Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. Comme vient de le rappeler notre collègue Requier, cet amendement reprend le texte d’une proposition de loi adoptée par le Sénat le 7 décembre 2011 et de nouveau transmise à l’Assemblée nationale, à la suite de son renouvellement de 2012, pour ne pas être frappée de caducité.

Cette proposition de loi n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il s’agit d’un sujet que connaît bien notre collègue François Pillet, coprésident de la mission commune d’information de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies et inspirateur de cette proposition. Toutefois, en la personne de notre collègue Michel Mercier, alors garde des sceaux, le Gouvernement s’était déclaré défavorable à cette préconisation, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, une telle disposition entrerait en contradiction avec le discours de fermeté tenu en matière de lutte contre la toxicomanie, le déclassement en contravention pouvant apparaître comme le prélude à d’autres déclassements. En effet, si la peine maximale encourue pour une contravention de troisième classe est de 450 euros, l’amende peut se limiter en fait au montant forfaitaire de 68 euros si elle est acquittée dans les quarante-cinq jours… Voilà qui peut laisser supposer un amoindrissement du dispositif de sanctions.

Ensuite, une telle évolution ne permet d’opérer aucune distinction entre les drogues et conduit à occulter la dimension sanitaire du dispositif législatif actuel. La peine de contravention paraît inappropriée pour des produits tels que l’héroïne, la cocaïne ou la drogue de synthèse, y compris en cas de premier usage.

De plus, la contraventionnalisation n’apporte aucune possibilité nouvelle par rapport à l’ordonnance pénale, outil ouvrant un éventail de sanctions plus large et mieux différencié et permettant un traitement rapide, simple et souple de la plupart des cas, tout en préservant l’intégrité de l’arsenal délictuel.

Enfin, en créant une telle contravention, le législateur rendrait impossible le placement en garde à vue pour simple usage de stupéfiants. La durée de rétention ne pourrait guère dépasser les quatre heures admises pour les vérifications d’identité. Or, avant de consommer de la drogue, le délinquant en fait l’acquisition ; il importe donc non seulement de sanctionner les consommateurs, mais aussi de rechercher les trafiquants. Tel est le rôle de la garde à vue : si ce n’est plus possible demain, les forces de police se trouveront désarmées face aux réseaux de dealers et de trafiquants.

Tous ces arguments – qui m’apparaissent toujours aussi solides – me conduisent à émettre un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai entendu qu’une discussion nourrie s’était tenue ici même, sur ce sujet. Je suppose que c’était la ministre de la santé et des affaires sociales qui représentait le Gouvernement lors de ce débat ? (M. Jean-Claude Requier le confirme.)

Cet amendement présente plusieurs défauts, notamment celui que vient d’énoncer le rapporteur de ne pas opérer de distinction selon les différentes substances.

Par ailleurs – je parle bien de la consommation, non de la participation au trafic, à quelque niveau que ce soit, même s’il est évident que la consommation prend sa part dans cette chaîne –, la rédaction de cet amendement ne permet pas de prononcer des peines telles que la confiscation ou le suivi d’un stage de sensibilisation aux dangers de la consommation, pourtant aujourd’hui possibles.

Des travaux ont été engagés sur la question de l’incrimination. La mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives doit remettre son rapport d’ici à la fin de ce mois. Attendons de prendre connaissance des conclusions et des préconisations de la MILDECA, après un travail de près d’un an.

Pour ces raisons, monsieur le sénateur, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.

Mme la présidente. Monsieur Requier, l'amendement n° 25 rectifié est-il maintenu ?

M. Jean-Claude Requier. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° 25 rectifié est retiré.

Chapitre II

Dispositions relatives au fonctionnement interne des juridictions

Article additionnel après l'article 10
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Article 12

Article 11

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa de l’article 137-1 est ainsi rédigé :

« Lorsque le juge des libertés et de la détention statue à l’issue d’un débat contradictoire, il est assisté d’un greffier. Il peut alors faire application de l’article 93. » ;

2° Au début de l’article 137-1-1, il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Le juge des libertés et de la détention peut être suppléé en cas de vacance d’emploi, d’absence ou d’empêchement par un magistrat exerçant la fonction de président, de premier vice-président ou de vice-président désigné par le président du tribunal de grande instance. En cas d’empêchement du président ainsi que des premiers vice-présidents et des vice-présidents, le juge des libertés et de la détention est suppléé par le magistrat du siège le plus ancien dans le grade le plus élevé, désigné par le président du tribunal de grande instance. » – (Adopté.)

Article 11
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Article 13

Article 12

(Non modifié)

Le code de l’organisation judiciaire est ainsi modifié :

1° Après le 8° de l’article L. 111-6, il est inséré un 9° ainsi rédigé :

« 9° S’il existe un conflit d’intérêts, au sens de l’article 7-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. » ;

2° L’article L. 111-7 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le magistrat du ministère public qui suppose en sa personne un conflit d’intérêts, au sens de l’article 7-1 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, ou estime en conscience devoir s’abstenir se fait remplacer. » – (Adopté.)

Article 12
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Articles additionnels après l'article 13

Article 13

I (Non modifié). – Le III de l’article 2 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Il est procédé à l’inscription sur la liste nationale pour une durée de sept ans. La réinscription, pour la même durée, est soumise à l’examen d’une nouvelle candidature. »

II. – Les experts inscrits sur la liste nationale, en application du III de l’article 2 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires, depuis sept ans au plus au jour de la publication de la présente loi sollicitent leur réinscription au plus tard à l’issue d’un délai de sept ans à compter de leur inscription. Lorsque l’échéance de ce délai intervient moins de six mois après la publication de la même loi, leur inscription est maintenue pour un délai de six mois. L’absence de demande dans les délais impartis entraîne la radiation de l’expert.

Les experts inscrits sur la liste nationale depuis plus de sept ans, à la date de publication de la présente loi, sollicitent leur réinscription dans un délai de six mois à compter de cette date. L’absence de demande dans le délai imparti entraîne la radiation de l’expert. – (Adopté.)

Article 13
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Article 13 bis (nouveau)

Articles additionnels après l'article 13

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements portant article additionnel après l’article 13.

L'amendement n° 34 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Guérini et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :

Après l’article 13

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le quatrième alinéa de l’article 17 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« … De communiquer au Conseil national des barreaux la liste des avocats inscrits au tableau, ainsi que les mises à jour périodiques, selon les modalités fixées par ce dernier ; ».

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Cet amendement vise à préciser que les conseils de l’ordre au Conseil national des barreaux, ou CNB, se voient communiquer la liste des avocats inscrits au tableau, ainsi que les mises à jour périodiques de ces listes.

Mme la présidente. L'amendement n° 33 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Guérini, Castelli, Collin et Fortassin, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :

Après l’article 13

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l’article 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Il détermine, en outre, les modalités et conditions de mise en œuvre de la communication électronique des avocats, notamment avec les juridictions. »

La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Cet amendement tend à donner une base légale aux décisions prises par le Conseil national des barreaux pour déterminer les modalités et conditions de consultation et d’échanges électroniques sur la plateforme « e-barreau ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. L’amendement n° 34 rectifié vise à faire obligation aux conseils des barreaux de l’ordre des avocats d’adresser au Conseil national des barreaux la liste des avocats inscrits à leur tableau. Cette disposition relève-t-elle vraiment de la loi ? N’est-ce pas, tout simplement, une bonne pratique à instituer ?

L’amendement n° 33 rectifié vise à élargir les compétences du Conseil national des barreaux à la détermination des modalités et conditions de mise en œuvre de la communication électronique des avocats.

Le rôle naturel du CNB est de représenter les intérêts de la profession d’avocats et d’organiser leur action. Faut-il vraiment inscrire dans la loi tout ce que le CNB peut faire et tous les dossiers qu’il peut suivre ? Je ne le crois pas.

Pour ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à ces amendements, à condition qu’ils soient sous-amendés. Au demeurant, je veux être sûre que vous avez eu connaissance des deux sous-amendements rédigés par le Gouvernement…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cela ne m’étonne pas !

En fait, nous aurions souhaité encadrer le pouvoir transféré par l’autorité publique au Conseil national des barreaux.

Je suis vraiment désolée que l’on n’ait pas pris soin de vous transmettre ces sous-amendements. Il ne serait ni courtois ni loyal vis-à-vis de la Haute Assemblée de les présenter maintenant. Dans ces conditions, le Gouvernement ne peut que demander le retrait de ces deux amendements.

Je tiens à vous présenter toutes mes excuses. Ces sous-amendements ont été rédigés, mais, manifestement, ils n’ont pas emprunté le circuit idoine.

Mme la présidente. Madame la ministre, vous pouvez, si vous le souhaitez, déposer des sous-amendements en séance.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le problème, madame la présidente, c’est que ces sous-amendements font référence à de nombreux articles de loi. Ils ne tiennent pas en une ou deux phrases. Je ne peux donc demander à des parlementaires de se prononcer sans connaître exactement le contenu des articles concernés.

Je déplore ces méthodes de travail et, une nouvelle fois, je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses.

Mme la présidente. Monsieur Requier, les amendements nos 34 rectifié et 33 rectifié sont-ils maintenus ?

M. Jean-Claude Requier. Je sais que le texte ne va pas revenir au Sénat,…

M. Yves Détraigne, rapporteur. Eh oui, il n’y aura pas de navette !

M. Charles Revet. Ce sont les méthodes de travail que je dénonçais précédemment !

M. Jean-Claude Requier. … mais, dans la mesure où ces amendements ont reçu deux avis défavorables, tout est joué d’avance. Aussi, je les retire, madame la présidente.

Mme la présidente. Les amendements nos 34 rectifié et 33 rectifié sont retirés.

Articles additionnels après l'article 13
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Article 14 (début)

Article 13 bis (nouveau)

Après l’article L. 123-3 du code de l’organisation judiciaire, il est inséré un article L. 123-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 123-4. – Par exception à l’article L. 123-1, les fonctionnaires des greffes du tribunal de grande instance, du conseil des prud’hommes et des tribunaux d’instance situés dans la même ville que le tribunal de grande instance ou dans un périmètre, fixé par décret, autour de la ville siège de ce tribunal, peuvent être affectés, pour nécessité de service, par le président du tribunal de grande instance au greffe d’une autre desdites juridictions. »

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Détraigne, rapporteur. J’aimerais dissiper tout malentendu et mettre fin à certaines incompréhensions créées par l’amendement de la commission tendant à instituer la mutualisation des effectifs de greffe et les propos que j’ai tenus à cet égard dans mon intervention lors de la discussion générale.

Nombreux ont été ceux qui m’ont fait remarquer ou m’ont écrit par mails que je prenais les greffiers pour des pions, voulant les déplacer au gré de l’humeur des présidents de juridiction. Tel n’est évidemment pas le cas ! Les greffiers sont, au contraire, indispensables au bon fonctionnement des juridictions. J’ai proposé la mutualisation des effectifs de greffe pour permettre aux juridictions de mieux adapter la répartition des effectifs aux besoins.

Les règles actuelles en matière de remplacement temporaire ou de mutation sont très contraignantes. Aussi, il convient, me semble-t-il, de donner aux chefs de juridiction plus de souplesse – telle est la ligne retenue dans les différents rapports que j’ai cités au cours de la discussion générale et dont nous nous sommes inspirés pour élaborer le texte de la commission – pour ce qui concerne la gestion. La souplesse n’est pas synonyme d’arbitraire. Ce n’est évidemment pas ce que nous voulons, pas plus qu’il ne s’agit là d’un caprice que j’aurais eu avec ma collègue Virginie Klès, lorsque nous avons élaboré un rapport d’information sur la justice de proximité, mais j’y reviendrai ultérieurement.

La proposition de mutualiser les effectifs de greffe a été effectivement formulée pour la première fois par la mission d’information portant sur la justice de première instance que je viens d’évoquer, dans le cadre d’une réflexion tournée vers le tribunal de première instance. En effet, le tribunal de première instance aurait regroupé en son sein – j’espère que ce sera un jour le cas, madame la garde des sceaux – diverses juridictions, sous une même direction. Il aurait alors opéré la fusion de l’ensemble des juridictions.

À l’époque, j’avais constaté, avec notre ancienne collègue, que le principal intérêt de cette réforme résidait précisément dans la mutualisation des effectifs de greffe. La création du tribunal de première instance, telle que le préconisaient les rapports, était vraiment attendue et espérée par les chefs de juridiction – en témoigne le débat national organisé à la Maison de l’UNESCO –, dans la mesure où elle favorisait la mutualisation des effectifs de greffe. Aussi, nous avions plaidé pour une mise en œuvre rapide de cette réforme, qui était à la fois réaliste et assez facilement réalisable.

La seconde question qui se pose porte sur les conditions dans lesquelles cette mutualisation est proposée.

J’y insiste, il ne s’agit en aucune manière de considérer que les greffiers sont des pions interchangeables, pas plus qu’il n’est question de déshabiller Pierre pour habiller Paul ou Jacques. Cela reviendrait à dévoyer la procédure prévue dans les rapports. À cet égard, j’avais proposé dans le rapport d’information précité une garantie de la localisation géographique, afin que l’affectation réponde aux nécessités du service, en vue, précisément, de soustraire les personnels éventuellement concernés aux risques d’arbitraire du chef de juridiction.

On peut évidemment concevoir d’autres garanties pour prévenir toute dérive et rassurer les personnels judiciaires ; je suis ouvert à cette possibilité.

Quoi qu’il en soit, au moment où nous abordons l’examen de l’article 13 bis, je tenais à faire cette mise au point, car cet article a fait couler beaucoup d’encre au cours de ces dernières quarante-huit heures.

Mme la présidente. L'amendement n° 223, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je tiens à vous remercier, monsieur le rapporteur, des explications très claires que vous venez d’apporter.

Pour aller également dans le sens de la clarté, je veux rappeler que votre proposition, qui figure effectivement dans le rapport d’information que vous avez cosigné avec Virginie Klès, est conçue comme une étape progressive vers la mise en place du tribunal de première instance.

M. Yves Détraigne, rapporteur. Oui !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je l’ai déjà expliqué, nous avions, nous aussi, envisagé la création d’un tribunal de première instance. Cette proposition faisait d’ailleurs partie des préconisations et des suggestions qui ont été examinées, explorées, triturées et appréciées au cours du processus ayant précédé l’élaboration et la rédaction de ce projet de loi.

Lorsque nous avons consulté les juridictions – nous avons reçu 2 000 contributions ! –, une unanimité dans les positionnements transversaux s’est dégagée contre la création du tribunal de première instance. J’ai voulu comprendre pourquoi, et je vous en ai expliqué hier les raisons, dont certaines sont incontestablement psychologiques. En effet, certains craignent la fermeture de juridictions, alors que, depuis trois ans, nous rouvrons, au contraire, des juridictions pour compléter le maillage territorial, en vue d’assurer un accès au droit et à la justice.

Les gens expriment des préoccupations, des inquiétudes, nés de traumatismes psychologiques. Cette crainte est très directement liée à la mise en place de la carte judiciaire de 2008, aux bouleversements qu’ont subis les personnels, les magistrats et, surtout, les greffiers et les fonctionnaires, en raison des déplacements, des déménagements. Toutes ces situations ont entraîné des traumatismes réels. Permettez-moi d’en dire toute la mesure.

La réforme de la carte judiciaire, je m’en souviens, car j’étais alors parlementaire,…

M. Michel Mercier. Nous l’étions tous les deux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … tout comme vous, monsieur Mercier, avait suscité des revendications, des inquiétudes, des souffrances. M’interrogeant sur cet état de fait, j’avais alors découvert que les chefs de cour avaient formulé dans des rapports un certain nombre de suggestions concernant l’organisation judiciaire. Car tout le monde admettait la nécessité d’une réforme de la carte judiciaire. Cette carte n’avait pas été modifiée de façon substantielle depuis 1958.

M. Michel Mercier. Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Certes, entre-temps, des tribunaux de grande instance ont été créés dans les villes nouvelles, notamment, ainsi que des cours d’appel. Mais la carte générale n’avait pas été modifiée, je le répète, de façon considérable.

D’une manière générale, le principe même de la réforme de la carte judiciaire avait été admis en 2008. Mais c’est la façon dont celle-ci a été mise en place qui a posé problème, créant de véritables déserts judiciaires.

À l’époque, j’avais pris connaissance des propositions formulées par les chefs de cour et de toutes les suggestions émises, qui n’avaient pas été prises en compte. De même, j’avais lu les conclusions du rapporteur public du Conseil d’État.

Lors de ma prise de fonctions au ministère de la justice, l’une de mes premières intentions a été de modifier la carte judiciaire, ce qui a suscité un tollé général. Les personnels des juridictions m’ont dit : « Surtout, ne nous proposez pas autre chose ! Ça suffit, on en a assez vu ! » J’ai moi-même été assez surprise par ces réactions. Je venais avec de bonnes intentions, persuadée que j’allais réparer des blessures, des injustices, des erreurs, et j’en passe. Mais on m’a répondu : « Non, ne touchez plus à la carte judiciaire ! » C’est une dimension psychologique que j’ai respectée.

Par la suite, j’ai essayé de faire du « cousu main ». J’ai confié mission à Serge Daël de se rendre dans des territoires particuliers, afin de pallier les déserts judiciaires les plus flagrants, en apportant la réponse la plus adaptée, c'est-à-dire, en cas de nécessité, réimplanter un tribunal de grande instance, créer une chambre détachée, renforcer une maison de justice et du droit.

Moi, je me suis soumise à cette dimension psychologique, parce que l’on ne peut ignorer la souffrance des personnes qui vous confient que leur vie a été bouleversée par un déménagement précipité et qu’elles ne veulent pas tout recommencer une nouvelle fois, même si la situation actuelle ne leur plaît pas. C’est pourquoi je vous demande aujourd'hui, monsieur le rapporteur, de tenir compte de cette dimension.

De toute façon, la création d’un tribunal de première instance ne sera pas un succès. En effet, si les personnels ne s’approprient pas cette réforme, celle-ci ne sera pas correctement mise en œuvre et ne produira pas tous ses effets en termes d’efficacité. Il n’est donc pas raisonnable de vouloir l’imposer.

Veuillez m’excuser, mesdames, messieurs les sénateurs, d’avoir fait cette longue rétrospective, mais je tenais à rappeler que cette proposition de mutualisation des effectifs de greffe s’inscrivait dans un schéma cohérent de mise en place d’un tribunal de première instance. Toutefois, nous ne sommes plus dans ce schéma. Aussi, la mutualisation des effectifs de greffe ne constitue plus une étape du processus, c’est un dispositif à part entière, qui cumulera les inconvénients : un greffier, un fonctionnaire de catégorie C pourra à tout moment être déplacé d’une juridiction à l’autre. Cela ne sera pas sans conséquences.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Une telle disposition ne peut se concevoir sans un minimum de dialogue social et ne peut être appliquée sans amortisseurs en termes d’accompagnement. C'est la raison pour laquelle je vous demande, monsieur le rapporteur, de bien vouloir renoncer à cette disposition, d’autant que, au regard de la rédaction de l’article 13 bis, vous attribuez cette prérogative au président de la juridiction, évacuant les prérogatives reconnues aux chefs de cour ainsi que l’autorité du directeur de greffe.

De plus, vous mettez à mal, sans que ce soit intentionnel, la dyarchie actuelle, c'est-à-dire la participation, l’implication du procureur dans le fonctionnement de la juridiction. Tout cela serait sans effet, je le répète, si cette réforme s’inscrivait dans un processus de création d’un tribunal de première instance. Mais c’est précisément parce que tel n’est plus le cas que ce dispositif concentre tous ces inconvénients.

Cette mesure va à l’encontre des dispositions actuelles du code de l’organisation judiciaire. Elle ne permet pas, par le dialogue social, d’organiser les choses de manière consensuelle. Elle est de nature à multiplier les risques de traumatismes qui découleront des déplacements.

Nous traitons là de la justice du XXIe siècle. Plutôt que de déplacer les personnels, les greffiers et les fonctionnaires, ne convient-il pas mieux d’imaginer le déplacement de la matière ? Ne peut-on pas transférer le traitement d’une partie de l’activité à des fonctionnaires, sans qu’il soit nécessaire de les déplacer physiquement, pour pallier effectivement les fortes inégalités existant en termes de volume d’activité d’une juridiction à l’autre, voire d’une petite juridiction à une autre ?

Lors de la remise de votre rapport d’information, je vous avais reçu à la Chancellerie, monsieur le rapporteur, et nous avions alors tenu une séance de travail d’une heure.

M. Yves Détraigne, rapporteur. C’est vrai !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je sais que vous avez eu à cœur d’aller sur le terrain, d’organiser des auditions, et je sais toute l’attention que vous avez portée à la situation des personnels. C’est pourquoi je vous demande, avec beaucoup d’insistance, je le répète, de bien vouloir renoncer à cette disposition dans la mesure où celle-ci ne constitue plus une étape vers la mise la mise en place du tribunal de première instance.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. Voilà encore une question qui fait regretter le dialogue que nous aurions pu avoir avec nos collègues de l’Assemblée nationale, n’était la procédure accélérée.

Il est vrai que la mutualisation des greffes aurait été plus facile à mettre en œuvre dans le cadre du schéma initial, qui prévoyait la création d’un tribunal de première instance. Il est tout aussi vrai que cette idée suscite nombre d’inquiétudes. En procédure normale, la navette aurait joué son rôle : en collaboration avec nos collègues députés, nous aurions apporté au dispositif les ajustements nécessaires.

Je suis partagé, d’autant que j’ignore quelle décision prendrait l’Assemblée nationale si la commission maintenait sa position. À dire vrai, je voudrais avoir la certitude que l’on n’enterrera pas définitivement l’idée de mutualiser les greffes, qui me paraissait tout à fait intéressante pour le bon fonctionnement des juridictions. Je crains que, si je cède à vos instances, madame la garde des sceaux, ce ne soit pour elle un enterrement de première classe !

J’incline à maintenir la position de la commission, même si j’ai bien entendu votre propos. En effet, je suis curieux de voir ce que feront les députés d’une idée qui émane du Sénat. Viendra ensuite la commission mixte paritaire…

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.

M. Michel Mercier. Madame la garde des sceaux, vous nous dites avoir créé des juridictions. Vous en avez créé en effet, mais je crois bien en avoir créé autant avant que vous ne me succédiez. Avec, toutefois, une différence : je ne l’ai pas fait chez des amis politiques.

M. Michel Mercier. Jugez plutôt : j’ai créé des juridictions à Mayotte et à Cayenne ! Que l’on cesse donc de prétendre qu’après un Gouvernement qui aurait fait n’importe quoi un autre aurait enfin apporté la lumière. Pour ma part, j’essaie toujours d’être le plus constructif possible. Je n’admets donc pas qu’on nous serve en permanence des histoires qui ne sont pas la réalité.

Par ailleurs, l’article 8 que nous venons de voter, dans la mesure où il modifie la répartition des compétences entre le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance, entraîne nécessairement des conséquences pour le greffe. S’il n’a pas de conséquences sur ce plan, c’est qu’on n’a rien modifié du tout.

Il est exact, madame la garde des sceaux, que, dans notre pays, il est très difficile, voire impossible de faire évoluer la carte judiciaire. Je connais comme vous les difficultés auxquelles on se heurte, qui tiennent à la fois à la psychologie et à la crainte des villes qui disposent d’une juridiction de voir leur pouvoir diminué.

Il n’en demeure pas moins impossible qu’une modification du partage des compétences entre le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance n’ait pas de conséquences sur l’organisation des greffes. On peut procéder comme l’on veut : mutualiser ou mettre en place d’autres systèmes ; mais qu’il n’y ait pas de conséquences, cela ne se peut pas.