M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un constat : l’agriculture souffre de difficultés structurelles, non par déficit de compétitivité, mais parce qu’on veut faire d’elle et des produits agricoles des marchandises comme les autres. Malheureusement, les gouvernements successifs ont abdiqué face à la loi implacable du marché, aux grandes centrales d’achat et au vaste mouvement de dérégulation à la fois européen et international. À cet égard, le rapporteur souligne très justement que « la volatilité accrue des marchés liée au démantèlement des outils de régulation de la politique agricole commune nécessite de compter sur ses propres performances pour tirer son épingle du jeu dans la compétition mondiale ».

Au fil des années, les outils de gestion des marchés ont été supprimés. L’Europe n’est plus en mesure de compenser avec justesse la volatilité des prix et des revenus. Le libéralisme effréné engendre ainsi la course sans fin à l’agrandissement, à la compétitivité exacerbée entre États membres, qui ouvre la voie au dumping social, à la main-d’œuvre bon marché et aux prix tirés vers le bas.

L’Europe de l’harmonisation reste à construire, et c’est urgent et indispensable. Dans un contexte de crise et de désarroi, qui s’est largement exprimé il n’y a pas si longtemps, la lecture des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » suscite des interrogations. Les moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux et ne permettent pas de mener une grande politique pouvant assurer une réorientation vers l’agro-écologie, une production de qualité sur tous les territoires et un revenu digne aux agriculteurs, objectifs prioritaires de la politique agricole.

L’agriculture, l’alimentation et la forêt sont des composantes économiques, sociales et territoriales essentielles à l’équilibre de la France. Le manque de stabilité, de garanties et de régulation fragilise ces secteurs fondamentaux.

Les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » pour 2016 connaissent une baisse sensible, de 9 % pour les autorisations d’engagement et de 6,5 % pour les crédits de paiement. Comme le souligne le rapporteur, l’agriculture est mise à contribution pour le redressement des finances publiques et non pour le renouveau de l’agriculture française avec l’ensemble des professionnels et pour eux.

De plus, les crédits de la mission représentent moins de 20 % de l’ensemble des contributions publiques en faveur du secteur agricole au sens large. Les moyens alloués à la gestion des crises et des aléas disparaissent quasiment, passant de 28 millions d’euros à moins de 4 millions d’euros en crédits de paiement.

Certes, il y a un transfert du financement de la gestion des risques au second pilier de la PAC, mais comment vérifier la sincérité de ces éléments ? De même, les crédits d’intervention ne sont pas prépondérants. Ainsi, le programme 154, particulièrement structurant, fond de 108 millions d’euros, alors qu’il comporte les principales actions de soutien aux exploitations.

L’action n° 12, Gestion des crises et des aléas de la production, est sérieusement amputée, alors même que les enjeux sont en l’espèce importants et que nous venons de vivre une sécheresse et une crise sanitaire, celle de la fièvre catarrhale ovine, qui se sont surajoutées à la baisse des prix d’achat. Comment comprendre que l’on abandonne les derniers outils d’action et d’intervention dont nous disposons à l’échelon national, alors qu’il faudrait au contraire les conforter ?

Vous avez affirmé, monsieur le ministre, que, en associant les crédits de l’État et ceux de la PAC, les moyens mobilisés au profit de l’agriculture seraient globalement en hausse pour 2016 et 2017. C’est vrai, puisque ceux-ci s’élèvent à 19,7 milliards d’euros en 2015 et atteindront 19,9 milliards d’euros en 2016, mais de peu !

Enfin, si une part importante de la baisse des crédits nationaux est compensée par l’évolution des crédits communautaires, il convient de rappeler qu’ils sont structurellement en diminution. La nouvelle PAC sera excluante et dépourvue de mécanismes efficaces de régulation. Ses effets seront variables selon les productions et les territoires, mais seront-ils à la hauteur des enjeux sociaux, alimentaires et environnementaux ? À cet égard, la Confédération paysanne a déposé des recours auprès du Conseil d’État pour remettre en cause les planchers sous lesquels le Gouvernement ne soutient pas les éleveurs dans l’application française de la PAC.

L’agriculture doit conserver son rôle d’aménagement et de développement du territoire en tant qu’acteur intégré de l’activité économique au plan local. Ses externalités positives doivent être reconnues et valorisées.

Le budget pour 2016 ne renforce pas vraiment l’investissement dans le domaine de l’agriculture, ne met pas à disposition du monde agricole les instruments de sa progression ni les outils de sa survie.

S’il est vrai que les aides à l’installation sont maintenues, la part des crédits du ministère de l’agriculture tend à devenir insuffisante, ce qui n’en facilite pas la lisibilité et le contrôle. La réduction de 3,5 % de la subvention de FranceAgriMer est regrettable.

Concernant le programme 149, nous constatons une légère baisse des crédits dédiés à la forêt, ce qui est en contradiction avec tous les rapports publiés depuis plusieurs années. Il faut en la matière un véritable réengagement de l’État et l’arrêt de la privatisation rampante de l’Office national des forêts, l’ONF, ainsi que des restructurations et des baisses d’effectifs qui s’ensuivent.

Or l’on constate une diminution de 7,3 % des crédits dédiés à la gestion des forêts publiques. Le financement du régime forestier est régulièrement remis en cause, l’État cherchant à se désengager en faisant supporter les coûts par d’autres acteurs. Cette gestion financière issue des choix politiques nationaux a d’ores et déjà provoqué une perte de confiance entre l’État et les communes forestières. Alors même que l’ONF se livre à une véritable course de survie, ce service public est asphyxié financièrement et subit encore une fois une baisse significative de ses crédits.

Enfin, le Fonds stratégique de la forêt et du bois connaît un abondement insuffisant malgré le besoin d’investissements en forêt privée et en aval de la filière.

Monsieur le ministre, à l’heure de la COP 21, la France devrait montrer l’exemple en accordant à sa forêt les moyens qu’elle mérite. La forêt, dont le rôle protecteur contre le réchauffement climatique tout comme le potentiel économique sont établis, devra en effet s’adapter, dans les prochaines décennies, à une modification sans précédent de son environnement. Cette transition ne pourra se faire qu’avec le soutien des pouvoirs publics. Or nous n’en prenons pas encore le chemin.

Pour toutes ses raisons, et à regret, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».

Pour conclure sur une bonne nouvelle, j’ai entendu dire que l’Éthiopie plantait de nouveau des millions d’arbres. Sauvons nos forêts, plantons des arbres et ce sera bon pour l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)

M. Antoine Lefèvre. Oui, plantons des arbres !

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le président Guillaume me faisait remarquer, lorsque je me dirigeais vers la tribune, que Michel Le Scouarnec tenait un discours quasi écologiste. Eh bien, j’en suis très heureux, et cela ne me surprend pas !

M. Didier Guillaume. J’ai dit qu’il vous « piquait » votre fonds de commerce !

M. Joël Labbé. Quoi qu’il en soit, la régulation, l’agriculture familiale, rémunératrice des agriculteurs, respectueuse des équilibres, la relocalisation de l’alimentation via les projets alimentaires territoriaux, la remise en place de systèmes de polyculture-élevage, voilà les sujets qui sont au cœur de l’avenir agricole, selon nous !

Monsieur le ministre, j’ai suivi avec attention les réponses que vous avez faites à mes collègues à l’Assemblée nationale concernant la possibilité pour les départements de continuer à soutenir les agriculteurs qui font le choix de la transition vers l’agriculture biologique, en cohérence avec les politiques régionales.

C’est effectivement une préoccupation très forte qui remonte de nos territoires et j’aimerais que vous précisiez devant le Sénat quelles sont les véritables modalités de soutien des départements. Il semble que ceux-ci puissent conclure des conventions avec les régions. Cependant, si certains ne le souhaitent pas, il y aura une iniquité de traitement entre les agriculteurs en fonction des départements.

M. Antoine Lefèvre. C’est vrai !

M. Joël Labbé. Concernant la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », les arbitrages ont permis de préserver un certain nombre de mesures qui constituent, selon nous, le cœur de la transformation agro-écologique de la France.

Je pense aux mesures agro-environnementales et climatiques, qui ménagent une enveloppe de 72 millions d’euros pour de nouveaux contrats.

Le CASDAR voit son plafond revalorisé de 22 millions d’euros. J’ai entendu les réserves qui ont été émises tout à l'heure et j’espère vivement que ce compte d’affectation spéciale continuera à jouer pleinement son rôle.

Je pense encore au renforcement de l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, l’Agence Bio, et au maintien du fonds de structuration des filières biologiques « Avenir Bio », mais aussi au renforcement des politiques en faveur de l’installation des nouveaux agriculteurs, avec 6 000 nouvelles installations aidées par an.

Ces efforts constituent le cœur de l’agriculture de demain. Ils vont dans le sens de nos attentes.

Nous nous interrogeons cependant sur les projets alimentaires territoriaux, qui auraient mérité un financement spécifique. Nous y attachons beaucoup d’importance, vous le savez. Dans les régions dans lesquelles nous aurons notre place, nous mettrons l’accent sur ces projets, qui ont beaucoup d’avenir.

Afin que l’on puisse prendre en compte la réalité des coûts agricoles, je renouvelle une fois de plus mon souhait que le ministère de l’agriculture se penche véritablement sur le chiffrage des aménités positives et des externalités négatives des différents types d’agriculture, en prenant en compte l’ensemble des effets financiers, notamment la pollution des eaux, de l’air, les frais de santé, le coût en carbone et l’atteinte aux pollinisateurs. Il conviendrait de dresser une typologie de ces incidences pour chacun des types d’agriculture que nous connaissons.

Je souhaite également, monsieur le ministre, que vous nous apportiez quelques précisions sur l’Institut agronomique, vétérinaire et forestier de France, l’IAVFF. Ma collègue Marie-Christine Blandin a interrogé Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, puisque cet institut se trouve dans le programme 142 de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur ». Cependant, M. Mandon nous a renvoyés vers vous, afin de mieux cerner les missions de cet organisme de recherche et son ambition pour l’avenir, car il semble particulièrement peu doté, ne disposant que d’un budget de 688 500 euros.

Ce projet de loi de finances traduit une volonté de donner une autre dimension à la transition agricole, nous le reconnaissons. Celle-ci devra être accélérée dans les années qui viennent tant le modèle agricole dominant montre ses limites.

L’agro-écologie, que vous avez su mettre en avant, monsieur le ministre, est la solution d’avenir, tant pour produire l’alimentation destinée à nourrir les populations de la planète que pour remédier au dérèglement climatique. Demain matin, et c’est une véritable fierté pour la France, dans le cadre de la COP 21, vous serez au Bourget pour présenter à la Terre entière le programme 4 pour 1000, dont les enjeux sont de miser sur les sols pour la sécurité alimentaire et pour le climat, des sols vivants réhabilités par les pratiques agro-écologiques partout sur la planète.

Nous serons vigilants par rapport aux tentations de récupération par les tenants de l’agriculture productiviste, de l’agrochimie et de l’agrobusiness, ceux qui parlent aujourd'hui d’« agriculture climato-intelligente », dont nous nous méfions tant.

En conclusion, je le dis une nouvelle fois, les productions alimentaires ne sont pas des marchandises comme les autres, et j’espère vivement que, en cette période historique de la COP 21, nous avancerons vers la mise en œuvre d’une véritable gouvernance mondiale de l’alimentation. Je précise que si les crédits que nous examinons ne sont pas trop écornés au cours de leur examen, monsieur le ministre, nous les voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir la mission budgétaire consacrée à l’agriculture, alors que commence à Paris la vingt et unième conférence sur le climat.

À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que l’agriculture mondiale est partie prenante du défi climatique, et ce à double titre : d’une part, les agriculteurs doivent adapter leurs modes de production selon le principe du développement durable, ce qui est déjà acquis ; d’autre part, ils doivent être en mesure de répondre au défi alimentaire, dans un contexte de raréfaction des terres et de montée des stress hydriques, des évolutions déjà observables dans certaines régions du monde et imputables aux dérèglements climatiques.

Dans cette perspective, la France doit conserver un statut de grande puissance agricole. Depuis ces dernières années, passé du deuxième au cinquième rang mondial, notre pays souffre d’un manque de compétitivité, comme l’a illustré la crise de l’élevage cet été, mais pas seulement… Il est donc impératif de donner à notre agriculture les moyens de son développement et de sa modernisation. C’était l’objectif de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt que le groupe du RDSE a soutenue.

Aux côtés des grands textes d’orientation, les concours publics alloués à l’agriculture doivent rester dynamiques, notamment pour répondre aux crises conjoncturelles, qui affectent régulièrement ce secteur.

S’agissant du budget pour 2016, comme l’ont indiqué les rapporteurs, on constate une baisse des crédits de 2,8 % par rapport à 2015. C’est un fait, le ministère de l’agriculture participe aussi à l’effort de redressement des comptes publics, sans pour autant remettre en cause les principaux équilibres de notre politique agricole.

Par ailleurs, vous l’avez souligné, monsieur le ministre, pour être juste, il convient de prendre en compte l’ensemble des moyens dédiés à l’agriculture, en particulier les aides communautaires, qui représenteront 9,7 milliards d’euros en 2016. Au sein de celles-ci, on peut se féliciter que les deux tiers des crédits soient destinés aux interventions économiques. Les dépenses du premier pilier, qui concerne le soutien des marchés et des prix agricoles, sont en effet indispensables pour aider les filières à traverser les crises récurrentes. Le verdissement des aides est une chose, mais la PAC doit aussi relever le défi de la compétitivité, je le répète.

Je pense bien sûr plus spécialement au secteur de l’élevage, qui a besoin de la solidarité communautaire en complément du plan de soutien à l’élevage présenté aux mois de juillet et de septembre derniers par le Gouvernement.

Cela a été dit, le projet de loi de finances pour 2016 ne traduit que partiellement ce plan, qui prévoit des allégements et des reports de charges d’au moins 600 millions d’euros. Pour cette année, environ 180 millions d’euros de crédits seraient fléchés vers ce plan. D’aucuns regrettent que cela n’aille pas assez vite ; on peut le comprendre au regard de la situation encore critique de nombreux exploitants. Néanmoins, on peut saluer tous les efforts entrepris cet été, monsieur le ministre, pour éviter aux plus fragiles la liquidation judiciaire.

Je dois dire aussi que les inquiétudes demeurent au sein de la filière. S’agissant de l’élevage porcin, la reprise des cotations, la semaine dernière, sur le marché au cadran de Plérin se fait un peu dans la douleur. Les transactions sont inférieures au prix de 1,40 euro le kilo, le seuil que nous aurions souhaité pour que les éleveurs les plus endettés s’en sortent.

Pour ce qui est de la filière bovine, là aussi, le marché est morose. Le revenu des éleveurs aurait chuté de 20 % en 2015, au sein de l’élevage intensif comme extensif. Nous en connaissons les raisons structurelles, mais il faut y ajouter un déficit fourrager lié à la sécheresse de cet été qui aggrave la situation.

Enfin, je souhaite également évoquer les crises sanitaires qui touchent non seulement la filière ovine, mais aussi les élevages caprin et ovin. Sur une grande partie du territoire, de nombreuses communes sont toujours en zone réglementée au titre de la fièvre catarrhale ovine. C’est le cas dans le Lot, le département que je représente. Il faut donc, me semble-t-il, continuer à mobiliser des crédits au sein du programme 206 en faveur de l’action consacrée aux maladies animales, des moyens qui évoluent au gré de la situation sanitaire, mais qui doivent aussi permettre de répondre à l’urgence.

À propos d’urgence, je souhaite terminer mon intervention en évoquant celle, de plus en plus prégnante, de la lutte contre les rats taupiers, c'est-à-dire les grands campagnols ou campagnols terrestres, dont on parle peu, mais qui représentent un véritable fléau dans de nombreux départements, dont le Cantal et le Lot. Ce rongeur, autrement appelé « rat à quatre dents », retournant totalement les champs, occasionne des dégâts considérables sur les exploitations.

Outre l’incidence économique de sa prolifération, le rat taupier est un vecteur de maladies transmissibles à l’homme. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaitais vous sensibiliser à la nécessité d’encourager la recherche de moyens de lutte non empiriques contre cet animal, car les dispositifs actuels sont obsolètes.

Conscient de l’effort global accompli en direction de l’agriculture, le groupe du RDSE souhaite pouvoir approuver les crédits de la présente mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui plus que les crédits consacrés à l’agriculture dans le projet de loi de finances pour 2016. Car, derrière les chiffres, il y a toujours des fondements, des volontés affichées.

Je veux répéter en cet instant, après l’avoir exprimé à plusieurs reprises au sein de cet hémicycle, que l’État est là pour définir les grands axes face à des enjeux de concurrence mondiale, de développement durable et de mutation de la société, mais en aucun cas pour se substituer aux filières, qui ont le devoir et la responsabilité de faire bouger les lignes en construisant une véritable stratégie. Comment ? En analysant, avec réalisme et courage, leurs difficultés structurelles, en s’adaptant à l’évolution des marchés et en anticipant.

En effet, on ne peut pas toujours attendre des aides de l’État ou de l’Europe. Ce n’est ni raisonnable ni sain, a fortiori dans un contexte budgétaire tendu.

L’État doit donc accompagner les filières dans leurs mutations, en indiquant la voie.

Vous avez assumé cette part de responsabilité, monsieur le ministre, avec la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui offre une direction et une image à notre monde paysan : celles d’une agriculture durable et de qualité.

Soutenir un projet de budget est toujours un exercice délicat, car il enferme parfois cette volonté d’agir dans des chiffres.

La volonté d’agir pour notre agriculture s’est d’abord traduite à travers la loi précitée ; elle se traduit aujourd’hui à travers ce budget, mais elle se traduira aussi à travers d’autres mesures, qui seront détaillées prochainement lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative.

Pour en revenir au présent projet de loi de finances, nous savons que l’effort budgétaire de la nation en faveur de son agriculture ne saurait se résumer aux seuls 2,8 milliards d’euros de crédits prévus pour 2016 au sein de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». Il faut aussi prendre en considération les 147 millions d’euros du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » destinés aux personnels qui apportent leur support technique à l’activité agricole ou forestière ou à des financements à des mesures d’intervention, notamment en matière d’allégements de charges pour les travailleurs occasionnels.

Il faut aussi compter avec les crédits des budgets de l’enseignement scolaire comme de la recherche et de l’enseignement supérieur très importants pour préparer nos jeunes à prendre notre relais. Si l’on garde en tête la PAC et différentes aides fiscales destinées aux agriculteurs, on comprend que la mission que nous examinons aujourd’hui ne représente au final que 10 % de l’effort public fourni en direction de l’agriculture. Franck Montaugé détaillera ce point lors de son intervention.

Certains, dans un esprit partisan, ne s’attacheront qu’à noter la baisse des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » pour 2016. Le ministère de l’agriculture contribue ainsi, et c’est normal, à l’effort national.

Pour notre part, nous assumons ces choix, car le contexte budgétaire contraint qui est le nôtre au plan national demande que chacun fasse des efforts.

Et nous ne pouvons cautionner toujours plus de moyens financiers pour pallier des fragilités structurelles, qui, si elles ne sont pas rapidement analysées et améliorées, déboucheront sur d’autres crises conjoncturelles, comme en 2009, sous la présidence de M. Nicolas Sarkozy, où rien n’a été résolu.

Je préfère souligner que, malgré ces contraintes, le Gouvernement a su non seulement mettre en place des mesures d’urgence pour faire face à la crise de l’élevage, mais aussi, et surtout, proposer des mesures structurelles en faveur de la compétitivité de l’agriculture française, dont la plupart seront détaillées dans le projet de loi de finances rectificative.

Le présent projet de budget offre aux filières les moyens d’un accompagnement de leur transformation. En effet, des moyens nouveaux ont été déployés pour soutenir l’investissement dans le secteur agricole et agroalimentaire.

Le plan de compétitivité et d’adaptation pour les exploitations agricoles, ou PCAE, permettait déjà de mobiliser 200 millions d’euros par an. Une rallonge a été annoncée au mois de septembre pour porter ces moyens, assurés conjointement par l’État et les régions, à 350 millions d’euros par an. L’effet de levier de cette enveloppe d’aides publiques devrait permettre de mobiliser des financements à hauteur de 1 milliard d’euros par an pour investir dans l’agriculture, ce qui est une revendication forte du monde agricole.

Le programme des investissements d’avenir a été renforcé pour dégager 120 millions d’euros en faveur de l’industrie agroalimentaire, en particulier des abattoirs et des serres.

Au final, l’ensemble des instruments sont mobilisés pour répondre à l’urgence de la crise dans les filières d’élevage, et en même temps préparer leur avenir.

La baisse des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ne compromet aucune des priorités de la politique agricole. Je prendrai à cet égard quatre exemples.

Les crédits en faveur de l’installation sont globalement conservés et calibrés pour financer 6 000 installations par an, même si une partie de la prise en charge est transférée sur les crédits européens.

L’enveloppe consacrée à l’indemnité compensatoire de handicap naturel, l’ICHN, progresse, passant de 232 millions d’euros à 256 millions d’euros entre 2015 et 2016, conformément à l’engagement de revalorisation pris par le Gouvernement en 2014. Compte tenu des cofinancements européens, l’ICHN représentera plus de 1 milliard d’euros en 2017, soit 300 millions de plus qu’en 2013 pour l’ICHN et la prime herbagère agro-environnementale, deux dispositifs qui ont depuis été fusionnés.

L’ambition de développer l’agro-écologie et d’encourager de nouvelles pratiques agricoles est confortée, avec 57 millions d’euros de crédits budgétaires en faveur des mesures agro-environnementales, mais aussi grâce au maintien des moyens du CASDAR. C’est d’ailleurs la quasi-totalité de l’enveloppe de ce compte d’affectation spéciale qui, à travers les programmes et actions financés, est mise à disposition de l’agro-écologie.

La mise en place des groupements d’intérêt économique et environnemental, ou GIEE, innovation de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014, progresse d’ailleurs sensiblement : au 1er octobre dernier, 128 d’entre eux avaient été agréés, couvrant 1 500 exploitations. Vous avez d’ailleurs, monsieur le ministre, visité mardi dernier un GIEE dans l’Hérault, spécialisé dans l’enherbement durable.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Excellent !

M. Henri Cabanel. La sécurité sanitaire reste une priorité, avec la poursuite du renforcement des effectifs de contrôle dans les abattoirs de volaille. Les principales actions du programme 206 sont reconduites en 2016. Elles concernent des dépenses de fonctionnement et de personnel, pour 285 millions d’euros, des fonds consacrés à l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, à hauteur de 62 millions d’euros, et des dépenses liées à la lutte contre les maladies animales, totalisant 85 millions d’euros.

Par ailleurs, ce budget prend acte de la création de 60 postes supplémentaires pour renforcer les effectifs en matière de contrôles sanitaires et phytosanitaires. En deux ans, 120 postes auront ainsi été créés, et l’objectif est de faire de même dans les années suivantes. C’est un effort important, que de nombreux épisodes récents, notamment celui de la fièvre catarrhale, justifient totalement.

Mes chers collègues, le monde a changé, les marchés ont changé, la société et les consommateurs ont changé. Poursuivre dans le même sens qu’il y a dix ans, sans mener un travail en adéquation avec les défis de développement durable, conduirait à faire végéter notre agriculture, à la couper de la voie du modernisme.

Mais réduire sa mutation à des crédits serait une insolence pour notre monde paysan, qui a conscience de ces mutations. Certains les subissent, d’autres ont eu l’audace de restructurer leur exploitation, de diversifier leur activité et de s’engager dans les signes de qualité. Ils ont raison. Notre monde paysan est une force pour notre économie, nous le constatons avec le succès de notre filière agroalimentaire.

Mais je veux le répéter devant vous, mes chers collègues, nous avons une responsabilité : ne pas enfermer les agriculteurs dans une relation de dépendance aux crédits publics. Ce serait leur faire offense, car la grande majorité d’entre eux ont l’énergie et la force d’entreprendre. Aux filières de s’emparer de cette richesse humaine pour s’engager dans des stratégies nouvelles !

Vous comprendrez donc que j’approuve les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)