M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)

PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la réforme de l’asile.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’essentiel ayant été dit, je m’en tiendrai aux quelques points qui me paraissent les plus importants.

Le droit d’asile, consacré par la première République française, constitue, avec les droits de l’homme qu’il complète, une sorte de « marque de fabrique » qui engage la France, laquelle entend rester fidèle à ses principes fondateurs. Qu’elle ne l’ait pas toujours fait, et pas seulement sous des régimes non républicains, n’y change rien.

Aujourd’hui, cependant, l’exercice effectif de ce droit d’hospitalité est menacé de deux manières, d’ailleurs liées : d’une part, par l’explosion du nombre des bénéficiaires potentiels, ce qui change la nature du droit d’asile ; d’autre part, par les délais de procédure qui finissent par neutraliser l’efficacité de ce droit et qui sont source de souffrances inutiles pour les intéressés.

L’article 120 de la Constitution de l’an I dispose : le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans. »

Sans nous attarder sur le sort souvent réservé par la « doulce France » aux tyrans déchus, ce qui pose un autre problème, nous constatons qu’il est de plus en plus difficile de distinguer les martyrs de la liberté des victimes impuissantes de l’incurie, de la corruption des régimes policiers qui ne peuvent faire autrement que subir, à moins de fuir.

Il s’agit de répondre à l’attente non plus d’individus, voire de groupes ciblés ponctuellement par la persécution, mais de foules entières parfois transformées cyniquement en armes de guerre par leurs bourreaux. Je vous renvoie, mes chers collègues, au cas libyen.

Je le remarque, le présent projet de loi contourne cet aspect du problème, ce qui est fâcheux, pour se limiter à l’amélioration de la procédure de traitement des dossiers de demande d’asile, afin de la rendre plus conforme à son objet.

La durée moyenne totale d’une procédure d’examen de première demande d’asile par l’OFPRA suivie d’un recours devant la CNDA est estimée, on le sait, à dix-neuf mois et demi. Après un premier rejet définitif, dans le cas où le demandeur sollicite un réexamen de sa demande suivi d’un recours, le délai passe à deux ans et sept mois.

Si, comme le relève la Cour des comptes, annuellement, 75 % des demandes d’asile sont rejetées en moyenne, cela signifie que celles-ci étaient infondées et que l’on assiste à un véritable détournement de la procédure de demande d’asile, ce qui a un coût à la fois financier et humain.

S’agissant du coût financier, les dépenses du programme 303 sont passées de 340 millions d’euros en 2008 à plus de 600 millions d’euros en 2014. Selon les estimations, une réduction de trois mois des délais d’instruction de l’OFPRA et de six mois de ceux de jugement de la CNDA permettrait d’économiser de l’ordre de 88 millions d’euros en matière de dépenses d’hébergement et d’allocation.

Pour ce qui concerne le coût humain, lorsqu’une famille de demandeurs d’asile s’est installée pendant deux années sur le territoire français, que les parents parfois travaillent, que les enfants sont scolarisés et parlent français, comment la renvoyer d’où elle vient sans y regarder à trois fois ?

Pour les membres du RDSE, le présent projet de loi va dans le bon sens, même s’il constitue davantage une réponse à l’urgence qu’un traitement de fond du problème.

Nous souscrivons à la fois à la simplification, à la réduction des délais d’examen et de réexamen des demandes formulées auprès de l’OFPRA comme de la CNDA, à l’établissement d’une liste de pays sûrs afin de rationaliser les flux et au renforcement des garanties procédurales conformes à la directive européenne : droit au maintien sur le territoire de tous les demandeurs d’asile, tenue d’un entretien personnel, présence d’un avocat lors de cet entretien, prise en compte systématique de la vulnérabilité des demandeurs, possibilité du huis clos pour les audiences devant la Cour.

Reste évidemment le plus difficile, comme je l’ai indiqué : la gestion des flux migratoires à l’échelle européenne et l’exécution effective de l’obligation de quitter le territoire français laquelle, selon la Cour des comptes, n’est guère exécutée. Sur ce dernier point, M. le ministre nous a affirmé que la situation s’améliorait, mais tout le monde sera d’accord pour dire qu’il existe encore des marges de progrès.

Des remèdes sont proposés : une décision définitive de rejet de la demande vaudrait obligation de quitter le territoire français, et un étranger débouté ne pourrait être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre.

Ces solutions ont la logique pour elles, mais ne sont pas forcément conformes au principe international du droit à une vie familiale et aux principes humanitaires – renvoyer quelqu’un, sinon des familles entières en enfer, même si ces personnes n’ont aucun droit à en sortir, n’est rien moins qu’anodin.

Et je ne dis rien des injonctions contradictoires de l’ordre médiatique reprochant au gouvernement, dans un même mouvement, sa passivité devant l’immigration illégale et son insensibilité aux drames humains que crée nécessairement la lutte contre cette dernière !

Personne n’en doute, la rationalisation proposée par le biais du présent projet de loi est souhaitable, mais, vous en conviendrez, mes chers collègues, beaucoup reste à faire.

La première preuve de la volonté du Gouvernement d’avancer sera qu’il s’en donne effectivement, et sur la durée, les moyens financiers, ce qui, à constater la sous-budgétisation constante de la mission « Immigration, asile, intégration », est loin d’avoir été le cas jusqu’à présent. Les mouvements de menton atteignent rarement le porte-monnaie !

Les membres du groupe du RDSE ne s’opposeront pas à l’adoption du projet de loi que nous examinons. Ils attendront cependant l’issue définitive de la discussion, notamment le terme de l’examen des amendements, pour déterminer s’ils pourront aller jusqu’à l’approuver. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon temps de parole étant limité, je n’irai pas par quatre chemins : le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui est néfaste pour notre pays.

Ce texte ne va faire que renforcer encore l’appel d’air permanent qu’est le régime de l’asile en France, en donnant aux demandeurs toujours plus de moyens de se maintenir sur notre sol, alors même que celui-ci est plus que saturé d’immigration.

La majorité sénatoriale a voulu reporter l’examen du texte après la fuite d’un document interne de la Cour des comptes dénonçant un système « au bord de l’embolie », qui n’est « pas soutenable à court terme » et qui forme tout simplement « la principale source d’arrivée d’immigrants clandestins en France » !

Hélas pour les Français, l’opposition de l’UMP à ce projet de loi n’est que du théâtre – la remarquable prestation de Roger Karoutchi en est la parfaite illustration –, puisque ce texte est la transposition fidèle de plusieurs directives européennes que la France est obligée de transposer sans délai et qui ont été votées au Parlement européen par les députés de l’UMP !

De plus, le nombre de demandes d’asile a doublé sous le mandat de Nicolas Sarkozy, pour atteindre 66 000 en 2013. Ce seul chiffre montre l’ampleur du scandale d’une politique qui a été dévoyée de sa finalité première, pour devenir aujourd’hui principalement une filière migratoire.

Sur les quelque 66 000 demandes d’asile annuelles, les trois quarts sont finalement rejetés, et plus de 95 % des déboutés se maintiennent sans droit ni titre sur notre territoire.

Je cite là encore la Cour des comptes : « Tant que la question de l’organisation systématique et rapide de leur retour ne sera pas réglée, le système ne pourra fonctionner correctement ». « L’organisation systématique et rapide de leur retour » : voilà un point, monsieur le ministre, que vous n’avez évoqué dans votre intervention que de façon vraiment très discrète…

La Cour considère que l’asile représente un coût direct de 2 milliards d’euros par an, à savoir 1 milliard d’euros pour les demandeurs d’asile, et 1 milliard d’euros pour les déboutés qui restent illégalement en France. C’est sans compter les coûts indirects divers pour les Français : je pense, par exemple, à la hausse des dépenses de sécurité, publique et privée, devenues nécessaires dans certaines zones habitées par des faux réfugiés.

Il est beaucoup question ces temps-ci de « République », de « Républicains », mais comment oser parler de République, d’État de droit, quand on ne fait que laisser faire, laisser passer, et entériner le fait accompli ? Un peu partout en France, nos compatriotes les plus modestes souffrent de votre laxisme, mes chers collègues.

Comble de l’ironie, la petite minorité des vrais demandeurs d’asile en souffre aussi, car, à vouloir accueillir tout le monde sans discernement, nous n’avons plus les moyens d’héberger dignement ces personnes, alors qu’elles le méritent. Je rejoins là le constat de Roger Karoutchi.

Enfin, ces vrais demandeurs d’asile vont immanquablement souffrir de la suspicion – légitime – que crée chez les Français votre laxisme.

Vous faites mine de crier : « Pas d’amalgames ! ». Pourtant, vous faites tout pour en créer.

La gauche au pouvoir, comme l’UMP avant elle, est donc incapable de faire respecter la loi républicaine,…

M. Alain Néri. Vous exagérez !

M. Stéphane Ravier. … et la Cour pointe même une « forme de renoncement » dans certaines préfectures à cause de l’absence de directive claire du Gouvernement.

Pour conclure, le présent texte, véritable machine à régulariser des clandestins, est d’autant plus néfaste qu’il semble déconnecté du monde dans lequel nous vivons. Dans ce monde, nous assistons à des arrivées massives quotidiennes de clandestins sur les rivages de ce qu’un romancier devenu visionnaire a qualifié de « camp des saints » et à des persécutions de masse dans des pays où se déroule un véritable génocide des chrétiens d’Orient.

Qu’avons-nous à proposer à ces millions de réfugiés potentiels ?

L’urgence est là, dans la définition d’une véritable politique étrangère indépendante, et certainement pas dans le vote de ce projet de loi, qui achève de transformer notre pays en passoire ! (Marques de protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. Alain Néri. Oh là là !

Mme Éliane Assassi. Et voilà…

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Oui, tout est dans la modération !

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la réforme de l’asile est un texte très important, à la fois symbolique et décisif, pour que notre pays perpétue la tradition d’accueil et d’intégration inscrite dans son histoire depuis la Révolution française.

Dans le contexte de drames humains et face à une actualité extrêmement sensible, que M. le ministre nous a rappelée rappeler, nous devons faire preuve de responsabilité. Car un constat s’impose à nous : le dispositif actuel de l’asile a été, au fil du temps, dévoyé.

Ce dispositif ne nous permet plus d’accueillir dans de bonnes conditions ceux qui justifieraient de l’être, car il est totalement engorgé par des demandes qui relèvent non pas de l’asile, mais plutôt d’une immigration économique, de la pauvreté, et donc d’un autre cadre que la convention de Genève.

Le 28 novembre 2013, Jean-Louis Touraine et moi-même avions rendu au ministre de l’intérieur un rapport sur la réforme de l’asile qui synthétisait les conclusions de la concertation que nous avions menée avec l’ensemble des acteurs quotidiens de l’asile. Depuis lors, j’attendais avec impatience que nous puissions débattre de cette réforme au Parlement. Nous y voilà !

Ces dernières semaines, les médias ont fait leur une sur « l’Europe assiégée » et bientôt « envahie » par les vagues de migrants venus du Sud, quelquefois à l’excès. Mais ce qui est certain, c’est que, au regard de cette détresse, il y a urgence à traiter non seulement de la question de l’accueil des demandeurs d’asile, mais, bien plus globalement, de la réponse que l’Europe, dans son ensemble, compte apporter aux immenses problèmes des pays qui sont à sa porte.

Lorsque Jean-Louis Borloo nous interpelle sur la situation de l’Afrique, continent de 1 milliard d’habitants où seules 180 millions de personnes ont aujourd’hui accès à l’énergie, mais où plus de 700 millions de portables permettent de savoir tout ce qui se passe ailleurs et qui, outre les conflits, subit les dérèglements climatiques, l’avancée du désert, la déforestation, la sécheresse et la baisse des capacités agricoles, comment pouvons-nous penser que ce qui s’y passe n’est pas notre problème ?

Monsieur le ministre, vous avez souligné récemment la nécessité de renforcer les coopérations avec les pays de départ ; je ne peux qu’approuver cette intention. Nous constatons bien aujourd’hui que le plan d’actions en dix points adopté le 20 avril dernier par le conseil conjoint des ministres des affaires étrangères et de l’intérieur ne suffira pas à faire face à cette situation de crise. La destruction des embarcations des passeurs, certes nécessaire, ne constitue pas, à elle seule, l’intégralité de la solution.

Par ailleurs, nous devons garder en tête que, même si le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de 44 % en 2014 du fait des crises politiques en Syrie et en Irak, il n’y a eu que 626 000 demandeurs d’asile qui ont frappé à la porte d’une Europe de plus de 511 millions d’habitants, soit en moyenne 1,2 demandeur d’asile par millier d’habitants. Il est vrai toutefois que cette demande s’est principalement concentrée sur quelques pays : l’Allemagne, la Suède, l’Italie et la France. Je souhaite d’ailleurs, monsieur le ministre, comme nombre de mes collègues, que notre pays ait un rôle moteur en Europe et engage des actions nouvelles permettant de renforcer sa politique de développement et d’améliorer le fonctionnement de la politique européenne de l’asile, car – nous le savons – c’est à l’échelon européen que tout se joue.

Nous en convenons tous : la question de l’asile doit être dissociée de celle de notre politique d’immigration, et la présente réforme doit être complétée – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre – par une réforme – nécessaire – de la politique de l’immigration : comme ses voisins, notre pays a besoin d’être attractif pour accueillir une immigration professionnelle, en particulier dans les secteurs où existent des besoins non satisfaits. Nous devons pouvoir attirer des talents et leur donner envie de s’installer en France, à l’image de ce que pratique le Canada.

Nous devons aussi prendre notre part à l’accueil de l’immigration de la pauvreté, mais nous devons le faire de manière choisie, et non subie, comme c’est le cas aujourd’hui, réfléchie et contrôlée, afin de pouvoir offrir à ces migrants une vie décente et la possibilité de s’intégrer socialement et professionnellement en France. Les formations politiques ont trop souvent préféré esquiver cette question sensible. Or le vote extrême nous rappelle avec force que nos concitoyens attendent des réponses qui ne soient ni l’angélisme de la bonne conscience ni le simplisme du « tous dehors ».

Le présent projet de loi réforme la politique de l’asile en transposant le « paquet asile », composé des directives européennes « Qualification », « Procédures » et « Accueil », que nous devons intégrer à notre législation nationale avant le 20 juillet prochain. Je ne reviendrai pas sur le contenu de ces textes : le rapporteur l’a fait et en a parfaitement rappelé l’esprit. La philosophie des règles du régime d’asile européen commun repose sur un équilibre entre des procédures efficaces pour un traitement rapide des dossiers et des garanties renforcées pour les demandeurs et les personnes obtenant la protection.

Le présent projet de loi doit nous permettre de passer un cap important en simplifiant la procédure d’examen du droit d’asile à chaque étape du parcours du demandeur. En supprimant la condition de domiciliation, en fixant des délais contraignants pour l’examen de la demande par l’OFPRA, puis par la CNDA, en organisant un hébergement directif et l’accompagnement social et administratif du demandeur, en précisant clairement les procédures de clôture, d’irrecevabilité, de retrait et de réexamen des dossiers par l’OFPRA, en permettant un examen en procédure accélérée des dossiers manifestement infondés ou prioritaires, en instaurant l’examen des recours devant la CNDA par un juge unique, nous devrions pouvoir accélérer le traitement des demandes et réduire leur délai moyen d’examen à neuf mois, contre environ deux ans aujourd'hui.

Cette réduction des délais est impérative pour deux raisons : d’abord, elle évitera que la procédure ne soit détournée de son objet par des personnes cherchant un moyen de se maintenir longtemps sur le territoire français, ce qui devrait donc décourager certaines filières mafieuses ; ensuite, elle permettra d’accueillir rapidement les personnes qui doivent être protégées en raison de menaces pesant sur leur intégrité physique, ce qui est aujourd’hui de moins en moins le cas.

Le présent projet de loi permet aussi d’accorder des garanties supplémentaires aux demandeurs : la possibilité de se faire accompagner lors de l’entretien à l’OFPRA, l’enregistrement de l’entretien, le caractère suspensif du recours jusqu’à la fin de la procédure, ou encore la prise en compte de la vulnérabilité. Il contient également des dispositions bienvenues : la réaffirmation de l’indépendance de l’OFPRA, la création de missions déconcentrées de ce dernier dans les territoires qui permettent de faire face efficacement à des afflux soudains de demandes, la suppression de la condition préalable de domiciliation, ou encore la désignation de l’OFII comme responsable du dispositif d’accueil du demandeur.

Lors de son examen, l’Assemblée nationale a modifié le texte, afin d’y introduire la prise en compte des violences faites aux femmes, la révision régulière de la liste des pays d’origine sûrs, l’ouverture à la parité du conseil d’administration de l’OFPRA, l’assouplissement de certains délais, ou encore la reconnaissance des associations de défense des droits de l’homme, des femmes ou des enfants ; en somme, une série de mesures qui ont utilement complété le travail du Gouvernement.

Ainsi, globalement, le projet de loi tel qu’il nous a été soumis après son adoption par l’Assemblée nationale reprend assez fidèlement les préconisations de simplification et de réorganisation figurant dans le rapport du mois de novembre 2013 précité, à une exception notable près : il ne traite pas de la question des demandeurs déboutés. Or, malgré les explications que vous nous avez fournies, celle-ci est centrale, monsieur le ministre, si l’on veut donner à la réforme de l’asile tout son sens. En effet, si 28 % des 64 811 demandes d’asile déposées en 2014 ont été satisfaites, cela signifie que, dans 72 % des cas, les demandeurs ont été déboutés. Et l’un des points sur lesquels le rapport susvisé avait mis l’accent était la nécessité que ceux-ci n’entrent pas, comme c’est le cas actuellement, dans la clandestinité, qu’ils ne recourent pas au dispositif d’hébergement d’urgence ou aux marchands de sommeil et qu’ils ne soient pas exploités, au sein de filières, par des personnes abusant de leur situation de précarité. Il faut au contraire les diriger vers des structures spécifiques, des centres dédiés, où ils seraient certes assignés à résidence, mais où leur situation ferait l’objet, si nécessaire, d’un dernier examen. En outre, le cas échéant, une fois que leur serait délivrée l’obligation de quitter le territoire français, cela permettrait de leur fournir une préparation psychologique et surtout matérielle au retour, plutôt que d’en faire des immigrés en situation irrégulière.

Sans ce volet, la réforme de l’asile n’est pas complète, et je me réjouis d’ailleurs que la commission des lois ait adopté mon amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 14, et visant la possibilité de mettre en place des centres dédiés aux personnes déboutées.

Mes chers collègues, puisque je mentionne les travaux de la commission des lois de la Haute Assemblée, permettez-moi de saluer la très grande qualité du travail de réécriture qu’a mené M. le rapporteur, François-Noël Buffet.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Avec beaucoup de compétence !

Mme Valérie Létard. Plus fluide, plus précise, plus ramassée : la rédaction de nombreux articles a beaucoup gagné après l’examen du texte par cette commission.

Enfin, je terminerai mon propos en abordant deux sujets importants sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir au cours de l’examen des amendements.

Premièrement, une partie de la majorité sénatoriale, réagissant à un article publié dans Le Figaro contenant les éléments d’un rapport à venir de la Cour des comptes – reprenant pourtant des chiffres déjà connus –, avait souhaité « durcir » le texte soumis au Sénat. Une de ses propositions, plutôt sévère – vous l’avez rappelée tout à l’heure, monsieur le rapporteur –, figure toujours dans le texte issu des travaux de la commission et consiste à conférer aux décisions de refus de l’OFPRA ou de la CNDA la valeur d’une obligation de quitter le territoire français. Adopter une telle disposition serait, selon moi, une erreur, car les décisions d’un agent de l’OFPRA ou d’un juge de la CNDA seraient brouillées si elles devaient être assimilées à des mesures de police administrative relevant d’une autre autorité. Nous aurons l’occasion d’en débattre ultérieurement, lors de la discussion des articles, et j’espère vivement, mes chers collègues, que je saurai vous convaincre de l’abandonner, car les arguments plaidant contre cette proposition sont nombreux.

Deuxièmement, une dernière étape reste à franchir, me semble-t-il, si nous voulons adapter l’examen des demandes d’asile à notre nouvelle organisation des territoires et à des entrées inégalement réparties selon les régions : la territorialisation de l’OFPRA par la création d’antennes là où existe une forte demande. À ce propos, je regrette que la commission des finances ait déclaré mon amendement n° 43 rectifié bis irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, l’excluant ainsi du débat parlementaire. Peut-être le Gouvernement voudra-t-il le reprendre, monsieur le ministre, s’il juge que la mesure qu’il visait à introduire mérite d’être expérimentée ? Il me semble en effet qu’une telle expérimentation mettrait en évidence des économies supérieures aux surcoûts créés, eu égard notamment au coût des missions foraines répétées ou du déplacement des demandeurs d’asile se rendant de manière massive et répétée à Paris.

Rendre notre dispositif plus souple, plus proche des territoires, plus efficace tout en réduisant les délais excessifs qui nuisent à sa lisibilité : voilà, selon moi, la meilleure manière de réussir la réforme de l’asile. Et nous nous devons de mener à bien cette réforme, qui touchera directement à la fois les milliers de demandeurs se présentant à nos frontières chaque année et tous les acteurs quotidiens de l’asile – travailleurs sociaux, officiers de protection, agents des préfectures, ou encore juges, qui travaillent aujourd’hui dans des conditions difficiles et méritent d’être soutenus. Enfin, vous l’avez rappelé, monsieur Karoutchi, il faudra s’assurer que les bénéficiaires du statut de réfugié puissent être pris en charge dans de meilleures conditions.

Pour conclure, je voudrais citer ces quelques lignes de Jean d’Ormesson : « Les Français s’interrogent sans cesse : "qu’est-ce qu’être français ?" C’est qu’il y a au cœur de la France quelque chose qui la dépasse. Elle n’est pas seulement une contradiction et une diversité. Elle regarde aussi sans cesse par-dessus son épaule. Vers les autres. Vers le monde autour d’elle. Plus qu’aucune nation au monde, la France est hantée par une aspiration à l’universel. Malraux assurait que la France n’était jamais autant la France qu’en s’adressant aux autres nations. […] C’est une tâche difficile de vouloir rester soi-même tout en essayant de s’ouvrir aux autres. Français, encore un effort pour être un peu plus que Français et pour faire de la France ce qu’elle a toujours rêvé d’être : un modèle d’humanité et de diversité. »

Un modèle d’humanité et de diversité : voilà ce que je souhaite que devienne notre système d’asile. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et au banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Protéger les combattants de la liberté, protéger les victimes du totalitarisme, c’est une tradition française. Cette tradition figure d’abord dans la Constitution de 1793 puis dans le préambule de celle de 1946 ; enfin, elle est consacrée à l’échelon international par la convention de Genève du 28 juillet 1951. Il existe donc dans notre pays deux fondements juridiques à l’asile, à la protection des combattants de la liberté : l’un constitutionnel, l’autre conventionnel.

Affirmer l’universalité des droits et l’égalité des hommes est essentiel ; c’est une valeur fondamentale de notre pays, celle qui empêche le repli sur soi. Reconnaître que les combattants de la liberté et les personnes persécutées sont nos frères humains et qu’ils méritent notre protection est par conséquent pour nous un devoir.

On ne peut défendre les valeurs de liberté et d’humanisme sans être solidaire de ceux qui les partagent et combattent en leur nom ; affirmer l’universalité de l’humain face à la barbarie est en effet au cœur de notre récit national. Renforcer le droit d’asile est donc non pas un poids, mais l’affirmation de notre identité et de nos valeurs. C’est dans cet état d’esprit, me semble-t-il, qu’il faut aborder le présent débat.

Dans ce projet de loi, qui me remplit de fierté, figurent trois points majeurs. D’abord, il y est proclamé que l’octroi de garanties supplémentaires aux demandeurs d’asile et le respect de leurs droits permettent d’améliorer l’efficacité de notre système. Ensuite, y est réaffirmée la volonté de notre pays de respecter les demandeurs en raccourcissant les délais de réponse. Enfin, ce texte donne à la France les moyens de promouvoir à l’échelon européen les dispositions nécessaires pour éviter les tragédies auxquelles nous assistons tous les jours en Méditerranée.

De ce point de vue, vous connaissez, mes chers collègues, la théorie de l’appel d’air. En se fondant sur cette théorie, certains des gouvernements précédents ont bouché le système, si je puis dire, faisant ainsi le pari de dissuader puis de faire disparaître les demandes d’asile. Nous avons de ce fait hérité d’un système au bord de l’embolie, et, nous le constatons, les vrais demandeurs se rendent ailleurs,…