M. Éric Doligé. Où va-t-on ?

Mme Éliane Assassi. … que, « jusqu’ici, l’art de gouverner n’a été que l’art de dépouiller et d’asservir le grand nombre au profit du petit nombre et la législation le moyen de réduire ces attentats en système. Les rois et les aristocrates ont très bien fait leur métier. C’est à vous maintenant de faire le vôtre, c'est-à-dire de rendre les hommes heureux et libres par la loi ».

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame Assassi.

Mme Éliane Assassi. Votre projet, madame la ministre, est un retour à l’ancien monde, celui de l’oppression par les puissants !

Il est contraire à la République sociale, à notre Constitution et à ses préambules. Il est un acte de régression lourd de conséquences pour notre peuple.

Telles sont les raisons qui ont poussé mon groupe à déposer cette motion d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, contre la motion.

M. Yves Daudigny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen, au travers de cette motion, nous invite à nous interroger sur la recevabilité du projet de loi.

Reconnaissons au groupe communiste républicain et citoyen la constance et la cohérence de son positionnement !

Les auteurs de cette motion invoquent, d’une part, la méconnaissance du Préambule de la Constitution de 1946 et, d’autre part, celle des règles législatives du dialogue social.

Je n’utiliserai pas d’arguments autres que juridiques pour répondre à une argumentation qui est juridique.

Je ne m’appesantis pas sur le second moyen soulevé, relatif à la méconnaissance de règles législatives, dès lors qu’elles n’ont, par définition, aucune valeur constitutionnelle. Elles n’entrent donc pas dans le champ d’application de l’article 44, alinéa 2, du règlement du Sénat.

S’agissant de la méconnaissance du Préambule de la Constitution de 1946, je peine à trouver les articles auxquels vous faites allusion.

Mme Éliane Assassi. Vous avez mal cherché !

M. Yves Daudigny. Le droit de travailler et d’obtenir un emploi ? Le droit de défendre ses intérêts par l’action syndicale ? Le droit à la détermination collective des conditions de travail, ainsi qu’à la gestion des entreprises par l’intermédiaire des délégués ? Le droit de grève peut-être ?

Au-delà d’une approximation de la base légale qui fonde la motion, je ne vois, dans le Préambule de 1946, que des articles qui viennent en soutien des objectifs fixés par le projet de loi d’habilitation – soutien de l’habilitation et non, aujourd’hui, de la ratification.

Le champ de l’habilitation du présent projet de loi vise, en particulier, à favoriser le dialogue social.

Il encourage employeurs et salariés à trouver le meilleur compromis à leur niveau, au bénéfice de leurs intérêts respectifs. Il ne me semble pas que le Préambule de 1946 y fasse obstacle.

Le Préambule proclame le droit au travail. Il nous appartient, précisément pour respecter ce principe, de nous interroger et de débattre sur l’évolution d’un droit protecteur, fondamental et indispensable, mais qui, nous le savons, n’empêche malheureusement pas le cancer du chômage dans notre pays.

Ces quelques considérations conduisent à conclure non seulement que le projet de loi n’est pas contraire au Préambule de la Constitution de 1946, mais aussi qu’un texte est certainement nécessaire pour poursuivre la réflexion sur l’évolution du droit du travail engagée lors du précédent quinquennat.

L’avis défavorable que j’émets à l’égard de cette motion ne présage bien sûr en rien l’issue des votes sur le projet de loi d’habilitation et encore moins sur le futur projet de loi de ratification.

Il est avant tout question d’ouvrir le débat. L’adoption de cette motion priverait le Sénat d’une discussion utile. Elle priverait l’ensemble des sénatrices et des sénateurs d’une tribune. Elle nous priverait surtout d’un examen complet du projet de loi en séance publique. Mes chers collègues, je vous invite, au contraire, à faire vivre la démocratie parlementaire et le bicamérisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République en marche.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Les auteurs de la motion considèrent que le projet de loi d’habilitation est contraire à la Constitution, sans préciser toutefois leurs griefs dans l’objet de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je ne partage évidemment pas leur analyse. Je me limiterai à trois exemples emblématiques.

Premier exemple, l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».

Ce principe constitutionnel ne fait pas obstacle à ce que le législateur distribue les compétences entre l’accord de branche et l’accord d’entreprise, comme l’a reconnu le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 avril 2004 sur la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. Une seule limite est posée : la loi doit fixer les dispositions d’ordre public.

Le Gouvernement est donc fondé à rationaliser, à l’article 1er, l’articulation entre accords de branche et accords d’entreprise.

Deuxième exemple, l’alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946 prévoit que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. » Je précise qu’aucune disposition du texte ne remet en cause ce principe.

La commission a souhaité renforcer le dialogue social dans les petites entreprises dépourvues de délégué syndical, mais tout salarié demeure, bien entendu, libre d’être désigné délégué syndical et l’employeur pourra toujours conclure un accord avec un salarié mandaté.

Troisième exemple, le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision du 5 août 2015, que le principe même d’un barème obligatoire pour fixer les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse n’était pas contraire à la Constitution.

Pour toutes ces raisons, j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je n’ai rien à ajouter sur le plan juridique : je partage totalement l’analyse qui vient d’être faite au nom de la commission.

Je me réjouis simplement que le débat qui s’ouvre soit l’occasion de lever des incompréhensions, car j’ai entendu dire sur les ordonnances un certain nombre de choses qui ne figurent ni dans la loi d’habilitation ni dans les intentions du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole à M. Serge Dassault, pour explication de vote.

M. Serge Dassault. Jusqu’à présent, je croyais que les syndicats et les communistes défendaient les salariés. Je constate qu’il n’en est rien…

M. Serge Dassault. … alors qu’on leur propose un projet de loi qui favorisera l’embauche !

Mme Éliane Assassi. Les entreprises n’embauchent pas !

M. Serge Dassault. Vous ne comprenez pas que les salariés ne peuvent trouver d’emploi que s’ils sont embauchés par des entreprises et que les entreprises n’embaucheront pas tant que subsistera l'actuelle rigidité de l’emploi, qui les empêche de licencier s’il n’y a plus de travail.

Vous êtes donc contre ce projet de loi, qui est très bon et que je défendrai !

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour explication de vote.

Mme Évelyne Yonnet. Madame la ministre, il est dommage que le Gouvernement, qui a obtenu la confiance de l’Assemblée nationale ait proposé d’ouvrir les débats de cette session extraordinaire, au Sénat, par un texte qui cède au populisme médiatique en jetant l’opprobre sur l’ensemble des parlementaires – je pense au projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique – et, l’Assemblée nationale, par ce projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social qui nous est maintenant soumis.

Un projet de loi ordinaire examiné en procédure accélérée aurait sans doute pu être définitivement adopté au début de l’année 2018, soit à peine quelques mois après la date de publication prévue pour vos ordonnances.

Force est de constater que vous ne donnez pas l’impression de rendre ne serait-ce qu’à votre majorité parlementaire et, par extension, au Parlement tout entier la confiance qui vous a été donnée. Cela, vous me l’accorderez, va à l’encontre du renforcement du dialogue.

C’est d’autant plus regrettable que nous aurions pu nous retrouver sur certains objectifs, par exemple, sur l’ouverture des droits à l’assurance chômage pour les salariés démissionnaires ou les indépendants.

Au-delà du peu de confiance que vous accordez aux parlementaires, je tenais donc, madame la ministre, à vous rappeler que ces ordonnances feraient suite à la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, qui a mis en place de réelles contreparties progressistes face à la baisse des risques existants pour les patrons des TPE-PME. Je pense au compte personnel d’activité, le CPA, au compte pénibilité, aux congés spéciaux, au droit à la déconnexion, aux droits liés aux emplois saisonniers, à la durée des congés en cas de décès d’un proche… Les impacts concrets de cette loi ne sont pas encore actuellement définis.

Vous proposez cependant d’aller d’ores et déjà beaucoup plus loin dans le sens d’une restriction drastique de la régulation nationale au profit du moins-disant social avec, pour seul lot de consolation, le droit de discuter dans l’entreprise sur deux ou trois points qui seront listés par vos soins.

Madame la ministre, la seule condition qui aurait pu rendre cette adaptation du dialogue social positive tant pour les entreprises que pour les salariés aurait été que vous puissiez présenter votre texte pendant les « trente glorieuses » !

Les mesures que vous proposez ne créeront très probablement que des régressions sociales comme celles que nous voyons en Allemagne ou au Royaume-Uni. Certes, il y a moins de chômage, mais il y a aussi beaucoup plus de salariés qui cumulent les temps partiels ou exercent des petits boulots, tous se situant sous le seuil de pauvreté.

Toutefois, pour laisser la porte ouverte au débat par voie d’amendements, je m’abstiendrai, madame la ministre, à l’image de mes collègues Gisèle Jourda et George Labazée sur les deux motions. J’aurai sans doute, dans les prochains jours, l’occasion de reparler, point par point, de ce texte…

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 52, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social
Discussion générale

Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°53.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 664, 2016-2017).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Dominique Watrin, pour la motion.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si nous saluons le travail et l’écoute du président de la commission et rapporteur du présent projet de loi, nous contestons le choix des ordonnances.

Nous sommes sur un champ législatif très large, aussi vaste et complexe que le code du travail, et, en quelques jours de débat parlementaire, nous devrions valider le cadre que vous nous proposez, madame la ministre, sans connaître tout ce qui s’est dit avec les organisations représentatives. Tout cela s’apparente à un blanc-seing !

Je rappellerai donc aux sénatrices et sénateurs qui s’apprêtent à vous suivre qu’ils abdiqueraient encore un peu plus leur pouvoir constitutionnel d’élaboration de la loi. En effet, même si, au final, les ordonnances n’étaient pas ratifiées par le Parlement, celles-ci s’appliqueraient quand même sous forme de décrets.

Ce passage en force ne nous surprend pas au groupe communiste républicain et citoyen. Il n’est que la conséquence du parti pris à 100 % patronal, à 100 % MEDEF de l’exécutif ! Force est de constater que, sous couvert de modernisation, vous reprenez en fait une à une toutes les vieilles lunes du cahier des revendications patronales : primauté de l’accord d’entreprise, contournement des organisations syndicales, nouvelle réduction du champ du principe de faveur, facilitation et sécurisation des licenciements économiques, extension du travail de nuit et du dimanche, remise en cause du compte pénibilité, et j’en passe ! Ce sont autant de reculs des droits individuels et collectifs des salariés.

Vous tentez de présenter cette énième réforme à une opinion publique mal informée comme une réponse aux bouleversements du travail, à la diversité des entreprises ou comme un levier pour dynamiser l’entrepreneuriat.

Derrière l’imprécision du texte d’habilitation se cache, en réalité, une main de fer, celle qui est résolue à imposer la décentralisation des négociations collectives au niveau de l’entreprise, c'est-à-dire là où le salarié est le plus en situation de faiblesse.

Avec le principe de subsidiarité que vous sanctuarisez, vous inversez, en réalité, la hiérarchie des normes.

Bien sûr, vous prétendez renforcer aussi le rôle des branches, mais hormis les domaines spécifiquement désignés par la loi ou les quelques possibilités de verrouillage, nombre de droits actuellement garantis par les conventions collectives de branche pourraient être remis en cause. Beaucoup s’en inquiètent, bien au-delà de notre sensibilité.

Et en même temps, madame la ministre, vous recentralisez tous les pouvoirs entre vos mains en supprimant la commission d’experts prévue à l’article 1er de la loi El Khomri, qui devait travailler à des propositions d’évolution du code du travail.

Notre question préalable s’appuie sur ces données incontestables, mais plus encore sur le respect que nous portons à ces millions de Françaises et de Français précarisés qui cherchent un emploi ou qui voudraient simplement vivre décemment du leur.

Le Président de la République a lui-même présenté ce texte comme un « préalable » à la modernisation de notre économie.

Il n’y aurait donc pas de flexibilité dans la législation et la réglementation actuelles ? Permettez-moi d’en douter ! Ainsi, lorsque je vais sur la zone de Capécure, à Boulogne-sur-Mer, je m’aperçois que plus de 50 % des postes de production sont occupés en permanence par des intérimaires, qui ont sans doute des difficultés pour construire un projet de vie ou contracter un emprunt !

Mme Nicole Bricq. C’est justement à eux que nous pensons !

M. Dominique Watrin. Autre exemple, lorsque je téléphone dans mon département natal, la Manche, une ancienne voisine me dit tout ce qu’une société peut aujourd'hui imposer comme contraintes et obligations à un jeune pour gagner 230 euros à distribuer des annuaires téléphoniques !

Or le nombre des contrats « sauvages », ces CDD de moins d’un mois, est passé de 1,5 million en 2010 à 4 millions en 2016.

Sans doute les patrons ont-ils compris que ce serait encore mieux si le CDI lui-même était précaire ! Et c’est ce que vous nous proposez, d’une certaine manière !

Si je vous ai bien entendue, madame la ministre, il faut redonner confiance aux chefs d’entreprise pour recréer de l’emploi. Mais que faites-vous de toutes les études qui montrent qu’il n’y a pas de lien entre la protection de l’emploi et la montée ou la baisse du chômage ? L’ensemble des contre-réformes précédentes, dont les dernières remontent à l’année passée et qui n’ont d’ailleurs jamais été évaluées, n’a pas résolu le problème du chômage de masse en France.

Toutes les études conduites par l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’Organisation internationale du travail, la Banque mondiale et l’INSEE le démontrent, il n’y a pas de lien entre l’abaissement des droits et des garanties collectives et le règlement des problèmes de l’emploi et du chômage.

C’est également vrai à l’échelle européenne, avec les mini-jobs à l’allemande, les contrats zéro heure à l’anglaise, le Jobs Act à l’italienne ou encore les reçus verts à la portugaise. Peut-être ces pays ont-ils dégonflé artificiellement les statistiques du chômage, mais ils ont sûrement précarisé les travailleurs en plongeant nombre d’entre eux dans la misère, sans aucun effet réel sur l’emploi.

Selon la dernière note de conjoncture de l’INSEE, même les employeurs de notre pays ne placent la complexité du code du travail qu’au quatrième rang de leurs préoccupations comme frein à l’emploi, bien loin derrière l’incertitude économique, c’est-à-dire le niveau de croissance ou les difficultés à recruter du personnel qualifié et compétent.

En réalité, c’est un projet de loi d’habilitation très politique, déconnecté des réalités, dangereux pour la performance de l’économie et notre équilibre social que le Président de la République vous demande d’autoriser, mes chers collègues, un texte qui va même au-delà des recommandations de la très libérale Commission européenne, laquelle saluait, dans les textes précédents – lois Macron, Rebsamen et El Khomri –, des « progrès substantiels ». Mais le Président de la République voudrait absolument « taper sur la table »…

Nous disons stop, et c’est pourquoi défendons cette motion tendant à opposer la question préalable !

Ce que nous voulons, c’est construire un nouveau code du travail plus simple et plus protecteur, qui réponde aux défis du XXIsiècle, qui donne de nouveaux droits aux salariés et aux comités d’entreprise pour faire primer l’outil de travail sur la rapacité des fonds de pension prédateurs d’emplois ou les licenciements boursiers, un code du travail qui anticipe les mutations économiques, les évolutions technologiques, qui prenne aussi en compte les nouvelles aspirations des jeunes.

La question des plateformes numériques, par exemple, n’est pas traitée dans ce texte. Pourtant, il est urgent de protéger les travailleurs concernés, et ce serait possible même en leur préservant une large indépendance, avec la définition d’un nouveau contrat de « salarié autonome ».

C’est ce que propose le GR-PACT, le groupe de recherche pour un autre code du travail, qui a rédigé une version quatre fois plus courte que l’actuel code et qui devrait être la vraie base de travail pour une remise à plat digne de ce nom. Ce remarquable travail, que vous ignorez malheureusement, madame la ministre, a été effectué par une vingtaine d’universitaires sous la direction d’Emmanuel Dockès, en concertation avec des syndicalistes de toutes les confédérations représentatives des salariés, sans exception.

Mes chers collègues, parce que ce travail ne peut être ignoré, parce que le postulat sur lequel vous fondez ce projet de loi d’habilitation est manifestement erroné, parce que nous avons à cœur de défendre et le dynamisme de l’économie et la protection des salariés, je vous invite à voter la question préalable ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, contre la motion.

M. Yves Daudigny. Les membres du groupe socialiste et républicain ne soutiendront pas la motion tendant à opposer la question préalable.

Nous pensons en effet que seuls le débat, l’expression d’opinions diverses, la confrontation des convictions, l’opposition des éventuelles argumentations font vivre, enrichissent et éclairent la démocratie.

Nous ne soutiendrons pas cette motion non seulement afin que l'Assemblée nationale n’ait pas l’exclusivité de l’expression et afin de ne pas donner d’arguments supplémentaires aux détracteurs du Sénat qui disent qu’il ne sert à rien, mais aussi parce que les citoyens souhaitent, et c’est leur droit, connaître les positions exprimées publiquement par leurs élus sur un projet de loi, fut-il d’habilitation, qui touche à une valeur fondamentale, le travail.

Dans une enquête récente réalisée dans 102 pays, la France est placée au premier rang s’agissant de la considération accordée à la valeur travail. La question posée était : « Quelle est l’importance du travail dans votre vie ? » Dans cette même enquête, la France se situe cependant à la 99e place s’agissant des relations entre les employés et les employeurs. La question posée était : « Ces relations sont-elles conflictuelles ou coopératives ? »

Mes chers camarades,… (Rires.)

Mme Éliane Assassi. Quel lapsus !

M. Yves Daudigny. C’était pour vous, mes chers amis !

Mes chers collègues, les travaux menés en commission démontrent qu’il y a bien intérêt à débattre en séance publique. Je souhaite que nous puissions, au cours des jours à venir, faire vivre la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République en marche.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur. Les auteurs de cette motion souhaitent que le Sénat s’oppose à l’ensemble du texte. Je leur rappellerai deux choses.

La première, c’est que le texte n’a pas uniquement pour objectif d’accroître la compétitivité et l’attractivité de notre économie. Il vise aussi à simplifier, à rationaliser des dispositifs complexes issus d’une sédimentation de textes rendant le droit du travail parfois peu compréhensible, y compris d’ailleurs pour les spécialistes en la matière. Au final, de nombreux dispositifs n’offrent que des garanties formelles aux salariés, et non de réelles protections, tout en constituant une source de complexité juridique pour les employeurs.

La seconde, c’est que personne, à ma connaissance, n’a prétendu que la seule réforme du code du travail suffirait à rendre notre économie plus compétitive. Comme Mme la ministre l’a expliqué la semaine dernière devant notre commission, la confiance des entrepreneurs repose sur une multitude de facteurs, au premier rang desquels figure le carnet de commandes.

Vous le savez, mon cher collègue, l’économie, ce n’est pas que des statistiques, c’est aussi et surtout un état d’esprit. Nous devons donc créer un choc de confiance dans notre pays afin de redonner aux entrepreneurs l’envie de développer leurs activités. Ce choc de confiance passe, entre autres choses, par une réforme concertée du code du travail.

Telles sont les raisons pour lesquelles la commission, madame la présidente, a émis un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. La question posée nous permet de constater que nous avons tous le même objectif : dynamiser l’emploi et les entreprises.

À cet égard, permettez-moi de revenir sur l’enquête de l’INSEE réalisée auprès de chefs d’entreprise, enquête qui en corrobore d’autres.

Selon cette enquête, 50 % des chefs d’entreprise considèrent que les freins à l’embauche sont importants et leurs attentes en matière de réformes sont donc fortes.

Leur première préoccupation, c’est l’incertitude économique, leur capacité à décrocher des marchés, bien sûr, mais aussi les plans d’investissement et le soutien à l’investissement par la puissance publique. À cet égard, le plan d’investissement de 50 milliards d’euros qui sera mis en œuvre à partir de l’automne est un élément essentiel.

Nous avons la chance en France d’avoir une reprise de la croissance. Il serait très préoccupant que cette reprise n’entraîne pas des créations d’emplois. Les enquêtes européennes montrent que la croissance française est traditionnellement un peu moins riche en emplois que les autres. Notre objectif commun – c’est ce que j’ai compris dans votre interpellation, monsieur Watrin – est de trouver des solutions pour que la croissance se traduise par des emplois.

Ensuite, 27 % des chefs d’entreprise évoquent les difficultés, que j’ai déjà mentionnées, à trouver les compétences requises. Dans certains territoires, et les sénateurs concernés le savent mieux que moi, on ne trouve pas ces compétences. Cela empêche les entreprises de créer des emplois, mais également de remporter les marchés qui leur permettraient d’en créer. Il est donc essentiel d’agir sur ce point. Nous aurons l’occasion d’aborder cette question dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle et du plan d’investissement en faveur de la formation.

Par ailleurs, 23 % des chefs d’entreprise considèrent que le coût du travail est trop élevé. Nous transformerons donc le CICE en baisse de charges pérennes.

Il est clair qu’aucun de ces points ne constitue à lui seul un frein à l’emploi. C’est à l’ensemble de ces problèmes qu’il faut s’attaquer pour dynamiser le marché du travail. Encore une fois, personne n’a de baguette magique pour créer de l’emploi.

Enfin, 18 % des chefs d’entreprise disent qu’ils attendent d’abord une réforme du code du travail, parce que la réglementation est trop lourde, illisible, incompréhensible, et qu’elle freine la réactivité.

Quant aux investisseurs étrangers, leurs priorités sont inversées. Pour les avoir beaucoup rencontrés ces dernières années, je puis vous dire que leur première préoccupation est le code du travail. S’il est illisible pour nos très petites entreprises, il est incompréhensible pour les investisseurs étrangers. Or ces investisseurs représentent 2 millions d’emplois. Ils créent chaque année plus d’emplois qu’ils n’en détruisent. En France, environ 4 millions de personnes, y compris dans les entreprises sous-traitantes, vivent grâce à ces investissements étrangers.

Il ne s’agit pas d’avoir une pensée magique : aucune réforme ne suffira à elle seule. C’est en agissant à la fois sur les compétences, sur le coût du travail et sur la réglementation que nous créerons un environnement favorable. C’est l’ensemble de nos interventions sur ces points qui permettront aux entreprises de retrouver la confiance, de se projeter dans l’avenir et de créer des emplois.

Le débat ici est donc extrêmement important, car il porte sur les leviers structurels qui contribuent à donner confiance non seulement aux entreprises, mais aussi aux salariés qui retrouvent la possibilité d’accéder au marché du travail.

Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.

M. René-Paul Savary. Je suis contre cette motion.

L’affaire est grave, le malade est en mauvais état. C’est pour cela que la commission a nommé un rapporteur docteur en médecine, M. Milon. La commission a fait un travail extraordinaire. Elle propose d’aller encore un peu plus loin que vous, madame la ministre, afin de renforcer la liberté et la confiance attribuée au monde, employeurs ou collaborateurs, de l’entreprise. Nous suivrons la commission dans cette voie, bien évidemment.

Les employeurs ont besoin d’être en confiance. Sur le terrain, ils nous disent bien que les mesures de simplification des instances représentatives du personnel permettront d’assouplir les relations avec les salariés et d’instaurer une relation de confiance. De même, le plafonnement des indemnités prud’homales est une mesure de bon sens qui contribuera elle aussi à rétablir la confiance des employeurs.

Les salariés, tout comme les chefs d’entreprise, ont besoin d’un modèle pour le XXIe siècle. Vous avez, madame la ministre, parlé des espaces de coworking : ces espaces de travail collaboratif sont l’avenir. Or le travail collaboratif représente 10 % des emplois en France, contre 40 % aux États-Unis. C’est donc sur cette voie qu’il faut s’engager. En la matière, votre projet de loi, madame la ministre, ne va peut-être pas assez loin.

Nous serons obligés d’y revenir, car c’est une nouvelle évolution, les jeunes – tant mieux ! – ne voulant pas forcément du lien de subordination qui caractérise le CDI. Ils veulent une nouvelle entreprise, la liberté, la possibilité de travailler. Ils ne souhaitent plus faire la même chose toute leur vie. Le jour où cela ne va pas, ils font autre chose, ils évoluent. Il faut en prendre acte. La loi doit leur donner les moyens de s’exprimer à travers la valeur travail, qui est la valeur d’avenir, et de le faire dans tous les territoires, notamment grâce aux évolutions du numérique.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous sommes contre cette motion.