M. Loïc Hervé. Très bonne question !

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, sur le fondement de l’article L. 5211–13 du code général des collectivités territoriales, les élus des communautés de communes qui ne bénéficient pas d’une indemnité de fonction au titre de leur mandat intercommunal peuvent demander l’indemnisation des frais de déplacement engagés à l’occasion de certaines réunions qui ont lieu dans une commune autre que la leur.

Le législateur n’a pas entendu autoriser le remboursement des frais de déplacement aux élus des communautés de communes qui bénéficient d’une indemnité de fonction. Lors de l’examen du projet de loi relatif à la démocratie de proximité, le Sénat avait repoussé un amendement qui tendait à leur accorder ce remboursement, après un débat qui avait été particulièrement intense. Les arguments échangés étaient alors les mêmes qu’aujourd’hui.

En revanche, les élus des communautés de communes peuvent, en application de l’article L. 5211–14 du CGCT, être remboursés des frais engagés lors de l’exécution d’un mandat spécial, dans les mêmes conditions que les élus municipaux.

Vous avez raison de souligner la difficulté engendrée par ces règles.

Le Président de la République a annoncé, le 23 novembre 2017, à l’occasion de la clôture du Congrès des maires, son souhait d’améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux. Un chantier est consacré à cette thématique dans le cadre de la Conférence nationale des territoires. Il pourra se nourrir des travaux engagés par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, qui a constitué un groupe de travail sur le statut des élus locaux et qui devrait présenter ses préconisations d’ici à l’été 2018.

Ce sera un élément positif pour engager la recherche d’une solution à la difficulté que vous soulevez.

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien.

Mme Dominique Vérien. Je vous remercie de votre réponse, madame la garde des sceaux. J’ai également soulevé cette question auprès de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

En zone rurale, le faible nombre d’habitants implique une indemnité de montant lui aussi très faible. C’est d’ailleurs également le cas dans certaines communes. Or le prix de l’essence est, lui, relativement élevé ! Il importe donc de tenir compte des caractéristiques du territoire. C’est un vrai sujet.

J’en profite pour dire que, de façon globale, mais tout particulièrement dans le cadre de la réforme constitutionnelle, la question des distances à parcourir et de la surface du territoire devrait alimenter la réflexion, notamment sur le nombre d’élus locaux.

M. le président. Je vous remercie, madame la garde des sceaux, de votre endurance. (Sourires.)

Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

3

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
Discussion générale (suite)

Programmation militaire pour les années 2019 à 2025

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense
Demande de réserve

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense (projet n° 383, texte de la commission n° 477, rapport n° 476, avis nos 472 et 473).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le président, monsieur le président-rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, la France a besoin de ses armées. Elle a besoin d’une défense forte, solide, moderne. Elle en a besoin face à des menaces violentes, diffuses, mouvantes, face à des ennemis indéterminés.

Les Français ont besoin de leurs armées. Elles sont la garantie de leur sécurité, de leur liberté. Elles sont la garantie de notre capacité à être entendus et écoutés.

Le monde dans lequel la France évolue a été décrit avec précision et lucidité lors des travaux de la revue stratégique. Nous en avions débattu dans cet hémicycle, et nous en avions partagé le constat, comme les conséquences.

Le constat est celui d’un monde plus violent, où le terrorisme continue de frapper, où les États reprennent la course aux armements. Un monde où les puissances s’affirment par tous moyens, où les dictateurs gazent leur propre peuple. Un monde instable, où les pratiques changent et les ennemis n’ont parfois ni motivation ni visage, mais continuent de frapper par des actions terroristes toujours plus barbares, y compris sur notre sol.

Face à ce monde, nous l’avions dit clairement, la France doit agir. Elle doit agir en donnant à ses armées tous les moyens nécessaires pour mener à bien leurs missions. Elle doit agir pour répondre à toutes les menaces, être capable d’intervenir sur tous les terrains face à tous les ennemis. Elle doit agir en disposant d’une ambition forte et d’un objectif clair : donner à nos armées des moyens à la hauteur et bâtir un modèle d’armée complet et équilibré.

Nous le devons à nos armées. Nous le devons aux Français.

Ce projet de loi de programmation militaire c’est une réponse : une réponse à l’appel de nos armées. Une réponse à la demande des Français. Une réponse aux menaces qui pèsent sur notre pays.

La loi de programmation militaire 2019–2025 est la première loi en expansion depuis la fin de la guerre froide. C’est le début d’une remontée en puissance historique. En effet, ce n’est pas un projet de loi de programmation militaire ordinaire dont nous débattons aujourd’hui : ce sont les fondations solides d’armées modernes, prêtes, équipées.

Il nous fallait investir massivement dans les armées. C’est ce que fait ce projet de loi.

Le cap fixé par le Président de la République ne pouvait être plus clair : 2 % de la richesse nationale française sera consacré à la défense d’ici à 2025.

Dès l’année 2017, j’ai obtenu le dégel de 1,9 milliard d’euros pour notre défense, permettant ainsi de respecter le budget 2017. L’ensemble des surcoûts des opérations extérieures, les OPEX, ont été couverts en interministériel par des ressources supplémentaires pour le budget de la défense.

Pour cette année, la loi de finances initiale pour 2018 marque la première marche de la remontée en puissance de nos armées, avec une augmentation de 1,8 milliard d’euros de son budget. Concrètement, après des années de baisse continue, l’effort de défense, en pourcentage du PIB, a remonté cette année.

Cette remontée en puissance se poursuit et s’accélère dans le présent projet de loi : 295 milliards d’euros seront ainsi consacrés à la défense sur la période de la programmation.

Certains craignent que ces moyens n’arrivent trop tard. Or, rien que sur la période 2019–2023, ce sont 198 milliards d’euros qui seront investis pour notre défense, soit 23 % de plus que sur la période couverte par la précédente loi de programmation militaire.

J’y insiste, ces moyens sont exceptionnels. Ils sont aussi concrets, puisqu’ils ne reposent sur aucune recette exceptionnelle ou aléatoire, et seulement sur des crédits budgétaires. C’est un projet de loi solide, un projet de loi budgétairement sincère.

Bien sûr, j’entends les craintes. Je pense au surcoût des OPEX et des missions intérieures.

Le Président de la République l’a dit et répété, la provision pour les OPEX et les missions intérieures, bien trop faible ces dernières années, a été augmentée à 650 millions d’euros en 2018, pour être portée à 1,1 milliard d’euros dès 2020.

Parallèlement, ce texte inscrit noir sur blanc que les surcoûts éventuels seront financés en interministériel. Avec cette hausse de la provision, nous atténuons donc l’incertitude dans laquelle se trouvait le ministère concernant les ressources disponibles pour financer les opérations extérieures, qui, in fine, faisait peser un risque sur les crédits d’équipement, trop souvent mis à contribution pour couvrir les OPEX.

Cette décision rend nos budgets plus sincères, comme cela avait été demandé à de nombreuses reprises sur les travées de cette assemblée. Elle empêche que l’incertitude budgétaire puisse faire planer une menace sur les OPEX et les missions intérieures.

Je connais aussi les doutes de certains sur le financement du service national universel. Le Président de la République l’a affirmé plusieurs fois : celui-ci bénéficiera d’un financement ad hoc, indépendant donc du financement des armées. Le texte du projet de loi le prévoyait déjà, et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a choisi de renforcer ces dispositions. Toutes les garanties sont donc réunies.

Je pense, enfin, à l’actualisation de 2021. Elle aussi est une garantie, et non un sujet d’inquiétude. Elle est la garantie de la bonne exécution de la loi de programmation militaire, la LPM. Elle est le gage que nous emploierons les bons moyens pour atteindre l’objectif de 2 % du PIB en 2025.

Déterminer dès aujourd’hui les crédits postérieurs à 2023, c’est risquer de nous tromper, c’est risquer de sous-estimer l’effort nécessaire. Nous le savons, l’enfer est pavé de bonnes intentions. À cet égard, il serait préjudiciable à nos armées que nous manquions l’objectif que nous nous étions fixé, faute d’avoir anticipé parfaitement l’évolution de notre PIB.

Cette actualisation en 2021 est donc une bonne chose. J’en veux pour preuve l’actualisation de la LPM précédente, qui a permis, en 2015, de réajuster les ressources à un niveau plus conforme aux besoins.

À l’inverse, cela permettra d’éviter les promesses non tenues, dès le début de la période, de la LPM 2009–2014. Une actualisation nous aurait sans doute permis d’y échapper.

Je veux le dire à tous : le rendez-vous de 2021 est une bonne chose, une garantie pour l’exécution de ce texte, une garantie pour les 2 %.

Je voulais vous dire que je comprends les craintes, mais aussi votre vigilance. Comment ne pas les comprendre après que tant de sacrifices ont été demandés à notre défense ?

Je sais quel a été le rôle clé du Sénat, en soutien constant de nos armées quand les moyens n’étaient pas au rendez-vous. Depuis longtemps, et au cours de la dernière mandature en particulier, les sénateurs ont porté, en étroite collaboration avec Jean-Yves Le Drian, la défense d’un budget adéquat pour nos armées dans un contexte budgétaire particulièrement contraint.

Ils ont contribué à préserver ce qui devait l’être, avec des ressources inférieures aux besoins, compte tenu du niveau très élevé d’engagement de nos armées. Cela a permis de répondre aux exigences de la défense nationale et aux besoins des femmes et des hommes qui servent pour notre pays. Je tenais à le souligner tout particulièrement.

Ce combat, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’avez poursuivi depuis un an. Monsieur le président Cambon, vous avez su prendre la mesure de l’importance de ce texte pour notre défense comme pour nos militaires. Vous avez su le porter au-delà des débats politiciens, pour travailler dans le seul intérêt de notre défense et de nos armées. Avec vous, c’est toute une commission qui s’est emparée de cette loi de programmation militaire.

Je tenais à rendre un hommage tout particulier au travail mené en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, un travail qui a montré votre engagement pour notre défense, qui a montré une volonté, votre volonté d’enrichir ce texte pour le bien de nos armées.

Je crois profondément au travail parlementaire et à la coconstruction législative. C’est pourquoi, dans le débat qui s’annonce, je serai particulièrement attentive aux changements réalisés lors de l’examen du texte en commission.

Je ne vais pas égrener les thèmes maintenant – il faut garder un peu de suspense pour la discussion des articles –, mais je peux d’ores et déjà vous dire que je soutiens une bonne partie des apports de la commission, sur le volet programmatique comme sur le volet normatif.

Nous allons investir dans nos armées, et nous allons investir massivement, en termes financiers et humains : d’ici à 2025, 6 000 postes seront créés, notamment dans le secteur du renseignement et de la lutte dans l’espace cyber. Ils permettront d’inverser résolument la courbe des recrutements et de nous préparer aux conflits du futur.

Nous avons donc les moyens. La question qui se pose est celle de leur répartition. Ce projet de loi s’articule autour de quatre grands axes, dont chacun permettra de réparer les carences du passé et de préparer l’avenir de nos armées.

Le premier choix de cette loi de programmation militaire, c’est de se placer à hauteur d’homme. Les précédents textes ont toujours placé en leur cœur les gros équipements ; celui-ci tient d’abord compte de celles et ceux qui se battent pour nous. C’est un choix que j’assume, que je revendique et dont je suis fière.

Depuis des années, les premières coupes budgétaires des gouvernements se faisaient au détriment des petits équipements. On enlevait donc à nos forces d’abord ce qui était le plus nécessaire à leur quotidien.

Nous ne pouvions plus le tolérer. C’est pourquoi ce projet de loi prévoit la livraison de 55 000 gilets pare-balles dernier standard, dont 25 000 dès l’année prochaine. Il prévoit également de livrer, dès cette année 2018, 23 000 nouveaux treillis ignifugés, dont l’ensemble du personnel en OPEX sera équipé dès 2020, et l’intégralité de nos forces d’ici à 2025.

Ce projet de loi de programmation militaire, ce sont aussi de nouveaux droits civiques. Il autorise en effet les militaires à siéger dans les conseils municipaux de certaines communes. C’est une mesure de justice. Il ne s’agit pas de faire de la politique, mais de laisser à des militaires les moyens d’un engagement local et de permettre à toutes les communes – surtout les plus petites – de bénéficier de tous les talents, de toutes les bonnes volontés.

Par ailleurs, ce projet de loi amplifie les mesures prévues dans le plan Famille, dont la plupart des dispositions entreront en vigueur dès cette année. Très concrètement, cela signifie du wifi, des places en crèche, des logements supplémentaires et des affectations connues plus tôt qu’actuellement.

Ce projet de loi donne de meilleures conditions de vie et d’exercice à nos militaires et à nos civils. Il maintient l’envie de s’engager et permet de continuer à vivre son engagement tout au long de sa vie. À cet égard, j’aimerais citer une mesure emblématique : ce texte permettra à tous les militaires, femmes et hommes, en congé pour convenance personnelle afin d’élever leur enfant, de servir dans la réserve et de maintenir ainsi un lien avec leur engagement, leur vocation.

Mme Florence Parly, ministre. Nos forces sont au cœur de ce projet de loi de programmation militaire qui n’oublie pas leur vocation : l’action. Pour leur permettre d’agir, d’agir pleinement et pour garantir le succès de nos opérations, ce texte prévoit un renouvellement majeur de nos capacités opérationnelles et une augmentation des cibles les plus stratégiques.

Nous aurons sans doute l’occasion, au cours du débat, de revenir sur ces cibles et sur l’avancée des principaux programmes. Je ne vais donc pas me lancer dans un inventaire à la Prévert. Je souhaite néanmoins vous dire ce qui a guidé nos décisions, en concertation très étroite avec les armées, les directions et les services, lors de l’élaboration de ce texte.

Certains de nos matériels sont usés, vieillissants, parfois même inadaptés. Leur renouvellement n’est donc pas une option, c’est un impératif absolu.

Réparer et préparer : je l’ai déjà dit, c’est l’une des lignes fondatrices de ce texte. Contrairement aux précédentes lois de programmation militaire, ce projet ne procède à aucune annulation de programme ou renégociation massive de contrats, compte tenu des dernières exécutions qui ont été conformes aux ressources annoncées. Nous allons donc, pour les trois armées, réparer les déficits capacitaires, relancer les programmes et les accélérer.

Pour l’armée de terre, nous allons accélérer le programme Scorpion. Par ailleurs, 50 % des nouveaux blindés médians auront été livrés d’ici à 2025.

La marine bénéficiera de nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque, de nouvelles frégates, de patrouilleurs modernes en plus grand nombre.

L’armée de l’air connaîtra l’arrivée de ses premiers drones armés, le renouvellement de sa flotte d’avions de chasse et l’acquisition de nouveaux avions ravitailleurs et de transport stratégique en plus grand nombre que prévu.

Armée de terre, marine, armée de l’air : aucune impasse n’a été faite. Les trois armées voient leurs capacités renforcées, modernisées et accrues pour les plus stratégiques.

Ce projet assure également le renouvellement de ce qui est en quelque sorte « l’assurance vie » de notre nation que constituent les deux composantes de notre dissuasion nucléaire. C’est le respect de l’engagement du Président de la République et c’est un choix que je revendique, car il n’est pas question de jouer aux dés avec le cœur de la souveraineté de notre nation ni de baisser la garde, alors que notre environnement stratégique se détériore un peu plus chaque jour.

Le troisième fondement de cette loi de programmation militaire, c’est justement la garantie de l’autonomie stratégique de la France. C’est s’assurer que la voix de la France sera toujours entendue, écoutée, respectée. C’est s’assurer que nous serons capables de l’emporter, toujours, partout et tout le temps.

Ce projet de loi de programmation militaire prend donc acte de la métamorphose des conflits actuels. Il nous faut anticiper mieux, prévoir, savoir.

C’est pourquoi cette LPM accorde des moyens exceptionnels au renseignement, avec 1 500 nouveaux postes et 4,6 milliards d’euros d’investissements pour ses équipements.

Ce projet de loi prend aussi le tournant et la mesure des enjeux de cyberdéfense, puisque nous investirons 1,6 milliard d’euros pour la lutte dans le cyberespace et que nous recruterons 1 000 cybercombattants supplémentaires d’ici à 2025.

La France a la plus grande armée d’Europe. Avec ce texte, elle conforte sa place. Je dirais même plus : la France assume sa place. Elle en assume les forces, comme les responsabilités, au premier rang desquelles celle de fédérer, de faire le choix des projets ambitieux, des coopérations à grande échelle plutôt que des succès étriqués.

Nous devrons nous tourner vers nos alliés, en particulier européens, et chercher des projets fédérateurs, stratégiques. Je pense à notre politique spatiale, à notre groupe aéronaval ou à la défense aérienne élargie.

Nos voisins européens sont confrontés aux mêmes menaces, affrontent les mêmes dangers et partagent les mêmes constats que nous. L’Europe de la défense est une réponse collective et nécessaire. Elle ne naîtra pas d’un énième traité. Nous la construirons autour d’opérations communes, autour de projets concrets. Il ne s’agit pas d’un pari sans fondement, d’une déclaration d’intention sans rien derrière : les lignes bougent. Je pense à l’initiative européenne d’intervention, je pense à la coopération structurée permanente. Je pense aussi à cet accord historique que j’ai signé, voilà quelques semaines, avec mon homologue allemande, pour le système de combat aérien futur. Nos deux États se sont mis d’accord pour travailler ensemble sur un projet structurant pour notre défense aérienne. C’est donc le début d’opportunités exceptionnelles pour l’Europe et pour notre industrie de défense.

Enfin, le dernier axe de cette LPM 2019–2025 que j’évoquerai est l’innovation.

C’est une orientation à laquelle je tiens tout particulièrement et c’est, je crois, une nécessité pour conserver notre supériorité opérationnelle. On ne se prépare pas aux conflits du XXIe siècle comme à une guerre de tranchées. S’accrocher coûte que coûte aux équipements ou aux doctrines actuels sans anticiper le futur, c’est comme se retrancher derrière la ligne Maginot.

Aussi, avec cette loi de programmation militaire 2019–2025, les armées font pleinement leur entrée dans la modernité.

Le numérique est présent partout. Nous devons donc l’intégrer dans toutes nos technologies et tous nos modes de combat. Nous devons nous emparer de la recherche, nous placer à sa pointe et créer des ponts entre l’économie civile et l’économie militaire.

Ces enjeux sont déterminants pour nos armées. Ils le sont aussi pour notre économie, pour les 200 000 emplois de l’industrie de défense, pour les 4 000 PME de la base industrielle et technologique de défense. Ils le sont également pour les start-up, pour les inventions qui feront, demain, notre quotidien.

La recherche militaire a déjà inventé internet, le pneu et le GPS, pourquoi s’arrêterait-elle maintenant ? Et pourquoi ces inventions seraient-elles l’apanage des Anglo-Saxons ?

Ce texte nous donne les moyens de réussir. Nous augmenterons les moyens des études et de l’innovation en les portant de 730 millions d’euros par an à 1 milliard d’euros dès 2022. Nous créerons une agence de l’innovation de défense. Nous prendrons le tournant des défis de demain, en investissant, par exemple, 100 millions d’euros par an dans l’intelligence artificielle.

Avec ce projet de loi, nous préparons aussi l’avenir en engageant les phases préparatoires des grands programmes d’armement qui structureront l’avenir de nos armées : 1,8 milliard d’euros par an en moyenne seront ainsi consacrés à ces études qui nous permettront de concevoir le char de combat du futur, le système de combat aérien futur, dont je parlais à l’instant, ou le successeur du porte-avions Charles de Gaulle.

L’innovation, c’est un mode de pensée, un état d’esprit. Avec cette LPM nous pourrons agir comme nous le souhaitons, briser les carcans, troubler les conservatismes. Quatorze chantiers de transformation nous permettront de moderniser le ministère, de le rendre plus numérique, de réformer la DGA – la Direction générale de l’armement – ou d’augmenter la disponibilité de nos appareils en réformant le maintien en condition opérationnelle.

Ces réformes sont nécessaires et je prends devant vous l’engagement ferme de les mener jusqu’au bout et de surveiller leur exécution – comme celle de la loi de programmation militaire elle-même.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’attente de nos armées est forte. Les espoirs des femmes et des hommes qui servent notre pays sont immenses.

Ce texte donne des moyens exceptionnels à notre défense : il permet de renouveler les équipements ; il donne l’opportunité de mieux vivre l’engagement militaire ; il rend nos armées plus fortes, plus prêtes à affronter les défis et les conflits de demain.

Ne nous trompons pas de débat : aujourd’hui, nous ne discutons pas de l’exécution de la programmation – nous aurons ce débat, année après année, lors de l’examen des projets de loi de finances et des projets de loi de règlement. Aujourd’hui, nous discutons d’une programmation qui redonne à notre outil de défense les moyens dont il a besoin pour accomplir l’ensemble de ses missions. Il s’agit de l’avenir de nos armées, de nos militaires, de notre défense.

Alors, donnons-nous toutes les chances et bâtissons, ensemble, une défense forte, moderne et audacieuse. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – MM. Jean-Claude Requier et Raymond Vall applaudissent également.)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que, chaque jour, de nouvelles menaces font peser des risques inquiétants sur notre sécurité, il était temps de mettre fin à vingt ans d’éreintement de nos armées.

Face à ces menaces, chacun doit faire son devoir. Nos soldats font le leur, de manière admirable, jour après jour, nuit après nuit. Et je souhaite que mes premiers mots soient pour eux et qu’ils entendent l’hommage de notre assemblée des communes de France, qu’ils protègent à travers l’opération Sentinelle, jusqu’aux dunes de sable où, chaque jour, ils subissent les assauts du terrorisme et mettent leur vie en danger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain. – Mme Colette Mélot applaudit également.)

Chacun doit faire son devoir. Le Gouvernement a fait le sien en donnant à travers ce texte, dont vous venez de détailler les mesures, madame la ministre, les moyens à nos armées d’accomplir leur mission. Votre LPM est indiscutablement marquée par une remontée des crédits et des effectifs, et nous nous en réjouissons.

Faire son devoir, pour le Sénat, c’est évidemment soutenir l’inflexion positive que porte le Gouvernement, mais en contrôlant l’exécution de ce texte et le respect des engagements lourds que vous entendez prendre devant la représentation nationale aujourd’hui.

Permettez-moi de saluer le travail de la commission que j’ai l’honneur de présider et qui a systématiquement privilégié l’intérêt national aux dépens, parfois, des sensibilités de chacun – que ses membres en trouvent ici l’expression de ma profonde reconnaissance –, pour lui permettre de garder le rayonnement que mes augustes prédécesseurs ont su lui donner.

Après la « revue stratégique » qui a identifié les menaces, c’était avec impatience que la commission attendait ce projet de loi de programmation militaire. Nous en avions même fixé le cahier des charges, en mai 2017, dans le fameux rapport de Jean-Pierre Raffarin et Daniel Reiner, intitulé 2 % du PIB pour la défense nationale.

Ce projet de loi comporte à l’évidence de très nombreux aspects positifs. Enfin les moyens remontent ! Après des années d’attrition, de sous-investissement, de surengagement opérationnel, de fermetures de régiments, de suppressions de 50 000 – je dis bien 50 000 ! – postes militaires, nous changeons de registre.

Madame la ministre, vos priorités sont les nôtres : à « hauteur d’homme », régénération de nos moyens, favoriser l’innovation, mettre en avant la coopération… La commission de la défense partage vos ambitions : il faut préserver l’autonomie stratégique, garder un modèle complet d’armée qui maintient la capacité à entrer en premier sur le champ.

Nous approuvons aussi – même si nous aurions aimé davantage – les 6 000 créations de postes ou encore l’accélération sur certains équipements – les blindés médians de l’armée de terre, si utiles au Sahel, avec une meilleure sécurité pour nos soldats, les avions ravitailleurs et de transport, les patrouilleurs, notamment en outre-mer et, bien sûr, la rénovation programmée des deux composantes de nos forces de dissuasion nucléaire.

Mais les parlementaires que nous sommes se doivent aussi de pointer ce qui nous donne moins de satisfaction dans cette loi de programmation et vous dire notre inquiétude face à un certain nombre de fragilités, de lacunes et de paris.

La première fragilité, que nous avons tous perçue immédiatement, réside dans le calendrier des hausses des crédits. Le gros de l’effort interviendra après 2022, avec des hausses de 3 milliards d’euros qui nous paraissent à la limite de la soutenabilité. Madame la ministre, nous avons de sérieux doutes sur cette hausse brutale en fin de période. Les deux tiers des équipements seront mis en œuvre dans le dernier tiers de la LPM.

Le rapport que j’évoquais à l’instant recommandait d’étaler cet effort et de commencer dès 2018, année malheureusement « perdue » pour la défense, à la suite d’une décision dont tout le monde se souvient, en juillet dernier. Il eût été préférable de ne pas rater la première marche de ce difficile escalier.

La deuxième fragilité, au-delà de la clause de revoyure de 2021 sur laquelle vous avez donné votre sentiment, tient au caractère somme toute assez flou des engagements de la LPM.

Certes, il s’agit d’une loi de programmation, mais tout de même : nous manquons de visibilité sur le rythme des livraisons d’équipements ou sur les infrastructures, puisque nous devons nous contenter d’objectifs assez lointains – 2025 et 2030 –, sans les points de passage annuels.

Cette question est d’autant plus cruciale que la LPM ne couvre qu’une partie des besoins. Il manque 1,5 milliard d’euros de crédits d’infrastructures. En 2025, 60 % des installations de la défense, nos casernes notamment, seront « dégradées ».

De même, les recrutements nous paraissent trop faibles et trop lents : 450 recrutements chaque année pour des besoins que nous estimons à 2 500 par an. On est encore loin du compte.

Je veux marquer ici notre inquiétude pour les services de soutien, et particulièrement le service de santé des armées, le SSA. Ils sont éreintés. Je rappelle que les personnels projetés du service de santé des armées sont à 200 % de leur contrat opérationnel. Il en va de même du commissariat aux armées, pourtant essentiel à la qualité de vie en régiment.

Certaines lacunes capacitaires ne seront pas résorbées en fin de programmation. L’« accélération » annoncée ne peut être mesurée précisément d’ici à 2022. Elle sera donc assez modeste.

En 2025, 58 % de nos antiques « VAB » – véhicules de l’avant blindé – seront encore en service, 80 hélicoptères Gazelle des années 1970 auront été prolongés… En 2025 toujours, le drone de la marine sera tout juste commandé. « L’effort sur les petits équipements » ne se concrétisera qu’en 2021.

Enfin, la trajectoire de livraison des avions de transport tactique est, selon nous, assez peu crédible : il faudrait passer de 1,8 appareil par an en moyenne à 6 avions par an à partir de 2026 – voilà qui est assez ambitieux.

Les contrats opérationnels auraient dû être rehaussés, au regard de l’état des menaces. Le risque de surengagement existe donc toujours.

Votre programmation repose sur un autre pari, celui des coopérations capacitaires européennes. Vous avez bien évidemment raison, même si nous avons, ici encore, quelques observations à formuler.

Notre partenaire naturel, c’est le Royaume-Uni. Or il est affaibli à la fois par le manque de moyens et par le Brexit. Nous avons besoin de travailler avec nos amis anglais, mais les conditions sont encore assez difficiles.

Le partenariat avec l’Allemagne repose pour l’instant sur des affirmations politiques, certes volontaristes, qui butent sur une réalité industrielle et opérationnelle quelque peu différente. La coopération franco-allemande autour du futur avion de combat que vous avez évoquée, madame la ministre, devra préserver les intérêts industriels français et le sort des missions que chacun de nos pays exerce. Or les missions de la France ne sont pas toujours, c’est le moins que l’on puisse dire, celles de l’Allemagne…

De façon plus générale, que seront les coopérations européennes sans une préférence européenne pour l’achat des équipements ? Souvenons-nous de ce qui s’est passé en Pologne et aux Pays-Bas et qui se répétera peut-être demain dans des pays plus proches… Espérons que le bon sens l’emporte.

La commission a cherché à concilier ces deux aspects, positif et négatif; de votre texte. Je veux rendre ici hommage à mes dix rapporteurs budgétaires, toutes sensibilités confondues, qui ont énormément travaillé pour présenter des améliorations nous permettant de voter ce texte.

Les amendements apportés par la commission consolident la programmation, et renforcent le contrôle de son exécution, selon cinq axes.

Nous voulons tout d’abord sécuriser les moyens budgétaires. Une loi de programmation n’est pas un projet de loi de finances, nous l’avions tous compris.

La commission a donc voulu protéger les ressources de la LPM par rapport à l’éventuel service national universel. Vous avez pris des engagements solennels dont nous vous donnons acte pour que ce service national universel ne soit financé ni en crédits ni en personnels par les ressources de la programmation militaire. Faute de quoi, la LPM disparaîtrait de facto.

Le Président de la République l’a promis ; vous venez, madame la ministre, de renouveler cet engagement. Le Sénat, croyez-moi sur parole, vous y aidera. Nous serons très vigilants sur ce point, mais vous l’aviez compris depuis longtemps. (Sourires.)

Sur les OPEX, la commission a inclus dans le calcul de leur coût l’usure accélérée du matériel en opération. Le ministère des armées ne paiera pas plus que sa part dans le budget général.

De même, notre commission a enfin fixé le principe d’un retour intégral aux armées des produits de cessions immobilières, soit la coquette somme de 500 millions d’euros sur la programmation. Quand le ministère de la défense vend un immeuble, l’argent de cette vente doit lui revenir. Le principe est assez simple. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Raymond Vall applaudit également.)

Nous souhaitons renforcer le volet « immobilier ». Cette LPM qui s’affiche, à juste titre, « à hauteur d’hommes » ne prévoit pas suffisamment d’améliorations sur le difficile problème du logement des militaires.

Or c’est un enjeu crucial, en particulier pour Sentinelle, dispositif dont nous avons visité avec le président Larcher un centre opérationnel voilà à peine quelques semaines. Il manque en effet plus de 400 logements en région parisienne, ce qui contraint les soldats à faire d’incessants allers et retours.

Pire, la vente à bas prix du patrimoine prestigieux des armées à Paris continue. Nous souhaitons qu’il en soit différemment, et c’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement relatif à la fameuse « décote Duflot », qui doit s’appliquer seulement si 100 % des logements sociaux sont réservés aux militaires. On veut bien que les armées vendent moins cher leurs biens, mais il faut alors que les logements sociaux aillent aux militaires, et n’aient pas pour unique objet de satisfaire une dame qui exerce les fonctions de maire de Paris. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Si vous le souhaitez, nous pouvons discuter de l’îlot Saint-Germain !

La commission souhaite également que la décision de vente d’une partie du Val-de-Grâce soit reconsidérée, au regard des besoins en logement, notamment pour Sentinelle.

La commission a aussi souhaité mieux protéger les droits des pensionnés et des invalides de guerre en réintroduisant, au sein du contentieux administratif, les spécificités des formations de jugement actuelles.

S’agissant de la possibilité pour les militaires de se faire élire dans les communes, sujet qui nous a mobilisés un certain temps et reviendra sûrement en discussion au cours de la soirée, la commission a souhaité porter à 30 000 habitants le plafond au-dessus duquel les militaires en activité ne pourront pas être conseillers communautaires. En effet, le plafond de 15 000 habitants réduisait singulièrement la portée de ce texte. Elle a également supprimé l’interdiction pour les militaires élus dans les communes de moins de 9 000 habitants de participer à l’élection sénatoriale. Ne faisons pas des militaires des conseillers municipaux de seconde classe ! Ils doivent pouvoir exercer leur rôle comme un élu normal. (M. Robert del Picchia applaudit.)