M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis l’adoption de la première série de règles concernant la réutilisation des informations du secteur public en 2003, la quantité de données dans le monde, dont celles qui sont issues du secteur public, a augmenté de manière exponentielle et de nouveaux types de données sont produits et recueillis. Ce phénomène s’accompagne d’une constante évolution des technologies d’analyse, d’exploitation et de traitement des données.

Cette rapidité dans l’évolution technologique permet la création de nouveaux services et de nouvelles applications fondés sur l’utilisation, l’agrégation ou la combinaison de données.

Les règles adoptées en 2003 ne sont plus en phase avec ces changements rapides. En conséquence, les opportunités offertes par la réutilisation des données du secteur public, sur le plan tant économique que social, risquent d’être manquées.

Tel est le contexte qui a présidé à la présentation de la directive européenne, dont le présent texte constitue la transposition en droit national.

Au motif que nous serions entrés dans la société de l’information tous azimuts et multisupports, il nous faudrait légiférer rapidement sur cette question. Or la directive de juin 2013 dont nous allons produire la transposition vise un patrimoine particulier : les établissements universitaires, et singulièrement leurs bibliothèques, les musées et les dépôts et établissements d’archives. Elle maintient toutefois dans le champ de la discrétion les données qui seraient susceptibles de remettre en question le fameux, et toujours très défendu, secret des affaires. Ce qui est ici visé, c’est le patrimoine documentaire public, qui, jusqu’alors, échappait aux règles de réutilisation découlant de la directive précédente.

Les défenseurs du texte arguent dans un bel ensemble que la transposition de la directive constitue une avancée et offre une forme de garantie, que l’harmonisation du traitement des données et des patrimoines ainsi ouverts suffirait à assurer. Il me semble cependant nécessaire de ne pas occulter un aspect essentiel dans ce débat. Alors que l’on pouvait envisager l’ouverture des données aux seules fins d’enseignement et de partage du savoir pour les nouvelles générations d’étudiants, de chercheurs, de doctorants, notamment, l’objectif semble aujourd’hui différent.

Si transposer une directive est une chose, n’oublions pas que les données publiques sont produites et collectées par un service de caractère public. L’emploi public et l’activité de fonctionnaires sont producteurs de valeur ajoutée. Ainsi, il n’y aurait pas de stratégie marketing des entreprises commerciales sans l’outil statistique public, producteur des informations, notamment sociologiques et économiques, qui permettent de définir cibles, panels et échantillons. De même, sans les résultats du recensement général de la population, que feraient les instituts de sondage ?

Cela étant, la directive et le projet de loi font ressortir des problématiques objectivement posées.

D’une part, le travail de numérisation des données publiques est une tâche de longue haleine, qui fait partie des priorités affichées du ministère de la culture, avec volontarisme, mais des moyens dérisoires. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’exposé des motifs du projet de budget pour 2016, lequel accorde, dans un contexte budgétaire fortement contraint, la priorité à l’entretien et à la préservation du patrimoine monumental et de notre patrimoine immatériel, produit du travail patient de milliers de chercheurs, d’étudiants, de muséographes et d’archivistes.

D’autre part, la loi sur l’autonomie des universités a mis en difficulté la communauté universitaire. Le risque est évidemment grand de voir certains établissements tenter de trouver dans la perception de redevances d’usage sur la réutilisation des données qu’ils possèdent ou ont produit des moyens financiers dont la contraction des dotations annuelles les prive désormais.

Deux écueils principaux nous semblent devoir être évités dans ce texte.

Le premier est celui de l’excès d’une marchandisation des données, par la voie de la sous-traitance de la numérisation à quelque opérateur privé, qui ne manquera pas de se faire accorder une exclusivité lui permettant de tirer parti de ressources financières couvrant largement les coûts de production des données réutilisables. À ce propos, nous estimons, en particulier, que les dispositions de l’article 2 sont bien trop favorables aux opérateurs de numérisation et dénaturent le caractère public des données ouvertes.

Le second écueil concerne le niveau des redevances, dont nous comprenons fort bien qu’elles permettent une juste rémunération des coûts de production, mais dont la fixation doit être transparente dans tous les cas, qu’elles soient perçues par un établissement public ou par un opérateur privé.

À ce titre, il apparaît évident que tous les musées ou toutes les universités ne jouent pas dans la même division et que la faiblesse des moyens des uns ou des autres appelle une forme de mutualisation et de coopération qui devrait, à notre sens, procéder de l’existence d’une plateforme publique de numérisation dont l’activité permettrait de répondre à moindre coût à la demande en matière d’information et de transmission des données. Nous ne voudrions pas que, en raison d’une période significative d’exclusivité, une affaire comparable à celle des photos du livre anniversaire de la réouverture du musée de l’Homme se reproduise. Cet établissement muséographique captivant et original a été contraint d’acquitter des droits pour reproduire une partie de ses propres collections.

Nous sommes partisans de l’ouverture au domaine public des données dont disposent nos établissements publics culturels et universitaires, ne serait-ce que pour l’usage que peuvent en faire les étudiants et chercheurs, ou les visiteurs dans le cas des musées. Nous souhaitons toutefois mettre en place un cadre qui préserve ce processus des dérives de la logique commerciale. Une telle ambition nécessite une volonté et des moyens financiers nouveaux qui ne nous semblent pas présents. Sauf inflexion en ce sens, comme nous le proposerons par amendements, nous ne pourrons donc pas soutenir ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, transparence : voilà un mot que l’on entend à satiété. Or la transparence peut être la meilleure et la pire des choses.

La pire, si elle conduit à pulvériser le concept de vie privée, de respect de l’intimité propre à chaque être humain. Reste que des restrictions sont parfois nécessaires. Nous l’avons vu dans le domaine du renseignement. Il est à noter que le Sénat a enrichi le texte dont nous reparlerons demain soir d’un certain nombre de dispositions visant à ce que ces restrictions soient les plus limitées possible, prescrites par l’impérieuse nécessité de lutter contre le terrorisme et d’assurer la sécurité.

La transparence est en revanche la meilleure des choses possible lorsqu’il s’agit de développer et de partager l’information, autrement dit, lorsqu’il s’agit d’un véritable service public de la connaissance.

La transposition de la directive européenne du 26 juin 2013 dont nous discutons aujourd’hui s’inscrit dans une longue histoire. Je veux citer ici, à l’instar de notre collègue député René Dosière, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, magnifique texte, qui dit tant en si peu de mots et qui est pour nous, législateurs, un constant exemple : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » Les livres doivent être ouverts ! En 1997, Lionel Jospin, alors Premier ministre, déclarait : « Les données publiques essentielles doivent désormais pouvoir être accessibles à tous gratuitement sur internet. » C’était prémonitoire !

Les membres du Gouvernement se sont engagés en signant une charte de déontologie à mener « une action déterminée pour la mise à disposition gratuite et commode sur internet d’un grand nombre de données publiques ». Vous connaissant, madame la secrétaire d’État, je suis certain que vous y avez largement souscrit.

Le texte que vous nous soumettez est à cet égard un bon texte, car il constitue un pas en avant et nous permet de rattraper notre retard par rapport à nos engagements en matière de transposition de textes européens.

Je voudrais essayer de convaincre notre rapporteur Hugues Portelli, éminent juriste et brillant universitaire – il connaît donc bien ces sujets –, que les universités et les établissements de recherche ne peuvent fixer les conditions de communication et de réutilisation de tout document produit ou reçu en leur sein, comme le prévoit la commission à l’article 1er.

Mon cher collègue, je ne sais pas si vous imaginez les conséquences de ce choix, notamment le nombre de délibérations qu’il entraînera compte tenu du grand nombre de documents visés et de leur étonnante diversité. Or les universitaires et les chercheurs voient d’un très bon œil ce projet de loi. Je m’en suis assuré, et je sais que Mme la secrétaire d’État s’en est également assurée auprès de Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Je veux être extrêmement clair. Bien entendu, il existe des exceptions à la réutilisation : tout ce qui relève du droit d’auteur, de la propriété intellectuelle et du droit commercial. Prenons le cas des revues universitaires et scientifiques, sur lequel nous aurons peut-être l’occasion de revenir. Un nombre important de ces revues connaissent de grandes difficultés. Pourquoi ? Parce qu’il est si facile de les photocopier qu’il devient héroïque de les publier ! Une revue qui est vendue ne peut être pillée gratuitement ! Cela doit être entendu : il existe des règles, des chartes, des droits quant à la reproduction, qui figurent en général sur la deuxième ou troisième page desdites revues.

Quant aux documents préparatoires, les textes qui régissent la CADA, la Commission d’accès aux documents administratifs, ainsi que sa jurisprudence précisent qu’ils ne peuvent être communiqués.

Madame la secrétaire d’État, les projets que vous élaborez dans votre ministère, jusqu’au moment où ils sont adoptés par le conseil des ministres ou publiés en tant que décrets, arrêtés ou circulaires, sont en quelque sorte des brouillons, dont il serait intellectuellement inacceptable, bien que cela soit malheureusement parfois le cas, qu’ils soient utilisés à l’encontre d’un ministre ou de quelque autre personne. Lorsqu’il n’est qu’au stade de la préparation, un document n’a pas d’existence !

Permettez-moi également de répondre à l’argument évoqué en commission, et de nouveau soulevé lors de la sympathique réunion de la commission qui a précédé cette séance publique, selon lequel les chercheurs risqueraient de voir leurs trouvailles, leurs recherches, leurs résultats pillés, volés...

De deux choses l’une : soit il s’agit de l’un des cas précédemment évoqués, et alors le droit commercial, le droit de la propriété intellectuelle ou le droit d’auteur s’applique ; soit – phénomène connu dans le monde universitaire, où il arrive fréquemment que les chercheurs participent aux mêmes colloques –, un chercheur reprend dans son exposé ou dans son article les travaux réalisés par l’un de ses collègues. Monsieur le rapporteur, vous qui êtes un chercheur savez que cela est très connu. Pour bien connaître la communauté mathématique, je puis dire que certaines personnes utilisent les travaux, les recherches, les résultats d’autres mathématiciens. Face à cette situation, il n’y a qu’une réponse, c’est le jugement de la communauté scientifique qui détecte les contrefaçons et ceux qui, au mépris de la déontologie et de l’honnêteté intellectuelle, s’approprient les résultats des autres. Aussi j’imagine mal les conseils d’administration des universités statuer en la matière. Très franchement, cela serait totalement inopérant !

Il faut donc ouvrir grand les portes et les fenêtres. Il faut faire vivre l’université dans la tradition universitaire ! Si nous permettons à la connaissance et au savoir de se développer et de se transmettre, nous aurons fait en sorte que les universitaires accomplissent la tâche pour laquelle ils ont été créés, si je puis dire – je ne sais pas si, un jour, quelqu’un a créé les universitaires, mais c’est là un autre débat…

Mon second point de désaccord – rassurez-vous, monsieur le rapporteur, il n’y en a que deux – a trait à la licence. Faut-il prévoir dans tous les cas une licence ? Nous estimons raisonnable qu’il y ait une licence lorsqu’il y a une redevance, et c’est aussi, me semble-t-il, la position de Mme la secrétaire d’État.

Monsieur le rapporteur, en préparant mon intervention, je me suis interrogé sur les raisons qui motivent votre souhait de prévoir une licence même lorsqu’il n’y a pas de redevance. J’espère que vous reviendrez au cours du débat sur ce sujet que vous avez évoqué très succinctement. Cela rejoint d’ailleurs un point que vous avez très sagement abordé lorsque vous nous avez demandé d’éviter la surtransposition. Je vois que M. le rapporteur pour avis de la commission de la culture opine : nul ne pourra en disconvenir, ou alors je ne vois pas sur la base de quel argument. Si vous imposez une licence quand il n’y a pas de redevance, vous effectuez une surtransposition ! Faisons donc notre travail sagement et scrupuleusement en transposant ce qui doit l’être !

En conclusion, je dirai que ce texte est utile et positif dans la mesure où il contribuera à développer les connaissances, permettra de mieux partager les documents publics et de mettre en œuvre le service public dans toute son acception en ce domaine. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste soutient ce texte et sera très heureux de le voter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre du projet de loi relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public, qui procède à la transposition de la directive européenne du 26 juin 2013. Ce texte constitue une étape supplémentaire et attendue en faveur de la politique d’ouverture des données menée par le Gouvernement.

Si nous comprenons les contraintes liées au calendrier, qui ont déjà été exposées, nous regrettons cependant que la transposition soit quelque peu a minima. Surtout, nous sommes étonnés que le sujet soit autant morcelé, pour ne pas dire « saucissonné ».

Le futur projet de loi pour une République numérique comporte un volet qui définira les contours des données ouvertes à la réutilisation. Cette dissociation a pu être de nature à empêcher un travail parlementaire d’ampleur, et la limite posée par la surtransposition n’a laissé que peu de marge de manœuvre aux parlementaires pour amender le texte qui nous est ici proposé. Je fais référence aux travaux conduits par la mission commune d’information sur l’accès aux documents administratifs et aux données publiques présidée par notre ancien collègue Jean-Jacques Hyest et pour laquelle j’avais été désignée rapporteur. Nous avions alors formulé un grand nombre de propositions, qui n’ont pas trouvé ici leur traduction, mais nous les présenterons de nouveau lors de l’examen du projet de loi pour une République numérique.

Concernant le morcellement, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », oblige déjà les collectivités locales de plus de 3 500 habitants et leurs EPCI à ouvrir leurs données. Et je ne parle pas de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui prévoit l’ouverture des données de transport, ce qui sera sûrement très utile ! Avec une telle juxtaposition de mesures, il y a de quoi s’y perdre, et ce au détriment de la lisibilité de quelques avancées que l’on peut observer.

Tout en saluant le travail accompli par les rapporteurs dans des délais très contraints – je félicite M. le rapporteur de sa pédagogie, car son rapport fera la joie de tous les étudiants qui travaillent sur l’open data –, je regrette, en tant qu’ancienne membre de la commission des lois, la faible concertation avec les membres de la commission de la culture. Dans la mesure où le texte traite, pour partie, de la numérisation des données culturelles, nous aurions peut-être pu organiser des auditions conjointes.

Comme le pointait le rapport de la mission commune d’information, si des progrès ont été accomplis en matière d’accès à l’information publique, les réticences persistantes de l’administration déçoivent encore les attentes citoyennes, qui sont de plus en plus importantes.

Quant à la réutilisation des données publiques, elle se heurte à certains obstacles : des difficultés techniques et méthodologiques, tenant, d’abord, au format des données et, ensuite, à la non-harmonisation des processus de production, qui interdit les rapprochements. À cet égard, nous saluons l’avancée réalisée par les députés pour ce qui concerne le standard dans lequel doivent être fournies les informations publiques en vue de leur réutilisation. En la matière, nous avons souhaité apporter une précision par le biais d’un amendement, afin de favoriser l’objectif de facilitation de la réutilisation, en définissant ce qu’est un fichier aisément réutilisable.

Par ailleurs, ce texte affirme le principe de gratuité, ce que nous saluons, mais en lui associant de très nombreuses exceptions. Plutôt que de garantir l’abandon progressif des redevances, comme le permettait la directive, il vient plutôt l’entériner. C’est pourquoi nous avons déposé deux amendements sur ce sujet.

Le premier vise à étendre l’application du principe de gratuité de la réutilisation d’informations publiques, en supprimant la possibilité de lever des redevances pour les organismes dont la mission de service public est de produire, collecter et diffuser ces données. De nombreux rapports ont montré l’inconvénient de ces redevances, qui constituent en quelque sorte des rentes sur le plan économique, et le rapport Trojette a mis en évidence que la libération des données pouvait rapporter nettement plus d’argent à l’État que ces redevances.

Le deuxième amendement – de repli – prévoit le maintien de la redevance de réutilisation pour ces organismes, mais cette possibilité doit avoir pour corollaire la diffusion en ligne, gratuite, dans un standard ouvert et aisément réutilisable des bases de données qu’ils produisent ou qu’ils reçoivent, ainsi que les données dont la publication présente un intérêt économique, social ou environnemental. Il s’agit ici de permettre un mode d’accès premium ou « freemium » soumis à tarification, à condition que l’accès standard aux données demeure gratuit.

Concernant les décrets régulant les redevances, le texte prévoit une révision tous les cinq ans. Il faut peut-être faire mieux.

Pour conclure, nous souhaitons, comme cela avait été fait par les députés, préciser les contours de l’obligation de transparence des accords d’exclusivité conclus en matière de réutilisation des informations publiques. À cet effet, l’un de nos amendements tend à définir la nature des informations soumises à publication.

S’agissant de l’article 1er, qui permet d’inclure dans les obligations générales d’accès au public les documents produits ou reçus par les établissements d’enseignement de recherche, ainsi que par les établissements culturels, nous sommes étonnés du retour au maintien d’un régime dérogatoire de réutilisation pour les informations de recherche, qui a été opéré par le biais d’un amendement du rapporteur.

Mme Corinne Bouchoux. Pourquoi prendre autant de précautions ? Il existe déjà de très nombreuses protections. Les documents ne sont pas communicables, car ils sont inachevés ou protégés par le secret industriel ou commercial ou le droit de la propriété intellectuelle et ne sont donc pas réutilisables. Il est difficile de savoir pourquoi les établissements conserveraient ces données. Le maintien de cet amendement serait de nature à favoriser l’inertie des administrations.

Ces remarques étant formulées, nous soutiendrons et voterons ce texte, tout en espérant pouvoir avoir un débat constructif autour des améliorations que nous proposons. En outre, nous attendons avec impatience l’examen du projet de loi pour une République numérique, qui permettra, nous l’espérons, d’aller plus loin. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après avoir écouté les avis des spécialistes, permettez au béotien que je suis d’intervenir sur cette question, sur laquelle je suis totalement ignare. Pour autant, je n’en demeure pas moins un citoyen. Or la loi est avant tout faite pour les citoyens !

L’administration a cultivé pendant très longtemps le culte du secret. En tant que citoyen, je ne suis pas certain que ce culte du secret disparaîtra, fût-ce avec une loi. J’ai même le sentiment qu’il se renforcera dans un certain nombre de cas. Certes, on nous explique que l’administré est devenu majeur, après être sorti de l’adolescence. Mais est-il pour autant beaucoup plus informé que par le passé ? Cela reste à démontrer. Pour ma part, je n’en suis pas convaincu.

La création de l’Agence du patrimoine immatériel de l’État en 2007 ou encore celle, en 2011, de la mission Etalab chargée de concevoir un portail unique interministériel d’accès aux données publiques et de coordonner l’action des administrations de l’État en matière de réutilisation témoignent de cette évolution positive. Rappelons que nous avons voté, il y a quelques jours, la dématérialisation du Journal officiel de la République française !

Promesse du Président Hollande, la République numérique constitue un pas technologique important, qui permet de rapprocher les citoyens des centres de décision et d’accroître leur participation à la vie démocratique. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « loi NOTRe », a d’ailleurs étendu aux collectivités de plus de 3 500 habitants l’obligation de livrer leurs informations. Que se passera-t-il si elles ne le font pas ou le font de manière partielle ? Nous verrons bien…

La réutilisation de données publiques en production croissante doit permettre, dans la période à venir, de créer de nouvelles activités et de nouveaux services. L’ouverture des données du secteur public est porteuse d’externalités positives ; le terme est beau, même si on ne sait pas forcément ce qu’il signifie... Les données telles que les données géographiques, météorologiques ou de santé ont un fort potentiel socio-économique. Il s’agit là de l’un des vecteurs essentiels de l’économie du futur, et nous ne devons pas prendre de retard en la matière.

Ainsi, nous saluons l’examen de ce projet de loi, qui transpose avec retard – mieux vaut tard que jamais ! – la directive du 17 novembre 2003 et a même pour ambition d’aller plus loin. Nous regrettons toutefois que le rapporteur ait choisi d’en restreindre la portée, concernant, notamment, les questions de gratuité et de numérisation des données par l’administration. Permettez-moi de m’arrêter un instant sur ce sujet.

Notre collègue Jean-Pierre Sueur nous a expliqué avec brio et avec son talent habituel l’intérêt de légiférer. Je dois dire que je peine à comprendre la portée de cette loi. Si l’on exclut la propriété intellectuelle et les données scientifiques, que va-t-il rester ? À l’évidence, on pourra mener des recherches sur la reproduction des ornithorynques, qui pourront être mises sur la place publique.

M. Ronan Dantec. C’est un véritable enjeu de la biodiversité : ils sont en voie de disparition !

M. François Fortassin. C’est bien pour cette raison que je le souligne ! (Sourires.)

Mais il est évident que vous n’empêcherez pas certains chercheurs, quels que soient les talents – et peut-être précisément parce qu’ils ont du talent ! –, de protéger le plus possible leurs recherches. Or la meilleure façon de le faire, c’est de ne pas les faire connaître, sauf à des fins de commercialisation. Pour le béotien que je suis, il m’est donc difficile de comprendre la décision qui a été prise ; je ne vois pas l’évolution positive.

Cela étant, le groupe du RDSE votera ce texte dans la mesure où il constitue une avancée intéressante, ne serait-ce que parce qu’il vise à conforter le rôle de la Commission d’accès aux documents administratifs, qui doit pouvoir émettre un avis sur les niveaux de redevance notamment.

Ne soyons pas non plus frileux pour ce qui concerne le développement des technologies de l’information, dont on récolte aujourd'hui les fruits. Ces technologies vont se développer encore dans les années à venir. Ayons la modestie – une qualité inutile dont il faut user avec parcimonie ! –, ou plutôt l’humilité de considérer que le secret a encore de beaux jours devant lui. Il faudra la vigilance de la Haute Assemblée pour l’écorner un peu... (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la politique française d’ouverture des données publiques n’est pas nouvelle : elle date de la fin des années soixante-dix, notamment avec la loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal.

On l’oublie parfois, trente-sept ans après, cette loi reste une avancée majeure d’un point de vue démocratique. Notre collègue François Fortassin vient de parler du culte du secret ; le rapport sénatorial de la commission des lois de l’époque saisie pour avis relevait déjà la « manie du secret » : « Malgré l’affirmation de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, l’administration française apparaît comme particulièrement peu accessible et même souvent hermétique ». Le rapporteur pour avis ajoutait même que, « par le biais d’associations et de comités de défense, les usagers marquent une hostilité croissante à l’emprise bureaucratique ». De ce point de vue, certaines choses n’ont toujours pas changé. Le rapporteur pour avis concluait que « rien, au plan juridique comme au plan des principes, ne justifie réellement le secret ». Tel est le principe ! Au demeurant, cet objectif demeure, bien évidemment.

La reconnaissance d’un droit à l’information fut donc une réelle avancée, qu’il faut mettre, me semble-t-il – je me permets de le souligner –, au crédit du septennat de Valéry Giscard d’Estaing,…

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. Absolument !

M. François Bonhomme. … un septennat libéral au sens philosophique du terme, au regard des idées qui présidaient alors.

M. Loïc Hervé, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. François Bonhomme. C’est à la même époque que fut instituée la CADA, autorité administrative indépendante qui a garanti les avancées marquantes réalisées pour le respect de la liberté d’accès aux informations. Alors que, dans quelques semaines, un rapport sénatorial va sûrement fustiger les autorités administratives indépendantes, il faut se souvenir du progrès qu’a représenté la création de cet outil.

Les avancées de 1978 ont été confortées au niveau européen par la directive du 17 novembre 2003 sur la réutilisation des informations du secteur public : elle a fixé un cadre européen minimal applicable à la réutilisation des informations du secteur public au sein de l’Union européenne. Cette directive s’applique aux informations détenues par les organismes du secteur public, c’est-à-dire par l’État, les collectivités territoriales et les organismes de droit public, ainsi que par les associations formées par une ou plusieurs de ces entités. Elle définit la réutilisation comme « l’utilisation par des personnes physiques ou morales de documents détenus par des organismes du secteur public, à des fins commerciales ou non commerciales autres que l’objectif initial de la mission de service public pour lequel les documents ont été produits ». Cette première directive a été transposée en droit français par deux ordonnances de 2005.

Le projet de loi dont nous débattons cet après-midi opère la transposition dans notre droit d’une seconde directive, du 26 juin 2013. Dite directive ISP2 et destinée à actualiser la directive de 2003, elle aurait dû être transposée avant le 18 juillet dernier.

Un premier problème se pose, sur le plan de la forme : alors que nous devrions être prochainement saisis du fameux et annoncé projet de loi sobrement, et peut-être immodestement, intitulé « pour une République numérique », le Gouvernement, sans doute pour rasséréner la Commission européenne et éviter des sanctions, semble préférer la technique du « saucissonnage », de surcroît en engageant la procédure accélérée. L’inscription dans notre droit de mesures relatives à la réutilisation des données publiques aurait pourtant mérité de faire partie d’une action globale touchant aux données ouvertes en France.

Remarquez, madame la secrétaire d’État, que je parle de « données ouvertes ». C’est d’ailleurs là l’une de mes requêtes : que l’on cesse de parler d’« open data » et que l’on use de notre langue nationale pour désigner tout ce qui touche aux données publiques, aux rapports publics et même aux sites internet. Employons de préférence les expressions « données publiques ouvertes », ou simplement « données ouvertes » !

L’inclusion des dispositions soumises à notre examen dans le projet de loi dit « pour une République numérique » eût été d’autant plus logique que celui-ci, dans la version préparatoire que nous venons de découvrir, comporte une partie entière consacrée à l’ouverture des données publiques. Ce problème de forme est bien regrettable, et je ne crois pas qu’il tienne simplement à la gestion de l’agenda parlementaire.

Un second problème se pose, qui est un problème de fond : le Gouvernement et la majorité sur laquelle il s’appuie à l’Assemblée nationale n’ont pu s’empêcher, comme souvent en matière de transposition, de faire de l’excès de zèle, en surtransposant la directive européenne. Or le Conseil d’État, dans l’avis qu’il a rendu sur le projet de loi, a estimé que la législation française actuelle satisfaisait par avance aux obligations de la directive.

Cette dernière concerne principalement les aspects économiques de la réutilisation des informations du secteur public ; elle laisse aux États membres le soin de déterminer les règles permettant aux citoyens d’accéder à ces informations. Ainsi, elle va dans le sens d’un élargissement du champ du droit d’accès, auquel elle intègre les bibliothèques, les archives et les musées, tout en maintenant le versement de redevances ou la conclusion d’accords d’exclusivité. Elle prévoit également la mise en place d’une tarification pour la réutilisation des informations publiques, avec quelques exceptions. Enfin, elle renforce l’obligation de transparence imposée aux administrations et encadre les accords d’exclusivité liés à la numérisation des données culturelles.

De manière générale, nous souscrivons à l’avis de la commission des lois et de son rapporteur : il paraît important de ne pas aller au-delà de la directive, pour ne pas prendre le risque de créer des distorsions de concurrence et des inégalités entre pays de l’Union européenne. C’est pourquoi nous ne sommes pas favorables à la suppression du régime dérogatoire de réutilisation des informations contenues dans les documents produits ou reçus par les établissements d’enseignement et de recherche et par les organismes et services culturels.

De même, le principe de gratuité prévu à l’article 3 du projet de loi va bien au-delà du contenu de la directive et risque de pénaliser les acteurs de notre secteur public. Nous souhaitons nous en tenir aux principes fixés par la directive et plafonner le montant des redevances aux coûts marginaux de reproduction, de mise à disposition et de diffusion, tout en prévoyant une nouvelle dérogation liée à la collecte, la production, la mise à disposition du public et la diffusion de certains documents.

Enfin, afin de prévenir les litiges, il nous paraît fondamental de prévoir que toutes les réutilisations, assorties ou non du paiement d’une redevance, devront donner lieu à une licence.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en dépit des deux problèmes que je viens de signaler, le projet de loi me paraît marquer une étape importante et nécessaire, quoique tardive ou prématurée – c’est selon. Nous espérons que le projet de loi dit « pour une République numérique » sera en cohérence avec les dispositions dont nous sommes saisis cet après-midi. Nous attendons aussi qu’il apporte des réponses précises à la question de la conciliation de la réutilisation des informations du secteur public avec la protection des données personnelles et, surtout, qu’il nous permette de mettre enfin la dernière main à la stratégie française en matière de données ouvertes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)