M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Catherine Génisson. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président-rapporteur, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner, en nouvelle lecture, le projet de loi de modernisation de notre système de santé.

En introduction de mon propos, je veux regretter les conditions dans lesquelles se passe cette nouvelle lecture au Sénat. Je rends, bien sûr, hommage à la qualité des travaux de nos rapporteurs, mais il n’en demeure pas moins que la discussion générale qui nous réunit aujourd’hui est virtuelle puisque, nous le savons tous, la majorité sénatoriale va adopter une question préalable à l’issue de laquelle nos débats seront clos. Je regrette très sincèrement ce débat manqué !

Le débat politique, c’est le fondement de notre démocratie. Et au lendemain d’élections régionales à l’occasion desquelles s’est fait ressentir cette nécessité impérieuse de résister, de débattre, de convaincre, il est dommage que l’on ne puisse pas confronter nos projets dans un respect mutuel ! Au passage, je veux dire que, au vu de la fréquentation de cet hémicycle cet après-midi, je me félicite que le scrutin public existe…

Par ailleurs, le débat manqué qui s’annonce au Sénat sur ce projet de loi de modernisation de notre système de santé ne nous permet pas de répondre aux nombreuses interpellations dont nous sommes saisis, interpellations qui viennent tant de professionnels de santé que de citoyens.

La confrontation républicaine des projets est une très bonne chose. Je reconnais que peu de nos propositions, y compris celles qui avaient été majoritairement soutenues par notre assemblée, ont été reprises à l’Assemblée nationale. Qu’il me soit néanmoins permis, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, de regretter vos positions sur un certain nombre d’enjeux-clés de ce projet de loi.

Ainsi, votre opposition idéologique au tiers payant généralisé – qui est pourtant une mesure de justice sociale –, empêche toute discussion constructive et tout accord avec le Gouvernement et l’Assemblée nationale sur ce texte. J’y reviendrai.

Je veux, dans un premier temps, insister sur les raisons du soutien des sénateurs socialistes à ce texte défendu avec conviction et détermination par vous, madame la ministre.

Moderniser notre système de santé pour le rendre plus juste et mieux adapté aux réalités d’aujourd’hui, tel est l’objet de ce projet de loi dans un contexte marqué par un paradoxe très prégnant : malgré son excellence, l’organisation de notre médecine se heurte aux inégalités sociales et territoriales.

La France peut s’enorgueillir de disposer d’un excellent système de santé. L’Organisation mondiale de la santé le considère comme l’un des meilleurs. Ce classement reflète la qualité des soins qu’offre la communauté soignante à nos concitoyens.

Le paradoxe réside donc dans le fait suivant : notre excellence médicale se heurte aux inégalités sociales qui perdurent ; à soixante ans, l’espérance de vie d’un ouvrier est inférieure de sept ans à celle d’un cadre. De plus, les inégalités territoriales se creusent – les déserts médicaux sont inégalement répartis sur notre territoire.

Garantir l’égalité de nos concitoyens au regard de la modernisation de notre système de santé et des progrès de la recherche, telle est la colonne vertébrale de ce texte.

Le premier pilier du projet de loi de modernisation de notre système de santé est celui de la prévention, laquelle constitue le socle de ce système : prévention des maladies évitables, des pratiques addictives, notamment l’alcoolisme et le tabagisme, des problèmes de nutrition se traduisant tant par l’obésité que par la très grande maigreur, ou encore prise en compte de la santé environnementale.

Je me félicite des dispositions relatives à l’interruption volontaire de grossesse contenues dans ce projet de loi, votées en première lecture au Sénat.

Vis-à-vis des personnes handicapées, le projet de loi propose des solutions adaptées, pour elles ainsi que pour leurs familles, afin d’éviter les ruptures de soins.

Autre mesure très attendue et contenue dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé : l’expérimentation de l’organisation de la filière visuelle, ainsi que des propositions concernant les coopérations interprofessionnelles.

La lutte contre le tabac a beaucoup occupé nos débats. À côté de plusieurs dispositions permettant une meilleure prévention, en particulier l’introduction de mesures de luttes contre la fraude, nos débats passionnés ont porté sur la mise en place du paquet neutre.

Le groupe des sénateurs socialistes veut réaffirmer avec force que cette mesure trouve sa légitimité si la recherche d’une harmonisation fiscale du prix du tabac à l’échelon européen est voulue, ce qui permettra de lutter contre les marchés parallèles.

Nous connaissons l’engagement de Mme la ministre sur cette question importante de santé publique. Je veux ici redire avec force que le Gouvernement a également la responsabilité de traiter la question du maintien de la situation des buralistes, lesquels jouent un rôle important dans l’animation des territoires, en particulier dans les zones rurales.

Par ailleurs, toujours sur le volet prévention de ce projet de loi, je veux souligner l’importance, pour le groupe des sénateurs socialistes, de l’introduction du concept de prévention partagée, qui doit permettre aux non-spécialistes de la prévention et aux publics cibles d’être responsabilisés en tant qu’acteurs et force de proposition.

La prévention partagée a été introduite par amendement sénatorial, ce qui constitue une nouvelle illustration de l’utilité de nos travaux.

Je veux enfin souligner l’engagement de nos rapporteurs, qui avaient soutenu l’expérimentation des salles de consommation à moindre risque, engagement qui semble remis en cause dans la présentation de la question préalable.

Le deuxième pilier du projet de loi veut faire du citoyen un acteur de sa santé avec, comme premier correspondant, son médecin traitant.

Le projet de loi donne ainsi toute sa place aux soins primaires permettant, grâce à la mise en place de communautés professionnelles de territoires de santé, aux acteurs de la médecine d’être les initiateurs de leur organisation.

Ce dispositif lève d’emblée le reproche d’une organisation verticale, menée sur l’initiative des agences régionales de santé.

Sur ce sujet, je ne comprends toujours pas la position – voire le conservatisme – de notre président-rapporteur. En effet, il a dénigré la mise en place de ces communautés professionnelles territoriales de santé, alors que cette disposition entérine le rôle premier des médecins, des acteurs de santé de terrain, qui sont les promoteurs de leur organisation territoriale, les ARS ayant un rôle de validation.

Le projet de loi de modernisation de notre système de santé met en place le tiers payant généralisé. Le groupe socialiste du Sénat, comme toute la gauche et une grande majorité des Français, y est favorable. En effet, cette disposition technique est également une mesure de justice sociale. Le tiers payant doit garantir que l’argent n’est pas un obstacle à l’entrée dans le cabinet médical, quand bien même les médecins traitants savent déjà prendre en compte les difficultés financières de leurs patients.

Il est très important de rassurer les médecins : l’instauration du tiers payant doit se faire sans leur imposer de nouvelles contraintes de travail administratif. Madame la ministre, vous avez apporté lors des débats parlementaires toutes les garanties possibles sur ce point. Nous demeurerons néanmoins vigilants.

L’instauration du tiers payant généralisé est une mesure de justice sociale soutenue par une très large majorité de Français. Elle ne clôt pas pour autant, tant s’en faut, le débat fondamental et nécessaire quant à une nouvelle architecture de la protection sociale, à savoir la place que doit occuper le régime général au regard des systèmes complémentaires. C’est un débat que nous avons eu, à nouveau, à l’occasion du récent examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 et, en particulier, de son article 21. Ce débat est pourtant loin d’être clos.

Les sénateurs socialistes soutiennent avec conviction la redéfinition, par le présent projet de loi, de la notion de service public hospitalier.

Ce service public donne toute sa force aux devoirs de notre nation envers ses concitoyens. Il permet de maintenir certaines garanties fondamentales : l’accessibilité financière des soins, leur permanence et l’égal accès de tous à ces soins. Rappelons que tous les établissements de santé sont éligibles au service public hospitalier dès lors qu’ils répondent aux garanties exigées.

Nous regrettons que la majorité sénatoriale ait souhaité rétablir la définition du service public issue de la loi HPST, qui substituait aux blocs de compétences des missions de service public. Le service public est un !

En revanche, je me réjouis de l’adoption, dans le cadre de ce projet de loi, du pacte territoire-santé, qui permet de proposer des solutions de rééquilibrage de l’implantation des médecins sur nos territoires. Madame la ministre, vous venez d’ailleurs d’annoncer une amplification des actions qui doivent permettre à chaque Français, partout sur le territoire, de se faire soigner facilement près de chez lui.

Les groupements hospitaliers de territoire doivent par ailleurs optimiser l’offre qualitative en soins pour nos concitoyens.

Le groupe socialiste se félicite également du troisième pilier du projet de loi, qui renforce la démocratie sanitaire.

Il s’agit d’offrir de nouveaux droits à tous les patients – donc à tous les citoyens – par la mise en œuvre des actions de groupe et la modernisation de l’open data, c’est-à-dire la possibilité d’accéder à des données anonymisées propices à la recherche et au progrès.

Dans ce troisième pilier figure également le droit à l’oubli, dont l’enjeu crucial est le respect des patients aujourd’hui guéris du cancer et, demain, d’autres maladies.

Le débat manqué que nous allons subir nous empêche de revenir sur l’article 46 ter, qui a trait au don d’organes. Même si je concède que sa rédaction est quelque peu sèche, je rappelle que nous avons eu à ce sujet en première lecture un débat de haute qualité, qui prenait en compte non seulement l’exigence éthique, mais aussi l’urgence de trouver des solutions alors que, chaque année, seules 5 000 greffes sont réalisées au regard de l’attente de 20 000 malades.

Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer rapidement, le groupe des sénateurs socialistes soutient le projet de loi de modernisation de notre système santé, que Mme la ministre a porté avec la détermination qu’on lui connaît et qui doit répondre aux défis auxquels se trouve confronté notre système de santé.

Je réitère mon regret du choix fait par la majorité sénatoriale de couper court au débat par le biais d’une question préalable. Je regrette d’autant plus ce choix que les travaux menés lors de la première lecture par les rapporteurs, sous la conduite de M. Alain Milon, avaient été de qualité, même si tout consensus avec le Gouvernement et la majorité de l’Assemblée nationale s’est révélé impossible.

Je veux terminer mon propos en rendant hommage aux différents acteurs de notre système de santé, qui font preuve dans leurs missions quotidiennes d’un investissement qui permet le maintien de l’excellence de notre pays dans le domaine de la santé.

Notre pays innove ainsi constamment et ouvre la voie sur le front des technologies nouvelles : il figure ainsi au troisième rang mondial pour les brevets de robotique médicale. Ces atouts forts doivent permettre le développement de notre économie.

Nous sommes fiers de la médecine en France et de celles et ceux qui la servent, quels que soient leurs fonctions, leur mode et leur lieu d’exercice. Ils sont mobilisés au quotidien auprès de nos concitoyens pour la prise en charge de leur santé. Cet engagement quotidien se double d’une mobilisation très forte lors de moments exceptionnels ou tragiques, tels que les attentats du 13 novembre dernier. Saluons les personnels hospitaliers de Paris et de la région parisienne, dont la compétence et l’humanité ont été remarquables auprès des blessés !

En conclusion, je veux réaffirmer que le groupe socialiste soutient votre projet de loi, madame la ministre, et souhaite le débat ; il a donc voté contre le rapport de nos rapporteurs et il votera contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Yves Daudigny. Très précis et très convaincant !

M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert.

Mme Corinne Imbert. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, lors de la première lecture de ce projet de loi de modernisation de notre système de santé, le groupe Les Républicains a soutenu sans faille les propositions des rapporteurs, dont je tiens à saluer l’excellent travail. Le Sénat avait alors fait le choix de réécrire une bonne partie de ce texte quelque peu fourre-tout en se concentrant sur l’essentiel : l’organisation du système de santé sur notre territoire.

Lors de cette nouvelle lecture, nous ne pouvons que constater l’enfermement du Gouvernement et de sa majorité parlementaire dans une voie qui, à nos yeux, n’est pas la bonne.

Mme Nicole Bricq. Quelle est la bonne, alors ?

Mme Corinne Imbert. Avec un peu d’humour, je dirai que la seule mesure sénatoriale phare à avoir échappé au couperet de la majorité de l’Assemblée nationale est celle qui a trait à la promotion des régions viticoles, qui a été portée ici par notre collègue Gérard César et qui permettra de valoriser notre patrimoine et notre savoir-faire.

Plus sérieusement, puisque la santé est trop précieuse, à l’exception de quelques dispositifs que vous avez rappelés, madame la ministre, qui ont été sauvegardés par l’Assemblée nationale, nous retrouvons un projet de loi presque identique à celui que nous avions examiné en première lecture.

Ce texte, dont le Gouvernement prétend qu’il est une réforme de modernisation de notre système de soins, est en réalité une occasion manquée, et ce pour plusieurs raisons.

Moderniser, ce n’est pas traiter au détour d’un tel texte de sujets importants qui relèvent des lois de bioéthique ; je pense en particulier à la suppression du délai de réflexion pour une IVG et à la réforme du don d’organes.

Moderniser, ce n’est pas opposer les professionnels de santé ; c’est au contraire leur donner les moyens de renforcer leur collaboration.

Moderniser, ce n’est pas créer de nouveaux dispositifs alors qu’il en existe qui ont à peine eu le temps de se mettre en place. Je fais référence ici aux pôles de santé : cet outil a bien fonctionné jusqu’à présent et a permis de fédérer les professionnels de santé afin de rendre plus efficiente la prise en charge de leurs patients. Nous avions soutenu leur renforcement plutôt que la création des communautés professionnelles territoriales de santé.

Moderniser, ce n’est pas créer des inégalités de traitement entre les établissements de santé. En effet, les établissements privés souhaitant opter pour le service public hospitalier seront désormais soumis aux obligations de service public, ce qui signifie qu’ils ne pourront pas facturer de dépassements d’honoraires, et ce pour l’ensemble des actes pratiqués. Dans le même temps, les dépassements d’honoraires pourraient être autorisés pour les praticiens de l’hôpital public ayant une activité libérale en parallèle. Cela nous paraît être une erreur injustifiée.

Moderniser, enfin, ce n’est pas énoncer dans la loi des dispositions qui existent déjà. Je pense à l’article 12 ter, relatif au pacte territoire-santé. Vous aviez annoncé ce pacte, madame la ministre, en 2012 ; depuis deux ans, il est mis en œuvre par voie réglementaire sans qu’aucun texte législatif ait été jusqu’à présent nécessaire.

En outre, avant même que le présent projet de loi ne soit adopté, vous avez fait l’annonce du pacte territoire-santé II, qui doit comprendre des mesures supplémentaires de lutte contre la désertification médicale. Je regrette que notre proposition d’organiser une concertation entre les syndicats de médecins et la CNAMTS sur l’installation des professionnels de santé en zones sous-denses n’ait pas été retenue.

Je souhaite maintenant aborder deux mesures qui, quoique totalement indépendantes l’une de l’autre, ont toutes deux cristallisé les oppositions contre ce texte.

La première est, bien sûr, la mise en place du paquet neutre. Sa présence, en nouvelle lecture, n’a tenu qu’à un fil, ou plutôt à deux, puisqu’il n’a été maintenu à l’Assemblée nationale qu’à deux voix près.

Cette « surtransposition » d’une directive européenne conduira inévitablement au développement d’un marché parallèle et clandestin et, par voie de conséquence, à la destruction brutale du réseau des buralistes en France, la concurrence des débitants frontaliers étant trop forte.

Bien évidemment, tout le monde est conscient de la dangerosité du tabac ; nul ne peut ignorer ses effets directs et néfastes sur la santé. Cependant, est-il réellement pertinent d’instaurer le paquet neutre alors même que la directive européenne encadre déjà les fabricants et leur impose de nouvelles normes concernant les emballages de cigarettes ? Cette première française aura des conséquences que le Gouvernement n’anticipe malheureusement pas.

L’exemple de l’Australie a souvent été évoqué pour justifier la mise en place du paquet neutre. Il est vrai que c’est le seul pays à l’avoir instauré, mais c’est surtout le seul pays à avoir fixé le prix du paquet de cigarettes à 14 euros !

Le vrai courage politique aurait été d’aborder la problématique de l’uniformisation européenne des tarifs du tabac. C’est également en menant une politique de prévention globale que nous pourrons obtenir des résultats tangibles, et non en sanctionnant à outrance à l’échelle nationale, ce qui n’endiguera en rien la consommation de tabac.

Je me permets un aparté concernant la politique de prévention : si les intentions du Gouvernement sont louables, il n’en demeure pas moins que je ne peux partager ses orientations budgétaires. Dans mon rapport pour avis sur la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2016, j’ai eu l’occasion de souligner dans cet hémicycle la baisse importante des crédits dévolus à la prévention. Nous sommes donc en pleine contradiction entre les paroles et les actes.

La seconde mesure qui a cristallisé la mobilisation de l’ensemble des professionnels de santé est le tiers payant généralisé et obligatoire.

Le Gouvernement ne tient pas compte du fait que de nombreux médecins pratiquent quotidiennement et spontanément le tiers payant pour leurs patients, en fonction de la situation personnelle de ces derniers. En imposant sa généralisation, vous privez le médecin de sa liberté et vous prenez le risque de dévaloriser les actes médicaux. Il est faux de dire que les médecins s’opposent à ce système : ils s’opposent seulement à sa généralisation obligatoire, mais ils y ont recours pour les populations fragiles. Le tiers payant, tel qu’il existe aujourd’hui, permet donc de répondre à la question du non-accès aux soins pour motif financier.

En revanche, le dispositif qui est proposé entraînera de facto une surconsommation de l’acte médical. J’emploie volontairement un langage marchand, car cela induira de fait un phénomène de consommation, non pas d’un produit, mais d’un service qui semblera gratuit alors qu’il a un coût pour notre société.

Par ailleurs, la généralisation du tiers payant sera chronophage pour les médecins. Elle générera pour eux une surcharge de travail administratif, alors qu’il faut, au contraire, leur redonner du temps médical.

Le Gouvernement n’a pas précisé ses intentions quant aux sanctions qui seront prises à l’encontre des médecins qui refuseront de se soumettre à ce système, certains syndicats ayant d’ores et déjà appelé à la désobéissance civile.

Qu’en est-il, madame la ministre, de la demande de moratoire avant la conférence de santé programmée en février prochain ? Il semble légitime de pouvoir discuter et échanger avec les professionnels concernés avant d’imposer un quelconque dispositif.

Le groupe Les Républicains a d’ailleurs fait le choix de construire un système de santé avec les professionnels de santé et non pas contre eux, comme cela est le cas avec la généralisation obligatoire du tiers payant. Comme je l’ai rappelé au début de mon intervention, le texte dont nous débattons aujourd’hui n’a malheureusement pas intégré les principales améliorations apportées par la majorité sénatoriale, dont l’objectif était de répondre aux inquiétudes de l’ensemble des professionnels de santé, et ce dans l’intérêt des patients.

Un débat nourri et de qualité a eu lieu lors de la première lecture de ce projet de loi. N’ayant pas été entendus, nous ne nous faisons aucune illusion quant au devenir d’un nouveau texte sénatorial ; c’est pourquoi notre groupe soutiendra la question préalable présentée par les rapporteurs au nom de la commission des affaires sociales. (Applaudissements au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Roche.

M. Gérard Roche. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, nous voici réunis pour une nouvelle lecture du projet de loi de modernisation de notre système de santé, après l’échec de la commission mixte paritaire. Je regrette sincèrement cet échec, et en particulier sa brutalité.

Il me semble essentiel de rappeler qu’une commission mixte paritaire ne peut réussir que si trois éléments sont réunis. Il faut tout d’abord, bien entendu, y amener un texte équilibré, qui améliore le texte initial sans le dénaturer ; c’est la responsabilité du Sénat. Il faut aussi, en revanche, que l’Assemblée nationale fasse montre d’une écoute respectueuse et constructive. Enfin, et peut-être surtout, il faut que le Gouvernement ait la volonté de parvenir à un consensus.

Je ne veux pas lancer une chasse aux sorcières, chercher qui a tort et qui a raison. Certains disent le Sénat rétrograde ; il trouve plutôt sa vertu dans la prudence et la sagesse. Ainsi, quelle avancée de sa part que d’accepter les salles de shoot, quand bien même nous avons décidé de les faire encadrer par du personnel compétent, dans un cadre hospitalier !

Une commission mixte paritaire peut avoir un résultat positif : nous l’avons bien vu tout à l’heure lors de l’adoption, à l’unanimité, du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement dans le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire.

Cette issue positive nous a ravis, mon collègue corapporteur Georges Labazée et moi-même, comme l’ensemble de notre assemblée et vous-même, madame la ministre, je crois pouvoir le dire.

Pour en revenir au sujet de notre discussion, la commission des affaires sociales du Sénat, réunie le 9 décembre dernier, a majoritairement pris la décision de poser une question préalable. Nous avions adopté la même décision pour ce qui concerne le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Nous avons conçu en effet les mêmes regrets et la même amertume de ne pas pouvoir discuter de nouveau des sujets forts dont nous avions débattu lors de la première lecture du projet de loi santé, parmi lesquels, en particulier, la généralisation du tiers payant.

Nous connaissons les raisons qui nous poussaient à ne pas être favorables à cette généralisation, laquelle banalise la consultation médicale. Le tiers payant est indispensable aux patients les plus fragiles, mais sa généralisation risque d’avoir un effet pervers dans le contexte actuel, en décourageant plus encore les jeunes médecins de s’installer dans des zones où ils sont très attendus, aggravant ainsi le problème de la désertification médicale.

Sur le terrain, les discussions menées, en particulier avec des représentants du syndicat MG France, montrent que les médecins ont conscience qu’ils doivent s’organiser, comme cela a été le cas pour les infirmiers libéraux, afin d’être présents sur l’ensemble du territoire. Ils savent qu’ils doivent changer leurs habitudes et prendre leurs responsabilités, afin d’assurer la part du service public de santé qui leur est confiée. La publication de cette loi risque de compromettre ces pistes de discussion nouvelles et très intéressantes.

Nous aurions aimé discuter de nouveau de la présence des élus dans l’organisation des groupements hospitaliers territoriaux, les GHT, comme du recentrage de l’organisation des soins primaires autour des médecins généralistes, en nous appuyant sur les pôles de santé institués par la loi de 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST ».

Je voudrais également mentionner la reconnaissance due aux établissements hospitaliers privés, qui exercent actuellement les missions du service public, tout en maintenant les garanties qui s’y attachent pour les patients, au premier rang desquels les tarifs opposables.

Le principal sujet qui aurait mérité que nous poursuivions nos échanges est peut-être le paquet neutre. Le tabac est un fléau sanitaire contre lequel nous ne pouvons absolument pas relâcher nos efforts. Pourquoi, cependant, madame la ministre, vouloir à tout prix aller au-delà de la directive européenne qui harmonise à l’ensemble des États membres la présentation des paquets, tout en assurant la mission de prévention à laquelle, à juste titre, vous tenez tant ? L’application de cette directive européenne, prônée par le Sénat, n’a été écartée qu'avec une majorité de deux voix à l’Assemblée nationale : n’aurait-on pu parvenir à un consensus sur le sujet ?

Il est inutile d’aller plus loin dans cette énumération, tant ces quelques exemples suffisent à exprimer notre déception.

Madame la ministre, en tant que médecin, je sais que, quand une personne est victime d’un grave problème de santé, tout le reste n’est que détail à ses yeux. C’est dire à quel point une grande loi sur la santé était si attendue et si importante. Nous reconnaissons, à ce titre, le travail mené par vous-même et par vos services. Ce sujet n’est ni de droite ni de gauche : il nous concerne tous et aurait mérité un dialogue constructif pour parvenir à un compromis que, tous, nous souhaitions.

C’est pourquoi l’échec de la commission mixte paritaire est une déception, dans un tel contexte. Certains d’entre nous y ont même perçu une forme de mépris, au vu de l’importance du blocage qui nous a été opposé.

Pour exprimer cette amertume, je ne peux que reprendre l’expression que j’ai prononcée en commission des affaires sociales la semaine dernière : si certains ont pensé avoir raison de faire la sourde oreille, notre profonde déception nous obligera à rester muets !

Vous l’aurez compris, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe UDI-UC – à regret, j’y insiste – votera en faveur de la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de notre système de santé
Question préalable (fin)

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Deroche et Doineau et M. Milon, au nom de la commission des affaires sociales, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat,

Considérant que la généralisation du tiers payant n’est pas nécessaire socialement dès lors qu’il est déjà pratiqué pour les populations les plus précaires et considérant qu’il remet en cause l’exercice libéral de la médecine ;

Considérant que la volonté d’imposer le paquet neutre, sans avoir préalablement expérimenté des avertissements sanitaires harmonisés au niveau européen, va au-delà des exigences européennes et expose la France à des risques de contentieux sur la propriété intellectuelle sans bénéfice évident pour la santé publique ;

Considérant que les conditions d’expérimentation des salles de consommation à moindre risque doivent faire une place prédominante au soin ;

Considérant que l’organisation des soins primaires doit s’appuyer sur l’existant, en particulier les pôles de santé, et ne pas placer les initiatives des professionnels sous la tutelle des agences régionales de santé ;

Considérant que l’obligation de négocier sur les installations en zones sous-denses et sur-denses lors du renouvellement de la convention médicale est un moyen nécessaire pour répondre à l’existence des déserts médicaux ;

Considérant que la permanence des soins doit être organisée sur l’ensemble du territoire de manière simple et accessible ;

Considérant que les missions de service public dans les établissements de santé sont un moyen de reconnaître l’implication des cliniques au service de tous les malades ;

Considérant que la suppression de la participation des élus au comité stratégique des groupements hospitaliers de territoire (GHT) rompt le lien nécessaire avec les territoires ;

Considérant que le consentement présumé au don d’organes n’est pas une solution pour remédier au manque de greffons dans notre pays ;

Considérant que le champ des habilitations données au Gouvernement pour légiférer par ordonnance est de nature à dessaisir le Parlement de questions essentielles pour la bonne organisation des soins ;

Considérant que le texte comporte un grand nombre de dispositions de faible valeur normative ou sans valeur ajoutée par rapport au droit actuel et qu’il est donc de nature à dégrader la qualité de la loi ;

Considérant enfin qu’après avoir engagé la procédure accélérée, le Gouvernement, en demandant à l’Assemblée nationale de statuer définitivement sur ce texte avant la fin de la présente semaine, prive celle-ci de toute possibilité pratique de prendre en compte les propositions que le Sénat pourrait formuler en nouvelle lecture ;

Le Sénat s’oppose à l’ensemble du texte du projet de loi de modernisation de notre système de santé, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 209, 2015-2016).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Alain Milon, corapporteur, pour la motion.