Mme Esther Benbassa. Rien à faire, voilà à quoi une partie de la droite à court d’idées s’accroche pour essayer de sauver son mince capital électoral. (Rires sur plusieurs les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est l’hôpital qui se moque de la Charité !

M. Roger Karoutchi. Et le capital électoral des écologistes ?

Mme Esther Benbassa. Vous pourriez respecter celui qui s’exprime depuis cette tribune : C’est le minimum !

Pourtant, on sait ce que vaut cette affirmation et de quelle manière répétitive le quinquennat précédent a dénoncé une immigration prétendument massive, sans réduire le moins du monde un nombre d’entrées légales qui, d’une année sur l’autre, varie peu et reste bas. Si l’on fait abstraction des réfugiés, qui ne relèvent pas de ce texte, les flux migratoires réguliers avoisinent 200 000 par an, soit 0,3 % de la population française, situant la France à un niveau inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)

L’offensive menée contre le regroupement familial a la même fin : faire peur aux Français avec l’immigration et leur faire croire qu’en en tarissant le flux on va miraculeusement résoudre tous leurs problèmes. Le FN doit vous remercier, mes chers collègues de la majorité sénatoriale. (M. Alain Marc s’exclame.)

Or de quoi parle-t-on ? Sur les 200 000 entrées légales annuelles, 90 000 concernent l’immigration familiale, dont seulement 20 000 relèvent du regroupement familial proprement dit, les autres étant principalement des Français faisant venir leur conjoint étranger.

M. Stéphane Ravier. Conjoint avec un « s » !

Mme Esther Benbassa. L’Assemblée nationale a réintroduit la notion d’effectivité de l’accès aux soins dans le pays d’où est originaire l’étranger malade pour l’obtention d’un droit au séjour temporaire pour raisons médicales en France. À peine le texte est-il arrivé au Sénat que cette disposition a été supprimée. Le même sort a été réservé à un article prévoyant la délivrance de plein droit de la carte de séjour temporaire aux personnes victimes de violences familiales ou conjugales. Et je n’oublie pas le durcissement des dispositions relatives à l’assignation à résidence pour expulser plus facilement les déboutés.

La liste des reculs est longue et nous y reviendrons lors de l’examen des amendements en séance.

Mme Esther Benbassa. Je demande à ceux qui ne voient les immigrés que comme des intrus s’ils savent seulement ce qu’est l’immigration. Croyez-vous que l’on quitte son pays avec autant de légèreté que vous, vous abordez cette question sous ces lambris dorés ?

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oh !

Mme Esther Benbassa. Une France refermée sur elle-même à l’ère de la mondialisation est une régression. Faire croire que l’on va arrêter l’immigration d’un coup de baguette magique dans ce monde aux frontières qui se virtualisent est un mensonge. Un pays qui sait accueillir les immigrés est aussi un pays qui finit par s’enrichir de leur apport.

Regardez aux États-Unis le nombre de prix Nobel, de médailles Fields dont les récipiendaires portent des noms à consonance étrangère. Il était un temps où c’était le cas pour la France. Oublié tout cela ! Même les meilleurs étudiants étrangers ne viennent plus chez nous.

M. Stéphane Ravier. Chez moi, oui !

Mme Esther Benbassa. Même les réfugiés rêvent d’une autre destination.

Nous avons aussi besoin d’une immigration pour faire tourner l’économie. Mes chers collègues, qui ramassera nos poubelles,…

M. Stéphane Ravier. C’est insupportable !

Mme Esther Benbassa. … nettoiera nos bureaux, fera notre gardiennage, gardera nos enfants en bas âge, travaillera dans les restaurants à bas prix, dans le bâtiment, etc. ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Ravier. Des Français !

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur pour avis. C’est à cela que vous les destinez ?

Mme Esther Benbassa. Quand votre tour sera venu, vous pourrez parler ! Laissez-moi terminer, je vous prie !

Mme Natacha Bouchart. Il ne faut pas dire n’importe quoi !

Mme Esther Benbassa. Non, les immigrés ne sont pas des ennemis. Ce sont juste les alliés du pays qui leur ouvre ses portes. N’est-pas, monsieur Karoutchi… (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

Mme Natacha Bouchart. Respectez tout le monde !

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un contexte où l’Europe est confrontée à une déferlante migratoire sans précédent, à l’heure où des organisations supranationales imposent aux États l’accueil de centaines de milliers de clandestins démunis de tout (Oh ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.), à l’heure où les adeptes de la xénophilie trouvent dans le Gouvernement, quoi qu’ils en disent, un partenaire zélé, au point d’essayer de nous aveugler par ses mirages statistiques ce soir et qui ne correspondent en rien à la réalité, et même si le Gotha artistico-cultureux se manifeste (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.) par quelques idiots utiles (Oh là là ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.),…

M. Stéphane Ravier. … ce projet de loi sur le droit des étrangers en France est pour le moins décalé.

Et ce ne sont pas les amendements de la majorité sénatoriale prétendument de droite qui vont changer la loi, alors même que le rapporteur en dénonce les aberrations.

Vu le temps imparti, j’en citerai brièvement quelques-unes. Votre rapport l’affirme, l’immigration de travail ne représentait que 9 % l’an dernier, le reste n’étant constitué que par cet interminable regroupement familial ou volet familial. Le tout représente en réalité un coût colossal pour la Nation : quelque 70 milliards d’euros par an !

M. Philippe Kaltenbach. Propos fantaisistes !

M. Stéphane Ravier. On apprend également que la carte de résident pour contribution économique exceptionnelle est une exception, puisqu’elle n’a concerné que trois personnes !

Le taux d’exécution des mesures d’éloignement est très faible : il s’établit en moyenne à 15 % pour les non-Européens.

Enfin, la fraude est massive : « trois titres de séjour font l’objet d’un contentieux important : les cartes de séjour “vie privée et familiale”, “étrangers malades” et “étudiant”. »

Ce n’est pas parce que nous sommes le pays de Molière, et donc du malade imaginaire, qu’il faut faire venir davantage de malades imaginaires dans notre pays (Mme Cécile Cukierman s’exclame.), car la facture, elle, est bien réelle !

Mme Cécile Cukierman. C’est n’importe quoi ! Scandaleux !

M. Stéphane Ravier. L’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, révèle qu’une proportion importante des étrangers qui présentent une première demande d’admission au séjour pour des raisons médicales sont des déboutés définitifs de la procédure d’asile. Cette proportion atteint jusqu’à 90 % dans une ville comme Metz.

Quand on n’arrive pas à entrer par la porte dans la maison France, beaucoup réussissent à y entrer par la fenêtre. D’ailleurs, « les critères tirés des ressources personnelles […] ne sont susceptibles d’aucune appréciation objectivable – langage technocratique – pour l’administration et compliquent singulièrement la tâche de celle-ci ».

Face à ce scandale et à cette injustice dont nos compatriotes sont victimes depuis des décennies, il est urgent de changer de cap, en imposant aux étrangers d’avancer les frais médicaux, en exigeant une caution pour financer les reconduites à la frontière et, au lieu de la prétendue assignation à résidence, qui permet surtout aux expulsables de s’évaporer dans la nature (Mme Cécile Cukierman hoche la tête en signe de dénégation.), mettons tout en œuvre pour leur expulsion rapide sous vingt-quatre heures ou quarante-huit heures, comme le font tant de pays dans le monde. (Mme Cécile Cukierman hoche de nouveau la tête en signe de dénégation.)

M. Stéphane Ravier. « Mieux accueillir », « mieux intégrer », avez-vous répété, monsieur le ministre. Tout à fait d’accord avec vous, mais que cela concerne nos compatriotes d’abord (Mme Dominique Gillot s’exclame.),…

Mme Catherine Tasca. Ils sont déjà là !

M. Stéphane Ravier. … qui sont des millions à être exclus dans leur propre pays, sans emploi, sans toit, sans couverture sociale, en fin de droits, alors que nous continuons à dépenser des milliards d’euros pour entretenir toute la misère du monde.

Mme la présidente. Merci, monsieur Ravier, c’est terminé !

M. Stéphane Ravier. Si vous le permettez, je termine car il me reste deux phrases très courtes.

S’occuper des nôtres avant les autres, telle devrait être la ligne conductrice de l’action des parlementaires. Pourtant, force est de constater que, avec ce gouvernement, comme avec les précédents, ce n’est pas pour demain !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’heure n’est pas spécialement propice à la discussion d’un projet de loi relatif au droit des étrangers dans une acception large.

Mme Catherine Tasca. C’est vrai !

M. Philippe Kaltenbach. C’est sûr !

M. Jacques Mézard. L’afflux de migrants sur nos rivages européens, qui s’ajoute aux crispations de notre société sur les questions de laïcité, d’identité ou de valeurs essentielles de la République, ne favorise pas un débat apaisé, lequel est pourtant nécessaire. Nous venons d’en avoir la démonstration il y a quelques secondes. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)

Des polémistes, reprenant le rôle joué par les ligues de la IIIe République, se sont emparés de ce sujet, damant le pion aux représentants de l’intérêt général que nous sommes, car les majorités successives ont en réalité été bien incapables de montrer le chemin collectif de la raison.

Nous apporterons notre soutien à l’esprit du texte proposé par le ministre de l’intérieur.

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, vous faites face, avec talent et détermination, à un contexte politique national et international particulièrement complexe,…

M. Philippe Kaltenbach. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. … parfois délétère, qui nuit à la qualité des débats et contribue à faire monter la peur de l’autre dans notre pays. Et c’est pour cela que, sur ce texte, nous vous soutenons sans ambiguïté.

« Étrangement, l’étranger nous habite. [...] De le reconnaître en nous, nous nous épargnons de le détester en lui-même », écrivait Julia Kristeva. L’altérité nous met face à nous-mêmes et à nos responsabilités.

Sur un sujet aussi sensible, nous aurions ainsi souhaité que cette question ne soit pas une nouvelle fois une variable électoraliste, mais qu’au contraire soit élaboré un cadre législatif consensuel, réaliste et donc plus stable, en ce qu’il serait le fruit d’une concertation entre les différentes sensibilités politiques.

Nous savons que nous pouvons nous entendre sur les principes les plus essentiels de l’accueil des étrangers en France. Il suffit pour cela de ne pas céder aux sirènes des extrêmes, qu’elles soient sécuritaires ou angélistes. Tant que ce sujet sera traité sans le recul nécessaire, en réaction à l’actualité la plus immédiate, la plus médiatique et la plus populiste, nous n’avancerons pas. Par ce jeu malsain, nous prenons le risque de devenir étrangers à nous-mêmes, à nos valeurs républicaines d’ouverture et de tolérance.

Or que souhaitent nos concitoyens ? Nous le savons pertinemment : ils veulent une politique qui allie l’accueil des étrangers en situation régulière et la fermeté à l’égard de l’immigration irrégulière. Cette dernière constitue un facteur de déstabilisation de notre société en ce qu’elle alimente un fort sentiment de défiance à l’égard des pouvoirs publics et d’impuissance de leur part. La loi doit donc en la matière être plus simple et plus stable, pour être effectivement appliquée. Pour cela, des moyens humains et financiers doivent être mis en place.

Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que l’on peut accueillir tout le monde et à n’importe quelle condition. Nous sommes profondément attachés à la tradition d’ouverture et d’accueil à l’étranger et son étrangeté, qui n’est pas toujours inquiétante – loin de là ! et qui a construit notre nation dans l’histoire.

Notre position pourrait se résumer ainsi : le syncrétisme d’individus d’origines et de cultures diverses dans le creuset républicain que nous ne confondons pas avec la dissolution de la nation dans le communautarisme ; le devoir d’intégration qui oblige aussi bien ces individus que la communauté nationale, dans sa capacité à respecter les différences ; et bien sûr, par-dessus, tout le respect intangible des droits fondamentaux de la personne humaine, à commencer par la dignité.

Le projet de loi répond à ces principes, en ce qu’il met en œuvre une simplification appréciable du droit des étrangers et renforce, dans le même temps, les moyens légaux d’expulsion des personnes en situation irrégulière.

La création de la carte pluriannuelle, dont la délivrance advient après un premier titre de séjour, remplit cet équilibre. L’accueil des étudiants étrangers notamment, talents et potentiels entrepreneurs futurs, est ainsi rendu plus aisé. Il s’agit d’une manne importante que d’autres pays savent mieux que nous exploiter ! Cette avancée importante était attendue, après la confusion induite par les circulaires ministérielles dites « Guéant », qui avaient inopportunément durci les critères de délivrance d’un titre de séjour aux diplômés hors Union européenne.

Le principe de la priorité de l’assignation à résidence, l’encadrement du placement en rétention d’étrangers accompagnés d’un enfant mineur de moins de 13 ans et l’accès des journalistes aux zones d’attente et aux lieux de rétention constituent aussi, à ce titre, des progrès majeurs. Ces dispositions s’inscrivent dans la lignée du rapport de nos deux collègues Éliane Assassi et François-Noël Buffet, qui, il y a quelques mois, constataient le manque d’humanité du fonctionnement de tels lieux et préconisaient, dans leur proposition n° 10, de ne permettre la rétention qu’en cas d’échec d’une mesure coercitive préalable.

Cela me conduit à faire deux constats.

Le premier est le suivant : si la simplification proposée dans le projet de loi est réelle sur certains points, nous considérons que le texte aurait pu aller plus loin sur d’autres. Rien n’est dit par exemple du traitement des mineurs étrangers, notamment des mineurs isolés. De même, le sort des victimes étrangères de la traite humaine est ignoré. Il aurait été souhaitable que le projet de loi aille au bout de la simplification suggérée par différents rapports, ainsi que par le Défenseur des droits, en prévoyant notamment le rétablissement de la délivrance de plein droit de la carte de résident après quelques années de mariage, mais aussi la délivrance automatique d’une carte de résident de 10 ans sur demande de l’étranger à l’expiration de la carte pluriannuelle, ou encore en fusionnant plus complètement les différents titres de séjour, afin de ne pas créer un trop-plein de dérogations au principe.

Nous proposerons des amendements en ce sens, ainsi qu’une limitation du droit de communication tentaculaire de l’administration prévu à l’article 25.

A contrario, et cela n’étonnera personne, nous sommes opposés à la logique qui a été suivie par la commission des lois du Sénat sur plusieurs points. Nous sommes en particulier hostiles à la création d’une peine d’emprisonnement du fait du maintien irrégulier sur le territoire. Compte tenu de l’encombrement de nos prisons, il nous semble qu’il s’agit là d’une mesure d’affichage. Il faut plutôt privilégier la lutte contre l’immigration illégale. (M. Roger Karoutchi s’exclame.)

Figure de la haine et de l’autre, l’étranger n’est ni la révélation en marche ni l’adversaire à éliminer pour pacifier le groupe. Et j’ajouterai que, sous certaines conditions, il est même un élément à intégrer. C’est le second constat.

Rappelons, mes chers collègues, que, dans la proposition n° 50 de son programme, le candidat Hollande…

M. Jacques Mézard. … s’était engagé en faveur du droit de vote des étrangers résidant légalement en France depuis cinq ans. Avant même l’élection présidentielle, le 8 décembre 2011, une proposition de loi constitutionnelle avait été votée par le Sénat, avec l’indispensable soutien d’une large majorité des membres du groupe RDSE.

M. Jacques Mézard. Nous regrettons aujourd’hui que ce projet ait été enterré, dans le même cimetière que d’autres promesses électorales, quand fleurissent dans le même temps de multiples projets de loi contenant des dispositions jamais évoquées pendant la campagne présidentielle et qui ne sont pas sans effets déstabilisateurs. Je pense à la réforme des collectivités territoriales.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, l’étranger peut constituer une défense fallacieuse du moi désemparé. Nous espérons que nos débats ne nous feront pas revivre ceux qui ont eu lieu un jour sur l’identité nationale et que nous resterons fidèles à notre réputation d’assemblée des sages, d’assemblée de la défense des libertés et des droits, à l’heure où l’on tente de remettre en cause le bicamérisme de nos institutions. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il y a une cinquantaine d’années environ, Jacques Chaban-Delmas, président de l’Assemblée nationale, s’adressant à un député de Paris au début de la discussion budgétaire, avait dit : « Liturgie, litanie, léthargie ! ». (Mme Françoise Gatel rit.) Ne pourrait-on pas dire la même chose de la législation relative aux étrangers séjournant en France ?

Entre 1945 et 1980, un texte, parfois modifié, mais peu, l’ordonnance du 2 novembre 1945. Depuis 1980, soit en trente-cinq ans, vingt-deux lois ! C’est bien la preuve que le législateur a échoué en cette matière, sinon il n’aurait pas besoin à intervalles réguliers d’examiner une nouvelle loi qui, au-delà de sa présentation, n’est généralement guère différente de la précédente. (M. Roger Karoutchi s’exclame.) Vous le savez bien, monsieur Karoutchi, car vous en avez fait suffisamment pour être expert en la matière ! (Sourires.)

Monsieur le ministre, vous venez de nous expliquer – et je vous crois, car j’ai pour vous respect et amitié – que les chiffres que vous nous avez donnés sont bons : davantage de reconduites à la frontière, beaucoup plus de filières démantelées, immigration régulière stable depuis plusieurs années, avec 200 000 titres délivrés tous les ans. Pourquoi diantre, alors que les résultats sont aussi bons, nous présenter, comme en 2006, comme en 2011, à un an de la fin du mandat présidentiel, un nouveau texte sur l’immigration qui ne renverse pas la table ? Quel est donc le véritable but de cette discussion ? Pour réussir, vous n’avez pas besoin d’un nouveau texte. Vous nous l’avez dit. Alors, restons-en là !

Comme tout texte, ce projet de loi contient de bonnes choses et de moins bonnes. Le rapporteur en a fait une analyse honnête, exigeante et il formule des propositions qui, sans renverser le texte, qui lui-même ne renverse rien, nous permettront de continuer à vivre avec les mêmes lois. (M. Roger Karoutchi sourit.)

Devons-nous d’ores et déjà nous attendre à examiner un nouveau texte sur le droit des étrangers en France dans deux, trois ou quatre ans ?

M. Michel Mercier. Probablement ! Ne pourrait-on donc pas se poser la bonne question ? Dans notre pays, avons-nous, oui ou non, besoin d’une immigration ? Je pense que la réponse est oui, nous avons besoin d’immigrés, et je suis sûr que vous partagez ce sentiment, monsieur le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Tout à fait !

M. Michel Mercier. Si nous avons besoin d’immigrés, autant le dire clairement.

Il y a des gens qui ont des droits, sur lesquels, à travers ce que je vous proposerai, il n’est pas question de revenir. Si un Français se marie avec une étrangère, tous deux ont le droit de vivre ensemble. Il n’est pas question de limiter le droit au regroupement familial, qui, je le rappelle, a été créé par le gouvernement Chirac. (M. Roger Karoutchi s’exclame.) Il faut savoir d’où l’on vient, monsieur Karoutchi,…

M. Roger Karoutchi. Moi, je le sais parfaitement !

M. Michel Mercier. … cela aide à savoir où l’on veut aller.

Il faut dire les choses très clairement.

Alors que certains pays abordent les questions d’immigration dans le calme, nous en sommes incapables. En effet, chaque fois que nous examinons un texte sur l’immigration, nous pensons à autre chose. On ne traite bien sûr que de l’immigration régulière, et on ne pense qu’à l’immigration irrégulière. À l’évidence, ce n’est pas en rendant irrégulier le régulier que nous allons supprimer l’irrégulier. Il faut donc essayer de renverser les choses. Aussi, le groupe UDI-UC et moi-même vous proposerons de réfléchir – mais peut-être est-ce trop tôt ? – à des niveaux d’immigration. Comme vous, monsieur le ministre, comme le Président de la République, je n’aime pas beaucoup le mot « quota ».

Vous l’avez dit, nous avons besoin de talents. Peu de talents rejoignent la France. C’est un véritable problème. La France doit faire envie, or ce n’est plus le cas (M. le ministre est dubitatif.), ou pas assez. Ce n’est pas en donnant 1 833 titres « talents » que l’on va changer le monde !

On pourrait définir les catégories de personnes dont notre pays a besoin compte tenu du marché de l’emploi. Le Parlement est tout à fait habilité à fixer un niveau d’immigration. (M. Roger Karoutchi opine.) Je souhaite que nous puissions débattre de cette question sereinement, sans passion, sans se jeter à la tête des mots comme « quotas » ou d’autres mots. On ne peut pas sans cesse traiter la question de l’immigration avec la même pression, en employant les mêmes mots, en répétant la même litanie, pour obtenir toujours le même résultat. Or c’est ce que nous sommes en train de faire.

Pour notre part, nous vous inviterons, au cours de la discussion, à sortir des chemins battus des vingt-deux lois que j’évoquais au début de mon propos, pour essayer d’ouvrir des voies nouvelles. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Marc Laménie applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons le projet de loi relatif au droit des étrangers en procédure accélérée à la veille, il faut bien le dire, des élections régionales. Je crois très sincèrement que le Gouvernement aurait été plus sage de reporter l'examen de ce texte.

Alors que la question des réfugiés se pose avec force, les populismes se déchaînent dans notre pays. Ainsi, Mme Le Pen ose affirmer que les migrations actuelles ont un rapport avec les invasions barbares du IVe siècle, et Mme Morano s’autorise une saillie insupportable sur la race blanche.

Au regard du contexte international et des enjeux nationaux, nous regrettons le manque de clairvoyance du Gouvernement ainsi que l'oubli un peu rapide par la majorité gouvernementale de principes qu'elle affichait avant 2012.

Ainsi que nous vous l’avons dit en présentant notre question préalable, en matière de politique migratoire, il serait utile d’être un peu plus lucide et de tirer les conséquences des conflits économiques et politiques qui font de notre monde aujourd'hui un monde de réfugiés. Une réflexion progressiste nouvelle devrait être en marche pour repenser l’ordre économique mondial établi. Cependant, très loin de ces préoccupations, le projet de loi initialement proposé par le Gouvernement, largement durci par la commission des lois du Sénat, s’inscrit, comme vient de le dire notre collègue Mercier, dans la parfaite continuité d’une politique menée depuis plus de trente ans, qui fait prévaloir la suspicion sur le respect et l’effectivité des droits.

Alors qu’il n’y avait aucune urgence à légiférer, le projet de loi s’articule autour de trois approches de l’immigration : limiter les passages en préfecture en accordant des cartes de séjour pluriannuelles – ce qui est une mesure plutôt positive –, augmenter l’attractivité de la France en déroulant le tapis rouge pour les talents et créer un dispositif supplémentaire pour faciliter les renvois.

Toutes les associations de défense du droit des étrangers en France, ainsi que le Défenseur des droits sont unanimes sur le projet de loi : il ne marque aucune réelle volonté de rupture avec les réformes précédentes. Certes, il comporte quelques avancées comme l’affirmation du caractère subsidiaire du placement en rétention administrative et la réintroduction de la condition d’effectivité de l’accès à un traitement approprié dans le pays de renvoi, pour justifier le refus de délivrance d’un titre de séjour aux étrangers malades. Mais l’équilibre affiché du texte n’est, hélas, qu’une façade : l’immigration « autorisée » est maintenue dans une situation administrative précaire, qui empêche celles et ceux qu’elle concerne de trouver réellement leur place en France. Ainsi, alors que la mise en place d’un titre de séjour pluriannuel pouvait apparaître comme une mesure efficace pour sécuriser les parcours des étrangers en France, nous regrettons sa délivrance à géométrie variable et la complexification du CESEDA qui nuisent à son efficience.

Par ailleurs, de nombreuses dispositions du projet de loi, notamment l’article 14, sont consacrées à l’éloignement, au service de l’efficacité des mesures de départ forcé et de nouvelles procédures accélérées qui visent en fait à empêcher certaines catégories de demandeurs d’exercer, efficacement, leur droit au recours contre les obligations de quitter le territoire français.

En outre, une interdiction de circulation sur le territoire français est instaurée pour les ressortissants de l’Union européenne à l’article 15. Elle vise « implicitement », chacun le sait bien, les populations roms. Si une telle mesure d’interdiction de circuler était adoptée, ce serait une première en Europe, aucun autre État membre n’ayant encore osé le faire. Il s’agirait en fait d’une grave atteinte portée à l’exercice d’un droit qualifié de « liberté fondamentale » par la Cour de justice de l’Union européenne.

Les articles 19 et suivants, qui mettent en place un nouveau dispositif d’assignation à résidence pour faire diminuer le nombre de placements en rétention – ce qui est évidemment une démarche louable –, visent en fait à améliorer la « productivité » des procédures d’éloignement.

En matière de droit aux soins des étrangers, l’article 10 transfère le dispositif d’évaluation médicale des étrangers malades actuel à un collège de médecins de l’OFII, qui est, rappelons-le, sous la tutelle du ministère de l’intérieur en charge de la gestion des flux migratoires et du contrôle des étrangers. Aussi comment ne pas y voir un objectif « tacite » de gestion des flux ?

Nous sommes, par ailleurs, inquiets quant à la mise en place d’un dispositif inédit de contrôle par le préfet, qui, en clair, pourra enquêter sur un étranger avec l’aide de sa banque, de son opérateur téléphonique ou de l’école de ses enfants, le convoquer et même lui retirer son titre de séjour sans autre forme de procès.

Quant aux collectivités territoriales d’outre-mer, le régime spécial est maintenu ou aggravé en dépit des normes européennes et de la jurisprudence.

Enfin, nous ne comprenons pas aujourd’hui qu’un gouvernement, dont le parti avait clairement dénoncé les lois Sarkozy et Hortefeux, orchestre lui-même « l’immigration choisie » par le biais de « passeports talent ». Nous le comprenons d’autant moins qu’il recule sur les droits des travailleurs les plus précaires, en supprimant la possible délivrance d’une carte « salarié » aux salariés titulaires d’un CDD ou de contrats d’intérim. C’est là une véritable régression !

Pour ces travailleurs, seule sera délivrée une carte « travailleur temporaire » sur laquelle figureront le nom de l’entreprise et la durée du contrat de travail : un titre de séjour extrêmement précaire ! Quels seront les droits de ces « salariés jetables », qui, eux, ne pourront jamais prétendre à une carte pluriannuelle, alors qu’ils sont bien souvent en France depuis des années ? Ils seront plus que tout autre soumis au bon vouloir de leur employeur, afin de pouvoir rester dans la légalité.

Ainsi, la faible ambition de ce projet de loi gouvernemental a, hélas, permis à la droite sénatoriale de durcir des mesures déjà regrettables et de porter des modifications toujours plus sécuritaires et toujours plus éloignées de droits effectifs pour les étrangers.

Comme l’indique votre rapport, monsieur le rapporteur, votre position est claire : il s’est agi pour vous de « simplifier le texte en l’inscrivant dans les choix de la loi du 16 juin 2011 », mieux connue sous le nom de « loi Besson ». Ainsi avez-vous notamment restreint les conditions d’accès à la carte de séjour pluriannuelle, à l’article 11, renforcé les conditions dans lesquelles l’administration peut exercer un contrôle pour vérifier si les bénéficiaires remplissent toujours les conditions pour en bénéficier et rétabli le pouvoir d’appréciation du préfet pour délivrer les titres de séjour, en supprimant les hypothèses de délivrance de titres de plein droit.

Un certain nombre d’amendements adoptés par la commission des lois illustrent parfaitement la teneur de ce nouveau texte et l’ampleur des modifications apportées : la suppression de la délivrance de plein droit du visa au conjoint de Français ; la suppression de la délivrance de plein droit de l’autorisation provisoire de séjour pour les parents d’un enfant malade ; la faculté pour les forces de l’ordre de pénétrer au domicile de l’étranger pour l’escorter vers le consulat sur autorisation du juge ; la sanction pénale en cas de non-respect des obligations de communication ; enfin, la sanction pénale en cas de non-respect des obligations de pointage.

Soulignons tout de même que la « fuite » de l’essentiel du rapport de M. Buffet dans les colonnes du Figaro illustre parfaitement la méthode consistant à exploiter un sujet grave, l’immigration, à des fins médiatiques et politiques. Cette méthode est largement utilisée pour galvaniser les foules et accroître les craintes de nos concitoyens, comme si elles n’étaient pas déjà suffisamment attisées par le Front national !

Tout au long de l’examen de ce texte, nous tenterons donc d’éclairer le débat par un autre discours et d’améliorer le projet de loi en insistant sur le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité, qui ne saurait souffrir la moindre distinction entre ressortissants nationaux et étrangers, s’agissant de la garantie des droits fondamentaux attachée à la personne humaine. Aux yeux de notre groupe, l’immigration ne saurait être une menace pour un grand pays comme la France, mais un atout pour l’avenir.