M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’arguties d’un autre siècle, ma chère collègue. Nous ne sommes pas favorables à la politique conduite par le Gouvernement, notamment la modulation des allocations familiales.

Madame Bricq déclarait que la politique familiale devait contribuer à lutter contre la pauvreté.

Mme Nicole Bricq. Exactement !

Mme Annie David. Je suis désolé de le dire, mais je ne le pense pas.

Nous débattons du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et non du projet de loi de finances, qui traitera de la politique de lutte contre la pauvreté au travers de ses différentes missions budgétaires. Nous parlons de la branche famille du projet de loi de financement de la sécurité sociale ; c’est une branche à part entière. Nous sommes là pour faire en sorte que la politique familiale conserve son universalité. C’est une dimension qu’elle a perdue avec la modulation des allocations familiales.

Mme Nicole Bricq. On a déjà eu ce débat !

Mme Annie David. Ma collègue Laurence Cohen a évoqué la prime de naissance. Notre amendement sur le sujet a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40.

D’ailleurs, cette décision est incompréhensible ! L’amendement tendait simplement à anticiper d’un mois le versement de la prime de naissance par rapport à la date à laquelle il était prévu de la verser, ce qui n’entraînait en soi aucune dépense supplémentaire. Mais il a été déclaré irrecevable. C’est encore l’un des mystères du fameux article 40 et de la doctrine de la commission des finances !

Nous contestons également le congé parental tel qu’il a été modifié, comme je l’ai expliqué. Le groupe CRC n’est pas vraiment favorable à la politique familiale du Gouvernement. C'est la raison pour laquelle nous voterons en faveur de l’amendement de suppression de l’article 29 !

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Madame la ministre, à vous entendre défendre votre politique familiale, je me dis que les Français sont bien ingrats et n’ont pas beaucoup de reconnaissance à votre égard ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Quelque part, on peut les comprendre. De nombreuses difficultés remontent du terrain, quand on s’y rend, que ce soit dans les villes ou dans les zones rurales toujours plus désertifiées. On voit bien que les inégalités n’ont fait que s’accroître. Elles ne se sont absolument pas résorbées. Il y a donc un problème sociétal particulièrement important.

En tout cas, l’universalité des allocations familiales différenciait la politique familiale de la politique sociale. Vous avez fait un mélange des genres à des fins strictement financières ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. René-Paul Savary. Vous ne pouvez pas récolter ce que vous avez mal semé ! Il faut arrêter de s’en prendre aux familles qui gagnent une certaine somme d’argent. Ce sont elles qui entretiendront la société en consommant plus, en faisant plus d’enfants et contribueront donc à ce que la natalité soit plus élevée en France que dans les pays voisins. Il faut conserver une politique qui favorise la natalité !

Mme Nicole Bricq. Cela n’a rien à voir ! On ne fait pas des enfants pour toucher des primes !

M. René-Paul Savary. La politique familiale a été mise à mal ; il sera grand temps de la restaurer dès l’an prochain !

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.

M. Dominique de Legge. En effet, nous n’avons pas la même conception que vous de la politique familiale, madame Bricq ! Lutter contre les inégalités et la pauvreté, c’est très bien ; mais ce n’est pas le rôle de la politique familiale.

Depuis 1945, tous les régimes et tous les gouvernements étaient parvenus à trouver un consensus en matière de politique familiale. Or je constate que la seule courbe que vous ayez réussi à infléchir ces dernières années, c’est celle de la démographie !

Vous pouvez peut-être vous vanter d’avoir remis les comptes de la branche famille à l’équilibre, et encore avec quels artifices, mais vous oubliez une chose : la politique familiale représente un investissement, et non une dépense de fonctionnement. Elle conditionne évidemment la croissance, mais aussi l’équilibre du régime des retraites demain et après-demain !

Alors, une fois de plus, vous menez une politique à courte vue, consistant à remettre les conséquences de vos décisions à ceux qui vous succéderont demain. Effectivement, vous n’avez pas compris ce qu’est la politique familiale ! La politique familiale, c’est avant tout un enjeu de transmission et de continuité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.

M. Daniel Chasseing. Je rejoins tout à fait les propos de Mme la rapporteur.

Il n’est effectivement pas toujours facile de gouverner ; il faut savoir faire des choix. Mais, quand on nourrit un espoir pour l’avenir, on doit faire en sorte que les familles soient mieux traitées.

C’est pourquoi il faut désirer l’atténuation de la modulation des allocations familiales ou sa suppression. Les études de la CNAF montrent à cet égard que les familles disposant de revenus moyens sont tout de même lésées par une telle mesure.

Il faut également aider les familles défavorisées ; vous l’avez dit, madame la ministre. Mais il convient aussi de conserver l’esprit universel de 1945, et de diminuer le montant des cotisations sur les emplois à domicile, qui ont été malmenés. C’est une piste importante pour les familles.

Certes, je salue la récupération des pensions alimentaires : il existe beaucoup de familles monoparentales en France. Mais je voterai tout de même l’amendement de Mme la rapporteur.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour explication de vote.

Mme Évelyne Yonnet. Ce matin, on a annoncé sur France Info que près de 3 millions d’enfants étaient considérés comme vivant sous le seuil de pauvreté avec leurs parents. Cela fait donc 11 millions de pauvres en France au total !

Mes chers collègues, nous ne sommes plus en 1945 ! À l’époque, quand les allocations n’existaient pas, on parlait des « enfants de la patrie ». C’était l’époque du service militaire. Nous ne sommes plus dans cette logique ; nous sommes en 2016 !

Aujourd’hui, sans les allocations familiales que touchent leurs parents, beaucoup d’enfants ne mangeraient pas à leur faim ! Ouvrez les yeux, mes chers collègues ! La misère augmente partout, pas seulement dans notre pays !

Peu importe que les prestations familiales soient versées par l’intermédiaire du quotient familial ou d’une politique de redistribution ! Pensez à ces 3 millions d’enfants ! Franchement, envisager de supprimer un chapitre entier du texte sur la politique familiale, c’est aberrant !

M. le président. La parole est à Mme Caroline Cayeux, rapporteur.

Mme Caroline Cayeux, rapporteur. Nous ne pouvons que constater que nous ne partageons pas la même philosophie en matière de politique familiale. Cela ne vous étonnera pas plus que moi !

Cela étant, j’ai apprécié votre mesure concernant le recouvrement des pensions alimentaires. C’est important.

En revanche, l’équilibre des comptes dont vous vous enorgueillissez – nous venons à nouveau d’en être témoins – est totalement artificiel. Il découle de ponctions magistrales sur les budgets des familles, de la modulation, d’une réduction d’un an du congé parental ou encore du versement retardé de la prime à la naissance.

Je ne peux pas admettre que notre collègue Nicole Bricq nous donne des leçons en matière de plans de lutte contre la pauvreté.

Mme Nicole Bricq. C’est la réalité !

Mme Caroline Cayeux, rapporteur. Dans la ville que je gère, nous mettons aussi en œuvre un certain nombre de dispositifs pour apporter un soutien, notamment au travers d’aides municipales, aux familles vivant sous le seuil de pauvreté.

En outre, je ne saurai trop vous conseiller d’examiner avec attention certains programmes des candidats aux primaires. Certains d’entre eux souhaitent effectivement lancer de grands plans de lutte contre la pauvreté, votés, chaque année, par le Parlement, ce que votre gouvernement n’a absolument pas fait.

De toute évidence, nous ne poursuivons pas la même logique. Je n’entends pas voter un article contraire aux valeurs auxquelles je crois. C’est pourquoi je souhaite la suppression de cet article 29.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 79.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 29 est supprimé.

Titre II

DISPOSITIONS RELATIVES À L’ASSURANCE VIEILLESSE

Article 29
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017
Article 30 bis (nouveau)

Article 30

I. – L’article L. 351-15 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le présent article est applicable aux salariés exerçant plusieurs activités à temps partiel dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État. »

II. – L’article L. 351-16 du même code est ainsi modifié :

1° À la fin de la seconde phrase du premier alinéa, les mots : « ou exerce une autre activité à temps partiel en plus de celle ouvrant droit au service de la fraction de pension » sont supprimés ;

2° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :

« Le service d’une fraction d’une pension ne peut pas être à nouveau demandé après la cessation de l’activité à temps partiel lorsque l’assuré a demandé le service de sa pension complète ou la reprise d’une activité à temps complet. »

III. – Le présent article entre en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er janvier 2018.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, sur l'article.

Mme Évelyne Didier. Au mois de septembre dernier, les retraités sont descendus dans la rue pour dénoncer, une fois de plus, la pauvreté croissante des personnes en âge d’être à la retraite.

La loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement a d’ailleurs dressé le constat de cette situation. Depuis plusieurs années, les pensions reculent par rapport aux salaires, et elles ont une nouvelle fois été gelées au 1er octobre 2016.

C’est un fait : depuis la suppression, par la droite, de l’indexation des pensions de retraite sur les salaires, la situation se dégrade. Comme vous le savez tous, l’indexation sur l’évolution prévisionnelle des prix est beaucoup moins favorable.

En vingt ans, la perte pour les retraités du régime général et du régime agricole avoisine 20 %. La dernière véritable revalorisation des retraites remonte au 1er avril 2013 et s’est établie à 1,3 %, ce qui correspond à une simple prise en compte de l’inflation. Au 1er octobre 2015, c’est une minuscule revalorisation, d’à peine 0,1 %, qui a été consentie.

J’ai récemment rencontré les représentants des mineurs retraités de mon territoire. Ils ont évoqué tous ces sujets, mais m’ont aussi fait part de leurs inquiétudes concernant le niveau des retraites des femmes, qui, dans les secteurs agricole, minier, artisanal, et d’autres secteurs encore, n’ont pas eu de reconnaissance professionnelle.

En outre, le plafonnement des pensions de réversion a de lourdes conséquences financières sur le conjoint survivant. Or les femmes représentaient, en 2015, 89 % des titulaires de pensions de réversion, soit 3,9 millions de personnes. Elles sont également plus nombreuses que les hommes à n’avoir acquis aucun droit propre.

Madame la ministre, je voulais vous faire part de toutes ces préoccupations à l’occasion de ce débat. Augmenter le taux de réversion devient vital pour toutes les personnes concernées ; c’est aussi une question de dignité pour elles !

M. le président. Je mets aux voix l'article 30.

(L'article 30 est adopté.)

Article 30
Dossier législatif : projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017
Article 30 ter (nouveau)

Article 30 bis (nouveau)

L’article L. 351-1-3 du code de la sécurité sociale est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

« L’assuré qui justifie des durées d’assurance mentionnées au premier alinéa du présent article sans pouvoir attester, sur une fraction de ces durées, de la reconnaissance administrative de l’incapacité requise au même premier alinéa et qui est atteint d’une incapacité permanente d’au moins 80 % au moment de la demande de liquidation de sa pension peut obtenir l’examen de sa situation par une commission placée auprès de la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés.

« Cette commission est saisie par la caisse chargée de la liquidation de la pension de retraite. L’examen de la situation est fondé sur un dossier à caractère médical transmis par l’assuré permettant d’établir l’ampleur de l’incapacité, de la déficience ou du désavantage pour les périodes considérées. L’avis motivé de la commission est notifié à l’organisme débiteur de la pension, auquel il s’impose.

« Les membres de la commission exercent leur fonction dans le respect du secret professionnel et du secret médical.

« Un décret détermine les modalités d’application du présent article et fixe, notamment, le fonctionnement et la composition de la commission, qui comprend au moins un médecin-conseil et un membre de l’équipe mentionnée à l’article L. 146-8 du code de l’action sociale et des familles, ainsi que la fraction des durées d’assurance requises susceptible d’être validée par la commission. »

M. le président. L'amendement n° 445, présenté par M. Roche, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

Rédiger ainsi cet alinéa :

La sous-section 4 de la section 1 du chapitre Ier du titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale est complétée par un article L. 161-21-1 ainsi rédigé :

II. – Alinéa 2

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

« Art. L. 161-21-1. – L’assuré qui justifie des durées d’assurance mentionnées au premier alinéa des articles L. 351-1-3 et L. 634-3-3, du III des articles L. 643-3 et L. 723-10-1 et de l’article L. 732-18-2 du code rural et de la pêche maritime, ainsi qu’au 5° du I de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraites sans pouvoir attester…

III. – Alinéa 3, première phrase

Remplacer les mots :

la caisse chargée

par les mots :

la caisse ou le service chargé

La parole est à M. Gérard Roche, rapporteur.

M. Gérard Roche, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse. Cet amendement vise à étendre le dispositif de l’article 30 bis à tous les régimes d’affiliation.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 445.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 308, présenté par Mmes Cohen et David, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 2

1° Remplacer le taux :

80 %

par le taux :

50 %

2° Remplacer les mots :

une commission placée auprès de la Caisse nationale d’assurance vieillesse

par les mots :

la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées prévue par l’article L. 241-6 du code de l’action sociale et des familles accompagnée d’un représentant de la Caisse nationale d’assurance vieillesse

II. – Alinéa 3

1° Après la deuxième phrase

Insérer deux phrases ainsi rédigées :

Cette commission peut juger du statut de handicap et de son ancienneté, même à posteriori, sur la base de tout moyen de forme (exemple : carte « station debout pénible » ; notification d’invalidité 1er catégoriel, pension militaire d’invalidité, rente pour accident du travail ou maladie professionnelle etc.) ou de fond (exemple : dossiers médicaux) fourni par le concerné ou son représentant. En cas d’opposition de la personne handicapée concernée ou de son représentant légal à la décision rendue par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, ces personnes ont la possibilité d’avoir recours à une juridiction impartiale pour la contester.

2° Ajouter une phrase ainsi rédigée :

Toute notification de taux d’incapacité permanente supérieure à 50 % est jugée comme définitive, sauf mention contraire explicite ou révision ultérieure.

III. – Alinéa 5

Supprimer cet alinéa.

IV. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… – L’article L. 241-5 du code de l’action sociale et des familles est complété par deux phrases ainsi rédigées :

« La commission peut juger du statut de handicap et de son ancienneté, notamment celui des travailleurs qui bénéficiaient d’une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé avant le 31 décembre 2015 même avec des périodes lacunaires ou à posteriori, sur la base de tout moyen de forme (exemple : carte « station debout pénible » ; notification d’invalidité 1er catégoriel, pension militaire d’invalidité, rente pour accident du travail ou maladie professionnelle etc.) ou de fond (exemple : dossiers médicaux) fournis par le concerné ou son représentant. En cas d’opposition de la personne handicapée concernée ou de son représentant légal à la décision rendue par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, celles-ci ont la possibilité de la contester. »

La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Après de longs combats, les travailleurs handicapés ont obtenu la création d’un dispositif de retraite anticipée à taux plein dès cinquante-cinq ans. En effet, la maladie et le handicap les usent plus rapidement.

L’adoption de la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraite a ensuite modifié ce dispositif de départ en retraite anticipée, en supprimant la prise en compte du critère de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, lui substituant un taux d’incapacité permanente, ou IP, à 50 %.

L’article 30 bis du projet de loi de financement de la sécurité sociale rétablit ce taux d’IP à 80 %.

Le critère d’incapacité permanente durant toute la vie professionnelle est pratiquement impossible à prouver a posteriori. Cela prive du droit à une retraite anticipée de nombreux travailleurs handicapés qui n’ont jamais fait état de leur handicap, car rien ne justifiait qu’ils le fassent auparavant.

La nécessité de renouveler les attestations à partir d’un certain taux d’IP est inutile, voire humiliante pour de nombreux travailleurs handicapés.

La liste des pièces nécessaires au dossier est limitative, indécente et injuste. Oui, il est indécent de demander à un accidenté du travail de renouveler sa reconnaissance de handicap ! Oui, il est injuste de refuser comme preuve le dossier médical d’un travailleur handicapé atteint d’une poliomyélite depuis sa première année de vie !

Enfin, l’article L 146-9 du code de l’action sociale et des familles définit les modalités de fonctionnement de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, la CDAPH, qui prend les décisions relatives à l’ensemble des droits de ces personnes, notamment en matière d’attribution de prestations et d’orientation, et reconnaît, s’il y a lieu, la qualité de travailleur handicapé.

Il ne nous paraît pas nécessaire, comme le prévoit cet article, de créer une énième commission, dès lors qu’il en existe déjà une, dont la composition semble garantir l’impartialité. Au contraire : donnons à cette dernière les moyens de remplir cette mission !

L’adoption du présent amendement ouvrira donc les voies d’accès à la reconnaissance du statut de travailleur handicapé aux travailleurs ne pouvant pas accéder au dispositif de retraite anticipée. Ce statut sera rendu permanent à partir d’un seuil de taux d’IP, ce qui permettra de pérenniser la procédure et de la simplifier aux yeux des travailleurs.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Gérard Roche, rapporteur. Avant la loi de 2014, applicable depuis le 1er janvier 2016, pour avoir droit au départ anticipé en retraite pour cause d’invalidité, il fallait avoir cotisé un certain nombre de trimestres comme travailleur handicapé et présenter un taux d’IP à 80 % ou s’être vu attribuer la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, la fameuse RQTH.

La loi de 2014, qui est donc appliquée depuis cette année, a entraîné des changements : désormais, il faut avoir cotisé un certain nombre de trimestres comme travailleur handicapé – les durées exigées peuvent varier, mais je n’insisterai pas sur ce point, qui est un peu complexe – et être atteint d’une incapacité permanente d’au moins 50 % sur tous les trimestres cotisés.

Or beaucoup de travailleurs handicapés n’ont pas atteint le nombre de trimestres cotisés permettant d’accéder automatiquement au droit à un départ anticipé. L’article 30 bis vise donc à permettre que ceux d’entre eux qui ont néanmoins cotisé comme travailleur handicapé pendant quelques mois puissent voir leur dossier réexaminé par une commission nationale rattachée à la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV, et puissent bénéficier de ce droit dès lors qu’ils sont atteints d’une incapacité permanente de 80 %.

Il existe donc actuellement trois catégories de travailleurs handicapés : ceux qui remplissent les conditions exigées par la loi ; ceux qui ne les remplissent pas, mais dont le dossier sera examiné pour voir s’ils disposent d’un minimum de cotisations et qui, dès lors que leur taux d’IP est de 80 %, pourront bénéficier du dispositif de retraite anticipée ; ceux, enfin, qui n’ont pas fait valoir leur droit avant la loi de 2014, sont restés avec une RQTH et se voient expliquer aujourd'hui, lorsqu’ils viennent demander un départ en retraite anticipée, que cette RQTH n’est plus reconnue.

L’amendement proposé par nos collègues du groupe CRC concerne la deuxième catégorie, c'est-à-dire les travailleurs handicapés n’ayant pas cotisé assez longtemps pour bénéficier directement du droit à la retraite anticipée et qui doivent présenter un dossier et disposer d’un taux d’IP à 80 % pour accéder à ce droit. Il vise à réduire ce dernier seuil de 80 % à 50 %.

La commission n’est pas favorable à cette proposition. Nous craignons, si les demandes affluent au niveau de la caisse nationale, un allongement extrême des temps de traitement des dossiers.

Certains proposeront alors de confier l’évaluation aux commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, mais les CDAPH utilisant des critères et des modes d’appréhension des dossiers différents, les évaluations ne seront pas les mêmes selon les départements, ce qui risque de créer des injustices locales.

Enfin, le critère qui nous intéresse est celui de l’incapacité permanente, alors même que l’évaluation de l’incapacité est demandée à un instant donné et que cette dernière peut s’améliorer dans le temps, en particulier s’agissant des incapacités psychiques. La loi, j’y insiste, exige une incapacité prouvée et non réversible, d’où notre avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine, ministre. J’entends bien la logique de Mme David. Mais, si la loi de 2014 a créé un système de départ en retraite anticipée pour les personnes handicapées plus favorable que ce qui existait auparavant, il faut néanmoins faire la preuve des cotisations et de la situation de handicap.

L’objectif est bien, au regard des éléments dont nous disposons aujourd'hui, d’apprécier une carrière et une situation passées.

L’article 30 bis, qu’il est ici proposé d’aménager, tend à instaurer un dispositif dérogatoire, permettant de « rattraper » des personnes qui ne peuvent pas établir de preuve sur l’ensemble des événements passés. Dès lors que ces personnes ne peuvent apporter tous les justificatifs ou faire toutes les démonstrations requises, ce rattrapage s’opère à des conditions plus strictes que le droit commun.

Indépendamment des questions d’ordre pratique, il s’agit, je le répète, d’évaluer des situations passées à partir d’informations actuelles, ce qui implique de s’assurer de la validité des données et de ne pas considérer, a priori, que toute demande est fondée. Je ne parlerai pas des fraudes, car je ne pense pas qu’elles soient majoritaires, mais il faut tout de même se donner les moyens de les repérer.

Je ne crois pas que l’on puisse traiter de la même manière des personnes capables de justifier, et leurs cotisations, et leur taux d’incapacité, et des personnes qui n’apportent pas d’éléments pour appuyer leur situation passée.

Pour ces raisons, l’avis du Gouvernement est défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. J’ai évoqué le cas de personnes atteintes de maladies handicapantes dès la naissance ou, en tout cas, dès les premières années de vie, comme, par exemple, la poliomyélite.

Je pense aussi à cette dame qui m’a écrit : handicapée de naissance, elle n’a jamais demandé la reconnaissance du statut de travailleur handicapé, car elle pouvait travailler sans cela, et le fait de déclarer un handicap qui n’était pas visible n’apportait rien à sa situation de salariée.

Cela pourrait même lui porter préjudice. En effet, si une personne en recherche d’emploi commence à signaler dans son curriculum vitae sa situation de travailleur handicapé – c’est peut-être un peu moins le cas aujourd'hui du fait des obligations d’embauche de travailleurs handicapés, même si, malheureusement, celles-ci ne préservent pas les demandeurs d’emploi handicapés –, il sera plus compliqué pour elle d’être embauchée. Il faut le dire : c’est chez les travailleurs handicapés que l’on trouve la proportion de chômeurs la plus importante.

Cette question concerne des millions de personnes handicapées qui s’efforcent de pouvoir travailler et partir à la retraite dans de bonnes conditions.

Certaines d’entre elles n’ont jamais fait reconnaître leur qualité de travailleur handicapé, mais disposent de certificats prouvant qu’elles sont handicapées de naissance. Malgré cela, elles n’accèdent pas au départ en retraite anticipée. Il y a là, à mes yeux, une injustice intolérable, une situation indécente, une violence à leur égard.

Ces personnes ont travaillé toute leur vie. Elles ne se sont jamais plaintes ; elles ont fait ce qu’elles avaient à faire. Elles n’ont rien demandé de particulier alors même qu’elles étaient travailleurs handicapés, et voilà qu’un droit leur est accordé et qu’elles ne peuvent y avoir accès au motif qu’elles n’ont pas fait établir les bons papiers administratifs au bon moment !

Cela me rappelle d’autres situations, où l’on se retrouve avec des gens sans papier.

Le système administratif dans lequel nous nous trouvons exclut de notre société un nombre important de personnes pour des raisons diverses. Et tout le monde se contente de l’argument selon lequel l’administration ne peut pas tout faire !

C’est pourquoi nous proposons que les commissions départementales puissent s’occuper des dossiers.

Effectivement, si toutes les demandes devaient, d’un seul coup, être traitées par une seule commission, celle-ci n’aurait peut-être pas le temps de gérer ce flux. Mais les commissions travaillant au sein des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, ont la capacité de s’acquitter de cette mission.

M. Gérard Roche objecte que leurs manières d’analyser les dossiers divergeront peut-être. Dans ce cas, donnons à ces personnes le droit de contester la décision et de faire appel devant les commissions d’appel situées dans chaque département. C’est la réponse qui m’avait été apportée lors d’une de nos auditions en commission.

Aujourd'hui, des travailleurs fragiles, les travailleurs handicapés, ne peuvent pas prétendre obtenir les droits auxquels ils ont accès, car ils n’ont pas fait établir, en leur temps, les bons papiers. Cette situation, indécente, est d’une violence inouïe à leur égard. J’espère donc qu’elle pourra évoluer.

J’ai bien entendu les deux avis défavorables. Je les regrette d’autant plus profondément que, je n’en doute pas, nous devons être nombreux dans cet hémicycle à avoir été sollicités par ces travailleurs. Ceux-ci ne demandent que justice !