Mme la présidente. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons les dispositions relatives à la création de la prime d’activité.

Il me semble qu’il existe peu de défenseurs du système qui prévaut aujourd’hui, système dual, complexe et peu lisible, avec, d’un côté, le RSA, le revenu de solidarité active, et, de l’autre, la prime pour l’emploi.

Néanmoins, la commission des finances, qui s’est saisie pour avis de l’article 24, estime que, avec cette prime d’activité, on a quelque peu manqué d’ambition et que, surtout, sa création aurait pu s’accompagner d’une simplification.

En effet, nous avons aujourd’hui à la fois un système déclaratif et un système de calcul automatique par la direction générale des finances publiques. Il aurait été opportun de profiter de cette occasion pour supprimer le système déclaratif et ne garder que l’automaticité.

Le maintien du système déclaratif est principalement justifié par la nécessité de calculer les revenus à prendre en compte pour la nouvelle prime d’activité de manière contemporaine. Il reste que c’est paradoxal au moment où le Gouvernement annonce un projet de réforme…

Mme Nicole Bricq. Le prélèvement à la source !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. … avec la future mise place, en effet, du prélèvement à la source, même si elle ne se fait que de manière très progressive et que les questions à son sujet restent nombreuses.

En tout cas, le Gouvernement nous dit que la mensualisation et la télédéclaration seront de plus en plus fréquentes. Dans ce cas, pourquoi prévoir des déclarations trimestrielles pour la prime d’activité au lieu d’aller vers un système de calcul automatique des revenus à prendre en compte ?

À cela s’ajoute un problème de différence de bases. En effet, lorsqu’on examine les bases qui seront prises en compte pour la prime d’activité, on s’aperçoit qu’y figureront toutes les prestations et toutes les aides sociales, mais qu’il y aura néanmoins vingt-quatre exceptions, dont les primes ou prestations à finalité sociale particulière. Le système est donc loin d’être simple !

Il aurait donc été plus pertinent de privilégier un système automatique et de simplifier en prévoyant la prise en compte des revenus connus notamment de l’administration fiscale.

Le projet de loi prévoit aussi un certain nombre d’exclusions, parmi lesquelles les capitaux placés ou non placés et non producteurs de revenus, les biens immobiliers non loués ou encore les avantages en nature autres que le logement.

De ce fait, la base proposée par ce projet de loi est différente de celle qui est aujourd’hui applicable au RSA ou encore de celle qui est utilisée pour la couverture maladie universelle, par exemple.

On est donc très loin de la simplification annoncée par le Gouvernement : des bases différentes, des exclusions, certaines prestations prises en compte et d’autres non, des bases différentes de celle de la CMU… Je ne suis pas opposé à cette réforme sur le fond, mais elle aurait dû, selon moi, aller beaucoup plus résolument dans le sens de la simplification.

Même si les droits sont figés pour trois mois à compter de la déclaration, les bénéficiaires resteront tenus de transmettre trimestriellement les informations aux caisses d’allocation familiale, ce qui représente un surcroît de travail non négligeable pour ces caisses, qui ont déjà beaucoup à faire, notamment lorsqu’il s’agit de calculer un certain nombre de droits – on en perçoit parfois les conséquences sur les centres communaux d’action sociale ou sur les services des départements. Avec le nouveau dispositif, ces caisses vont finalement se voir imposer une exigence supplémentaire.

Le système est d’ailleurs si complexe que le Gouvernement lui-même s’attend à un taux de recours de 50 %. On est donc en présence d’un système qui intègre d’emblée, eu égard à sa complexité, le fait que la moitié des bénéficiaires potentiels n’y aura pas recours !

C’est la raison pour laquelle la commission des finances reste très réservée sur ces dispositions. Elle approuve la volonté d’aller vers un système unique par rapport au système dual actuel, mais elle déplore le fait que ce projet de loi manque d’ambition simplificatrice. Nous regrettons que le Gouvernement n’ait pas souhaité proposer une réforme d’ensemble au moment même où il annonçait la volonté de mettre en place le prélèvement à la source.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article.

Mme Laurence Cohen. L’article 24 fusionne la prime pour l’emploi, qui représente une dépense fiscale de 2,2 milliards d’euros et qui concerne près de 6 millions de salariés, c’est-à-dire pratiquement un salarié sur quatre, et le revenu de solidarité active, qui mobilise environ 1,9 milliard d’euros pour à peu près 830 000 allocataires.

La réforme qui nous est proposée privera probablement une part des actuels bénéficiaires de la prime pour l’emploi du versement de la moindre compensation.

Elle favorisera sans doute aussi la persistance d’un marché de l’emploi déqualifié et sous-payé, très largement illustré par ce que nous connaissons aujourd’hui en matière d’offres d’emploi.

Si 85 % des salariés du secteur privé continuent, fort heureusement, d’être employés sous contrat à durée indéterminée, 85 % des offres d’emploi ne proposent aujourd'hui que des contrats à durée déterminée, notamment saisonniers.

La future prime d’activité n’est que le pis-aller d’une situation de l’emploi fortement détériorée par trente années de flexibilité, d'allégement des cotisations sociales sur les bas salaires, de développement des formes atypiques de l’emploi qui, dois-je le répéter, touchent encore aujourd’hui en priorité les femmes.

Le défaut originel de la prime d’activité est de soumettre les politiques publiques de l’emploi et du travail à la seule prise en charge des désordres créés par la précarité et la flexibilité.

L’autre défaut, qui n’est pas moindre, est de faire financer par les impôts et les taxes ce qui devrait être financé par l’entreprise. Dans l’absolu, ce seront les bénéficiaires mêmes de la prime d’activité qui la financeront, en acquittant la TVA et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, singulièrement lors de leurs achats courants, ceux de la vie quotidienne.

Là encore, l’argent public vient au secours, si l’on peut dire, des entreprises.

En outre, si le Gouvernement s’est engagé à accompagner la montée en charge du dispositif, on peut relever que le système reste déclaratif et complexe.

Vous l’aurez compris, il est possible de faire autrement, en ne lésant pas des millions de personnes. Cependant, nous voterons en faveur de cet article, tout en regrettant que cette réforme se fasse à enveloppe constante, alors qu’elle est censée toucher un plus grand nombre de bénéficiaires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, sur l'article.

Mme Nicole Bricq. La prime d’activité représente une innovation importante. En réalité, il ne s’agit pas d’une fusion entre la prime pour l’emploi et le RSA : c’est la création d’une nouvelle prestation.

Je remercie M. de Montgolfier d’avoir brossé un historique. Créée en 2001, la prime pour l’emploi a perdu au fil des ans tout effet incitatif, d’autant qu’elle a été gelée à partir de 2008 et que son pouvoir d’achat a donc diminué de moitié : ce n’était plus que du saupoudrage.

De même, le RSA ne correspondait plus à la finalité annoncée lors de sa création, en 2008.

M. Jean Desessard. Je l’avais dit !

Mme Nicole Bricq. Pourtant, il avait été expérimenté. Comme quoi l’expérimentation n’apporte pas forcément la solution !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Il avait été expérimenté par la gauche !

Mme Nicole Bricq. Si je me souviens bien, c’était tout de même un engagement de celui qui a été élu Président de la République en 2008 !

J’insisterai sur deux points : le taux de recours et l’effet incitatif pour aller vers l’emploi.

Lorsque la prime pour l’emploi a été créée, en 2001, c'est-à-dire bien avant la crise économique de 2008, son objectif principal était déjà de créer un tel effet incitatif.

Cependant, au moment où le Gouvernement a annoncé cette mesure, c’est surtout sur son effet en termes de pouvoir d’achat que l’on a insisté, ce qui n’était pas complètement insensé.

En effet, le deuxième rapport de l’inspection générale des affaires sociales concernant l’évaluation du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale avait préconisé, parmi cinq autres recommandations, la création d’une prime d’activité résultant d’une fusion de la prime pour l’emploi et du RSA activité. Néanmoins, était adressée une mise en garde concernant l’impact sur le taux de recours, sur la couverture des populations, notamment les jeunes, car ce sont tout de même eux qui sont privés de cette prestation, en privilégiant le lien avec le travail.

L’opposition, à l’image de M. de Montgolfier, reproche au Gouvernement sa prévision d’un taux de recours de 50 %. Toutefois, il est très difficile de faire une projection exacte. La prime pour l’emploi est une dépense fiscale et le RSA activité est une prestation sociale. Différents scénarios ont été envisagés. C’est la solution proposée par notre collègue député Christophe Sirugue qui a finalement été privilégiée. Seulement, nous devons faire attention aux perdants !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Les 800 000 personnes éligibles au RSA !

Mme Nicole Bricq. Pour l’instant, nous adoptons seulement le principe : rien n’est encore fait !

Il est donc difficile de faire des prévisions, mais nous devons œuvrer pour faire une place aux jeunes. Votre amendement n° 4, monsieur de Montgolfier pose d’ailleurs problème à ce sujet puisqu’il vise à exclure les étudiants du dispositif.

Nous ne devons pas faire grief au Gouvernement. En l’absence de projections certaines, il est plus simple de partir sur un système déclaratif, avec des déclarations tous les trois mois, quitte à en changer par la suite.

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame Bricq !

Mme Nicole Bricq. Je conclus en disant que nous devons être vigilants tout en œuvrant pour accélérer un retour à l’emploi, et à cet égard l’accompagnement vers l’emploi est essentiel.

Mme la présidente. Mes chers collègues, il est dix-neuf heures, il nous reste neuf amendements à examiner. Je vous indique que M. le ministre et M. le président de la commission seront contraints de quitter cet hémicycle au plus tard à dix-neuf heures quarante. Aussi, je vous invite à la concision, afin que nous puissions terminer l’examen de ce projet de loi dans de bonnes conditions.

Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 328, présenté par Mme Procaccia, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

Alinéa 16, seconde phrase

Remplacer les mots :

aux personnes dont les revenus professionnels

par les mots :

aux apprentis qui, au moment de leur entrée en apprentissage, ne disposent d'aucun diplôme national ou titre professionnel enregistré et classé au répertoire national des certifications professionnelles, et aux étudiants, lorsque les revenus professionnels de ces personnes

La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Madame la présidente, je vais m’employer à suivre votre recommandation en me dispensant de rappeler tous les enjeux de l’intégration des étudiants et des apprentis dans ce dispositif.

Je me suis simplement demandé si cette prime n’allait pas inciter les étudiants à consacrer un peu plus de temps au travail salarié afin d’en bénéficier, et cela au détriment de leur formation. Ce n’est évidemment pas l’objectif recherché : la prime d’activité s’adresse en effet à ceux qui exercent déjà une petite activité et elle est destinée à faire en sorte qu’ils ne soient pas perdants s’ils travaillent davantage. Bien sûr, il faut donner un coup de pouce aux étudiants – en cela, ma position diffère de celle de M. le rapporteur pour avis –, mais je crains beaucoup les effets d’aubaine qui pourraient en résulter.

Le Conseil d’analyse économique a montré qu’une part croissante des jeunes en apprentissage – 30 % actuellement – était en réalité dans l’enseignement supérieur. C’est pourquoi je les appelle les « étudiants apprentis ». Ce choix devient de plus en plus répandu en master 1 ou en master 2, y compris dans des filières littéraires. Or, compte tenu de leur niveau de revenu, ces étudiants bénéficieront de la prime d’activité, alors qu’ils ont théoriquement choisi de faire des études. Cela ne me paraît pas correspondre à l’objectif visé en la matière : il s’agit en effet d’aider ceux qui en ont le plus besoin, ceux qui travaillent pour financer leurs études, et non de rémunérer le fait de poursuivre des études à ce niveau.

Cet amendement ne tend pas à résoudre un problème de fond concernant l’éligibilité des étudiants à la prime d’activité. Il vise à cibler le dispositif, à en limiter l’impact financier et, surtout, je le redis, à éviter les effets d’aubaine en faveur de jeunes qui n’auraient bénéficié ni de la prime pour l’emploi ni d’autres aides, mais qui pourraient, tout en étant étudiants, bénéficier de la prime d’activité.

Mme la présidente. L'amendement n° 4, présenté par M. de Montgolfier, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :

Alinéa 16, seconde phrase

Remplacer la première occurrence du mot :

personnes

par le mot :

apprentis

La parole est à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. La commission des finances a nourri les mêmes interrogations que la commission des affaires sociales. En effet, il convient de le rappeler, cette extension du dispositif aux étudiants et aux apprentis – s’ils gagnent 0,78 SMIC par mois au minimum– ne figurait pas dans le texte initial et a été introduite à l’Assemblée nationale par voie d’amendement en séance publique. On nous a expliqué qu’elle ne modifiait toutefois pas l’enveloppe prévue. Cela signifie que, en prévoyant cette extension en cours de route, on augmente la dette publique.

La commission des finances s’est également posé la question de la finalité de cette prime : s’agit-il d’encourager la reprise d’activité ou d’augmenter le pouvoir d’achat des étudiants ? Le soutien au pouvoir d’achat aux étudiants nous paraît devoir relever d’autres dispositifs, même si aucun d’entre nous ne peut nier les difficultés que rencontrent aujourd’hui les étudiants, notamment pour se loger.

En outre, le seuil fixé risque de contraindre certains jeunes à négliger leurs études et donc d’augmenter le taux d’échec. Une étude de l’INSEE, a montré qu’au-delà d’une certaine durée d’activité professionnelle hebdomadaire, d’au moins seize ou vingt heures, ce phénomène était avéré.

Pour l’heure, la commission des finances propose d’exclure de ce régime les étudiants qui gagnent plus de 0,78 SMIC, c’est-à-dire plus de trois quarts de temps payés au SMIC horaire. Concrètement, cela concerne une catégorie particulière d’étudiants, ceux qui s’apparentent plus à des professionnels. Évidemment, si l’amendement précédent est adopté, celui-ci n’aura plus d’objet.

Par ailleurs, on peut s’interroger, à l’instar de Mme le rapporteur, sur le coût de la mesure envisagée, qui avoisinerait, nous dit-on, les 100 millions d’euros.

Mme Nicole Bricq. Vous avez vous-même rappelé que la mesure serait mise en œuvre « à enveloppe constante » !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Cela étant, il est très difficile d’obtenir des chiffrages en la matière, et nous aurions souhaité une étude d’impact plus précise, ce que ne permettait guère l’introduction du dispositif au cours de la discussion.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 4 ?

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. La distinction entre apprentis et étudiants que l’on faisait voilà quelques années n’a plus la même pertinence.

Cela ne m’empêche pas d’être intimement persuadée qu’il ne faut pas priver tous les étudiants de l’accès à la prime d’activité. Il convient simplement de limiter les éventuels effets d’aubaine.

C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 4.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. Je comprends l’esprit de ces deux amendements, mais le Gouvernement n’a pas fait ce choix et émet donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 328.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'amendement n° 4 n'a plus d'objet.

L'amendement n° 65, présenté par M. Desessard, Mme Archimbaud et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 18

1° Remplacer les mots :

chaque foyer

par les mots :

chaque bénéficiaire

2° Supprimer les mots :

de la composition du foyer et

II. - Alinéa 20

1° Supprimer les mots :

des membres du foyer

2° Remplacer les mots :

pour chaque travailleur membre du foyer

par les mots :

pour chaque bénéficiaire

III. - Alinéa 21

Remplacer les mots :

membres du foyer

par le mot :

bénéficiaires

IV. - Alinéa 24

Remplacer les mots :

des membres du foyer

par les mots :

du bénéficiaire

V. - Alinéa 33

Supprimer cet alinéa.

VI. - Alinéa 48

Remplacer les mots :

lorsque l’un des membres du foyer

par les mots :

lorsqu’un bénéficiaire

VIII. - Alinéa 51, seconde phrase

Remplacer le mot :

foyer

par le mot :

bénéficiaire

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Les écologistes saluent la mise en place de la prime d’activité, même si nous sommes sensibles, monsieur le rapporteur pour avis, au problème que pose sa complexité. Nous aurions pu, lors des grandes consultations sur une nouvelle politique fiscale, aller plus loin en innovant et simplifiant. Si c’est un début, nous voulons nous assurer qu’il s’engage sur de bonnes bases.

Nous soutenons toute initiative visant à simplifier les droits de chacun, à unifier les aides financières, pour sortir de la logique de saupoudrage.

Si les écologistes souhaitent regrouper les droits et les rendre universels, ils sont également attachés depuis longtemps à une autre réforme : l’individualisation des aides. La prime pour l’emploi, le RSA activité et, de facto, la nouvelle prime d’activité, toutes ces aides tiennent compte des ressources des ménages et non des individus. Cette logique aboutit à des situations aberrantes. Ainsi, les bénéficiaires peuvent perdre leurs allocations dès lors qu’ils se mettent en couple avec quelqu’un qui leur fait dépasser le plafond de revenu. Ils sont ainsi tentés de ne pas déclarer leur concubinage aux organismes qui versent les allocations.

Je souhaite ici évoquer le cas d’une jeune femme, cité par le journal Libération voilà quelques mois. Bénéficiaire du RSA, mère de deux enfants, elle emménage avec son ami qui gagne à peine plus que le SMIC. Elle se déclare en colocation, afin de continuer à percevoir le RSA. Deux ans plus tard, les agents de la caisse d’allocation familiale lui rendent une visite surprise, se rendent compte de la supercherie et la jeune femme doit désormais rembourser les 8 000 euros qu’elle a perçus. Elle est, de surcroît, poursuivie au pénal pour escroquerie.

Bien sûr, elle a commis une faute ! Bien sûr, les agents doivent effectuer des contrôles ! Mais lorsqu’on voit la situation dans laquelle se retrouve cette jeune femme, ne peut-on pas considérer que ce sont les règles qui sont injustes ?

Pourquoi devrait-elle demander à son compagnon de prendre en charge ses enfants alors qu’ils viennent à peine de s’installer ensemble ? Pourquoi devrait-elle renoncer à toute autonomie financière sous prétexte que sa situation sentimentale a évolué ?

La prise en compte du foyer pour le calcul des droits conduit à une perte d’autonomie totale des potentiels bénéficiaires des aides, qui doivent s’en remettre entièrement à leur compagnon ou à leur compagne.

Nous souhaitons au contraire que les allocations deviennent un outil d’émancipation, permettant aux individus de conserver leur indépendance. Voilà pourquoi nous proposons d’individualiser la prime d’activité créée par le projet de loi.

Vous avez déclaré que c’était un point de départ, madame Bricq. Eh bien, justement, partons sur cette base de l’individualisation ! Nous l’avons évoquée lorsqu’il a été question d’une réforme fiscale.

Mme Nicole Bricq. Il n’est pas facile de créer des prestations comme celle-ci !

M. François Rebsamen, ministre. C’est clair !

M. Jean Desessard. Nous avons ici l’occasion de bâtir un nouveau modèle d’aide financière qui tienne réellement compte de la situation des bénéficiaires. Cela correspond à l’évolution de notre société.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Cet amendement tend à individualiser complètement la prime d’activité. Cette proposition pourrait être intéressante, mais il n’est pas évident qu’elle soit juste. De plus, comme je l’avais dit en commission, sa mise en place à enveloppe constante est porteuse d’incertitudes quant au nombre de perdants qu’elle entraînerait.

C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. Cette solution aurait pu être retenue, mais elle présentait l’inconvénient de faire des perdants. La « familialisation » d’une partie de cette prime permet au contraire de l’éviter, tout en lui maintenant tout son sens.

Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. S’agissant des différentes aides allouées et de l’impôt sur le revenu, je suis favorable à l’individualisation, conformément à un principe de philosophie fiscale auquel je suis attachée. Aujourd’hui, de plus en plus de femmes travaillent, et la « familialisation » renvoie à un modèle où ce n’était pas le cas.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. C’est constitutionnel !

Mme Nicole Bricq. De toute façon, cher collègue Jean Desessard, on ne procède pas à un tel changement à la faveur d’un amendement. Cela doit entrer dans le cadre d’une réforme globale. C’est pourquoi je ne voterai pas votre amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Je ne peux pas laisser dire que je procède à une réforme fiscale à la faveur d’un amendement !

J’aurais évidemment préféré que, au moment des consultations de M. Ayrault en vue d’engager une réforme fiscale, nous allions de l’avant !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Cela a fait flop ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Tous les groupes politiques et les syndicats avaient été invités ! Nous avions le soutien technique de l’administration de Bercy pour travailler !

Un rapport a été publié, et puis plus rien…

Certes, cette proposition arrive dans la discussion d’un projet de loi relatif au dialogue social. Il reste que je suis fondamentalement partisan de cette idée. Si l’on voulait aller de l’avant, il fallait effectivement s’attaquer à l’ensemble de la politique fiscale !

M. Éric Doligé. Dites-le à Jean-Marc Ayrault !

M. Jean Desessard. Ma proposition en faveur de l’individualisation aurait alors pu s’appliquer à toute la fiscalité des revenus…

Mme Nicole Bricq. Qui trop embrasse mal étreint !

M. Jean Desessard. … et je n’aurais pas eu à la présenter au détour d’un amendement.

Je reconnais que je suis un peu véhément, madame Bricq, mais ce sont vos propos qui m’ont conduit à faire ce rappel.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 65.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 270, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 47

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. L’information est un droit, mais il est parfois difficile d’en faire profiter chacun et chacune. À l’échelon national, seulement un tiers des droits à RSA sont effectivement activés, faute de connaissance de la part de celles et ceux qui pourraient en bénéficier.

Ce qui est donc en cause ici, c’est l’accès à l’information, qu’il s’agisse d’avoir connaissance d’un dispositif ou de savoir si l’on y est éligible. Reste ensuite à être capable de constituer un dossier dans les délais requis.

Or les personnes en situation de grande précarité économique et sociale sont précisément celles qui ont le plus de difficulté à maîtriser les arcanes permettant de faire valoir leurs droits, alors même qu’elles sont les destinataires naturelles des politiques sociales.

À ce titre, comme cela a été souligné tout à l’heure, les réductions d’effectifs dans les caisses d’allocations familiales, dans les services d’aide sociale et les services publics amplifient ce phénomène en réduisant encore l’accès à l’information.

La mise systématique à l’index des allocataires d’aide sociale et le climat de suspicion qui les entoure n’aident pas non plus à faire valoir ses droits.

Avec cet article, vous proposez de fusionner en une seule prime d’activité l’ancienne prime pour l’emploi et le RSA activité, en en conditionnant l’accès à des démarches administratives complémentaires.

En incluant de nouvelles règles pour l’accession aux aides sociales, cet article crée, de fait, une surcharge de travail difficilement surmontable pour les agents des caisses d’allocations familiales comme pour les services départementaux, faute d’embauches.

Nous pensons à l’inverse que, en tant que droit, la prime d’activité pourrait et devrait être à la portée de toutes celles et de tous ceux qui en ont besoin, en ne surchargeant pas les procédures d’accès. Tel est le sens de notre amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Madame Cohen, vous le savez, je souscris aux inquiétudes que vous exprimez concernant l’information. Je ne suis pas certaine que les services la diffusent aussi bien qu’on peut le souhaiter.

Toutefois, il a semblé à la commission que votre amendement allait à l’encontre du but que vous visez. En effet, les règles que vous proposez se révéleraient inapplicables en matière d’aides sociales. Il faudrait que la caisse d’allocations familiales dispose, en temps réel, de toutes les données nécessaires au calcul d’éligibilité pour la population active.

C’est pourquoi je sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. François Rebsamen, ministre. Madame Cohen, vous avez souligné la faiblesse des taux de recours pour le RSA. Ils devraient s’améliorer avec la prime d’activité, et c’est pourquoi Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le CNLE, a d’ores et déjà salué ce nouveau dispositif.

Il faut assurer, à ce sujet, l’information la plus large possible. Quand la déclaration sociale nominative sera mise en place, ce travail deviendra bien plus simple encore.