M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Le sujet est inépuisable… Nous sommes en deuxième lecture, et nous avons déjà largement débattu de la question de l’intercommunalité. On ne fait que relancer toujours les mêmes débats ! Mais je voudrais rappeler quelques points.

Grâce au Sénat, il est prévu dans la loi que les conseillers communautaires sont élus au suffrage universel, mais dans le cadre communal. Pourquoi cette précision est-elle très importante ? Parce qu’elle signifie qu’ils représentent leur commune dans une intercommunalité.

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Votre système, au contraire, c'est une supracommunalité, ce qui est aujourd'hui constitutionnellement impossible à prévoir.

Alors, cessons de débattre de cette question tous les six mois, de proposer des amendements visant à demander un rapport ou je ne sais quoi… De toute façon, un rapport n’apportera rien !

La question n’est pas là. On peut envisager, comme le prévoyait d’ailleurs la loi Marcellin en 1971, de regrouper les communes. D’autres pays l’ont fait : la Belgique, me souffle René Vandierendonck.

M. Louis Nègre. L’Italie !

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Nous n’avons pas fait ce choix.

Cher collègue Dantec, vous dites que ne voulez pas vous attaquer aux communes. Mais que se passera-t-il si des conseillers communautaires élus « directement » et disposant des compétences déléguées par les communes n’étaient pas élus conseillers municipaux et décidaient dans leur coin ? Belle organisation pour la France !

Ce qui fait la richesse de l’intercommunalité, c’est d’avoir des conseils municipaux qui se réunissent pour faire des choses en commun, afin notamment de réaliser des économies, du moins en théorie puisque, pour l’instant, ce n’est pas le cas… Mais cela viendra peut-être, surtout avec la baisse des dotations ! Car celle-ci se traduira forcément par des économies ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. C'est le moyen le plus simple pour faire des économies, à condition de pas tuer la bête en la privant de nourriture et de boisson ! (Nouveaux sourires.)

Il faut arrêter de faire des élucubrations. Pour supprimer les départements, il aurait fallu une révision constitutionnelle. Le jour où l’on voudra faire élire les intercommunalités au suffrage universel direct dans le cadre supracommunal, il en faudra aussi une.

On me rétorque qu’aux termes de la Constitution la loi peut créer d’autres collectivités territoriales. Effectivement, nous avons créé la métropole de Lyon et des collectivités en outre-mer, mais il s’agissait de cas spécifiques. On ne peut pas créer une nouvelle catégorie générale de collectivités territoriales.

Ceux qui ne sont pas lassés de ce débat peuvent continuer, mais franchement tout a été dit !

Monsieur Dantec, je respecte votre grande persévérance. Toutefois, si vous pouviez éviter de relancer toujours les mêmes débats, j’en serais ravi !

M. Ronan Dantec. Je ne suis pas le seul !

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Rassurez-vous, je dirai la même chose aux autres le moment venu ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. La parole est à M. Louis Nègre, pour explication de vote.

M. Louis Nègre. Monsieur le corapporteur, nous ne sommes pas lassés par cette discussion parce qu’elle porte sur une question de fond.

Le président Mézard a très bien expliqué quel était le problème. D’une part, il faudrait vraisemblablement modifier la Constitution, mais ce n’est pas la difficulté principale. D'autre part, il s’agit de savoir ce que l’on veut faire des communes dans l’organisation des collectivités territoriales.

Nous avons déjà eu ce débat pendant de longues heures lors de la discussion de la loi MAPTAM. Nous avions trouvé un équilibre qui paraissait acceptable et qui a d’ailleurs été accepté par tous. Et là, vous « remettez le couvert » !

Au fond, ce que vous voulez, c'est un changement non pas de niveau, mais de nature. Au final, vous ferez disparaître la commune,…

M. Alain Gournac. Bien sûr ! Il n’y aura rien !

M. Louis Nègre. … parce qu’elle deviendra une coquille vide. Ainsi, vous aurez fait disparaître ce qui constitue une tradition remontant à la Révolution, et même au-delà, ce noyau de base sur lequel nous avons toujours tous été très prudents.

Je suis premier vice-président de la première métropole qui ait été créée en France. Comme le disait M. Hyest, ce sont les maires qui, ensemble, parce qu’ils sont élus au suffrage universel, un suffrage universel non contestable, font en sorte d’orienter les débats. Personne, chez nous, ne regrette ce système, lequel a justement fait l’objet d’un accord général dans la loi MAPTAM.

Alors pourquoi cette provocation supplémentaire ? Pourquoi vouloir mettre à mal l’avenir des communes ? Vous connaissez la réponse aussi bien que moi : comme M. Mézard vient de le dire, vous voulez un changement complet et, au final, la disparition des communes. Eh bien, nous sommes contre !

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.

M. Philippe Kaltenbach. Nous sommes toujours caricaturés comme les méchants qui veulent supprimer les communes.

M. Louis Nègre. Ce n’est pas nous qui avons soulevé le problème !

M. Philippe Kaltenbach. Pour ma part, je n’accuse pas certains de ne rien vouloir changer, d’être plus conservateurs que les pires conservateurs ! C'est le débat ! Acceptez qu’il y ait des avis différents.

Notre collègue Yannick Botrel l’a très bien dit, le groupe socialiste du Sénat ne soutiendra pas l’amendement de M. Dantec. Nous sommes favorables à l’accord qui a été passé dans la loi MAPTAM : pour les métropoles, le suffrage universel direct ; pour les autres EPCI, le système reste inchangé, avec un fléchage des conseillers communautaires.

Monsieur Hyest, vous nous avez expliqué que l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct serait inconstitutionnelle. Je voudrais rappeler qu’une métropole est un EPCI et que, si celle de Lyon est particulière, les autres ne le sont pas. Or la loi prévoit bien que les conseillers métropolitains seront élus au suffrage universel direct en 2020. À mon avis, il n’y a pas d’obstacle constitutionnel.

En revanche, la situation politique actuelle nous conduit à nous en tenir au compromis auquel nous avions abouti, à ne pas aller au-delà et à être raisonnables. Mais, je le répète, je ne vois pas d’obstacle constitutionnel, ou alors il vaudrait aussi pour les métropoles, qui sont des EPCI.

Je note en passant que M. Hyest trouverait anormal qu’un élu municipal d’opposition puisse diriger une métropole…

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Cela pourrait arriver !

M. Philippe Kaltenbach. Mon cher collègue, je suis d’accord avec vous : ce ne serait pas forcément très positif. Je suis sûr que vous trouverez une solution pour empêcher ce type de dérive contraire à la démocratie… (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest, corapporteur. Il ne faut pas empêcher les gens d’être élus !

M. Philippe Kaltenbach. Je le redis, le groupe socialiste est pour le maintien des communes, et donc contre leur disparition. Mais nous sommes favorables à des évolutions. Nous voulons favoriser l’intercommunalité parce que nous estimons que la meilleure manière d’aider les petites communes, c’est bien d’avoir des intercommunalités fortes.

Sur le mode de scrutin, nous souhaitons conserver le système actuel. Sur ce point, nous n’envisageons pas d’évolution.

Monsieur Mézard, mesdames, messieurs les élus de la droite républicaine, évitons les faux procès et allons au fond des choses !

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, pour explication de vote.

Mme Jacqueline Gourault. Je me sens tenue de m’exprimer dans ce débat, car, si l’on met à part M. Marseille, qui préside notre séance, je suis la seule représentante de mon groupe.

Je suis tout à fait d’accord avec les propos tenus par René Vandierendonck : il faut que l’on sache si l’on change ou non de système. En restons-nous à ce que Jean-Pierre Chevènement appelait les « coopératives de communes » ou fait-on des EPCI des collectivités territoriales à part entière ?

Personnellement, je suis gênée par l’avis de sagesse que vient de donner M. le secrétaire d'État. Dans mon département, certains me disent : « Avec la loi NOTRe, le Gouvernement veut faire disparaître les communes puisque le texte prévoit l’élection au suffrage universel direct ! », et le mensuel 36 000 communes, distribué par Pierre-Yves Collombat, abonde dans ce sens. Je leur réponds que la disposition relative au suffrage universel direct ne figurait pas dans le texte du Gouvernement, qu’elle résulte d’un amendement de l’Assemblée nationale, qui a été adopté parce qu’il y a eu une majorité au moment où il a été présenté.

Pour ma part, je fais confiance au Gouvernement ; je ne crois pas qu’il veuille une telle réforme.

C'est la raison pour laquelle l’avis de sagesse de M. le secrétaire d'État m’inquiète. Je vois, devant M. le directeur général des collectivités territoriales, une grosse pile de chemises de couleur verte… Est-ce donc simplement pour faire plaisir aux Verts ? (Sourires.) C'est une première supposition… Ou bien pense-t-il, sur le fond, que c'est vers le système proposé par M. Dantec qu’il faut aller ?

Je fais confiance au Gouvernement. Mais si sa position est contraire à celle que je défends en quelque sorte en son nom, cela me mettrait en porte-à-faux, ce dont j’ai horreur. Monsieur le secrétaire d'État, j’aimerais que vous m’apportiez des explications à ce sujet.

À l’époque où j’étais vice-présidente de l’Association des maires de France, nous avions même réfléchi à un système maintenant l’élection des délégués des communes tel qu’il existe aujourd’hui, assorti d’une élection du président de l’intercommunalité au suffrage universel direct ; je me souviens que Jacques Pélissard y était assez favorable.

Tout peut être imaginé, tout peut évoluer, mais je voudrais être sûre de ne pas me tromper sur la position du Gouvernement lorsque je la défends sur le terrain.

M. Philippe Dallier. La vérité d’un jour n’est pas celle de toujours ! (Sourires.)

M. Roger Karoutchi. Elle varie selon les semaines !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. À l’évidence, apparaissent entre nous, dès lors qu’il s’agit d’être pragmatique quant au fonctionnement de nos collectivités territoriales, des zones de consensus, et c’est heureux. Toutefois, se présentent également des points de clivage, dont j’ai malheureusement le sentiment qu’ils sont absolument irréductibles.

En effet, les perspectives dans lesquelles la majorité de l’Assemblée nationale s’est inscrite ne peuvent être acceptées par la majorité sénatoriale.

Je vois une certaine analogie avec ce qui avait été décidé avec les régions voilà trente-trois ans, soit un tiers de siècle exactement. En réalité, lorsque la loi de 1972 a créé les établissements publics régionaux, elle a conçu chaque région comme une sorte de syndicat interdépartemental. La région était, par le biais d’une mutualisation, la poursuite de l’action départementale sur la base d’un partenariat entre départements.

Quand, en 1982, on institue une nouvelle catégorie de collectivités territoriales, il est prévu de l’élire au suffrage universel direct, et la région change alors de nature. On crée par là même cet emboîtement de collectivités qui, depuis le tournant du XXIe siècle, fait débat entre Français et a pu paraître à certains égards excessifs, vous incitant – je m’adresse au Gouvernement et à sa majorité – à envisager la suppression des départements pour y répondre.

Depuis, vous avez compris que ce n’était pas la bonne solution.

Lorsque nous avions envisagé la création du conseiller territorial, nous avions cherché un compromis qui permettait, sans revenir sur la naissance des collectivités territoriales régionales, d’exprimer notre souci d’une osmose entre les départements et les régions, ces dernières étant en quelque sorte mises au service des projets départementaux et chargées de réaliser un arbitrage entre départements pour provoquer un intérêt supradépartemental, mais en cohérence avec ceux-ci.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Quant à vous, avec une certaine constance dans l’idéologie, que je ne peux d’ailleurs vous reprocher, vous essayez de concevoir au niveau supracommunal, un tiers de siècle plus tard, ce que vous avez réalisé en 1982 pour les régions, c’est-à-dire un découplage progressif, par le moyen du suffrage universel direct, entre communes et intercommunalités.

C’est précisément ce que nous ne pouvons accepter parce que, pour nous, l’intercommunalité est l’instrument de la poursuite de la politique municipale, en lien avec les partenaires que les électeurs des autres communes nous ont donnés.

Ce qui nous différencie sur ce point est absolument fondamental, car, que vous le vouliez ou non, la concurrence que vous créez par le suffrage universel direct entre communes et intercommunalités ne pourra être résolue, à terme, que par le choix entre l’une de ces deux collectivités.

C’est pourquoi je vous supplie humblement de renoncer à cette approche. Vous ne pouvez, d’un côté, dire que vous êtes favorables à la pérennité de l’institution communale et, de l’autre, susciter cette forte concurrence qui, à l’évidence, crée une dynamique sur laquelle nous ne pourrons pas revenir.

M. Louis Nègre. Absolument !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Sur ce point précis de notre débat, alors que les sujets sur lesquels pourrait se dégager un consensus sont si nombreux, le clivage est, à mon sens, absolument irréductible. (MM. Alain Gournac et René-Paul Savary applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Leroy, pour explication de vote.

M. Jean-Claude Leroy. J’applaudis sans réserve à ce que vient de dire Philippe Bas, dont la démonstration est éblouissante.

J’ajouterai un élément à son argumentaire : la subsidiarité, sur laquelle est fondé le fonctionnement moderne de nombre de nos institutions, y compris nos institutions européennes – et il faut souhaiter que celles-ci respectent la subsidiarité, notamment s’agissant des collectivités locales.

Proposer de revenir sur cette question de l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel, c’est en réalité renoncer, à terme, au principe de subsidiarité. Il faut donc bien y réfléchir.

Peut-être que, dans six ans ou douze ans, nos successeurs, à la lumière des évolutions institutionnelles à venir aux niveaux européen, national et régional, reviendront sur les arguments et sur les convictions que nous développons aujourd’hui. Mais, de grâce, et je rejoins Philippe Bas, faites en sorte que les communes restent à leur place, qu’elles puissent désigner les délégués communautaires de façon indirecte, afin que les conseillers communautaires soient bien les délégués des communes et que les communautés de communes ne soient que le prolongement, dans le respect de la subsidiarité, de la volonté des communes ! Il s’agit d’une nécessité démocratique très actuelle.

M. le président. Monsieur Dantec, l'amendement n° 634 est-il maintenu ?

M. Ronan Dantec. Oui, monsieur le président.

Je suis assez étonné du temps pris par ce débat. (Mme Jacqueline Gourault et M. Philippe Dallier s’exclament.) Très honnêtement, il s’agissait d’un amendement un peu « identitaire », ce qui relève d’une démarche tout à fait normale. D’ailleurs, je n’ai pas abusé de mon droit d’amendement lors cette deuxième lecture, puisque le nombre de mes propositions est relativement limité.

Cela étant, je me demande bien pourquoi vous avez besoin de débattre à nouveau durant près d’une heure sur cette question, alors qu’il est très peu probable que cet amendement recueille ici une majorité.

Je remercie sincèrement M. le président de la commission de son intervention, car il donne la clef de la raison de cette discussion et de la nécessité pour les uns et les autres d’y participer une nouvelle fois. En effet, nous sommes là dans un processus et nous savons tous très bien ici que ce texte sera une loi de compromis, une étape sur un chemin qui ne s’arrête pas là.

M. René Vandierendonck, corapporteur. Comme toutes les lois !

M. Ronan Dantec. Nous ne sommes pas en train d’élaborer une loi pour vingt ans : nous légiférons en la matière probablement pour moins de dix ans.

Mme Jacqueline Gourault. Ce n’est déjà pas mal !

M. Ronan Dantec. Si vous y revenez, c’est justement parce qu’une autre étape se profile.

Le président Philippe Bas a évoqué de manière très intéressante et stimulante l’exemple de la région, expliquant que, à partir du moment où l’on a transformé la région en une collectivité de plein exercice, on a affaibli le département, avec comme suite logique la fin de celui-ci ; cela étant, il perdure aujourd’hui. Seulement, dans son raisonnement, il manque un élément : qui, aujourd’hui, oserait revendiquer la suppression des régions, en invoquant leur absence de légitimité démocratique ?

M. Philippe Dallier. Personne ne peut le dire !

M. Ronan Dantec. Demain, cette intercommunalité qui correspond à la réalité de la vie quotidienne, avec un scrutin direct, gagnera évidemment aussi sa légitimité, et personne n’y reviendra plus.

Le vrai problème, comme l’a suggéré René Vandierendonck, c’est de trouver le bon mode de fonctionnement, afin d’organiser, comme c’est le cas dans une démocratie moderne, un scrutin direct en cas de compétence lourde, tout en s’imposant d’intégrer une diversité territoriale correspondant, culturellement, à la place de la commune, qui, je le redis, représente un élément fort de l’identité française pour chacun d’entre nous et, de ce fait, ne disparaîtra pas.

J’avais d’ailleurs précédemment déposé un amendement reprenant l’idée, également défendue par Alain Bertrand – j’ai renoncé à réitérer cette démarche pour éviter un nouveau débat sur ce thème –, selon laquelle, face au problème de l’hyper-ruralité, il faudra peut-être demain instituer deux chambres au niveau local. Mais, à cet égard, le Sénat joue plutôt le rôle du « frein à main », essaie en tout cas de ralentir un processus en fait inéluctable, comme le laissent apparaître en filigrane beaucoup d’interventions.

Or, selon moi, il faut vraiment s’attaquer à la question de savoir comment assurer plus grande légitimité démocratique à l’intercommunalité. La solution consiste peut-être à avoir deux chambres. Cela m’apparaîtrait comme assez logique.

Quoi qu'il en soit, mes chers collègues, comme vous savez que tout cela est inéluctable, discutons-en sérieusement et essayons de trouver un consensus. Eu égard à leurs compétences, les intercommunalités ne peuvent pas se priver longtemps du scrutin direct dans une démocratie moderne.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Je ne comptais pas intervenir dans ce débat passionnant, mais comme c’est « open bar » (Sourires.) et que tout le monde s’exprime au prétexte d’explications de vote qui n’en sont pas vraiment….

Qui voudrait mettre un terme aux régions ? demande M. Dantec. Moi !

M. Philippe Dallier. C’est un conseiller régional qui le dit !

M. Roger Karoutchi. En tant que régionaliste convaincu ayant défendu la région dans la loi Raffarin de 2004 et aussi en tant que président de la commission des finances de la région d’Île-de-France, j’affirme aujourd’hui que, dans l’état actuel des choses, cela ne fonctionne pas. (M. Jacques Mézard fait un signe d’approbation.)

L’éloignement des élus régionaux par rapport à la réalité du terrain est une horreur ! (M. Jacques Mézard applaudit.)

M. Philippe Dallier. Ils sont hors sol !

M. Jean-Claude Leroy. Il n’a pas tort.

M. Roger Karoutchi. Ils sont effectivement hors sol.

La région d’Île-de-France, qui compte déjà 12 millions d’habitants, n’a pas été modifiée, mais la création des autres très grandes régions va entraîner les mêmes effets !

Les régions ont été créées pour être des collectivités d’investissement et d’intervention : il s’agissait pour elles de coordonner l’action des départements en termes d’aménagement ou d’activité économique et d’exercer des missions correspondant réellement à l’intérêt global de leurs habitants.

Progressivement, avec l’instauration du suffrage universel, la nature ayant horreur du vide et les élus souhaitant s’arroger, à côté de leurs droits, les compétences et les pouvoirs y afférents, les régions se sont apparentées à des collectivités de gestion de plus en plus lourdes, administratives, effectuant de moins en moins d’interventions, perdant peu à peu de leur force.

Il est de bon ton d’affirmer que la région doit remplir ces missions, mais ce n’est pas vrai ! Autant j’estime que la région peut exercer une action forte en matière d’investissement et de coordination de l’action des départements, autant je considère que, dans un territoire aussi grand, la gestion directe est impossible. Par conséquent, la région émet des règles, élabore des schémas,…

M. Philippe Dallier. Tout à fait !

M. Roger Karoutchi. …et il lui faut parfois six ans, comme en Île-de-France, pour établir le schéma régional de développement, cinq ans pour le schéma d’aménagement, des schémas sur lesquels on essaie ensuite désespérément d’obtenir l’approbation des conseils départementaux.

Bien sûr, on pourrait revenir à la conception originelle des régions. Mais on ne le fera pas, car, avec le suffrage universel, vous avez créé des élus qui estiment que leur rôle n’a rien à voir avec la coordination des départements et qui réclament au contraire de réels pouvoirs. Et si vous faites des intercommunalités élues au suffrage universel direct, vous produirez les mêmes effets parce que, par définition, les conseillers communautaires élus au suffrage universel s’érigeront en représentants du peuple, détenant légitimement le pouvoir, et ils dessaisiront les communes, comme les régions tendent, non pas volontairement, mais mécaniquement, à dessaisir les départements.

Dans ce pays, on n’a pas compris que l’on ne pouvait pas élire tous les niveaux de compétences au suffrage universel sans créer des demandes, des pouvoirs et la volonté d’en obtenir davantage.

Par conséquent, soit on affirme que la commune et le département sont les collectivités fondatrices, le point autour duquel se mettraient en place des organisations, ce qui aurait du sens, soit on met en place le suffrage universel à tous les niveaux, et vous verrez que cela fonctionnera de moins en moins et coûtera de plus en plus cher.

M. Philippe Leroy. Très bien ! De la part d’un Francilien, c’est remarquable ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.

M. Michel Mercier. Mes chers collègues, un Huron qui se rendrait aujourd'hui, non pas au Palais-Royal, mais au palais du Luxembourg, peinerait sans doute à comprendre nos débats… (Sourires.)

M. Roger Karoutchi. Ça, c’est vrai !

M. Michel Mercier. En effet, si on lit attentivement l’amendement de M. Dantec, on constate qu’il est déjà satisfait et qu’il n’y a donc rien à faire : actuellement, les conseillers communautaires sont élus au suffrage universel direct, même si c’est dans le cadre de la commune.

Cher collègue, vous pourrez tourner le problème dans tous les sens, changer telle ou telle modalité, rien n’y fera…

M. Ronan Dantec. C’est mieux écrit ainsi !

M. Alain Gournac. Cette rédaction ne signifie rien !

M. Michel Mercier. En fait, vous visez un but purement idéologique.

M. Ronan Dantec. Oui, et je suis bien le seul dans cet hémicycle !

M. Michel Mercier. En l’espèce, certainement. D’ailleurs, si l’on en croit les derniers sondages, votre tendance est plutôt en repli… (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Je crois que cette position idéologique ignore quelque peu les réalités du terrain.

M. Michel Mercier. Voyez, par exemple, le cas des communes nouvelles : il ne s’agit pas nécessairement de supprimer les communes existantes, bien au contraire. Nos concitoyens sont attachés à leur commune et, pour prévenir sa disparition, ils peuvent accepter de leur voir confier des compétences particulières au sein des intercommunalités.

J’ai l’habitude de sillonner notre pays : il n’est pas rare que je voie plusieurs centaines de maires se réunir pour réfléchir à ces sujets. Bien entendu, tous ces élus ne créent pas des communes nouvelles dans la minute. Mais ces structures deviennent de plus en plus nombreuses, et les maires qui concourent à leur création croient en la commune. Et la commune a un rôle à jouer dans le cadre intercommunal. Il ne faut pas opposer la commune et l’intercommunalité !

Certes, pour l’heure, l’intercommunalité voit ses compétences propres augmenter au fil des réformes – je songe, notamment, à la loi ALUR. Mais il s’agit là de compétences communales assumées au niveau intercommunal.

Monsieur Dantec, le conseil communautaire est élu au suffrage universel direct. Le régime électoral en vigueur ne vous plaît peut-être pas, mais, si j’ai bien compris, d’autres modes de scrutin vous inspirent également des réserves ! Pour autant, le Gouvernement n’envisage pas de les modifier dans l’immédiat. Ainsi du mode d’élection des députés, dont vous réclamez régulièrement la révision.

M. Philippe Kaltenbach. Ça, on verra plus tard !

M. Ronan Dantec. C’est ouvert !

M. Michel Mercier. Cher collègues, je ne vois pas pourquoi je me priverais de le soulever un débat qui vous divise, quand vous ouvrez sans cesse des discussions qui n’ont pas lieu d’être ! (Sourires.)

À mon sens, cet amendement est déjà satisfait. Il nous appartient de donner une vraie vie aux communes et aux intercommunalités. Quant aux autres questions, ce n’est pas le moment de les examiner. M. Dantec le sait parfaitement. Mais, à la paix, à la sérénité et à l’efficacité des territoires, il préfère sans doute une joyeuse pagaille, qui, à ses yeux, doit avoir le mérite de ressembler à une trame verte ! (M. le président de la commission des lois et M. Jacques Mézard applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Vallini, secrétaire d'État. À l’invitation de Mme Gourault, je vais tâcher de préciser la position du Gouvernement, qui est d’ailleurs très claire.

M. André Vallini, secrétaire d'État. M. le président de la commission des lois l’a rappelé : le conseiller territorial, lorsque sa création a été proposée, a été diabolisé par l’opposition de l’époque...

M. Philippe Dallier. C’est le moins que l’on puisse dire !

M. André Vallini, secrétaire d'État. … alors qu’il ne méritait peut-être pas de telles critiques.

M. Philippe Dallier. C’est sûr !

M. André Vallini, secrétaire d'État. Il présentait malgré tout de nombreux défauts. Il nous exposait notamment à deux risques.

D’une part, ce système aurait pu provoquer une « évaporation des départements ». (M. Ronan Dantec le confirme.) C’est d’ailleurs précisément ce que souhaitait M. Balladur – j’étais membre du comité qu’il a présidé –, à qui j’emprunte cette expression : il comptait sur le conseiller territorial pour que les départements s’évaporent dans les régions.

D’autre part, le conseiller territorial aurait pu susciter une « cantonalisation » des régions, et c’est ce risque qui me semblait le plus sérieux à l’époque.

M. Yannick Botrel. C’était le danger !