Mme Éliane Assassi. Très bien !

Mme Catherine Tasca. À notre sens, les objectifs du projet de loi sont nécessaires et justes. C’est pourquoi, monsieur le ministre, le groupe socialiste soutient votre initiative et se tiendra à vos côtés pour que votre ambition au service d’une réforme progressiste ne reste pas lettre morte. J’espère que le Sénat saura prendre de la hauteur lors de l’examen de ce projet de loi pour faire aboutir ce texte équilibré. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je n’aurai pas de mots assez forts pour saluer un projet de loi qui a le mérite insigne de préciser les modalités d’acceptation de l’asile en France. Il en définit précisément les contours en en prescrivant le cadre et fixe sans ambiguïté, dans un esprit de responsabilité qui mêle rigueur, humanisme et transparence, les modalités de son octroi ou de son rejet, tout en tenant compte de ses évolutions.

Ce projet de loi, qui porte des avancées réelles pour les demandeurs comme pour le législateur, ne doit en aucun cas être confondu avec la problématique globale de l’immigration. Il décline les nombreux cas de figure qui peuvent se présenter et essaie de pallier les difficultés qui peuvent survenir. Beaucoup de ces difficultés ont d’ailleurs été évoquées par les orateurs qui m’ont précédée.

Mon intervention traitera essentiellement des solutions apportées par ce texte aux problématiques d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile.

Articulé autour du principe de l’hébergement directif, le projet de loi prévoit la mise en place d’un schéma national d’accueil qui favorise l’orientation directive des demandeurs d’asile ainsi que la simplification et l’unification du régime des conditions matérielles de cet accueil.

Dans ses grandes lignes, le texte permet une répartition plus équilibrée de la demande d’asile sur le territoire, ce qui est l’un des objectifs que vise la réforme, qui se veut équitable, en mettant en œuvre des mesures de bon sens.

Rationalisée, la procédure d’accueil est simple et concrète : le demandeur d’asile est orienté par le guichet unique, après enregistrement de sa demande, vers un hébergement dans la région d’arrivée ou vers une autre région. L’admission dans le lieu d’hébergement est opérée par l’OFII, qui assure la gestion nationale des demandes avec pour instruction principale d’orienter les demandeurs vers un centre adapté à leurs besoins. Ce point est primordial, en particulier pour les personnes en situation de handicap.

En ce sens, le texte donne des garanties nouvelles qu’il faut reconnaître à leur juste valeur.

Autre avancée notoire, le principe d’une orientation rapide évitera dans l’absolu aux demandeurs de longs mois d’attente en hébergement d’urgence.

Orienter certes, mais où et vers quelle CADA ? Telle est la difficulté à laquelle nous sommes confrontés. Compte tenu du nombre élevé de demandes et de l’extrême longueur des procédures à laquelle continuent encore de faire face les demandeurs – plus pour longtemps, je l’espère !- on ne peut que constater le manque de places d’hébergement

Je citerai quelques expériences vécues dans les CADA de Carcassonne et de Lagrasse dans le département de l’Aude. Les orateurs qui m’ont précédée m’ont semblé très optimistes lorsqu’ils ont évoqué les durées d’instruction des demandes. En effet, dans les CADA que je connais, les demandeurs d’asile doivent attendre au moins trois ans, voire parfois cinq ans avant de se voir octroyer le droit d’asile, sans même parler pas ici des dossiers en appel.

Je passe sous silence les drames humains liés à l’attente des demandeurs et l’inquiétude des personnels des structures chargées de les accompagner.

Si complexe que soit la tâche, je suis convaincue que le dispositif prévu par le projet de loi est bien conçu : la réduction du délai d’instruction des demandes, la généralisation, après adaptation, du modèle des CADA, dont les personnels seront rassurés, la disparition des commissions de sélection et l’attribution des places d’hébergement d’urgence aux seules personnes en situation transitoire, sans oublier la répartition équitable des places en CADA réalisée par les préfets de région après concertation avec les préfets de département et les élus locaux, toutes ces mesures bien pensées amélioreront l’accueil sur leur sol des familles persécutées.

Elles sont conformes à l’idée d’une France ouverte, juste et humaine. C’est pourquoi je voterai, en conscience, avec cœur et conviction, ce beau projet de loi républicain et fidèle à l’esprit des Lumières ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Esther Benbassa et Françoise Laborde applaudissent également.)

Mme la présidente. Je vous remercie d’avoir respecté votre temps de parole, ma chère collègue.

La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de remercier l’ensemble des orateurs qui ont contribué de façon très utile à cette discussion générale en versant au débat leurs différents éclairages. Je regrette simplement que, compte tenu de l’ordre du jour de la Haute Assemblée, le débat aujourd’hui ouvert ne puisse se poursuivre que lundi prochain.

Plusieurs questions ont été soulevées, auxquelles je vais m’efforcer de répondre aussi précisément que possible.

S’agissant d’abord des phénomènes migratoires en général, et de l’asile en particulier, le Sénat doit savoir que, contrairement à la crainte qui a été exprimée et aux affirmations plus aléatoires qui ont été avancées, la France n’est pas confrontée depuis deux ou trois ans à un flux de demandeurs d’asile qu’elle ne maîtriserait pas. Même, le nombre de demandes d’asile dans notre pays baisse depuis 2014, dans le contexte d’une pression migratoire pourtant considérable : après avoir baissé de 2,34 % l’an dernier, il n’a pas du tout augmenté au début de cette année, alors même que des milliers, et même des dizaines de milliers de demandeurs d’asile arrivent à Lampedusa.

Je me permets d’insister, car l’un d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, a laissé entendre que la déstabilisation du contexte géopolitique entraînait, sur le territoire européen, un afflux massif de migrants que nous serions incapables de maîtriser. Cela ne correspond pas du tout à la réalité.

Néanmoins, étant d’accord avec les nombreux orateurs de toutes sensibilités, en particulier M. le rapporteur et M. le rapporteur pour avis, qui nous ont appelés à la lucidité, je parlerai honnêtement devant la représentation nationale : je ne peux pas exclure que la déstabilisation politique de la Libye, un pays dépourvu d’État et incapable de faire face à l’existence sur son sol de véritables organisations de traite des êtres humains, sans parler des organisations terroristes qui, me dit-on, se livrent au trafic des êtres humains pour financer leurs activités, ne conduise à une pression démographique telle que l’Union européenne se trouver un jour confrontée à une situation extraordinairement difficile. Ne pas l’admettre serait, dans le contexte actuel, une manière d’occulter la réalité ; or ne pas regarder la réalité en face nous condamnerait à ne pas pouvoir la maîtriser à terme.

Ainsi donc, il est faux de prétendre que le nombre de demandeurs d’asile en France connaîtrait une augmentation massive depuis trois ans, même si la pression migratoire qui s’exerce sur l’Union européenne s’est fortement accrue ; en revanche, nous pourrions nous trouver confrontés demain à une situation compliquée, du fait notamment de la situation en Libye.

Non moins inquiétante est la situation dans la bande sahélo-saharienne, où des groupes terroristes et des organisations criminelles sont disséminés dans de nombreux pays qui peinent à maîtriser leurs frontières. Conscient de ce problème, je me rendrai à partir de mercredi au Niger, puis au Cameroun ; je m’attacherai à approfondir le travail que nous avons entrepris l’an dernier en Mauritanie avec les pays de la bande sahélo-saharienne pour les aider à mieux maîtriser leurs frontières et pour lutter contre les organisations criminelles internationales, en particulier celles qui se livrent à la traite des êtres humains.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’ont très bien dit Catherine Tasca, Jean-Yves Leconte et Esther Benbassa, ainsi qu’Éliane Assassi, que j’ai écoutée avec beaucoup d’intérêt, comme à l’accoutumée, nous devons bien prendre la mesure de cette véritable bataille pour l’existence que mènent les migrants qui sollicitent asile et protection. De quelque manière que l’on envisage la question, il demeure que rien, dans le temps long de l’histoire de l’humanité, n’a jamais empêché des hommes, des femmes, des enfants et même des peuples, lorsqu’ils sont persécutés sur leur sol avec le degré d’abjection que l’on devine, de prendre le chemin de l’exode pour essayer de sauver leur vie.

En vérité, quand on connaît les exactions dont sont capables certains régimes, en Irak, en Syrie ou en Érythrée, à l’égard de leur propre peuple, et la barbarie dont font preuve à l’encontre des chrétiens d’Orient, des yézidis et d’autres minorités, les groupes terroristes qui prospèrent en Irak, en Syrie et, désormais, en Libye, on comprend que des populations prennent le chemin de l’exode, à leur corps défendant et avec une souffrance extrême, parce que c’est leur existence même qui est en jeu.

Lorsque Laurent Fabius et moi-même avons reçu, au Quai d’Orsay, les représentants des minorités chrétiennes qui sollicitent la protection de la France, parce qu’elles sont victimes des exactions les plus horribles de la part de groupes terroristes, ils ne nous ont pas demandé d’accorder l’asile à leurs populations, non, ils nous ont demandé que la France fasse tout, au plan international, pour qu’elles n’aient pas à partir et à chercher refuge en Europe. (Marques d’approbation sur de nombreuses travées.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, combien d’horreurs ai-je entendues dans les récits de ces victimes contraintes à prendre le chemin de l’exil ! J’ai en revanche rencontré peu de personnes m’expliquer que c’est par amour du code Schengen, lu quelque part sur les plages de Libye, qu’elles se sont mises en route vers l’Europe. Ils ne sont que quelques-uns à faire de l’Europe la source de tous les maux et raisonner de façon extraordinairement sommaire sur des sujets des plus compliqués pour faire croire à l’opinion publique que les choses se passent ainsi. D’ailleurs, je constate que, malgré la pluralité des sensibilités représentées sur les travées du Sénat, aucun d’entre vous, à une exception, n’a exprimé une telle idée.

De nombreux orateurs, en particulier M. le rapporteur pour avis, Mme Catherine Tasca, M. Jean-Yves Leconte, M. Pierre-Yves Collombat et Mme Valérie Létard, ont abordé la question de l’Europe : considérons-nous que l’Europe a un rôle particulier à jouer pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés ? Une autre question, tout aussi fondamentale, a été posée par M. Karoutchi : la France a-t-elle une stratégie en Europe pour faire face au drame de grande ampleur que nous connaissons ?

Oui, la France a une stratégie en Europe ; je prendrai le temps de l’exposer précisément devant la Haute Assemblée, car cet aspect du débat est capital.

Nous sommes confrontés à un drame humanitaire qui conduit l’Europe à augmenter les moyens consacrés au sauvetage de migrants de plus en plus nombreux et de plus en plus vulnérables, que leurs passeurs abandonnent sur des embarcations de plus en plus frêles pour une traversée de plus en plus souvent mortelle, après avoir prélevé sur eux des sommes de plus en plus importantes – un véritable impôt de mort.

Pour secourir ces migrants, les Italiens ont décidé, il y a quelques mois, l’opération Mare Nostrum. Cette opération de sauvetage en mer, tout à fait exemplaire d’un point de vue moral et que nous ne pouvons que remercier les Italiens d’avoir lancée, a incontestablement permis des sauvetages plus nombreux ; mais le contexte a provoqué, au bout du compte, une augmentation du nombre de morts. Ainsi arrive-t-il parfois qu’une opération humanitaire inspirée par les meilleures intentions conduise à une aggravation des problèmes. De fait, ces cyniques que sont les acteurs de l’immigration irrégulière ont incité de plus en plus de migrants à prendre la mer dans des conditions de plus en plus aléatoires. Résultat : s’il y a eu plus de sauvetages, il y a eu aussi plus de morts.

C’est la raison pour laquelle je me suis battu, monsieur Karoutchi, pour qu’une opération de FRONTEX, l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l’Union européenne, se substitue à Mare Nostrum. Il ne s’agissait pas de cesser de sauver des vies, comme j’ai pu le lire ou l’entendre dire, mais de mettre en place une opération qui, tout en continuant de sauver des vies – c’est le cas, comme nous en avons des exemples récents -, envoie aux passeurs un signal : nous n’entendons pas les laisser se livrer à leur trafic morbide sans réagir, tant il est vrai que cette opération FRONTEX vise, en même temps qu’à sauver des vies, à démanteler les filières criminelles de la traite des êtres humains.

La France se battra pour que les moyens alloués à FRONTEX soient accrus, afin que l’Agence soit en mesure de continuer à démanteler les filières de l’immigration irrégulière.

En France, nous obtenons de bons résultats dans ce domaine : en 2014, comme je l’ai signalé au début de la discussion générale, nous avons démantelé 300 filières d’immigration irrégulière de plus qu’en 2013. J’ai donné des instructions très claires aux services qui sont sous ma responsabilité pour qu’ils fassent de la lutte contre ces filières l’une de leurs priorités et pour qu’ils travaillent en liaison avec les services de renseignement et les polices non seulement des autres pays de l’Union européenne, mais également des pays de provenance, car il faut démanteler les filières partout où elles agissent.

La France œuvre également au renforcement d’un autre aspect de la politique de l’Union européenne, au sujet duquel j’ai présenté des propositions à mes homologues européens dès cet été, soit bien avant la publication du plan Juncker : je veux parler de l’organisation, dès les pays de provenance, de la distinction entre les personnes qui relèvent de l’immigration économique irrégulière et celles qui relèvent de l’asile.

Si nous, pays de l’Union européenne, réussissons à opérer cette distinction au Niger, au Cameroun et dans les autres pays qui voient transiter les flux de migrants, en liaison avec le Haut- Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l’Organisation des migrations internationales, nous conduirons nous-mêmes en Europe ceux qui ont droit à notre protection ; ainsi, nous les arracherons aux mains des passeurs, nous combattrons les organisations criminelles internationales qui les exploitent et nous préviendrons des morts en mer. Si nous y parvenons, nous serons fidèles aux pères fondateurs de l’Union européenne et à leurs valeurs d’humanité, d’accueil et de protection, auxquelles tous les orateurs ont marqué leur attachement.

Grâce à des mesures de développement puissantes, nous devons assurer l’intégration dans leur propre pays de ceux qui fuient l’Afrique pour des raisons, vous les avez évoquées, qui tiennent à la pauvreté. Il s’agit d’ailleurs souvent de pays d’Afrique de l’Ouest qui ne sont pas dirigés par des régimes sanguinaires.

Je voudrais insister sur un dernier point concernant la politique de l’Union européenne, à savoir la politique des quotas. Contrairement à ce que vous avez pu croire, je ne soutiens pas la politique des quotas. Au contraire, je suis persuadé que nous devons mener une politique européenne de l’asile. C’est le seul moyen de renforcer l’Union européenne dans ses politiques d’immigration.

Le nombre de demandeurs d’asile que nous devons accueillir dans les pays européens doit prendre en compte l’effort déjà fourni en la matière par certains d’entre eux au cours des années précédentes. En effet, pour soutenir la politique d’accueil, des pays comme l’Allemagne, qui reçoit beaucoup de demandeurs d’asile, ou comme la France, qui fait son devoir, doivent être moins sollicités que d’autres qui n’en ont pas accueilli du tout jusqu’à présent.

Cette répartition du nombre des demandeurs d’asile entre les États de l’Union européenne qui prenne en compte les efforts déjà fournis par ces pays au cours des dernières années n’est pas une politique des quotas, c’est une politique européenne de l’asile. Voilà ce que je préconise, et c’est pour cela que nous nous battons au sein de l’Union européenne.

Je tiens maintenant à apporter des réponses précises aux questions que vous avez posées sur l’efficacité des dispositions prévues par ce projet de loi.

La réduction des délais est-elle efficace au regard des objectifs que nous nous fixons ? Elle est efficace à condition que nous tenions l’objectif d’une reconduite à la frontière, dans des conditions dignes et humaines, de ceux qui ont été déboutés du droit d’asile (Mmes Joëlle Garriaud-Maylam et Catherine Troendlé ainsi que M. Michel Savin approuvent.). Si nous ne sommes pas capables de remédier à ce qui ne fonctionne pas aujourd’hui, aucune politique de l’asile ne sera soutenable.

Sur ce point, nous devons dire clairement les choses. Je susciterai peut-être des divergences d’appréciation avec certains des parlementaires qui se sont exprimés, mais j’estime que nous devons tenir un discours de responsabilité et de vérité.

Si nous considérons qu’au terme de la procédure d’asile tous ceux qui sont déboutés ont vocation à rester sur le territoire national, à quoi sert-il d’avoir une procédure d’asile en France ? (Bien sûr ! sur plusieurs travées de l'UMP.)

Mais j’irai plus loin : si tous les déboutés du droit d’asile doivent rester sur notre sol, cela signifie a fortiori que nous avons vocation à accueillir de façon inconditionnelle tous ceux qui arrivent. Une telle politique – et j’aimerais par anticipation prévenir les parlementaires les plus enclins à aller dans cette voie – ne pourrait que renforcer encore l’attractivité de la destination France, au point qu’il n’y aurait bientôt plus de politique d’accueil au sens où nous l’entendons, c'est-à-dire que les meilleures intentions humanitaires se traduiraient par une catastrophe humanitaire. C’est précisément parce que je suis attaché à l’asile, dont la philosophie a été rappelée par nombre d’entre vous, que je ne le souhaite pas.

Ma position sur ce sujet est donc très claire : les déboutés du droit d’asile doivent pouvoir être reconduits à la frontière dans les meilleures conditions et en toute humanité, ce qui implique un dialogue avec les pays de provenance et des dispositions juridiques nouvelles dans ces pays d’origine, c’est-à-dire un continuum d’humanité et de responsabilité, moyennant des dispositifs juridiques qui le permettent.

La position qu’a adoptée le groupe UMP, dont je me réjouis, et la manière dont nous avons débattu ce soir, que j’ai appréciée, me rendent optimiste quant à la possibilité d’aboutir, sur ce projet de loi, au compromis républicain que je souhaite.

Si je ne souscris pas à tous les amendements que vous avez déposés, pour des raisons qui tiennent à la Constitution ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme, je suis cependant d’accord avec certaines des dispositions proposées à l’occasion de la discussion du présent projet de loi, même si j’estime qu’elles trouveront mieux leur place dans le projet de loi relatif à l’immigration et au droit au séjour.

En effet, un débouté du droit d’asile est, me semble-t-il, un immigré en situation irrégulière, et il ne faudrait pas que cet immigré, sous prétexte qu’il a demandé l’asile en France, soit moins bien traité qu’un immigré en situation tout aussi irrégulière qui n’aurait pas demandé l’asile. Cela poserait des problèmes notamment d’ordre constitutionnel, au regard du principe d’égalité.

Mais à partir du moment où le Gouvernement, par ma voix, pose en toute clarté que ces préoccupations seront traitées dans le projet de loi relatif au droit au séjour, et non dans le projet de loi de relatif à l’asile, toutes les conditions sont réunies pour parvenir à trouver le chemin d’un compromis républicain de qualité. Je ne pense pas que les orateurs de la majorité sénatoriale qui ont exprimé ces inquiétudes aient la volonté de créer des clivages inutiles ou de susciter des tensions à ce sujet, et encore moins de l’instrumentaliser. Je m’engage donc sur la suite, que je n’envisage pas dans un temps très lointain, et je pense que nous pouvons trouver un accord sur ce point.

Mme Éliane Assassi et M. Jean-Yves Leconte se sont inquiétés de la procédure accélérée. On retrouve ces interrogations dans certains propos et dans certains journaux. Que les uns et les autres soient rassurés, ma réponse sera, là encore, très claire : nous ne sommes animés d’aucune volonté d’accorder moins l’asile et de renouer avec une politique du chiffre.

Si nous voulons réduire les délais de traitement des dossiers, c’est dans l’intérêt des demandeurs d’asile eux-mêmes, et aussi parce que nous pensons – c’est ma conviction profonde - que nous sommes en mesure de le faire. Les discussions que j’ai pu mener avec le directeur général de l’OFPRA, M. Pascal Brice, le directeur général de l’OFII, M. Yannick Imbert, et le directeur général des étrangers en France, M. Luc Derepas, m’ont convaincu du fait que plus le temps de traitement du dossier est long, plus on risque une déshumanisation de la gestion de ces migrants désespérés, et plus le retour dans des conditions humaines de ceux qui ne relèvent pas de l’asile est difficile.

Mme Catherine Tasca s’est très bien exprimée à ce sujet et je souscris tout à fait à son propos : nous ne pouvons faire autrement que de traiter ces demandes avec rapidité et efficacité.

Madame Assassi, vous l’avez remarqué, j’ai précisé dans mon propos, à plusieurs reprises, que cette procédure accélérée avait deux corollaires : la reconnaissance intégrale des droits des demandeurs d’asile, y compris en procédure accélérée, et la mise en place de dispositifs nouveaux devant l’OFPRA, permettant de les voir reconnus dans leurs droits, y compris dans des procédures contradictoires qui jusqu’à présent n’existaient pas.

Si, parce que nous introduisons dans un projet de loi, en toute sincérité républicaine, des dispositifs destinés à faciliter la vie et à diminuer les tourments de ceux qui sont les plus vulnérables, d’aucuns décèlent dans ces dispositifs de simplification une arrière-pensée perverse, alors il sera difficile de trouver des éléments de consensus et de mobilisation des associations qui, comme vous l’avez relevé à juste titre, font un travail absolument remarquable.

Madame Garriaud-Maylam, vous avez particulièrement fait porter votre propos sur la question de l’accès au travail des demandeurs d’asile, développant à cette occasion une réflexion et une argumentation abouties. J’espère ne pas trahir votre raisonnement, et montré par là que je vous ai écoutée avec attention, en résumant ainsi votre propos : il faut créer les conditions pour permettre une mise au travail la plus rapide possible des demandeurs d’asile en évitant absolument l’assistanat, et, à cet égard, le texte tel qu’il est issu des travaux de l’Assemblée nationale pourrait être grandement amélioré.

Précisément, madame Garriaud-Maylam, j’ai donné un avis favorable à un amendement défendu par votre collègue députée Sandrine Mazetier qui tendait à instaurer un délai de neuf mois ; passé ce délai les demandeurs d’asile devaient avoir accès à l’emploi ainsi qu’à la formation professionnelle. Cet amendement me semblait relever d’un bon équilibre.

Vous proposez d’aller au-delà, seulement je ne suis pas certain que cela facilitera l’insertion professionnelle des demandeurs d’asile, et je redoute que l’on renforce ainsi l’appel d’air et l’attractivité de la France. Or vous redoutez justement que la France ne soit exposée plus que d’autres pays à ce risque.

Il faut choisir sa stratégie, on ne peut se fixer les deux objectifs à la fois.

Les débats que nous aurons sur ce projet de loi seront sans doute l’occasion d’approfondir la réflexion sur le sujet, et je pense que l’examen de certains amendements nous permettra de traiter cette question.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si nous voulons humaniser ces dispositifs, qu’il s’agisse de la réduction des délais ou de l’amélioration des conditions d’accueil des demandeurs d’asile et de leur reconduite à la frontière, nous avons besoin impérativement d’une mobilisation forte des administrations, en lien étroit avec les associations. Telle doit être la méthode, telle doit être la règle.

Je terminerai en évoquant la situation à Calais, ce mot qui n’a pas été prononcé encore dans notre débat.

Votre collègue Natacha Bouchart est très mobilisée sur le sujet et nous travaillons dans une relation d’écoute et de coproduction. Je souhaite qu’il en soit ainsi, par-delà nos différences politiques. Je me suis rendu dans cette ville il y a quelques jours auprès de migrants installés sur le terrain mis à leur disposition à proximité de l’accueil de jour que nous avons aménagé conjointement avec la mairie de Calais, et j’ai effectivement dit aux migrants de demander l’asile en France.

Il s’est ensuivi toute une série de tweets compulsifs de représentants de sensibilités politiques différentes, lesquels ont expliqué que j’étais un irresponsable incitant les migrants à demander l’asile en France, comme s’il n’y avait pas déjà suffisamment de demandeurs d’asile dans notre pays…

De quoi s’agit-il ? Quelle est ma politique à Calais ? Je tiens à ce que ma réponse soit consignée dans le compte rendu intégral des débats, car c’est un point important.

D’abord, à Calais, se trouvent toujours 2 000 migrants vivant encore dans des conditions qui, humainement, ne correspondent pas à ce que nous souhaitons. Or si nombre de ces migrants relèvent de l’asile en France, parce qu’ils viennent d’Érythrée, d’Irak ou de Syrie, d’autres sont dans une situation d’immigration économique irrégulière.

Nous avons confié à deux personnalités, MM. Vignon et Aribaud, le soin de conduire une mission sur l’humanisation des conditions d’accueil des migrants, en très étroite liaison avec les associations présentes à Calais. Le travail effectué par ces deux personnes missionnées avec lesdites associations a été remarquable. Les conclusions de cette mission seront rendues publiques à Calais à la fin du mois de mai, afin de définir les modalités d’un travail au long cours avec les associations en vue de répondre aux préoccupations humanitaires en la matière.

J’ai accepté que des financements de l’État et des fonds de l’Union européenne accompagnent la mise en place d’un accueil de jour à Calais, parce que je ne voulais pas qu’en France des migrants quels qu’ils soient, hommes, femmes et enfants, puissent mourir de faim et ne pas avoir accès, en termes de soins, d’hygiène et d’alimentation, au minimum que nous leur devions dès lors qu’ils relevaient de l’asile en France.

En outre, plutôt que de laisser ces migrants entre les mains des passeurs leur promettant un Eldorado en Grande-Bretagne, alors que les accords du Touquet nous interdisent de les laisser passer, nous avons conclu un accord avec les Britanniques, afin que ceux qui n’étaient pas « dublinables » et qui relevaient par conséquent de l’asile en France, demandent cet asile chez nous. À défaut, notre stock de migrants à Calais ne cesserait d’augmenter.

Alors, oui, à Calais, j’ai dit à ceux qui relevaient de l’asile en France qu’il était préférable pour eux de demander l’asile ici plutôt que de rester entre les mains des passeurs et des organisations internationales du crime, parce qu’il était de mon devoir moral de le faire et que, juridiquement, je n’avais d’autre issue que de leur tenir ce discours. C’était, pour des raisons morales et juridiques et au nom de l’efficacité de notre action à Calais, le seul discours que je pouvais tenir.

Par ailleurs, monsieur le sénateur, vous qui vous êtes interrogé pour savoir si nous avions assez de moyens pour agir, sachez que j’ai demandé à mes représentants, à mes collaborateurs, aux forces de sécurité qui dépendent de moi, notamment la direction centrale de la police aux frontières, la DCPAF – cela aussi, je l’assume devant le Sénat – de procéder à la reconduite à la frontière de tous ceux qui, à Calais, ne relèvent pas de l’asile en France. Sinon, notre action humanitaire à Calais n’a aucune soutenabilité. Telle est la politique que nous menons.

J’aurais pu survoler Calais en hélicoptère. J’aurais pu demander aux forces de l’ordre de disperser la « jungle » et conclure ma première visite à Calais, qui aurait d’ailleurs été aussi la dernière (Sourires.) en disant : « Regardez ce dont on est capable lorsqu’on a le courage politique de faire des choses absolument inefficaces et totalement inhumaines ! » Et j’aurais pu ne jamais revenir à Calais. Ce n’est pas mon choix. Je me rends régulièrement à Calais, une fois toutes les six ou huit semaines, je travaille en liaison avec la municipalité de Calais qui n’est pas de ma sensibilité politique, et je viens rendre des comptes à la population et aux associations de Calais pour expliquer notre action et la façon dont nous travaillons.

Voilà un lieu de désolation que l’on améliore en installant des infrastructures ; voilà des migrants qui n’ont pas d’autre solution en droit que de demander l’asile en France ; voilà un ministre qui conseille à ces migrants de faire cette demande parce que sa responsabilité morale le lui impose et qu’il n’y a de toute façon pas d’autre solution, en droit, que d’agir ainsi si l’on veut régler efficacement le problème, du moins si l’on parvient à convaincre les migrants. Mais voilà aussi des commentateurs de tous poils qui se disputent le droit de traiter le ministre d’irresponsable. Irresponsable ? Les migrants ne peuvent demander l’asile nulle part ailleurs qu’en France et ne pas s’y résoudre se résume pour eux à être condamnés à l’errance et à la vulnérabilité pour de longs mois !

Tel est le sens de ce que nous faisons à Calais, mesdames, messieurs les sénateurs, et c’est précisément parce que nous sommes convaincus de la responsabilité qui est la nôtre, de la nécessité d’être rigoureux dans notre action tout en étant respectueux des principes de notre droit, que nous devrions pouvoir trouver en la matière un compromis républicain. Il est bien d’autres sujets sur lesquels nous pouvons nous opposer pour que nous nous rapprochions à l’occasion de drames humains dont l’intensité est aussi forte et la réponse de la République si attendue.

Ce sont les éléments de réponse que je souhaitais donner à vos différentes interventions, très utiles, très riches et très denses. Je forme le vœu que le débat que nous allons avoir permette, au travers des amendements, d’aller au fond des questions, avec un niveau de précision technique et d’écoute mutuelle tel que ce texte puisse sortir du Sénat en étant meilleur, sur le plan des principes, sur le plan du droit , sur le plan de sa constitutionnalité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ces premiers échanges.