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Dossier législatif : projet de loi relatif à la réforme du droit d'asile
Discussion générale (suite)

Réforme de l'asile

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la réforme de l’asile (projet n° 193, texte de la commission n° 426, rapport no 425, avis n° 394).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la réforme du droit d'asile
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comment ne pas songer, au moment où s’ouvre notre discussion sur la réforme du droit d’asile, au drame qui se joue actuellement en Méditerranée ? Plus de 1 700 hommes, femmes et enfants y ont déjà perdu la vie en 2015, victimes de trafiquants et de passeurs, qui n’hésitent pas, après les avoir rançonnés, à envoyer ces migrants à la mort sur des embarcations de fortune.

Comme vous le savez, le Conseil européen, réuni en urgence le 23 avril dernier, a dégagé de premières orientations pour répondre à cette crise migratoire, secourir les migrants en détresse et répartir l’effort entre les États membres. Le triplement des moyens de secours dédiés à l’agence Frontex, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, et le renforcement de notre coopération avec les pays d’origine et de transit, tout comme la lutte contre les filières de passeurs, traduisent cette volonté européenne.

La France, conformément à sa vocation, s’est portée aux avant-postes de cette mobilisation et continuera à le faire. D’ailleurs, l’agenda pour les migrations que la Commission européenne adoptera mercredi prochain devrait s’inspirer en grande partie des propositions de la France sur le renforcement des moyens de Frontex, celui de la coopération avec les pays de transit et d’origine – je me rends d’ailleurs au Niger mercredi et jeudi prochains pour traiter de ce sujet –, la mise en place d’une véritable politique européenne commune de l’asile, combinant responsabilité et solidarité des États membres de l’Union européenne, l’instauration d’un programme-pilote de réinstallation des réfugiés syriens au niveau européen et un soutien renforcé aux États membres les plus concernés par les afflux de migrants, afin qu’ils puissent plus efficacement protéger les personnes en besoin de protection et éloigner, dans des conditions de dignité et de respect des droits, les personnes relevant de l’immigration irrégulière.

Le projet de loi dont vous êtes saisis, mesdames, messieurs les sénateurs, s’inscrit parfaitement dans cette initiative européenne. Mieux, il l’anticipe. Face à la grave crise migratoire que rencontre l’Europe, la France joue tout son rôle en adoptant une réforme qui vise à rendre soutenable la demande d’asile en France. Elle contribuera efficacement à l’initiative européenne conduite par Jean-Claude Juncker, à laquelle nous apportons tout notre soutien.

Je veux, à cet effet, rappeler les choses très clairement. Nous avons collectivement, je vous le dis à tous, une exigence de vérité et d’action pour faire taire les fantasmes sur lesquels prospèrent tous les extrémismes.

L’augmentation brutale des flux en Méditerranée n’est pas née du hasard. Elle résulte très directement du chaos libyen. La Libye n’est plus en mesure de contrôler ses frontières. C’est de ses côtes que partent les migrants, qui croient trouver en Europe le rêve que d’autres leur ont vendu en leur mentant.

Je veux, toujours au titre de cette exigence de vérité, dissiper une confusion qui a prospéré dans le tumulte médiatique. La France est loin d’être le pays le plus concerné par ces flux migratoires en provenance de la Méditerranée. Elle est loin aussi d’être le pays le plus concerné en Europe par la demande d’asile.

Elle est – cela doit d’ailleurs conduire tous les démagogues affirmant que notre pays serait la proie de migrants résolus à capter je ne sais quelle aide que nous octroierions trop généreusement à s’interroger ! – le seul pays de l’Union européenne à avoir connu une baisse de 2,34 % des demandes d’asile en 2014. Et les chiffres concernant les premiers mois de l’année 2015 sont, pour l’instant, stables. Cela signifie une chose : la France est, pour ces migrants, un pays de transit et non d’installation. Pour autant, cela pose des problèmes très difficiles, notamment à Calais.

Mais, de grâce, n’exploitons pas les drames en Méditerranée, comme j’ai pu le lire çà et là, pour faire peur aux Français ou, soudain, inviter le Gouvernement à je ne sais quel changement de cap !

Comprenons bien l’urgence de ce texte. Les migrants qui traversent la Méditerranée ne relèvent pas tous de l’asile. Mais certains, à l’évidence, les Syriens, les Érythréens, les Irakiens, en relèvent. Leur arrivée sur les côtes européennes impose à chaque État membre de l’Union européenne, et donc à la France, d’avoir des procédures d’asile efficaces, rationnelles, réactives et conformes aux meilleurs standards européens. Cette exigence de transposition de nos règles communes fait d’ailleurs partie intégrante des conclusions des 28 chefs d’État et de gouvernement et de la communication sur l’agenda des migrations, qui sera présentée mercredi prochain par la Commission européenne.

Or – c’est un point d’accord entre tous les républicains – l’exercice du droit d’asile est fragilisé en France. Notre dispositif en la matière est au bord de l’embolie.

Le texte qui vous est présenté est donc en prise avec une actualité brûlante. Et, je dois le dire, c’est pour moi une fierté particulière de présenter dans ce contexte si difficile un texte répondant aux urgences du moment et ayant recueilli un large assentiment à l’Assemblée nationale, lors de sa première lecture.

Toutefois, avant d’entrer dans le détail du texte, je veux insister sur l’esprit dans lequel il a été rédigé.

Je sais que la volonté de réformer notre système d’asile rassemble tous les républicains, quelle que soit la formation politique à laquelle ils appartiennent, et ce pour une raison simple : l’histoire du droit d’asile et celle de la République et de la démocratie sont intimement liées l’une à l’autre.

Voilà pourquoi le projet de loi déposé par le Gouvernement est d’abord un texte de rassemblement, fruit d’une réflexion et d’une mobilisation de longue haleine, à laquelle nous sommes nombreux à avoir contribué.

En juillet 2013, mon prédécesseur Manuel Valls avait organisé une concertation nationale sur le droit d’asile, qui a rassemblé l’ensemble des acteurs concernés : l’État, bien sûr, qui doit prendre ses responsabilités – et il les prend ! – ; les collectivités locales ; les associations ; le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le HCR ; l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA ; la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, et l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII. Votre collègue Valérie Létard et le député Jean-Louis Touraine ont coordonné ces travaux. Je voudrais, une fois de plus, saluer leur travail remarquable. C’est sur ces bases que le texte qui vous est aujourd’hui soumis a recueilli une large majorité à l’Assemblée nationale, à l’issue d’un débat de qualité, débarrassé des postures partisanes.

Je sais aussi que, sur de nombreuses travées de cette assemblée, des sénateurs se passionnent pour l’asile. Je pense bien sûr au rapporteur, François-Noël Buffet, que je veux remercier pour sa contribution à l’élaboration de ce texte, à Roger Karoutchi, auteur d’un rapport d’information consacré aux centres provisoires d’hébergement et au coût de notre politique d’asile d’une manière générale, à Jean-Yves Leconte et à Jean-Pierre Sueur, toujours mobilisés sur ces questions qui mêlent intimement République et humanité. Nous aurons sans doute des échanges riches avec Esther Benbassa ou Éliane Assassi, qui ont eu, je le devine, une lecture critique et fine de ce texte.

Si un consensus fort s’est dégagé à l’Assemblée nationale, c’est parce que nous avons pris le temps de réaliser un diagnostic. Celui-ci a été fait et refait ; il est établi et largement partagé. Le récent relevé d’observation provisoire de la Cour des comptes, dont la presse s’est opportunément fait l’écho, n’a fait que confirmer, parfois en ajoutant de la confusion ou de l’imprécision, les dysfonctionnements que des parlementaires de tous bords, des associations et des institutions avaient dénoncés.

Ces dysfonctionnements, je veux les redire simplement en quelques phrases. Notre système d’asile souffre de graves carences. Alors que la demande d’asile a presque doublé entre 2007 et 2012, passant de 35 000 à 62 000 demandes, aucune mesure n’a été prise pour gérer cette augmentation. La demande a continué à s’accroître en 2013, avant que l’année 2014 ne soit marquée par un léger retournement de tendance, paradoxal d’ailleurs, dans le contexte international actuel : selon les données collectées par l’OFPRA, plus de 64 536 demandes ont été déposées l’année dernière, soit une diminution, je le redis, de 2,34 % par rapport à l’année précédente.

Les délais à l’OFPRA comme à la CNDA se sont allongés considérablement, pour atteindre jusqu’à deux ans. Les hébergements se sont trouvés saturés. Les inégalités de traitement entre les demandeurs d’asile ont été accrues et les droits minimaux qui leur sont dus au titre des règles européennes n’ont plus été assurés. Le coût budgétaire de l’ensemble a cessé d’être maîtrisé. La gestion locale de la demande d’asile a été rendue plus difficile, puisque deux tiers des demandeurs sont concentrés dans deux régions.

C’est à ces dysfonctionnements, incontestables, connus et insoutenables à court terme que le projet de loi veut répondre.

Derrière sa technicité apparente, ce texte a trois objectifs simples, que je veux rappeler ici.

Il vise, d’abord, à réduire drastiquement les délais d’examen d’une demande d’asile. Il prévoit, ensuite, d’améliorer les conditions d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile en mettant en place un hébergement directif. Il tend, enfin, à accroître les droits des demandeurs d’asile, en transposant exactement les directives applicables.

Nous entendons, tout d’abord, réduire à neuf mois en moyenne la durée totale de l’examen d’une demande. À l’heure actuelle, celle-ci peut facilement excéder deux ans, contre moins d’un an, en moyenne, chez nos principaux partenaires européens.

Ce premier objectif constitue un préalable à toute amélioration de la situation que vivent les demandeurs d’asile. Des procédures trop longues freinent l’accès au statut de réfugié pour les demandeurs qui sont fondés à l’obtenir, mais rendent également notre dispositif plus vulnérable aux tentatives de détournement à des fins d’immigration irrégulière. En outre, elles compliquent l’éloignement des déboutés.

La priorité est donc d’accélérer les délais d’examen devant l’OFPRA, chargé des demandes en première instance, mais aussi devant la CNDA, cour spécialisée que le projet de loi entend maintenir et renforcer.

En effet, à chaque étape, les délais sont excessifs, sans parler du temps que prennent les échanges d’informations entre toutes les institutions concernées, ni même des délais « cachés », tels que celui de l’enregistrement de la demande en préfecture. Il n’est donc pas acceptable de laisser si longtemps dans une telle situation d’incertitude ceux qui font confiance à la France pour les protéger.

Voilà pourquoi l’OFPRA et la CNDA seront dotés en 2015 d’importants moyens humains supplémentaires : 55 équivalents temps plein ont d’ores et déjà été attribués et recrutés par l’OFPRA. C’est un effort exceptionnel, jamais encore réalisé, qu’a consenti le Gouvernement. De tels renforts permettront à l’OFPRA, dès 2016, d’accélérer ses procédures, afin de limiter à trois mois la durée moyenne d’examen d’une demande d’asile.

La CNDA, quant à elle, bénéficiera d’un renfort de magistrats et de rapporteurs, afin d’accompagner la réforme de ses procédures. Les demandes en procédure accélérée devront être examinées en moins de cinq semaines par un juge unique, et les demandes en procédure normale en moins de cinq mois par une formation collégiale. Pour ce faire, nous prévoyons, en outre, de simplifier un certain nombre de règles devant la Cour, notamment celles qui concernent l’aide juridictionnelle.

Nous devons également simplifier nos procédures d’asile en amont. Les délais d’enregistrement des demandes par les préfectures sont beaucoup trop longs ; ils devront être ramenés à trois jours grâce à la création de guichets uniques de l’accueil du demandeur d’asile, qui regrouperont sur un même site les agents de l’OFII et ceux des préfectures.

Enfin, nous devons savoir distinguer entre les demandes d’asile qui méritent un examen approfondi et celles pour lesquelles la réponse semble évidente, qui peuvent donc être traitées plus rapidement. C’est aussi de cette façon que nous réduirons sensiblement les délais de procédure : l’OFPRA sait traiter rapidement des demandes qui sont manifestement fondées, telles celles des Syriens ou des chrétiens d’Irak. À l’inverse, d’autres demandes ne nécessitent pas un examen approfondi, dans la mesure où elles ne reposent sur aucun motif sérieux. Pour cette raison, le texte vise à réformer les placements en procédure prioritaire, celle-ci devenant la procédure accélérée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est soumis exploite toutes – je dis bien toutes ! – les possibilités offertes par les directives de placement en procédure accélérée. Quand on souhaite réduire les délais, on utilise tous les moyens disponibles entre les mains de l’administration pour y parvenir.

Par ailleurs, et parce qu’il s’agit d’un texte d’équilibre, le projet de loi enregistre aussi deux avancées essentielles.

Il tend, d’abord, à confier à l’OFPRA, qui a seule accès au contenu de la demande, le soin de dire en dernière instance si un dossier doit faire l’objet ou non d’un placement en procédure accélérée.

Il vise, ensuite, à garantir au demandeur d’asile en procédure accélérée les mêmes droits – un hébergement, une allocation, un recours suspensif – qu’à un demandeur en procédure normale. Sa demande est certes examinée plus vite, mais ses droits – tous ses droits ! – sont intégralement respectés.

Notre deuxième objectif est d’améliorer l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile.

Actuellement, notre système est bien trop inégalitaire. Pour cette raison, il n’honore pas la République. Certains demandeurs sont hébergés dans des centres d’accueil de demandeurs d’asile, les CADA. Ils bénéficient à ce titre d’un accompagnement administratif, social et juridique dont chacun, jusqu’aux milieux associatifs les plus engagés, loue la qualité. Ce n’est, en revanche, pas le cas des deux tiers des demandeurs d’asile, qui sont soit pris en charge dans des structures d’hébergement d’urgence, soit tout simplement livrés à eux-mêmes et survivent tant bien que mal dans des campements de fortune. Cette différence de traitement n’est pas tolérable ; elle doit donc cesser.

D’ici à 2017, l’hébergement en CADA doit devenir la norme, et l’hébergement d’urgence l’exception. Pour ce faire, nous allons augmenter le nombre de places en CADA : nous avons déjà créé 4 000 places supplémentaires en deux ans, et nous avons l’ambition d’en ouvrir encore 5 000 d’ici à l’année prochaine, par créations nettes ou bien en transformant certaines places d’hébergement d’urgence.

Nous devons, ensuite, en finir avec les allocations éclatées dont bénéficient les demandeurs d’asile. L’allocation temporaire d’attente et l’allocation mensuelle de subsistance seront fondues en une allocation unique, qui prendra en compte la situation familiale de chaque demandeur.

Enfin, nous allons mettre en place – et c’est un point indissociable des deux précédents – un véritable hébergement directif.

Comme vous le savez, l’accueil des demandeurs d’asile peut être difficile à gérer sur le terrain, lorsqu’un trop grand nombre d’entre eux convergent en même temps vers un même point du territoire.

Aujourd’hui, deux territoires – la région parisienne et la région lyonnaise, François-Noël Buffet le sait bien – concentrent plus de la moitié des demandes. L’Île-de-France concentre à elle seule 42 % des demandeurs d’asile. Je n’ignore pas non plus les difficultés rencontrées en Alsace, en Bretagne ou en Lorraine. C’est la République qui offre l’asile à ceux qui en ont besoin, et non tel ou tel territoire.

Par conséquent, afin de mieux répartir l’effort, nous prévoyons de mettre en place une orientation directive des demandeurs. Mieux orienter leur accueil permettra également de mieux les accompagner et de leur offrir de meilleures conditions d’hébergement.

Concrètement, le versement d’une allocation dépendra de la sollicitation, puis de l’acceptation d’un hébergement. Si un demandeur ne souhaite pas bénéficier des conditions d’accueil prévues par la République, ou s’il ne souhaite pas aller là où une place est disponible pour le recevoir, il aura naturellement droit à un examen de sa demande d’asile, mais il ne pourra pas jouir de l’hébergement ni des allocations prévues. J’y insiste, il s’agit là d’un point crucial, qui conditionne le succès de la réforme.

Le troisième objectif de cette réforme concerne le renforcement des droits des demandeurs d’asile, dans un souci d’égalité et de juste transposition des normes européennes.

Cet élément est essentiel, car il est la démonstration que le raccourcissement des délais et l’augmentation des droits des demandeurs d’asile sont deux objectifs que l’on peut chercher à atteindre simultanément.

Ainsi, le demandeur d’asile pourra désormais bénéficier à l’OFPRA d’un conseil de son choix, de même qu’il pourra, s’il le souhaite, accéder de plein droit à l’aide juridictionnelle devant la CNDA. Les demandeurs d’asile en situation de vulnérabilité pourront également bénéficier d’un examen et d’une prise en charge adaptés à leur situation. Je pense, bien sûr, aux mineurs, mais aussi aux femmes victimes, en tant que femmes, des pires atrocités.

La loi permettra également à tous les demandeurs d’asile – en procédure normale comme en procédure accélérée – de jouir d’un droit au maintien sur le territoire pendant l’examen de leur demande, à savoir l’ensemble des droits aujourd’hui reconnus aux demandeurs en procédure normale.

Je ne peux aborder la question de l’asile sans avoir une pensée pour l’outre-mer, notamment Mayotte et la Guyane.

Ces départements sont confrontés à une pression migratoire exceptionnelle, dont je sais qu’elle peut être déstabilisante. La demande d’asile peut y être perçue, en raison de l’éloignement, de la longueur des procédures, comme une difficulté supplémentaire. Je veux devant vous prendre l’engagement que le Gouvernement veillera à ce que ce projet de loi, dans sa mise en œuvre, apporte dans ces territoires des solutions concrètes.

Pour conclure, je dirai un mot sur un point qui a subitement inquiété, me suis-je laissé dire, la commission des lois du Sénat ; je veux parler des déboutés du droit d’asile.

Le Gouvernement n’a pas attendu le relevé d’observation provisoire de la Cour des comptes pour prendre la mesure des difficultés sur ce sujet.

Je veux dire les choses très simplement et très clairement : un débouté de l’asile est, sauf s’il bénéficie d’un droit au séjour pour un autre motif, un étranger en situation irrégulière. Il doit donc – c’est la démarche du Gouvernement – quitter le territoire et regagner son pays d’origine, comme tout étranger en situation irrégulière. La lutte contre l’immigration irrégulière est, je le répète, une priorité de ce gouvernement et de mon ministère.

Je ne suis pas certain, en la matière, que ceux qui se posent en conseilleurs sur ces sujets aimeraient que je livre les résultats chiffrés auxquels ont pu mener d’autres politiques. Nous avons confié la comptabilisation des éloignements à un service statistique indépendant, du ressort de l’INSEE. C’était, comme en matière de délinquance, une décision destinée à créer les conditions de la transparence et de la fiabilité des données.

Quand nous avons fait ce choix, il est apparu que, une fois que l’on enlevait les retours aidés de Roumains et de Bulgares, c’est-à-dire de ressortissants de l’Union européenne, la politique d’éloignement de la France, au sens des normes européennes, celles qui doivent servir de référence, s’était en vérité effondrée entre 2007 et 2011. En effet, les retours étaient provisoires et, donc, fictifs : après avoir perçu à Noël la prime qui leur était accordée pour repartir dans leur pays, ceux-ci ne tardaient pas à revenir pour toucher la prime octroyée à Pâques pour repartir, avant de revenir. Tout cela alimentait des comptabilisations avantageuses, qui n’avaient pourtant absolument rien à voir avec la détermination à mener une politique en la matière.

Remettre sur pied une politique d’éloignement efficace et respectueuse des droits, c’est l’engagement que nous avons pris ; et c’est l’engagement que je veux tenir devant la représentation nationale.

Pour ce faire, nous avons pris deux mesures.

En premier lieu, nous avons remobilisé l’ensemble des services, qui en avaient besoin. Quatre circulaires traitant de la lutte contre l’immigration irrégulière ont été publiées entre 2013 et 2015. Des plans d’action ont été élaborés par chaque préfecture. Les aides au retour ont également été retravaillées, à ma demande, par l’OFII, qui a ajouté à ce dispositif un véritable volet en matière de réinsertion dans le pays d’origine.

Nous n’avons pas ménagé nos efforts parce que la République, je le dis là encore clairement et fermement devant la représentation nationale, ce sont des règles, qui doivent être rigoureusement respectées.

Quels sont les résultats de cette politique ? Les retours contraints, notamment vers un pays tiers à l’Union européenne, qui s’étaient effondrés entre 2007 et 2011, repartent à la hausse depuis trois ans. Je veux donner ici des chiffres précis, vérifiables par la commission comme par certains observateurs ayant écrit des articles, certes, percutants sur le sujet, mais qui n’étaient pas toujours, selon moi, honnêtement et convenablement documentés.

Les retours contraints ont augmenté de 13 % en 2013 et de 25 % environ l’année dernière. En 2014, la France a connu le plus haut niveau d’éloignements contraints depuis 2007, avec 15 161 éloignements contraints recensés. Je ne dis pas que nous réussissons là où d’autres ont échoué ; je dis simplement que tout le monde doit faire preuve de la plus grande humilité dans le cadre de cette politique difficile.

Par ailleurs, mes services sont également pleinement mobilisés dans la lutte contre les filières d’immigration irrégulière, de véritables filières de traite des êtres humains qui tirent profit de leur misère.

Là aussi, notre action porte ses fruits. L’année dernière, nous avons démantelé près de 230 filières clandestines – 226, très exactement ! –, un record historique, car cela représente 25 % de plus qu’en 2012. La détermination n’est pas toujours accompagnée des discours visant à l’instrumentalisation de ces questions, ces discours étant oublieux des chiffres, des réalités des actions, et usant d’artifices pour atteindre des objectifs qui, d’ailleurs, ne correspondent pas toujours aux nécessités de l’urgence.

En second lieu, je tiens à rappeler que nous avons inclus dans le projet de loi sur le séjour, dont la discussion au Parlement débutera dans les prochaines semaines, l’ensemble des dispositions qui apparaissent nécessaires à l’amélioration de nos dispositifs, dans le respect du droit et des droits. Je le précise, car il m’est arrivé de me demander si cet élément avait bien été compris.

Un débouté du droit d’asile, je le disais, c’est un étranger en situation irrégulière. Il n’y a aucune raison juridique de créer des dispositifs spécifiques d’éloignement, c’est-à-dire spécifiquement réservés aux déboutés de l’asile, sauf à prendre, justement, des risques juridiques. Personne, aucun gouvernement, ne l’a jamais fait. Ce serait d’ailleurs une bien étrange application des garanties constitutionnelles qui entourent le droit d’asile si un étranger en situation irrégulière, parce qu’il a fait une demande d’asile, se voyait appliquer des règles plus rigoureuses qu’un autre étranger en situation irrégulière qui ne l’aurait pas faite.

C’est la raison pour laquelle les réformes concernant l’ensemble des étrangers en situation irrégulière, déboutés de l’asile ou non, trouvent leur place dans le texte sur le séjour, lequel sera débattu, non pas à la Saint-Glinglin, mais en juillet à l’Assemblée nationale et en septembre ou, au plus tard, en octobre au Sénat. Il y a donc une véritable continuité dans l’examen des textes en ce domaine par le Parlement.

Si nous voulons être pragmatiques et efficaces, si nous voulons faire montre d’humanité, de responsabilité et de fermeté quand c’est nécessaire, si nous sommes désireux de ne pas instrumentaliser une telle question à des fins politiques, partisanes, voire électorales, nous serons en situation d’avoir adopté l’ensemble de ces dispositions d’ici à la fin de l’année. La France affirmera ainsi la vocation qui a historiquement toujours été la sienne en matière de droit d’asile et pourra, dans le même temps, procéder à la reconduite à la frontière des déboutés du droit d’asile, ceux qui n’ont pas eu accès à l’asile en France, car ils ne relèvent pas de ce dispositif.

Le Gouvernement propose au Sénat une approche globale. Il s’agit de renouer avec l’asile, mais également d’avoir une politique apaisée à l’égard de l’immigration, tout en renforçant la lutte résolue contre l’immigration irrégulière.

Là encore, le Gouvernement est dans l’action, et non dans le commentaire, et il se refuse à être dans l’approximation. D’ailleurs, j’aurai l’occasion, soit pendant cette discussion générale, soit lors de l’examen des amendements adoptés en commission, de démontrer que le Gouvernement prend bien en compte l’ensemble de vos préoccupations, mais en ayant en permanence le souci, d’une part, du respect des normes européennes et internationales et, d’autre part, de l’efficacité.

Par exemple, la commission des lois, en adoptant un amendement visant à priver le débouté d’une demande d’asile de toute possibilité d’admission au séjour à un autre titre, commet, à mon avis, une double erreur juridique.

D’une part, cette mesure aboutirait à une inégalité de traitement entre les demandeurs d’asile déboutés et les autres étrangers en situation irrégulière, qui est à la fois inexplicable et contraire au droit constitutionnel de l’asile.

D’autre part, les admissions au séjour obéissent le plus souvent à des contraintes résultant de normes européennes. Les interdire, c’est nous exposer à une condamnation certaine de la France par les juridictions nationales et européennes.

Ce n’est qu’un exemple, mais il est révélateur. Je ne pense pas une minute que ces arguments juridiques de bon sens soient inconnus des membres éminents de la commission des lois. Dès lors, pourquoi adopter des amendements dont on sait pertinemment qu’ils nous conduisent dans des impasses juridiques ? Pourquoi réclamer des choses dont on sait l’inconstitutionnalité ou l’inconventionnalité ?

Pour sa part, le Gouvernement contribuera à ce débat dans un esprit républicain, c’est-à-dire un esprit de responsabilité. Votre commission des lois a réalisé un travail important, que je tiens à saluer ; je pense notamment au travail du rapporteur François-Noël Buffet, dont les apports améliorent parfois le texte. Néanmoins, certaines des modifications proposées ne reflètent pas les orientations du Gouvernement et posent de réels problèmes constitutionnels. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des amendements. Outre certaines dispositions relatives aux déboutés dont j’ai déjà parlé, je pense aussi à certaines dispositions en matière de compétence contentieuse ou d’hébergement directif. Le Gouvernement entend aborder chacune de ces questions avec la plus grande rigueur et la sérénité qui caractérise toujours les débats au sein de la Haute Assemblée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ne nous trompons pas de débat ! Compte tenu des drames humanitaires auxquels le monde est confronté, il y a urgence à réformer nos procédures d’asile. La réforme que nous proposons est, j’en suis convaincu, à la fois globale et équilibrée.

Avec l’amélioration de nos dispositifs d’intégration, l’accueil des étudiants et des talents étrangers, la lutte contre l’immigration irrégulière, la réforme du droit d’asile est l’un des quatre piliers, le plus symbolique sans doute, de notre politique à l’égard des étrangers en France. Cette politique globale fait l’objet de deux projets de loi. Tous deux seront discutés et, je le souhaite, adoptés avant la fin de l’année.

Au demeurant, en élaborant deux lois dans la même séquence parlementaire, l’une sur l’immigration et l’autre sur l’asile, ce gouvernement n’innove pas. C’est exactement ce qui avait été proposé à la représentation nationale en 2003, et personne, à l’époque, n’avait estimé que cela fût irresponsable…

Aujourd’hui est venu le temps du débat sur la réforme de l’asile. C’est un débat indispensable, eu égard à l’ampleur des dysfonctionnements que j’ai rappelés. La réforme est urgente si la France veut tenir son rang dans la gestion des flux migratoires auxquels l’Europe est confrontée.

Je n’ignore évidemment pas les contingences politiques. Je n’ai aucune forme de naïveté à cet égard. Je comprends parfaitement les positionnements et les tactiques, ainsi que leurs motivations. Mais je forme le vœu que, sur un sujet aussi fondamental, lié à notre identité républicaine, nous sachions ensemble faire honneur à la réputation de la République,…