M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, la présentation du rapport public annuel 2017 nous offre une nouvelle occasion de saluer le rôle de la Cour des comptes dans sa mission constitutionnelle d’assistance au Parlement dans le contrôle de l’action du Gouvernement.

Il s’agit en effet, pour la commission des affaires sociales, d’un apport véritablement majeur que nous mesurons année après année avec les rapports annuels sur les lois de financement de la sécurité sociale, les rapports de certification, les rapports thématiques et les enquêtes effectuées à notre demande.

Alors que la sphère sociale représente près de la moitié des finances publiques, l’ensemble des travaux de la Cour invite, à nos yeux, à un triple impératif de lucidité, d’efficience et de persévérance.

Lucidité, tout d’abord, sur l’état de nos comptes publics et sur la réalité de nos marges de manœuvre dans une période où certains ne manquent pas d’être tentés par les promesses de dépenses nouvelles.

Le rapport que vient de nous présenter M. le Premier président fait le point sur la situation des finances publiques, à quelques semaines du démarrage d’un cycle budgétaire dont le déroulement sera fortement influencé par les échéances électorales.

Il est bien sûr trop tôt pour se prononcer sur les comptes du régime général de la sécurité sociale, lesquels ne seront disponibles qu’au printemps, mais la commission des affaires sociales a eu l’occasion, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, d’alerter sur certains des constats établis par la Cour.

Ainsi, le respect de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, pour 2016 n’est pas encore assuré, compte tenu du dynamisme des dépenses sur les premiers trimestres de cette même année. Comme les années précédentes, c’est la régulation de l’enveloppe allouée à l’hôpital qui sera sollicitée pour le bouclage de l’objectif, traduisant la faible effectivité des mesures d’économies annoncées. Le Gouvernement le confirme dans sa réponse.

Pour 2017, la Cour relève l’arrêt du mouvement de réduction des prélèvements obligatoires. Celui-ci n’avait été pourtant mis en œuvre que tardivement, à partir de 2015, et très progressivement. Malgré les annonces du pacte de responsabilité, le contre-choc fiscal n’a donc pas eu lieu.

Pour boucler l’exercice, le Gouvernement a recours à des expédients de trésorerie, en aménageant le calendrier de versement de la taxe sur les véhicules de société et de la contribution sociale de solidarité des sociétés, la C3S. Ces mesures ne sont pas reconductibles en 2018 alors que devront être financées des mesures nouvelles à effet différé sur les comptes publics : élargissement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, et du crédit d’impôt sur les services à la personne.

Les économies annoncées sur l’ONDAM ne sont pas plus pérennes ou reconductibles. Le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Jean-Marie Vanlerenberghe, en avait démontré le caractère artificiel pour près d’un milliard d’euros.

La Cour exprime à son tour ses réserves en indiquant : « Sans ces artifices de méthode, les dépenses de l’ONDAM en 2017 croîtraient à un rythme équivalent à celui enregistré en moyenne au cours des années 2010 à 2015. »

L’an dernier, j’avais consacré une large part de mon propos à la situation préoccupante de l’assurance chômage. Force est de le constater, le diagnostic est toujours valable et, en l’absence de réforme, les économies annoncées par le Gouvernement sur ce poste restent hypothétiques, comme le souligne de nouveau la Cour.

Le rapport de la Cour nous invite donc à la lucidité sur l’état de nos comptes publics : le travail de rétablissement et d’assainissement de nos finances publiques reste à faire.

Il ne nous suffit pas d’être lucides, il nous faut aussi répondre à une exigence d’efficience, dans un contexte où le poids des prélèvements sur les ménages et les entreprises compte parmi les plus élevés des pays développés.

Ce n’est pas en dépensant plus que nous dépenserons mieux. Alors que les dépenses sociales sont bien supérieures à celles de l’État, il n’est pas surprenant que la Cour retienne trois exemples dans le domaine social pour illustrer son propos. Selon elle, « le niveau particulièrement élevé des dépenses publiques en France est loin de conduire à des résultats à la hauteur des moyens engagés, comme l’illustrent les politiques du logement, de la formation professionnelle ou de la santé. »

L’enjeu est de rendre la dépense plus efficace et les travaux de la Cour peuvent nous y aider.

C’est le cas pour ce qui concerne la formation professionnelle, pour laquelle la Cour prône, dans son rapport, une lutte plus déterminée contre les comportements frauduleux et un renforcement du contrôle des actions de formation.

C’est le cas également pour ce qui concerne l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, l’ONIAM, pour lequel la Cour met à jour un véritable dévoiement des intentions du législateur de 2002 en vue d’une indemnisation amiable et rapide des victimes d’aléas thérapeutiques, à quoi s’ajoutent de graves défaillances de gestion. La commission des affaires sociales veillera à ce que la remise en ordre annoncée par le Gouvernement soit pleinement effective. Elle va d’ailleurs auditionner dans quelques jours le candidat pressenti par le Gouvernement pour la direction générale de l’Office.

C’est aussi le cas des enquêtes que la commission des affaires sociales demande à la Cour. Notre collègue Daniel Chasseing a été le rapporteur de celle qui nous a été remise au mois d’avril dernier sur l’imagerie médicale, et dont les recommandations ont été traduites dans la relation conventionnelle entre la profession et l’assurance maladie.

J’évoquais la persévérance au début de mon propos. La Cour nous y appelle également par son suivi attentif des recommandations formulées les années précédentes.

C’est le cas cette année à propos de la CIPAV, la caisse de retraite de nombreuses professions libérales, sur laquelle le rapport public annuel de 2014 avait été particulièrement sévère. Trois ans plus tard, la Cour nous alerte notamment sur les conditions de la mise en œuvre de l’article 50 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 que nous devons revoir en tant que législateurs à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel.

Persévérance, constance, voire ténacité seront indispensables dans la période qui s’ouvre pour tenir une ligne de redressement de nos comptes publics au moyen de véritables réformes, et non d’augmentation de l’impôt ou de mesures de régulation aveugles qui mettent à mal le service public sans apporter de réponses structurelles.

Pour conclure, je veux de nouveau, à l’occasion du dépôt de ce rapport annuel, souligner, au nom de la commission des affaires sociales, la contribution que la Cour des comptes nous apporte dans le nécessaire contrôle de l’action du Gouvernement.

À chacun d’en tirer ses propres conclusions. J’y vois pour ma part une incitation à une action résolue pour retrouver les marges nécessaires à une action publique rénovée, adaptée aux nombreux défis que nous devons relever. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Monsieur le Premier président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires sociales, je vous remercie de vos interventions, de même que je remercie les nombreux collègues qui ont assisté à la séance.

Nous en avons terminé avec la présentation du rapport annuel de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes. (M. le Premier président et M. le rapporteur général de la Cour des comptes sont reconduits selon le cérémonial d’usage.)

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures pour les questions d’actualité au Gouvernement.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quinze heures.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3, Public Sénat, le site internet du Sénat et Facebook.

J’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à respecter le temps de parole qui lui est imparti, ainsi que les interventions des uns et des autres.

rapport annuel de la cour des comptes

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour le groupe Les Républicains. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Bouvard. Ma question, qui s'adresse à M. le secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics, fait suite à la remise du rapport annuel de la Cour des comptes qui a eu lieu ce matin pour ce qui est de notre assemblée.

La Cour, dans son rapport, revient sur la situation des finances publiques. Elle donne acte au Gouvernement du respect de l’objectif de réduction des déficits, tel qu’il figurait en loi de programmation des finances publiques, tout en soulignant la modestie dudit objectif.

Surtout, elle nous appelle à la vigilance et à la mobilisation pour l’avenir, soulignant que quatre pays restent en déficit excessif : l’Espagne, le Portugal, la Grèce et la France. Par ailleurs, elle relève l’insuffisance des réformes structurelles, ce qui tend à accroître le décalage avec nos partenaires, et nous avertit sur les difficultés qui sont devant nous, en raison à la fois de l’optimisme de la loi de finances pour 2017, « difficilement tenable », et du poids de la dette publique, à savoir 96,2 % du PIB.

La réduction des déficits, monsieur le secrétaire d’État, a été obtenue au cours des dernières années de la législature principalement grâce à la diminution de 40 % des taux d’intérêt et à l’effort demandé aux collectivités territoriales, avec la réduction des dotations de l’État.

Ma question est donc double : comment pouvons-nous faire face à une remontée éventuelle des taux d’intérêt, au moment où le décalage des taux entre la France et l’Allemagne est passé de 27 points à 54 points de base entre les mois de septembre et de décembre ? Y a-t-il des réformes structurelles que vous regrettez de ne pas avoir menées au cours de la législature ? (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du budget et des comptes publics.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur Bouvard, j’apprécie la modération de votre propos, comparé à d’autres que j’ai pu entendre ici ou là. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Il est vrai que chacun est en l’espèce dans son rôle, mais, dans ce genre d’exercice convenu, les acteurs qui jouent plusieurs années de suite le même rôle finissent parfois par surjouer… (Sourires.) Mais, j’en conviens, tel n’est pas votre cas !

Vous avez bien rappelé la réduction du déficit public, même si le rythme et l’ampleur peuvent en être commentés de façon diverse.

Concernant l’effet d’une éventuelle remontée des taux d’intérêt, je précise que nous faisons tous les ans des prévisions sur ce point à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances. Pour le budget de 2017, nous avons retenu des taux à dix ans de 1,25 % ; ils sont aujourd’hui autour de 1 %, mais il est vrai qu’ils s’établissaient autour de 0,5 %, voire un peu moins, voilà quelques semaines ou quelques mois. Le contexte international joue sans aucun doute, mais le contexte national a aussi son importance : les échéances politiques dans notre pays donnent moins de lisibilité, oserai-je dire, pour l’avenir.

À mon sens, il est important d’assurer une stabilité. Or il me semble qu’un certain nombre de propos de certains candidats – ils se reconnaîtront ! –, qui annonçaient un déficit autour de 4,7 % en 2017, avant de revenir en arrière, comme sur d’autres points, ont probablement alerté des acteurs des marchés financiers. (M. François Grosdidier s’exclame.)

En tout état de cause, nos objectifs ont été tenus les deux années précédant 2016 et nous saurons au mois de mars que, en 2016, ils l’ont également été. Rendez-vous donc le 15 mars ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour la réplique.

M. Michel Bouvard. Monsieur le secrétaire d’État, je ne peux pas partager votre optimisme sur la dette.

En effet, les taux en fin d’année sont supérieurs, pour la première fois, à ceux qui étaient inscrits dans la loi de finances initiale.

En outre, la dette continue d’augmenter, la baisse apparente étant essentiellement due aux coupons que l’État a encaissés au cours de l’année écoulée, ce qui représente 0,5 % du PIB.

Enfin, la Cour des comptes souligne deux inquiétudes aux pages 34 et 38 de son rapport : d’une part, l’augmentation de la masse salariale va doubler en une année par rapport à son évolution au cours de la totalité de la législature ;…

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste et républicain. C’est fini !

M. Michel Bouvard. … d’autre part, des mesures nouvelles vont conduire à accélérer sur 2017 les encaissements et à augmenter les prélèvements. C’est en page 34 ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

disponibilité des vaccins obligatoires

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le RDSE.

M. Jean-Claude Requier. Ma question s'adressait à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.

Hier, le Conseil d’État a enjoint au Gouvernement de prendre, dans un délai de six mois, des mesures pour rendre disponibles les vaccins contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, les trois seuls vaccins obligatoires.

Actuellement les laboratoires associent ces trois vaccins à d’autres, si bien que, pour se mettre en conformité avec la loi, il faut recourir à des vaccins hexavalents, qui vaccinent aussi contre la coqueluche, l’haemophilus influenzae et l’hépatite B. Au passage, cela permet aux laboratoires d’augmenter leurs marges.

Le Conseil d’État a été on ne peut plus clair et a demandé au Gouvernement de permettre l’application stricte de la loi : trois vaccinations sont obligatoires et pas davantage, même si les autres sont, je le rappelle, très fortement conseillées.

Aux termes de cette décision, « la loi, qui n’impose que trois obligations de vaccination, implique nécessairement qu’il soit possible de s’y conformer en usant de vaccins qui ne contiennent que ces trois vaccinations. »

Toutefois, il semble que cette décision soit en pratique très difficile à mettre en œuvre, surtout dans le délai de six mois. Alors, comment va faire le Gouvernement ?

Mme Marisol Touraine a immédiatement saisi ses services, de même que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Que peut-on en attendre ?

M. Jean-Claude Requier. Mme la ministre pense-t-elle possible de proposer d’ici à six mois le vaccin DTP, qui n’existe plus, ou envisage-t-elle de rendre obligatoires les six vaccins contenus dans le vaccin hexavalent, hypothèse du reste évoquée par le Conseil d’État lui-même dans son ordonnance ?

Enfin, je tiens à préciser que nous partageons entièrement l’analyse du Conseil d’État, qui a écarté l’argumentation des requérants sur les risques allégués des vaccinations non obligatoires, soulignant « qu’aucun élément sérieux n’est apporté sur l’existence d’un risque d’atteinte à l’intégrité de la personne et de mise en danger d’autrui. »

Le Gouvernement a-t-il l’intention de renforcer sa politique vaccinale, tordant ainsi le cou à nombre d’idées reçues et de préjugés qui peuvent mettre en danger la santé de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des personnes âgées et de l’autonomie.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes âgées et de l’autonomie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Marisol Touraine, qui est actuellement en déplacement à l’étranger.

Tout d’abord, je souhaite rappeler que la vaccination est l’un des grands succès de notre politique de santé publique. Il ne faut ni oublier ni banaliser les fléaux qu’elle a permis d’éradiquer.

Dès le mois de janvier 2016, Marisol Touraine a annoncé un plan de rénovation de la politique vaccinale destiné à mieux informer les professionnels et le grand public, à améliorer la gouvernance de la politique vaccinale et à sécuriser l’approvisionnement, et ce afin de renforcer la confiance dans la vaccination.

Un comité d’orientation indépendant, présidé par le professeur Fischer, a également été chargé d’organiser une grande concertation citoyenne sur la vaccination en s’appuyant sur un jury citoyen et un jury de professionnels de santé, ainsi que sur les experts et acteurs de la vaccination.

Après plus de 10 000 contributions en ligne, des recommandations ont été présentées le 30 novembre dernier. Celles-ci font actuellement l’objet d’une expertise juridique et financière approfondie.

Vous m’interrogez sur la décision rendue hier par le Conseil d’État, et relative à la mise à disposition des vaccins avec les seules valences obligatoires. Sachez que le Gouvernement a pris acte de cette ordonnance. Comme vous l’avez rappelé, Marisol Touraine a saisi immédiatement les services du ministère et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé pour que l’État puisse la mettre en œuvre dans le délai imparti.

D’un point de vue pratique, je rappelle qu’il existe déjà un kit disponible gratuitement pour assurer la vaccination avec les seules valences obligatoires. En 2016, grâce à ce kit, qui peut être obtenu sur demande du médecin prescripteur, 2 362 demandes ont été satisfaites.

En tout état de cause, ce travail devra s’inscrire dans la réflexion engagée sur la politique vaccinale tout en tenant compte des recommandations de la concertation citoyenne, et pourrait à terme faire évoluer le cadre législatif sur lequel s’est fondé le Conseil d’État pour rendre sa décision.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.

M. Jean-Claude Requier. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de ces précisions.

En ces temps de campagne électorale, je souhaite émettre un vœu : rendre obligatoire un quatrième vaccin, celui contre la langue de bois. (Applaudissements et rires sur la plupart des travées.)

situation à aulnay-sous-bois (I)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe écologiste.

Mme Esther Benbassa. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.

Monsieur le ministre, jeudi dernier, Théo, 22 ans, jeune homme sans histoire, fils d’une famille honorablement connue, a été gravement blessé lors d’une opération de contrôle à Aulnay-sous-Bois. Il affirme avoir été victime d’insultes racistes, de coups et avoir subi un viol. Hospitalisé, opéré en urgence, il s’est vu prescrire soixante jours d’incapacité totale de travail.

Parmi les quatre policiers mis en cause, l’un a été mis en examen pour viol, les trois autres pour violences volontaires en réunion.

Les faits reprochés à ces quatre policiers rejaillissent injustement sur tous leurs collègues, hommes et femmes sans reproche, dévoués à leur tâche, toujours plus difficile, en butte eux-mêmes à des attaques parfois extrêmement violentes.

Pour le Défenseur des droits, « cette dramatique affaire […] illustre les conflits qui naissent parfois des contrôles d’identité. » Et il continue de réclamer que ces contrôles « soient réalisés pour des raisons objectives et vérifiables. » La Ligue des droits de l’homme ne dit pas autre chose.

L’urgence, après de tels faits, est claire : il faut reconstruire la confiance brisée entre les habitants de certains quartiers et leur police.

Ma question est simple. Monsieur le ministre, ne conviendrait-il pas, sans tarder, de rappeler à chacun ses devoirs, de rompre avec certaines pratiques discriminatoires et de faire prévaloir en toutes circonstances l’État de droit ? Ne vous paraît-il pas nécessaire de restaurer une police de proximité dûment formée, soucieuse avant tout de connaître et de protéger les citoyens dont elle a la charge ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bruno Le Roux, ministre de l’intérieur. Mesdames, messieurs les sénateurs, les blessures dont a été victime le jeune Théo sont particulièrement graves. Au moment où je réponds pour la première fois à une question sur le sujet au Sénat, je veux l’assurer, ainsi que toute sa famille et ses proches, de ma compassion et de mon souci de faire éclater la vérité le plus rapidement possible.

Un magistrat instructeur a été saisi ; tout ce qui devait lui être transmis l’a été. Je n’ai pas à juger de la rapidité de l’enquête, mais je souhaite qu’elle puisse aller le plus vite possible pour établir la vérité des faits. Sans attendre, compte tenu du rapport et des éléments venant de l’Inspection générale de la police nationale, que j’ai saisie, j’ai suspendu les quatre fonctionnaires, qui, aujourd’hui, font l’objet d’une enquête par ce magistrat indépendant.

Aussi, j’en appelle à la sérénité de tous devant cet engagement de vérité et de justice. Cet engagement, je veux qu’il soit exactement le même pour tout ce qui se passe dans les quartiers. Depuis le début de la semaine, ce souci de faire passer chaque matin cette parole de sérénité au regard de l’enquête en cours est le même qui m’anime depuis plusieurs semaines, lorsque je m’inquiète tous les jours de savoir où en est l’enquête sur l’agression des policiers de Viry-Châtillon, dont les coupables doivent être rattrapés et conduits devant la justice.

Je veux un équilibre parfait : il n’y a pas dans nos quartiers, comme partout ailleurs dans notre pays, de place pour ceux qui agressent les symboles de la République que sont les personnes dépositaires de l’autorité, de la même façon qu’il n’y a aucune place pour ceux qui ne respecteraient pas les valeurs de la République dans la façon dont ils exercent la mission et l’autorité que nous leur avons confiées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Desessard applaudit également.)

Sur ce point, je veux que les choses soient claires.

La question du rapport entre les forces d’autorité et la population est centrale. Il y a un sentiment de défiance, auquel j’ai pu être confronté dans le département dont je suis l’élu, mais d’autres pourraient dire la même chose. Là encore, je veux dire très concrètement que ce problème est au centre des politiques publiques qui sont menées. Je rappellerai le doublement des crédits du ministère de l’intérieur sur la question du rapprochement entre la police et la population et la mise en expérimentation prochaine, quand les policiers en seront dotés, du système de caméra mobile, qui, à mon sens, peut présenter le double avantage d’apaiser les interventions et de rassurer les forces de l’ordre et de sécurité.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Bruno Le Roux, ministre. J’aurai l’occasion de préciser dans ma réponse à la question suivant ce que j’entends à cet égard. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. La tâche est lourde et le chemin sera long, mais espérons que cet acte d’une extrême violence aidera le Gouvernement à prendre les décisions qu’il convient concernant non seulement les crédits – vous en avez parlé –, mais aussi, et surtout, la création d’une police de proximité formée.

situation à aulnay-sous-bois (II)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Tout le monde dans cette enceinte a pris connaissance de l’acte abominable commis à l’encontre de Théo Luaka à Aulnay-sous-Bois.

Face à cette violence inouïe, qui peut être qualifiée d’acte de barbarie, nos pensées et notre compassion vont bien sûr vers Théo, sa famille et ses proches, qui vivent un moment très douloureux.

Aujourd’hui, quatre agents de la brigade spécialisée de terrain, la BST, sont mis en examen, dont un pour viol. Le Défenseur des droits a ouvert une enquête. Et pour cause : d’après ses déclarations, le jeune homme aurait fait l’objet, en plus des coups et du viol, de moqueries, de crachats et d’injures racistes. Cela est profondément révoltant !

Malheureusement, ces faits ne constituent pas un événement tragique et isolé ; ils font écho à des pratiques pour le moins douteuses de contrôle policier et d’interpellation bien connues dans les quartiers populaires.

Mon propos en l’occurrence n’est pas de remettre en cause le travail et la déontologie de l’ensemble de nos forces de sécurité, dont nous reconnaissons la qualité de l'engagement,…

M. Bruno Sido. Quand même !

Mme Éliane Assassi. … qui plus est dans le contexte actuel et avec le peu de moyens dont elles disposent.

Mais une tension permanente, dont témoignent les forces de l’ordre et les citoyens, existe dans ces quartiers. Nous reconnaissons la dégradation des conditions de travail de la police de terrain, mais il convient aussi d’entendre les voix des nombreuses associations et des citoyens, voire du Défenseur des droits lui-même. Tous évoquent des contrôles d’identité discriminatoires, parfois répétés, voire systématiques. Les palpations de sécurité sont souvent faites hors des règles du code de déontologie des forces de sécurité, et s’apparentent trop fréquemment à une véritable atteinte à la dignité humaine.

Monsieur le ministre, certes, il faut rester serein, mais comment ignorer que, lorsque certains sont soumis à la justice expéditive de la comparution immédiate, d’autres bénéficient d’une réelle instruction ?

Mme Évelyne Didier. C’est incroyable !

Mme Éliane Assassi. La justice, aussi, doit être la même pour tous ! Il faut revenir aux réalités du terrain et, surtout, remettre à plat la doctrine et les pratiques du maintien de l’ordre en France, avec le retour d’une véritable police de proximité, recrutée et formée pour ces missions.

Dans ce cadre, il est nécessaire de mettre en place d’urgence le récépissé de contrôle, afin d’en finir avec les contrôles au faciès. Ces mesures sont attendues depuis cinq ans. Pourquoi ne pas utiliser le projet de loi Sécurité publique actuellement en discussion pour les faire adopter ?

Oui, il faut rétablir la confiance, afin qu’il n’y ait plus de Théo, d’Alexandre, d’Ahmed Selmouni ou d’Adama Traoré ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)