compte rendu intégral

Présidence de Mme Marie-Noëlle Lienemann

vice-présidente

Secrétaires :

M. Yves Daudigny,

M. Joël Guerriau.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis un avis favorable - 35 voix pour, aucune voix contre et 3 bulletins blancs - à la reconduction de M. Nicolas Dufourcq aux fonctions de directeur général de la société anonyme Bpifrance.

3

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte commun sur le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la sécurité.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

4

Transformation d’un groupe de travail en commission spéciale

Mme la présidente. Le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance ayant été transmis au Sénat, le groupe de travail dont les membres ont été nommés en séance le 17 janvier dernier, peut être transformé en commission spéciale.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi créant un dispositif de don de jours de repos non pris au bénéfice des proches aidants de personnes en perte d'autonomie ou présentant un handicap
Discussion générale (suite)

Don de jours de repos pour les proches aidants

Adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant un dispositif de don de jours de repos non pris au bénéfice des proches aidants de personnes en perte d’autonomie ou présentant un handicap (proposition n° 146, texte de la commission n° 235, rapport n° 234).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi créant un dispositif de don de jours de repos non pris au bénéfice des proches aidants de personnes en perte d'autonomie ou présentant un handicap
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 1

Mme Sophie Cluzel, secrétaire dÉtat auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, « le besoin de s’aider engendre la bienveillance, une indulgence mutuelle, l’absence de toute rivalité », disait George Sand.

Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je crois en cette solidarité qui nourrit effectivement la bienveillance et contribue au changement de regard sur les plus fragiles. Elle renforce le lien social entre nos concitoyens et rappelle que les difficultés que peuvent rencontrer certaines familles à un moment donné sont l’affaire de tous et nous concernent tous, car nous sommes tous susceptibles de vivre un jour ou l’autre une épreuve de la vie qui nous fera apprécier cette solidarité que nous appelons de nos vœux.

C’est cette solidarité qui nous rassemble aujourd’hui au travers de l’examen de cette proposition de loi visant à étendre le dispositif de don de jours de repos non pris aux aidants familiaux. L’enjeu est de taille, car ce sont 8 millions à 11 millions de Français, en grande majorité des femmes, qui aident régulièrement un de leurs proches en situation de handicap ou de dépendance, quel que soit leur âge.

En tant que maman d’une enfant en situation de handicap, je connais bien le rôle essentiel des aidants, l’énergie, la force, le courage et le dévouement dont ils font preuve au quotidien, et je leur voue une grande admiration. Si nous travaillons tous dans le sens de la promotion d’une société inclusive, clef de voûte de ma feuille de route, nous devons pour autant faire preuve d’une grande vigilance, veiller à ce que l’inclusion ne se fasse pas au détriment de l’équilibre de vie des aidants et à ce que l’on ne fragilise davantage des familles déjà ébranlées. C’est pourquoi cette proposition de loi est particulièrement opportune.

Le rôle des aidants va s’amplifier avec le temps. Vous savez, tout comme moi, que l’évolution démographique de notre pays constitue autant une chance qu’un défi. Nous avons besoin des aidants et nous devons les reconnaître, les soutenir, les préserver, car leur dévouement à un prix. Les aidants présentent d’ores et déjà 60 % de risques supplémentaires de contracter une maladie liée au stress et au surmenage.

Rappelons-le, près de la moitié des aidants sont des actifs. Ils – et surtout elles, je le redis – doivent tout mener de front. Comme l’avait justement précisé la ministre du travail, Muriel Pénicaud, devant les députés, il existe une forte interaction entre la vie personnelle de l’aidant et son activité professionnelle. L’articulation entre ces vies constitue un défi quotidien qui le dépasse et affecte l’ensemble de son environnement professionnel, qui doit s’organiser d’une part pour pallier ses absences, d’autre part pour l’accompagner dans cette période difficile lorsqu’il est présent sur son poste de travail. Il s’agit là d’un enjeu majeur, sur lequel les employeurs, les ressources humaines, les partenaires sociaux doivent monter en puissance, en s’inspirant de pratiques volontaristes d’ores et déjà adoptées dans certaines entreprises.

C’est donc en apportant la sécurité juridique nécessaire au mouvement de solidarité dans le monde du travail que nous soutiendrons et favoriserons la solidarité intergénérationnelle entre proches.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons la responsabilité collective de reconnaître ce rôle si exigeant des aidants en les soutenant dans leur engagement. Cette proposition de loi ne répond certes pas à l’ensemble des enjeux considérables relatifs à la situation des aidants familiaux, mais elle représente un pas significatif.

Je veux rappeler à cet égard que j’ai confié, avec mes collègues Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, et Muriel Pénicaud, ministre du travail, une mission à Mme Dominique Gillot, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées et ancienne sénatrice. Son objet est de soutenir le retour et le maintien dans l’emploi des aidants familiaux de personnes en situation de handicap ou de personnes âgées. Dominique Gillot nous rendra en mars prochain ses conclusions. Elles pourront enrichir, le cas échéant, l’élaboration du projet de loi relatif à l’apprentissage et à la formation professionnelle.

Vous l’aurez compris, cette proposition de loi me tient à cœur. Le cap de la politique du handicap, dont le Président de la République a fait une priorité, est de faire de la France une société pleinement inclusive. Or une société inclusive ne peut se penser sans tous ces proches qui soutiennent et accompagnent les projets de vie du quotidien des personnes en situation de handicap et de dépendance.

Le Gouvernement est mobilisé pour améliorer le soutien aux aidants, véritable gage d’une meilleure qualité du soutien présent et futur à nos personnes âgées et en situation de handicap. Pour toutes ces raisons, madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement donne un avis favorable à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec un sentiment d’honneur et de gravité que je rapporte pour la première fois un texte qui n’a pas manqué de susciter d’importantes interrogations en commission des affaires sociales. Celle-ci s’est prononcée à une large majorité en faveur de l’adoption sans modification de cette proposition de loi, mais elle s’est montrée à juste titre partagée sur son contenu, eu égard à sa portée limitée.

Qu’est-ce donc que ce texte, inspiré par l’intention louable d’élargir les droits sociaux des proches aidants – ces personnes qui consacrent une large partie de leur temps à des membres de leur entourage qui ont besoin d’un accompagnement constant du fait de leur état de santé et de leur manque d’autonomie – mais dont la portée risque fort de ne pas être à la mesure de l’ambition ?

Ils sont actuellement près de 8,3 millions – voire 11 millions selon certaines sources – à apporter leur aide, quotidienne et bénévole, à un membre de leur entourage proche. L’explosion de leur nombre est une conséquence directe de l’allongement de la durée de la vie et du désir qu’ont les personnes en perte d’autonomie de se maintenir chez elles : autant d’heureuses tendances dont on a trop longtemps négligé les effets. Tout à la joie de pouvoir jouir plus longuement de nos proches, nous oublions souvent que la fragilité qui accompagne l’âge ou le handicap exige que nous nous acquittions envers eux d’un surcroît de soins et d’attention.

Mes chers collègues, les proches aidants, les aidants familiaux, ces personnes dont le droit n’a pas encore figé l’appellation, connaissent une détresse profonde. Sourde et digne, souvent inexprimée parce qu’issue d’un mouvement qu’animent indistinctement devoir et compassion et que nous avons tardé à distinguer du simple soutien que se doivent les membres d’un même entourage, que la loi n’a pas à régir, cette détresse n’en est pas moins réelle.

Quand la personne s’abîme doucement, quand sa carrière est compromise, quand sa propre famille se fissure à force de vivre deux vies, la sienne et celle dont elle s’est donné la charge, alors notre devoir ne se résume plus à laisser à la société le soin de réguler d’elle-même ses propres cellules : il est d’apporter l’élément qui éveillera les consciences sur une réalité trop souvent ignorée.

Cet élément, le voici. Il n’est certes pas parfait. Le mérite de ce texte revient à notre collègue député Paul Christophe, du groupe UDI, Agir et Indépendants, qui l’a inscrit à l’ordre du jour réservé aux groupes minoritaires de l’Assemblée nationale. Il constitue une transposition aux proches aidants du dispositif de la loi du 9 mai 2014, également issu d’une initiative parlementaire et visant à permettre aux collègues d’un salarié dont l’enfant est atteint d’une maladie grave de lui faire don de jours de congés payés.

L’idée était fort belle, en ce qu’elle inscrivait dans la loi un élément de solidarité dans l’entreprise, dont les salariés étaient libres de s’emparer ou non. Elle n’avait néanmoins pas de véritable portée normative. Concernant les grandes entreprises, de nombreux accords d’entreprise antérieurs à la loi prévoyaient déjà des dispositifs comparables, voire meilleurs ; concernant les petites et moyennes entreprises, où les jours de congés au-delà du seuil légal sont presque inexistants, la loi ne se distinguait guère d’une simple déclaration d’intention. Pourtant, le Parlement l’a votée, parce qu’il s’agissait d’une main tendue, parce que, malgré le risque de voir ses effets partiellement neutralisés, elle disait aux parents d’enfants gravement malades, avec la solennité dont la loi seule peut être revêtue, la considération, l’empathie et l’appui des pouvoirs publics.

C’est ce geste que je vous demande de renouveler aujourd’hui. Je n’en partage pas moins l’insatisfaction de certains de mes collègues.

Je suis tout à fait consciente que la discussion d’un nouveau texte sur les proches aidants de personnes âgées ou handicapées nous fait passer à côté de la réforme ambitieuse et d’envergure que leur condition réclame.

Je suis tout à fait consciente que le don de jours de congés payés au proche aidant d’une personne en perte d’autonomie ne répond que très imparfaitement aux besoins réels qu’une pareille situation implique : l’aménagement du temps de travail, une homogénéisation des droits à la retraite de tous les aidants, une sécurité financière pour tous les aidants et, pourquoi pas, un véritable statut qui rassemblerait en un bloc unique tous ces droits dispersés et empilés au gré de textes successifs dont ils n’ont été jusqu’à maintenant qu’une matière incidente.

Dans l’attente d’une consolidation de ces droits, je m’engage formellement devant vous à veiller à ce que l’engagement pris par le Gouvernement, lors de la dernière conférence nationale du handicap, d’élaborer une stratégie nationale en faveur des aidants soit tenu, et surtout à ce qu’il intègre la condition des proches aidants de personnes âgées.

Forts de cet engagement, je vous demande donc, mes chers collègues, de voter cette proposition de loi en l’état. Je vous demande de me rejoindre dans une patiente détermination à donner aux aidants les droits qui leur sont nécessaires, et à leur adresser pour l’heure le signal qu’ils ne sont pas oubliés et que la représentation nationale prend leurs intérêts à cœur. Songez bien que la modification de ce texte, inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale réservé aux groupes minoritaires, contraindrait nos assemblées à poursuivre une navette dont l’aboutissement demeure plus qu’incertain. Nous ne perdrions certes pas l’occasion d’inscrire un droit essentiel au côté de ceux qui existent déjà, mais nous passerions à côté de celle, dont il est rarement donné au Parlement de se saisir, d’adresser aux aidants un geste fort, que je veux riche de promesses. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains).

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe La République En Marche.

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans un mouvement, longtemps attendu, de reconnaissance des aidants.

Notre pays compte plus de 8 millions de ces aidants qui, en plus de faire face à leurs impératifs personnels et professionnels, soutiennent de façon bénévole et habituelle dans sa vie quotidienne un de leurs proches dépendant. Les termes « aidant familial » ou « proche aidant » qui désignent ceux qui assurent cette forme exigeante de secours à un proche ne sont apparus que relativement récemment. Longtemps en effet ils – ou plutôt elles – ont été invisibles dans nos politiques publiques.

Étant le plus souvent épouses, mères ou filles des personnes qu’elles assistent, la spécificité de leur engagement, et donc de leurs besoins, a d’abord été ignorée, parce que relevant d’une solidarité familiale perçue comme naturelle, mais reposant pourtant de façon disproportionnée sur les femmes.

Puis le regard porté sur les aidants a changé : collectivement, nous reconnaissons désormais leur apport spécifique à notre système de solidarité et avons pris conscience qu’il faut « aider les aidants ».

Depuis plus de dix ans maintenant, comme vous le rappelez dans votre rapport, madame la rapporteur, plusieurs dispositions ont été adoptées pour reconnaître des droits sociaux aux aidants, notamment salariés, comme le droit à congé, à la retraite ou, dans certains cas, l’ouverture de possibilités de dédommagement. Je salue à cet égard la création, par la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, d’un droit au répit pour les proches aidants de personnes bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA.

En complément, la loi du 9 mai 2014, ou loi Mathys, a encouragé la solidarité horizontale en généralisant la possibilité de faire le don de jours de repos à un collègue pour lui permettre de rester auprès de son enfant gravement malade.

Aujourd’hui, nous complétons ce dispositif en l’étendant au « salarié qui vient en aide à une personne atteinte d’une perte d’autonomie d’une particulière gravité ou présentant un handicap ». Cette extension concernera également la fonction publique. Certes, les quelques jours de repos ainsi collectés ne permettront pas aux aidants de faire face sur le long terme – souvent plusieurs années – aux difficultés liées à la perte d’autonomie de leur proche.

Néanmoins, ce pas en avant supplémentaire est bienvenu. Nous soutiendrons ce texte par notre vote unanime, car il participe du changement culturel qui s’opère dans notre société au bénéfice des aidants.

Pour autant, nous devons constater l’émiettement des dispositions actuelles en faveur des aidants, ainsi qu’un manque de lisibilité du champ des personnes concernées et de leurs droits. Il y a donc urgence à définir une stratégie globale pour les aidants, notamment celles et ceux qui ont une activité professionnelle. On ne peut pas continuer ainsi à se pencher sur leur situation au coup par coup.

En raison de l’allongement de la durée de la vie, du recul de l’âge de la retraite, du souhait de rester chez soi, du manque de structures et du coût de celles-ci, chacun, un jour ou l’autre, peut être amené à devenir aidant d’une personne en perte d’autonomie tout en ayant une activité professionnelle, comme c’est le cas de près de 50 % des aidants en France.

Les difficultés que ces aidants rencontrent pour concilier leur vie professionnelle et leur rôle auprès de leur proche sont multiples : nécessité de réduire ses horaires de travail, absences fréquentes, choix d’un métier ou d’un poste moins rémunérateur mais moins contraignant, refus de promotions, fatigue, voire épuisement, qui affecte la productivité au travail, et malheureusement, dans certains cas, hostilité, voire discrimination.

L’enjeu de société est doublement important, car de 60 % à 70 % des aidants sont des femmes, qui souffrent déjà des inégalités entre les femmes et les hommes dans le monde du travail. Pour réduire ces inégalités, toutes les solutions doivent être mobilisées : renforcement de l’accès géographique et économique aux services d’aides à domicile pour soulager les aidantes ; conduite d’une réflexion, avec les entreprises, sur l’aménagement du temps de travail et le recours au télétravail lorsque c’est pertinent. L’aidant ne doit pas être perçu négativement dans la collectivité de travail.

Il faudra également développer les mécanismes de solidarité collective pour compenser les pertes de revenus et de cotisations résultant des réductions ou interruptions temporaires d’activité.

Le vote d’aujourd’hui n’épuisera donc pas, tant s’en faut, la question du soutien aux aidants, mais il sera le gage de notre mobilisation. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

M. Dominique Watrin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord de remercier Mme la rapporteur de la qualité et de l’objectivité de son rapport. Nous apprécions particulièrement, au groupe communiste républicain citoyen et écologiste, qu’elle n’ait pas caché les limites de cette proposition de loi. Pour nous aussi, la générosité est une valeur que la société doit savoir promouvoir. Notre réticence à l’égard de ce texte ne se situe donc pas à ce niveau.

Permettre à des salariés de faire don de jours de congés au-delà de la durée légale, pourquoi pas ? Cela se pratique déjà pour soutenir des parents confrontés à une maladie ou à un accident grave de leur enfant. Mais, de même que nous ne pouvions voter la loi du 9 mai 2014, nous ne pourrons voter aujourd’hui ce texte, d’abord parce qu’il introduit une inégalité inacceptable entre salariés en fonction de la taille de leur entreprise. Ainsi, le salarié d’une TPE ne pourra quasiment pas mobiliser de jours de repos quand celui d’une grande entreprise aura plus de facilités pour ce faire. Mais surtout, comme l’a d’ailleurs rappelé la présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, « il revient aussi à la solidarité, aux politiques publiques de financer l’effort nécessaire ». Pour notre part, nous dirions même qu’il revient à l’État de donner l’exemple.

Or vous soulignez vous-même, madame la rapporteur, que « cette proposition de loi ne saurait en aucun cas prétendre corriger toutes les carences très importantes dont les droits de l’aidant continuent aujourd’hui de souffrir », et vous donnez rendez-vous au Gouvernement sur ce sujet.

Nous proposons, là encore, d’aller plus loin. Tel est le sens de l’amendement de fond que nous avons déposé. Cet amendement d’appel, madame la secrétaire d’État, vise à sonder les véritables intentions du Gouvernement sur ce sujet, si sensible eu égard aux sacrifices – allant jusqu’à celui de leur propre vie – que consentent nombre des 8,3 millions d’aidants.

Notre collègue député Pierre Dharréville vient de dévoiler toute une série de propositions en conclusion de la « mission flash » qu’il a menée sur ce sujet à l’Assemblée nationale.

Tout d’abord, pour promouvoir le recours au congé de proche aidant, actuellement faible, il propose de créer une indemnisation dont le montant pourrait être identique à celui de l’allocation journalière de présence parentale, soit 43,14 euros par jour. Le coût de cette mesure est estimé à 300 millions d’euros, une goutte d’eau par rapport aux milliards, sinon aux dizaines de milliards d’euros qu’il faudra bien mobiliser un jour pour accompagner le vieillissement et l’entrée en dépendance d’une part croissante de nos concitoyens.

Ensuite, les proches aidants de personnes handicapées bénéficiant déjà d’une majoration de leur durée de cotisation à l’assurance vieillesse, à hauteur d’un trimestre par période de prise en charge de trente mois, dans la limite de huit trimestres, notre collègue député propose d’étendre ce système pour en faire bénéficier aussi les proches aidants de personnes âgées dépendantes.

Enfin, il est proposé de prendre en charge à 100 % les dépenses de santé des aidants, en raison de leur état d’épuisement physique et mental, qui nécessiterait d’ailleurs un suivi particulier.

Madame la rapporteur, vous avez émis un avis défavorable sur l’amendement que nous avons déposé. Vous nous avez indiqué, en commission, que le fait de ne pas adopter cette proposition de loi dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale pourrait retarder une avancée, aussi modeste fût-elle. Nous entendons votre argument, mais si nous votions ce texte en l’état, nous dédouanerions encore une fois le Gouvernement de ses obligations ! Quant à la nécessité d’aller vite, faut-il rappeler qu’il a fallu attendre près d’un an les décrets d’application de la loi du 9 mai 2014 relative aux enfants malades ?

Dans le même ordre d’idées, le droit au répit, pourtant reconnu par la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, peine encore, deux ans après la promulgation de ce texte, à se mettre en place dans les départements. J’espère, madame la secrétaire d’État, que vous pourrez nous apporter des explications à ce sujet.

En résumé, faute d’un engagement ferme du Gouvernement sur des mesures concrètes à la hauteur des enjeux et financées de façon solidaire, nous voterons contre cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe socialiste et républicain.

Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est un rapport lucide que Mme la rapporteur nous a présenté aujourd’hui, un rapport généreux aussi en ce qu’il encourage le don de jours de congé à un proche aidant par d’autres salariés. Cette pratique est née avant que la loi ne la prévoie. Ainsi, dans la branche de la plasturgie, un accord la permettant à compter du 1er janvier 2018 a été signé entre les syndicats et les organisations professionnelles. Demain, après l’adoption de cette proposition de loi, elle sera étendue à toutes les branches.

C’est un rapport lucide, madame la rapporteur, car vous soulignez les limites de cette proposition de loi au regard de l’ampleur des besoins en matière de soutien aux aidants.

Le nombre de ces derniers est estimé entre 8,3 millions et 11 millions : ce flou dans les chiffres tient au fait que l’on devient souvent aidant progressivement, en ce qui concerne l’accompagnement des personnes âgées, et non du jour au lendemain.

En outre, beaucoup d’aidants ne se reconnaissent pas comme tels, estimant ne faire que leur devoir. L’une des grandes avancées permises par la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement a été l’établissement d’un statut des aidants, dont le premier bénéfice, sur le plan psychologique, a été d’amener les aidants à s’identifier et à se reconnaître comme tels, et de fait à prendre soin d’eux-mêmes.

Monsieur Watrin, vous évoquiez voilà un instant l’accès aux soins pour les aidants. À mon sens, le problème tient moins à l’aspect financier qu’à un manque de prise en compte de soi-même. Je demande souvent aux médecins s’ils ont le réflexe de s’enquérir aussi de la santé des aidants des personnes âgées en perte d’autonomie qu’ils rencontrent.

Il importe en effet de prendre en compte la fatigue spécifique des aidants, dont 54 % sont des femmes. Ce taux croît d’ailleurs avec la gravité de l’état de la personne aidée, les trois quarts des aidants des personnes en grande perte d’autonomie étant des femmes. Cela fait partie du travail invisible et non rémunéré des femmes, qui commence à la naissance des enfants pour s’achever au décès des parents ou des grands-parents, un travail ô combien précieux pour nos finances publiques et sociales…

La reconnaissance des aidants a progressé, mais nous avons besoin de savoir pourquoi les conseils départementaux ne font pas mieux connaître le droit au répit aujourd’hui ouvert aux aidants.

Vous nous aviez donné comme consigne, madame la rapporteur, de ne pas déposer d’amendements, afin que le texte puisse être adopté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat. Nous nous y sommes conformés. Pour autant, il conviendrait de prendre certaines mesures. En particulier, il faudrait instaurer un droit au congé pour les aidants de parents âgés et dépendants, à l’instar du droit au congé pour les parents d’enfant malade.

Les aidants ont certes besoin de périodes de répit, mais ils ont aussi besoin de demi-journées ou de journées de congé, par exemple pour effectuer des démarches administratives souvent très lourdes et accaparantes.

Je vous propose donc, madame la secrétaire d’État, de réfléchir à la création d’un droit au congé pour les aidants de personnes âgées en perte d’autonomie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.