Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Notre obligation est donc double : à la fois répondre aux urgences et poursuivre, approfondir, parachever la construction européenne dans de nouveaux domaines. C’est la meilleure réponse que nous devons apporter à ceux qui veulent déconstruire et détruire le projet européen, un projet plus nécessaire que jamais ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de cinq minutes aux orateurs de chaque groupe politique et de trois minutes à la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Yves Pozzo di Borgo. Ce n’est pas très gentil pour l’Europe !

Mme la présidente. La commission des finances et la commission des affaires européennes interviendront ensuite durant cinq minutes chacune.

Le Gouvernement répondra aux commissions et aux orateurs.

Puis nous aurons un débat interactif et spontané consistant en une série de questions avec la réponse immédiate du Gouvernement ou de la commission des affaires européennes, pour une durée totale de quarante-cinq minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. David Rachline, pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. David Rachline. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est intéressant de noter que l’ordre du jour du prochain Conseil européen est quasiment le même que celui d’octobre dernier, preuve que les choses avancent bien doucement.

Il faut dire que, quand la seule obsession des dirigeants, ou plutôt des technocrates européens, n’est pas de résoudre les problèmes, ni même de répondre aux attentes des citoyens des pays membres, mais bien plutôt de ne pas remettre en cause leur idéologie, ils sont obligés de passer leur temps à corriger les effets néfastes des décisions précédentes.

Pour en revenir à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, il existe une réponse immédiate pour s’attaquer à deux questions, celle des migrants et celle de la lutte contre le terrorisme – « terrorisme islamiste », puisque, apparemment, les technocrates bruxellois ne savent le nommer. Cet outil existe depuis longtemps ; il existe depuis que les peuples se sont structurés : il s’agit bien évidemment des frontières !

Oui, le rétablissement des frontières nationales est une nécessité absolue pour préserver notre territoire. Et l’Union européenne, vous le savez bien, malgré vos rodomontades, ne veut pas de frontières européennes à l’extérieur de l’Europe. C’est pour cela qu’il nous faudra des frontières nationales.

M. François Marc. Et pourquoi pas la guerre, tant que vous y êtres ?

M. David Rachline. Il est plus qu’urgent de savoir qui vient chez nous et, mieux, de choisir qui vient chez nous ! Ne pas le faire serait une insulte aux victimes des derniers attentats, maintenant que l’enquête a révélé les allers et retours des terroristes entre la France et la Belgique.

Sur la question du marché unique, également à l’ordre du jour, je crains que ces nouvelles mesures ne soient les prémices de l’application du traité transatlantique, largement mis en cause dans l’ensemble de l’Union et même, monsieur le secrétaire d’État, sujet d’inquiétude pour l’un de vos collègues.

Et comme on peut faire confiance à la Commission pour passer outre l’avis des peuples européens quand il s’agit d’appliquer de fâcheuses mesures, il y a tout lieu de s’inquiéter de cette situation.

L’Europe ne doit pas continuer à devenir un « machin », pour reprendre les mots du Général de Gaulle, dicté par les seules lois du marché comme nous le propose, ou plutôt nous l’impose l’Union européenne, en l’occurrence téléguidée par les États-Unis.

Nous refusons que la souveraineté des nations européennes soit dissoute dans l’autoritarisme des institutions de l’Union. C’est d’ailleurs un sentiment ressenti dans de nombreux pays et, plutôt que de le combattre, il me semble nécessaire de l’entendre et de changer de cap.

Même si cela ne figure pas à l’ordre du jour de ce Conseil européen, je tenais à dire un mot de la relance du processus d’adhésion avec la Turquie, comme par hasard au lendemain des élections régionales en France – on n’ose imaginer qu’il puisse y avoir un lien…

La Turquie peut éventuellement être un partenaire, à condition qu’un certain nombre de choses soit clarifiées, notamment ses liens troubles, passés ou présents, avec l’État Islamique. Mais la Turquie n’a en aucune manière vocation à rejoindre l’Union européenne. Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire si cette initiative est le seul fait de la Commission ou si le Gouvernement français y a donné son approbation ?

Pour conclure, permettez-moi de vous faire partager une réflexion. L’Union européenne d’aujourd’hui me fait penser à l’URSS de la deuxième moitié des années quatre-vingt : on sait que ça ne fonctionne pas, mais, plutôt que de tout changer, on propose d’aller encore plus loin dans la même direction. Le communisme était alors en train d’échouer, et que proposaient les dirigeants du bloc de l’Est ? D’en faire encore davantage ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) Aujourd’hui, l’Union européenne ne fonctionne pas, eh bien, faisons plus d’Union européenne !

Mme Fabienne Keller. Vous avez épuisé votre temps de parole !

M. David Rachline. Rappelez-vous, cependant, ce qu’est devenue l’URSS...

Mme la présidente. Je vous remercie de conclure, mon cher collègue.

M. David Rachline. Comme sur d’autres sujets, nous n’aimerions pas, encore une fois, avoir eu raison trop tôt...

M. François Marc. Cela ne risque pas d’arriver !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mes chers collègues, une nouvelle fois, la crise migratoire sera à l’agenda du prochain Conseil européen avec, en toile de fond, le problème du contrôle des frontières, une préoccupation devenue encore plus aiguë depuis que l’on sait que deux des auteurs présumés des attentats du 13 novembre, à Paris, s’étaient mêlés au flot des réfugiés syriens pour gagner la France.

Si l’on ne doit pas faire d’amalgame entre réfugiés et terroristes, force est de constater que, depuis les attentats, les portes de l’Europe se ferment : au début du mois de décembre, la Suède a pris des mesures pour stopper l’arrivée des réfugiés sur son sol ; la Belgique a rétabli des contrôles d’identité pour l’accès à son territoire ; la Grèce pourrait être suspendue de l’espace Schengen ; et l’idée d’un « mini Schengen » est avancée par le président néerlandais.

Toutes les initiatives récentes convergent, on le voit, vers un retour au contrôle des frontières nationales.

L’espace Schengen est ainsi dépassé, pour ne pas dire menacé. La solidarité européenne est fortement mise à l’épreuve. Or je tiens à souligner que toute réponse nationale serait insuffisante face à l’ampleur du défi migratoire.

Mais tant que le conflit syrien ne sera pas réglé, les réfugiés continueront d’affluer aux portes de l’Europe, avec le risque de l’infiltration, via des chemins migratoires trop poreux, de quelques-uns des 5 000 citoyens européens embrigadés au sein des organisations terroristes.

Aussi, il est urgent que l’Europe se reprenne, d’une part, pour garantir sa cohésion et, d’autre part, pour conserver une tradition d’accueil conforme aux valeurs qui sont les siennes, tout en se protégeant.

L’espace Schengen s’est voulu une grande ambition au sein de l’Union européenne. Mais lui avons-nous donné les moyens de se réaliser dans les meilleures conditions ? Sans doute pas...

Il ne s’agit pas non plus de dire que rien n’a été fait. Cette année, pas moins de cinq sommets européens se sont emparés de la question migratoire et ont notamment abouti à la politique de relocalisations-réinstallations dont on peut certes contester le rythme, mais qui a le mérite d’exister.

Dans tous les cas, le mécanisme permanent de répartition des réfugiés est toujours apparu, aux yeux du RDSE, comme le moins mauvais des instruments.

L’accord qui vient d’être scellé avec la Turquie pour réduire le flux des réfugiés et des migrants va aussi dans le bon sens, même si Ankara ne s’est pas engagée sur des objectifs chiffrés.

Mes chers collègues, l’espace de Schengen est « partiellement comateux », pour reprendre les propos du président de la Commission, Jean-Claude Juncker. Cependant, nous ne devons pas renoncer à cette zone de libre circulation, car, selon le cabinet Control Risk, la principale menace pour l’économie européenne serait non pas le démantèlement de la zone euro, mais plutôt la fermeture des frontières intra-européennes.

Pour autant, je crois que nous sommes nombreux à partager l’idée qu’il faut revoir le fonctionnement de l’espace Schengen. Il semblerait, monsieur le secrétaire d’État, que plusieurs propositions, sous la pression coordonnée de Paris et de Berlin, pourraient être mises sur la table lors du prochain Conseil. Je pense en particulier à la création d’un corps de gardes-frontières européen ou encore à la refonte du mandat de FRONTEX pour développer ses capacités de contrôle, deux initiatives que le RDSE approuve.

Par ailleurs, pour lutter contre le terrorisme, nous soutenons aussi la demande française de modification de l’article 7, alinéa 2, du code frontières Schengen permettant des contrôles systématiques et coordonnés aux frontières extérieures, réaffirmée par le ministre de l’intérieur, cet après-midi même, à l’Assemblée nationale.

Toujours est-il qu’il faut réagir rapidement. Le Parlement européen ne doit pas s’enliser, comme il l’a fait trop longtemps sur la question du PNR – le fameux fichier des passagers aériens –, qui va enfin voir le jour après des années de tergiversations.

Mes chers collègues, si les enjeux de la crise migratoire sont multiples, c’est l’idée même de l’Union européenne qui serait encore davantage fragilisée si la solidarité et la responsabilité ne se conjuguaient pas très vite pour agir concrètement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains.

M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 2015 restera comme une année noire au cours de laquelle l’Union européenne a évité le naufrage.

La crise ukrainienne, la Grèce, la zone euro, les migrants, les attentats, ont conduit le projet européen au bord du désastre.

Les eurosceptiques clameront malicieusement que la seule Europe qui fonctionne est celle des terroristes, qui circulent entre les États membres et les zones de combat, échangent leurs informations, mutualisent leurs moyens…

Quant aux optimistes – dont je suis, je vous rassure –, ils noteront que, dans l’épreuve, se révèlent souvent les hommes et la solidité des institutions.

L’Europe est donc à la croisée des chemins. Nous pouvons encore éviter sa dislocation, à condition d’être lucides et d’avoir du courage.

Le prochain Conseil européen sera notamment consacré à la crise des migrants. Un sujet complexe, tragique, mais qui n’est que la conséquence de politiques plus générales en matière de sécurité et de défense, de frontières et d’affaires étrangères pour lesquelles l’Union européenne paie comptant ses renoncements ou ses incohérences.

Sur ces faiblesses, l’Union européenne est même violemment attaquée de l’intérieur, pour ses valeurs qu’elle voulait pourtant universelles et sur la base desquelles elle s’est bâtie.

Sur tous ces dossiers, le temps presse désormais. Dans de nombreux États membres, les populations craignent une situation incontrôlable et ont le sentiment que l’Europe les abandonne tout en exigeant des efforts supplémentaires.

À côté des déboires de l’Italie submergée, il faut aussi se représenter la situation en Grèce. Ce pays, exsangue, doit faire face à l’afflux de migrants. Outre le retard grec pris dans la mise en place des hot spots, j’entends que l’enregistrement de milliers d’arrivants se ferait en quelques heures seulement : le relevé électronique des empreintes serait très insuffisant, les ordinateurs manqueraient et la détection de faux documents administratifs resterait très difficile...

Monsieur le secrétaire d’État, quel citoyen européen peut entendre que la sécurité aux frontières extérieures de l’Union soit au mieux l’impuissance, au pire l’anarchie ? Comment progresse, au niveau de l’Union européenne, le projet de création d’un corps de gardes-frontières, à même d’améliorer la situation ?

La France a dit sa disponibilité pour déléguer en Grèce, en Italie, des moyens de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration et de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, pour que les hot spots se mettent en place le plus rapidement possible. Pouvez-vous nous préciser les choses ?

Le passage « aisé » par la Grèce des kamikazes du Stade de France montre combien les problématiques sécuritaires et migratoires sont liées.

En outre, il est impératif que les contrôles permettent de distinguer les réfugiés des migrants économiques. Et si ces derniers ne sont pas éloignés, les hot spots seront rapidement congestionnés, faisant place à des situations qui risquent de dégénérer.

Les autorités européennes menaceraient la Grèce de suspension, voire d’exclusion de l’espace Schengen ? Qu’en est-il vraiment et quelle sera la position de la France ?

Comment en est-on arrivé là ? Gardons à l’esprit que ne pas voir à temps la réalité, c’est s’obliger à toujours devoir courir après, se condamner à l’urgence au détriment de l’anticipation.

Face à cette situation dégradée, je relève quelques avancées, s’agissant notamment du budget de FRONTEX ou du renforcement du fonds Asile, migration et intégration et du fonds pour la sécurité intérieure.

L’opération navale EUNAVFOR Med, désormais baptisée « Sophia », se déploie en Méditerranée avec le concours de la France. Les poursuites pénales devront suivre contre les réseaux criminels. Il faudra aussi agir au plus près des réseaux, dans les eaux territoriales libyennes. Pour ce faire, monsieur le secrétaire d’État, le projet de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies avance-t-il ?

Les rencontres entre les dirigeants européens se multiplient. Un accord a également été trouvé avec la Turquie, ce dont je me félicite. Je souhaite néanmoins que la France s’implique pour suivre l’application effective des mesures annoncées afin qu’elles ne restent pas lettre morte.

Il faut à l’Europe éviter un conflit gelé sur ses frontières et sans doute repenser le Partenariat oriental – j’ai à l’esprit ce qui se passe actuellement en Ukraine – pour qu’il soit davantage un outil au service de la stabilité régionale, sans négliger la Russie.

Pour être autre chose qu’un vaste supermarché, l’Union européenne devra enfin s’affirmer en tant que puissance politique dans un monde en reconfiguration.

En ces moments difficiles, nous avons peut-être une chance historique d’y parvenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe UDI-UC.

M. Yves Pozzo di Borgo. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen des 17 et 18 décembre présente un ordre du jour finalement assez proche de celui qui s’est tenu à la mi-octobre. Je pense notamment à la crise migratoire et au référendum britannique sur la participation de la Grande-Bretagne à l’Union européenne. D’autres sujets d’actualité primordiaux devraient à mon avis y être abordés, j’y reviendrai plus tard.

Concernant le Brexit, sur la genèse duquel je ne reviendrai pas, évitons la caricature et ne considérons pas que, parce qu’il s’agit du Royaume-Uni, la réponse apportée doit se limiter au Royaume-Uni. Au contraire, ces événements doivent nous pousser à réfléchir à l’Europe de demain. Le Brexit doit provoquer une réflexion dynamique sur l’Union européenne. Nous ne pouvons pas nous priver d’une analyse sur son évolution, sur l’existence de plusieurs cercles de pays plus ou moins intégrés dans les politiques européennes, en fonction de leur volonté et de leur capacité d’y participer.

Rappelons ici que notre ancien collègue Pierre Fauchon avait rédigé en 2010 un rapport très enrichissant sur les frontières de l’Europe. Au-delà de l’analyse du processus d’élargissement, ce rapport permettait d’ouvrir des pistes concernant le projet européen et son approfondissement. Le débat institutionnel étant clos pour longtemps avec l’adoption du traité de Lisbonne, Pierre Fauchon listait les thèmes prioritaires pour cet approfondissement : le renforcement de la gouvernance de la zone euro, la construction d’un espace effectif de liberté, de sécurité et de justice, ainsi que le domaine climat-énergie, particulièrement important, surtout au lendemain du succès de la COP 21.

Monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les marges de manœuvre du Gouvernement pour maintenir le Royaume-Uni dans l’Union européenne ? Quelles sont vos positions s’agissant de l’avenir de l’Union et de ses perspectives d’évolutions institutionnelles ?

Concernant la crise migratoire, je n’approfondirai pas mon propos. Il faut simplement s’interroger sur les crispations réelles des pays de l’est de l’Europe et, surtout, lier cette question à celle qui nous touche plus violemment, à savoir l’ouverture de nos frontières.

Comment ne pas évoquer ensuite le sujet majeur qui intéresse notre pays, mais également toute l’Europe, à savoir le risque terroriste ? Après les attentats, toute la France s’est mobilisée et l’état d’urgence a été déclaré. À la suite de ces événements, notre pays a demandé l’aide de l’Union européenne, notamment en faisant valoir l’article 42-7 du traité de l’Union européenne. Des États comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne ont accepté rapidement d’apporter leur soutien. Pour l’Allemagne, c’est une vraie évolution politique, c’est un signe, comme le disait tout à l’heure à huis clos M. Le Drian, lors de son audition par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Néanmoins, tout cela reste très modeste, alors que ces événements auraient pu concerner nos voisins, qui n’en ont pas vraiment pris conscience. L’Union européenne se dit présente, mais c’est largement insuffisant. J’ai eu l’occasion de le rappeler voilà deux semaines avec Jean Bizet et Simon Sutour lors de la réunion plénière de la COSAC, la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires. Lorsque nous sommes intervenus, nous avons bien senti que les autres pays européens, hormis la Grande-Bretagne, n’étaient pas conscients que la guerre et les attentats pouvaient aussi les toucher.

Ces événements ont meurtri notre pays, mais vont aussi représenter un tournant majeur dans nos politiques diplomatiques, de sécurité et de défense, que ce soit au niveau national ou au niveau européen.

Cette situation révèle l’absence cruelle de défense européenne. Il semble nécessaire d’avancer sur ce sujet avec nos partenaires. La construction d’une politique européenne de défense est rendue nécessaire par l’aspect violent et multiforme du terrorisme mené par l’État islamique. Certes, nous avons l’OTAN, mais l’organisation ne conduit pas une politique uniquement européenne, et l’on ne peut pas s’en satisfaire. Alors que les deux niveaux d’intervention sont indispensables, il existe un grand pilier, l’OTAN, et un petit pilier, la défense européenne, qui ressemble plus à une baguette qu’à un véritable pilier.

Les frontières de Schengen ont été renforcées. Finalement, nous fermons en partie notre espace de vie. C’est malheureusement ce que souhaitent les terroristes, à savoir nous humilier, nous faire peur et faire en sorte que nous nous repliions sur nous-mêmes. Il est nécessaire de dégager des marges budgétaires européennes en faveur de FRONTEX, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, et d’amorcer la réflexion sur une défense commune. Les décisions à prendre doivent être rapides et fortes. J’ai appris – l’information doit encore être validée – que la Commission européenne avait décidé de recruter 1 000 gardes-frontières. Selon moi, il faudrait aller beaucoup plus loin.

Pour finir, j’aimerais aborder la question des relations entre l’Union européenne, la Russie et l’Ukraine. Là encore, nous devons tirer les conséquences des événements du 13 novembre, en particulier dans nos relations diplomatiques.

Les accords de Minsk ont abouti – on le doit au Président de la République, je le dis souvent – à l’adoption de sanctions économiques à l’encontre de la Russie. Cette question doit absolument être abordée au cours de ce Conseil européen. Alors qu’une réunion des ministres des affaires étrangères avait été évoquée, il ne semble pas qu’elle aura lieu. Il n’est pas normal qu’une affaire aussi importante soit traitée aussi légèrement. La prolongation de six mois de ces sanctions – la question a été abordée en conseil restreint – mérite un véritable débat.

L’engagement de la Russie à nos côtés – M. Jean-Yves Le Drian évoquait tout à l’heure un déplacement à Moscou sur ce sujet – dans la lutte contre l’État islamique, directement sur son territoire, a forcé notre gouvernement à infléchir son positionnement. Désormais, notre ennemi prioritaire en Syrie est commun, et nous ne pourrons le combattre que conjointement. Ce virage diplomatique est important à mes yeux.

J’estime, monsieur le secrétaire d’État, que nous devons être courageux et demander une levée des sanctions à l’encontre de la Russie, ainsi qu’une levée des sanctions de la Russie à l’encontre de l’Europe, lesquelles pénalisent nos agriculteurs. Il y va de nos relations diplomatiques et économiques. Nous ne pouvons pas continuer à humilier la Russie, alors qu’elle est un acteur incontournable dans le règlement du dossier syrien. Tout le monde y perdra si nous persistons. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain et citoyen.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis maintenant un mois, nous avons pu assister à une accélération des prises de décision concernant les mesures antiterroristes. Chacun comprend bien l’émotion qu’ont suscitée les attentats. Nous ne pouvions rester inactifs. Toutefois, veillons à éviter une trop grande précipitation, qui risquerait d’avoir des effets inverses.

Le PNR, élargi aux vols intraeuropéens, devrait être voté par le Parlement européen d’ici peu. Monsieur le secrétaire d’État, de quels garde-fous disposons-nous s’agissant de l’utilisation de ces données ? Quelle est la position du Gouvernement concernant le souhait de certains parlementaires européens d’élargir le PNR en y incluant des informations relatives aux trajets en train ou en bateau ?

La refonte du code Schengen nous pose également question. D’après certains analystes, les États n’ont jamais été aussi bien équipés pour contrôler les frontières. Dès lors, pourquoi envisager une révision ? Est-ce pour garder une trace électronique des entrées et sorties de l’Union européenne, comme le prévoit déjà la Commission avec le dispositif dit « frontières intelligentes » ?

De plus, la France a fait valoir l’article 42-7 du traité de l’Union européenne, dit clause de défense mutuelle. C’est une grande première dans l’histoire de l’Union européenne. Toutefois, permettez-moi de m’interroger sur les résultats qu’auront les frappes. Neutraliser Daech en Irak et en Syrie est une chose, mais l’empêcher de perpétrer ou d’inspirer des attaques en est une autre. L’Europe ne peut se contenter d’une riposte militaire conventionnelle. Elle doit aussi s’interroger sur sa façon de gérer la radicalisation.

Cette dernière a des causes complexes, chacun le sait, mais l’Union doit élaborer une stratégie commune permettant de refléter la complexité de la question et de couper l’approvisionnement en jeunes recrues de ces mouvements terroristes.

Tout cela soulève une autre question : comment l’Europe traitera-t-elle désormais la crise des réfugiés ? Le fonctionnement des premiers hotspots nous laisse tout de même perplexes quant à la façon dont l’Union européenne aborde cette question. Sur quels critères entend-on « trier » les réfugiés ? Dans quelle mesure prend-on en compte les vulnérabilités de chacun – je pense surtout aux mineurs non accompagnés, dont le nombre est très important en Italie – ? Comment et sur quels critères organise-t-on les retours de ceux qui ne peuvent déposer de demande d’asile ? Autant de questions cruciales qui restent aujourd'hui en suspens. Autant de questions sur lesquelles, monsieur le secrétaire d’État, nous souhaiterions que notre pays soit exemplaire.

Dans cette problématique, nous constatons malheureusement que la Grèce est souvent mise en cause par nombre de commentateurs, car elle serait « une passoire à terroristes ». Il est nécessaire de s’interroger sur les relations que l’Union européenne entretient notamment avec la Turquie sur la question de la gestion des réfugiés.

La conjonction des attentats et de la crise des réfugiés aura des effets sur les relations de l’Europe avec ses pays voisins. Nos valeurs communes ne peuvent être uniquement fondées sur l’économie et la finance. Nous voyons bien où cela nous conduit… Depuis mars 2015, la Banque centrale européenne a décidé d’engager une politique d’« assouplissement quantitatif », qui se traduit par l’injection de 60 milliards d’euros dans les circuits financiers et bancaires des pays de l’Union européenne.

L’objectif était essentiellement de dynamiser les économies nationales, qui sont marquées par une grande atonie, chacun en convient. Comme le concède le président de la BCE, Mario Draghi, « les signes d’un retournement durable de l’inflation sous-jacente se sont quelque peu affaiblis ». Il a même annoncé un réexamen du « degré d’assouplissement de notre politique monétaire ».

Le monde financier est loin d’être sorti de la crise et, avec la création de bulles spéculatives, nous pouvons craindre le pire pour la relance de l’économie.

Monsieur le secrétaire d’État, l’ensemble européen n’est-il pas surtout pénalisé par l’application systématique de politiques austéritaires dans tous les États européens en même temps ? Le FMI s’en est ému à un moment donné. N’est-ce pas justement pour cette raison que l’économie ne repart pas ? Il importerait selon nous, sans se limiter à une politique de l’offre, de veiller à stimuler la demande du point de vue tant des particuliers que des entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain, du RDSE et de l'UDI-UC. – M. Robert del Picchia applaudit également.)