M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour explication de vote.

M. Daniel Dubois. Mme la ministre nous explique qu’il faut étendre le principe de solidarité écologique aux territoires voisins, en quelque sorte, tandis que, selon M. le rapporteur, ce principe sera mis en œuvre finalement dans les futurs réglementations, décrets et autres décisions que prendront ce gouvernement ou les gouvernements qui lui succéderont.

C’est la raison pour laquelle, j’y insiste auprès de mes collègues, j’ai cosigné cet amendement de suppression des alinéas 10 et 11. Je voudrais relire devant vous l’alinéa 11 : « Le principe de solidarité écologique, qui appelle à prendre en compte, dans toute prise de décision publique ayant une incidence notable » – encore faut-il définir ce qu’on entend par là – « sur l’environnement des territoires directement concernés, » – et peut-être même indirectement concernés – « les interactions des écosystèmes, des êtres vivants et des milieux naturels ou aménagés. »

Très clairement, cela signifie que, dès que l’on mettra en œuvre un projet sur n’importe quel territoire, en plus du principe de précaution auquel on est déjà confronté, on se heurtera au principe de solidarité écologique. Pour démontrer l’absence d’impact notable de telle ou telle prise de décision publique sur l’environnement, nous aurons à nous adjoindre les services de toutes sortes d’accompagnants.

Ce principe aura donc une incidence extrêmement lourde. Et qui sera concerné ? Encore une fois, les territoires ruraux, ceux qui y vivent, ceux qui en sont les élus ! C’est pourquoi j’y suis tout à fait opposé.

Avec le principe de précaution, on ne peut plus gérer ni bouger ; avec la loi ALUR, on a gelé tous les terrains dans les territoires ruraux ; avec le principe de solidarité écologique, il faudra tout démontrer.

Mais que peut-on faire encore aujourd’hui dans les territoires ruraux, à part y vivre comme dans des réserves d’Indiens ?

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.

Mme Marie-Christine Blandin. Avant de rassurer M. Pellevat et de lui expliquer pourquoi je ne voterai pas son amendement, je propose à M. Dubois, qui vient de brandir le spectre de lourdes études préalables qui seraient demandées à tout maire rural ayant un projet – effectivement, il y a de quoi avoir peur –, de transformer son alerte en demande adressée à la ministre pour que le décret qu’elle prendra soit raisonnable et ne prévoie pas de nouveaux schémas ou autres, qui font peur à tout le monde.

Je reviens sur l’argumentaire de M. Pellevat.

« Solidarité écologique », c’est effectivement une drôle de dénomination, parce que la solidarité est une valeur humaine qui procède de notre esprit, de notre pensée, de notre cœur, alors que la nature, les bestioles, ne sont pas solidaires avec nous. La seule chose, c’est que l’on en dépend, c’est une solidarité de fait, et cela s’appelle tout simplement l’interdépendance.

Mon cher collègue, vous proposez de supprimer l’alinéa 11 au motif que, selon vous, cela reviendrait à dire que la nature l’emporterait sur l’homme. J’attire votre attention sur la toute fin de l’alinéa, qui vise les « milieux naturels ou aménagés ». Il est question ici non pas de castors, mais de choses élaborées par l’homme. Par conséquent, l’activité économique de l’homme, son activité de bâtisseur sont concernées par cette solidarité écologique.

Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu’on demandera des études d’impact intelligentes, systémiques, prenant en compte toutes les interactions.

Monsieur Dubois, j’entends l’alerte que vous lancez et j’espère que vous serez rassuré à ce sujet. Mais tourner le dos à cette interdépendance, qui est aujourd’hui actée par tout le monde, ce serait dommage, surtout dans un texte sur la biodiversité. Nous sommes tous sur le même bateau planétaire et notre survie dépendra du bon état de fonctionnement de tous les écosystèmes !

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. L’intervention de Daniel Dubois m’amène à m’interroger sur un point. Lorsque l’on parle de l’intervention publique, on vise aussi bien les actions de l’État que celles des collectivités territoriales et des intercommunalités.

Demain, lorsque nous réaliserons des travaux routiers sur le territoire de nos communes, faudra-t-il systématiquement lancer des études d’impact ? Cette question mériterait quand même de la part du Gouvernement quelques précisions. Quelles limites seront apportées à ce principe de solidarité écologique ? Chaque fois qu’il sera envisagé un investissement, pour construire une salle polyvalente, une mairie, un local technique, il faudra s’interroger sur l’impact de ces constructions sur l’environnement ! Jusqu’où ira-t-on ? Jusqu’à présent, les études d’impact étaient menées lors de la réalisation de très grands projets structurants sur le plan national. En revanche, pour des projets purement locaux, il n’a jamais été demandé la moindre étude d’impact !

J’aimerais, concrètement, connaître la limite de l’application de ce principe pour nos collectivités.

M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, pour explication de vote.

M. Gérard Bailly. Je rejoins les propos de nos collègues Daniel Dubois et Alain Vasselle.

Nous sommes nombreux ici à gérer des collectivités locales – commune, département, etc. – et nous avons tous en tête un certain nombre de dossiers qui ont connu des retards considérables – deux ans ou trois ans – parce qu’ils étaient contestés au nom de la protection de telles ou telles petites fleurs, ou de telle ou telle espèce de papillons, de crapauds, d’écrevisses - cela dit, j’ai le plus grand respect pour les écrevisses. (Sourires.) En tant que président de conseil général, je n’ai même jamais pu faire rectifier le virage d’une route départementale particulièrement dangereuse et accidentogène tout simplement parce que poussait en bord de voie, et uniquement là, une certaine variété de fleurs - des collègues m’ont apporté ces mêmes fleurs, cueillies ailleurs…Finalement, les travaux n’ont jamais pu être réalisés et ce virage est toujours aussi dangereux.

Tout cela relève de l’abus. C’est bien pour cette raison qu’il faut laisser dans le texte du projet de loi l’adverbe « directement », et c’est déjà aller bien loin !

Dans le Jura, et je ne pense pas que ce soit un cas particulier, on ne compte aujourd’hui qu’un seul champ photovoltaïque. Madame la ministre, aucun des dossiers qui ont été engagés n’a encore abouti. Sauf un, et encore : il était prévu pour quatorze hectares au départ, mais la commune à l’origine du projet a dû se résoudre à réduire sa taille à huit hectares, la DREAL ayant découvert sur une parcelle une espèce endémique de papillon – heureusement, cet insecte vit également ailleurs. Résultat ? Le coût supplémentaire pour la commune ne sera pas négligeable et elle ne retirera pas de ce champ autant d’énergie renouvelable qu’elle en escomptait au départ.

J’entends bien ce qu’a dit Mme Blandin sur les grands projets, et je suis favorable au débat public, à ces grandes discussions. Mais force est de constater que l’on bute bien souvent sur de toutes petites choses, et si notre pays en est là où il est aujourd’hui, c’est aussi parce qu’on introduit en permanence des contraintes supplémentaires. Ce n’est pas ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui qui améliorera les choses, j’en suis convaincu !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 172 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 226 rectifié et 330 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 268, 303 et 526 rectifié bis.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 304, présenté par M. Dantec, Mme Blandin, M. Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

I. – Après l’alinéa 11

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« 7° Le principe de non-régression en matière d’environnement selon lequel les dispositions législatives et réglementaires nécessaires pour protéger l’environnement et la biodiversité ne doivent pas entraîner un recul dans le niveau de protection déjà atteint. »

II. – Alinéa 14

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. L’étude d’impact annexée à ce projet de loi – page 18 – précise que l’introduction d’un principe de non-régression a été une option suggérée, mais non retenue.

L’étude précise que ce principe peut s’entendre de différentes façons : « une non-régression du droit appliquée à la protection de la biodiversité » ; « une non-régression de la biodiversité, aussi appelée “pas de perte nette de biodiversité”, développée notamment dans la stratégie européenne pour la biodiversité. Aucune de ces deux acceptions n’a malheureusement été retenue.

Il s’agit d’essayer de réintégrer ce principe de non-régression en matière d’environnement, selon lequel les dispositions législatives et réglementaires nécessaires pour protéger l’environnement et la biodiversité ne doivent pas entraîner un recul dans le niveau de protection déjà atteint. Cela rejoint les débats que nous avons eus précédemment.

M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 3 rectifié quater est présenté par M. Cardoux, Mme Cayeux, M. Vasselle, Mme Canayer, MM. Gilles, Pointereau, Milon, Mouiller et Panunzi, Mme Gruny, M. Kennel, Mme Lopez, MM. Bouchet, Laufoaulu, D. Laurent, Trillard, Mandelli, César, Mayet, Lemoyne, Cornu, Morisset et Laménie, Mmes Micouleau et Primas, M. Commeinhes, Mme Giudicelli, M. Charon, Mme Lamure, MM. Vaspart, Doligé, J.P. Fournier, Poniatowski, Genest, Danesi, Grand, Bizet, Pillet, Pellevat, Pinton, de Nicolaÿ, Revet, Lefèvre, B. Fournier, Longuet, Pintat, Vial et Darnaud, Mme Morhet-Richaud, MM. Allizard, Delattre, Masclet, P. Leroy et Lenoir, Mme Deseyne et MM. A. Marc, Dassault, Chasseing, Raison, Gremillet, Luche, Houpert, Savary, Médevielle, Guerriau, D. Dubois et Gournac.

L'amendement n° 81 rectifié ter est présenté par MM. Bérit-Débat, Patriat et Carrère, Mmes Cartron et D. Michel, MM. Vaugrenard, Camani, Labazée, Roux et Manable, Mmes Jourda, Herviaux et Bataille, MM. Montaugé, Lalande, Lorgeoux, J.C. Leroy, Jeansannetas, Chiron et Courteau, Mme Riocreux et MM. Mazuir, Madrelle, Cazeau et Raynal.

L'amendement n° 530 rectifié est présenté par MM. Bertrand, Arnell, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 14

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié quater.

M. Jean-Noël Cardoux. Cet amendement est tout à fait à l’opposé de celui que vient de présenter M. Dantec.

Nous sommes un certain nombre de signataires à penser que ce principe de « non-régression écologique » qui, tel qu’il était issu des travaux de l’Assemblée nationale, devait faire l’objet d’un rapport émis dans les deux ans – nous avons réduit ce délai à un an –, repose sur un système d’une perversité telle qu’elle mérite que l’on y revienne. Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais cela me rappelle « les avantages acquis » dans le dialogue social.

Cela signifie que, pour telle ou telle raison parfaitement fondée à partir d’une étude scientifique – le rapport fait aussi référence aux universitaires ; leurs travaux sont parfois de bonne qualité, mais pas toujours –, on va mettre le monde sous cloche et on n’avancera plus !

Je citerai quelques exemples pour illustrer mon propos.

Je me souviens d’une époque, voilà vingt-cinq ou trente ans, où, dans mon département, les riverains étaient mis en demeure, à juste titre d’ailleurs, de nettoyer le lit de la rivière et de dégager les arbres qui étaient tombés, et ce afin de ne pas provoquer d’inondation. Aujourd’hui, au même endroit, les castors européens sont revenus et ont construit des barrages. Or, bien que les terres soient inondées, on ne peut pas toucher aux castors. Allez faire comprendre au propriétaire qu’il doit aujourd’hui faire procéder, à ses propres frais, à des travaux importants parce qu’à une certaine époque on a décrété l’interdiction de toute élimination de ce rongeur…

Ainsi, ce principe de mise sous cloche de la biodiversité de la nature, en ce qu’il ne permet pas de revenir en arrière quand de mauvaises décisions ont été prises ou d’évoluer quand la situation a changé, ne saurait être satisfaisant.

Je pourrai vous citer d’autres cas, mais cet exemple est éloquent, car il illustre in fine ce à quoi aboutit un système extrêmement pervers dans lequel on aura voulu aller toujours plus loin et demander toujours plus, quitte à interdire tout espace d’utilisation humaine dans la biodiversité.

M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour présenter l'amendement n° 81 rectifié ter.

M. Claude Bérit-Débat. Mon argumentation est identique à celle de M. Cardoux. Je citerai, outre le castor, le cormoran, sur lequel nous ne pourrions pas revenir en arrière, ou le loup, qui fait sans doute débat ici. Avec mes collègues signataires, j’estime qu’il ne faut pas graver ce principe dans le marbre. C’est pourquoi nous proposons de supprimer cet alinéa 14.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour présenter l'amendement n° 530 rectifié.

M. Guillaume Arnell. À défaut de le consacrer au niveau législatif, le présent projet de loi prévoit la remise d’un rapport sur le principe de non-régression, ainsi que sur l’opportunité de l’inscrire au rang des principes généraux du droit de l’environnement. Il aurait pour objet d’empêcher tout retour en arrière en matière de protection de l’environnement.

Si une telle initiative part d’une bonne intention, elle pourrait soulever quelques difficultés juridiques et constituer une source de rigidité. Par exemple, en matière de protection des espèces, comment appliquerait-on un tel principe ? Une espèce aujourd’hui menacée ne le serait pas forcément à l’avenir, conformément à la vision dynamique de la biodiversité retenue par le présent projet de loi.

En outre, cette mesure ne va pas dans le sens de la simplification du droit de l’environnement et vient restreindre la souveraineté de la loi, qui autorise toute modification de cette dernière.

Le présent amendement vise ainsi à supprimer la remise d’un rapport sur l’opportunité d’inscrire ce principe dans le code de l’environnement.

M. le président. L'amendement n° 216, présenté par MM. Antiste, Cornano et Karam, est ainsi libellé :

Alinéa 14

Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :

II. – Le II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« …° Le principe de non-régression en matière d’environnement selon lequel les dispositions législatives et réglementaires nécessaires pour protéger l’environnement et la biodiversité ne doivent pas entraîner un recul dans le niveau de protection déjà atteint. »

La parole est à M. Maurice Antiste.

M. Maurice Antiste. Le principe de non-régression du droit de l’environnement a fait l'objet d’une résolution adoptée au dernier congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature, l’UICN, et il est largement partagé par la communauté de juristes en droit de l’environnement.

C’est un principe d’action identifié lors des états généraux de modernisation du droit de l’environnement, puis validé par le Gouvernement au sein de la feuille de route pour la modernisation du droit de l’environnement.

Il est donc important, dans le cadre de cette loi, d’inscrire le principe de non-régression au rang des principes à valeur législative.

Le principe de non-régression est défini comme « excluant tout abaissement du niveau d’exigence de la protection de l’environnement » qui devrait figurer dans cette loi sur la biodiversité. En effet, la convention sur la diversité biologique de 1992 précise, dans son article 8-K, que chaque partie « maintient en vigueur les dispositions législatives et autres dispositions réglementaires nécessaires pour protéger les espèces et les populations menacées ». Cela implique l’interdiction de supprimer les mesures de protection de la biodiversité et donc de régresser dans le niveau de protection déjà atteint.

La consécration législative du principe de non-régression en matière d’environnement entérinerait une idée déjà largement répandue et réclamée par de nombreux acteurs à l’occasion de la conférence de Rio. Elle permettrait, en outre, de satisfaire à des obligations juridiques au niveau de l’Union européenne.

Comme le prévoit la résolution de l’UICN, il conviendrait idéalement que ce principe, pour qu’il ait toute la portée qu’il mérite, soit adossé à la Constitution au sein de la Charte de l’environnement, et que son champ d’application soit plus large que celui de la biodiversité, ce qui pourrait être également envisagé à l’avenir.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Nous sommes confrontés à plusieurs amendements différents. La commission proposait la rédaction d’un rapport, en reprenant une proposition que le député UDI Bertrand Pancher avait introduite à l’Assemblée nationale, sur l’opportunité d’inscrire un principe de non-régression dans notre droit de l’environnement.

Certains collègues souhaitent inclure d’emblée le principe dans la loi, tandis que d’autres discutent de l’opportunité d’un rapport à ce sujet. Pour notre part, nous proposons la rédaction d’un rapport à la fois sur le principe de non-régression et sur l’opportunité d’inscrire ce principe. Le présent débat comporte donc plusieurs nuances.

Cela fait longtemps que nous nous interrogeons sur ce sujet. Notre législation environnementale en France est d’ailleurs largement influencée par un principe implicite de non-régression affirmé depuis longtemps au niveau de l’Union européenne. Dès 1987 et l’Acte unique, l’objectif de la politique environnementale européenne était en effet non seulement « la préservation et la protection », mais aussi « l’amélioration de la qualité de l’environnement ».

Parallèlement, force est de constater qu’il existe des tentatives de régression, volontaires, ou des circonstances, elles involontaires, aboutissant au même résultat.

Pour avoir rencontré certains experts en la matière, comme la directrice du Centre de recherches interdisciplinaires en droit de l'environnement, de l'aménagement et de l'urbanisme, le CRIDEAU, qui a succédé au professeur Michel Prieur, l’un des grands spécialistes français de l’environnement – nombre d’entre vous les connaissent et ont déjà pris connaissance de leurs recherches –, je sais que leurs travaux sur ce principe sont déjà assez avancés.

Je connais la réticence, pour ne pas dire l’aversion de notre assemblée pour les rapports en général. Ayant intégré cette donnée dans mon logiciel (Sourires.), j’ai essayé, chaque fois que j’en ai eu la possibilité, de supprimer les rapports au profit d’une autre solution. Cela étant, il serait très intéressant d’établir un bilan global sur ce point, peu importe le temps que prendrait une telle démarche, même si une durée d’un an me paraît suffisante, compte tenu de l’état d’avancement des travaux des universitaires spécialisés.

Nous pourrions poser, de façon précise et circonstanciée, les questions de la définition du principe de non-régression, de l’opportunité de l’inscrire dans notre droit, et sous quelle forme. Les réponses obtenues pourraient nous permettre, avant de légiférer, d’avancer de façon construite et prudente sur un sujet dont je comprends qu’il puisse inquiéter, ne serait-ce que compte tenu de l’intitulé du principe.

La commission avait précisé, sur l’initiative de M. Bizet, que les auteurs de ce rapport devaient aussi se prononcer sur le principe. Ce serait effectivement une bonne chose, nous avons déjà eu ce débat.

La commission a émis un avis défavorable sur ces amendements qui s’écartent tous de sa position.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Royal, ministre. Le Gouvernement émet le même avis que la commission s’agissant de l’ajout du principe de non-régression dans le code de l’environnement, car il faudrait effectivement procéder à une mise à plat de l’ensemble des impacts juridiques qu’aurait l’adoption d’une telle mesure. C’est pourquoi le Gouvernement s’est engagé à remettre au Parlement un rapport sur le sujet dans un délai d’une année seulement à compter de la promulgation de la loi.

Par conséquent, je suggère le retrait de l’amendement n° 304. Sur les amendements identiques nos 3 rectifié quater, 81 rectifié ter et 530 rectifié, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée. En revanche, je sollicite le retrait de l’amendement n° 216, pour la même raison que celle que je viens d’exprimer : il est sans doute prématuré de faire figurer directement ce principe dans le droit, sans en avoir mesuré toutes les implications juridiques.

M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.

M. Michel Raison. Je soutiens évidemment l’amendement n° 3 rectifié quater, que j’ai cosigné, comme ceux de mes collègues visant également à supprimer l’alinéa 14.

Ce principe de non-régression pourrait devenir une sorte de « nouveau droit de l’homme ». Je voudrais citer à ce propos un communiqué de Mme la ministre, du 3 avril 2015, dans lequel celle-ci se déclare « très attachée au respect des principes de modernisation du droit de l’environnement qui irrigue ces travaux : non-régression, efficacité et proportionnalité, sécurité juridique, effectivité. »

À l’appui de mon soutien à la suppression de l’alinéa 14, j’invoquerai plusieurs arguments.

Ce principe de non-régression soulève de très nombreuses questions, qui doivent être traitées avant même d’envisager sa possible inscription dans le code de l’environnement. Rédiger un rapport sur ce sujet, c’est mettre le doigt dans un engrenage dangereux.

En outre, doit-on considérer que toute loi traitant de l’environnement est par principe bonne et que les seuils qu’elle fixe ne pourront être revus qu’à la hausse ? Pourquoi le plus serait-il nécessairement associé à un mieux environnemental ? Le progrès est-il synonyme de lois éternelles, immuables ?

M. Michel Raison. Notre histoire politique montre que la survie d’une société dépend de sa capacité à s’adapter au changement, à remettre en cause ce qui semblait acquis.

La prise en compte des générations futures implique également que nous restions modestes au regard des connaissances présentes. À cet égard, la promotion du principe de non-régression relève, de notre part, d’une forme de prétention.

La loi devra peut-être permettre demain ce qu’elle interdit aujourd’hui, du fait des avancées de la science et des connaissances, ainsi que de l’évolution du seuil d’acceptation des risques par la société. Pourquoi entraver notre liberté de décision, d’adaptation et d’évolution au nom d’un principe d’interdiction de remettre en cause ce qui a un jour été inscrit dans un texte de loi ? Cela reviendrait, au demeurant, à supposer que toutes les lois sont correctement écrites et conçues…

Mes chers collègues, voilà pourquoi je vous invite à supprimer l’alinéa 14.

M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.

M. Alain Vasselle. M. le rapporteur s’est montré sensible au fait que la Haute Assemblée ne soit pas très encline à voter la remise de rapports, souvent voués, quand ils sont effectivement publiés, à s’accumuler et à s’empoussiérer dans les ministères…

En l’occurrence, Michel Raison a souligné à juste titre qu’en demandant la rédaction d’un rapport, on risque de mettre le doigt dans un engrenage.

Mes chers collègues, voilà peu, la commission des lois a examiné une proposition de loi constitutionnelle présentée par Rémy Pointereau, vice-président de la commission du développement durable. Ce texte ne concernait que les collectivités territoriales, mais il indiquait très nettement qu’il ne fallait pas aller au-delà de ce que prévoient les normes européennes, qu’il n’était pas la peine d’en rajouter.

Or, au travers de cet amendement, j’ai le sentiment que l’on veut d’ores et déjà aller plus loin que ce que le droit européen nous impose !

Madame la ministre, pas une année ne se passe sans que s’engage une bataille sans fin au sujet des dates d’ouverture ou de fermeture de la chasse de tels ou tels oiseaux migrateurs, par exemple. J’ai ainsi eu l’occasion d’accompagner Mme Roselyne Bachelot, alors ministre de l’environnement, dans un déplacement à Bruxelles pour attirer l’attention des instances européennes sur les difficultés posées par l’application des normes décidées au niveau communautaire.

Nous avons déjà suffisamment à faire avec les normes européennes : n’en rajoutons pas via notre droit national ! Il serait sage que nous ne votions pas la production d’un rapport relatif à la non-régression. Il sera toujours temps de légiférer et de transposer une directive européenne dans notre droit lorsque l’Europe se sera prononcée. Gardons-nous de tout excès de zèle !

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. À mon sens, le débat doit nous permettre d’avancer dans la réflexion, sans rester totalement figés sur nos positions de départ. En l’occurrence, notre discussion montre à quel point un rapport est nécessaire. C’est pourquoi je vais retirer mon amendement, dont le dispositif me semble prématuré.

Je lirai avec attention ce rapport, s’il survit au débat parlementaire, car je voudrais vraiment comprendre quel est l’enjeu.

Lorsqu’on évoque la non-régression du droit de l’environnement, on traite des grands enjeux environnementaux, des atteintes fortes portées à l’environnement, dans une logique de reconquête de la biodiversité. Or j’entends évoquer les cormorans, les dates d’ouverture et de fermeture de la chasse à l’oie… Ce n’est pas le sujet ici : le débat se situe à un autre niveau. Au demeurant, les amendements tendant à supprimer le rapport en question sont surtout défendus par les membres d’un certain groupe politique.

Je le répète, l’élaboration d’un rapport me semble nécessaire pour préciser les enjeux. Je retire mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 304 est retiré.

La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour explication de vote.

M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur Dantec, vous venez d’admettre que vous ne compreniez pas vous-même de quoi il s’agit, d’où votre appel à la remise d’un rapport. (M. Ronan Dantec proteste.) Certes, il est un peu délicat de débattre de quelque chose que l’on ne comprend pas…