M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Claude Haut.

M. Claude Haut. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, avant tout, permettez-moi d’adresser un solennel hommage à nos forces armées, qui, dans un contexte international sous tension, impliquant un haut niveau de sollicitation et de mobilisation, répondent présent et accomplissent leur devoir avec courage, abnégation et dévouement.

Il y a de cela moins de trois jours, avant l’arrivée du Président de la République à Ouagadougou, nos militaires ont dû faire face à une attaque terroriste. Je tiens, à ce titre, à transmettre mes pensées les plus émues à leurs familles.

Cet acte nous rappelle le devoir de vigilance qui s’impose à nous si nous voulons combattre efficacement cette menace permanente qui pèse sur nos armées. Devant une telle situation, il apparaissait indispensable que les moyens budgétaires alloués à la défense soient renforcés.

À cet égard, je souhaite souligner l’ampleur de l’effort réalisé par le Gouvernement en faveur d’un budget à la hauteur des ambitions définies par le Président de la République. Les crédits inscrits au titre de la mission « Défense » sont conformes à ces engagements : consolidation de la reconstruction de nos capacités et réaffirmation d’une grande ambition pour notre pays en Europe et dans le monde. Qu’il s’agisse des effectifs, des investissements en matière d’équipement ou en faveur des conditions de vie de nos soldats, ce budget présente des avancées que mon groupe ne peut que saluer.

Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, ce budget n’est rien d’autre que le début d’une remontée en puissance exceptionnelle, puisque 1,8 milliard d’euros de crédits supplémentaires sont accordés cette année à la mission « Défense ».

Il s’agit là d’une augmentation inédite depuis vingt ans, qui s’inscrit dans la durée puisque, chaque année, 1,7 milliard d’euros de crédits supplémentaires seront accordés, avec pour objectif de consacrer les fameux 2 % de notre PIB à la défense en 2025. Cette hausse nous permet d’inscrire le budget des armées dans une dynamique durable. Nous voyons bien, mes chers collègues, que ce budget est une réponse à la hauteur des enjeux stratégiques qui s’imposent à nous, une réponse aux défis de l’avenir de nos armées, une réponse, enfin, eu égard à leur engagement et à leur courage.

Si nous devions trouver deux axes forts à ce budget, nous pourrions dire qu’il répond aux préoccupations immédiates tout en préparant l’avenir.

Comme je le disais précédemment, le projet de loi de finances prévoit une hausse de 1,8 milliard d’euros de crédits budgétaires en 2018 par rapport au budget de 2017, soit une augmentation de 5 %. Pour rappel, 1,8 milliard d’euros, c’est trois fois plus que la hausse intervenue en 2017, qui s’élevait à 600 millions d’euros.

Avec 190 millions d’euros de recettes issues des cessions qui s’ajouteront aux crédits budgétaires, le montant des ressources de la mission « Défense » sera porté à 34,4 milliards d’euros. Entre 2018 et 2022, ce sont donc près de 190 milliards d’euros que la Nation consacrera à sa défense. La hausse significative du budget de la défense nous permet de dépasser aujourd'hui très largement la barre symbolique des 1,8 % du PIB.

Il s’agit là du premier jalon pour atteindre l’objectif fixé par le Président de la République de porter le budget des armées à 2 % du PIB, soit 50 milliards d’euros hors pensions et à périmètre constant d’ici à 2025. Il s’agit donc de la première étape d’une trajectoire financière qui sera décrite dans la future loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025, qui sera présentée au Parlement en 2018.

Comme vous l’avez justement précisé devant la commission des affaires étrangères au début du mois, madame la ministre, cette loi de programmation militaire devra porter une vision et ne pas se réduire à de simples ajustements. Vous pourrez compter sur le soutien du groupe La République en Marche.

En résumé, la mission « Défense » que nous examinons aujourd’hui, d’une part, donne des moyens au maintien en condition opérationnelle des équipements et, d’autre part, prépare leur remplacement. Ce budget prépare également l’avenir avec plus de 4,7 milliards d’euros consacrés aux activités de recherche et développement, ce qui nous permettra d’anticiper les mutations technologiques de demain.

Pour toutes ces raisons, madame la ministre, vous pouvez compter sur l’engagement des sénateurs du groupe La République en Marche qui approuveront sans aucune réserve votre budget. Cependant, j’ai cru comprendre que nous serions bien seuls dans ce cas au Sénat ! (Sourires.)

Enfin, mon groupe tient à rappeler qu’il partage pleinement la volonté du Président de la République de voir émerger une véritable Europe de la défense.

Il y a de cela plus d’un mois, j’intervenais dans cet hémicycle pour indiquer que les conclusions de la revue stratégique mettaient en exergue les mutations que connaît le monde dans lequel nous vivons. Il s’agit d’un monde plus divisé, plus changeant, un monde aussi où les nouvelles technologies ont pris toute leur place, offrant à la fois des opportunités exceptionnelles et posant de nouveaux défis.

Dans un tel contexte, la France ne pourra agir seule pour assurer sa défense. Si le maintien d’une autonomie de décision au niveau hexagonal apparaît indispensable, l’Union européenne est l’échelon d’avenir en matière de défense. Notre avenir passe par la construction d’une Europe de la défense qui puisse intervenir, compléter notre action, nous pousser à innover et à réussir ! (M. Richard Yung applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le tir de missile intercontinental effectué mardi par la Corée du Nord, le tragique attentat dans une mosquée du nord Sinaï égyptien sont les plus récents événements qui témoignent d’un contexte international dégradé et sous tension, ce dont nous ne doutions pas, hélas, même si l’on peut se satisfaire bien sûr du recul de Daech en Syrie et en Irak.

En effet, la revue stratégique de défense et de sécurité nationale, dont nous avons débattu dans cette enceinte il y a quelques semaines, fait état de cet environnement « instable et incertain », d’un ordre multilatéral « remis en cause » et d’une France exposée au « durcissement du terrorisme djihadiste ».

Dans ces conditions, notre pays ne devrait pas ralentir ses engagements avant longtemps. Le niveau de mobilisation de nos forces est très important sur les théâtres d’opérations extérieurs, des théâtres qui durent bien souvent au-delà de ce que l’on prévoit.

Par ailleurs, parce que l’ordre dit « westphalien » est d’un autre temps, nos soldats doivent aussi concourir à la sécurité du territoire national avec l’opération Sentinelle.

Nous examinons ce soir une mission particulièrement sensible et pour laquelle les moyens doivent être à la hauteur des défis. Nous devons conserver notre rang de puissance militaire, afin de garantir notre autonomie stratégique, bien sûr, mais aussi pour rester crédibles, au sein tant de l’OTAN que de l’Union européenne.

Aussi le projet de loi de finances pour 2018 inscrit-il la mission dans une trajectoire ascendante. Cette trajectoire pourrait-elle pour autant conduire à porter l’effort de défense à 2 % du PIB d’ici à 2025 ? À cette question, il convient de répondre : oui, sur le papier ! Avec une hausse de 1,8 milliard d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2017, les crédits sont au rendez-vous. Ils sont même sensiblement supérieurs au montant inscrit dans la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019. Ce progrès mérite d’être salué, madame la ministre.

Cependant, tant du côté de la commission des finances que de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, les rapporteurs ont émis des doutes, que je partage pour certains.

Vous le savez, madame la ministre, plusieurs points soulèvent des questions. Mais vous allez sans doute y apporter des réponses.

Se pose tout d’abord la question des crédits encore gelés, soit 700 millions d’euros.

Comme chaque année, le surcoût des OPEX suscite aussi des inquiétudes, bien que la dotation initiale soit augmentée de 200 millions d’euros dans ce budget. En septembre dernier, le montant de ces surcoûts était toutefois évalué à 1,53 milliard d’euros. Cette hausse n’améliore pas complètement la budgétisation des OPEX, qui restent à la merci du financement interministériel. La Cour des comptes l’a d’ailleurs encore rappelé tout récemment.

Mais comme je l’ai dit, il existe un effort certain, qui permettra de répondre à plusieurs urgences.

Tout d’abord, il faut faire face à l’urgence en matière d’équipements et d’infrastructures. La hausse des crédits en faveur des capacités de cyberdéfense et de renseignement, de la dissuasion nucléaire ou de l’entretien programmé des matériels contribue à maintenir un modèle d’armée sans abandon capacitaire.

Je veux également souligner l’effort budgétaire en faveur de la condition militaire, notamment au travers du plan d’amélioration de la condition du personnel. En marge de celui-ci, le plan Famille est une très bonne initiative, que nous saluons.

Je le rappelle, la multiplication des théâtres d’opérations extérieurs, conjuguée aux opérations de sécurité nationale, sollicite fortement les ressources humaines.

Le dernier rapport annuel du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire a constaté un certain nombre d’obstacles à la fidélisation des soldats à un moment où nous avons le plus besoin d’engagés. Les conditions de vie, que ce soit au quotidien ou sur le terrain, sont de plus en plus difficiles pour les militaires. Sur le terrain, le fort engagement opérationnel fragilise à la fois les capacités et la sécurité des militaires.

Le manque d’entraînement et le sous-équipement ne font que s’accroître au sein de nos armées. Selon le rapport du Haut Comité, des équipages de blindé « n’avaient ni tiré ni manœuvré avec leur matériel de dotation depuis près de deux ans ».

S’agissant de la vie quotidienne, les infrastructures immobilières et la qualité des centres de restauration ne sont pas non plus à la hauteur des besoins. J’ajoute enfin que la question du versement des soldes, un temps perturbé par le trop célèbre logiciel Louvois, n’est pas totalement réglée. Nous attendons vos explications sur ce point.

Il résulte de ces difficultés, madame la ministre, un problème de fidélisation des armées. Pour ne citer que l’armée de terre, seuls 65 % des militaires du rang signent un nouvel engagement.

C’est pourquoi c’est un vrai sujet, sur lequel nous devons être attentifs, car l’armée – c’est peu de le dire –, c’est une communauté d’hommes et de femmes qui sacrifient beaucoup au service de notre pays. Le Président de la République l’a rappelé à Istres, en juillet dernier : il faut que les militaires aient les moyens de leurs missions et que les ressources nécessaires soient engagées.

Voilà un objectif que nous partageons, madame la ministre. Nous comptons sur vous pour engager la mission « Défense » dans ce sens.

À titre personnel, je voterai les crédits de cette mission, tout comme Jean-Claude Requier, président de mon groupe. D’autres, plus réservés, s’abstiendront, sauf si, madame la ministre, vous nous apportez, en cours de débat, de bonnes réponses. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.

Mme Christine Prunaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, que je représente, ce budget est en trompe-l’œil. Certes, une augmentation des crédits est proposée, mais elle cache la nécessaire compensation des crédits annulés cet été, sans oublier la revalorisation, insuffisante, mais réelle, du surcoût des opérations extérieures.

Dans ce budget, la dissuasion nucléaire tient toujours une place prépondérante, puisqu’elle représente 22 % des dépenses d’équipement et 10 % du budget total de la défense hors pensions. Ce sont 3,6 milliards d’euros mobilisés cette année dans le cadre du plan de modernisation, qui nous engage sur vingt ans.

À l’heure où des discussions à l’ONU ont amené 122 pays à adopter un traité d’interdiction des armes nucléaires, en vertu de l’article 6 du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires – nous l’avons évoqué dans un débat précédent –, et où le prix Nobel de la paix a été décerné aux initiateurs de cette démarche, il est regrettable que la France ait boycotté les discussions et refusé de signer le traité.

Un tel niveau de dépenses nucléaires pour une modernisation s’avère plutôt être un renforcement nucléaire ! Car on sort clairement du domaine de la maintenance et du maintien des conditions de sécurité, conditions tout à fait normales, lorsqu’on équipe un nouveau sous-marin de missiles M51.

Mon groupe a souhaité interroger François Hollande puis Emmanuel Macron sur cette question. Les réponses données, même si nous les comprenons, nous laissent perplexes. Je les cite : « Le poids de la menace nord-coréenne empêche tout démantèlement. » Ou encore : « Des discussions menées par des États non détenteurs ne sauraient être légitimes. » C’est surtout ce dernier argument qui me conduit à m’interroger.

Madame la ministre, je me permets de vous poser cette question, que vous vous êtes sans doute déjà posée : quelle est la légitimité des États détenteurs – par exemple la France – à interdire aux autres pays de développer des programmes nucléaires si eux-mêmes refusent d’arrêter leurs programmes ? Nous pourrions mener une réflexion sur ce dilemme au sein de la commission.

La seconde critique sur ce budget est relative à l’intégration de la France dans l’OTAN depuis 2009.

Notre pays a perdu en grande partie sa souveraineté en matière de défense. En effet, l’organisation de coopération de défense s’est vite transformée en une organisation transrégionale militaire. La raison de notre défiance vis-à-vis de l’OTAN, qui n’est pas nouvelle, tient aux deux éléments suivants.

Premièrement, l’organisation atlantique est aujourd’hui à l’initiative d’une véritable course aux armements. Ainsi, le fameux seuil de 2 % du PIB est d’autant plus contraignant depuis l’élection de Donald Trump. Celui-ci a d’ailleurs déjà annoncé sa volonté de conditionner le recours à l’assistance mutuelle au respect par les États demandeurs du seuil de 2 %.

Cette course aux armements est une lecture très partiale de l’article 51 de la charte des Nations unies sur le droit à la défense et un mépris de l’article 26 de la même charte sur la nécessité de limiter au maximum les armes en circulation.

Je vous rappelle également que la multiplication des matériels de guerre sur le marché légal entraîne le développement du marché parallèle. Ainsi, 90 % des armes illégalement en circulation sont issues du marché dit classique !

Deuxièmement, et pour faire le lien avec la charte des Nations unies, nous sommes dans une situation où une organisation militaire supplante totalement l’organisation internationale souveraine qu’est l’ONU.

Combien d’États se sont rendus coupables d’infraction aux règles des Nations unies en intervenant en Irak en 2003 parce que les États-Unis, et donc l’OTAN, avaient décidé d’y aller ? Comment, en 2011, avons-nous pu passer d’une résolution de mise à l’abri des civils libyens à une opération de renversement du pouvoir ? Nous avançons ainsi dangereusement sur le terrain du droit international d’ingérence.

Enfin, nous formulons une dernière critique sur ce budget au sujet de la maîtrise de nos moyens opérationnels. La situation est paradoxale, puisque notre pays n’a jamais produit autant de matériels de guerre, mais nos militaires n’ont jamais été autant dans des conditions si difficiles.

Le parti pris d’équilibrer la balance commerciale de la France avec la vente de matériels de guerre, quels que soient les acheteurs, nous semble inadéquat.

Ainsi, comment expliquer que nos soldats continuent d’utiliser des véhicules de l’avant blindés mis en service en 1976 – j’en ai été très surprise – ou des gilets pare-éclats faute de gilets pare-balles ?

De plus, la multiplication des opérations a conduit à une surexploitation du matériel et des personnels. À titre d’exemple, citons le service de santé des armées, dont j’ai parlé tout à l’heure.

Vous avez annoncé votre volonté de réformer l’opération Sentinelle, madame la ministre. C’est une bonne chose, puisque cette dernière fait courir un risque sérieux à nos soldats mobilisés, risque imputable au manque de matériel et à la difficulté des conditions de vie hors service, faute d’une politique immobilière adaptée.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Christine Prunaud. Justement, je terminerai cette intervention en ayant une pensée pour nos soldats mobilisés en France ou à l’étranger, et en rappelant le gel de 700 millions d’euros dans le programme « Équipement des forces ». Nous ne mettons en cause ni votre volonté ni votre investissement, madame la ministre, mais, pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ne votera pas les crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur spécial, mesdames, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, depuis quelques années, comme nous le savons tous, la défense nationale est revenue plus que jamais au cœur des priorités de notre pays.

À ce titre, ce projet de budget constitue la trame financière des ambitions élevées et des engagements pris par le Gouvernement en matière de défense pour permettre aux Français de vivre en sécurité et à notre pays de garder son statut.

Je salue, bien évidemment, la progression de 1,8 milliard d’euros des crédits de paiement, qui passent de 32,4 milliards d’euros en 2017 à 34,2 milliards d’euros en 2018. C’est une hausse historique, qui constitue un premier effort significatif pour atteindre l’objectif de porter les ressources des armées à 2 % du PIB, soit 50 milliards d’euros, à l’horizon 2025.

Ce budget comporte cependant plusieurs points de vigilance qui n’ont pas manqué d’être soulignés durant nos travaux en commission, mais également par nos collègues députés.

Je parle en l’espèce de l’annulation des 850 millions d’euros intervenue en juillet 2017, et des 700 millions d’euros de crédits reportés en 2016 et 2017 qui sont encore gelés.

Sans le financement interministériel du surcoût des OPEX et des missions intérieures et sans un dégel au moins partiel de ces crédits, la portée et la sincérité de ce budget seraient totalement remises en cause.

Je ne reviendrai pas sur la totalité des crédits, que nos rapporteurs ont déjà fort bien détaillés ; j’évoquerai simplement quelques points incontournables liés à quatre programmes de la mission « Défense ».

Tout d’abord, le financement des OPEX.

Cela me semble être l’une des questions centrales de ce budget. Nous constatons actuellement que la contribution nationale à l’effort de défense entre tous les ministères est incertaine.

Une part croissante de cette somme relèvera désormais du budget des armées avec 650 millions d’euros de provision pour le financement des OPEX en 2018.

Il faut souligner que cette hausse de 200 millions va dans le sens d’une meilleure prise en compte des réalités et des enjeux.

Cependant, dans un souci de lisibilité et d’optimisation de notre budget, ne serait-il pas nécessaire, madame la ministre, de créer une véritable section budgétaire spécifique pour les OPEX, adossée bien évidemment au budget de la défense, avec une prévision d’au moins 1 milliard d’euros, dont 850 millions seraient financés par les administrations habituellement mises à contribution ?

Ce schéma serait bien plus clair et permettrait de préserver en parallèle, avec certitude, les augmentations de crédits pour nos équipements.

Cela m’amène à évoquer le programme 146, « Équipement des forces », qui concentre l’essentiel des investissements de l’État. La hausse significative de 34,7 % des autorisations d’engagement permettra d’encourager l’élan indispensable du renouvellement des matériels.

Actuellement, le taux de renouvellement des équipements militaires n’est malheureusement pas suffisant pour empêcher leur vieillissement. Les chiffres sont extrêmement inquiétants. Ainsi, 60 % des véhicules utilisés en OPEX sont vieillissants et n’ont pas de protection suffisante, ce qui expose nos soldats à des dangers certains.

En effet, nous avons des véhicules qui sont en service depuis plus de 30 ans, voire 35 ans. Je pense notamment aux véhicules de l’avant blindés. Quand les prochains véhicules arriveront, ces derniers auraient entre quarante et quarante-cinq ans d’utilisation.

Si nous ne prenons pas de décisions fortes rapidement, madame la ministre, ce sont des pans entiers de missions qui pourraient ne plus être remplis sur certains théâtres d’opérations.

Par ailleurs, plus les achats sont lents, plus les dépenses sont importantes, puisque les pénalités versées aux industriels pour non-respect des contrats s’ajoutent au coût toujours plus élevé de l’entretien et du maintien en condition opérationnelle des matériels vieillissants.

Compte tenu du retard accumulé et des alertes incessantes de nos armées sur ce sujet, l’accélération du programme Scorpion, sur lequel vous êtes très mobilisée, madame la ministre, doit être une priorité absolue.

Ainsi, l’achat de nouveaux matériels permettrait de disposer de capacités techniques et tactiques bien supérieures aux caractéristiques actuelles, sans parler du niveau de protection que nous pourrions alors garantir à nos militaires.

Une diplomatie forte sans une armée à la hauteur ne peut garantir le rayonnement de notre nation et la sécurité escomptée.

Nous reviendrons évidemment sur ce sujet, madame la ministre, lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire, prévu au printemps 2018.

Un point maintenant sur le programme 144, dont les crédits sont en progression de 4,5 %, essentiellement consacrés au renseignement, et qui permettront de renforcer les actions de la DGSE et de la DRSD, services très sollicités dans le contexte de lutte contre le terrorisme que nous connaissons.

Veillons cependant à ne pas négliger la conduite des relations internationales et de la diplomatie de défense – action 08 de ce programme – pour maintenir également la capacité d’influence de la France qui suscite actuellement quelques inquiétudes.

Je pense notamment à l’Afrique, où j’étais il y a quelques jours. Sommes-nous encore en capacité de maintenir notre influence et de protéger les intérêts français en matière de défense sur ce continent ?

Avec plus de 1 000 soldats au Soudan du Sud, près de 700 au Liberia et 400 au Mali, la Chine est déjà très présente sur le continent africain, ce qui lui permet, selon le Conseil européen des relations internationales, de développer sa connaissance des terrains extérieurs et de protéger ses intérêts économiques, comme au Soudan du Sud.

Je pense également à la première base militaire de la Chine installée à l’étranger, plus précisément à Djibouti. Ce pays n’a pas été choisi au hasard, puisqu’il a une position stratégique dans la corne de l’Afrique. Ce territoire est la porte d’entrée vers l’Afrique de l’Est et l’océan Indien. Autant d’exemples qui montrent qu’aucune action du programme ne doit être négligée.

Enfin, et pour conclure, je souhaite aborder les enjeux liés au programme 212, au premier chef desquels les ressources humaines.

Le onzième rapport annuel du Haut Comité d’évaluation de la fonction militaire, publié le 6 octobre dernier, relève la difficulté récurrente, pour l’armée, de fidéliser ses effectifs.

Près de 62 % des militaires envisagent aujourd’hui de quitter la fonction. Les raisons sont multiples : de l’obsolescence du matériel à la mobilité géographique, en passant par les conditions d’hébergement ou les parcours professionnels parfois difficiles des conjoints.

L’excellente initiative du plan Famille, doté de 300 millions d’euros sur cinq ans, devrait permettre, à n’en pas douter, de répondre progressivement aux besoins d’amélioration de la condition des personnels sur certains aspects incontournables.

D’autres défis restent à relever, comme la création de plus de passerelles entre armée et fonction publique, ou encore une réflexion à mener sur la concurrence du secteur privé, qui offre généralement des salaires et des conditions de vie plus attractives pour les spécialités très techniques, mais aussi pour les professionnels de santé tels que les médecins, dont les effectifs sont très insuffisants, notamment en OPEX.

Nous espérons, madame la ministre, que ce budget pourra garder toute sa sincérité.

Le groupe Union Centriste, conscient de l’effort budgétaire réalisé, souhaitait apporter un soutien unanime. Malheureusement, le maintien du gel des 700 millions d’euros, à l’heure où nous parlons, nous conduit à une abstention sur les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’entrer dans le débat de ce jour, permettez-moi d’avoir une pensée pour nos militaires et leurs familles, pour celles et ceux qui ont été touchés dans leur chair, blessés au combat ou qui ont donné leur vie au service de notre pays, pour celles et ceux qui ont perdu un camarade, un ami, un mari, un frère. Je veux saluer la dignité des familles dans ces moments de douleur, saluer l’ensemble de nos forces armées, ainsi que le dévouement de ces femmes et de ces hommes engagés dans les missions qui leur sont confiées partout dans le monde pour maintenir la paix, garantir la liberté de la France et assurer notre sécurité à tous, que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur de nos frontières.

Je tiens aussi à exprimer notre estime pour le général Pierre de Villiers, qui a accompli un travail remarquable dans ses fonctions. Nous connaissons l’extraordinaire proximité qu’il a su entretenir avec ses hommes au-delà des grades et des armes, son souci de garantir que chaque homme, chaque femme engagés sur une mission puisse la réaliser dans les meilleures conditions matérielles et sécuritaires possible. Dans son départ, nous voyons une rupture avec la gouvernance exercée jusqu’alors.

Je veux enfin exprimer nos encouragements à son successeur, le général François Lecointre, chef d’état-major des armées, dont les compétences et le dévouement sont reconnus par tous, et, à travers lui, à l’ensemble des chefs d’état-major : terre, air et marine.

Cela dit, pour déterminer la position de mon groupe, il me semble essentiel de replacer nos débats dans le contexte actuel.

Nous pourrions y voir une forme de continuité. Celle-ci n’est qu’apparente.

En effet, la méthode par laquelle a été conçue la revue stratégique nous interpelle. Alors que les deux précédents Livres blancs de 2008 et de 2013 avaient associé les parlementaires et, au-delà, les acteurs de la communauté de défense, nous regrettons leur absence dans l’élaboration de ce qui représente la pierre angulaire de la doctrine stratégique de la France. Il serait souhaitable que les parlementaires soient associés plus en amont du projet de loi de programmation militaire.

Les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat ont démontré par le passé qu’elles étaient capables de fournir des contributions de qualité au service d’une démarche collective. Il y va de notre cohésion nationale autour de nos armées.

Ce budget pour les forces armées et la défense s’inscrit toujours dans un contexte sécuritaire de tensions. Tensions à l’extérieur, où nos forces restent engagées dans plusieurs opérations : Chammal, au Levant, où Daech a été vaincu d’un point de vue conventionnel, puisqu’il a perdu l’ensemble de ses emprises territoriales, mais l’engagement de nos troupes durera encore longtemps, car la sécurisation totale de ces vastes espaces prendra du temps ; Barkhane, au Sahel, où la situation sécuritaire est préoccupante, tant les attaques régulières de groupes terroristes, particulièrement à l’encontre des populations civiles, nous appellent à la vigilance.

Et puis, nos troupes restent présentes partout, sur de nombreux théâtres, notamment au Liban, où nos soldats poursuivent l’engagement quotidien du maintien de la paix.

Nos forces interviennent aussi sur le territoire national, où la menace terroriste est bien réelle. Avec l’opération Sentinelle, nos armées sont intégrées au dispositif regroupant l’ensemble de nos forces de sécurité. Même si ce dernier a été réadapté, chaque jour, ce sont des milliers de militaires qui sont présents dans nos rues et sur les sites sensibles, afin de nous protéger.

Toutes ces opérations appellent un budget en progression, afin de permettre à chaque soldat de réaliser ses missions dans les meilleures conditions possible.

Lors de la dernière campagne présidentielle, la plupart des candidats, dont l’actuel Président de la République, se sont engagés à consacrer 2 % du PIB aux dépenses militaires. L’année dernière, la commission avait confirmé la nécessité d’atteindre cet objectif et en avait posé les jalons. Nous constatons aussi que les différentes déclarations du Gouvernement fixent cet engagement dans la durée, puisqu’il s’agirait d’atteindre 2 % du PIB en 2025, c’est-à-dire trois ans après la fin du quinquennat actuel.

Poursuivant ce raisonnement, 1,7 milliard d’euros de crédits supplémentaires sont inscrits pour l’année 2018, dans une montée en puissance progressive, avec des augmentations similaires pour les années à venir – sont annoncés 1,7 milliard d’euros pour 2019 et 1,8 pour 2020.

Dans le même ordre d’idées, aucun programme ne semble avoir été annulé et le projet de loi de finances pour 2018 ne présente pas, sur le papier, de grandes ruptures avec la logique de consolidation de notre outil de défense qui a prévalu ces dernières années. Par exemple, le programme 144 continue d’être affiché comme une priorité. Dans un environnement incertain, nous ne pouvons qu’approuver cette démarche de renforcement de nos capacités de renseignement, ainsi que nos moyens d’action en matière de cybersécurité. Je pense enfin à l’apparente stabilisation budgétaire pour les programmes 146 et 191.

Notre industrie de défense doit être soutenue. Présente dans nos territoires à travers un tissu de PME, elle est l’un des secteurs clés qui tirent l’ensemble de notre économie, notamment avec ses 200 000 emplois.

Pérenniser notre modèle de défense, c’est garantir à notre industrie de conserver ses moyens en matière de recherche et développement. En effet, le risque de nivellement par le bas, voire de décrochage technologique, existe bien.

Enfin, le programme 178, pivot de la transformation permanente de nos armées, permet de soutenir l’effort de protection des infrastructures et des personnels.

Toutefois, nous restons vigilants.

D’abord, pour la marine, parce que nous assistons à une montée en puissance des forces navales d’autres pays dans la protection de leurs espaces maritimes.

Ensuite, pour l’armée de l’air, qui a vu ses équipements très sollicités par de multiples déploiements opérationnels. Il en découle une tension pesant sur le renouvellement des stocks, des systèmes d’armes et des équipages.

Enfin, pour l’armée de terre, qui supportait jusque-là la majeure partie de la réduction des effectifs.

Si nous partageons un certain nombre de perspectives figurant dans ce projet de loi de finances pour 2018, il n’en demeure pas moins que celui-ci soulève des interrogations. En effet, nous devons prendre en compte l’ensemble des éléments financiers. La hausse affichée du budget de la défense, sans précédent depuis la fin de la guerre froide, nous paraît bien artificielle à la lumière des arbitrages pris depuis l’été.

Comme l’avaient souligné nos anciens collègues Jean-Pierre Raffarin et Daniel Reiner, il s’agit également de prendre en compte le coût des décisions entérinées par le conseil de défense du 29 avril 2015 et inscrit dans l’actualisation de la loi de programmation militaire. Cela représente 1 milliard d’euros pour 2018 et 1,2 milliard d’euros pour 2019.

N’oublions pas que le ministère des armées a subi une coupe budgétaire de 850 millions d’euros en juillet dernier. Cette coupe conduit au décalage dans le temps d’un certain nombre de programmes. Je pense à la rénovation de nos Mirage 2000D. Mais il n’aura échappé à personne que, derrière ces reports budgétaires, il y a des hommes et des femmes à qui l’on donne des missions. Ces dernières ne peuvent malheureusement pas être repoussées dans le temps. Derrière ces artifices budgétaires, il y a la réalité, celle des soldats qui devront en subir les conséquences sur le terrain.

Et puis, cela entraîne d’ores et déjà des renégociations de contrats avec les industriels. Madame la ministre, je vous ai déjà interrogée à ce sujet en commission : pourriez-vous nous éclairer sur le montant des indemnités compensatoires qui leur seront versées ?

Enfin, je rappelle que 700 millions d’euros de crédits alloués à la défense sont toujours gelés par Bercy, même si c’est de saison. Nous espérons les voir dégelés très vite. Sans ces crédits, l’augmentation affichée dans le présent projet de loi de finances pour 2018 manquera de sincérité.

Au total, ce projet de loi de finances pour 2018 présente une réalité budgétaire quelque peu différente de celle qui est affichée par l’augmentation de 1,7 milliard d’euros du budget de la défense. Cette augmentation, nous la soutenons, mais, sans garantie de la part de Bercy quant au dégel de 700 millions d’euros de crédits alloués à la défense, nous ne pouvons pas voter cette proposition budgétaire.

En conséquence, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur les crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)