière de télécommunications relève du cadre réglementaire européen, qui ne lui donne aucun pouvoir dans ce domaine et ne lui en donnera pas. Votre régime de sanctions risque donc d’être inopérant.

Plus globalement, l’amendement échappe à la logique sur laquelle sont fondées les différentes régulations sectorielles et qui permet justement de déroger à la liberté d’entreprendre. Or c’est là que nous voulons enfoncer un coin aujourd’hui. Cette logique impose d’identifier, à l’échelon européen, un marché pour lequel les remèdes concurrentiels ne permettent pas d’établir des conditions satisfaisantes de marché, de mettre en place un cadre réglementaire ad hoc et de déterminer au plan national des remèdes et leviers d’intervention ex ante permettant d’assurer un encadrement structurel ou comportemental des entreprises en cause. C’est cette base que nous souhaitons mettre en œuvre en Europe s’agissant des plateformes numériques, mais cela suppose de continuer la démarche sur le terrain de la concurrence et de construire cette feuille de route numérique qui n’existe pas encore. Cette politique a été esquissée par le Conseil européen de l’automne 2013 qui a posé le principe des plateformes numériques, des places de marché, des systèmes d’exploitation, mais il faut maintenant construire ses éléments de droit.

Vous l’avez bien compris, madame Morin-Desailly, je vise le même objectif que vous, mais je pense que la méthode que vous avez adoptée n’est pas la bonne. En effet, elle est défaillante et sera donc inopérante. En plus, elle se trouve en décalage.

Si l’on envisage la situation de l’opérateur que vous voulez réguler, Google, il ne se trouve pas en France, où il n’a qu’une régie publicitaire ; il n’a même pas de moteur de recherche en tant que tel qui soit situé dans notre pays. Par conséquent, les dispositions que vous voulez introduire se heurteraient à ces limites de même qu’au droit européen. En effet, les autorités communautaires ne manqueraient pas d’y voir des mesures contraires au principe de libre prestation au sein de l’Union européenne. Paradoxalement, si cet amendement était adopté, nous serions pris à contre-pied !

Néanmoins, que faire ? Selon moi, il nous faut continuer avec vigueur. Le débat que nous avons montre toute la sensibilité de ce sujet. Il faut donc le poursuivre fortement, médiatiquement, l’accompagner, montrer la préoccupation de la Haute Assemblée et celle du Gouvernement – je veux en cet instant la réaffirmer – pour aller en ce sens, et plus vite.

Cela, la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, l’a compris, et elle a pris depuis le début de ses fonctions toutes ses responsabilités sur ce dossier. Celui-ci, en effet, était plutôt mal emmanché...

Mme Nicole Bricq. C’est clair !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je veux ici rendre hommage à Mme Vestager. Lors de ma première rencontre avec elle, cela faisait seulement deux jours qu’elle occupait ses fonctions ; elle s’est pourtant engagée à prendre en compte nos revendications sur ce sujet et à défendre les intérêts français, qui sont nombreux. Et ces engagements, elle les a tenus.

Nous devons donc continuer à avancer dans cette direction, en trouvant éventuellement des éléments à l’échelon national. Pour ma part, je suis prêt à vous suivre, même si je pense que le présent amendement ne convient pas.

Une autre voie me semble mieux convenir, et il conviendrait de l’expertiser. Il s’agit de l’amélioration de la protection des droits des utilisateurs français, point sur lequel je souhaite conclure.

En effet, la bonne approche pour réguler les opérateurs et les plateformes se situe au plan européen et non français, car les acteurs ne se trouvent pas dans notre pays et parce que nous n’avons pas de levier.

Cette bonne approche, elle doit être le fait des utilisateurs. C’est ainsi que nous parviendrons à rattraper ces grands groupes dont nous parlons, lesquels – c’est là le plafond de verre de notre raisonnement ! – ne sont pas à Bruxelles, Berlin ou Londres, mais à Mountain View, en Californie !

Nous devons donc, encore une fois, avancer beaucoup plus vite et avec plus de force sur la question du droit des utilisateurs.

La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation nous fournit une base juridique. Au chapitre Ier du titre I du livre Ier du code de la consommation, dans sa rédaction résultant de son article 147, elle a en effet inséré un article L. 111-5 réglementant les comparateurs de prix qui ont leur siège en France. Je vous renvoie à sa lecture.

Aux termes de ce texte, la voie à suivre ne consiste pas à réguler la plateforme, ce qui est du ressort de l’Union européenne, mais à donner aux individus des droits qu’ils puissent faire valoir. C’est sur cette base que nous devons avancer, d’abord en lançant des contrôles, comme nous avons commencé à le faire – j’ai pu saisir, sur ce fondement, l’Autorité de la concurrence –, ensuite en travaillant à une amélioration du cadre législatif, pour aller plus loin.

Je m’engage, pour ma part, devant le Sénat, à examiner les moyens de renforcer la défense des droits des utilisateurs.

Toutefois, je le répète, les voies et moyens prévus dans votre amendement ne sont pas les bons, ni en opportunité ni en droit, pour aller dans le sens que vous souhaitez. Voilà pourquoi, madame Morin-Desailly, je vous demande de le retirer, et j’espère que mes explications vous auront convaincue.

Mme Catherine Deroche et M. François Pillet, corapporteurs. Très bien !

M. le président. Mes chers collègues, il nous faudra suspendre la séance à treize heures. Or nous devons entendre un certain nombre d’explications de vote. De deux choses l’une, donc, ou bien les orateurs s’efforcent d’être succincts, ou bien je serai contraint d’interrompre la séance au beau milieu des interventions.

La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Le ministre a fait des propositions argumentées. Nous souhaitons tous dissocier le débat sur le moteur de recherche de celui qui est relatif aux produits d’application. Cet objectif est également partagé par l’Autorité de la concurrence européenne.

La commissaire européenne à la concurrence a repris un dossier qui avait été complètement encalminé par l’ancien commissaire, Joaquin Almunia, qui – était-ce volontaire ou non ? – ne s’était pas occupé de cette affaire, et elle a agi.

Il faudrait donc que Mme Morin-Desailly nous dise ce qu’elle répond à l’argumentation de M. le ministre et à ses propositions de travail.

L’objectif des deux grands régulateurs, l’Europe et les États-Unis, est, à terme, d’aboutir à la neutralité des plateformes. Tel n’est pas le cas à l’heure actuelle : il est clair que Google écrase la concurrence. Dans le secteur du voyage, que je connais bien, plus de la moitié du marché est occupée par internet. Comme Google a son propre service de voyages, je vous laisse imaginer les performances qu’il peut réaliser grâce à son moteur de recherche...

En France, nous disposons d’une très belle pépite. Il faudrait qu’elle puisse grandir – c’est l’un de nos problèmes ! – et devenir, demain, un grand groupe. En outre, dans le cadre du travail que nous menons avec les Allemands, nous devons faire en sorte d’avoir un champion européen. Nous avons pris trop de retard en la matière.

Je considère que l’amendement de Mme Morin-Desailly est la traduction d’un signal que la France veut donner par rapport à ces objectifs, que nous partageons tous. Il est clair, cependant, que nous nous situons dans le contexte du droit européen. Or il se trouve que, hier soir, la commissaire Vestager a agi pour la première fois, et Google a deux mois pour lui répondre.

Il y a donc une volonté politique, à l’échelon européen, de régler ce problème. Il est clair, aussi, qu’il y a une volonté politique française, comme en atteste cet amendement. J’attends donc la réponse de Mme Morin-Desailly.

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour explication de vote.

M. Jean Bizet. Vous avez totalement raison, monsieur le ministre, de considérer que le bon échelon d’intervention est le niveau européen. Mais la réaction de la Commission est toute récente ! Vous connaissez le jugement que je porte tant sur l’Autorité de la concurrence communautaire que sur ses déclinaisons nationales...

Il est vrai que le précédent commissaire à la concurrence n’avait pas sur ce sujet, pas plus que sur nombre d’autres, de vision européenne ou mondiale.

M. Marc Daunis. C’est indéniable !

M. Jean Bizet. Ayant eu l’occasion, avec le président Larcher, de rencontrer M. Juncker, ainsi que, très récemment, le commissaire à l’économie numérique, Günther Oettinger, je puis vous dire que ce sujet compte parmi les dossiers phares, prioritaires, de la Commission européenne.

Cet amendement fondamental, auquel j’ai adhéré et que j’ai cosigné, permet de lancer le débat. Mais il nous faut aussi, et c’est très important, récupérer la gouvernance européenne de l’internet, car l’Europe ne saurait être une colonie numérique d’un certain nombre d’opérateurs.

Comme l’a dit Catherine Morin-Desailly, les algorithmes ne sont ni objectifs ni infaillibles, mais ils sont le bras armé de ces opérateurs, dont la plupart – ce n’est sans doute pas un hasard ! – sont américains.

Nous avons sur la place de Paris un enseignement en mathématiques fondamentales d’une qualité exceptionnelle, on parle même de l’« École de Paris ». Quant aux chercheurs et ingénieurs français, ils sont particulièrement appréciés dans le monde informatique. Il ne nous reste donc plus qu’à gravir un deuxième échelon : se réapproprier la gouvernance de l’internet. Il nous faut y réfléchir.

Je prends note de votre volonté, monsieur le ministre, de mettre votre ministère au service de cette réflexion en vue de trouver une solution. Celle-ci, c’est bien évident, ne pourra être que de dimension européenne. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.

M. Éric Bocquet. Bien que n’étant pas supporter de l’Olympique de Marseille, j’irai droit au but ! (Sourires.)

Si cet amendement est maintenu, comme nous le souhaitons, nous le voterons. Il serait donc adopté, comme vous l’aviez prévu, monsieur le ministre, et ce à l’unanimité. C’est notre souhait !

Tout d’abord, cet amendement est pertinent. Il est positif, en effet, que ce sujet arrive dans la sphère politique, laquelle doit s’en emparer.

Il ne s’agit pas de nier l’importance de l’aspect économique de ces questions, mais il a été démontré au cours des derniers mois et des dernières années que la problématique des grands groupes a bousculé considérablement la sphère économique en France, en Europe et dans le monde. Le « Politique », avec un grand P, doit donc s’emparer de ce sujet, c’est une évidence.

Les Américains le font, et les Britanniques aussi. Souvenez-vous, mes chers collègues, de ces interviews musclées menées au Parlement britannique par la parlementaire travailliste Margaret Hodge, qui interrogeait, en les secouant un peu, les dirigeants de Starbucks, Google, etc. Cela faisait du bien, même si cela ne réglait pas tous les problèmes !

Jean Bizet vient d’ajouter un deuxième volet à ce dossier : la gouvernance de l’internet. J’appuie tout à fait sa démarche.

J’y ajouterai, pour ma part, un troisième élément : le volet fiscal, dont on ne peut pas faire abstraction.

Ces derniers temps, au sein de l’Europe, un certain nombre de questions se sont posées. Je pense à l’affaire LuxLeaks, dans laquelle des rescrits fiscaux très avantageux ont été accordés par l’un de nos partenaires historiques de l’Union européenne à de grands groupes, notamment du secteur de l’internet.

Ce problème apparaît donc aujourd’hui dans la sphère politique ; il faut s’en féliciter.

Rappelons tout de même que le groupe qui fabrique nos téléphones intelligents, devenus nos compagnons inséparables, ne paie que 2 % d’impôt ! C’est une vraie question... Car si les États, et eux seuls, peuvent lever l’impôt, c’est pour défendre l’intérêt général et développer une société un peu plus humaine, ou un peu moins inhumaine.

Si cet amendement pertinent était maintenu, je le répète, nous le voterions très volontiers.

M. le président. La parole est à M. Marc Daunis, pour explication de vote.

M. Marc Daunis. Ce débat est très important. Ce qui est en jeu avec la position dominante de Google et son incidence sur l’économie, c’est bien sûr la question du moteur de recherche et des applications qui y sont liées, mais aussi la recherche européenne dans le domaine du numérique.

Aujourd’hui, du fait de cette position dominante, ce sont des pans entiers de l’innovation dans le domaine du numérique qui sont tués dans l’œuf. Je le vois bien dans mon département, avec la technopole de Sophia Antipolis : les start-up de ce secteur connaissent des difficultés objectives de développement.

Votre réponse, monsieur le ministre, est juridiquement implacable, du fait de sa rigueur et de sa cohérence. Vous avez aussi posé la question essentielle : que faire ? Nous ne pouvons pas, en effet, rester les bras ballants !

On constate une évolution. Je note même que le Sénat américain a lancé une enquête sur l’échec de la régulation, notamment à l’égard de Google.

Il me paraît important, cependant, que nous adoptions cet amendement, en dépit des imperfections, réelles, qui ont été mises au jour. Faisant cela, d’une part, nous répondrons à la demande du ministre, qui souhaite qu’un travail soit mené en la matière, et, d’autre part, au-delà de la navette parlementaire, nous aurons marqué dès aujourd’hui une volonté, et le Sénat aura accompli un acte fort.

Il nous faut désormais rédiger une réponse mieux construite juridiquement et, en liaison avec le Gouvernement, trouver la réponse la plus adéquate et la plus adaptée. En tant que parlementaire, je n’aime pas beaucoup ce type de démarche, mais, compte tenu de l’importance du sujet, je suis prêt à m’y plier. Cela me paraît être la moins mauvaise solution, au vu de cette situation extrêmement préoccupante pour l’avenir de la recherche européenne en matière de numérique. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

M. Jean Bizet. Très bien !

Mme Nicole Bricq. Il faut le dire, nous n’avons rien fait dans ce domaine...

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Leleux. Ce sujet, nous en sommes tous convaincus, est de dimension européenne.

Oui, il faut soutenir et encourager, tant que faire se peut, la création en Europe d’un groupe international puissant, qui puisse rétablir une forme de concurrence loyale avec les grands opérateurs américains.

Oui, nous constatons que la Commission européenne a fait, hier, preuve d’ouverture.

Mais n’oublions pas que – et c’est la raison pour laquelle je souhaite que Mme Morin-Desailly maintienne son amendement –,...

M. Jean Bizet. Très bien !

M. Jean-Pierre Leleux. ... si la doctrine européenne avance, c’est parfois sous les coups de boutoir de nos amendements, de nos propositions de résolution, de nos propositions de loi !

Même si cet amendement n’est destiné qu’à faire avancer la situation, sans pour autant aboutir immédiatement, je pense qu’il faut le maintenir, car c’est un signal supplémentaire envoyé à la Commission européenne. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Constatons que les États-Unis défendent mieux leurs intérêts que nous : jusqu’à présent, la Commission européenne a consacré autant d’énergie et d’entrain à ouvrir nos frontières à la concurrence américaine qu’à constituer l’Europe en tant que puissance autonome !

Lorsque l’on veut enterrer une question, on nomme une commission, disait-on autrefois. Aujourd’hui, on fait du droit ! Peut-être faudrait-il faire, aussi, autre chose… Ce problème, en effet, n’est pas seulement juridique ou technique. Nous l’avons tous dit, c’est un problème politique. Nul ne sait ce qu’il deviendra. C’est en tout cas une façon de dire à la Commission européenne que nous en avons assez de ce qui se passe et qu’il est temps d’agir. Est-ce pour autant la bonne méthode ?

Ce message politique est tout sauf anodin. Pour une fois que nous pouvons apporter notre concours à la Commission européenne et la soutenir ! Pour ma part, je ne veux pas manquer ce plaisir ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je maintiens bien évidemment cet amendement. J’ai écouté avec beaucoup d’attention la réaction de mes collègues et les différents points de vue qui se sont exprimés.

Monsieur le ministre, j’ai conscience que cet amendement n’est pas parfait, mais, d’ici à la commission mixte paritaire, nous avons le temps d’en améliorer ensemble la rédaction, poursuivant ainsi le travail collectif qui a été accompli au Sénat. En effet, cette proposition n’arrive pas par hasard : elle est le fruit de quatre ans de travail de la commission des affaires européennes, de la mission commune d’information sur le nouveau rôle et la nouvelle stratégie pour l’Union européenne dans la gouvernance mondiale de l’internet à laquelle ont participé de nombreux collègues issus de diverses commissions et appartenant à des groupes politiques différents. Sur le diagnostic comme sur les propositions à formuler, l’unanimité a toujours prévalu.

Nous ne cessons de le répéter depuis des années : tout se joue à l’échelon européen. D’ailleurs, ce n’est pas le seul chantier à mener. Pour un meilleur partage de la valeur ajoutée, il faut une démarche offensive de la régulation de l’écosystème numérique qui joue à la fois sur le levier de la fiscalité et sur celui de la juste concurrence. Cela suppose aussi un régime réaliste de protection de nos données personnelles.

Le lobbying outre-Atlantique est tel que, aujourd’hui, le règlement relatif aux données n’est toujours pas adopté, alors qu’il était sur le point d’aboutir. Or les données personnelles, c’est l’or noir du numérique, c’est ce qui alimente la machine de guerre en quelque sorte.

Il ne faut pas oublier non plus l’éducation et la formation au numérique, ainsi qu’une politique industrielle extrêmement puissante pour faire émerger des champions européens.

Monsieur le ministre, sur tous ces chantiers, nous souhaitons continuer à travailler et faire avancer les choses. Malheureusement, les procédures européennes sont extrêmement lentes. Certes, une enquête vient d’avoir lieu et la liste des griefs a été communiquée, mais combien de temps faudra-t-il encore avant que cette affaire ne soit réglée ?

Nous connaissons aussi l’habileté du lobbying de Google auprès des autorités bruxelloises pour tenter des négociations, endormir les uns les autres par de belles promesses. Cette stratégie a échoué.

Pour ma part, je considère qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Cet amendement doit être envisagé comme un marchepied à notre participation au débat européen. Cela me semble essentiel. Comment rester les bras ballants alors que tant d’entreprises nous signalent leurs difficultés, nous expliquent que les moteurs de recherche structurants ont désormais droit de vie ou de mort sur leur activité ? Or de telles pratiques sont contraires à la liberté de commercer, à la liberté de choix du consommateur. Il y a donc urgence à agir dans ce domaine.

Selon certains de mes collègues, les dispositions de cet amendement poseraient un problème de constitutionnalité au regard de la politique européenne de la concurrence.