M. Philippe Dallier. On n’est jamais si bien servi que par soi-même !

M. Laurent Fabius, ministre. Je veux donc vous présenter mes excuses. Quand je m’en suis ouvert au Premier ministre, tout à l’heure à l’Assemblée nationale, il m’a répondu que ce n’était pas la première fois que je me retrouvais dans une telle situation et que j’avais déjà dû lire un de ses discours dans lequel je disais : Fils d’Espagnol… (Nouveaux sourires.) Il me semble toutefois que j’avais contourné la difficulté en trouvant une formule, un exemple de plus de ma modestie connue. (Rires.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe dans la situation où nous nous trouvons, dans le monde troublé qui est le nôtre, doit choisir : si nous voulons pouvoir avoir la force de nos choix, il nous faut absolument être unis ; et si, par malheur, nous étions désunis, nous porterions alors un coup très fort à l’Europe et donc, par contrecoup, à la France.

« Un travail important reste à faire pour mettre concrètement en œuvre l’accord. Le Parlement grec doit se prononcer ce soir, d’autres vont le faire dans les prochains jours. Il faudra toutefois aller au-delà. Nous devrons avoir la force politique de tirer toutes les leçons de cette crise pour en faire – si cela est possible – une opportunité.

« Nous avions déjà tracé quelques lignes, quelques pistes, la semaine dernière. Le Président de la République a formulé, hier, des propositions en ce sens.

« Nous avons d’abord besoin d’un véritable gouvernement économique de la zone euro au service de la croissance et de l’emploi. Nous avons progressé avec l’Union bancaire, avec ce qu’on appelle – dans un terrible jargon – le « semestre européen », mais ce n’est pas assez. Il faut une coordination accrue des politiques économiques qui donne sa pleine place à une analyse globale de la zone euro avec ses forces, ses vulnérabilités, ses besoins. » Le Gouvernement français aura l’occasion, dans les semaines qui viennent, de préciser ses propositions.

« Il faut aussi plus de convergence. Cela fait très longtemps que nous disons qu’il faut regarder les choses en face : une même monnaie n’a pas permis à nos économies de converger spontanément et suffisamment. C’est même le contraire qui s’est parfois produit. Ce n’est pas bon, ce n’est pas sain. Nous devons donc avancer – par le haut – dans les domaines économique, social et fiscal. À cet effet, il faut utiliser tous les instruments à notre disposition : la politique de cohésion, pour accélérer le rattrapage économique et social entre États ; le plan Juncker ; les rapprochements dans le domaine social avec les pays qui y sont prêts – je pense, en particulier, à la question des rémunérations ; l’harmonisation et la lutte contre les stratégies d’optimisation fiscale.

« Ce sont des sujets qui ne sont pas faciles, ni techniquement ni politiquement, mais les différences qui existent nuisent à l’unité et à la stabilité de la zone euro.

« Nous avons également besoin de nous doter de moyens budgétaires. Nous avons réussi à mettre en place le plan Juncker en moins de six mois – ce qui est court, s’agissant d’un projet européen ! Mais nous devrons aller plus loin en mettant en place, dans un second temps, un véritable budget de la zone euro permettant de financer des investissements spécifiques en matière d’infrastructures, d’innovation ou encore de capital humain, avec les ressources correspondantes. » Encore une fois, nous préciserons ces pistes dans les semaines à venir.

« On ne réalisera pas ces avancées, on ne pourra pas engager de nouvelles étapes en matière d’intégration sans les peuples et leurs représentants. C’est pourquoi il faut, là aussi, renforcer la légitimité démocratique de la zone euro.

« Cela concerne l’Europe, bien sûr, car aujourd’hui – tout le monde le constate – le Parlement européen n’est pas suffisamment associé aux travaux du “semestre européen”. Concrètement, la recommandation “zone euro” élaborée chaque année pourrait être transmise au Parlement européen et faire l’objet d’un débat démocratique.

« En outre, – ce qui est plus complexe et donc beaucoup plus novateur –, nous devons pouvoir l’inviter à s’organiser pour que les sujets propres à la zone euro soient davantage pris en considération en tant que tels. Ce n’est pas le cas et c’est le sens de l’appel du Président de la République à mettre en place une sorte de Parlement de la zone euro. Il faudra bien sûr associer à cette action les Parlements nationaux.

« Si nous prenons encore davantage de hauteur ou de recul, cette crise montre combien nous devons reprendre le chantier du projet européen dans sa globalité, avec vision, avec ambition, avec audace. Car si la défiance s’installe ou croît, si les populismes grondent, c’est aussi parce que l’Europe, depuis beaucoup de temps, a perdu de son élan et qu’elle ne dit pas clairement où elle va ou que l’on ne comprend pas ce qu’elle dit lorsqu’elle s’exprime.

« Nous avons besoin de plus d’intégration, de plus de solidarité, pour la protection et la prospérité des peuples. C’est vrai sur les questions économiques et monétaires, qui sont absolument essentielles. C’est vrai aussi sur d’autres enjeux – vous pensez comme moi aux questions migratoires, où seule une politique vraiment commune et efficace pourra nous permettre d’avancer.

« Et puis l’Europe, c’est plus que notre continent et c’est plus, sans doute, que la somme des intérêts spécifiques de nos nations. C’est un certain nombre de messages, un certain nombre de valeurs qui peuvent résonner dans le monde entier.

« Les Européens, je le constate, ne le savent pas toujours et ne savent pas toujours non plus défendre au mieux leurs propres intérêts. Nous devons donc nous appuyer sur nos forces, sur nos talents pour peser davantage sur l’ordre du monde : que ce soit dans le domaine commercial, où l’Union européenne fait figure de géant ; dans le domaine de la culture, où nos industries sont puissantes ; dans le domaine environnemental, où nous faisons la course en tête depuis déjà plusieurs décennies. » Je l’ai vu encore lors de la négociation iranienne, où il y avait la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la Haute Représentante, qui coordonnait un certain nombre de travaux.

« L’Europe ne doit pas avoir peur d’être pleinement elle-même. Elle doit assumer qui elle est, ce qu’elle fait et le porter.

« Mesdames, messieurs les parlementaires, vous allez être les premiers en Europe à voter. La responsabilité est donc d’indiquer le chemin. Et vous serez associés aux prochaines étapes de mise en œuvre de l’accord.

Face à une crise, ce qu’on pourrait appeler le dépit ne peut être une option. Il faut aller vers le rebond.

Comme tout bon discours, celui-ci se termine par une citation. « Le poète allemand Hölderlin, rendant hommage à l’île grecque de Patmos, écrivait : “ Là où est le péril, là aussi, croît ce qui sauve ”. » C’est ce que je vous disais la semaine dernière, me rappelant mes humanités grecques, en soulignant que le même mot κίνδυνος [kíndunos] signifie, en grec ancien, à la fois le risque et la chance.

« La crise que nous venons de connaître est aussi ce qui peut et doit nous permettre, si nous le voulons, de faire aujourd’hui preuve d’ambition pour l’Europe.

« Alors, essayons par nos votes d’avancer. Essayons de continuer à écrire l’histoire de l’Europe, c’est-à-dire l’histoire de nos peuples. C’est aujourd’hui, mesdames, messieurs les parlementaires, par votre vote, votre responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain ainsi que sur plusieurs travées du groupe écologiste et du RDSE. – M. Michel Mercier applaudit également.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Robert Navarro, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Robert Navarro. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, oui, la Grèce reste dans la zone euro et cela demeure une bonne nouvelle, même si des rebondissements ne sont pas à exclure.

Toutefois, les dirigeants européens ont imposé un véritable traité de Versailles au peuple grec, une punition et une humiliation d’une violence inouïe.

Je suis un ardent défenseur de l’Europe depuis le début de mon engagement politique. Mais force est de constater que l’Union européenne a changé de nature le week-end dernier.

Premièrement, j’ai appris que l’euro n’était pas qu’une monnaie, qu’il était aussi une politique économique particulière.

L’euro devait rapprocher les peuples, être la monnaie de tous les Européens. Or cette crise a prouvé que tel n’était pas le cas : on peut priver certains habitants de la zone euro de l’accès à leur propre monnaie.

Jusqu’à ce week-end, l’Europe, c’était la convergence progressive de nations égales en une « union sans cesse plus étroite ». Chaque État membre choisissait librement de confier à l’Union une part de sa souveraineté dans son propre intérêt.

Chaque pas vers l’Europe était « irréversible » et « irrévocable ».

Enfin, l’accord tacite était que l’Allemagne devait se retenir de toutes tentations impérialistes en échange de la seconde chance donnée.

Depuis lundi matin, cela n’est plus. La Grèce n’est plus souveraine. L’irréversibilité de l’euro est morte. Tous les irréversibles du projet européen sont devenus réversibles. Tous les irrévocables sont devenus révocables.

La zone euro n’est plus un projet politique commun qui supposerait la prise en compte des aspirations de tous par des compromis équilibrés. Ce week-end, elle est devenue un lieu de domination des forts sur les faibles, des créanciers sur les débiteurs.

La cruauté de ce week-end est un avertissement pour les pays latins, dont la France.

Droite comme gauche devraient chercher la parade plutôt que de se renvoyer la balle, car ils n’ont jamais mené une politique économique qui convienne à l’Allemagne. Tôt ou tard, au rythme où avance notre dette, nous connaîtrons le même sort si nous ne réorientons pas vraiment – j’insiste sur le « vraiment » – l’Union européenne. D’ailleurs, il s’agit non plus de réorienter, mais de refonder.

Ce week-end, les dirigeants européens ont ouvert une boîte de Pandore qui pourrait coûter cher à l’Europe et offre un boulevard aux extrêmes.

C’est de cela que les politiques devraient s’occuper. Au lieu de cela, Sarkozystes et Hollandais débattent entre eux pour savoir qui a sauvé l’intégrité de la zone euro. Car, en réalité, tous sont responsables de la tournure prise par l’Union européenne depuis la crise de 2008. Une crise de spéculateurs, née aux États-Unis, il faut s’en souvenir – on a trop tendance à l’oublier – à l’heure de l’addition. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe UDI-UC.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, le Premier ministre avait annoncé vouloir revenir devant le Parlement pour soumettre aux représentants du peuple l’approbation d’un éventuel accord. Dont acte !

Disons-le d’emblée, notre groupe se félicite de la conclusion de cet accord. J’ai bien dit « de cet accord » en ce sens qu’il est bien précis et qu’il ne s’agit pas de n’importe quel accord.

Nous ne pouvions évidemment pas abandonner les Grecs à leur sort, ni pour eux-mêmes ni pour l’Europe. Nous ne pouvions pas nous satisfaire d’un « Grexit de lassitude ». Nous ne pouvions pas non plus lâcher des dizaines de milliards d’euros d’argent public par-dessus l’épaule du contribuable sans perspectives de redressement durable pour la Grèce.

En l’état, cet accord a le mérite de garder la Grèce dans la zone euro sans discréditer l’Union. Néanmoins que de temps perdu !

Entre la révélation, en décembre 2009, du trucage des comptes publics grecs et la conclusion de ce troisième plan d’aide financière, la Grèce a perdu six années.

Six années de réformes inabouties, six années de souffrances pour les Grecs, et tout cela pour quoi ? Pour aboutir, enfin, à une conclusion déjà écrite depuis longtemps : la Grèce, pour rester dans la zone euro, doit se mettre en conformité avec les exigences imposées par la monnaie unique.

Cela n’a rien d’extraordinaire : l’Europe exige, bien sûr, entre tous ses membres un devoir de solidarité. Cette solidarité impose, en retour, un devoir de responsabilité pour chacun. J’espère que M. Tsipras et ses amis ont enfin compris la portée de ce principe. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

M. François Zocchetto. En effet, cet accord met le gouvernement grec devant ses obligations.

J’ai déjà évoqué ici à cette tribune voilà une semaine les réformes à entreprendre, que nous connaissons tous : restauration de l’autorité de l’État grec, réforme fiscale, lutte contre la corruption, lutte contre la fraude, démantèlement des oligopoles, instauration d’un cadastre et soumission de tous à l’impôt – armateurs et église orthodoxe compris. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées. – Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste également.)

M. Pierre Laurent. Le FMI les défend, les armateurs !

M. François Zocchetto. Pour que la confiance soit rétablie entre la Grèce et ses partenaires, il faudra que M. Tsipras aille au bout des réformes promises.

Évidemment, cela ne sera pas facile. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.) Appliquer l’accord à la lettre demandera des efforts considérables aux Grecs.

Je ne songe pas seulement à des efforts financiers, je songe aussi à un véritable et profond changement d’attitude des citoyens grecs. Un changement des mentalités s’impose pour construire un État fort, le respecter et mettre au pas les profiteurs d’une société viciée par les rentes et le népotisme. La Grèce ne peut plus jouer au passager clandestin de la construction européenne. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

C’est un moment de vérité pour la Grèce, qui, en pleine souveraineté, est désormais face à son destin.

Mme Éliane Assassi. Arrêtez de dire cela !

M. François Zocchetto. C’est donc à son peuple de s’en montrer digne…

M. François Zocchetto. … et d’affronter cette épreuve en toute responsabilité sans dénoncer ceux qui l’aident depuis tant d’années, l’Allemagne au premier chef. (Protestations sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)

Et là, monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire avec tristesse, au lendemain du 14 juillet, que je me suis senti plus en phase avec l’approche allemande de la solidarité (Nouvelles protestations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est un classique à droite !

M. François Zocchetto. … qu’avec celle du gouvernement français. Les Allemands – conservateurs et sociaux-démocrates – voulaient un bon accord.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il y a toujours les nostalgiques de la grandeur allemande !

M. François Zocchetto. Le Président de la République française, de son côté, déclarait vouloir un accord à tout prix.

Quelle différence ? Eh bien, du côté français, on pouvait comprendre que nous étions prêts à lâcher à nouveau l’argent public pour éteindre un incendie qui aurait probablement repris très vite.

Du côté de l’Allemagne et de nombreux autres pays, il s’agissait d’abord de jeter les bases d’une croissance saine en Grèce, à laquelle nous aurons, à défaut de l’envie – que je continue d’espérer – en tout cas, j’en suis certain, l’obligation d’associer un nécessaire rééchelonnement – voire une remise – de la dette grecque.

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. François Zocchetto. On parle beaucoup de la Grèce ! On peut aussi parler un peu de la France ! (Exclamations et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Nous devons aussi regarder la réalité. Je ne citerai pas beaucoup de chiffres. Qu’il me suffise de dire qu’en France la dette par habitant s’établit à 31 000 euros.

M. Dominique Bailly. Pas de leçons !

M. François Zocchetto. En Grèce, elle est de 29 000 euros. La vérité, c’est qu’un pays n’est pas souverain quand il est surendetté.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous en savez quelque chose !

M. François Zocchetto. Et la Grèce nous le démontre !

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. François Zocchetto. Je ne peux donc que m’inquiéter de ce soulagement qui semble gagner le Gouvernement et le Président de la République. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)

M. Dominique Bailly. C’est faux !

M. François Zocchetto. En France, nous connaissons nous aussi tous les réformes à mener et que nous voulons imposer aux autres :…

M. Didier Guillaume. Nous ne sommes pas d’accord sur les réponses !

M. François Zocchetto. … réforme fiscale, flexibilité du marché du travail,…

M. François Zocchetto. … réforme de la retraite à points (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.), réforme des statuts de la fonction publique et allégement des normes.

Mme Cécile Cukierman. La taxation des plus-values !

M. François Zocchetto. Si peu a été réalisé chez nous, monsieur le ministre.

M. Bruno Sido. Ça, c’est clair !

M. François Zocchetto. Si, dans les négociations, notre voix n’a pas tant compté que l’on voudrait nous le faire croire, c’est tout simplement parce que nos partenaires ne sont pas dupes.

M. François Zocchetto. Notre crédibilité s’amenuise malheureusement au fur et à mesure que nous confondons – cela dure depuis des années, il faut bien le dire – réforme et affichage.

Nous devons également apprendre et tirer des leçons de ce lourd épisode. Une monnaie orpheline à la fois d’État et de dimension politique n’existe pas.

L’euro, pour ne pas s’effondrer, doit être enfin soutenu par un véritable gouvernement économique.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vos amis l’ont toujours refusé !

M. François Zocchetto. La zone euro ne peut plus continuer de se construire avec une architecture qui ressemble plus à un règlement de copropriété bien usé ! Il faut se rendre compte que l’Eurogroupe n’est qu’une structure virtuelle. Rien dans les traités n’est prévu…

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si ! Le pacte de stabilité !

M. François Zocchetto. … pour donner des orientations politiques à notre monnaie.

Avoir un ministre à temps partiel pour gérer l’Eurogroupe, ce n’est plus possible ! Nous ne pouvons plus donner dans la politique de l’expédient, de l’accord de dernière minute et du rafistolage.

L’Europe ne doit pas fonctionner ainsi. L’Europe ne peut plus avancer ainsi. Il faut donner du corps et un visage à l’euro.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. On a vu ce que cela donne !

M. François Zocchetto. Monsieur le ministre des affaires étrangères, nous sommes en parfaite harmonie avec vos propos tenus il y a quelques minutes sur ce point. Nous devons donner à l’Europe une voix pour répondre à celle des peuples. Nous devons lui donner des bras pour agir. On ne peut pas non plus laisser les peuples européens croire qu’une intervention de la troïka est une ingérence anti-démocratique. (Mmes Brigitte Gonthier-Maurin et Marie-Noëlle Lienemann s’exclament.) Il faut passer à un autre système.

Nous avons donc besoin d’une nouvelle gouvernance de la zone euro pour assurer la convergence de nos politiques publiques. Nous avons besoin d’un sursaut démocratique et fédéral en permettant la désignation d’un responsable européen de l’euro – d’un ministre des finances, si l’on veut – qui détiendra l’autorité suffisante pour imposer le respect de la règle commune.

Et là, la France à un rôle à jouer. Nous ne pouvons, nous Français, laisser la zone euro sans clef de voûte. J’ai entendu les propositions faites hier par le Président de la République. Il semble enfin nous rejoindre (Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain s’esclaffent.) sur la nécessité de faire un pas en avant dans la marche vers le fédéralisme budgétaire européen. Enfin ! Bravo ! Mais, monsieur le ministre, nous avons besoin de garanties, d’être assurés que vous joindrez très rapidement le geste à la parole !

M. le président. Il va falloir conclure, mon cher collègue.

M. François Zocchetto. Tout le monde a bien compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le débat est loin – très loin – d’être terminé.

Parce que nous croyons en l’Europe, parce que nous voulons construire l’Europe de demain, une Europe solidaire et exigeante, nous voterons en faveur de la validation de cet accord. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour le groupe Les Républicains.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, au terme d’une nouvelle nuit de négociations dont seule l’Europe a le secret, l’accord trouvé par les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro éloigne – pour un temps au moins, peut-être – le spectre d’une sortie chaotique de la Grèce de la monnaie unique. Cependant, cet accord a, me semble-t-il, comme un air de déjà-vu !

Voilà en effet plus de cinq ans que, périodiquement, l’Europe et la Grèce semblent condamnées à rejouer encore et toujours la même scène. Depuis 2010, deux plans d’aide d’un montant total de 240 milliards d’euros ont été mis en œuvre pour aider les Grecs à surmonter les difficultés auxquelles ils devaient faire face.

Dans la tourmente économique et financière que connaissait alors notre continent, la solidarité européenne a joué à plein. Elle était indispensable. D’autres pays que la Grèce en ont d’ailleurs également profité. Ils sont désormais en voie de rétablissement car, eux, ont fait les réformes qui s’imposaient.

Pourtant, aujourd’hui, la dette grecque atteint des records – à 180 % du PIB. Elle serait, au demeurant, encore plus élevée si, en 2012, les États européens n’avaient pas contraint les créanciers privés à assumer leur part de risque et à effacer l’équivalent de 107 milliards d’euros qu’ils détenaient en obligations et en bons du Trésor.

La BCE a également contribué à l’expression de la solidarité européenne. Cela fait maintenant cinq mois qu’elle porte à bout de bras le système bancaire grec et, donc, l’économie du pays. Elle lui a ainsi fourni près de 90 milliards d’euros de liquidités d’urgence, alors que, parallèlement, les déposants ont retiré depuis décembre 2014 plus de 40 milliards d’euros, ce qui équivaut à près de 25 % du produit intérieur brut.

La réouverture des banques, dont la date exacte reste à ce jour incertaine à la suite des récentes déclarations du Premier ministre grec, devra toutefois être accompagnée d’une recapitalisation importante, pouvant aller, selon l’Eurogroupe, jusqu’à 25 milliards d’euros.

Dans la conception de chaque plan d’aide, la responsabilité grecque devait répondre à cette solidarité européenne et se manifester par des réformes structurelles ambitieuses destinées à assainir les finances publiques du pays et à remettre sur les rails une économie qui – c’est désormais admis – ne disposait absolument pas des prérequis fondamentaux pour prétendre faire partie de la zone euro. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)

Or, aujourd’hui, quelle est la nature de l’accord qui nous est soumis ?

Tout d’abord, un engagement pour un nouveau plan d’aide – le troisième, je le rappelle – dont les contours précis sont encore inconnus mais qui sera doté d’une enveloppe d’environ 85 milliards d’euros sur trois ans, avec une participation européenne qui serait évaluée, à ce stade, à 50 milliards d’euros.

Si l’on se base sur la quote-part de notre pays au sein du Mécanisme européen de stabilité, le MES, cette nouvelle étape représenterait pour la France plus de 10 milliards d’euros, qui s’ajouteront donc aux 42 milliards déjà engagés dans le cadre des plans antérieurs, soit une contribution directe globale qui avoisinerait les 55 milliards d’euros.

Un prêt-relais devra par ailleurs être consenti dans les jours qui viennent pour que la Grèce puisse régulariser sa situation de défaut vis-à-vis du FMI et faire face à ses échéances de remboursement à très court terme, estimés par l’Eurogroupe à 12 milliards d’euros d’ici à la fin du mois d’août.

Le Fonds pour les privatisations, nouvellement créé, devra, quant à lui, impérativement atteindre son objectif de 50 milliards d’euros pour sécuriser les nouveaux prêts consentis par les Européens.

Enfin, si des aménagements de la dette grecque sont aujourd’hui envisagés, ils ne pourront intervenir qu’après la mise en œuvre par le gouvernement grec de ses engagements. Conformément aux principes de l’accord conclu en novembre 2012 et confirmés par l’accord du 13 juillet, – j’insiste sur ce point, que j’ai déjà évoqué voilà huit jours – ils ne pourront en aucun cas porter sur une décote ou un effacement de la dette nominale de la Grèce.

Une fois ce programme mis en œuvre, ce seront donc au total plus de 500 milliards d’euros qui auront été mobilisés, d’une manière ou d’une autre, en faveur de la Grèce depuis 2010. Dans ces conditions, parler de « coup d’État financier » ou de « dictature de la finance », comme le font certains, est grotesque. Nous avons déjà donné 500 milliards d’euros à la Grèce. Ne tombons pas dans le piège de M. Tsipras ! L’Europe a été plus que solidaire, et c’est la Grèce qui ne s’est pas réformée. N’inversons pas les responsabilités ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

J’observe à ce titre que, si le gouvernement Tsipras n’a finalement pas obtenu le chèque en blanc qu’il escomptait, c’est en grande partie grâce à la fermeté qu’ont su démontrer nombre de pays européens, emmenés notamment par la chancelière allemande (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.),…

M. Jean Bizet. … et je ne peux que me réjouir. N’oublions pas en effet que l’Allemagne est le premier financeur du Mécanisme européen de stabilité.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous aussi, nous payons !

M. Jean Bizet. Quoi qu’on en dise, c’est bel et bien cette position qui se reflète dans le résultat final des négociations. Je regrette, je le dis très clairement, que la France ait prêté une oreille que je qualifierai de sélective,…

M. Ladislas Poniatowski. … de groupie !

M. Jean Bizet. … plus attentive aux voix de l’extrême gauche qu’à celle des réformateurs. (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Elle a trop longtemps laissé entendre à M. Tsipras qu’il pourrait bénéficier une nouvelle fois de la solidarité européenne, sans accepter la responsabilité qui va avec.