Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret, pour présenter l’amendement n° 19.

M. Claude Malhuret. Je suis tout simplement choqué de la rédaction de cet alinéa. Cette présentation des faits est impensable, elle est à l’exact opposé de la réalité. Les sanctions auraient des conséquences négatives sur les relations entre l’Union européenne et la Russie ? Mais la cause des détériorations de ces relations, c’est l’invasion de l’Ukraine et l’annexion de la Crimée !

M. Claude Malhuret. Ainsi, nous serions encore les coupables, les méchants ! Il y a là un retournement de la charge de la preuve qui nous désigne comme les responsables de la situation. Est-ce que ce sont les armées européennes qui sont en Ukraine ? Est-ce l’Europe qui a annexé la Crimée ? Le lobby pro-russe présente toujours les choses de la même façon, sous l’inspiration directe de la propagande russe elle-même : les Russes sont les gentils, les bad boys sont les Européens et les Américains.

Rappelons tout de même que la réaction européenne et américaine a été particulièrement modérée. À Washington, M. Obama a refusé, contre l’avis de la plupart de ses conseillers, de fournir des armes à l’Ukraine. L’Europe s’est contentée de sanctions et des accords de Minsk, contre une invasion et une annexion. Et nous serions les responsables ?

On nous présentait déjà les choses comme cela auparavant. Combien de fois nous a-t-on dit que l’Europe avait été imprudente en proposant des accords à l’Ukraine ? C’était pourtant le minimum ! Nous avons toujours pris la précaution d’annoncer que l’Ukraine n’entrerait pas dans l’OTAN, nous lui avons proposé un simple accord commercial – je suis bien placé pour le savoir, je l’ai présenté au Sénat – comme à des dizaines de pays dans le monde.

C’était déjà trop. C’était déjà une provocation aux yeux de Vladimir Poutine ! Dans quel monde vivons-nous, où certains estiment normal qu’un accord commercial soit suivi d’une invasion en représailles ? Depuis quand un pays indépendant, l’Ukraine, n’est-il pas libre d’établir des accords commerciaux avec qui il veut ? Il ne s’agissait pas d’un accord militaire, d’un accord de défense pour contrer une éventuelle agression, mais seulement d’un accord commercial. C’était déjà une provocation !

J’ai beaucoup apprécié le raisonnement de M. le secrétaire d’État : bien entendu, les sanctions emportent des conséquences négatives à court terme, parce qu’elles sont là pour faire en sorte qu’à long terme, les conséquences, beaucoup plus négatives de la situation, cessent et que le droit international soit respecté.

Non, ce ne sont pas les sanctions qui sont responsables de la détérioration des relations.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements identiques ?

Mme Josette Durrieu, rapporteur. Permettez-moi deux observations. La première est destinée à Nathalie Goulet : il n’est absolument pas question dans le texte ni dans nos esprits respectifs de lever les sanctions. Ce n’est pas l’objet du débat d’aujourd’hui.

On ne peut pas dire imprudemment que le Sénat a demandé la levée des sanctions : la demande vient de l’Assemblée nationale. Soyons prudents ! Nous rétablissons, au contraire, l’équilibre, et nous nous positionnons de façon sage.

Les causes sont suffisamment graves, vous l’avez dit, monsieur Malhuret. Personne ici n’a omis de rappeler que l’Ukraine a été agressée et que la Crimée a été annexée. C’est clair dans nos esprits.

Deuxième observation, j’entends ce que vient de dire M. Malhuret, et cela correspond absolument à ce que nous craignions : la situation se dégrade et nous allons au-devant d’un risque évident de redémarrage du conflit.

Comme personne, ici, ne veut l’usage de la force, nous retombons sur nos pieds en suivant la commission. On ne peut nier que les sanctions diplomatiques et individuelles ont rendu plus difficile la conduite du dialogue avec la Russie. Il est nécessaire de le réamorcer, mais avec les parlementaires. Tout cela me semble se mettre en cohérence.

Quant aux sanctions sectorielles, elles ont produit un effet économique, c’était l’objectif, d’un côté comme de l’autre, nous l’avions montré dans notre rapport d’octobre dernier. Pour ne citer que les chiffres que les uns et les autres ont repris, le FMI estime à 1,5 point de PIB l’effet économique des sanctions sur la Russie ; les exportations de l’Union européenne vers la Russie ont diminué de plus de 40 % durant l’année 2015.

Incontestablement, ces sanctions ne suffisent pas à débloquer la situation. Alors, que voulons-nous ? Poursuivre vers ce conflit que nous voyons se réamorcer ou tenter de débloquer la situation politique par un dialogue avec les parlementaires ?

M. Jean Bizet. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Sur ces trois amendements identiques, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Les précisions qu’a apportées Mme Durrieu au sujet des sanctions sont tout à fait nécessaires. En relisant le texte, je constate que nous sommes en effet tout à fait d’accord, madame la rapporteur.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.

M. Alain Fouché. Monsieur Leconte, on ne peut pas dire, naturellement, que les problèmes des pays concernés ne sont dus qu’aux sanctions.

On constate pourtant la responsabilité de l’embargo sur un certain nombre de licenciements. Beaucoup de parlementaires connaissent des entreprises qui subissent des dégâts du fait de l’embargo. Un grand désarroi règne parmi les hommes d’affaires français en Russie, les agriculteurs subissent des pertes d’exploitation très importantes, ainsi que les industriels.

Je pourrais citer beaucoup d’exemples, dans différentes régions. Dans mon département est installée la plus importante entreprise de porcelaine de France : Deshoulières APILCO Porcelaine de Sologne. Cette entreprise employant trois cents personnes a rencontré de grosses difficultés en 2002, qui ont conduit à son rachat par des Russes, lesquels ont injecté 70 millions d’euros. Ils disposaient d’une usine à Saint-Pétersbourg.

Aujourd’hui, ils font face à des problèmes en raison de l’embargo. Ils ont investi dans le pétrole et dans les banques et toutes leurs affaires en Russie souffrent. De ce fait, ils se dégagent totalement de l’entreprise de ma ville. Ils sont partis, et celle-ci est en redressement. Comme il n’y aura sans doute pas de repreneur, elle risque d’être mise en liquidation.

Il faut donc mesurer les effets de l’embargo, qui sont négatifs pour un certain nombre d’entreprises. Au cours d’une réunion organisée par l’excellent président du groupe d’amitié, notre collègue Jean Bizet disait que les échanges de la France avec la Russie subissaient une baisse considérable, quand ceux des Américains – qui ne manquent pas une occasion de nous donner des leçons ! – connaissent une augmentation considérable. Apparemment, tout le monde ne partage donc pas la même conception !

On ne peut donc pas dire que ces sanctions n’emportent pas de conséquences fâcheuses pour l’économie russe, mais aussi pour l’économie française.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je suis absolument d’accord avec ce que vient de dire notre collègue Fouché.

J’ai été un peu trop vif tout à l’heure et j’ai corrigé en disant qu’il y avait bien d’autres causes et pas exclusivement les sanctions. Effectivement, le cas que vous nous indiquez est lié aux sanctions. Cependant, j’attire votre attention sur le fait que l’on ne peut pas considérer les seules sanctions européennes, en particulier concernant le financement des entreprises. Je connais des exemples d’investissements russes en France et dans plusieurs pays européens, ou encore en Serbie, qui sont bloqués.

En réalité, il faut tenir compte des sanctions européennes, mais aussi des sanctions américaines. Même si l’Europe lève toutes les sanctions, les entreprises bloquées pour les raisons que vous indiquez ne pourront rien faire parce qu’elles seront toujours visées par les sanctions américaines, qui visent l’ensemble des financements. Les banques françaises, vous le savez bien, n’agissent pas dès lors que plane la menace d’une sanction américaine. C’est vrai pour l’Iran, c’est vrai pour la Russie. Le problème est général pour le commerce qui n’est pas nécessairement sous embargo entre l’Union européenne et la Russie.

En l’absence d’une parole forte de l’Union européenne avec les États-Unis pour éviter que les sanctions américaines ne s’imposent unilatéralement sur les entreprises européennes, les entreprises n’obtiendront pas les financements, quelle que soit la position de l’Union européenne. Pendant que les banques françaises ont peur des amendes américaines, il faut savoir que Goldman Sachs finance des milliards d’euros d’investissements vers la Russie.

Ne disons pas que tout vient des sanctions européennes. Si nous voulons travailler sur le blocage des entreprises et sur les cas que vous indiquez, sachons que même la levée des sanctions européennes ne résoudra pas le moindre problème tant que l’Union européenne n’aura pas coordonné sa politique de sanctions avec celle des États-Unis. Je regrette que ce point fondamental ne figure pas dans la résolution. Il est inexact de faire croire que la difficulté sera résolue en votant cette résolution !

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. C’est vrai aussi pour l’Iran.

Nous avons un problème global dans la manière dont les sanctions sont mises en œuvre parce que les États-Unis ont une pratique différente. L’Union européenne doit s’impliquer dans cette affaire.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet, pour explication de vote.

M. Jean Bizet. Permettez-moi de rebondir sur les derniers propos qui viennent d’être tenus par notre collègue Leconte. Si je suis globalement en désaccord avec l’ensemble de ses amendements, je suis en revanche tout à fait d’accord avec lui lorsqu’il fait état de l’extraterritorialité des lois américaines, mais ce n’est pas l’objet de la proposition de résolution.

Nous sommes précisément en train d’aborder le sujet collatéralement dans le cadre du traité transatlantique, où il nous faut affirmer la puissance de l’Europe en la matière. Les textes sont prêts, mais il manque de la cohérence entre les vingt-huit États membres. L’extraterritorialité des lois américaines est un sujet sur lequel nous pourrons nous retrouver ultérieurement.

Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6, 13 et 19.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 20, présenté par M. Malhuret, est ainsi libellé :

Alinéa 17

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Nous en arrivons à un sujet de fond de cette résolution. Monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, il faut vraiment que le Gouvernement donne sa position dans cette affaire par rapport à la Russie et par rapport à nos engagements européens, et vous avez commencé à le faire.

Jusqu’à présent, en définitive, les choses étaient assez simples. À l’Assemblée nationale, le groupe socialiste s’est opposé, avec votre accord, à une résolution scandaleuse préconisant la levée immédiate de toutes les sanctions, résolution proposée par une conjonction d’idiots utiles, comme les appelait Lénine, qui n’ont pas encore compris que Poutine était un dictateur, et de professionnels de l’antiaméricanisme et de l’antieuropéisme, pour lesquels, lorsque la Russie envahit l’Ukraine et la Crimée, c’est la faute des Américains et de l’Europe !

Aujourd'hui, la résolution que nous étudions est présentée notamment par un sénateur socialiste et il apparaît qu’elle va être votée par son groupe. En tout cas, elle l’a été en commission. Certes, cette résolution est moins indécente que celle de l’Assemblée nationale, mais elle n’en traduit pas moins un changement de cap radical puisqu’elle prend le contre-pied des accords de Minsk, pourtant négociés par le Président de la République.

Je voudrais vous poser directement la question, monsieur le secrétaire d'État : le Gouvernement a-t-il changé de position ? Est-il désormais pour une levée progressive des sanctions avant même que toutes les conditions des accords de Minsk ne soient réunies ? Le Gouvernement est-il prêt à lever sans aucune condition, comme l’indique la résolution et contrairement à ce que dit Mme Durrieu, les sanctions contre les parlementaires russes qui ont appelé à l’invasion de l’Ukraine et de la Crimée ?

Vous avez déjà répondu, monsieur le secrétaire d'État, et j’ai cru comprendre que le Gouvernement s’en tenait exclusivement aux accords de Minsk. Je voudrais que vous le confirmiez, car si vous donnez un avis favorable sur ce texte ou si vous vous en remettez à la sagesse du Sénat, les commentateurs et nos alliés, à la veille du sommet européen de la fin juin, comprendront qu’il s’agit d’un infléchissement de la position française. Si nous votons cette résolution, les journaux titreront demain, ne nous faisons aucune illusion : « La France pour une levée partielle des sanctions » !

J’aimerais donc que vous répétiez, monsieur le secrétaire d'État, la position qui me paraissait très ferme et très agréable à mes oreilles que vous avez exprimée en début de séance.

Mme la présidente. L'amendement n° 7, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :

Alinéa 17

Rédiger ainsi cet alinéa :

Appelle de ses vœux une évaluation puis un allégement progressif et partiel du régime des sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Russie, en particulier des sanctions économiques, en liant tout allégement à des progrès significatifs et ciblés dans la mise en œuvre des accords de Minsk par rapport à la situation prévalant au moment de l’adoption, le 12 février 2015, de l’ensemble des mesures sur l’application des accords, et invite le Gouvernement à coordonner avec les États-Unis d’Amérique cette évaluation ainsi que l’évolution des sanctions afin que celles appliquées par les États-Unis d’Amérique n’impactent pas nos entreprises tandis qu’elles laissent les entreprises américaines en mesure d’obtenir des dérogations aux sanctions par l’intermédiaire de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) ;

La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Vous remarquerez, même si je suis d’accord avec mon collègue Malhuret sur le fond, que cet amendement diffère du sien. Je dis à ceux qui souhaiteraient une évolution progressive des sanctions que cela ne sert à rien tant que l’on ne travaille pas avec les États-Unis d’Amérique sur l’évolution de leurs sanctions. À défaut, vous dites aux entreprises que vous réglez leur problème, mais il n’en est rien !

Je suis favorable à l’amendement de Claude Malhuret, mais j’invite ceux qui souhaitent une évolution progressive des sanctions à travailler pour qu’elles évoluent réellement, non pas dans les déclarations européennes, mais dans la manière dont elles s’appliquent aux entreprises.

Mme la présidente. L'amendement n° 15, présenté par M. Maurey, est ainsi libellé :

Alinéa 17

Remplacer les mots :

à des progrès significatifs et ciblés dans la mise en œuvre des accords de Minsk par rapport à la situation prévalant au moment de l’adoption, le 12 février 2015, de l’ensemble des mesures sur l’application des accords

par les mots :

au plein respect des accords de Minsk et en particulier du cessez-le-feu dans le Donbass

J’appelle également en discussion l'amendement n° 16, toujours présenté par M. Maurey, et ainsi libellé :

Alinéa 17

Supprimer les mots :

par rapport à la situation prévalant au moment de l’adoption, le 12 février 2015, de l’ensemble des mesures sur l’application des accords

La parole est à M. Hervé Maurey, pour présenter ces deux amendements.

M. Hervé Maurey. Ces deux amendements visent à ce que la levée des sanctions soit directement liée au respect des accords de Minsk, notamment à la question du cessez-le-feu dans le Donbass.

Comme je l’ai rappelé précédemment, pour rebondir sur la demande adressée par M. Malhuret à M. le secrétaire d'État, le Président de la République a réaffirmé, voilà quelques jours seulement, qu’une levée des sanctions, même progressive, dépendait d’un cessez-le-feu dans le Donbass et de l’organisation d’élections en Ukraine, les deux étant liés tant il est difficile d’organiser des élections sur un territoire où le cessez-le-feu n’est pas respecté.

J’attends donc avec beaucoup d’impatience, moi aussi, la position du Gouvernement.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 20, 7, 15 et 16 ?

M. Robert del Picchia, rapporteur. L’amendement n° 20 de M. Malhuret tend à supprimer ce qui est l’objet même de la résolution, à savoir un allégement progressif et partiel du régime de sanctions de l’Union européenne en fonction de progrès significatifs et ciblés dans la mise en œuvre des accords de Minsk.

L’adaptation proposée vise à doter le régime de sanctions d’un caractère incitatif, alors que dans sa forme actuelle il contribue à figer la situation et empêche le progrès. La commission a donc émis un avis défavorable sur l’amendement n° 20.

Concernant l’amendement n° 7, monsieur Leconte, faire entrer les États-Unis dans le jeu nous paraît tout à fait malvenu. Ce serait donner raison à la Russie, qui dénonce volontiers un alignement de l’Union européenne sur les États-Unis. Je pense que nous devons veiller, au contraire, à conforter notre indépendance tant dans notre analyse que dans notre action.

Le format « Normandie », c’est d’abord la France et l’Allemagne et, à travers elles, l’Europe. L’avis de la commission est donc très défavorable.

L’amendement n° 15 de M. Maurey tend à supprimer toute référence à des progrès significatifs et ciblés, à conditionner tout allégement des sanctions à la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk. Cela va à l’encontre du dispositif prévu par la résolution que nous soutenons.

Les qualificatifs « significatifs et ciblés », s’agissant des progrès, sont importants, parce qu’ils font écho à la ligne exprimée par le Président de la République et le ministre allemand des affaires étrangères, qui, dans deux récentes déclarations, ont évoqué la possibilité d’une modulation des sanctions ou d’une levée graduelle en fonction de l’application des accords. Il est donc souhaitable d’employer ces mêmes termes pour marquer notre soutien à la position diplomatique française.

L’amendement n° 16, qui est un amendement de repli par rapport au précédent, vise à changer la situation de référence pour apprécier les progrès enregistrés. Cependant, sa portée ne nous semble pas évidente. Pour que la disposition de l’alinéa 17 soit pleinement opérante, nous pensons qu’il est nécessaire de définir clairement une situation de référence. L’avis de la commission est donc également défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Madame la présidente, ces quatre amendements sont très différents.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’amendement n° 7, dont la deuxième partie, comme cela vient d’être souligné par le rapporteur, introduit un lien qui n’a pas lieu d’être établi entre une décision européenne et la politique de sanctions des États-Unis.

Nous dialoguons évidemment avec les États-Unis, avec tous les acteurs de la communauté internationale pour œuvrer dans le même sens à la résolution du conflit en Ukraine. Je tiens à préciser, d’abord, que la politique de la France est indépendante. Ensuite, elle vise à l’existence d’une unité européenne. Même si des débats ont lieu entre les États membres de l’Union européenne, nous avons toujours eu pour ligne de conduite, premièrement, de viser à créer les conditions du retour à un dialogue politique entre la Russie et l’Ukraine pour une résolution diplomatique du conflit et, deuxièmement, de faire en sorte que les Européens prennent à l’unanimité, à chaque étape, des décisions concernant les sanctions, leur extension et le lien avec la mise en œuvre complète de la feuille de route de Minsk. De ce point de vue, notre position n’a pas changé - et là, je réponds à Claude Malhuret.

C'est pourquoi, d'ailleurs, nous nous en remettons à la sagesse du Sénat sur les amendements nos 20, 15 et 16.

La levée des sanctions est liée à la mise en route des accords de Minsk. Notre position n’a pas changé. Le Président de la République a d'ailleurs eu l’occasion de s’exprimer, le 27 mai, à l’occasion du G7 : « Les sanctions seront modulées en fonction de l’application, notamment par la partie russe, de l’accord de Minsk. » Il ajoutait : « Les sanctions seront donc maintenues tant que ce processus n’est pas pleinement mis en œuvre, mais elles peuvent être modulées s’il est prouvé que cet accord se trouve appliqué. »

Cette position doit être exprimée de façon extrêmement claire, parce qu’elle est comprise par les deux parties au conflit. Je l’ai dit tout à l’heure, nous demandons aux deux parties d’honorer les engagements qu’elles ont pris, au terme des accords qui ont été négociés à Minsk, en présence du Président de la République et de la chancelière d’Allemagne. L’Ukraine doit mettre en œuvre un certain nombre de réformes et la Russie faire cesser les combats par les séparatistes, permettre à l’OSCE d’installer la mission d’observation, faire en sorte que les élections puissent être organisées et reconnaître l’intégrité territoriale de l’Ukraine et sa frontière internationale.

Je ne reviens pas sur les autres éléments qui ont été rappelés de façon très juste par les différents orateurs.

Il n’est donc pas contradictoire de dire que la levée des sanctions est liée à la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk et que nous encourageons chacune des deux parties à progresser dans cette voie, que les sanctions, de même qu’elles ont été renforcées quand les engagements n’étaient pas tenus, peuvent être modulées, progressivement levées au fur et à mesure de l’accomplissement des engagements.

De même, si les accords de Minsk étaient mis en œuvre, et nous faisons tout pour qu’ils le soient le plus vite possible, puis de nouveau remis en cause, les sanctions pourraient être rétablies. Il existe vraiment, à présent, une position européenne commune qui établit clairement ce lien. Nous pensons que c’est l’intérêt de l’Ukraine et de la Russie, et qu’il n’y a pas d’autre voie à la résolution de ce conflit.

Je me suis permis d’intervenir un peu longuement, madame la présidente, le sénateur Malhuret ayant souhaité que le Gouvernement précise, à l’occasion de l’examen de ces amendements à l’alinéa 17, la position qui est la sienne. Cependant, sur ces trois amendements, nous nous en remettons à la sagesse du Sénat, à qui il revient de décider. Que ces amendements soient ou non adoptés, excepté l'amendement n° 7 faisant le lien avec les décisions d’un autre État, les États-Unis, nous pensons que la clarté de notre position n’est pas remise en cause.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Notre collègue Malhuret ayant posé le problème sur ce terrain-là, je voulais simplement lui faire observer que tous les idiots utiles présents dans cet hémicycle ne sont pas tous utiles au même pays !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Concernant la liaison avec les États-Unis, comme je le disais à propos d’amendements précédents, si nous ne disons pas les choses telles qu’elles sont, nous ne sommes pas crédibles.

Nos banques acceptent-elles de travailler sur les transactions autorisées avec la Russie ? La réponse est non ! Nos banques acceptent-elles de travailler sur des transactions autorisées avec l’Iran ? La réponse est non ! Pourquoi ? Parce que, effectivement, un autre pays entre en jeu.

À partir de là, nous pouvons laisser penser que nous pouvons un jour décider seuls de lever les sanctions, mais c’est faux, non pas que nous soyons soumis, mais parce que nous avons un défi à relever et que notre souveraineté est atteinte. Je préfère que nous en soyons conscients, parce que les entreprises qui souffrent aujourd'hui des sanctions savent parfaitement qu’elles ne pourront retrouver aucune activité tant que la décision n’aura pas été prise aussi de l’autre côté de l’Atlantique. Il est préférable de le dire. Ce n’est pas de la soumission, c’est une observation, et la connaissance est le début de l’émancipation.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. Je ne m’exprimerai pas à cet instant en qualité de président du groupe d’amitié France-Russie. J’estime que ces groupes d’amitié doivent être l’occasion d’approfondir les connaissances mutuelles, mais qu’il appartient aux commissions compétentes d’exprimer leur conviction et, naturellement, à chacun des groupes et à l’assemblée de prendre parti.

Je voudrais traiter un sujet que mon collègue et ami Claude Malhuret a évoqué sur un mode qui me paraît excessif.

Il n’appartient pas aux entreprises françaises, aux paysans français de payer directement l’instabilité d’une partie du monde qui n’a connu l’ordre que dans le cadre stalinien.

Car le problème ukrainien est ancien. Certes, Anne de Kiev a été reine de France, mais, soyons honnêtes, cette région du centre de l’Europe était en proie à un immense désordre et à des conflits entre l’Ouest et l’Est bien avant que ces concepts n’existassent. Que la Grande Catherine ait absorbé l’Ukraine et imposé à la Pologne une annexion avec la complicité de l’Autriche, c’est une certitude. Que Vladimir Poutine ne soit pas le modèle de démocrate auquel nous sommes habitués en Europe de l’Ouest, c’est aussi une certitude. Mais il n’est pas à l’origine du désordre ukrainien, il en est l’héritier.

C’est une très longue histoire, que les trente-huit secondes de temps de parole qui me restent ne me permettent pas d’évoquer.

M. Poutine essaye peut-être de marquer un point, mais est-ce à l’économie française de payer pour un désordre dont elle n’est nullement responsable et qui relève – vous avez raison de le souligner, monsieur le secrétaire d’État – d’une conviction européenne forte et constante ? Je vous pose la question, mes chers collègues.

Cette résolution est compatible avec les convictions européennes, et l’avis de sagesse du Gouvernement montre d’ailleurs que vous êtes extrêmement partagé, monsieur le secrétaire d’État.

Nous faisons notre travail de parlementaires, nous exprimons une conviction et cette conviction est que les intérêts français ne doivent pas être sacrifiés à un désordre séculaire. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.