Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Mes chers collègues, puisque nous arrivons au terme de ce débat, je vous rappellerai les propos que j’ai tenus lors de la discussion générale : j’ai dit que nous abordions les débats sur ce projet de loi dans un esprit d’ouverture, tout en insistant sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un texte révolutionnaire… Même si on finit par se méfier des apprentis révolutionnaires ! (M. Michel Mercier rit.) Ce n’est d’ailleurs pas facile de faire une révolution qui serve à quelque chose !

J’avais également souhaité qu’un certain nombre de dispositions, notamment celles qui sont relatives à la cohérence du dispositif en matière de déclaration d’intérêts, puissent être améliorées. Tel n’a pas été le cas, même si un petit progrès a été enregistré. Je persiste à dire qu’il est dommage de rester au milieu du gué dans de telles circonstances.

Je crois que ce texte apportera un certain nombre de modifications positives, en particulier sur le déroulement de la carrière des magistrats. Il favorisera un peu plus la fluidité de ces carrières et garantira peut-être davantage l’indépendance des magistrats, bien que ce sujet me semble relever davantage d’une question de caractère que d’une question de circonstances et d’environnement juridique.

Nous voterons donc en faveur de ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Le groupe UDI-UC apportera son concours à la réussite de ce projet de loi organique.

Nous voyons avec satisfaction que les travaux menés au Sénat ont été de qualité. Nous le devons très largement à M. le rapporteur qui a très bien mené les débats.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est vrai !

M. Michel Mercier. À cet égard, je tiens à souligner le travail que celui-ci a accompli, s’agissant du juge des libertés et de la détention. La proposition qu’il a formulée, suivi en cela par notre assemblée, constitue quelque chose de primordial : elle permet d’éviter que des personnes qui n’ont pas envie d’être JLD ou qui ne sont pas encore en capacité de le devenir ne soient nommées à une fonction qui est très particulière et très importante. Le Sénat a su traiter cette affaire de la bonne manière.

Madame la garde des sceaux, je n’ai qu’un regret : vous n’avez pas été d’une grande clarté – c’était plutôt une forme de clair-obscur ! – quant à la future réforme du parquet qui doit permettre de sauver le parquet « à la française ».

J’espère que vous saurez prendre des risques et que vous encouragerez le Président de la République à en prendre aussi. Je vous rappelle que la dernière révision constitutionnelle de 2008 n’a été votée que par une seule voix de majorité ! Il existe sûrement des Jack Lang partout ! (Sourires. – M. Jean-Pierre Sueur s’exclame.) Il n’y a aucune raison pour que la future réforme échoue.

Aujourd’hui, nous avons réalisé un premier pas vers l’organisation. Pour engager le second pas et conforter le parquet à la française, nous voterons ce texte.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je tiens à remercier toutes les sénatrices et tous les sénateurs, et en premier lieu bien entendu M. le président de la commission des lois ainsi que M. le rapporteur pour le travail de très grande qualité qui a été fourni. Ce travail préparatoire nous a, en effet, permis de débattre sur le fondement d’un texte de très grande qualité qui a, par la suite, été encore amendé en séance plénière.

Le projet de loi organique comporte désormais l’ensemble des modifications qu’il était pertinent d’apporter au statut de la magistrature, c’est-à-dire à l’ordonnance du 22 décembre 1958, qui – je le précise – n’est pas modifiée si fréquemment que cela.

Après avoir fait part de cette satisfaction évidente, enthousiaste et fructueuse – car nous avons tout de même encore du travail devant nous ! –, je me félicite de ce que nous soyons dans d’excellentes dispositions d’esprit pour entamer la discussion sur le projet de loi ordinaire.

Cependant, ne serait-ce que par correction à votre égard, monsieur Mercier, je ne peux m’empêcher de répondre à votre interpellation. L’interprétation que vous venez de donner ne manque pas de fantaisie, de poésie et de libre considération (Sourires.) : en effet, nous avons déjà eu des échanges extrêmement fournis sur ce point.

Moi-même, ayant le sentiment de prolonger inutilement les débats, j’ai eu quelques remords à revenir – pour les expliquer – sur les dispositions du projet de loi constitutionnelle, à rappeler l’écrêtement que vous aviez accompli en réécrivant ce projet de loi et à indiquer ce qui me paraissait pouvoir constituer une réforme ample et ambitieuse.

Je n’ai pas non plus osé dire que, compte tenu des propos de M. le président de la commission des lois, de ceux de M. le rapporteur et des vôtres, monsieur Mercier, il me semblait distinguer un élan majoritaire dans cette assemblée, permettant d’espérer un vote en faveur du texte tel qu’il a été adopté par le Sénat en juillet 2013, voire, pourquoi pas, d’atteindre l’inaccessible étoile de la majorité des trois cinquièmes nécessaire pour son adoption au Congrès.

M. Jean-Pierre Sueur. Mais elle est accessible !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Après avoir rappelé les engagements du Président de la République, j’ai indiqué que le Gouvernement avait déposé le texte sur le bureau de l’Assemblée nationale. Je ne vois pas de quelle clarté supplémentaire vous auriez besoin, monsieur le sénateur, sauf à me demander, avec une brutalité…

M. Michel Mercier. Je ne suis jamais brutal ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … qui ne correspond ni à votre tempérament, ni à votre philosophie, ni encore à votre comportement,…

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Et qui, de toute façon, ne serait pas sénatoriale !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … d’oublier la séparation des pouvoirs, de faire violence au Parlement et de considérer que l’exécutif décide seul du moment où il veut inscrire ce texte à l’ordre du jour. C’est une brutalité à laquelle je ne veux pas céder, ayant moi-même été membre du Parlement.

Par conséquent, j’attends avec sérénité que l’Assemblée nationale nous communique une date pour que l’on entame l’examen de ce texte. Indépendamment de considérations personnelles ou d’appréciations subjectives, j’éprouve une grande impatience à cet égard, dont j’ai déjà rappelé les motifs : nous devons renforcer l’appartenance du parquet à la française au sein de l’autorité judiciaire et, ainsi, imposer – d’une certaine façon – notre conception de la magistrature à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la garde des sceaux, je me permets de vous rappeler, sans violence ni brutalité, que l’ordre du jour prioritaire de l’Assemblée nationale – comme, d’ailleurs, celui du Sénat – dépend entièrement d’une décision gouvernementale. Nous attendons une telle décision pour que la révision constitutionnelle puisse enfin aboutir.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble du projet de loi organique dont l’intitulé est désormais ainsi rédigé : « Projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature ».

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il s’agit d’un très bon intitulé !

Mme la présidente. En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 36 :

Nombre de votants 332
Nombre de suffrages exprimés 311
Pour l’adoption 310
Contre 1

Le Sénat a adopté.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature
 

4

 
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle
Article 1er

Justice du XXIe siècle

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle (projet n° 661 [2014-2015], texte de la commission n° 122, rapport n° 121).

Nous en sommes parvenus à l’examen du texte de la commission.

projet de loi relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire

TITRE Ier

RAPPROCHER LA JUSTICE DU CITOYEN

Chapitre Ier

Renforcer la politique d’accès au droit

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle
Articles additionnels après l’article 1er

Article 1er

I. – Le livre Ier du code de l’organisation judiciaire est ainsi modifié :

1° L’article L. 111-2 est ainsi rédigé :

« Art. L. 111–2. - Le service de la justice concourt à l’accès au droit et assure un égal accès à la justice.

« Sa gratuité est assurée selon les modalités fixées par la loi et le règlement. » ;

(Supprimé)

II. – La loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique est ainsi modifiée :

1° L’article 54 est ainsi modifié :

a) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il participe à la mise en œuvre d’une politique locale de résolution amiable des différends. » ;

b) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il peut développer des actions communes avec d’autres conseils départementaux de l’accès au droit. » ;

2° L’article 55 est ainsi modifié :

a) Il est rétabli un 8° ainsi rédigé :

« 8° À Paris, de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation ; »

b) Le 9° est ainsi rédigé :

« 9° D’une association œuvrant dans le domaine de l’accès au droit, de l’aide aux victimes ou de la médiation, désignée conjointement par le président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département et le procureur de la République près ce tribunal ainsi que par les membres mentionnés aux 2° à 8°, sur la proposition du représentant de l’État dans le département. » ;

b bis) (nouveau) Le 10° est abrogé ;

c) Les treizième et avant-dernier alinéas sont ainsi rédigés :

« Le conseil départemental de l’accès au droit est présidé par le président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département qui a voix prépondérante en cas de partage égal des voix. Le procureur de la République près ce tribunal en assure la vice-présidence.

« Un magistrat du siège ou du parquet de la cour d’appel en charge de la politique associative, de l’accès au droit et de l’aide aux victimes, désigné conjointement par le premier président de la cour d’appel dans laquelle siège le conseil départemental de l’accès au droit et le procureur général près cette cour, exerce la fonction de commissaire du Gouvernement. » ;

d) À la fin du dernier alinéa, la référence : « 10° » est remplacée par la référence : « 9° » ;

3° L’article 69-7 est ainsi modifié :

a) Le 8° est ainsi rédigé :

« 8° Une association œuvrant dans le domaine de l’accès au droit, de l’aide aux victimes ou de la médiation, désignée conjointement par le président du tribunal de première instance et le procureur de la République près ce tribunal et les membres mentionnés aux 3° à 7°, sur la proposition du haut-commissaire. » ;

b) Les onzième et avant-dernier alinéas sont ainsi rédigés :

« Le conseil de l’accès au droit est présidé par le président du tribunal de première instance qui a voix prépondérante en cas de partage égal des voix. Le procureur de la République près ce tribunal en assure la vice-présidence.

« Un magistrat du siège ou du parquet de la cour d’appel en charge de la politique associative, de l’accès au droit et de l’aide aux victimes, désigné conjointement par le premier président de la cour d’appel dans laquelle siège le conseil départemental de l’accès au droit et le procureur général près cette cour, exerce la fonction de commissaire du Gouvernement. »

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 139 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

L'amendement n° 190 est présenté par MM. Sueur, Bigot, Richard, Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

I. – Alinéa 3

Après le mot :

service

insérer le mot :

public

II. – Alinéa 5

Rétablir le 2° dans la rédaction suivante :

2° À l’article L. 111-4, au premier alinéa de l’article L. 141-1 et à l’intitulé du titre IV du livre Ier, les mots : « service de la justice » sont remplacés par les mots : « service public de la justice ».

La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 139.

Mme Cécile Cukierman. La notion de service public de la justice est une notion très usuelle en droit. Elle est utilisée dans la jurisprudence, tant par le juge administratif que par le juge judiciaire, et la doctrine n’est pas en reste.

Aussi, nous ne comprenons pas la suppression de cette référence par la commission.

La justice est un service public, certes différent des autres, mais service public néanmoins ! Dans une décision du 27 janvier 1994, le Conseil constitutionnel voit ainsi, dans le Conseil supérieur de la magistrature, « une institution nécessaire au fonctionnement du service public de la justice ».

Nous estimons même que cette notion de service public protège et légitime l’activité de la justice. En ce sens, l’autorité judiciaire s’appuie sur le service public de la justice, lequel doit concourir, comme tout autre service public, à l’égal accès au droit et à la justice.

Il y a bien un service public de la justice, mes chers collègues, soumis au principe d’égalité, de continuité, d’adaptabilité et de neutralité. Sans revenir sur le droit de grève, que nous avons évoqué hier, je rappellerai que l’un de nos amendements sur le sujet a précisément été rejeté au nom de ce principe.

Il ne s’agit pas pour nous de rechercher une rationalisation de l’activité de l’État, ni d’appliquer des logiques managériales à l’activité judicaire, ni de faire du justiciable un usager.

Il ne s’agit pas non plus de remettre en cause la séparation des pouvoirs. Le Conseil d’État n’ayant à connaître principalement que des dysfonctionnements dans l’organisation administrative du service public de la justice ayant causé un préjudice, c’est alors la responsabilité de l’État qui est recherchée. Le Conseil d’État n’est jamais compétent sur la fonction de juger en elle-même. Nous savons bien, mes chers collègues, qu’il n’est pas question de cela.

Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC ont toujours défendu le service public à la française, qui légitime l’action de l’État, protège certaines activités des logiques marchandes et renforce certains droits, comme le droit syndical.

Enfin, nous ne pensons pas que la notion de service public soit contraire au principe d’indépendance. Loin de là !

Aussi, malgré ses particularités, le service de la justice remplit bien tous les critères du service public, en ce qu’il répond au besoin essentiel de justice que l’État assure et assume directement, en vertu d’un pouvoir régalien toujours exercé en son nom et de façon indivisible. En outre, pour reprendre les termes d’une ancienne garde des sceaux, « la justice est un service public parce que l’idée même de service public est liée à l’idée de justice ».

Voilà pourquoi, mes chers collègues, nous vous proposons d’adopter cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 190.

M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes tous attachés au service public et, franchement, monsieur le rapporteur, j’ai trouvé quelque peu dommageable que vous vous donniez le mal d’écrire un amendement tendant à supprimer la notion de « service public ».

Mme Cécile Cukierman a très bien plaidé. Certes, il existe une séparation des pouvoirs entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Cependant, le pouvoir exécutif est un service public. Nos ministères accomplissent une tâche de service public, nul n’en disconvient. Le législateur fait également œuvre de service public en assumant son office, qui consiste à voter les lois et contrôler le gouvernement. Alors, pourquoi le pouvoir judiciaire ne serait-il pas un service public ?

La justice est un droit rendu par des personnels, des magistrats, qui, naturellement, relèvent d’une mission de service public, d’ailleurs tout à fait éminente, nous le savons tous.

Peut-être m’objectera-t-on que dans le code de l’organisation judiciaire, la notion de « service public de la justice » ne figure qu’une seule fois. Mais Mme la garde des sceaux l’a parfaitement bien vu, exprimant le regret que cette notion ne figurât qu’une seule fois et proposant derechef de marquer, à l’orée de ce texte sur la justice du XXIe siècle, que nous nous inscrivions dans une perspective de service public.

Je crois vraiment, monsieur le rapporteur, que cette suppression n’était pas nécessaire et, connaissant votre attachement au service public, j’ai été étonné que vous formuliez une telle proposition et que la commission, sans doute par fidélité et respect, décide de vous suivre.

Mes chers collègues, respectons le service public !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Les amendements qui viennent d’être présentés ont pour objet de rétablir dans la loi la notion de « service public de la justice », notion supprimée par la commission lors de l’établissement de son texte.

J’ai bien entendu que cette suppression surprenait. Mais elle est le fruit, je dois le souligner, d’échanges avec des responsables de très haut niveau de la magistrature. Ces échanges m’ont conduit à penser que la qualification de service public, au sens du droit administratif, pouvait mettre à mal la spécificité de l’autorité judiciaire, qui est dotée d’une indépendance constitutionnelle, à la différence des autres services publics de l’État.

C’est donc en ce sens, avec la crainte que la qualification de service public n’emporte des conséquences difficiles à mesurer sur la répartition entre juges judiciaires et juges administratifs, que j’ai proposé cette modification.

Pour cette raison, j’émets un avis défavorable sur les amendements nos 139 et 190.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement est favorable à ces amendements, dont l’adoption nous permettrait de revenir au texte initial du projet de loi.

Mais peut-être faut-il prendre le temps d’aborder ce sujet, qui a une dimension conceptuelle absolument indiscutable.

L’autorité judiciaire est une autorité constitutionnelle. Elle ne risque rien, dès lors qu’elle est inscrite dans la Constitution.

Il demeure qu’il s’agit bien d’un service public, au sens même de la notion conçue et définie par Léon Duguit, a fortiori dans ce projet de loi visant à faciliter et améliorer l’accessibilité de la justice pour les citoyens.

De quoi s’agit-il précisément ? Il s’agit de distinguer l’organisation et le fonctionnement de la justice.

L’autorité judiciaire demeure une autorité constitutionnelle et personne ne songe à modifier une virgule des articles 64 et 65 de la Constitution.

L’indépendance des magistrats du siège est consacrée dans le mode de nomination de ces magistrats, dans la procédure disciplinaire, dans la totale liberté d’action en juridiction – elle n’est donc pas en cause. Par ailleurs, nous renforçons l’indépendance des magistrats du parquet, tout en assumant notre responsabilité en matière de politique pénale, cette politique devant être mise en œuvre sous l’autorité des procureurs généraux, donc des parquets de cour d’appel dans les juridictions de leur ressort.

Mais l’institution judiciaire, elle-même, remplit toute une série de missions et l’indépendance des magistrats, que, à nouveau, nous organisons et renforçons, que nous respectons dans sa dimension juridictionnelle, n’est absolument pas mise en péril par le souci du bon fonctionnement de l’institution judiciaire, d’un accès au droit facilité et d’un égal accès à la justice.

Vous avez raison de mentionner l’existence d’un débat, monsieur le rapporteur. Je tiens d’ailleurs à saluer la qualité du travail que vous avez fourni, la grande écoute dont vous avez fait preuve et, surtout, la constance avec laquelle vous travaillez ces sujets.

Ce débat, qui n’est ni vital ni intense, porte effectivement sur le risque de voir l’autorité judiciaire banalisée parce qu’elle serait également appelée « service public de la justice ». Ce risque n’existe pas !

D’ailleurs, je ne vois pas en quoi être un service public serait dévalorisant. Quoi de plus beau, mesdames, messieurs les sénateurs, que de pouvoir assurer, dans une démocratie, une puissance d’État vis-à-vis des citoyens ?

Donc, non seulement le recours à l’expression « service public de la justice » n’a rien de pénalisant, mais, en plus, le concept est totalement consacré.

Il est consacré par le Conseil d’État, qui distingue les questions d’organisation, relevant de la juridiction administrative en cas de litiges à traiter, des questions de fonctionnement. Parce que, justement, l’autorité judiciaire a toute son indépendance, ces questions relèvent d’elle et n’ont pas à être traitées par le juge administratif.

Le concept est également consacré par le Conseil constitutionnel, et le code de l’organisation judiciaire, qui établit très clairement la nécessité de respecter la continuité du service public de la justice.

Je rappelle que nous débattons d’un texte de loi qui, dans sa structure, dans sa charpente même, s’attache à rendre l’institution judiciaire plus proche des citoyens : un rapprochement physique, comme je l’ai indiqué hier, géographique, mais aussi fonctionnel, par l’introduction de la dématérialisation, donc des avantages du numérique.

Alors que nous avons le souci de permettre à la justice de répondre aux attentes de la société, que nous lui donnons à la fois des fonctions, des missions et les moyens pour remplir ce rôle, donc pour s’adapter à l’évolution du droit et des demandes de justice, je ne crois pas que ce soit le moment de dénier à cette justice le caractère de service public.

Je le répète, le service public de la justice est consacré par nos plus hautes autorités judiciaires, à savoir le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel.

C’est pour toutes ces raisons – pardonnez-moi si j’ai été un peu longue – que le Gouvernement souhaite vraiment revenir à la rédaction initiale du projet de loi. Par conséquent, il soutient très fortement, en les remerciant de leur démarche, les auteurs de ces deux amendements.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Je voterai ces deux amendements, comme je soutiendrai la rédaction initiale du texte.

Monsieur le rapporteur, si j’ai bien compris, en proposant d’apporter cette modification – elle peut paraître a priori insignifiante, mais, en réalité, elle ne l’est pas – au texte du Gouvernement, vous vous rangez à l’avis de l’Union syndicale des magistrats, qui vous a fait part de son opposition à cette notion de « service public de la justice », et des représentants de la conférence nationale des procureurs généraux, contre celui du Syndicat de la magistrature, qui s’y est montré favorable.

Les magistrats rendent la justice au nom du peuple français et celui-ci est attaché au service public, au service public de l’éducation nationale comme à tous les autres. Partant, en retenant cette dénomination particulière pour la justice, il ne faudrait pas donner à penser, même si l’autorité et l’indépendance de celle-ci sont respectées, que Pierre Dac avait raison quand il disait que les magistrats ne rendent pas la justice, ils la gardent pour eux.

Je crois au peuple français, je crois au service public, et c’est pourquoi j’estime qu’il faut maintenir cette référence au service public de la justice.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 139 et 190.

(Les amendements sont adoptés.)

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

Mme la présidente. L'amendement n° 27 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Castelli, Collin et Fortassin, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Requier, Vall, Barbier, Bertrand et Guérini, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 6

Insérer deux alinéas ainsi rédigés :

...° L’article 19 est ainsi rédigé :

« Art. 19. – L’avocat commis ou désigné d’office dans les cas prévus par la loi recueille, lors d’une première consultation, tous renseignements sur la situation financière de son client, afin de l’assister dans la procédure d’admission à l’aide juridictionnelle. L’avocat peut saisir le bureau d’aide juridictionnelle compétent au lieu et place de la personne qu’il assiste ou qu’il a assistée. » ;

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Par cet amendement, nous proposons de modifier l’article 19 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique – le moment s’y prête –, demande récurrente des avocats depuis de nombreuses années.

La consultation d’un avocat préalablement à toute action juridique ou judiciaire par une personne bénéficiant de l’aide juridictionnelle sous condition de ressources doit donner lieu à rémunération.

Cela me permet, madame la garde des sceaux, de revenir sur la question de l’aide juridique.

Je vous l’ai dit, notre groupe votera ce texte, car nous estimons que, globalement, il contient un certain nombre d’avancées. Toutefois, si, en matière d’accès au droit, la justice du XXIe siècle se résume aux articles 1er et 2 de ce projet de loi, alors je dis : Pauvre justice du XXIe siècle ! Vous le savez bien, ils ne suffiront pas à résoudre les véritables problèmes.

Il y avait besoin – et il y a toujours besoin – d’un texte fondateur sur l’accès au droit. Quels sont ceux, dans notre pays, qui ont le plus de mal à accéder au droit, surtout quand ils n’y connaissent strictement rien et qu’ils ne disposent pas de ressources ? Ce sont les plus démunis, les plus fragiles. Cela se vérifie quel que soit le gouvernement en place. Je persiste à dire que, en matière pénale, ces gens ne sont pas défendus ou le sont dans des conditions qui ne font pas honneur à nos traditions.

Malheureusement, ce texte ne règle rien à cet égard. Madame la garde des sceaux, ce n’est pas le renforcement du conseil départemental de l’accès au droit qui changera, sur le terrain, la situation de nos concitoyens en difficulté.

La défense pénale n’est plus assurée dans notre pays comme elle devrait l’être.