M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président Bas, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce jour est relative à un véritable fléau de notre société tant les conséquences sont douloureuses pour les victimes et les suivent toute leur vie. Je ne reviendrai pas sur les chiffres, dont on sait par ailleurs qu’ils sont bien en dessous de la réalité.

Dès 2014, notre collègue Muguette Dini déposait la proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles. Examiné en séance le 28 mai 2014, ce texte faisait suite aux travaux du groupe de travail sur les violences sexuelles et aux assises qui s’étaient tenues quelques mois auparavant au Sénat. En reportant le point de départ du délai de prescription à partir du moment où la victime est en mesure de révéler l’infraction, cette proposition de loi donnait aux victimes le temps de conscientiser leur traumatisme, le courage de le révéler et la maturité pour assumer les conséquences de cet acte.

Des décisions récentes ont fait polémique, les victimes de jeune âge n’ayant pas été reconnues comme ayant subi un viol. Afin de corriger les imperfections de la loi quant à la majorité sexuelle, mon collègue Alain Houpert et moi-même avons déposé, le 17 octobre 2017, une proposition de loi établissant une présomption irréfragable de viol en cas de pénétration sexuelle par une personne majeure sur un mineur de quinze ans.

À la même période, la commission que vous présidez, monsieur Bas, décidait, avant toute proposition de modification législative, de créer un groupe de travail pluraliste pour « une réflexion approfondie et sereine ».

Je tiens ici à saluer la qualité du travail de ce groupe, en particulier celui de Mme la rapporteur, Marie Mercier, dont on sait l’intelligence fine et les capacités d’écoute.

Je partage les orientations fixées, qui consistent à tenir compte de l’intérêt de l’enfant et à protéger les victimes mineures. Le groupe de travail nous présente cette proposition de loi, qui les traduit.

La stratégie globale du rapport annexé à l’article 1er correspond à des mesures qui, pour ne pas être législatives, n’en sont pas moins nécessaires pour créer autour des victimes un contexte cohérent et sécurisant.

L’article 2 allonge à trente ans à compter de la majorité le délai de prescription pour les viols et à vingt ans pour les délits sexuels sur mineurs. C’est un progrès indéniable. Sa portée symbolique est majeure, et, mes chers collègues, je vous remercie d’avoir tenu, en dépit des réserves ; je pense notamment à celles de l’Association française des magistrats instructeurs.

Pour ma part, néanmoins et à titre personnel, je soutiendrai les amendements de nos collègues Buffet et Houpert. Il me semble en effet que le critère de temporalité appliqué aux crimes contre l’humanité peut être étendu aux crimes sexuels sur mineurs.

M. Philippe Bas.Très bien !

Mme Catherine Deroche. La violence sexuelle est une forme de violence tellement destructrice, et les études scientifiques sur l’amnésie traumatique justifient, à mes yeux, cette imprescriptibilité.

De l’article 3, mobilisant l’élément de contrainte et évitant l’écueil d’un seuil d’âge, il ressort une réflexion novatrice. On sait les effets parfois, voire souvent, ineptes des seuils – cela dans nombre de domaines. Les exemples que vous citez, madame la rapporteur, en sont l’expression. C’est pourquoi je me range à votre position, qui est mesurée et très pertinente – mais je ne doutais pas de la pertinence de nos collègues Bas et Mercier. (Sourires.) Qui plus est, le Conseil d’État a confirmé votre analyse juridique.

M. Philippe Bas. C’est vrai !

Mme Catherine Deroche. Quant aux autres articles, relatifs à la surqualification pénale de l’inceste sur majeur – article 4 –, à l’aggravation des peines encourues pour atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans – article 5 – et à l’affirmation du caractère continu de l’infraction de non-dénonciation des mauvais traitements – article 6 –, j’y souscris pleinement.

Je dirai, pour conclure, que cette proposition de loi apporte une amélioration majeure dans la protection des victimes de violences sexuelles, dont les mineurs. Nous le devons à ces hommes et ces femmes touchés dans leur corps et dans leur âme. Ils font souvent face à leur douleur et à leur mal-être dans une solitude totale. Notre société se doit de protéger ses enfants et un pas est franchi ce jour.

La qualité du groupe de travail pluraliste créé par la commission des lois renforce et rappelle le rôle incomparable de la Haute Assemblée dans le débat parlementaire et la construction de la loi. Il convient de ne pas l’oublier en ces temps houleux ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire dÉtat. Je veux, d’emblée, remercier chaque sénatrice et chaque sénateur de la qualité de ces interventions.

Je souhaite, à l’issue de cette discussion générale, apporter quelques précisions.

Je tiens, d’abord, à exprimer le plaisir que je ressens à voir que le Sénat, dans un hémicycle plutôt rempli, débat de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, marquant ainsi un vif intérêt pour le sujet, ce que je salue.

J’aimerais, ensuite, répondre sur deux points particuliers.

Plusieurs d’entre vous ont évoqué la question de l’éducation. Je partage bien évidemment cette préoccupation majeure, qui est une priorité de l’action du Gouvernement. C’est notamment pour cette raison que Jean-Michel Blanquer a annoncé la création, à partir de la rentrée prochaine et dans tous les établissements scolaires, de référents Égalité et de référents Communication en direction des parents, via la Mallette des parents. Il a aussi annoncé la mise en place effective des trois séances d’éducation à la vie affective et sexuelle qui étaient prévues par la loi. Pour ce faire, le ministre a contacté les recteurs un par un, leur joignant un catalogue des associations agréées au titre des interventions en milieu scolaire, ou IMS, pour permettre le déroulement de ces interventions, dont nul ne me semble discute la qualité.

C’est également dans cet état d’esprit que le Président de la République a annoncé ce matin que l’école serait obligatoire à partir de l’âge de trois ans.

Mme Laurence Rossignol. L’instruction ! Ce n’est pas la même chose !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire dÉtat. L’instruction, en effet ! Je vous remercie de cette précision, extrêmement importante !

J’aimerais répondre à l’autre point soulevé tout à l’heure. J’ai souhaité échanger dans le cadre de la préparation de ce groupe de travail. Pour ce faire, nous avons convié à plusieurs reprises Mme la ministre Laurence Rossignol à discuter avec nous. Nous avons également reçu Mme Annick Billon, la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et nous avons adressé une invitation à l’ensemble de ladite délégation. De plus, j’ai été auditionnée par les sénateurs du groupe La République En Marche, à leur invitation. (Protestations.)

Je regrette de n’avoir pas reçu d’invitation à discuter avec ce groupe de travail, une invitation que j’aurais, bien évidemment, acceptée avec grand plaisir ! (Mme la rapporteur fait un signe de dénégation.)

Je ne reviens pas sur le reste des points évoqués, car je pense que nous en débattrons au fil de la discussion des articles.

M. François-Noël Buffet. C’est petit bras !

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi d'orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles
Article 1er et annexe (interruption de la discussion)

Article 1er et annexe

Le rapport sur les orientations de la politique de protection des mineurs contre les violences sexuelles, annexé à la présente loi, est approuvé.

Annexe

RAPPORT SUR LES ORIENTATIONS DE LA POLITIQUE DE PROTECTION DES MINEURS CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES

La loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles s’inscrit dans le cadre de l’article 34 de la Constitution, selon lequel « des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’État ».

La protection des mineurs contre les violences sexuelles appelle une stratégie globale reposant sur quatre piliers : prévenir les violences sexuelles à l’encontre des mineurs ; favoriser l’expression et la prise en compte de la parole des victimes le plus tôt possible ; améliorer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs ; disjoindre la prise en charge des victimes d’infractions sexuelles du procès pénal.

Davantage que des évolutions législatives, la mise en œuvre de cette politique implique une revalorisation notable et durable des crédits et des effectifs qui lui sont alloués.

I. – PRÉVENIR LES VIOLENCES SEXUELLES À L’ENCONTRE DES MINEURS

A. – Mieux connaître les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs

Comme le souligne le plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants (2017-2019) : « La persistance des violences s’explique notamment du fait de leur invisibilité. Ce déni collectif face aux violences faites aux enfants est renforcé par l’absence de données statistiques ».

D’où la nécessité d’améliorer le recensement des violences sexuelles subies par les mineurs, notamment les plus fragiles, afin de les rendre visibles et de lever un tabou.

Des enquêtes de victimation régulière permettront d’estimer la prévalence et l’incidence des violences sexuelles infligées aux mineurs, d’évaluer les faits ne faisant pas l’objet d’une plainte et d’identifier les facteurs déterminants d’un dépôt de plainte. Des enquêtes de victimation spécifiques aux personnes handicapées seront également conduites, prenant en compte leur vulnérabilité et leur risque élevé d’exposition à ces violences.

L’observatoire national de la protection de l’enfance et le réseau des observatoires départementaux jouent également un rôle essentiel pour mieux connaître ces phénomènes trop souvent abordés à partir des seules statistiques judiciaires.

B. – Mener une politique de sensibilisation tous azimuts

La prévention des violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs impose une politique ambitieuse de sensibilisation de toute la société.

Les parents, tout d’abord, doivent prendre conscience des comportements qu’il convient d’éviter à l’égard de leurs enfants. Cette sensibilisation à la parentalité débutera dès la naissance des enfants, par une information dispensée dans les maternités.

Les enfants, ensuite, doivent recevoir une véritable éducation à la sexualité. Il convient de garantir les moyens d’assurer cette obligation légale d’enseignement sur tout le territoire.

Une politique active doit par ailleurs être menée en direction des hébergeurs de contenus pornographiques sur Internet. L’accès précoce des enfants à la pornographie engendre en effet des conséquences désastreuses sur leurs représentations de la sexualité, et notamment du consentement. Des dispositions répressives ont été instituées depuis 1998. Il convient de dédier une unité de police spécialisée dans la lutte contre la cybercriminalité au relevé des infractions commises par les hébergeurs afin de poursuivre ces derniers.

II. – FAVORISER L’EXPRESSION ET LA PRISE EN COMPTE DE LA PAROLE DES VICTIMES LE PLUS TÔT POSSIBLE

A. – Lutter contre le faible taux de signalement à la justice des agressions sexuelles subies par les mineurs

Les obstacles à la révélation à la justice des agressions sexuelles doivent être identifiés et levés.

Il importe de mettre les enfants en capacité de prendre conscience de leurs droits, de l’anormalité des violences sexuelles qu’ils peuvent subir et de l’existence d’interdits, comme l’inceste, qui ne doivent pas être transgressés. À cet effet, des réunions d’information et de sensibilisation seront organisées dans les établissements scolaires par des professionnels : associations, policiers ou gendarmes, personnels de santé…

Les adultes, qu’il s’agisse des parents et des proches des enfants ou des professionnels à leur contact, doivent être informés et sensibilisés pour qu’ils assument l’obligation légale de signalement des violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs et qu’ils apprennent à mieux les repérer.

Des outils formalisés permettant l’identification de situations de maltraitance et des protocoles de réponses seront mis en place pour aider les professionnels au contact des mineurs. Conformément au plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants (2017-2019), un référent hospitalier sur les violences faites aux enfants sera nommé dans chaque établissement de santé.

Des temps et des espaces de parole sanctuarisés seront instaurés à l’école, auprès des professionnels de santé et à certaines étapes de la vie d’un enfant, pour faciliter le signalement d’évènements intrafamiliaux.

Les conseils départementaux ont un rôle essentiel à jouer, au titre de leur compétence en matière de protection de l’enfance, que la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a conforté.

La libération de la parole des mineurs sera accompagnée d’une meilleure utilisation des outils nationaux d’écoute et d’aides aux victimes, qui devront faire l’objet d’une stratégie nationale concertée de communication.

Ces campagnes nationales de communication s’appuieront sur une plate-forme numérique de référence pour les violences sexuelles, afin d’informer les victimes sur les modalités simplifiées de dépôt de plainte et les différents lieux de signalement possibles.

B. – Faciliter le dépôt de plainte et accompagner les victimes en amont de leurs démarches judiciaires

Par la diffusion de consignes claires à l’ensemble des enquêteurs, le droit de voir sa plainte enregistrée sera garanti à chaque victime.

De même, des structures adaptées au recueil de la parole des mineurs, comme par exemple les salles « Mélanie », seront développées afin de permettre à chaque victime de voir sa parole recueillie dans les meilleures conditions.

Les moyens dédiés à la formation des enquêteurs pour l’accueil et l’écoute des plaignants seront augmentés.

La présence de psychologues et d’assistantes sociales sera généralisée dans les unités de police ou de gendarmerie.

III. – AMÉLIORER LA RÉPRESSION PÉNALE DES INFRACTIONS SEXUELLES COMMISES À L’ENCONTRE DES MINEURS

A. – Mieux traiter les affaires de violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs

Afin de réduire les délais des enquêtes et de traiter le flux considérable de contenus pédopornographiques, les moyens et les effectifs de la police judiciaire et scientifique seront renforcés.

Les moyens des juridictions seront eux aussi renforcés pour :

– lutter contre les délais excessifs de traitement par la justice des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs ;

– éviter la requalification en agression sexuelle ou en atteinte sexuelle d’un crime de viol en raison du seul encombrement des cours d’assises ;

– faciliter l’audiencement des infractions sexuelles en matière correctionnelle, éviter le recours à des procédures simplifiées, voire expéditives, de jugement de certaines infractions et prohiber tout recours aux jugements en comparution immédiate ;

– tirer les conséquences de l’allongement des délais de prescription de l’action publique ;

– mettre en place des matériels adaptés, tels que la visio-conférence pour l’organisation des confrontations, afin de réduire les risques de traumatisme supplémentaires pour les victimes ;

– augmenter les budgets consacrés aux frais de justice afin de pouvoir faire appel à des experts, notamment psychiatres, et régler leurs honoraires dans des délais corrects.

B. – Mieux accompagner les mineurs victimes de violences sexuelles

Les moyens des bureaux d’aide aux victimes seront renforcés pour accompagner chaque mineur victime d’infractions sexuelles par une association d’aide aux victimes, dès le dépôt de plainte.

Un accès des victimes aux unités médico-judiciaires et aux unités d’accueil pédiatriques médico-judiciaires des établissements de santé sera garanti sur l’ensemble du territoire.

Parce que tout médecin est susceptible d’examiner une victime d’infractions sexuelles, la formation en médecine légale des étudiants en médecine sera renforcée.

C. – Adapter l’organisation et le fonctionnement de la justice judiciaire

La formation de l’ensemble des professionnels du droit susceptibles d’être au contact de mineurs victimes d’infractions sexuelles, qu’il s’agisse des magistrats ou des avocats, sera renforcée.

Les spécialisations des magistrats seront encouragées, tout comme l’identification de pôles d’instruction spécialisés. Dans les juridictions les plus importantes, une chambre spécialisée sera créée pour traiter ce contentieux.

Des moyens seront mobilisés pour notifier en personne, par exemple par un délégué du procureur ou une association d’aide aux victimes, chaque décision de classement sans suite intervenant à la suite d’une plainte pour violence sexuelle.

IV. – DISJOINDRE LA PRISE EN CHARGE DES VICTIMES D’INFRACTIONS SEXUELLES DU PROCÈS PÉNAL

A. – Offrir une alternative au procès pénal

La reconstruction des victimes est trop souvent associée à la seule réponse pénale, jusqu’à en devenir une injonction pour elles. Il est nécessaire de disjoindre le temps du procès pénal du temps de la plainte.

Le dépérissement des preuves, l’absence d’identification de l’auteur ou son décès empêchent objectivement de nombreuses victimes d’obtenir un procès pénal.

En conséquence, le procès pénal ne doit pas être présenté aux victimes comme la solution incontournable permettant une reconstruction, ni par les enquêteurs, ni par les professionnels de santé.

Afin de proposer aux victimes d’autres prises en charge que celles ancrées dans une procédure judiciaire, il convient en premier lieu de désacraliser le recours au procès pénal dans les discours de politique publique et de présenter de manière transparente aux victimes les finalités et les modalités d’une procédure judiciaire.

Le temps du procès pénal doit être distingué du temps de la plainte. Les victimes doivent toujours être entendues et reçues par les services enquêteurs même en cas de prescription de l’action publique. Chaque violence dénoncée par une victime doit faire l’objet d’une plainte et d’une enquête, même si les faits apparaissent prescrits. En effet, l’enquête préalable est nécessaire pour constater ou non la prescription et peut permettre d’identifier des infractions connexes qui ne seraient pas prescrites.

Dans le ressort de certains tribunaux de grande instance, même en cas de faits largement et évidemment prescrits, les victimes de viols commis pendant leur enfance peuvent, avec l’autorisation du parquet, venir témoigner dans un lieu spécialisé, dans le même cadre d’écoute, d’attention et d’enquête que les victimes de faits plus récents. Les personnes mises en cause sont alors invitées à répondre aux questions des enquêteurs dans le cadre d’une audition libre, voire à participer à des confrontations lorsque les victimes en expriment le besoin. Cette pratique répond à un double objectif, thérapeutique pour aider les victimes à se reconstruire, et opérationnel pour identifier, le cas échéant, un auteur potentiellement toujours « actif ». Ce protocole de prise en charge des victimes pour des faits prescrits sera généralisé sur l’ensemble du territoire, dans tous les services spécialisés de police judiciaire.

B. – Accompagner le processus de reconstruction des victimes d’infractions sexuelles

La justice pénale ne peut plus être l’unique recours des victimes. D’autres voies que le procès pénal, permettant la reconnaissance et la reconstruction des victimes, doivent être développées. Il convient ainsi d’encourager le recours à la justice restaurative et de faciliter la réparation des préjudices subis.

Les victimes doivent, d’une part, être informées de l’existence des mesures de justice restaurative prévues à l’article 10-1 du code de procédure pénale, par exemple une médiation, afin de pouvoir y recourir si elles le souhaitent, d’autre part, se les voir systématiquement proposées lorsque les faits sont prescrits ou lorsque les preuves de la culpabilité de l’auteur manquent.

Les victimes doivent en outre être informées de la possibilité d’obtenir une réparation civile des dommages subis, y compris lorsque les faits sont prescrits sur le plan pénal. À cet effet, il convient de sensibiliser les associations et les professionnels de santé chargés de leur accompagnement.

Une réflexion doit être menée sur-le-champ d’application de l’article 9-2 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, qui accorde actuellement le bénéfice de l’aide juridictionnelle aux victimes de viols, sans condition de ressources, afin de l’étendre à d’autres infractions sexuelles.

Des parcours de soins et de prise en charge cohérents doivent être mis en place pour les enfants victimes de violences sexuelles et les adultes victimes de telles violences pendant leur enfance. Conformément aux engagements du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, la Haute autorité de santé publiera un protocole national de prise en charge ainsi qu’une cartographie de l’offre de prise en charge spécialisée des victimes de violences sexuelles. Les connaissances scientifiques en matière de traitement des psychotraumatismes doivent être plus largement diffusées auprès des professionnels de santé.

Il est enfin nécessaire de concrétiser la création du centre national de ressources et de résilience qui permettrait de briser le tabou des douleurs invisibles et de structurer une offre institutionnelle de parcours de résilience pour les victimes d’infractions sexuelles.

M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, sur l’article.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, l’article 1er de cette proposition de loi vise à approuver le rapport sur les orientations de la politique de protection des mineurs contre les violences sexuelles.

Dans un contexte marqué par de nombreuses affaires de violences sexuelles commises à l’encontre de mineurs et de décisions de justice incompréhensibles, ce rapport d’information permet d’apaiser ce débat difficile et sensible.

Ces violences, qui sont d’une gravité extrême, laissent des traces profondes sur le plan psychologique, mais sont aussi la cause de multiples maladies somatiques que l’on relie fort tard à ces traumatismes. Selon l’association Stop aux violences sexuelles, un enfant sur cinq en serait atteint en Europe.

Ce texte présente des avancées importantes. Je vous remercie donc, mes chers collègues, de ce travail de qualité, nécessaire à la construction d’une politique efficace. Je salue plus particulièrement le travail remarquable de Mme le rapporteur. J’en partage pleinement les propositions, notamment celles qui sont liées à la prévention de ces violences.

C’est au nom de cette prévention que je souhaite attirer votre attention sur le rôle que pourraient jouer les départements dans cette démarche. Dans les collèges, ils mènent, au titre de leurs compétences facultatives, des actions éducatives, qui relèvent parfois du champ de l’éducation artistique et culturelle. Ces actions visent, par exemple, à apprendre à mieux s’alimenter afin de lutter contre l’obésité, à encourager la pratique sportive…

Aussi, pourquoi ne pas capitaliser sur ces actions qui existent et encourager les conseils départementaux à jouer un rôle plus actif dans la prévention des violences sexuelles et y rajouter – pourquoi pas ? – l’éducation à la sexualité ? Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, cité dans le rapport, révèle que, « en 2015, 25 % des écoles déclaraient n’avoir mis en place aucune éducation à la sexualité ».

On observe pourtant une grande ignorance sur l’éducation sexuelle chez les enfants dans les collèges et même les lycées. En même temps, on commence – entre autres vaccinations – à vacciner contre le cancer du col de l’utérus de plus en plus tôt, parfois dès le CM2.

Comment expliquer d’une manière cohérente à nos enfants l’obligation de cette vaccination, alors même qu’ils n’ont reçu aucune éducation sexuelle ? L’une des réponses à apporter est, me semble-t-il, d’encourager les collectivités départementales à devenir actrices de la prévention de ces violences, en lien étroit avec l’éducation nationale, mais également avec l’aide des nombreuses associations qui font de la protection des droits de l’enfant un véritable combat et que, selon moi, nous ne sollicitons pas assez.

M. le président. Il faut conclure, chère collègue ! Vous avez largement dépassé votre temps de parole !

Mme Christine Bonfanti-Dossat. Au fond, conjuguer nos actions pour construire une solide politique de prévention des violences sexuelles, n’est-ce pas la meilleure façon de protéger nos enfants ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.

M. Maurice Antiste. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mise en place de l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED, et la réalisation, en 1992, de la première enquête sur l’analyse des comportements sexuels en France ont permis de révéler le poids important des violences sexuelles subies : 20,4 % des femmes et 6,8 % des hommes âgés de dix-huit à soixante-neuf ans ont déclaré avoir subi une forme de violence sexuelle au cours de leur vie – attouchements, tentatives de rapports forcés et rapports sexuels forcés. Notons également que 67 % des hommes et 59 % des femmes qui les déclarent affirment les avoir subis avant leurs dix-huit ans, sachant que l’auteur de ces rapports était très souvent le père ou le beau-père ou un autre membre de la famille.

Selon l’enquête VIRAGE, 82 % des viols et des tentatives de viol subis dans la famille et dans l’entourage proche commencent avant les quinze ans de la victime, ces violences sexuelles intrafamiliales étant très fréquemment des violences répétées si rien ne vient mettre fin aux agissements de l’agresseur.

Aussi, je m’étonne d’un certain nombre d’éléments qui, à mon sens, doivent être corrigés à court terme.

D’abord, malgré quelques dispositions législatives spécifiques, les violences sexuelles contre les enfants et celles contre les femmes font l’objet d’un même arsenal législatif et sont traitées par les mêmes appareils statistiques, contrairement à ce que l’on observe dans d’autres pays où ces deux phénomènes bénéficient d’un champ de recherche autonome.

Ensuite, les statistiques fournies par le ministère de l’intérieur et par l’Office national de la délinquance et des réponses pénales, l’ONDRP, ne permettent de distinguer les plaintes pour viols et pour harcèlements sexuels et autres agressions sexuelles qu’en fonction du fait que les victimes soient majeures ou mineures, alors qu’il est nécessaire de pouvoir les différencier selon l’âge des victimes et le contexte dans lequel elles se produisent.

En outre, le viol est légalement un crime qui doit être jugé par les cours d’assises. Pourtant, on assiste de plus en plus souvent à une correctionnalisation judiciaire des affaires de viol. Cet état de fait a notamment été dénoncé par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans un avis du 5 octobre 2016.

Enfin, la mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineurs a réaffirmé une demande récurrente consistant à allonger les délais de prescription relatifs aux délits et crimes sexuels sur mineur. Cette modification de la loi est une nécessité dans la mesure où les mineurs victimes d’agressions sexuelles n’ont pas forcément le discernement nécessaire pour agir en justice avant la fin du délai de prescription, notamment en raison de leur jeune âge.