PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud

vice-président

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis donc le troisième sénateur alsacien à intervenir cette après-midi. Si je le fais, c’est pour affirmer, à mon tour, mon attachement à ma langue régionale, à sa pratique quotidienne, à sa promotion et à son développement, mais également pour indiquer pourquoi je ne peux pas, à mon vif regret, voter le projet de loi constitutionnel qui nous est proposé.

Je tiens à affirmer mon attachement à ma langue régionale, tout d’abord. De fait, bien que l’alsacien ne soit pas ma langue maternelle – mon père était belfortain et on ne parlait donc que le français à la maison –, j’ai appris au fil des années, dans la rue tout d’abord avec mes jeunes amis, puis avec des amis de moins en moins jeunes dans les différents cercles associatifs, professionnels, puis d’élus que je fréquentais, à pratiquer cette langue, à en découvrir la finesse et la richesse, à m’émerveiller de la multiplicité de ses accents et intonations, à la promouvoir, pour tout dire à l’aimer.

Dès que je l’ai pu, en qualité d’élu communal, puis de maire, j’ai contribué à sa valorisation en encourageant la pratique théâtrale et en soutenant la création d’un site bilingue paritaire dans une école maternelle de ma commune, puis à l’école élémentaire, en affectant, bien entendu, les moyens matériels adéquats, et même plus encore.

En qualité de président du conseil économique et social d’Alsace, tout d’abord, puis de vice-président, enfin de président du conseil régional d’Alsace, avec mes différents collègues, pendant plus de vingt ans j’ai contribué au développement de cette pratique dialectale et de projets en langue régionale, que ce soit en milieu scolaire et périscolaire, avec notamment la promotion de l’option « langue et culture régionales », par le soutien à l’écriture et à la réalisation de pièces de théâtre en alsacien ou encore par le cofinancement de plaques de rues bilingues, et même par l’édition de dictionnaires professionnels franco-alsaciens pour toute une série de métiers.

Tout cela pour dire que je ne peux pas être suspect de réserve à l’égard de notre langue régionale,…

M. André Reichardt. … que je considère, de même certainement que les 900 000 locuteurs des différentes formes de dialecte en Alsace et en Moselle, comme un élément fort et indissociable de notre identité alsacienne et mosellane, qui a été forgée par notre histoire et notre géographie, mais également par nos spécificités – faut-il le rappeler ?

À côté de notre droit local, dont le financement des cultes reconnus, nos deux jours fériés supplémentaires et notre régime local d’assurance maladie…

M. André Trillard. Excellent régime !

M. André Reichardt. … sont, en particulier, les éléments les plus connus, l’alsacien joue un rôle essentiel.

Souvent appris dans un cadre familial, il est une langue truculente, savoureuse : savez-vous, mes chers collègues, qu’il existe plus de quatre-vingts expressions pour dire des mots doux à une femme ? (Sourires.)

M. Philippe Bas, rapporteur. Seulement quatre-vingts ?

M. Loïc Hervé. Des exemples, des exemples !

M. André Reichardt. Je suis prêt à donner des cours aux plus assidus d’entre vous… (Nouveaux sourires.)

Savez-vous qu’il y a plus de quarante expressions pour dire que l’on a marqué un but en football ? Cette langue est pleine de subtilités : un même mot peut avoir plusieurs significations. Nous, les Alsaciens, sommes les seuls à la comprendre et sommes les seuls à la parler. C’est la raison pour laquelle nous voulons la garder et la promouvoir.

Pour autant, et malgré cet attachement fort à ma langue régionale, je ne puis voter le projet de loi constitutionnelle qui nous est proposé et, je le répète, c’est à mon grand regret. Pourquoi ? Parce que c’est inutile et parce que c’est impossible. C’est aussi clair que cela !

M. Jacques Bigot. Impossible n’est pas français ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. André Reichardt. C’est inutile, parce que la Charte européenne des langues régionales et minoritaires qu’il s’agit ici de ratifier dans la version limitée qu’a signée la France, avec 39 engagements qu’elle propose sur les 98 possibles, soit à peine quatre de plus que le minimum exigé, n’apporte rien de plus que ce que nous faisons déjà dans ma région et que toute autre région peut d’ores et déjà faire.

M. Ronan Dantec. Votez-la, alors !

M. André Reichardt. J’ai dit précédemment tout ce qui avait été entrepris à cet égard ces dernières années, sans qu’il ait été besoin de charte européenne. En Alsace, on l’a cité tout à l’heure, l’office pour la langue et la culture d’Alsace, l’OLCA, a été créé en 1994, soit cinq ans avant que la France ne signe la charte !

M. Jacques Bigot. Il faut donc la voter !

M. André Reichardt. Au fil des années, cet OLCA, massivement financé par le conseil régional d’Alsace, n’a cessé de développer et d’enrichir son activité, et il est reconnu par tous comme un animateur essentiel de notre patrimoine linguistique.

Plus récemment, comme l’a dit mon ami René Danesi, c’est même, au cours des assises de la langue et de la culture régionales organisées par la région, une charte d’Alsace pour la promotion de la langue régionale, fondée précisément sur la charte européenne qu’il nous est proposé de ratifier aujourd’hui, qui a été approuvée par le conseil régional et les deux conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Elle traduit concrètement notre volonté de faire avancer et de pérenniser la langue et la culture régionales, avec une déclinaison d’objectifs opérationnels, notamment à destination des communes.

Pour ce faire, nous n’avons nullement eu besoin de la ratification qui nous est proposée aujourd’hui. De la même manière, la charte européenne peut d’ores et déjà, en tant que de besoin, se décliner efficacement, partout dans notre pays, si les populations concernées et leurs représentants le souhaitent.

Toutefois, et surtout, je ne vais pas voter ce projet de loi constitutionnelle, parce que c’est impossible. Le président de la commission des lois, également rapporteur de ce texte, nous a indiqué les raisons pour lesquelles la ratification qui nous est proposée n’est pas possible. Même affublée de la déclaration interprétative proposée par le Gouvernement, cette charte européenne est contraire à la Constitution. Je n’y reviendrai pas.

M. Ronan Dantec. On peut supprimer cette déclaration, si vous préférez !

M. André Reichardt. Reste alors la force du symbole, que les partisans de cette constitutionnalisation entendent mettre en avant. À ceux-ci, je voudrais juste répondre que la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a d’ores et déjà ajouté l’article 75-1 à la Constitution et que celui-ci indique que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » !

En conclusion, et sans nier, une nouvelle fois, toute l’importance à accorder aux langues régionales et minoritaires, il me semble qu’il y a bien lieu pour le Sénat de rejeter ce projet de loi, en votant la question préalable qui nous est proposée par la commission des lois, et de lui préférer le vote d’une proposition de loi donnant un véritable statut aux langues régionales, comme le groupe Les Républicains envisage de le proposer dans les prochaines semaines. Je le répète, c’est tout à fait possible, indépendamment de la ratification de cette charte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Christian Manable.

M. Christian Manable. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la République est une et indivisible. Et c’est son patrimoine culturel dense et divers, complété au fil du temps, qui fait la France d’aujourd’hui, dans toute sa diversité. Les langues régionales participent à cette richesse de notre pays. Une République forte n’a pas à craindre la diversité linguistique.

Mme Maryvonne Blondin. Au contraire !

M. Christian Manable. Je suis l’un des représentants de la nation, comme vous mes chers collègues. Je suis parlementaire, donc au service de l’intérêt général. Je ne suis pas l’avocat d’un territoire ou le VRP de spécificités locales. Pourtant, je suis un ardent militant des cultures et langues régionales – de toutes les cultures et de toutes les langues régionales !

Nous devons saisir l’occasion de cette ratification, notamment pour soutenir cette richesse culturelle de la France et les diversités locales. C’est un débat important, qui ne doit pas être évacué par je ne sais quelle acrobatie ou pirouette technique.

Durant toute l’après-midi, j’ai entendu parler du basque, de l’alsacien, du breton… Qu’il me soit permis de vous parler du picard !

M. Philippe Bas, rapporteur. Oui, cela manquait !

M. Christian Manable. Au XIIIe siècle, à une époque où il existait une « nation picarde », la langue picarde était fréquemment utilisée par les universitaires du Moyen Âge, à la Sorbonne, à deux pas d’ici.

La langue picarde fait partie intégrante de la richesse culturelle de la France. Le picard est reconnu comme une langue par le ministère de la culture : en 1999, quand la France a signé la Charte européenne des langues régionales, le Premier ministre Lionel Jospin a demandé à Bernard Cerquiglini, linguiste, qui avait été délégué général à la langue française, d’établir la liste des langues de France. Or le picard en fait partie. Il est officiellement reconnu comme étant l’une des soixante-quinze langues de France, qui comprennent aussi les langues d’outre-mer.

Cependant, en 2013, dans la perspective de l’éventuelle ratification alors déjà évoquée et de la mise en œuvre des dispositions de la Charte en faveur des langues régionales et minoritaires, Aurélie Filippetti, ministre de la culture avait installé un comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne avec pour mission « d’éclairer le Gouvernement sur les modalités d’application des trente-neuf engagements pris par la France en signant la Charte européenne, et plus généralement de formuler des recommandations visant à favoriser la pluralité linguistique interne à notre pays ».

Le rapport de ce comité consultatif cite le picard tantôt, correctement, comme une langue – appartenant comme le français au groupe des langues d’oïl –, tantôt en laissant entendre qu’il serait une « variété dialectale du français », niant ainsi le fait que, linguistiquement, historiquement et d’un point de vue littéraire, le picard est une langue proche, mais aussi distincte du français que l’occitan peut l’être du catalan ou le néerlandais de l’allemand. Cette ambiguïté a bien évidemment nourri des inquiétudes chez tous les promoteurs du picard, dont je suis.

Nous avions en effet constaté qu’aucun représentant ni spécialiste de la langue picarde ne figurait parmi les membres de ce comité ou parmi les personnes qualifiées et associations auditionnées par celui-ci.

Enfin, les données mentionnées en annexe du rapport nous semblent inexactes. Le nombre de locuteurs avancé nous apparaît fantaisiste et ne s’appuie sur aucune référence sérieuse. De plus, il globalise l’ensemble des langues dites d’oïl sans distinguer les différences très profondes qui existent entre elles.

Or la réalité du picard recouvre cinq départements – l’Oise, l’Aisne, la Somme, le Pas-de-Calais, le Nord – et même une partie de la Belgique jusqu’à Tournai : le picard se parle entre le nord de Paris et le sud de Bruxelles. On considère que deux millions de personnes sont au moins capables de le comprendre et, je le rappelle, il s’écrit depuis le Moyen Âge.

En effet, la plupart des grands textes du Moyen Âge sont écrits en langue picarde et ce que l’on qualifie d’ancien français est objectivement de l’ancien picard. L’existence d’une littérature originale très importante et millénaire en langue picarde est une réalité, tout comme le fait que le picard dispose d’une orthographe communément acceptée et très largement répandue, ainsi que d’une importante présence en milieu scolaire. Plusieurs méthodes d’enseignement du picard ont déjà été publiées, notamment celle qui a été réalisée par l’Agence pour le picard en 2013.

D’ailleurs, sans faire injure à mes collègues du Nord et du Pas-de-Calais, le ch’ti est du picard, mais du picard qui a réussi, grâce au film ! (Sourires.) Il ne s’agit même pas d’une variante, mais d’une appellation. Le ch’ti n’a pas d’autonomie par rapport au picard, il n’existe que depuis la guerre de 1914-1918, car c’est de l’argot des tranchées. Il s’est formé à partir de sonorités que les soldats entendaient dans la bouche de leurs camarades qui parlaient picard. Comme les soldats du Nord étaient nombreux à parler picard, ils ont été désignés comme étant les Ch’timis.

De nos jours, on publie régulièrement en picard, dans tout le domaine linguistique picard. Astérix en picard, c’est quand même plus de 100 000 exemplaires, beaucoup plus que les traductions dans les autres langues régionales de France !

M. Hugues Portelli. C’est fini !

M. Christian Manable. Le picard est aujourd’hui un élément culturel fort de notre grande région Nord–Pas-de-Calais–Picardie, sauf pour certaines candidates aux élections régionales qui ne connaissent cette grande région qu’au travers des vitres du TGV qui les emmène de Saint-Cloud à Bruxelles.

Dans l’éventualité où la procédure de révision de la Constitution indispensable à la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires aboutirait, il est indispensable que la langue picarde soit concernée et entre dans le périmètre de ce processus.

M. Thierry Foucaud. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Christian Manable. Monsieur le président, mais tous les orateurs qui m’ont précédé ont dépassé le temps de parole qui leur était imparti ! (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)

M. Éric Doligé. Ce n’est pas une raison !

M. Christian Manable. Pour conclure, permettez-moi de citer quelques extraits de la lettre adressée par Marius Touron au ministre, le 16 septembre 1910 : « Mossieu l’ministre, cha s’roit i jamoés vrai, môssieu l’ministre ? I péroit qué d’vant qui fuche longtemps chés poysans comme nous n’éront plus l’droit d’pérleu ein patois. […] Les viux mots d’no patois, os z’avons chuché aveuc l’lait d’no mère, est einé deins no sang, a n’peut mi s’ertireu comme o. »

M. Hugues Portelli. C’est fini !

M. Christian Manable. Si je traduis, cela signifie : « Monsieur le ministre, cela serait-il vrai ? Il paraîtrait que les gens comme nous qui furent longtemps des paysans n’auraient plus le droit de parler en patois. Les vieux mots de notre patois, avec lesquels nous avons bu le lait de notre mère, sont entrés dans notre sang,…

M. Hugues Portelli. Le règlement !

M. Christian Manable. … cela ne peut disparaître comme ça. » Merci de votre attention et de votre grande patience ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, la révision constitutionnelle de 2008 a permis d’introduire par la Constitution un article 75–1 qui dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».

De nombreuses initiatives parlementaires, plusieurs propositions de loi, des questions orales ou écrites posées sur le sujet témoignent de l’intérêt manifesté par l’ensemble du Sénat pour les questions de langues et cultures régionales.

Je suis pourtant convaincue, après avoir conduit de nombreuses auditions dans le cadre de la rédaction d’un rapport fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication en 2011, que le temps des « guerres linguistiques » est révolu. Certes, il faut conserver un statut prééminent au français, qui est notre langue nationale commune, la langue de la vie publique et de la République, un des piliers de l’unification de notre pays, mais les langues régionales n’en constituent pas moins une des richesses culturelles qui honorent notre pays. Elles ne sont pas une menace pour le français, qui doit plutôt lutter sur le plan international pour conserver sa place.

L’appellation de « langues régionales », si elle constitue un terme générique commode d’emploi, a l’inconvénient de masquer la grande diversité des situations locales. Il y a peu en commun entre les situations des langues comme le basque, le breton, l’occitan et ses variétés, l’alsacien, le catalan, le corse, le flamand occidental – et je ne saurais oublier le picard ! –, les créoles, le tahitien, les langues kanakes et amérindiennes. Elles diffèrent par le nombre de locuteurs, dont l’estimation est d’ailleurs difficile, d’autant qu’il faudrait distinguer entre la compréhension passive et l’expression active, la maîtrise de l’oral et de l’écrit. Beaucoup d’entre elles, en outre-mer, connaissent encore une transmission naturelle dans les familles. En revanche, celle-ci s’est complètement étiolée en métropole où les langues régionales survivent grâce à l’école, contrairement à un préjugé répandu.

Je voudrais apporter un éclairage issu des travaux et des auditions que j’ai pu mener. Nous ne pouvons que nous féliciter du sérieux avec lequel l’éducation nationale aborde l’enseignement des langues régionales. L’article L. 121–1 du code de l’éducation prévoit que la formation dispensée au sein des écoles, des collèges, des lycées et des établissements d’enseignement supérieur « peut comprendre un enseignement, à tous les niveaux, de langues et cultures régionales ». Par ailleurs, le service public de l’enseignement supérieur, en application de l’article L. 123–6 du code de l’éducation, « veille à la promotion et à l’enrichissement de la langue française et des langues et cultures régionales ».

Dans sa rédaction issue de la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, l’article L. 312–10 du code de l’éducation prévoit que « Les langues et cultures régionales appartenant au patrimoine de la France, leur enseignement est favorisé prioritairement dans les régions où elles sont en usage. Cet enseignement peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l’État et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage. »

Par ailleurs, l’enseignement de la langue régionale peut permettre de déroger aux règles normales d’affectation des élèves dans l’enseignement primaire. Il ressort des dispositions de l’article L. 212–8 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue de la loi « NOTRe », que « le maire de la commune de résidence dont les écoles ne dispensent pas un enseignement de langue régionale ne peut s’opposer, y compris lorsque la capacité d’accueil de ces écoles permet de scolariser les enfants concernés, à la scolarisation d’enfants dans une école d’une autre commune proposant un enseignement de langue régionale et disposant de places disponibles. » (M. Ronan Dantec s’exclame.)

Il faut également souligner la situation spécifique des langues régionales dans les outre-mer. L’article L. 321–4 du code de l’éducation, dans sa rédaction issue de la loi de refondation de l’école, prévoit que « dans les académies d’outre-mer, des approches pédagogiques spécifiques sont prévues dans l’enseignement de l’expression orale ou écrite et de la lecture au profit des élèves issus de milieux principalement créolophone ou amérindien. » Compte tenu du caractère vernaculaire de ces langues, le « schéma d’accompagnement à la valorisation de l’enseignement des langues d’origine dans les outre-mer », élaboré en 2012, encourage les enseignants à s’appuyer sur la langue d’origine des élèves pour favoriser l’apprentissage du français.

Mes chers collègues, si les engagements auxquels la France a souscrit sont en grande partie réalisés, une éventuelle ratification de la Charte européenne des langues régionales n’irait pas sans poser certaines difficultés. Au-delà du coût de ces mesures, les dispositions de la Charte pourraient empêcher, par exemple, la réduction du nombre d’options dans l’enseignement secondaire, prônée de longue date par la Cour des comptes et qui est envisagée comme un des leviers d’une réorientation des crédits vers l’enseignement primaire.

Je dirai également quelques mots sur la promotion des langues et cultures régionales dans les médias, déjà largement prévue par la loi relative à la liberté de communication, qui trouve de nombreuses applications. J’appelle votre attention sur des pistes d’amélioration possibles : il faudrait par exemple élargir les compétences du Conseil supérieur de l’audiovisuel ; Radio France pourrait favoriser l’expression régionale sur ses antennes décentralisées sur l’ensemble du territoire ; il paraît important de favoriser davantage la diffusion audiovisuelle des langues régionales dans les médias et la création cinématographique ; un travail pourrait être mené par l’Institut national de l’audiovisuel, l’INA, pour la conservation et la diffusion d’archives en langue régionale.

Enfin, dernier volet de mon intervention, je voudrais évoquer la signalétique des noms des communes ou autres lieux publics. Là encore, le texte de l’article unique de la proposition de loi adoptée par le Sénat en février 2011, dont j’avais été le rapporteur et que M. Courteau a évoqué voilà quelques instants, n’a pas été inscrit depuis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il pourrait être repris, car cette pratique mérite d’être consolidée. Il est intéressant de relever que la Charte européenne des langues régionales, dans l’une de ses dispositions, préconise l’adoption des formes traditionnelles et correctes de la toponymie, conjointement à la dénomination dans la langue nationale. Cette disposition figure d’ailleurs parmi les 39 mesures retenues par la France dans la Charte, et qui ont été jugées constitutionnelles, contrairement au préambule qui en interdit la ratification.

Je tiens à rappeler, pour conclure, que la politique française est exemplaire concernant l’enseignement des langues régionales. J’estime que la difficulté majeure reste le manque chronique d’enseignants spécialisés, et non la ratification de la Charte européenne. Notre groupe, lors du quinquennat précédent, a donné des preuves de son profond attachement à la défense des langues régionales et nous allons poursuivre notre action par le dépôt d’une proposition de loi. Nul besoin, par conséquent, d’une ratification de la Charte européenne, alors que celle-ci soulève les sérieuses difficultés d’ordre juridique et constitutionnel qui viennent d’être exposées.

Je voterai la motion tendant à opposer la question préalable au présent texte et j’espère que les partisans de son adoption, prompts à défendre les langues régionales à la veille d’élections concernant les régions, mettront prochainement la même ferveur à voter nos propositions, qui constituent selon moi un moyen plus sûr pour préserver nos traditions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Sylvie Goy-Chavent et Catherine Morin-Desailly applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.

M. Georges Labazée. Monsieur le président, madame la ministre, vous vous en souvenez, un collègue de mon département s’était mis à chanter dans sa langue natale à la tribune de l’Assemblée nationale. Vous connaissez son nom,…

M. André Reichardt. Un marcheur !

M. Georges Labazée. … sinon vous pourrez le retrouver dans les archives. Je ne vais pas chanter en béarnais ou en occitan, mais je voudrais commencer mon propos en disant : « Mosssu lo president, dauna Taubira, daunas et mestes »… Vous avez compris ?

M. Henri de Raincourt. Évidemment ! (Rires.)

M. Georges Labazée. Intervenir après deux heures et demie de débats autour des langues et cultures régionales à propos de ce projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires m’amènerait à rappeler ce qui a déjà été dit à de nombreuses reprises dans l’après-midi. Je pourrais, par exemple, mentionner les dates, de l’adoption de la Charte en 1992 en passant par la décision du gouvernement Jospin de la signer en 1999. Depuis, seize années ont passé et rien n’a été fait. Je vais donc oser une métaphore : cette charte serait-elle un caillou dans la chaussure de la France ?

D’ailleurs, les pays nouvellement admis dans l’Union européenne se voient contraints de la signer et, de surcroît, de la ratifier. La majorité des grandes nations européennes – le Royaume Uni, l’Allemagne, l’Espagne et bien d’autres – l’ont ratifiée.

La Charte, quoi qu’en disent les souverainistes de tout poil, ne menace en rien l’unité de la nation, donc de la République. Elle ne crée pas un droit spécifique pour les groupes ou communautés, distincts de la communauté nationale.

Cela a été dit, la République peut être une politiquement et diverse linguistiquement et, par conséquent, culturellement. Si elle veut vivre encore et toujours, elle se doit de ne pas être oublieuse de ce qui l’a constituée et la constitue aujourd’hui encore : les langues régionales sont consubstantielles à la République et doivent donc être considérées comme telles.

La plupart de ces langues, cela a été répété, et tout particulièrement l’occitan, sont menacées d’extinction dans les vingt ans à venir. Ce ne sont pas les militants enfiévrés qui le disent, c’est l’UNESCO !

Que veut-on au juste ? Les voir mourir lentement, mais sûrement,…

M. Ronan Dantec. Absolument !

M. Georges Labazée. … et donner ainsi à notre République l’image d’un système politique incapable d’accepter la diversité linguistique qui lui a été octroyée par l’histoire ? L’occitan a plus de mille ans d’existence, et le basque encore plus.

Ou veut-on qu’elle s’offre enfin la possibilité de se grandir et d’exister au-delà de toutes les crispations « nationalistes », ce terme a été utilisé au cours de l’après-midi ?

Car, à exclure ces langues de la maison France, la République s’ampute d’une partie de son histoire, de son identité, de son dynamisme.

Avec mes parents, durant toute leur vie, je n’ai parlé qu’en béarnais, une déclinaison de l’occitan. Pourtant, cela ne m’a pas empêché d’exercer mon métier d’enseignant au service de l’éducation nationale, ni d’épouser une carrière politique et de m’exprimer en français devant vous.

Ces langues ont non seulement des primo-locuteurs, des nouveaux locuteurs, que l’enseignement certes chaotique fait naître – je pense ici à toutes les écoles immersives –, mais elles possèdent aussi des écrivains, des poètes, des artistes, créateurs de renommée internationale – je ne citerai que Bernard Manciet. Elles sont, par essence, universelles.

Mossu lo president de la comissio de las leys, qu’abeth compres