M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous êtes assurément disruptif ! En effet, votre proposition d’un « chèque éducation » correspond à une forme de révolution copernicienne…

Je ne porterai pas de jugement de valeur, mais, puisque vous avez rappelé que de nombreux enfants français sont scolarisés hors du réseau de l’AEFE, je voudrais souligner qu’il ne faut pas opposer les uns aux autres : très clairement, le secteur privé ou associatif a toute sa place en matière d’enseignement et d’éducation.

Face à la demande croissante d’enseignement en français et à l’impossibilité dans laquelle sont certains établissements de s’agrandir, il n’est pas choquant que l’on puisse compléter l’offre éducative grâce à d’autres acteurs.

Les uns et les autres accomplissent un travail remarquable, qu’il s’agisse du réseau AEFE ou de Mission Laïque française, ou même des acteurs privés qui émergent de plus en plus, parfois sur des formules pour lesquelles il existe une demande croissante, comme l’enseignement bilingue – français-anglais ou français-chinois, par exemple –, voire trilingue. Ce n’est pas dévaloriser le français que de permettre l’acquisition du plurilinguisme.

Dans un contexte où, nous le savons, un certain nombre de contraintes budgétaires ont pesé sur l’exécution de l’année 2017 en ce qui concerne l’AEFE, il n’est pas inutile que nous puissions marquer une pause et réfléchir au modèle pour l’avenir : comment faire en sorte d’assurer le mieux possible l’enseignement en français à l’étranger ?

De ce point de vue, toutes les contributions sont les bienvenues, étant entendu qu’on ne peut plus réfléchir continuellement de façon paramétrique – plus ou moins 2 % chaque année. Nous devons mener une réflexion plus large ! C’est un appel à contributions que je lance…

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour la réplique.

M. Olivier Cadic. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de vous montrer si ouvert. Soyons disruptifs ensemble !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe socialiste et républicain.

M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la France est, historiquement, l’un des pays pionniers en matière de diplomatie d’influence. C’est d’ailleurs ce qui nous permet aujourd’hui de jouer un rôle important dans certaines zones du monde ; je pense en particulier au rôle que nous jouons aujourd’hui au Moyen-Orient, qui s’appuie sur ces fondements.

Il serait paradoxal et regrettable que, à l’heure où d’autres pays s’essaient à ce type de démarches, nous abandonnions ou atténuions nos propres efforts, pensant que nos acquis seraient éternels. Il faut au contraire au redoubler d’efforts. À ce propos, monsieur le secrétaire d’État, je vous poserai trois questions.

Tout d’abord, après l’arrêt de l’expérimentation lancée avec nos implantations culturelles dans quelques pays dans la foulée de la création de l’EPIC « Institut français », en 2011, nos instituts français sont tous aujourd’hui des établissements à autonomie financière. Ce statut est en délicatesse avec les principes de la LOLF, mais il offre la garantie d’un fonctionnement responsable et flexible. Comment en garantir la pérennité ? Vous avez évoqué une évolution de la LOLF : à quelle échéance ?

Ensuite, pourquoi imposer des plafonds d’emplois aux établissements à autonomie financière, alors que la croissance autofinancée de leurs activités est le sens même de leur mission et de leur influence ?

Enfin, dans certaines villes comme Lisbonne ou Vienne, nos instituts siégeaient dans des lieux symboliques, qui constituaient par eux-mêmes une présence, une influence et une histoire. Nous avons vendu, ou tenté de vendre, ce patrimoine. Pouvons-nous envisager une remise en cause de cette politique d’abandon ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous avez raison : nos acquis ne sont pas éternels, et nous devons les conforter sans cesse en étant créatifs.

S’agissant des établissements à autonomie financière et de leur mise en conformité avec la LOLF, je crois que ce chantier devra être conduit en 2018. Regardons, là aussi, les conclusions du groupe de travail dans les toutes prochaines semaines. Ensuite, dans la mesure où la LOLF elle-même est le fruit d’une initiative parlementaire, je ne serais pas choqué que, si nous arrivons, Gouvernement et Parlement, à trouver une rédaction commune, la LOLF puisse être amendée pour permettre à nos établissements à autonomie financière de continuer, localement, à bénéficier de fonds qu’ils vont chercher de façon vertueuse.

Cette collaboration, nous devrons la mener dans le même esprit que celui qui a présidé à l’élaboration de la LOLF : un esprit totalement transpartisan, guidé par le seul intérêt général.

S’agissant du patrimoine en général, j’ai bien entendu votre propos. Jean-Yves Le Drian s’est dernièrement exprimé sur la question de manière très ferme : les joyaux que nous possédons contribuent sans conteste à notre influence.

Ainsi, notre ambassadeur au Canada m’expliquait que sa résidence, construite dans les années 1930 et qui possède un cachet certain, est fréquentée pour un certain nombre de conférences ou autres rencontres parce qu’elle est un lieu à part, un lieu qui a son charme. Gardons-nous de négliger cela !

Je crois, monsieur le sénateur, que nous pouvons nous rejoindre sur ceci : on ne peut pas mettre partout nos diplomates dans des open spaces… Ce que nous y perdrions en supplément d’âme n’est pas une affaire de romantisme, mais d’efficacité de notre action diplomatique !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.

M. Jean-Yves Leconte. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, des ouvertures contenues dans votre réponse.

Permettez-moi de souligner la mobilisation de l’ensemble des collaborateurs des instituts français et des alliances françaises, auxquels nous devons rendre hommage. Ces femmes et ces hommes, qui travaillent souvent sur des contrats locaux, parfois toute une carrière, sont les ouvriers au jour le jour de la présence française à l’étranger : ne les oublions pas dans nos réformes !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Guérini, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

M. Jean-Noël Guérini. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’actualité récente ne me démentira pas : la France a retrouvé une place qu’elle n’aurait jamais dû céder dans le concert des nations.

Dans le droit fil de notre histoire, notre politique étrangère, indissociable de notre présence sur de nombreux théâtres d’actions militaires, entend être à la hauteur d’une France qui rayonne.

Si la fierté peut être de mise, sachons aussi rester modestes. Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’État, d’exprimer une inquiétude, alors que nous débattons cet après-midi du rôle et de l’avenir de l’Institut français.

Cet établissement public, chargé de la délicate mission de favoriser la promotion des arts et des lettres à l’étranger, pour utiliser une expression volontairement désuète, vient d’atteindre l’âge de raison. Or ce jeune parcours n’a pas été un long fleuve tranquille : souvenons-nous de l’instabilité de la gouvernance et de la grève de 2015, qui nous avait conduits à constater que l’institut était en quête « d’un nouveau souffle, d’une nouvelle ambition et d’une position plus claire ».

Spectacle vivant, livre, cinéma, soutien à tous les savoirs et aux idées : tels sont les secteurs d’intervention de l’Institut français, aux côtés d’un réseau de 160 services de coopération, de 124 établissements à autonomie financière et de quelque 800 alliances françaises installées sur les cinq continents. Pourtant, d’un point de vue financier, cette année encore, si ce n’est pas la peau de chagrin, c’est au moins la disette.

Ne vous méprenez pas : je mesure qu’il importe de réduire la dette publique. Après avoir subi une baisse de 25 % entre 2011 et 2017, au prétexte que le numérique compenserait ce recul, les crédits alloués à l’Institut français stagneront en 2018. C’est bien et court à la fois… Sans sous-estimer l’importance des réseaux sociaux, il ne faut pas céder aux dangereuses illusions que peut nourrir la multiplication des clics.

Monsieur le secrétaire d’État, ne pourrions-nous pas sanctuariser ces crédits, afin de réaffirmer au monde que la patrie des droits de l’homme reste fidèle à sa vocation universaliste et aux Lumières, en même temps qu’elle n’hésite pas à être au diapason de la révolution numérique ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous avez raison : pour voyager beaucoup à l’étranger, comme un certain nombre de membres de cette assemblée, je constate comme vous une indéniable envie de France. J’ai pu le constater encore ce matin en rencontrant l’AmCham Europe, les représentants des grandes entreprises américaines en Europe.

Nous devons donc constamment faire preuve d’initiative, avec modestie, mais aussi la conscience que nous sommes attendus ; cela vaut dans le domaine européen et, comme vous l’avez rappelé, dans le domaine culturel.

Vous avez rappelé certains aspects du bilan des dix dernières années. Il faut dire que, après que M. Darcos eut présidé à la naissance de l’Institut français, un ensemble de circonstances a fait que, pendant deux ou trois ans, il n’y a pas eu de présidence stable.

Désormais, M. Buhler, un éminent diplomate, assume la présidence de l’institut. Je ne doute pas que lui-même et la directrice générale, très dynamique, réussiront à ancrer encore plus fortement l’institut dans son écosystème.

Vous l’avez souligné à juste titre : les réseaux sociaux, c’est bien, et nous devons indéniablement y être présents, mais il faut aussi du contact et le maintien d’un certain nombre d’activités ou de prestations physiques.

C’est pourquoi nous avons été conduits à sanctuariser les crédits de l’Institut français pour 2018, comme vous en avez émis le souhait. Nous nous attacherons, dans la programmation pour 2019 et 2020, à tenir compte autant que possible dans le cadre du programme 185 de l’ambition réaffirmée par les plus hautes autorités de l’État, laquelle passe par l’Institut français, mais aussi par d’autres canaux – j’y reviendrai peut-être plus tard, madame la présidente, car je m’aperçois que mon temps est écoulé…

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Les Républicains.

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les collectivités territoriales sont devenues des partenaires de l’Institut français : celui-ci a déjà signé une vingtaine de conventions avec des régions et des grandes villes. Aujourd’hui, toutefois, faute de moyens, l’institut ne semble plus en mesure de poursuivre cette politique de conventionnement avec les collectivités territoriales.

Or cette politique présentait un intéressant effet de levier, puisque, pour un euro mis sur la table par l’institut, les collectivités territoriales abondaient d’autant. Ce mode de cofinancement nous a d’ailleurs longtemps été présenté comme l’une des solutions miracles à la baisse des subventions publiques.

Toutefois, pour que cofinancement il y ait, il faut une mise de départ minimale ! Or, aujourd’hui, faute de moyens pour l’Institut français, l’effet de levier fonctionne à l’envers : pour tout euro que l’institut n’est plus capable de mettre sur la table, c’est autant de financements des collectivités territoriales qui sont perdus pour l’action culturelle extérieure.

En 2014, quelque 3,12 millions d’euros avaient été mobilisés sur ce dispositif, dont 1,4 million d’euros de mise de fonds initiale de l’Institut français. En 2017, seul 1,8 million d’euros a pu être mobilisé, car l’Institut français n’a été en mesure d’abonder qu’à hauteur de 900 000 euros…

Monsieur le secrétaire d’État, quelles actions concrètes le Gouvernement peut-il mettre en place pour renverser ce cercle devenu vicieux ? Quelles sont les perspectives de collaborations futures entre les collectivités territoriales et l’Institut français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Excellente question !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Au cœur d’une semaine consacrée à l’action locale – je salue les élus locaux présents dans les tribunes pour assister à nos débats –, je vous remercie, madame la sénatrice, de soulever cette question importante.

En effet, les collectivités territoriales participent de plus en plus au budget de l’institut : pour 765 000 euros en 2016, 872 000 euros en 2017 et, d’après nos anticipations, 950 000 euros l’année prochaine. En face, l’institut doit pouvoir faire sa part du chemin, d’autant que l’argent utilisé de cette façon est le mieux employé, compte tenu de l’effet de levier dont vous avez parlé.

Je transmettrai au président de l’Institut français le souhait ardent du Sénat, et, plus largement, je pense, de l’ensemble de la représentation nationale, qu’une place particulière soit faite dans la répartition des crédits à ceux qui sont destinés à abonder les programmes conduits conjointement avec des collectivités territoriales françaises.

Aujourd’hui, une trentaine de collectivités territoriales environ ont conclu un partenariat de ce type avec l’Institut français, pour promouvoir à l’international des créateurs ou des opérateurs culturels implantés dans ces territoires ; je pense à quelques exemples dans l’Yonne, comme vous pensez sans doute à d’autres cas dans vos départements respectifs.

Ces dispositifs ont accompagné l’émergence de talents confirmés ; plus de 80 tournées par an ont ainsi été organisées. Plus généralement, ils ont permis l’accompagnement d’artistes ou de professionnels dans des rendez-vous prescripteurs ou des salons. Nous sommes persuadés qu’il convient de les renforcer.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour la réplique.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le secrétaire d’État, les collectivités territoriales jouent pleinement leur rôle en finançant l’action culturelle extérieure. Je regrette que l’État, quant à lui, ne soit plus en mesure de les accompagner.

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Haut, pour le groupe La République En Marche.

M. Claude Haut. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la dimension culturelle est la première des dimensions de l’influence de la France. C’est par elle que se font aujourd’hui beaucoup de nos entrées partenariales. D’ailleurs, des pays qui ne jouaient pas cette carte précédemment le font dorénavant en grand nombre.

La France bénéficie d’un capital très important, grâce à son histoire, ses valeurs et ses créateurs, alors que notre politique dans ce domaine est, malgré tout, relativement modeste.

Il est indispensable de renouer avec une politique de promotion de la francophonie, mise en retrait ces dernières années. La coopération linguistique, le soutien aux lycées français à l’étranger, notre rôle dans les institutions francophones, la place des instituts de recherche dans le monde et le développement du français sur internet, dans les médias, les livres et le cinéma doivent être renforcés, dans notre intérêt comme dans celui de nos acteurs culturels et économiques.

Comme l’avait proposé le Président de la République durant sa campagne, l’Institut français pourrait évoluer vers une grande agence culturelle internationale.

L’enseignement du français et en français n’est pas une valeur du passé ; c’est un vecteur essentiel de notre influence, mais aussi de la lutte contre la diffusion du radicalisme. Des moyens importants devront lui être consacrés, en particulier en Afrique.

Monsieur le secrétaire d’État, des moyens pourraient-ils être mis en œuvre pour permettre la possible transformation de l’Institut français en grande agence culturelle internationale, comme le chef de l’État l’a évoqué ? (M. André Gattolin applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, j’ai, sans mentir, bu vos paroles… (Sourires.)

Vous avez eu raison de souligner qu’un certain nombre de pays jouent cette carte de l’influence culturelle. Il faut mesurer que la Chine, par exemple, a multiplié les ouvertures d’instituts Confucius dans le monde entier : 900 centres, si je me souviens bien, c’est dire !

M. André Gattolin. Et l’enseignement y est gratuit !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. Dans ce contexte, nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers.

S’agissant de la francophonie, je me souviens très bien de la visite que le futur Président de la République et moi-même avons faite le 17 mars dernier à Villers-Cotterêts, pour rendre hommage à Alexandre Dumas, mais aussi pour souligner, dans cette ville emblématique où François Ier a fait du français la langue officielle du royaume, l’importance d’une ambition francophone affirmée. Cette ambition passera par le plan qui est en cours d’élaboration.

J’ai retrouvé dans vos propos, monsieur le sénateur, ceux de Leïla Slimani, qui vient d’être nommée représentante personnelle du chef de l’État pour la francophonie et qui souhaite, si je puis dire, « déringardiser » la notion de francophonie.

Il ne s’agit pas d’être méprisant vis-à-vis de l’action des pères fondateurs de la francophonie, qui a été remarquable. Il s’agit de s’adapter, pour que notre jeunesse française et les jeunesses des pays francophones mesurent que la francophonie est un formidable espace de liberté et d’échanges : grâce à elle, par exemple, un jeune Sénégalais a des perspectives d’échanges et de travail avec le Canada, la Suisse ou le Vietnam !

Mme Slimani, votre serviteur et tous ceux qui sont attachés à la cause francophone ont à cœur de faire évoluer celle-ci dans le bon sens ; l’Institut français y contribuera aussi.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Le Nay, pour le groupe Union Centriste.

M. Jacques Le Nay. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question porte sur le modèle économique de l’Institut français.

Les moyens de l’Institut français se sont en effet considérablement réduits depuis sa création. L’État demande par ailleurs à l’institut de diversifier ses ressources propres, issues du mécénat et de cofinancements de la Commission européenne et des collectivités territoriales.

L’apport de ces ressources propres reste limité et très variable dans le temps. Elles sont passées, entre 2016 et 2017, d’environ 15 % à environ 12 % du budget de l’Institut français. La concurrence est vive, et le mécénat beaucoup plus dynamique dans certaines parties du monde que dans d’autres ; enfin, il fait toujours naître le risque de créer une certaine dépendance de l’opérateur vis-à-vis de ses financeurs. Le modèle économique est donc fragile.

Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, ne faudrait-il pas permettre à l’Institut français de diversifier davantage ses ressources propres ? Le développement de cours de français en ligne est envisagé : combien cette activité est-elle susceptible de rapporter ? Enfin, les compétences de l’Institut français dans le domaine de l’expertise culturelle ne pourraient-elles pas être davantage valorisées ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué les ressources propres de l’Institut français : elles représentent en moyenne 11 % de son budget. Pour l’Institut français, Paris est central. À l’étranger, souvent, les instituts arrivent à 50 % ou 60 % de ressources propres, ce qui est heureux.

En ce qui concerne la diversification des ressources, vous avez sûrement raison.

Pour ce qui est de l’enseignement du français, un certain nombre de vos collègues ont insisté aussi sur la nécessité de ne pas cannibaliser les prestations offertes par les alliances françaises. On voit bien que, dans ce domaine, une sorte de course aux financements peut exister ; nous devons veiller à ce que cela ne se fasse pas dans une incohérence totale.

S’agissant de l’expertise culturelle et de l’ingénierie, je pense que des savoir-faire reconnus existent au sein de l’Institut français : on y trouve des femmes et des hommes de talent, qui maîtrisent tout à fait les codes culturels et le montage de projets.

Il y a là une piste que je retiens : nous devons inciter l’Institut français à se pencher sur la possibilité de vendre un certain nombre de prestations à d’autres acteurs, publics ou privés, afin de valoriser son expertise, sans que cela se fasse au détriment des missions qu’il conduit.

Cette idée mérite réflexion, et je vous remercie, monsieur le sénateur, d’avoir apporté votre pierre à l’édifice de ce débat.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Le Nay, pour la réplique.

M. Jacques Le Nay. Les crédits publics ont un fort effet de levier sur la recherche de partenaires et cofinanceurs. Les ressources propres ne doivent donc pas être conçues comme venant se substituer à l’argent public, mais comme venant l’accompagner et permettre d’en démultiplier l’impact.

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous savons aujourd’hui que le soft power est essentiel au maintien de notre rayonnement international, alors que, simultanément, la demande de culture française est toujours aussi forte dans le monde. C’est à l’aune de ce double constat que nous devons décider ce que nous voulons faire de notre réseau d’opérateurs à l’étranger.

De ce point de vue, ce débat sur l’avenir de l’Institut français est bienvenu. Il pose deux questions.

Celle, tout d’abord, de la restructuration du réseau culturel français. Lors de son audition, le 24 octobre dernier, par notre commission, Jean-Yves Le Drian a en effet affirmé étudier « la pertinence d’un rapprochement entre l’Institut français et la Fondation Alliance française, afin de favoriser les synergies et de décupler notre action dans le domaine culturel ».

Deux conventions, de 2010 et 2012, portant sur le rapprochement des identités visuelles et les synergies à rechercher avaient permis d’amorcer cette restructuration. Force est cependant de constater que, sept ans plus tard, ce rapprochement n’est pas allé très loin.

La seconde question posée par le débat est celle des moyens financiers. En février dernier, Jacques Legendre et moi-même avions souligné la contradiction, par rapport au contrat d’objectifs et de moyens 2017-2019, qui pouvait exister entre la restructuration en cours et les moyens de plus en plus modestes.

En effet, depuis sa création, en 2011, les crédits totaux dévolus à l’Institut français ont diminué de 25 % et ses crédits d’intervention, de 34 %. Quant au ministère de la culture et de la communication, sa dotation n’est que de 2,3 millions d’euros. De surcroît, les ressources complémentaires restent marginales pour compenser le déclin structurel des crédits alloués à l’institut.

Si l’une des composantes concernées se trouve à ce point contrainte financièrement, il est à craindre que ce rapprochement ne puisse être mené dans de bonnes conditions.

Monsieur le secrétaire d’État, à l’heure où la concurrence en matière d’offre linguistique s’intensifie – vous avez parlé des centres Confucius, mais il y a aussi tous nos partenaires européens, avec lesquels nous sommes malheureusement en concurrence –, comment pouvons-nous préserver notre influence culturelle avec des moyens en déclin ? Je vous remercie donc de nous éclairer sur les moyens financiers que vous envisagez de mettre au service de notre réseau culturel.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, je ne puis que faire le même diagnostic que vous en ce qui concerne l’importance du pouvoir d’influence et la nécessité d’endiguer la chute des crédits qui a eu cours ces dernières années.

Comment être performant avec des contraintes et face à une concurrence accrue ? En étant créatif. Cela tombe bien : en France, on n’a pas trop de pétrole, mais on a des idées… (Sourires.) Plus sérieusement, notre souhait est d’arriver à stabiliser au moins la contribution de l’État. Il est important que les deux ministères de tutelle puissent accompagner pleinement l’opérateur en termes budgétaires.

S’agissant du rapprochement entre l’Institut français et la Fondation Alliance française, un travail d’audit financier et budgétaire, engagé par Pierre Vimont, se poursuit conjointement avec des inspections missionnées par les ministres.

Ce travail nous permettra d’y voir plus clair, parce que, comme vous le savez, un certain nombre de points juridiques restent en suspens du fait de litiges entre la Fondation et l’Alliance française Paris Île-de-France. Il nous faut donc tenir compte de tous ces éléments.

Je forme le vœu que nous parvenions à dépasser un contexte qui n’est agréable pour personne. J’ai conscience que des questions juridiques se posent et que certaines discussions sont particulièrement vives, mais nous devons avant tout nous rassembler autour d’une ambition, celle du rayonnement de la langue française et de la France. J’espère que les prochaines semaines nous permettront d’aboutir.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour le groupe Les Républicains.

M. Ronan Le Gleut. La France est un grand pays, qui porte un message universel et dont la culture rayonne dans le monde.

Hélas, lorsque le déficit dérape, nos dirigeants ont une fâcheuse tendance à se servir du patrimoine immobilier national comme variable d’ajustement, y compris quand il s’agit de bâtiments emblématiques et symboliques !

La vente de trésors nationaux comme le palais Clam-Gallas de Vienne ou la maison Descartes à Amsterdam a constitué une erreur majeure, non seulement en termes de visibilité et de rayonnement pour notre pays, mais aussi en termes de stratégie, puisque la France doit désormais louer à prix d’or des bâtiments pour ses différents services et représentations.

Il faut stopper l’hémorragie et il n’est pas trop tard, monsieur le secrétaire d’État ! La France saura-t-elle éviter de renouveler cette faute dans l’hypercentre de Lisbonne, où le bâtiment qui abritait notamment l’Institut français et l’Alliance française est vide et invendu depuis plus d’un an ?

Plus largement, le Gouvernement ne pourrait-il pas envisager la création d’un groupe de réflexion composé de parlementaires, de personnalités du monde de la culture et de l’économie, qui serait chargé de repenser la gestion immobilière de l’Institut français et du réseau culturel français dans le monde ?

Il ne faut pas reproduire les erreurs du passé ! Il faut chercher des solutions innovantes pour maintenir notre patrimoine à l’étranger grâce à la recherche de partenariats avec le secteur privé, le monde associatif et le monde économique. Il y va du rayonnement et de l’influence de la France !