Mme Annie David. Nous avons déjà présenté des amendements similaires en séance publique par le passé. À l’encontre des tendances récentes, ils tendent à rendre aux salariés des droits qui, au fil du temps, ont été supprimés.

Ainsi, l’amendement n° 1337 rectifié vise à mieux encadrer les licenciements boursiers, comme nous les appelons. Nous voulons empêcher ces pratiques qui constituent à licencier des salariés pour augmenter les dividendes des actionnaires.

L’amendement n° 1310 a pour objet les accidentés du travail. Nous avons déjà déposé plusieurs fois cette disposition depuis la loi de finances de 2010. Nous proposons par cet amendement que les indemnités journalières qui sont versées par la sécurité sociale aux victimes d’un accident du travail ne soient pas soumises à l’impôt. Tel était le cas jusqu’à la loi de finances de 2010 : nous voulons donc restaurer ce droit alors supprimé pour les salariés accidentés.

L’amendement n° 1311, quant à lui, vise à affecter les dividendes aux salaires en cas de chômage partiel. Dans mon département, il y a déjà quelque temps, une grosse entreprise – Caterpillar, pour ne pas la nommer – procédait à des licenciements alors même que les dividendes de ses actionnaires augmentaient, ce qui est à nos yeux tout à fait injuste et indécent. Verser les dividendes aux salariés qui sont en chômage partiel nous semblerait à la fois logique et juste pour ces travailleurs.

L’amendement n° 1313 rectifié a pour objet les règles de licenciement et de reclassement. Comme nous venons d’adopter un article somme toute à l’opposé de cet amendement, je ne me fais guère d’illusions sur son sort. Il nous semble important néanmoins de le défendre, puisqu’il vise, là encore, à garantir, en cas de licenciement et de reclassement, le respect tant des droits des salariés que du droit à l’information des organisations syndicales.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Les auteurs de l’amendement n° 1337 rectifié souhaitent que la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ne puisse plus constituer le motif économique d’un licenciement. La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation la considère pourtant de longue date comme une justification valide. L’avis de la commission spéciale est donc défavorable.

L’amendement n° 1310 vise à interdire la déduction des cotisations accidents du travail-maladies professionnelles, ou cotisations AT-MP, de l’assiette des bénéfices industriels et commerciaux. Contrairement à ce que vous affirmez, madame David, cet amendement ne met pas un terme à la fiscalisation des indemnités journalières, qui est un sujet dont nous pourrons débattre de manière tout à fait justifiée à l’occasion du projet de loi de finances. Nous émettons donc un avis défavorable.

L’amendement n° 1311 vise quant à lui à affecter prioritairement les sommes distribuables initialement consacrées aux dividendes au maintien du salaire des salariés au chômage partiel. Cette disposition est issue d’une proposition de loi déposée par le groupe CRC en mars 2009. Or depuis cette date le chômage partiel a subi une profonde réforme ; il est devenu l’activité partielle dans le cadre fixé par l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013. Il n’a pas semblé souhaitable à la commission spéciale de modifier ce régime et de confondre bénéfices distribuables et rémunération des salariés : son avis est donc défavorable.

Enfin, pour ce qui est de l’amendement n° 1313 rectifié, la loi de sécurisation de l’emploi a apporté quatre grands changements en matière de PSE. Elle a introduit la possibilité de conclure un accord d’entreprise majoritaire pour définir le contenu du plan. Elle a simplifié les délais de consultation du comité d’entreprise. Elle a renforcé les prérogatives de l’administration du travail, qui doit désormais valider les accords PSE ou homologuer les documents unilatéraux de l’employeur. Enfin, elle a confié au juge administratif la compétence de contrôle de ces nouvelles décisions administratives relatives aux procédures de licenciement économique collectif et aux PSE, tout en conservant la compétence du juge prud’homal pour les litiges individuels des salariés licenciés pour motif économique.

Le bilan de cette réforme majeure doit être tiré par les partenaires sociaux, mais les premiers éléments rendus publics sont encourageants. La commission spéciale a émis par conséquent un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. En ce qui concerne l’amendement n° 1337 rectifié et la définition du licenciement économique, je développerai une argumentation juridique, avant de faire une remarque politique.

Cet amendement vise explicitement à restreindre les motifs de licenciement économique aux cessations d’activité, aux difficultés économiques et aux mutations technologiques. Une entreprise qui verserait des dividendes, donc ne serait pas alors en situation de crise, ne pourrait donc pas procéder à des licenciements.

Or les enjeux et les contraintes auxquels font face les entreprises, qui peuvent être amenées à licencier du fait de multiples facteurs, les conduisent parfois dans cette situation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le juge judiciaire lui-même a élargi la définition du motif économique par le critère de sauvegarde de la compétitivité. C’est cette zone grise que vous viendriez faire disparaître.

J’ajouterai une remarque politique : je comprends parfaitement l’indignation éprouvée lorsqu’une entreprise verse des dividendes et prend simultanément des mesures de licenciement : la semaine dernière encore, une société cotée française annonçait ainsi licenciements et fermetures de sites.

Face à de telles situations, deux réponses sont possibles. Tout d’abord, les dividendes sont souvent versés l’année n au titre de l’année n-1. Telle est la première difficulté à considérer dans la lecture de cette séquence. Je pense donc qu’il faut être vigilant.

Je ne sais pas comment l’exprimer dans le droit, mais partout où l’État est actionnaire, le Gouvernement veillera à ce que nul dividende ne soit versé durant une année d’exercice où un plan collectif serait mis en œuvre et où des efforts seraient demandés aux salariés ; cela serait inconcevable ! C’est un principe fort, que vous avez raison de défendre, mais le décalage dans le temps des exercices rend parfois la chose illisible.

La seconde réponse, qui est cruciale à mes yeux, consiste à trouver la bonne articulation entre l’AME défensif et le PSE. Comme j’ai pu l’expliquer la semaine dernière, lorsque le collectif productif qui réunit les actionnaires, les dirigeants et les salariés engage des efforts, il faut parvenir à ce qu’il y ait le moins de licenciements possible. Il faut travailler dans ce domaine d’abord pour préserver l’entreprise et éviter les licenciements.

Je suis défavorable à cet amendement, parce que le dispositif proposé introduirait dans la loi une rigidité contreproductive. Je pense néanmoins qu’il faut continuer à faire preuve de pédagogie et à être exigeant à l’égard des acteurs au cas par cas. Je ne sais pas comment l’écrire dans la loi, malgré nos efforts, mais je m’engage sur ces deux voies.

D'une part, nous devons d’une part toujours trouver les voies et les moyens d’aboutir à de bons AME défensifs pour ne pas détruire de l’emploi : en effet, c’est de la casse sociale, de la casse de capital humain et de la casse de capital productif ! D’autre part, il faut que les versements de dividendes se fassent de manière responsable.

Je n’ai pas d’ajout à faire sur les amendements nos 1310 et 1311 ; le Gouvernement émet donc le même avis défavorable que la commission sur ces amendements.

Enfin, je partage les préoccupations exprimées lors de la présentation de l’amendement n° 1313 rectifié, qui vise à compléter l’information des salariés. En effet, il est indispensable de s’assurer que les employeurs respectent bien leurs devoirs en matière de licenciement, qu’ils ne contournent pas l’obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi, ou PSE, et qu’ils informent réellement les salariés.

Toutefois, il me semble que l’article 99 du présent texte répond davantage à ce souci, parce qu’il assure l’effectivité du contrôle exercé par l’administration sur les licenciements économiques et sur le respect des obligations de l’employeur, sans alourdir pour autant la procédure de licenciement.

Il serait utile d’améliorer la rédaction de cet amendement, en créant un dispositif renforcé de « codétermination », dont les modalités pourraient être définies dans le cadre du travail qui devra être mené prochainement en matière de représentation des salariés. Cette suggestion renvoie en effet à l’objet de l’amendement défendu la semaine dernière par Mme Assassi, sur lequel j’ai indiqué qu’il conviendrait d’avancer dans les semaines à venir.

Grâce à l’article 99, d’une part, et à une meilleure représentation des salariés dans les conseils d’administration, d’autre part, nous devrions atteindre l’objectif que vous défendez, en évitant de complexifier la procédure de licenciement comme tendrait à le faire votre amendement.

Je demande donc le retrait de l’amendement n° 1313 rectifié, sur quel, à défaut, j’émettrais un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Monsieur le ministre, j’entends bien vos arguments, que partage d’ailleurs pour moitié Mme la corapporteur, puisque vous avez émis deux avis presque identiques.

Je reviendrai brièvement sur l’amendement n° 1337 rectifié, qui vise les licenciements boursiers. Je connais bien l’arrêt de la Cour de cassation, qui admet que « lorsqu’elle n’est pas liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation peut constituer un motif économique si elle nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ou du secteur d’activité du groupe à laquelle elle appartient ».

Cependant, la rédaction de l’arrêt est tellement floue qu’il est possible de l’interpréter comme on le souhaite. Sauvegarder la compétitivité du secteur d’activité peut en effet signifier bien des choses ! Certaines entreprises ont ainsi la possibilité de licencier des salariés, au motif que cela permettrait de sauvegarder leur compétitivité.

Pour notre part, nous ne partageons pas du tout cette conception des choses, car les salariés font malheureusement trop souvent les frais de stratégies à court terme qui permettent aux actionnaires de bénéficier d’un rendement à deux chiffres. C’est du moins ce que nous disent les salariés dans les entreprises. Par conséquent, je maintiendrai l’amendement n° 1337 rectifié.

S’agissant de l’amendement n° 1313 rectifié, nous avons bien compris les arguments du ministre et sa demande de retrait. Néanmoins, nous demandons que l’information des salariés soit garantie dans toutes les entreprises, et pas uniquement dans les grandes entreprises. Si ces dernières ont des conseils d’administration auxquels participent parfois les salariés, non sans une véritable utilité, il faut reconnaître que ceux-ci se trouvent jusqu’à présent dans une situation quelque peu inconfortable, car ils sont tenus au secret des délibérations.

Si, à l’avenir, on parvenait à donner aux salariés un rôle plus actif au sein des conseils d’administration, ce serait certes satisfaisant, mais cela ne répondrait pas à la demande d’information qui nous semble nécessaire pour l’ensemble des entreprises lorsqu’elles sont concernées par des plans de licenciement ou par des questions qui affectent leur organisation.

Je maintiendrai donc également cet amendement, dans l’attente d’éventuelles avancées qui pourraient intervenir en matière d’information des instances représentatives des personnels, à la suite des travaux de la commission Combrexelle.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Je m’abstiendrai sur les amendements nos 1337 rectifié et 1310 et voterai pour les amendements nos 1311 et 1313 rectifié.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1337 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1310.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1311.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1313 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Articles additionnels après l'article 98
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Article 100 (Texte non modifié par la commission)

Article 99

(Non modifié)

Au premier alinéa de l’article L. 1233-53 du code du travail, les mots : « et les entreprises de cinquante salariés et plus lorsque le projet de licenciement concerne moins de dix salariés dans une même période de trente jours » sont supprimés.

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.

M. Thierry Foucaud. Selon les corapporteurs de la commission spéciale, cet article résulte de la correction d’une erreur matérielle introduite à la faveur du vote de la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Cette loi disposerait que la procédure de consultation des représentants du personnel et le contenu des mesures de reclassement relèvent du contrôle de la DIRECCTE, y compris pour les licenciements de moins de dix salariés qui interviennent dans une entreprise de cinquante salariés et plus.

L’article 99, s’il était adopté, limiterait le contrôle de l’administration aux licenciements de dix salariés et plus dans une entreprise de moins de cinquante salariés. Or, même s’il s’agit d’une coquille, nous sommes favorables à l’existence d’un contrôle administratif dans les entreprises de cinquante salariés et plus lorsque le licenciement concerne moins de dix salariés dans une période de trente jours.

Nous profitons donc de l’examen de cet article pour demander le maintien de la possibilité d’un contrôle de l’administration.

Il s’agirait non pas de créer des obligations administratives supplémentaires qui seraient insupportables pour les entreprises, mais simplement d’établir une possibilité de recours pour les salariés en cas de licenciement. Si, dans cette perspective, les moyens actuels des DIRECCTE ne sont pas suffisants, nous sommes bien entendu tout à fait favorables à l’augmentation des fonctionnaires travaillant dans ces services pour exercer le contrôle des licenciements des entreprises.

M. le président. L'amendement n° 89, présenté par Mmes Assassi et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Cet amendement tend à supprimer l’article 99, qui corrige pourtant une erreur matérielle : en effet, la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi n’avait pas pour objet de modifier les règles relatives aux « petits licenciements économiques » – entre deux et neuf salariés sur une période de moins de trente jours – dans les entreprises employant plus de cinquante salariés.

En vertu de l’article L. 1233-19 du code du travail, « l’employeur qui procède à un licenciement collectif pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours » doit déjà informer « l’autorité administrative du ou des licenciements prononcés ». Cette information a pour but d’éviter le contournement des règles du PSE, au travers de la technique du « saucissonnage », qui consiste à fractionner les licenciements dans le temps, afin d’éviter de licencier plus de dix salariés sur une période de trente jours dans les entreprises de plus de cinquante salariés.

J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Nous pourrions retirer cet amendement si vous nous assuriez, monsieur le ministre, que la rédaction de l’article L. 1233-53 du code du travail, dans lequel se trouvent actuellement les dispositions sur les petits licenciements économiques que nous examinons, est aussi complète que celle de l’article L. 1233-19 du même code, dans lequel l’article 99 envisage de les transférer. En effet, cela ne nous semble pas être le cas aujourd’hui. Nous sommes inquiets vis-à-vis des garanties qui seront apportées au contrôle exercé par l’administration.

Si nous avons conscience que de telles dispositions devraient être placées dans une section qui correspond aux types d’emploi et de licenciement concernés, nous considérons que les contrôles en matière de licenciement et de droit des salariés sont moins importants dans cette section-là. Notre préoccupation est réelle, car nous craignons que, à la faveur de ce transfert, vous effaciez une partie des contrôles qui doivent être assurés par l’inspection du travail et l’autorité administrative.

Si vous nous garantissez, monsieur le ministre, que les droits des salariés resteront équivalents d’une section à l’autre, nous sommes prêts à retirer notre amendement. En revanche, si le doute n’était pas levé, nous le maintiendrions.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Je vais lever vos doutes, madame David, et vous apporter la garantie qu’il y aura toujours autant de droits reconnus et de contrôles.

La loi relative à la sécurisation de l’emploi est à l’origine d’une erreur matérielle à l’article L. 1233-53 du code du travail, qui a conduit à déplacer le contrôle de l’administration sur les petits licenciements collectifs ne donnant pas lieu à un PSE.

En effet, un contrôle a priori de l’administration, c’est-à-dire avant notification des licenciements aux salariés, a été introduit pour les licenciements de deux à neuf salariés par période de trente jours dans les entreprises de cinquante salariés et plus, alors même que le contrôle a posteriori était maintenu.

Avec l’article 99, on revient en fait au statu quo ante, en rétablissant le droit préexistant à la loi de sécurisation de l’emploi. Je vous prie de bien vouloir m’excuser pour la complexité de mon propos, mais cette « erreur de plume » a créé, dans les faits, une double procédure pour les licenciements de moins de dix salariés, à savoir une homologation à la fois ex ante et ex post.

Désormais, le dispositif exclut les licenciements de moins de dix salariés, comme cela était prévu dans la loi. On revient ainsi au même degré de contrôle et de garantie qu’avant l’entrée en vigueur de la loi relative à la sécurisation de l’emploi.

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.

M. Thierry Foucaud. Nous souhaitions nous assurer que la section du code du travail qui accueille les dispositions sur les petits licenciements économiques assure un « mieux-disant » pour les salariés concernés.

Compte tenu de la réponse de M. le ministre, nous retirons cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 89 est retiré.

L'amendement n° 539 rectifié ter, présenté par MM. Vincent, Antiste et D. Bailly, Mmes Cartron, Emery-Dumas et Monier et MM. Tourenne, Yung, Delebarre, Chiron et Vandierendonck, est ainsi libellé :

Remplacer le mot :

dix

par le mot :

vingt-cinq

et le mot :

trente

par le mot :

soixante

La parole est à M. Maurice Vincent.

M. Maurice Vincent. Je retire également mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 539 rectifié ter est retiré.

Je mets aux voix l'article 99.

(L'article 99 est adopté.)

Article 99 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Article 101

Article 100

(Non modifié)

I. – À la fin du premier alinéa de l’article L. 1233-4 du code du travail, les mots : « dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient » sont remplacés par les mots : « sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l’entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie ».

II. – L’article L. 1233-4-1 du même code est ainsi rédigé :

« Art. L. 1233-4-1. – Lorsque l’entreprise ou le groupe dont l’entreprise fait partie comporte des établissements en dehors du territoire national, le salarié dont le licenciement est envisagé peut demander à l’employeur de recevoir des offres de reclassement dans ces établissements. Dans sa demande, il précise les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. L’employeur transmet les offres correspondantes au salarié ayant manifesté son intérêt. Ces offres sont écrites et précises.

« Les modalités d’application du présent article, en particulier celles relatives à l’information du salarié sur la possibilité dont il bénéficie de demander des offres de reclassement hors du territoire national, sont précisées par décret. »

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le projet de loi tend à réduire le périmètre dans lequel le respect de l’obligation de reclassement est apprécié.

Depuis 2010, l’employeur doit interroger les salariés menacés de licenciement sur leur souhait de recevoir ou non des offres de reclassement à l’étranger, et les inviter à préciser, le cas échéant, leurs restrictions en termes de mobilité géographique et de niveau de rémunération. Il peut ensuite adapter ses propositions de reclassement en fonction des souhaits exprimés, l’absence de réponse du salarié équivalant à un refus de recevoir toute offre d’emploi à l’étranger.

Désormais, l’obligation de l’employeur se limitera à proposer au salarié les seuls emplois disponibles situés sur le territoire national, et non plus ceux qui le sont dans les établissements ou les entreprises situés à l’étranger.

Lorsque l’entreprise est transnationale ou appartient à un groupe transnational, il appartiendra dorénavant au salarié dont le licenciement est envisagé de demander à avoir accès à la liste précise des offres d’emplois situés hors du territoire national, qui sont disponibles dans l’entreprise ou dans les autres entreprises du groupe auquel elle appartient. Le salarié devra donc prendre l’initiative de demander à recevoir les offres de reclassement à l’étranger, en précisant les restrictions qu’il entend faire valoir en matière de rémunération et de localisation.

À notre sens, il est anormal que, dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, la responsabilité de demander à connaître les postes disponibles à l’étranger revienne au salarié.

Le faible nombre de salariés préférant poursuivre leur activité dans un établissement à l’étranger n’est pas un motif suffisant pour déresponsabiliser davantage les entreprises sur leur obligation de reclassement des salariés.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 90 est présenté par Mmes Assassi et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 173 rectifié est présenté par Mmes Lienemann et Claireaux et MM. Durain et Cabanel.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour présenter l’amendement n° 90.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le dépôt de cet amendement découle de l’inquiétude que je viens d’exprimer. Nous demandons la suppression de l’article 100, qui modifie les articles L. 1233-4 et L. 1233-4-1 du code du travail. Cet article vise en effet à inverser la responsabilité du reclassement dans le cadre d’un PSE entre employeur et salarié.

Dans sa rédaction actuelle, l’article L. 1233-4 impose à l’employeur d’informer le salarié d’éventuelles offres d’emplois hors du territoire national. Le salarié est libre d’accepter ou de refuser ces offres et peut opposer des restrictions, notamment en matière de rémunération et de localisation.

Quant à l’article L. 1233-4-1 du code du travail, créé par la loi du 18 mai 2010 visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement et modifié par l’article 100 du projet de loi, il est destiné, selon les parlementaires ayant présenté la proposition de loi dont la loi du 18 mai 2010 est issue, à prévenir les offres de reclassement indignes, comme celles qui ont été proposées aux salariés de Continental et d’Olympia : quelque 173 euros mensuels en Tunisie pour les premiers, quelque 110 euros mensuels en Roumanie pour les seconds.

En mai 2010, lors de la discussion de la proposition de loi au Sénat, notre groupe avait dénoncé un texte ayant « pour unique objet de nous cacher l’immense indécence que constitue le dumping social mondial, qui s’aggrave chaque jour et encourage les entreprises occidentales à faire fabriquer à l’étranger, à des coûts salariaux vingt à trente fois moindres ».

Au cours du même débat, notre ancienne collègue Jacqueline Alquier, prenant la parole au nom du groupe socialiste, avait conclu son discours par ces mots : « Dans l’attente d’une meilleure organisation syndicale et d’une réelle négociation, nous condamnons, nous groupe socialiste, cette proposition de loi qui ne résout en rien le problème des délocalisations et ses conséquences sur l’emploi en France. Ce texte passe à côté des vrais problèmes de désindustrialisation de notre pays. Il est seulement destiné à donner bonne conscience au patronat. Nous voterons contre, car il s’agit pour nous de défendre les droits des salariés que vous malmenez. »

L’article 100 du projet de loi n’améliore en rien la situation du salarié ; il vise surtout à dégager l’employeur de ses responsabilités et de ses obligations, alors que c’est bien ce dernier qui supprime des emplois en délocalisant dans des pays à bas coût de main-d’œuvre.

En définitive, son adoption renforcerait l’opacité de la politique salariale de l’entreprise, puisque moins les offres d’emplois délocalisés sont nombreuses à être portées à la connaissance des salariés, moins ceux-ci sont armés pour lutter contre un dumping mondial dont les actionnaires sont les seuls gagnants. Mes chers collègues, supprimons cet article, qui parachève un véritable recul pour les salariés !

M. le président. L’amendement n° 173 rectifié n’est pas soutenu.

Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 90 ?

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Nous maintenons la position que nous avons adoptée lors des débats en commission spéciale : nous sommes défavorables à la suppression de l’article 100. Celui-ci, en effet, ne réduit pas les droits des salariés qui souhaitent recevoir des offres de reclassement à l’étranger ; il épargne simplement des formalités inutiles aux entreprises mettant en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi et prévient des risques de contentieux en prévoyant qu’il appartiendra au salarié d’engager la démarche de recherche d’un poste à l’étranger.

La commission spéciale émet donc un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Plusieurs raisons me paraissent justifier l’article 100 du projet de loi.

Aujourd’hui, lorsque se produit un conflit social comparable aux deux exemples bien connus mentionnés par Mme Gonthier-Maurin les propositions de reclassement à l’étranger sont vécues par les salariés comme une humiliation, et par les employeurs, qui ont l’obligation de les présenter, comme un formalisme absurde.

D’une part, en effet, les propositions de reclassement international n’ont plus de sens et sont parfois perçues comme humiliantes. Quand des salariés licenciés à Amiens ou à Compiègne se voient offrir un reclassement en Pologne ou en Roumanie à des salaires de dix fois inférieurs aux leurs, ils ne peuvent pas l’accepter et d’ailleurs ne l’acceptent pas.

D’autre part, l’approche formelle actuelle fait courir à l’entreprise un risque juridique disproportionné en raison de la lourdeur du processus : il suffit parfois qu’une case n’ait pas été cochée pour que tout le plan de sauvegarde de l’emploi soit frappé de nullité. Au demeurant, ce formalisme est exploité par certains avocats, très souvent pyromanes, pour faire annuler des plans de sauvegarde de l’emploi. Toutefois, la belle affaire qu’un PSE invalidé : pendant des années et des années, le plan étant en suspens, les salariés ne se projettent pas ailleurs et les indemnités ne sont pas versées !

À cet égard, la situation des salariés de Goodyear, à laquelle Mme Gonthier-Maurin a fait allusion, est une honte collective, qui démontre que le système actuel ne marche pas, certes parce que des patrons ne jouent pas le jeu – en l’occurrence, l’entreprise n’a pas joué le jeu –, mais aussi parce que des avocats, utilisant la crédulité de certains salariés, s’insinuent dans tous les interstices du droit pour soulever l’ensemble des arguties possibles. Résultat, pendant sept ans, un collectif a été empêché de se projeter ailleurs.

Pour ma part, je suis fermement opposé au dispositif actuel, car il n’est pas possible de considérer les reclassements étrangers comme une solution crédible pour tous les salariés. Dans ces conditions, il est absurde de maintenir un formalisme que nombre d’employeurs jugent excessif et qui conduit à des propositions que les salariés reçoivent souvent comme une brimade, voire une humiliation.

L’article 100 prévoit qu’un reclassement international n’aura plus à être systématiquement proposé, mais que, si le salarié demande à être reclassé à l’étranger, le groupe aura l’obligation de lui répondre. Il me semble que ce mécanisme de bon sens est beaucoup plus équilibré et adapté aux réalités que le dispositif actuel : aucun salarié qui n’est pas volontaire n’acceptera d’être reclassé en Pologne ou en Roumanie ; en revanche, si un salarié demande à bénéficier d’un reclassement à l’étranger, le groupe sera tenu de lui répondre. (M. Philippe Bonnecarrère applaudit.)

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.