Sommaire

Présidence de M. David Assouline

Secrétaires :

Mme Mireille Jouve, M. Victorin Lurel.

1. Procès-verbal

2. Loi de finances pour 2019. – Suite de la discussion d’un projet de loi

seconde partie (suite)

Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation

M. Marc Laménie, rapporteur spécial de la commission des finances

Mme Chantal Deseyne, en remplacement de M. Bruno Gilles, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales

M. Franck Menonville

Mme Jocelyne Guidez

M. Jean-Louis Lagourgue

Mme Cécile Cukierman

Mme Corinne Féret

Mme Patricia Morhet-Richaud

Mme Brigitte Lherbier

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées

État B

Amendement n° II-129 rectifié bis de Mme Corinne Féret. – Adoption.

Amendement n° II-131 de Mme Cécile Cukierman. – Devenu sans objet.

Amendement n° II-18 rectifié bis de M. Henri Leroy. – Adoption.

Amendement n° II-15 rectifié de M. Henri Leroy. – Devenu sans objet.

Amendement n° II-410 rectifié de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Retrait.

Amendements identiques nos II-3 de Mme Brigitte Micouleau, II-106 rectifié de M. Jean-Pierre Corbisez et II-132 de Mme Cécile Cukierman. – Adoption des trois amendements.

Vote sur les crédits de la mission

Adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », figurant à l’état B, modifiés.

Article 73 – Adoption.

Suspension et reprise de la séance

Justice

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour les programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice »

M. François-Noël Buffet, en remplacement de M. Alain Marc, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour le programme « Administration pénitentiaire »

Mme Maryse Carrère, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour le programme « Protection judiciaire de la jeunesse »

M. Jean-Louis Lagourgue

M. Thani Mohamed Soilihi

Mme Éliane Assassi

M. Jean-Pierre Sueur

Mme Sophie Joissains

M. François-Noël Buffet

M. Jacques Mézard

Mme Anne-Marie Bertrand

Mme Marie-Pierre de la Gontrie

Mme Brigitte Lherbier

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice

Rappel au règlement

M. Jean-Pierre Sueur ; M. le président.

État B

Amendement n° II-436 du Gouvernement. – Adoption.

Amendement n° II-123 rectifié quater de M. Jacques Mézard. – Rejet.

Amendement n° II-334 de Mme Marie-Pierre de La Gontrie. – Rejet.

Vote sur les crédits de la mission

Adoption des crédits de la mission « Justice », figurant à l’état B, modifiés.

Articles additionnels après l’article 77 quater

Amendement n° II-403 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Retrait.

Amendement n° II-121 rectifié bis de M. Thani Mohamed Soilihi. – Retrait.

Amendement n° II-394 rectifié de M. Jacques Mézard. – Retrait.

Amendement n° II-122 rectifié bis de M. Thani Mohamed Soilihi. – Retrait.

Amendement n° II-177 rectifié bis de M. Thani Mohamed Soilihi. – Retrait.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi

Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

Compte daffectation spéciale : développement agricole et rural

M. Alain Houpert, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Yannick Botrel, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques

M. Henri Cabanel, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques

M. Joël Guerriau

Mme Noëlle Rauscent

Mme Cécile Cukierman

M. Franck Menonville

M. Jean-Pierre Moga

Mme Anne-Marie Bertrand

M. Franck Montaugé

M. Pierre Louault

M. Daniel Gremillet

M. Jean-Claude Tissot

Mme Marie-Christine Chauvin

M. Jean-Paul Émorine

M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

État B

Amendement n° II-112 rectifié de M. Franck Montaugé. – Adoption.

Amendement n° II-326 rectifié de Mme Nadine Grelet-Certenais. – Rejet.

Amendement n° II-97 rectifié de Mme Marie-Noëlle Lienemann. – Non soutenu.

Amendement n° II-92 de M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. – Adoption.

Amendement n° II-110 rectifié bis de M. Jean-Claude Tissot. – Adoption.

Amendement n° II-94 de M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. – Adoption.

Amendement n° II-93 de M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. – Adoption.

Amendement n° II-107 rectifié de Mme Nicole Bonnefoy. – Adoption.

Vote sur les crédits de la mission

Rejet des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », figurant à l’état B, modifiés.

compte d’affectation spéciale : développement agricole et rural

État D

Vote sur les crédits du compte spécial

Rejet des crédits du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural », figurant à l’état D.

3. Rappel au règlement

4. Loi de finances pour 2019. – Suite de la discussion d’un projet de loi

Seconde partie (suite)

Défense

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial de la commission des finances

Mme Hélène Conway-Mouret, en remplacement de M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour le programme « Équipement des forces »

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour le programme « Équipement des forces »

Mme Christine Prunaud, en remplacement de M. Jean-Marie Bockel, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour le programme « Préparation et emploi des forces »

Mme Christine Prunaud, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour le programme « Préparation et emploi des forces »

M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour le programme « Soutien de la politique de défense »

M. Gilbert Roger, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour le programme « Soutien de la politique de défense »

M. Michel Boutant, en remplacement de M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour le programme « Environnement et prospective de la politique de défense »

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour le programme « Environnement et prospective de la politique de défense »

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères

M. Alain Richard

M. Joël Guerriau

Mme Joëlle Garriaud-Maylam

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier

Mme Christine Prunaud

M. Jean-Marc Todeschini

M. Olivier Cigolotti

M. Stéphane Artano

Mme Florence Parly, ministre des armées

État B

Amendement n° II-393 de M. Joël Guerriau. – Retrait.

Amendement n° II-140 de M. Pierre Laurent. – Retrait.

Amendement n° II-409 rectifié de Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Retrait.

Vote sur les crédits de la mission

Adoption des crédits de la mission « Défense », figurant à l’état B.

5. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. David Assouline

vice-président

Secrétaires :

Mme Mireille Jouve,

M. Victorin Lurel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Article 71 quater (nouveau) (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Seconde partie

Loi de finances pour 2019

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 146, rapport général n° 147, avis nos 148 à 153).

Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

SECONDE PARTIE (suite)

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation

Seconde partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
État B

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » (et article 73).

La parole est à M. le rapporteur spécial. (Applaudissements.)

M. Marc Laménie, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de me féliciter que la demande constante du Sénat concernant l’attribution de la carte du combattant aux militaires présents sur le territoire algérien au-delà du 2 juillet 1962 soit enfin mise en œuvre.

M. Charles Revet. C’est très bien, et c’est mérité !

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. Voilà enfin réparée la principale injustice qui altérait notre politique de reconnaissance envers nos anciens combattants !

Il s’agit, avec la revalorisation de l’allocation de reconnaissance en faveur des harkis, de l’un des rares motifs de satisfaction que nous réserve le projet de budget pour 2019. Rare, mais précieux, si bien que, malgré de nombreux points plus inquiétants, la commission des finances vous proposera néanmoins d’adopter les crédits de cette mission.

Parmi nos inquiétudes figure la répétition de certains constats relatifs à la Journée défense et citoyenneté, la JDC : trop de jeunes manquent encore ce rendez-vous avec nos armées et, quant à son contenu, il semble, malgré les incessantes modifications qui lui sont apportées, qu’il se tient toujours trop loin de ce que devrait être la vocation d’une journée consacrée à la défense de notre pays.

Il faut espérer que le futur service national universel, le SNU, ne répétera pas les mêmes erreurs et qu’à cette occasion les difficultés rencontrées par une fraction importante de la jeunesse pourront être mieux prises en compte par les services de l’État.

Le centenaire de la Grande Guerre s’achève. Malgré quelques couacs, je salue une commémoration qui a su être digne et participative dans beaucoup de nos départements.

Quel effondrement, néanmoins, des moyens de la politique de la mémoire ! L’année à venir sera celle des « basses eaux » et cela ne peut pas nous convenir, non plus qu’aux bénévoles, que je veux saluer ici et qui animent avec flamme, cœur et passion nos actions de mémoire, même les plus modestes.

Les crédits consacrés à la reconnaissance de la Nation connaissent une baisse considérable. C’est – hélas ! – l’effet de la démographie, mais c’est aussi celui d’un choix de revalorisation très limitée des prestations assurées aux anciens combattants. (M. Charles Revet approuve.)

Le chiffre à retenir cette année : 2,3 milliards d’euros.

Nous devons avoir une reconnaissance véritable pour le monde combattant de notre pays et pour tous les bénévoles qui œuvrent dans les associations patriotiques et de mémoire, ainsi que pour nos amis porte-drapeau.

Le rapport constant entraîne le plafonnement à 0,7 % de la revalorisation du point de pension militaire d’invalidité et, avec lui, de toutes les allocations qui en dépendent.

La retraite du combattant ne bénéficie d’aucune amélioration, alors que la mission dégage spontanément plus de 6 % d’économies. Nous le regrettons !

Madame la secrétaire d’État, vous avez annoncé la création d’une commission tripartite destinée à envisager les questions posées par la revalorisation des prestations : la création d’une commission n’est pas toujours un bon signe, mais peut-être pourrez-vous indiquer au Sénat ce que seront son rôle et sa composition ?

En toute hypothèse, un objectif de maintien de la valeur réelle des prestations s’impose, ce qui passera sans doute par un mécanisme alternatif au rapport constant.

Les allocations de reconnaissance vont certes connaître un certain dynamisme avec l’attribution de la carte du combattant au titre de la guerre d’Algérie – je l’ai évoqué au début de mon propos. Cette mesure devrait coûter près de 60 millions d’euros pour 50 000 bénéficiaires, dont 30 millions d’euros au titre des avantages fiscaux. Comme ces derniers ne sont pas identiques pour chaque bénéficiaire, il sera intéressant d’identifier la répartition des soutiens accordés au titre de cette mesure.

En tout cas, il faudra veiller à ce que les demandes déposées puissent être traitées en temps voulu. Sur ce point, il semble que l’office national des anciens combattants et victimes de guerre, l’ONAC-VG, éprouve quelques difficultés à traiter sur un bon rythme les demandes qui résultent des droits ouverts aux anciens combattants. Il en serait ainsi pour l’attribution de la carte du combattant au titre des opérations extérieures, les OPEX, décidée en 2015.

La réduction des effectifs de l’ONAC-VG sera-t-elle compatible avec un traitement rapide des 50 000 demandes relatives à la présence prolongée en Algérie ? Il faut vous y engager, madame la secrétaire d’État.

Après avoir souhaité que la détérioration des recettes propres de l’Institution nationale des Invalides, l’INI, ne remette pas en cause son plan de modernisation, auquel le ministère de la santé devrait par ailleurs mieux contribuer, je conclurai mon propos par quelques mots sur la commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations, la CIVS : sa suppression, un temps évoquée, a été écartée par le Premier ministre et nous ne pouvons que regretter le fait que le projet de budget pour 2019 ne traduise pas ces excellentes nouvelles orientations. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, en remplacement de M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Mme Chantal Deseyne, en remplacement de M. Bruno Gilles, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, je suis chargée de vous présenter les principales observations de la commission des affaires sociales en remplacement de notre rapporteur pour avis Bruno Gilles, qui ne peut être présent ce matin.

La baisse naturelle du nombre d’anciens combattants permet, comme chaque année, une économie substantielle sur les prestations de reconnaissance et de réparation. Cette marge de manœuvre est en partie mobilisée pour des mesures qu’il convient de saluer.

L’attribution de la carte du combattant aux soldats qui ont servi en Algérie entre 1962 et 1964 correspond à une demande ancienne et le Sénat avait adopté une proposition de loi en ce sens au printemps dernier.

M. Charles Revet. Exactement !

Mme Chantal Deseyne, en remplacement de M. Bruno Gilles, rapporteur pour avis. Je ne peux donc que m’en réjouir. De même, le plan en faveur des harkis est bienvenu.

Ces mesures expliquent largement l’avis favorable donné par la commission des affaires sociales à l’adoption des crédits de la mission, ainsi qu’à celle de l’article 73.

Toutefois, le coût de ces mesures demeure largement inférieur aux économies permises par la démographie des anciens combattants. Une réflexion sur les autres demandes du monde combattant pourrait donc être menée ; la discussion des amendements permettra d’en évoquer quelques-unes.

Je souhaiterais notamment que le Gouvernement puisse nous donner des précisions quant à la situation des anciens supplétifs de droit commun et pour lesquels un traitement individualisé a été annoncé. Sur les soixante-quatorze dossiers présentés par les associations, vingt-six pourraient bénéficier, selon les informations qui nous ont été communiquées, d’un soutien financier. Cela signifie-t-il, comme l’ont compris les associations, que ces personnes bénéficieront de l’allocation de reconnaissance ? Qu’en est-il des dossiers écartés ?

Par ailleurs, je regrette la diminution des crédits dédiés à la politique de mémoire. Cette baisse est nettement plus forte que le simple effet de la fin des commémorations liées au centenaire de la Première Guerre mondiale. Selon mes calculs, confirmés par les services du ministère des armées, ce sont près de 2,8 millions d’euros d’économies qui seraient prévus. Cette baisse pourrait paraître négligeable au regard des crédits de la mission, mais elle pourrait remettre en question de nombreux projets éducatifs, alors que la transmission de la mémoire aux jeunes générations apparaît plus que jamais nécessaire.

Enfin, le nouveau contrat d’objectifs et de moyens entre l’État et l’office national des anciens combattants et victimes de guerre n’a toujours pas été conclu, alors que le contrat actuel arrive à échéance. Il serait souhaitable que le Gouvernement nous donne des garanties quant aux moyens qui seront accordés à l’ONAC-VG pour continuer à mener à bien ses missions et quant au maintien de son réseau territorial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. Je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, nous sortons tout juste du cycle mémoriel de la Grande Guerre, qui nous a permis d’honorer la mémoire de toutes celles et de tous ceux, civils ou soldats, qui ont chèrement payé le prix de la liberté.

Ces commémorations ont offert un temps de mémoire utile à la reconnaissance de la Nation, ainsi qu’à la transmission de valeurs aux jeunes générations à une époque où la cohésion sociale a besoin d’être renforcée.

En ce sens, la mission que nous examinons aujourd’hui, dont une partie des crédits a porté le cycle du centenaire, est fondamentale.

Si nous refermons un grand volet de la politique mémorielle, comme en témoigne la baisse, logique, des crédits du programme 167, nous devons poursuivre le travail d’affermissement des liens entre la Nation et son armée, ce sur quoi nous aurons sans doute l’occasion de débattre dans la perspective du service national universel.

En attendant, le budget total de la mission s’élève à 2,3 milliards d’euros, ce qui représente une baisse d’environ 160 millions par rapport à la dotation de 2018. Cette diminution s’explique essentiellement par la baisse démographique naturelle des différentes catégories de bénéficiaires des prestations relevant du programme de reconnaissance et de réparation.

La mission permet donc de préserver intégralement les droits des anciens combattants, aux côtés de la dynamique des dépenses fiscales.

En outre, le projet de loi de finances pour 2019 introduit, dans le prolongement des dispositions adoptées les années précédentes, deux nouvelles mesures, sur lesquelles je souhaiterais m’arrêter plus particulièrement.

La première concerne l’extension du bénéfice de la carte du combattant aux militaires présents en Algérie entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964.

Si le principe de la « carte à cheval » a bien été acté en 2014, les gouvernements successifs se sont toujours opposés à en étendre le bénéfice aux soldats engagés en Algérie après les accords d’Évian. Le groupe du RDSE a toujours soutenu cette mesure, qui rétablit l’égalité entre frères d’armes et que le Sénat a souvent portée. Madame la secrétaire d’État, vous avez été sensible à cette demande récurrente du monde combattant et je me réjouis de la voir enfin concrétisée.

La seconde mesure sur laquelle je voudrais m’attarder concerne le renforcement de la politique de reconnaissance et de réparation envers les harkis, pour un montant d’environ 23 millions d’euros en 2019. Je souhaite saluer les dispositions nouvelles, émanant notamment du rapport du préfet Dominique Ceaux intitulé « Aux harkis, la patrie reconnaissante ». Je pense bien sûr à la revalorisation de 400 euros de l’allocation de reconnaissance et de l’allocation viagère versées aux supplétifs, ainsi qu’à la mise en place d’un dispositif d’aide individualisé aux enfants de harkis les plus en difficulté.

Afin de compléter cet objectif d’équité dans la reconnaissance et la réparation, le groupe du RDSE souhaiterait que le chantier de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires soit approfondi. Il serait notamment souhaitable d’élargir la liste des bénéficiaires du titre de reconnaissance de la Nation aux vétérans ayant participé aux programmes d’essais nucléaires français sur les sites du Sahara et de Polynésie française de 1960 à 1996.

Enfin, je souhaiterais insister une nouvelle fois sur la responsabilité qui est la nôtre en matière de mémoire, celle de prévoir l’après-centenaire. C’est essentiel et des moyens devront être mobilisés pour cela. Nous devons souligner la grande réussite des commémorations qui se sont déroulées entre 2014 et 2018, ce que j’ai personnellement constaté dans mon département, la Meuse. Nous devons poursuivre sur cet élan.

À mon sens, l’inscription des sites mémoriels de la Grande Guerre au patrimoine de l’UNESCO, dont le dossier sera de nouveau soumis en 2021, serait un moyen solide d’ancrer dans la mémoire collective les sacrifices de nos aînés.

En conclusion, le groupe du RDSE soutient votre action, madame la secrétaire d’État, et votera les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.

Mme Jocelyne Guidez. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, il y a quelques jours, beaucoup de nos compatriotes se sont déplacés sur des lieux de mémoire afin de rendre hommage à ceux qui ont payé un lourd tribut pour la patrie.

Les visages des plus jeunes, comme des plus anciens, exprimaient leur fierté pour les poilus et les femmes qui les ont soutenus. Ensemble, ils ont fait de la France une nation libre et rayonnante. Le rassemblement de nombreux chefs d’État sous l’Arc de Triomphe en a témoigné.

Aujourd’hui, la Haute Assemblée, réunie pour l’examen de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », doit répondre à deux questions. Notre reconnaissance sera-t-elle à la hauteur du courage de nos combattants d’hier et d’aujourd’hui ? Saurons-nous transmettre ce témoin qui nous a été légué ?

À cette dernière question, je rappellerai simplement les mots de Chateaubriand : « Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts ; les morts, au contraire, instruisent les vivants ». Voilà le défi qu’il nous appartient de relever pour la génération actuelle et celles qui viendront ensuite.

Les crédits alloués à cette mission diminuent une fois de plus : le budget pour 2019 s’élève ainsi, en crédits de paiement, à 2,3 milliards d’euros. Depuis 2012, les dépenses ont ainsi reculé de près de 900 millions !

Madame la secrétaire d’État, cette trajectoire de repli demeure regrettable. Si elle peut s’expliquer, naturellement, par la diminution du nombre de bénéficiaires, elle n’apporte pas suffisamment de réponses aux besoins de revalorisation significative du pouvoir d’achat. J’y reviendrai.

Cette baisse se reflète dans le programme 167. Si les crédits ont été en augmentation l’année dernière en raison des besoins liés aux commémorations, une économie de 20 % est à noter pour 2019.

Toutefois, j’ai conscience que l’effort ne doit pas reposer uniquement sur les deniers de l’État. Le devoir de commémoration est l’affaire de tous. Des initiatives locales méritent d’être développées. Je pense notamment au département de l’Essonne, qui a offert un drapeau à chaque commune pour que les enfants puissent le porter lors des cérémonies.

Mais revenons au sujet principal ! Une exception demeure pour le financement de l’action Liens armée-jeunesse, qui connaît une progression de plus de 3 millions d’euros. Cette action voit en effet son périmètre élargi et prend désormais en charge une partie des financements du service militaire volontaire. C’est là un dispositif dont je veux saluer les mérites.

Quant à la Journée défense et citoyenneté, elle demeure insuffisante compte tenu des objectifs auxquels elle entend satisfaire. Il convient donc de la réformer en profondeur.

À cet effet, le Président de la République s’est engagé à créer un service national universel. À ce stade, aucune mesure ne figure dans cette mission. Le lundi 19 novembre, le groupe de travail missionné sur ce sujet a remis son rapport. Nous nous interrogeons et nous souhaitons avoir des précisions sur ce point.

En outre, le programme 169, qui représente près de 90 % de la mission, n’échappe pas à la règle. Ses crédits diminuent également, et ce, de façon la plus importante, comme nous l’observons depuis 2015. Cela s’explique par la baisse du nombre de bénéficiaires, en particulier de ceux ayant combattu durant la Seconde Guerre mondiale, mais aussi en Indochine et en Afrique du Nord.

Il eût été préférable d’encourager une revalorisation significative de la pension militaire d’invalidité et de la retraite du combattant. L’intention du Gouvernement de réunir une commission tripartite pour envisager une revalorisation du point d’indice serait déjà un premier pas, qui s’inscrirait dans le bon sens.

Toujours sur ce sujet, je souhaite évoquer deux points largement soutenus par les principaux intéressés.

Tout d’abord, parmi les militaires participant aux OPEX et à l’opération Sentinelle, il y a beaucoup de jeunes, qui ont souscrit un contrat de courte durée, souvent entre trois et cinq ans, et qui envisagent ensuite une reconversion professionnelle dans le civil. Il serait souhaitable que les mesures de réinsertion, comme le bilan de compétences ou l’accès à des formations relatives aux nouveaux métiers de l’Internet ou aux emplois réservés, soient proposées de manière plus formelle et plus systématique à cette catégorie de personnel. Il serait intéressant que le Gouvernement se penche sur cette proposition.

De manière plus générale, la situation des forces participant aux opérations de protection des Français contre les actions terroristes doit être mieux prise en compte, comme celle de nos militaires de la quatrième génération du feu engagés sur différents théâtres d’opérations extérieurs.

À ce sujet, nous souhaiterions avoir des informations sur le projet de mémorial national à Paris. Par ailleurs, il serait souhaitable qu’une plaque commémorative soit également apposée sous l’Arc de Triomphe en hommage aux morts pour la France en opérations extérieures. En termes budgétaires, cela ne représenterait rien, mais le symbole serait très fort.

Ensuite, il pourrait être envisagé d’étendre la médaille commémorative d’Indochine, en retenant le 1er octobre 1957 comme date officielle de la fin des hostilités.

Concernant l’attribution de la carte du combattant aux soldats présents en Algérie entre 1962 et 1964, le projet de loi de finances pour 2019 consacre ce droit. L’année dernière, j’ai moi-même eu l’occasion d’évoquer cette question ici même ; je me réjouis donc de cette avancée.

Pour terminer sur ce programme, nous regrettons la baisse de la subvention accordée à l’ONAC-VG à hauteur de 400 000 euros. De plus, nous souhaitons que l’assise retenue soit départementale, et non régionale.

Concernant le programme 158, il connaît une hausse de plus de 5,2 millions d’euros. Cette augmentation est expliquée par l’accroissement des indemnités prévues au titre des spoliations antisémites. Par le biais de cette participation financière, la France s’honore. Mes chers collègues, encore aujourd’hui, nous devons rester vigilants. Comme toutes les formes de haine, l’antisémitisme doit être combattu sans relâche et avec la plus grande fermeté.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Jocelyne Guidez. Enfin, je terminerai par l’article 73, rattaché à la mission. Nous saluons la revalorisation de 400 euros de l’allocation de reconnaissance pour les harkis et de l’allocation viagère des conjoints survivants. Il s’agit d’un épisode de leur vie qui a été particulièrement douloureux. Ils ont combattu pour notre drapeau, pour la France.

En conclusion, des avancées figurent dans ce projet de loi de finances. D’autres demandes sont à prendre en compte. Je sais pouvoir compter, madame la secrétaire d’État, sur votre sens de l’écoute - il est d’ailleurs très agréable de travailler avec vous.

C’est pourquoi le groupe Union Centriste – je pense notamment à ceux de ses membres qui siègent à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées – votera les crédits de cette mission, ainsi que l’article 73 rattaché. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.

M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui les crédits consacrés aux anciens combattants.

Alors que se terminent les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale, la dette que la Nation entretient à l’égard de ceux qui ont versé leur sang hier et aujourd’hui apparaît plus vivace que jamais. Je veux rendre hommage à nos vétérans et à leurs familles de métropole et d’outre-mer pour les sacrifices consentis à la défense de la France. La patrie leur en est reconnaissante. Les Français n’oublient pas ce qu’ils leur doivent.

Il nous semble néanmoins que la reconnaissance de la Nation ne doit pas seulement être un vœu pieux ou une incantation. Elle doit être une action concrète au service de nos soldats, une contribution collective à leur bien-être et à celui de leur famille.

Si la diminution des crédits pour 2019 s’explique en partie par la baisse naturelle du nombre de bénéficiaires des différents dispositifs, nous serons vigilants à ce que cette baisse tendancielle ne représente pas un déclin des conditions de reconnaissance de la Nation.

Vous nous rassurez sur plusieurs points, madame la secrétaire d’État. Vous avez pris des mesures fortes pour corriger des inégalités connues de longue date.

Il s’agit, par exemple, de la revalorisation substantielle – 400 euros – de l’allocation de reconnaissance versée aux supplétifs de l’armée française en Algérie.

Il s’agit également des mesures en faveur des enfants de harkis.

Il s’agit enfin d’une mesure que nous avons longtemps attendue : l’octroi de la carte du combattant aux soldats présents sur le territoire algérien entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964.

Ces mesures sont autant de promesses tenues que nous saluons, comme nous saluons, madame la secrétaire d’État, votre volonté de passer en revue l’ensemble des questions en suspens avec le monde des anciens combattants. Nous espérons que la concertation annoncée portera davantage de fruits à l’avenir.

Toutefois, malgré ces avancées, des injustices persistent et on peut noter la relative timidité de ce projet de budget, notamment la très faible revalorisation des pensions militaires d’invalidité.

Cela dit, ce projet de loi de finances est également marqué par un souci bienvenu de la transmission, notamment vis-à-vis de la jeunesse.

Je pense à un dispositif comme le service militaire volontaire, qui permet chaque année aux armées d’insérer dans l’emploi durable près de 1 000 jeunes en difficulté. Il s’inspire du service militaire adapté, trop peu connu en métropole, mais qui fait des merveilles pour l’emploi des jeunes en outre-mer.

Je pense également à l’érection du monument pour les opérations extérieures, qui permettra aux citoyens de rendre hommage aux soldats tombés pour leur défense.

Toutes ces initiatives sont bienvenues. Néanmoins, il ne doit pas être uniquement question de moyens budgétaires ou humains, car il s’agit au fond de réfléchir à ce qui fait de nous une nation, dont les valeurs justifient le combat, les blessures et le sacrifice ultime de nos soldats. Il s’agit, enfin, de mettre nos politiques de mémoire au service de l’avenir et d’un véritable projet de société par la transmission et le partage.

Nous attendons donc avec impatience que se précise l’architecture du futur service national universel et, surtout, que soient enfin définies les modalités de son financement.

Dans cette attente, le groupe Les Indépendants votera, en signe d’encouragement, les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche, ainsi quau banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’heure où s’ouvrent les débats sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » de ce projet de loi de finances pour 2019, je veux rendre hommage à tous les anciens combattants qui nous ont quittés durant l’année écoulée. Nous leur devons beaucoup de respect, car ils ont fait de notre pays une terre de liberté, une terre d’accueil, mais avant tout une terre de paix.

Cette paix, c’est l’héritage qu’ils nous offrent et c’est celui que nous devons laisser aux citoyens de demain, alors que l’extrême droite - le fascisme parfois - se réinstalle tout doucement dans le monde, en Europe en particulier.

C’est là que réside le devoir de notre pays, le devoir de mémoire, que nous devons mener avec des moyens considérables, car si Alfred de Musset ne badinait pas avec l’amour, nous, parlementaires, ministres, élus locaux ou nationaux, ne badinons pas avec la haine. Soyons intransigeants face au racisme et au rejet de l’autre ! Je crois que les nombreuses commémorations du centenaire qui viennent de s’achever ont été marquées par cette volonté sur l’ensemble de notre territoire. Ne réhabilitons personne par des « pensées complexes », comme a pu le faire le Président de la République !

À la lecture du rapport budgétaire relatif à cette mission, je constate, une fois encore, une baisse du budget : elle atteint 159 millions d’euros pour 2019, soit 6,5 % de moins par rapport à 2018. Cette baisse de crédits est justifiée, une nouvelle fois là aussi, par la diminution naturelle du nombre de bénéficiaires des pensions militaires d’invalidité, de la retraite du combattant et de la dette viagère.

Pire, depuis 2012, le budget consacré aux anciens combattants a perdu 680 millions d’euros. Vous conviendrez aisément que nous aurions pu, en gardant cette somme, répondre à nombre de demandes de droits à réparation exprimées par les femmes et les hommes qui composent le monde combattant.

Alors, oui, ce projet de budget apporte certaines satisfactions.

Je pense notamment à la « carte à cheval », dont j’ai défendu le principe l’an dernier par le biais d’un amendement, alors adopté par le Sénat. Je rappelle que cette mesure a de nouveau été approuvée par le Sénat lors de l’examen, en juin 2018, de la proposition de loi visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d’Évian, du 2 juillet 1962 jusqu’au 1er juillet 1964.

Vous mettez aussi en place, au travers de l’article 73 de ce projet de loi de finances, une revalorisation de 400 euros des allocations existantes et un fonds de solidarité en faveur des harkis. J’attire cependant votre attention sur un point, souligné par mon collègue Fabien Roussel, rapporteur des crédits de la mission à l’Assemblée nationale : tel que l’article est rédigé, les montants de ces deux allocations revalorisées ne seront plus indexés sur l’inflation et ils stagneront donc dans les années à venir. Notre groupe a proposé de restaurer cette indexation via un amendement que j’ai déposé mais qui a été déclaré irrecevable. J’ai entendu, madame la secrétaire d’État, votre volonté d’assurer l’indexation par voie d’arrêté annuel. Toutefois, si nous pouvions l’inscrire dans la loi, cela serait préférable et donnerait une garantie pour l’avenir.

Si nous pouvons nous féliciter des deux avancées majeures que je viens de citer, j’estime, en tant que femme, que nous devons également réparer une inégalité qui perdure depuis des années : je veux parler de la demi-part fiscale des veuves des anciens combattants.

Je pense à ces femmes qui n’ont pas la chance de bénéficier de la demi-part parce que leur époux est décédé avant l’âge de 74 ans. Pour elles, c’est la double peine ! Il paraît invraisemblable qu’un décès prématuré induise une iniquité, car tous les anciens combattants ont passé un temps sous les drapeaux et combattu au temps de leur jeunesse. Accorder cette réparation est d’autant plus nécessaire que ces retraitées subissent déjà la baisse de leur pouvoir d’achat et la hausse de la CSG.

Enfin, je me ferai le porte-voix d’un certain nombre d’associations pour déplorer les difficultés de communication des députés de la majorité avec les anciens combattants, ainsi que l’absence d’un secrétariat d’État dédié spécifiquement aux anciens combattants et à la mémoire, que nous avions été nombreux à souligner l’an dernier. Il existait un ministère spécifique aux anciens combattants depuis 1919 : sa disparition constitue, à nos yeux, un mauvais signal.

Pour toutes les raisons évoquées, notre groupe s’abstiendra sur les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », malgré certaines avancées.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret.

Mme Corinne Féret. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je souhaite aujourd’hui porter la voix des associations représentatives du monde combattant, qui ont toute ma considération et dont j’ai plaisir à rencontrer les représentants locaux, tout au long de l’année, dans mon département, le Calvados.

Ces associations ne se contentent pas d’agir pour le droit à réparation et le devoir de mémoire, elles participent aussi et surtout activement à la vie de la cité, sous des formes diverses. Gardiennes des valeurs qui fondent notre République, elles contribuent à réunir des personnes de toutes conditions autour d’actions caritatives, d’événements patriotiques ou concourant aux bonnes relations internationales. En cela, elles constituent assurément de merveilleux outils d’intégration et de cohésion sociale.

Le budget pour 2019 de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » s’établit à 2,3 milliards d’euros. Ses crédits connaissent une forte diminution, de près de 160 millions d’euros, principalement liée, il est vrai, à la baisse du nombre des bénéficiaires des dispositifs de reconnaissance et de réparation. Il est néanmoins regrettable que le Gouvernement n’ait pas fait le choix, en dehors de certaines mesures, de redéployer les économies réalisées pour améliorer, à budget constant, les dispositifs existants.

Cette mission regroupe trois programmes de poids financier très inégal.

Le programme 167, qui représente 5 % des crédits de la mission, finance la Journée défense et citoyenneté, ainsi que les actions éducatives et mémorielles. Mon groupe est particulièrement attaché à tout ce qui peut concourir à l’exercice du devoir de mémoire afin que certains événements historiques tragiques ne se reproduisent plus et que se perpétue le souvenir de toutes ces victimes, de tous ces soldats morts ou blessés pour la France. Jamais les citoyens français ne doivent oublier les sacrifices consentis, hier et aujourd’hui, pour assurer leur droit à vivre libres, égaux et dans la fraternité.

De ce point de vue, il est particulièrement positif que le monument à la mémoire des soldats tombés en opérations extérieures puisse enfin voir le jour. Je sais qu’il est très attendu par nos jeunes anciens combattants et nos militaires actuellement engagés dans les conflits.

Je note aussi avec satisfaction que les commémorations du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale se sont bien déroulées. Les manifestations étaient particulièrement dignes, émouvantes et participatives : une réussite permise, comme toujours, grâce au dévouement de nombreux bénévoles.

Si la fin du cycle des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale va entraîner une baisse des dépenses dédiées aux politiques de mémoire, l’ampleur de la réduction des crédits du programme 167 est bien supérieure : près de 2,8 millions d’euros d’économies sont prévus, soit 20 % des crédits votés pour 2018. Là aussi, c’est regrettable, à une époque où la transmission de la mémoire, l’affirmation des liens entre la Nation et son armée sont véritablement nécessaires. Ce sont nos associations représentatives du monde combattant, sur le terrain, qui pourraient directement en pâtir, ainsi que nos jeunes, avec la remise en cause de certaines actions éducatives.

Rappelons que, l’an prochain, nous célèbrerons tout particulièrement la liberté, à l’occasion du soixante-quinzième anniversaire du débarquement et de la bataille de Normandie. De nombreux événements, dont la cérémonie commémorative internationale en présence de chefs d’État, seront organisés, dans le Calvados notamment. Les coupes dans les lignes budgétaires dédiées à la mémoire ou à la nécessaire rénovation des sépultures apparaissent donc clairement excessives.

Pour en terminer avec ce programme, j’indique que la commission des affaires sociales a été alertée sur le fait qu’aucun crédit n’était prévu pour le financement du service national universel, appelé à remplacer la Journée défense et citoyenneté. Il ne faudrait pas que les crédits de la mission soient ponctionnés en cours d’exercice pour financer ce nouveau dispositif.

J’en viens au programme 169, couvrant les dispositifs de reconnaissance et de réparation, qui représente 94 % des crédits de la mission. Il connaît une baisse tendancielle de ses crédits, à hauteur de 156 millions d’euros en 2019.

Je salue le fait que le Gouvernement ait confirmé l’attribution de la carte du combattant aux soldats ayant servi en Algérie entre juillet 1962 et juillet 1964. Il s’agit d’une revendication ancienne du monde combattant, plusieurs fois relayée au Sénat, par moi-même comme par mes collègues, notamment en juin dernier au travers de l’adoption d’une proposition de loi visant à la satisfaire. À terme, cette mesure pourrait profiter à près de 50 000 personnes. Dès cette année, l’inscription budgétaire s’élèvera à 6,6 millions d’euros.

Autre mesure annoncée, la revalorisation des expertises médicales nécessaires en vue de l’attribution de pensions militaires d’invalidité : j’espère que cela permettra de réduire les délais actuels, très difficilement supportables pour nos anciens.

J’en viens à l’article 73 et aux conclusions du groupe de travail sur la situation des harkis, qui ont conduit à la prise de mesures nouvelles allant dans le bon sens : la revalorisation de 400 euros de l’allocation de reconnaissance et de l’allocation viagère et l’institution d’un dispositif de solidarité au profit des descendants des harkis. Au titre de 2019, 10 millions d’euros sont inscrits pour compléter les mesures en faveur des harkis et de leurs enfants.

Si ces différentes mesures sont à souligner et à saluer, leur financement ne représente qu’une fraction réduite des économies permises par la baisse du nombre d’anciens combattants et, dans les faits, plusieurs demandes des associations représentatives du monde combattant sont toujours insatisfaites.

Je citerai notamment le droit à l’indemnisation pour les pupilles de la Nation dont les parents ont été reconnus « morts pour la France » entre 1939 et 1945. Je fais ainsi le lien avec le programme 158, qui permettra, l’an prochain, de financer à hauteur de 106 millions d’euros différentes indemnités accordées aux victimes d’actes de barbarie et de persécutions commis pendant l’Occupation.

J’évoquerai également l’assouplissement du dispositif de la demi-part fiscale supplémentaire, de façon à en accorder le bénéfice à davantage de veuves d’ancien combattant. J’ai été particulièrement alertée sur la situation financière de nombreuses femmes, qui subissent une chute de revenus énorme après le décès de leur mari, au point de se retrouver dans un extrême dénuement. Ce n’est pas acceptable !

Je souhaite me faire l’écho des inquiétudes qui s’expriment à propos de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, l’ONAC-VG. Son budget s’élèvera à 57,6 millions d’euros en 2019, en baisse de 400 000 euros, en raison d’économies de fonctionnement. Je rappelle qu’un grand nombre d’anciens combattants et de veuves ont des ressources inférieures au seuil de pauvreté. L’ONAC-VG est donc très sollicité. Aujourd’hui, il doit aussi accompagner des publics nouveaux, tel celui des militaires ayant servi en OPEX. L’ONAC-VG poursuit sa modernisation, mais celle-ci doit se faire en préservant les indispensables liens de proximité tissés avec les bénéficiaires et associations locales représentatives du monde combattant. Il faut conserver le maillage départemental de l’ONAC-VG et peut-être mieux harmoniser les pratiques entre territoires.

Toute polémique ne serait pas à la hauteur du monde combattant. Madame la secrétaire d’État, malgré des regrets et des réserves, les sénateurs du groupe socialiste et républicain prendront leurs responsabilités en votant les crédits de cette mission et l’article 73. Nous entendons ainsi soutenir les avancées de ce projet de budget et témoigner de notre profond respect envers ceux qui ont tant donné à la France.

En cette année du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, je ne saurais conclure sans avoir une pensée pour tous ceux qui ont combattu pour défendre notre patrie. Que leur souvenir guide nos actions ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe La République En Marche.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission interministérielle « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » constitue un trait d’union entre la société civile et le monde combattant, ainsi qu’entre les générations.

En ma qualité de vice-présidente du groupe d’étude des sénateurs anciens combattants et de la mémoire combattante, je voudrais souligner tout son intérêt.

Je tiens aussi à exprimer ma reconnaissance à tous ceux qui se sont mobilisés autour des commémorations de la Grande Guerre et saluer les nombreuses initiatives prises à travers toute la France.

Au nom du groupe Les Républicains, je souhaite en cet instant témoigner notre reconnaissance à l’ensemble du monde combattant, aux associations et à leurs bénévoles : nous savons combien leur travail est inestimable.

Je veux également rendre un hommage solennel aux soldats français, qu’ils se trouvent sur le sol national, en OPEX ou en mer : ils sont les anciens combattants de demain. Depuis cet hémicycle, nous les assurons de notre soutien indéfectible. Nous pensons également à leurs familles, qui payent quotidiennement un lourd tribut à la défense nationale. Depuis 2007, 154 soldats sont morts en OPEX.

Si l’on peut se réjouir de la mise en place de la Direction du service national et de la jeunesse, qui est chargée de la coordination de l’ensemble des initiatives ministérielles en matière de jeunesse, je voudrais appeler l’attention sur les classes « option défense et sécurité globales » mises en place dans les territoires en partenariat avec les acteurs locaux. Cet enseignement suscite un réel engouement parmi les élèves, comme en témoigne le succès rencontré par l’expérience menée, dans mon département des Hautes-Alpes, à la cité mixte d’Embrun. C’est pourquoi je souhaiterais que les missions de la DSNJ soient élargies afin que cet enseignement facultatif soit mieux accompagné et, surtout, mieux valorisé. Eu égard aux menaces qui pèsent sur notre pays, il est essentiel de promouvoir l’esprit de défense et de cohésion nationale.

Madame la secrétaire d’État, pays rassemblé rime avec mémoire apaisée ! Nous devons créer les conditions d’une véritable égalité entre toutes les générations du feu. Cela passe par une traduction dans les actes de notre reconnaissance pour ceux qui se sont battus pour la Nation. Depuis 2013, notre groupe n’a cessé de proposer l’élargissement des critères d’attribution de la carte du combattant, tant pour les militaires présents en Algérie après les accords d’Évian…

M. Charles Revet. Tout à fait !

Mme Patricia Morhet-Richaud. … que pour les soldats envoyés en OPEX.

Madame la secrétaire d’État, lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire, en juin dernier, vous vous êtes engagée dans cet hémicycle, auprès du président Cambon et de l’ensemble des sénateurs, à revoir les dossiers des anciens supplétifs, encore et toujours bloqués du fait des différentes jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation. Il est temps de clore ce chapitre avec la dignité qui s’impose. Tel est le sens de l’un de nos amendements.

Depuis quelques années maintenant, l’Institution nationale des invalides, l’INI, connaît une modernisation. Pour les élus du groupe Les Républicains, cette institution est la maison des invalides de guerre. Elle doit le rester, et même devenir plus attractive : plus qu’un symbole pour les soldats, c’est un lieu de mémoire vivante autant qu’un lieu d’hommage, témoignant du sacrifice physique et mental consenti par les soldats français pour leur pays. Depuis 2007, 620 soldats ont été blessés en OPEX.

Enfin, madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur un sujet important, celui des conséquences du désengagement de l’État de la Française des jeux. La loterie nationale a été créée en 1933 afin de financer les besoins des « gueules cassées ». Aujourd’hui, la Fondation des « gueules cassées » et la Fédération nationale André Maginot détiennent 9,2 % du capital de la Française des jeux, qui leur reverse 10 millions d’euros chaque année. Quelles assurances pouvez-vous leur donner si l’État sort du capital ?

Pour conclure, nous comprenons que les crédits connaissent une baisse, pour des raisons inhérentes à la logique démographique. Néanmoins, nous voulons solennellement dire ici que cela ne pourra pas toujours justifier la poursuite d’une tendance baissière, car nous devons aussi penser aux anciens combattants de demain, qui sont les engagés d’aujourd’hui.

Le groupe Les Républicains votera les crédits de la mission, sous réserve de l’adoption de l’amendement qu’il présentera. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, chers collègues, mes parents étaient instituteurs dans un petit village du Pas-de-Calais, sur ces collines de l’Artois où les batailles meurtrières de la Première Guerre mondiale ont couvert de cimetières toutes les terres environnantes. Enfant, j’ai assisté à toutes les commémorations patriotiques qui avaient lieu dans la cour de l’école, où nous habitions. Ces souvenirs sont ceux d’un enfant qui a trouvé son ancrage dans les valeurs républicaines au contact des anciens qui se sont battus pour que nous puissions être libres.

Aujourd’hui plus que jamais, je suis convaincue que la transmission aux nouvelles générations de l’histoire de notre pays est une vraie mission : mission d’hommage envers celles et ceux qui ont combattu au péril de leur vie ; mission d’évaluation des dangers, des alliances, des pressions, des rancœurs entre peuples, pour éviter que notre pays ne commette à nouveau les erreurs qui ont conduit à l’engrenage meurtrier.

Appelés, réservistes, militaires de carrière : ces Français sont la quintessence de notre République. Nos combattants ont fait don de leur vie pour la France et nous leur devons considération. La mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » du projet de loi de finances pour 2019 doit traduire en chiffres cette considération de la Nation.

Des revendications portées de longue date par les anciens combattants et soutenues par le Sénat ont enfin été entendues par le Gouvernement. Nous sommes pleinement satisfaits que le bénéfice de la carte du combattant soit désormais étendu à ceux qui étaient présents en Algérie après le 2 juillet 1962. Il s’agit d’une mesure que le Sénat relaie depuis longtemps.

M. Charles Revet. Tout à fait !

Mme Brigitte Lherbier. L’an dernier encore, nous avions adopté un amendement au projet de loi de finances tendant à élargir les conditions d’attribution de la carte du combattant au bénéfice des membres des forces présentes en Algérie entre 1962 et 1964. Nous nous félicitons que le Gouvernement ait répondu favorablement à cette demande ancienne du Sénat.

Je n’oublie pas non plus la revalorisation de 400 euros de l’allocation de reconnaissance en faveur des harkis, ainsi que la création d’un fonds pour les descendants de harkis en difficulté socioprofessionnelle. Cette reconnaissance me semble répondre à une injustice qui leur a été faite il y a maintenant bien longtemps.

En ce qui concerne le devoir de mémoire, 2018 a été une année historique de commémoration et de transmission. Si nous comprenons parfaitement que les crédits affectés l’année dernière à la célébration du centenaire de la fin de la Grande Guerre ne soient pas reconduits en totalité, nous constatons in fine une baisse de 2,79 millions d’euros de ces crédits qui n’a rien à voir avec la fin des commémorations du centenaire.

Nous avons un devoir de transmission à l’égard des jeunes. Connaître le passé est essentiel pour comprendre le présent. Pourtant, selon un sondage de CNN réalisé cette semaine en Europe, 24 % des jeunes Français de 18 à 34 ans ne savent pas ce qu’est l’Holocauste ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.) Pis encore, sur sept pays sondés, c’est en France que l’on ignore le plus ce que c’est : 8 % des Français déclarent même n’en avoir jamais entendu parler… Incroyable ! Il y a en France une déperdition des connaissances historiques touchant à la question du génocide des juifs. À l’heure où l’antisémitisme progresse, où des fake news circulent sur les réseaux sociaux et où de nombreux jeunes se radicalisent, je pense que le Gouvernement ne prend pas toute la mesure des enjeux pour notre pays.

M. Charles Revet. C’est vrai !

Mme Brigitte Lherbier. Une forme d’obscurantisme est en train de réapparaître et nous ne pourrons le contrer que par la transmission. En cela, la politique de mémoire est indispensable, madame le secrétaire d’État, et je regrette sincèrement cette baisse de crédits. Il faut resserrer le lien entre la patrie et notre jeune public.

Concernant le programme « Liens entre la Nation et son armée » et la transmission des valeurs citoyennes, je m’interroge sur le devenir et la pertinence de la Journée défense et citoyenneté. Depuis le 1er janvier 2016, un module de prévention sur la sécurité routière est présenté lors de la JDC. Est-il bien approprié de faire de la prévention en matière de sécurité routière lors d’une journée destinée à sensibiliser nos jeunes aux enjeux de la défense ? Cette journée a perdu sa cohérence et on ne pourra pas faire l’économie de la refonder.

J’ai envie de croire, madame le secrétaire d’État, à l’annonce par le Président de la République de la création d’un service national universel. Les jeunes ont une véritable envie de recréer du lien entre eux, d’aller à la découverte des institutions, de l’histoire de notre pays. Ce service national de quinze jours a du sens ; il est plébiscité par nombre de jeunes et de parents. Appartenir à un pays, à une communauté nationale n’est pas une évidence : cela se travaille ! Mobilisera-t-on, madame la secrétaire d’État, les crédits suffisants pour mettre en place ce nouveau service national ? Je n’en vois aucune trace dans le projet de budget pour 2019 ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. Ma chère collègue, vous avez dépassé d’une minute votre temps de parole, qui était de quatre minutes : 25 % de temps de parole supplémentaire, cela fait beaucoup ! Je ne vous ai pas coupé la parole, mais cette mansuétude ne vaut pas règle pour la matinée…

J’invite les orateurs à respecter leur temps de parole.

La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire dÉtat auprès de la ministre des armées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord vous remercier très sincèrement de l’attention que vous portez au monde combattant, auquel je vous sais tous très attachés, ainsi que de vos propositions constructives.

J’ai essayé de construire ce projet de budget avec de la méthode, une méthode que je vous avais annoncée l’année dernière et que j’ai mise en œuvre tout au long de l’année : il s’agit de travailler avec les associations représentatives du monde combattant et les parlementaires. Le présent projet de budget est le fruit de ce travail dense, mené avec beaucoup de rigueur, qui nous a permis de répondre aux demandes essentielles du monde combattant. J’en ai aujourd’hui entendu de nouvelles, mais cela fait partie de la vie politique. Il nous revient de nous employer à toujours améliorer l’existant.

Nous devons toujours manifester aux anciens combattants notre reconnaissance et notre respect pour ce qu’ils ont fait pour la France. Cette période du centenaire de la Grande Guerre fut dense, très forte, riche en messages aux jeunes générations. Nous devons bien sûr poursuivre ces efforts de mémoire.

Je considère que ce budget est un bon budget – il serait surprenant que je vous dise l’inverse ! (Sourires.) Même s’il connaît une baisse, liée à la diminution importante et progressive du nombre de bénéficiaires, il maintient tous les droits existants et comporte des mesures nouvelles, répondant à des demandes prioritaires du monde combattant. Je mentionnerai l’octroi de la carte du combattant aux militaires présents en Algérie entre juillet 1962 et juillet 1964, une revalorisation de 400 euros de l’allocation de reconnaissance pour les harkis combattants et la mise en œuvre, ce qui est une première, d’un fonds de solidarité pour les enfants de harkis en difficulté socioprofessionnelle : la situation sociale de ces derniers est très vraisemblablement liée, dans certains cas, aux conditions indignes dans lesquelles leurs parents ont été accueillis en France ; nous nous devions de les soutenir.

Ces mesures me semblent véritablement constituer des avancées importantes pour le monde combattant. Je vous remercie de les avoir soutenues et de les avoir approuvées au cours de vos interventions.

Ce projet de budget comprend aussi des mesures importantes pour nos opérateurs. Nous maintenons complètement notre soutien à l’ONAC-VG et nous reconduisons au même niveau ses fonds d’action sociale. L’Institution nationale des invalides va connaître une modernisation, et surtout une évolution importante de son projet médical au service des blessés de guerre, pour l’axer sur la reconstruction physique et psychique. Ses crédits de fonctionnement sont reconduits au même niveau, et elle va bénéficier de l’inscription de 35 millions d’euros en autorisations d’engagement pour financer les travaux nécessaires. Florence Parly et moi-même avons posé la première pierre il y a quelques jours. Nous maintenons donc toutes les capacités d’action de nos opérateurs.

L’ONAC-VG est un opérateur essentiel, confronté à des enjeux majeurs. Je suis en train de travailler sur son nouveau contrat d’objectifs et de performance.

Le premier enjeu majeur est de préserver la territorialité de l’ONAC-VG.

M. Charles Revet. C’est très important !

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire dÉtat. Je m’y suis engagée, parce que cette proximité me paraît indispensable pour le monde combattant âgé, mais également pour le monde combattant plus jeune, c’est-à-dire les anciens militaires ayant participé à des OPEX, qui résident partout sur le territoire.

Je travaille aussi à l’adaptation de l’ONAC-VG à l’évolution du monde combattant, qui est en plein bouleversement. Les besoins de demain ne seront pas ceux d’aujourd’hui, du fait de l’arrivée d’une nouvelle génération d’anciens combattants, celle des anciens des OPEX, qui va devenir progressivement le socle du monde combattant. Nous devons accompagner ces évolutions et je compte sur votre participation à la réflexion.

En ce qui concerne la mémoire, je vous entends. Bien sûr, le budget dédié à la mémoire diminue, principalement parce que la mission Centenaire aura bientôt achevé son travail. En outre, beaucoup d’investissements ont été réalisés dans des lieux de mémoire et il n’est plus nécessaire de prévoir des crédits à ce titre. Vous pouvez compter sur moi pour continuer de réfléchir à la transmission de la mémoire et aux actions que nous pouvons mener, notamment auprès de la jeunesse.

Sur ce sujet-là non plus, nous ne pouvons avancer seuls. Nous devons travailler conjointement avec l’éducation nationale. Je sais Jean-Michel Blanquer tout à fait disposé à renforcer les actions menées dans les établissements scolaires en particulier. La structuration de nos supports mémoriels fait également partie des enjeux pour les deux prochaines années.

Les crédits de la JDC, dont le déploiement se poursuit, avec la prise en charge par la direction du service national et de la jeunesse de 800 000 jeunes par an, sont maintenus à peu près au même niveau. Il vient s’y ajouter le budget de fonctionnement du service militaire volontaire, qui est un très beau dispositif d’insertion.

Bien sûr, la JDC va disparaître à mesure de la montée en puissance du service national universel. La direction du service national et de la jeunesse du ministère des armées apportera, cela va de soi, toute son expertise et tout son savoir-faire à la mise en place du service national universel. Le ministère des armées ne sera donc pas absent de ce dispositif, même si le SNU ne sera pas un service militaire. Le contenu des JDC devra à mon avis être repris et enrichi. Je porte ce dossier avec Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale.

Je vous remercie de m’aider à continuer à repenser nos actions de mémoire, à améliorer l’efficacité et la performance des dispositifs destinés aux anciens combattants et à les adapter à l’évolution du monde combattant, à pérenniser nos opérateurs, l’ONAC-VG et l’INI. Je ne vais pas vous mentir à propos des orientations budgétaires : chaque année, les crédits diminueront. L’idée est de les adapter aux besoins de façon à satisfaire ceux-ci. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Article 73

M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », figurant à l’état B.

ÉTAT B

(En euros)

Mission

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation

2 334 177 691

2 301 874 967

Liens entre la Nation et son armée

33 812 623

33 809 899

Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant

2 194 460 492

2 162 160 492

Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale

105 904 576

105 904 576

Dont titre 2

1 534 987

1 534 987

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° II-129 rectifié bis, présenté par Mme Féret, MM. Daudigny et Kanner, Mmes Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, MM. Bérit-Débat et Antiste, Mmes Artigalas, Blondin et Bonnefoy, MM. Duran et Fichet, Mme Guillemot, M. Houllegatte, Mme G. Jourda, MM. Manable et Mazuir, Mme Perol-Dumont, MM. Roger, Temal et Tissot, Mme Tocqueville et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Liens entre la Nation et son armée

4 800 000

4 800 000

Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant

Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale

dont titre 2

4 800 000

4 800 000

TOTAL

4 800 000

4 800 000

4 800 000

4 800 000

SOLDE

0

0

La parole est à Mme Corinne Féret.

Mme Corinne Féret. Il s’agit, au travers de cet amendement, de financer une extension de l’indemnisation des victimes d’actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale.

En 2000, le Gouvernement a reconnu le droit à indemnisation des orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites et racistes pendant cette guerre. Dès la fin de 2001, il a été sollicité pour que d’autres orphelins de victimes de la barbarie nazie puissent bénéficier des mêmes indemnisations que les victimes de la Shoah. À l’époque, le secrétariat d’État chargé des anciens combattants avait mis en place une commission pour répondre à cette nouvelle demande. Cette démarche avait abouti, le 27 juillet 2004, à la publication d’un décret étendant le bénéfice de ces indemnisations aux orphelins de parents victimes de la barbarie nazie, morts en déportation, fusillés ou massacrés pour actes de résistance ou pour des faits politiques.

Une troisième catégorie de pupilles de la Nation, dont les demandes sont souvent déboutées sur le fondement des décrets du 13 juillet 2000 et du 27 juillet 2004, sollicite une reconnaissance de la part de l’État : ceux dont les parents résistants sont morts les armes à la main et sont reconnus par la mention marginale « Mort pour la France » portée sur les registres d’état civil.

Nous souhaitons, au travers de cet amendement, permettre à toutes et tous de bénéficier de cette reconnaissance de pupille de la Nation.

M. le président. L’amendement n° II-131, présenté par Mmes Cukierman, Apourceau-Poly, Cohen, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Liens entre la Nation et son armée

4 787 483

4 787 483

Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant

Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale

dont titre 2

4 787 483

4 787 483

TOTAL

4 787 483

4 787 483

4 787 483

4 787 483

SOLDE

0

0

La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Comme l’an dernier, il s’agit, au travers de cet amendement, de financer une extension du champ de l’indemnisation des victimes d’actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale. Un consensus existe sur ce sujet au sein de la représentation nationale ; nous devons lui donner une traduction concrète au plus vite.

En 2000, le Gouvernement a reconnu le droit à indemnisation des orphelins de victimes de persécutions antisémites et racistes pendant la guerre de 1939–1945.

Dès la fin de 2001, le Gouvernement a été sollicité pour que d’autres orphelins de victimes de la barbarie nazie puissent bénéficier des mêmes indemnisations que les victimes de la Shoah. Cette sollicitation a abouti à la publication du décret du 27 juillet 2004, étendant le bénéfice de ces indemnisations aux orphelins de parents victimes de la barbarie nazie, morts en déportation, fusillés ou massacrés pour actes de résistance ou pour des faits politiques.

Une troisième catégorie de pupilles de la Nation, dont les demandes au titre des décrets de 2000 et de 2004 sont souvent déboutées, sollicite une reconnaissance de la part de l’État : ceux dont les parents résistants sont morts les armes à la main et sont reconnus par la mention marginale « Mort pour la France » portée sur les registres d’état civil.

Il s’agit, au travers de cet amendement, de permettre à toutes et tous cette reconnaissance de pupille de la Nation. La Seconde Guerre mondiale a provoqué la mort, pour des raisons diverses, de millions d’hommes et de femmes. Un orphelin reste un orphelin ; il ne faut surtout pas opposer les uns aux autres. Les victimes de cette guerre sont toutes des victimes, les orphelins sont tous des pupilles de la Nation. C’est en tout cas ce que nous souhaitons souligner par cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. Ces amendements visent à accorder une réparation aux orphelins des résistants.

Ce débat, tout à fait justifié, avait déjà eu lieu l’an dernier. Les victimes en question ont déjà pu bénéficier d’une certaine reconnaissance de la Nation. Par ailleurs, en l’état, il n’existe pas de base légale susceptible de fonder une indemnisation particulière, si bien que la portée de ces amendements est incertaine. Les coûts d’une telle indemnisation méritent d’être précisés ; on évoque parfois un montant d’un milliard d’euros.

La commission des finances s’en remet sur ces amendements à la sagesse du Sénat.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire dÉtat. Au-delà des aspects de forme, tous les orphelins de guerre sont dignes de compassion et d’attention : dans notre esprit, il n’y a pas plusieurs catégories d’orphelins.

Les décrets de 2000 et de 2004 ont institué une aide financière en reconnaissance des souffrances endurées par les orphelins de victimes de la barbarie nazie. À mes yeux, il faut rester dans ce cadre. La méconnaissance par les jeunes générations de la Shoah, de la barbarie nazie et des exterminations a été évoquée par Mme Lherbier au cours de la discussion générale ; ces décrets manifestent une reconnaissance de la spécificité de cette barbarie qui a marqué tous les esprits. Nous entendons maintenir cette spécificité afin de ne pas porter atteinte à la cohérence des décrets et, au fond, au message important qu’ils véhiculent.

Les pupilles de la Nation sont tous bénéficiaires des aides sociales que nous mettons en œuvre au travers de l’ONAC-VG, sans égard au conflit ou à l’époque concerné. Nous sommes attentifs à tous les pupilles de la Nation, mais je voudrais vraiment que l’esprit de ces décrets soit conservé.

L’avis du Gouvernement sur ces amendements est donc défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.

Mme Nathalie Goulet. Fille et petite-fille de déportés raflés par la police française un 16 juillet 1942, je considère que tous les pupilles de la Nation dont les parents ont été victimes de guerre doivent être reconnus. Je soutiens donc ces amendements.

Madame la secrétaire d’État, les victimes de ces persécutions, deux générations plus tard, n’attendent pas d’argent. Ce n’est pas l’argent qui compte, mais la reconnaissance. Le devoir de mémoire ne passe pas, à mon sens, par une distinction entre les victimes, quelle que soit la spécificité de la Shoah ; il passe d’abord par l’éducation.

Après la parution du décret du 13 juillet 2000, quand les dossiers ont été instruits par la commission d’indemnisation présidée par M. Mattéoli, qui a accompli un travail absolument remarquable, beaucoup d’enfants de victimes – j’en connais – ont refusé ces indemnisations, mais il était important que cette reconnaissance soit marquée.

Bien sûr, nous débattons ici du projet de loi de finances, mais il serait injuste de réduire à des termes financiers ce que ces amendements représentent du point de vue de la reconnaissance d’une douleur.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Le Sénat avait effectivement adopté un amendement similaire l’an dernier. J’entends votre réponse, madame la secrétaire d’État. Je ne voudrais pas que mes propos soient mal interprétés, mais j’estime que le devoir de mémoire ne peut pas être sélectif.

La barbarie nazie a touché des populations diverses : des personnes ont été arrêtées et déportées parce qu’elles étaient nées juives, parce qu’elles étaient engagées politiquement, parce qu’elles refusaient l’Occupation, parce qu’elles appartenaient à la Résistance ; chacun, dans son histoire familiale, peut en connaître des exemples.

Ces amendements visent simplement à permettre la reconnaissance de tous les orphelins. Comme vient de le dire Mme Goulet, ce n’est pas une question financière ; il s’agit d’apporter une reconnaissance. Au-delà du vote qui va intervenir, il importe de continuer à réfléchir et de mener un vrai travail en vue de prendre en compte la situation des quelques personnes concernées.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-129 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

M. Antoine Lefèvre. C’est une bonne chose !

M. le président. En conséquence, l’amendement n° II-131 n’a plus d’objet.

Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° II-18 rectifié bis, présenté par MM. H. Leroy, Regnard, Grosdidier, Daubresse et Menonville, Mme Malet, MM. B. Fournier, Moga et Mizzon, Mme Garriaud-Maylam, MM. Paccaud, Antiste, D. Laurent, Magras, Meurant, Détraigne et Charon, Mme N. Delattre, MM. Frassa et Revet, Mmes de Cidrac et Deromedi, M. Le Gleut, Mme Morhet-Richaud et MM. A. Marc, Poniatowski, Priou, Houpert et Guerriau, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Liens entre la Nation et son armée

1 200 000

1 200 000

Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant

1 200 000

1 200 000

Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale

dont titre 2

TOTAL

1 200 000

1 200 000

1 200 000

1 200 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. Sébastien Meurant.

M. Sébastien Meurant. Dès 1919, le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre instaurait le droit à réparation pour indemniser de façon spécifique les préjudices subis par chacune des catégories suivantes : les grands invalides de guerre, les conjoints survivants des morts au combat ou des grands invalides de guerre et les anciens combattants.

La pension militaire d’invalidité indemnise le préjudice qui découle des blessures ou maladies ; la pension versée au conjoint survivant indemnise les préjudices physiques, moraux et financiers consécutifs à son engagement auprès de son mari blessé à la guerre.

Alors que, jusqu’en décembre 1953, la législation plafonnait le pourcentage d’infirmité à 100 % pour tous les grands invalides de guerre, l’article 16 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre a permis, à compter du 1er janvier 1954, de prendre en compte les aggravations en ajoutant des degrés supplémentaires d’invalidité au-delà de 100 %.

Si, de cette manière, tous les préjudices des grands invalides de guerre ont été pris en compte et dignement réparés, il n’en a pas été de même pour les veuves de grands invalides de guerre : le niveau de leurs pensions n’a pas évolué depuis 1928. Un véritable fossé s’est donc creusé entre le droit à réparation des grands invalides de guerre et celui de leurs conjoints survivants.

Cette injustice s’est amplifiée au fil des ans. Les pouvoirs publics, récemment alertés par les associations, ont mis en place quelques dispositifs, mais les conditions requises sont toutefois si restrictives qu’à peine 10 % des veuves de grands invalides de guerre ont pu en bénéficier. Une grande partie des crédits votés n’ont donc pas été utilisés pour établir à un niveau décent le droit à réparation de nos veuves de guerre.

Le présent amendement a pour objet de revaloriser la pension des conjoints survivants des grands invalides de guerre dont le niveau d’invalidité était supérieur à 100 % à la date du décès.

M. le président. L’amendement n° II-15 rectifié, présenté par MM. H. Leroy, Regnard, Grosdidier, Daubresse et Menonville, Mme Malet, MM. B. Fournier, Moga et Mizzon, Mme Garriaud-Maylam, MM. Paccaud, Antiste, D. Laurent, Magras, Meurant, Détraigne et Charon, Mme N. Delattre, MM. Frassa et Revet, Mmes de Cidrac et Deromedi, M. Le Gleut, Mme Morhet-Richaud et MM. A. Marc, Poniatowski, Priou, Houpert et Guerriau, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Liens entre la Nation et son armée

1 000 000

1 000 000

Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant

1 000 000

1 000 000

Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale

dont titre 2

TOTAL

1 000 000

1 000 000

1 000 000

1 000 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. Sébastien Meurant.

M. Sébastien Meurant. Cet amendement a le même objet que le précédent ; seul le montant des crédits dont nous demandons la réaffectation change, passant de 1,2 million d’euros à 1 million d’euros.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. Sur ces deux amendements, qui ne se distinguent que par le montant des crédits en jeu, notre commission a émis un avis favorable.

M. Charles Revet. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire dÉtat. Vous avez déclaré, monsieur le sénateur Meurant, que le niveau de la pension des veuves de grands invalides de guerre n’a pas évolué depuis fort longtemps ; cela n’est pas tout à fait exact.

En effet, le mode de calcul de la pension de réversion prend en compte, notamment, les seuils de durée de vie commune et de soins constants ; or ceux-ci ont été très fortement abaissés, puisqu’ils sont passés de quinze à cinq ans dans les dernières années.

J’ai entendu les associations. Il faut tout de même savoir qu’elles ne sont pas forcément unanimes sur le sujet : la demande que vous relayez est portée par une association et, en son sein, par une personne en particulier… Quand j’ai fait la synthèse des conclusions des groupes de travail, les associations, dans leur ensemble, ont jugé que ce n’était pas une demande prioritaire, contrairement à l’octroi de la carte du combattant aux militaires présents en Algérie du 2 juillet 1962 au 1er juillet 1964.

J’estime qu’il faut continuer de travailler avec les associations sur ces questions d’une complexité technique incroyable, pour essayer d’améliorer des situations qui ne seraient pas satisfaisantes. Je m’y attellerai dès le début de 2019, sachant que je ne puis préjuger du résultat de ces travaux. Dans cette attente, je vous demande, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer cet amendement, d’autant que son dispositif est flou sur le plan budgétaire ; faute de quoi l’avis du Gouvernement sera défavorable.

M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour explication de vote.

M. Sébastien Meurant. D’après les chiffres dont je dispose, environ 500 personnes sont potentiellement concernées ; leur âge moyen est de 86 ans. Je veux bien vous entendre, madame la secrétaire d’État, qu’il faille encore se laisser du temps, mais la mesure proposée est très forte sur le plan du symbole. Quant aux montants en jeu, on peut les estimer, sur la base de 500 personnes concernées, à près de 900 000 euros pour mon second amendement.

Je maintiens ces amendements, dont je ne suis d’ailleurs pas le premier signataire. Je laisse au Sénat le soin de se prononcer.

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.

M. Thani Mohamed Soilihi. Mme la secrétaire d’État a précisé qu’elle continuerait de travailler avec les associations, qui ne sont pas toutes d’accord entre elles : faisons-lui confiance. Un projet de budget rigoureux et équilibré a été préparé. Je comprends la dimension symbolique des propositions de notre collègue Meurant, mais je crois préférable d’adopter ces crédits tels qu’ils nous sont présentés par le Gouvernement, qui a pris l’engagement de poursuivre les consultations avec les associations.

Le groupe La République En Marche votera contre ces amendements.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-18 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l’amendement n° II-15 rectifié n’a plus d’objet.

L’amendement n° II-410 rectifié, présenté par Mmes Garriaud-Maylam et Deromedi, MM. Frassa et Regnard et Mme Renaud-Garabedian, est ainsi libellé :

I. – Créer le programme :

Promotion du lien entre la Nation et son armée parmi les Français de l’étranger

II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Liens entre la Nation et son armée

500 000

500 000

Promotion du lien entre la Nation et son armée parmi les Français de l’étranger

500 000

500 000

Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant

Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale

dont titre 2

TOTAL

500 000

500 000

500 000

500 000

SOLDE

0

0

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la secrétaire d’État, vous avez évidemment raison de mettre l’accent sur le devoir de mémoire pour notre jeunesse.

Le devoir de mémoire, le lien de citoyenneté avec la communauté nationale est essentiel pour toute notre jeunesse. Pourtant, en dépit de la loi, les jeunes Français de l’étranger risquent de ne plus pouvoir participer à une Journée défense et citoyenneté. Aux termes de l’article L. 111–2 du code du service national, « la Journée défense et citoyenneté a pour objet de conforter l’esprit de défense et de concourir à l’affirmation du sentiment d’appartenance à la communauté nationale, ainsi qu’au maintien du lien entre l’armée et la jeunesse ». L’article L. 114–2 du même code précise que la JDC est organisée pour tous les Français.

Les jeunes Français de l’étranger ont sans doute plus encore que leurs compatriotes de métropole besoin de renforcer leur lien avec la citoyenneté française et notre défense. Il faut savoir que 50 % des Français de l’étranger sont des binationaux. Comme vous le savez, madame la secrétaire d’État, partout dans le monde émergent des tendances à la radicalisation. Il est donc de plus en plus important de renforcer le lien d’appartenance à la communauté nationale, afin que ces jeunes puissent continuer à servir de relais à nos valeurs.

Or la direction des Français de l’étranger a récemment annoncé que la Journée défense et citoyenneté allait être tout bonnement supprimée pour les Français de l’étranger. La seule explication donnée est budgétaire, alors même que nous créons un service national universel qui coûtera très cher… Bien sûr, la JDC a vocation à disparaître, mais comment peut-on en exclure les jeunes Français de l’étranger, qui à l’évidence ne seront pas concernés par le service national universel, impossible à organiser à l’étranger. Pourquoi, dès lors, les priver de cette JDC, qui est d’ailleurs organisée pour l’essentiel par les attachés de défense à l’étranger ?

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Pour essayer de maintenir ce lien citoyen, nous vous demandons, madame la secrétaire d’État, de créer un programme dédié à la promotion du lien entre la Nation et les jeunes Français de l’étranger ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. Bien que l’on ne dispose pas d’une estimation précise du coût de cette proposition, la commission émet un avis de sagesse.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire dÉtat. Madame la sénatrice, je vois votre amendement comme un amendement d’appel, d’autant que la JDC pour les Français de l’étranger relève du ministère des affaires étrangères, et non de cette mission.

Cela étant, le sujet est en effet important. Le code du service national dispose que les Français établis hors de France doivent participer à la JDC, sous la responsabilité du chef de poste diplomatique et consulaire accrédité, une faculté d’aménagement en fonction des contraintes liées aux pays concernés étant ouverte.

Si l’on voulait mettre fin à l’organisation des JDC à l’étranger, il faudrait supprimer la disposition législative que vous avez citée : on ne peut pas se soustraire à cette obligation législative. Pour tout vous dire, je suis particulièrement défavorable à une évolution à cet égard ; les JDC doivent être maintenues pour les jeunes Français à l’étranger, hormis les cas où leur mise en œuvre s’avère impossible du fait de la situation du pays concerné.

À l’heure actuelle, je peux vous assurer que rien n’est arrêté. Je m’engage à plaider auprès du ministère des affaires étrangères pour le maintien des JDC pour les jeunes Français de l’étranger. Le ministère des armées entretient des relations privilégiées avec les attachés de défense.

Je vous invite à retirer votre amendement, madame la sénatrice.

M. le président. Madame Garriaud-Maylam, l’amendement n° II-410 rectifié est-il maintenu ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État : je la considère comme un engagement moral. Ce sujet est très important, et nous comptons vraiment sur vous pour nous aider, car le ministère des affaires étrangères a déjà fait des annonces sur la suppression de la JDC. Dans cette attente, je retire l’amendement.

M. le président. L’amendement n° II-410 rectifié est retiré.

Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° II-3 est présenté par Mme Micouleau, MM. Grand, Allizard et Bas, Mme A.M. Bertrand, M. Bonhomme, Mme Bories, MM. Buffet, Cardoux, Charon et Chatillon, Mme de Cidrac, M. Cuypers, Mme L. Darcos, M. Daubresse, Mme Deromedi, MM. Dufaut, Duplomb et B. Fournier, Mmes Garriaud-Maylam, Giudicelli et Gruny, M. Husson, Mme Imbert, MM. Karoutchi et Laménie, Mmes Lanfranchi Dorgal et Lassarade, MM. D. Laurent, Lefèvre, H. Leroy et Longuet, Mme Lopez, M. Mandelli, Mmes M. Mercier et Morhet-Richaud, MM. Mouiller, de Nicolaÿ, Perrin, Piednoir, Pierre et Poniatowski, Mmes Puissat et Raimond-Pavero, MM. Raison, Rapin, Regnard, Revet, Savin et Sol et Mme Thomas.

L’amendement n° II-106 rectifié est présenté par MM. Corbisez, Menonville et Artano, Mme M. Carrère, MM. Collin et Dantec, Mme N. Delattre, MM. Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Mézard, Requier, Roux et Vall.

L’amendement n° II-132 est présenté par Mmes Cukierman, Apourceau-Poly, Cohen, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Liens entre la Nation et son armée

106 834

106 834

Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant

106 834

106 834

Indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la seconde guerre mondiale

dont titre 2

TOTAL

106 834

106 834

106 834

106 834

SOLDE

0

0

La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour défendre l’amendement n° II-3.

M. Antoine Lefèvre. Cet amendement, que je présente au nom de ma collègue Brigitte Micouleau, qui ne pouvait être présente ce matin, vise à corriger une discrimination persistante dans la reconnaissance par l’État des sacrifices consentis par les harkis.

En effet, ceux-ci ne bénéficient pas du même traitement selon le statut juridique qui était le leur à l’époque de la guerre d’Algérie. Au côté de la très grande majorité des anciens supplétifs, qui relevaient du statut civil de droit local, des pieds noirs d’origine européenne, soumis au statut civil de droit commun, ont servi dans des formations supplétives comme des harkas, des sections administratives spécialisées ou des groupes mobiles de sécurité.

Le bénéfice des mesures de réparation mises en place en faveur des anciens supplétifs, notamment l’allocation de reconnaissance, a toujours été réservé aux seuls harkis de statut civil de droit local.

Toutefois, à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel du 4 février 2011, ce critère a été supprimé ; il n’a été rétabli que par la loi du 18 décembre 2013, dont la portée rétroactive a été jugée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel, le 16 février 2016.

Dès lors, tous les anciens supplétifs de statut civil de droit commun qui en ont fait la demande entre les mois de février 2011 et de décembre 2013 devraient pouvoir bénéficier des mesures de réparation. Pourtant, l’administration a à l’époque « joué la montre » et refusé de répondre aux requêtes, afin de décourager tout recours contentieux. Ceux qui ont fait appel aux tribunaux ont depuis eu gain de cause.

Il appartient maintenant d’agir au nom de celles et ceux qui n’ont pas pu le faire. Il s’agit d’une population âgée, fragile et précaire. Selon les informations que vous nous avez communiquées, vingt-six personnes sont concernées. L’enjeu financier, limité, est de l’ordre de 106 834 euros : cela correspond au versement d’une allocation de reconnaissance de 4 109 euros à chacune de ces personnes.

Cette mesure n’entraînera pas de dépense supplémentaire et est compensée par le déclin démographique du nombre de bénéficiaires de l’allocation de reconnaissance, qui a diminué de 209 entre 2016 et 2017.

Cet amendement vise donc, pour financer cette mesure, à procéder au transfert de 106 834 euros de l’action n°02 Politique de mémoire du programme 167 « Liens entre la Nation et son armée » vers l’action n°07 Actions en faveur des rapatriés du programme 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant ».

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour présenter l’amendement n° II-106 rectifié.

M. Franck Menonville. Notre collègue Antoine Lefèvre a fort bien présenté l’objet de ces amendements identiques. Il s’agit d’une mesure d’équité et de justice à l’égard des anciens supplétifs de statut civil de droit commun, qui consiste tout simplement à faire appliquer le droit par l’administration. Cela concerne peu de dossiers vingt-six selon le ministère des armées. Il est temps de faire un geste pour solder cette question.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° II-132.

Mme Cécile Cukierman. Il s’agit de remédier à une discrimination. Le Gouvernement s’était engagé devant les députés, lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire, à étudier ces cas particuliers et à verser l’allocation de reconnaissance à vingt-six anciens supplétifs. Par cet amendement, nous demandons que cet engagement soit tenu, par une inscription dans le budget de la Nation.

Madame la secrétaire d’État, selon les informations dont nous disposons, il y a en tout soixante-seize demandes d’anciens supplétifs. Pour quel motif vingt-trois personnes sont-elles considérées comme n’étant pas d’anciens supplétifs ? Dès lors qu’elles risquent de relever d’autres régimes, par exemple celui des militaires si elles ont servi en qualité d’appelés, de quelles solutions de substitution sont-elles susceptibles de bénéficier ? Par ailleurs, nous souhaiterions en savoir davantage sur les personnes « introuvables » qui avaient fait une demande et ont sans doute renoncé à la mettre en forme.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Marc Laménie, rapporteur spécial. Ces amendements identiques portent sur un sujet qui a été abordé lors de l’examen des précédents projets de loi de finances, notamment l’an dernier.

À la suite de difficultés juridiques, certains anciens supplétifs de statut civil de droit commun se sont trouvés exclus du bénéfice de l’allocation de reconnaissance versée aux anciens supplétifs de statut civil de droit local. Le ministère des armées indique examiner au cas par cas les demandes en instance. Cependant, la budgétisation des allocations de reconnaissance qui seront éventuellement attribuées au terme de cet examen ne semble pas totalement assurée.

Toutefois, dans un esprit de respect et de reconnaissance, la commission des finances émet un avis favorable sur ces amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire dÉtat. L’exposé des motifs de ces amendements identiques comporte une petite erreur : je me suis engagée non pas à verser une allocation de reconnaissance à ces supplétifs, mais à examiner les dossiers. (M. Laurent Duplomb sesclaffe.)

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire dÉtat. C’est ce que nous avons fait. La liste des personnes concernées nous a été fournie par une association : elle comportait soixante-quatorze noms d’anciens supplétifs de droit commun, c’est-à-dire européens, qui auraient pu avoir droit à cette allocation de reconnaissance au titre d’une « fenêtre » judiciaire.

Cette liste a été examinée : il se trouve que vingt-trois personnes ne sont pas d’anciens supplétifs et que vingt-cinq autres sont introuvables dans nos fichiers, ce qui signifie qu’elles n’ont pas séjourné dans des harkas. Il reste vingt-six personnes qui ont travaillé dans des harkas et se sont manifestées au titre de la fenêtre judiciaire que j’évoquais.

Après examen, il s’avère que leurs demandes ont fait l’objet d’une décision implicite de rejet par l’administration et que cette décision n’a pas été contestée dans les délais requis devant un tribunal administratif. Par conséquent, leur situation est forclose – je l’ai appris il y a deux jours – et ces dossiers ne peuvent a priori donner lieu à indemnisation.

Il faut distinguer entre les harkis français ou européens et les harkis algériens de droit local. Les premiers ont en fait le même statut que les rapatriés – les pieds-noirs, comme on les appelle communément – et pouvaient prétendre aux indemnisations et réparations destinées à ceux-ci. Les seconds ont été accueillis en France dans les conditions que nous connaissons et, pour cette raison, le législateur a mis en œuvre au fil des années des allocations de reconnaissance spécifiques à leur intention. Il ne s’agit donc pas des mêmes publics ni des mêmes situations en termes de reconnaissance et de réparation.

La fenêtre judiciaire, qui ne concernait pas tout le monde, s’est refermée. Quoi qu’il en soit, mesdames, messieurs les sénateurs, je puis vous assurer que ces dossiers ont tous été examinés avec beaucoup d’impartialité et de bienveillance, dans le respect du droit : il n’était pas question pour nous d’essayer de léser quiconque.

Le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements identiques.

M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.

M. Laurent Duplomb. Madame la secrétaire d’État, vous avez donné un avis défavorable à presque tous les amendements, au motif que les mesures proposées coûtaient trop cher ou ne constituaient pas la bonne solution.

Dans un souci de transparence, je ferai observer que, au palmarès de l’augmentation des rémunérations des cabinets ministériels, votre cabinet tient la première place ! (Protestations sur des travées du groupe Union Centriste.) Les rémunérations de vos collaborateurs sont ainsi passées de 271 204 euros en 2017 à 542 781 euros en 2018, soit un doublement. Je trouve cela un peu paradoxal !

M. le président. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.

M. Charles Revet. Je suis favorable à ces amendements. Je suis sans doute le dernier, dans cette assemblée, à avoir participé à la guerre d’Algérie et je me souviens du traitement inacceptable qui a été réservé aux harkis.

M. Charles Revet. Ceux qui sont restés en Algérie après avoir servi la France ont été maltraités, souvent même supprimés.

M. Charles Revet. Je considère par conséquent que la France a une dette de reconnaissance à leur égard et a trop tardé à prendre en compte leur situation.

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Comme l’a très bien dit Charles Revet, nous avons un devoir de reconnaissance envers les harkis. Cela fait des années que nous en parlons et que nous demandons que l’on avance sur ce sujet – j’ai moi-même eu l’occasion de défendre des amendements en ce sens au fil des années. Un geste est infiniment nécessaire.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire dÉtat. Monsieur le sénateur Revet, je vous comprends. Je sais combien vous êtes attaché à ce que l’on répare les préjudices subis et que l’on respecte toutes les mémoires de ce conflit difficile. Il n’en reste pas moins qu’il existe des situations diverses. De nombreux dispositifs différents ont été mis en œuvre à des époques différentes, avec des strates qui se juxtaposent. Pour le cas particulier de ces vingt-six personnes, je vous ai dit ce qu’il en était. Je vous propose d’en rester là, même si je comprendrais que vous votiez ces amendements, ne fût-ce qu’à titre symbolique. Je respecte votre position.

J’en viens à l’attaque en règle dont j’ai été l’objet à l’instant.

Si l’on prétend donner des leçons, monsieur le sénateur Duplomb, il faut soi-même être irréprochable. Publier des articles sur l’évolution des rémunérations des cabinets ministériels entre août 2017 et août 2018 sans chercher à approfondir ni même à contacter les ministères pour avoir une explication me paraît déjà très discutable de la part de la presse. Que vous les relayiez de cette façon est totalement indigne.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire dÉtat. J’ai été nommée le 21 juin 2017. N’étant pas une fille de Paris, je ne connaissais pas grand monde et j’ai donc mis du temps à constituer mon cabinet. Au 1er août 2017, je n’avais encore recruté que deux collaborateurs : mon directeur de cabinet et un conseiller social, tous deux contrôleurs généraux des armées. Durant les mois de septembre et d’octobre suivants, j’en ai recruté trois autres. Ce décalage dans les recrutements explique que les rémunérations des membres de mon cabinet aient doublé entre août 2017 et août 2018 : entre ces deux dates, le nombre de mes collaborateurs avait, lui, plus que doublé, passant de deux à cinq.

Avant de lancer de telles attaques en séance publique, monsieur le sénateur, vous auriez pu m’interroger sur les raisons de cette augmentation des rémunérations. Du reste, d’autres journaux ont entièrement démenti les chiffres que vous avez relayés. Tout cela n’a pas de sens ! J’ai composé mon cabinet comme on me l’a demandé. J’ajoute que les deux premières personnes que j’ai recrutées travaillaient déjà pour le ministère des armées et que leur rémunération ne représente donc pas un coût supplémentaire pour la Nation.

Vous avez tenu des propos indignes, monsieur le sénateur. Je connais et respecte de nombreux membres de votre groupe politique, mais votre discours témoigne d’un total manque de respect envers mes collaborateurs et moi-même, et au-delà envers la politique. C’est à cause de la démagogie, du populisme de personnes comme vous que l’on en arrive à la situation que nous connaissons actuellement dans nos rues et que les élus perdent tout crédit ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos II-3, II-106 rectifié et II-132.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », figurant à l’état B.

Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix ces crédits, modifiés.

(Les crédits sont adoptés.)

M. le président. J’appelle en discussion l’article 73, qui est rattaché pour son examen aux crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

Anciens combattants, mémoire et liens avec la nation

État B
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Justice

Article 73

I. – L’article 6 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés est ainsi modifié :

1° Les quatre premiers alinéas du I sont remplacés par huit alinéas ainsi rédigés :

« I. – Une allocation de reconnaissance, sous condition d’âge, est versée en faveur :

« 1° Des anciens harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives de statut civil de droit local ayant servi en Algérie, qui ont fixé leur domicile en France ;

« 2° Aux conjoints ou ex-conjoints survivants, non remariés ou n’ayant pas conclu de pacte civil de solidarité, des personnes mentionnées au 1°.

« II. – La perception de l’allocation de reconnaissance peut prendre la forme, au choix du bénéficiaire :

« 1° D’une rente viagère dont le montant annuel ne peut être inférieur à 4 109 € à compter du 1er janvier 2019 ;

« 2° D’un capital de 20 000 € et d’un complément de capital sous la forme d’une rente viagère dont le montant annuel ne peut être inférieur à 2 987 € à compter du 1er janvier 2019 ;

« 3° D’un capital de 30 000 €.

« Un arrêté conjoint des ministres chargés des rapatriés et du budget fixe le montant annuel de la rente viagère et du complément de capital prévus respectivement aux 1° et 2° du présent II. » ;

2° Au début du sixième alinéa du même I, est ajoutée la mention : « III. – » ;

3° Au début du dernier alinéa dudit I, est ajoutée la mention : « IV. – » ;

4° Le II devient le V.

II. – A. – Le b du 4° de l’article 81 du code général des impôts est ainsi rédigé :

« b. L’allocation de reconnaissance prévue à l’article 6 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ; ».

B. – Le 11° du I de l’article L. 136-1-3 du code de la sécurité sociale est ainsi rédigé :

« 11° L’allocation de reconnaissance prévue à l’article 6 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ; ».

III. – Le I de l’article 133 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « de 3 663 € à compter du 1er janvier 2018, indexé sur le taux d’évolution en moyenne annuelle des prix à la consommation de tous les ménages, hors tabac, » sont remplacés par les mots : « qui ne peut être inférieur à 4 109 € à compter du 1er janvier 2019 » ;

2° Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le montant annuel de l’allocation est fixé par arrêté conjoint des ministres chargés des rapatriés et du budget. »

IV. – L’article 47 de la loi de finances rectificative pour 1999 (n° 99-1173 du 30 décembre 1999) est abrogé.

M. le président. Je mets aux voix l’article 73.

(Larticle 73 est adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures quinze, est reprise à onze heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2019, des différentes missions.

Justice

Article 73
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Rappel au règlement

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Justice ».

La parole est à M. le rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le constat est partagé, je le crois, sur toutes les travées : depuis quelques années, le ministère de la justice n’a pas les moyens d’exercer convenablement ses missions. Les effets de l’augmentation de ses moyens intervenue ces dernières années tardent encore à se matérialiser. Dans les tribunaux ou les établissements pénitentiaires, les personnels expriment leurs difficultés à exercer leur métier, voire leur désarroi. En effet, la surpopulation carcérale ou des délais de jugement trop longs contribuent à décourager les agents, qui, parfois, ne trouvent plus de sens à leur action.

C’est dans ce contexte de fortes attentes que s’inscrit ce projet de loi de finances : attentes en termes des moyens, mais aussi de fonctionnement même de la justice. À ce titre, le Gouvernement a présenté un projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que le Sénat a largement amendé sur l’initiative de sa commission des lois.

De véritables réformes sont en effet indispensables, car les moyens seuls ne suffiront pas au « redressement » de la justice, pour reprendre l’intitulé de la proposition de loi déposée par notre collègue Philippe Bas, président de la commission des lois.

Madame la garde des sceaux, la commission des finances a émis un avis favorable sur l’adoption des crédits du ministère de la justice, considérant que l’augmentation de près de 4,5 % des crédits hors compte d’affectation spéciale « Pensions » se justifie, s’agissant d’un ministère régalien que nous considérons comme prioritaire.

Certains regrettent que la hausse des crédits ne soit pas plus importante. Je partage leur impatience, mais je pense que la proposition du Gouvernement est équilibrée. En effet, les hausses de crédits doivent être crédibles et il serait illusoire de penser pouvoir dépenser – judicieusement s’entend – beaucoup plus. En effet, une fois le budget voté, il faut l’exécuter, et l’on se heurte alors à la réalité. Recruter et former du personnel, construire des établissements pénitentiaires, des juridictions, repenser des systèmes d’information : tout cela prend du temps et tous vos prédécesseurs, madame la garde des sceaux, en ont largement pris conscience.

Lors de mes récents déplacements sur le terrain, j’ai eu l’impression que les choses commençaient, lentement, à s’améliorer, notamment dans les juridictions. Les vacances de postes semblent s’amenuiser, l’ouverture du nouveau palais de justice de Paris ou la réouverture prochaine de la prison de Paris-La Santé – sites que j’ai tous deux visités – sont des signes visibles que la situation commence à évoluer, même si le défi reste de taille.

En ce qui concerne l’administration pénitentiaire, le projet de loi de finances prévoit une hausse de 95 millions d’euros des dépenses de personnel, afin notamment de créer de nouveaux postes de surveillant pénitentiaire pour combler les vacances.

À cet égard, madame la garde des sceaux, je souhaite vous poser quelques questions. Comment est-il envisagé de faire face à l’ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires, conjuguée aux départs à la retraite et à des difficultés de recrutement de surveillants pénitentiaires ? Pouvez-vous nous préciser les contours que devrait prendre la prime de fidélisation annoncée en janvier dernier à la suite du mouvement social de la fin de 2017 ? Combien d’agents seront concernés ? Quel en sera le coût ?

Le programme de construction de nouvelles places de prison retenu par le Gouvernement est moins ambitieux que ce qu’avait initialement annoncé le candidat Emmanuel Macron. Il est pourtant urgent de garantir un encellulement individuel, mais aussi, tout simplement, de dignes conditions de détention, permettant aux surveillants d’accomplir convenablement leur travail.

Le présent projet de loi de finances prévoit de consacrer près de 230 millions d’euros aux projets informatiques du ministère, soit une augmentation de 20 % par rapport à 2018. Ces investissements sont le signe du rôle crucial que le numérique peut et doit jouer dans la modernisation de la justice. Il devra toutefois en résulter, à terme, des économies.

La dématérialisation de la demande du bulletin n° 3 du casier judiciaire est une première étape, que je tiens à saluer, mais il faudra aller plus loin, en particulier en ce qui concerne les applications utilisées par le ministère lui-même, mais aussi avec ses partenaires, qu’il s’agisse des services de police ou de ceux des impôts.

Il conviendra de veiller à ce que la numérisation des procédures et des démarches demeure compatible avec un accès au droit sur l’ensemble du territoire, afin qu’à la fracture sociale et territoriale ne s’ajoute pas la fracture numérique.

Madame la garde des sceaux, je tiens également à vous faire part d’une inquiétude concernant le dynamisme des frais de justice. Il est justifié que les magistrats souhaitent recourir à toutes les techniques modernes existantes en vue de la manifestation de la vérité et leurs décisions ne sauraient être contraintes par des questions de coûts. Si d’importants progrès ont déjà été réalisés pour rationaliser le circuit de la dépense, les charges à payer demeurent particulièrement élevées.

Les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, augmentent, notamment afin de financer la création de cinq nouveaux centres éducatifs fermés. Le Sénat est très dubitatif quant à cette mesure, en raison du coût prohibitif du fonctionnement de ces structures – le prix de journée s’élèvera à 672 euros en 2019 – et du manque d’évaluation.

Enfin, la réforme de l’aide juridictionnelle engagée par le précédent gouvernement, qui a, entre autres mesures, abaissé le plafond de ressources pour en bénéficier, a conduit à une très forte augmentation de cette dépense dite « de guichet ». Ainsi, elle est passée de 360 millions d’euros en 2015 à 507 millions d’euros en 2019, soit une augmentation de 41 %.

L’aide juridictionnelle est financée en partie par des crédits budgétaires, en partie par des ressources fiscales affectées au Conseil national des barreaux. Dans ce contexte de croissance forte de l’aide juridictionnelle, une révision de ses modalités de financement paraît indispensable ; nous en reparlerons à l’occasion de l’examen des amendements.

Telles sont, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les observations que je souhaitais formuler sur ce projet de budget du ministère de la justice, que la commission des finances a considéré comme équilibré, compte tenu des nécessaires redressements de la justice et, bien sûr, des comptes publics. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale pour les programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice ». Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les crédits de la mission « Justice » progressent de 4,5 % en 2019, hors dépenses de pensions, pour atteindre un montant total de 7,29 milliards d’euros en crédits de paiement, identique à celui qui a été prévu par le Sénat lors de l’examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, mais avec une ventilation différente.

Les crédits de paiement des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » augmentent quant à eux de 2,29 %, et leurs autorisations d’engagement de 2,94 %.

Il est toutefois regrettable que, parmi tous les programmes de la mission « Justice », le budget consacré aux juridictions judiciaires soit celui qui augmente le plus faiblement – 0,87 % en crédits de paiement –, à périmètre constant entre 2018 et 2019.

Plusieurs points positifs méritent d’être relevés.

Le schéma de création d’emplois est plus ambitieux que l’année dernière, avec la création de 192 postes dans les juridictions judiciaires.

Le nombre de postes vacants de magistrat a baissé de façon significative en 2018 : on ne compte plus que 252 vacances de postes de magistrat au 1er octobre 2018, contre 417 l’année précédente.

Les crédits de paiement en matière d’investissement progressent de 8,5 % par rapport à 2018 et les autorisations d’engagement de 211 %, ce qui s’explique par le lancement d’un nouveau programme pluriannuel de rénovation et de construction dans l’immobilier judiciaire. Ce programme est très attendu, madame la garde des sceaux, étant donné le piètre état des locaux de trop nombreuses juridictions.

En dernier lieu, les crédits en faveur de l’informatique et du numérique augmentent de 20 % entre 2018 et 2019.

Ces mesures ne peuvent cependant pas occulter une situation qui demeure encore fragile dans les juridictions.

Ainsi, les délais de traitement des affaires continuent de croître, tant en matière civile qu’en matière pénale. En matière civile, ils sont passés de 7,5 mois en 2007 à 11,8 mois en 2017 devant les tribunaux de grande instance, et de 12,7 mois à 14,7 mois devant les cours d’appel. En matière pénale, la situation est toujours aussi alarmante : le délai de traitement moyen d’une affaire criminelle est de 40,6 mois, mais il peut atteindre 62,6 mois en incluant la procédure d’appel. C’est considérable.

Les tribunaux de grande instance vont en outre devoir absorber, à compter du 1er janvier 2019, le contentieux social actuellement traité par les tribunaux des affaires sociales et les tribunaux du contentieux et de l’incapacité, ce qui suscite beaucoup d’interrogations parmi les personnels, madame la ministre.

De même, les frais de justice demeurent une source d’inquiétude. Même s’ils font l’objet d’une meilleure budgétisation, leur augmentation est constante. Vous trouverez dans le rapport écrit quelques chiffres parlants, mes chers collègues.

Pour terminer ce trop court panorama des moyens dédiés à la justice judiciaire en 2019, je dirai quelques mots sur l’absence de réforme de l’aide juridictionnelle.

Le Sénat a fait des propositions concrètes et utiles lors de l’examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

M. le président. Veuillez conclure.

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. Il a notamment proposé le rétablissement d’une contribution à l’aide juridique en première instance et l’instauration de l’obligation de consultation préalable d’un avocat avant toute demande d’aide juridictionnelle. Le Gouvernement est resté sourd à ces propositions jusqu’à présent. C’est pourtant un enjeu essentiel. Madame la garde des sceaux, que comptez-vous faire pour sauver un système qui est aujourd’hui à bout de souffle ?

Au bénéfice de ces observations, et malgré ces fortes réserves, la commission des lois a donné un avis favorable à l’adoption des crédits des programmes de la mission « Justice » concernant la justice judiciaire et l’accès au droit.

M. le président. Monsieur le rapporteur pour avis, vous avez dépassé de plus d’une minute votre temps de parole, qui était de trois minutes.

J’invite les orateurs à respecter le temps de parole qui leur est imparti.

La parole est à M. François-Noël Buffet, en remplacement de M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet, en remplacement de M. Alain Marc, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale, pour le programme « Administration pénitentiaire ». Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il me revient de présenter, en lieu et place d’Alain Marc, qui ne pouvait être présent ce matin, l’avis de la commission des lois sur les crédits du programme « Administration pénitentiaire ».

Cet avis est défavorable.

Certes, les crédits de paiement augmenteront de 5,75 % en 2019, mais cette hausse est insuffisante au regard des besoins de l’administration pénitentiaire et des enjeux du redressement de la justice.

Pour l’administration pénitentiaire, 2018 a été une année de crise. Le début de l’année a été marqué par un important mouvement de contestation des surveillants pénitentiaires, qui sont aujourd’hui en nombre insuffisant pour faire face à la surpopulation carcérale. Ce mouvement a été suivi, au printemps, de la mobilisation des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, qui ne peuvent plus suivre correctement et efficacement les personnes condamnées en milieu ouvert. Au mois de juillet, une évasion spectaculaire, celle de Rédoine Faïd, a soulevé de nombreuses questions quant à la sécurité de nos établissements pénitentiaires.

Enfin, 2018 a été une année critique, de nouveaux records ayant été battus en matière de surpopulation carcérale : au 1er octobre 2018, 70 714 personnes étaient détenues, soit 3,1 % de plus qu’un an auparavant. Actuellement, le taux d’occupation moyen de nos maisons d’arrêt est supérieur à 140 %.

Imagine-t-on que des détenus puissent se réinsérer à leur sortie lorsqu’ils passent vingt heures par jour dans une cellule de 9 mètres carrés avec un ou plusieurs codétenus ? Quels effets ces conditions de détention indignes peuvent-elles avoir sur des personnes incarcérées pour la première fois, dans le cadre d’une détention provisoire par exemple ?

Cette situation rend aussi déplorables les conditions de travail des personnels de l’administration pénitentiaire. Si la plupart d’entre eux sont d’un grand dévouement, ils sont exténués, voire découragés. Leurs métiers ne sont plus attractifs.

Le projet de budget présenté ne répond pas à cette situation de crise. Madame la garde des sceaux, le Gouvernement a fait le choix de renoncer à l’engagement présidentiel de construire 15 000 nouvelles places de prison sur le quinquennat. Le plan pénitentiaire que vous avez annoncé nous paraît insuffisant, voire trompeur à certains égards.

Il est insuffisant, car il ne prévoit la livraison que de 7 000 places environ d’ici à 2022, dont un peu moins de 5 000 seulement concerneront les maisons d’arrêt et les centres pénitentiaires. Les 2 000 autres places sont destinées à des structures d’accompagnement vers la sortie, les SAS.

Or, pour atteindre un taux d’encellulement individuel de 80 % en 2022, et au regard des trajectoires d’évolution de la population carcérale, il aurait fallu livrer au moins 9 500 nouvelles places de prison, en privilégiant les établissements pour peines.

Lors de sa visite de la maison d’arrêt de Paris-La Santé, notre collègue Alain Marc a constaté avec effarement que toutes les cellules individuelles de 9 mètres carrés avaient d’ores et déjà été « doublées », des lits superposés ayant été installés afin de pouvoir y accueillir deux personnes dès la réouverture de l’établissement, au mois de janvier prochain.

Le plan pénitentiaire annoncé est trompeur, disais-je, car plus de 90 % des places qui seront livrées en 2022 étaient prévues et financées par des programmes précédents.

Telles sont les remarques qu’Alain Marc aurait souhaité présenter à cette tribune. Sur le fond, je les partage. Elles ont conduit la commission des lois à émettre un avis défavorable sur l’adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire ». (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.

Mme Maryse Carrère, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale, pour le programme « Protection judiciaire de la jeunesse ». Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, lors de sa réunion du 21 novembre dernier, la commission des lois a donné un avis favorable à l’adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » du projet de loi de finances pour 2019.

La commission des lois a été sensible à l’effort consenti en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse, dont les crédits augmentent de 2,8 %, pour atteindre 875 millions d’euros en 2019. Ces moyens supplémentaires permettront la création d’une cinquantaine de postes, principalement des emplois d’éducateur, mais aussi de psychologue et d’assistante sociale, et ils financeront des travaux de rénovation et d’entretien des locaux trop longtemps différés.

Il faut aussi souligner l’effort consenti en faveur du secteur associatif habilité, dont les crédits vont être revalorisés afin de lui permettre de réaliser un plus grand nombre de mesures d’investigation.

Une partie non négligeable des crédits supplémentaires alloués à la protection judiciaire de la jeunesse sera affectée à la construction de nouveaux centres éducatifs fermés, ou CEF. Le Gouvernement prévoit 1,8 million d’euros pour commencer les opérations nécessaires à l’ouverture de deux centres dans le secteur public et 2,3 millions d’euros pour faciliter le lancement de cinq CEF associatifs.

Les auditions et les déplacements auxquels j’ai procédé n’ont pas levé toutes les interrogations concernant la construction de ces nouveaux CEF. J’ai entendu formuler de nombreuses questions concernant l’évaluation des besoins qui justifie l’ouverture de 240 places supplémentaires, alors que les cinquante-deux CEF aujourd’hui en activité sont loin d’être saturés.

Les professionnels s’inquiètent de la concentration des moyens humains et financiers sur ce programme de construction. Je sais que vous êtes convaincue, madame la ministre, de la nécessité de préserver une palette diversifiée de modes de prise en charge, afin que les juges des enfants puissent trouver une solution adaptée à chaque jeune. Mais aurez-vous les moyens, dans les années qui viennent, de financer l’ouverture de vingt nouveaux CEF sans pénaliser les autres dispositifs de la protection judiciaire de la jeunesse ? Peut-être pourrez-vous nous préciser vos intentions dans la suite de ce débat.

Pour conclure mon propos, j’évoquerai la réforme de l’ordonnance de 1945. La commission des lois y est favorable, cette ordonnance étant devenue peu lisible au fil de ses modifications successives et devant être adaptée à l’évolution de la délinquance juvénile. Cependant, nous ne pouvons que déplorer le choix du Gouvernement et de la majorité à l’Assemblée nationale de recourir à une ordonnance pour y procéder. Qui plus est, la demande d’habilitation a été introduite par voie d’amendement à l’Assemblée nationale lors de la discussion du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que nous avons examiné en procédure accélérée au mois d’octobre.

Je sais que vous prévoyez d’associer des parlementaires à l’élaboration de l’ordonnance, mais nous sommes nombreux à penser qu’une réforme d’un dispositif de cette importance mériterait un débat plus approfondi devant la représentation nationale.

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de 20 minutes pour intervenir.

Si les temps de parole sont respectés, cette discussion générale devrait s’achever vers treize heures.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.

M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le budget de la mission « Justice » progresse de près de 4,5 %, pour atteindre 7,291 milliards d’euros en crédits de paiement.

Même si le budget pour 2019 s’inscrit dans le mouvement de hausse quasiment continue des ressources votées, la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement dans le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice – une hausse de 23,5 % en cinq ans, pour atteindre 8,3 milliards d’euros – est en réalité bien moins ambitieuse que celle proposée par le Sénat, à savoir une augmentation de 33,8 % en cinq ans, pour atteindre 9 milliards d’euros. Elle est insuffisante pour assurer le redressement du service public de la justice par une action puissante et durable de rattrapage des retards accumulés dans le passé.

Oui, cette progression de près de 4,5 % apparaît bien modeste au regard des efforts nécessaires au redressement de la justice, qui se trouve aujourd’hui dans une situation critique, en termes tant de délais que de moyens ! Ce constat, le groupe Les Indépendants – République et Territoires l’avait déjà fait il y a un an à cette même tribune.

Le rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, qui a été récemment publié, vient confirmer, hélas ! ce diagnostic : quand l’Allemagne dépense 122 euros par habitant pour sa justice, la France n’y consacre que 66 euros par habitant, soit deux fois moins. La France se situe en queue du peloton européen et, malheureusement, le projet de budget pour 2019 ne permettra pas d’y remédier.

Je formulerai maintenant des observations spécifiques sur deux des trois programmes de la mission « Justice ».

Concernant tout d’abord les crédits consacrés à la justice judiciaire et à l’accès au droit, si le projet de loi de finances pour 2019 comporte plusieurs mesures positives, celles-ci doivent toutefois être accueillies avec prudence et ne doivent pas occulter une situation qui demeure extrêmement dégradée dans les juridictions.

Cette année encore, nous déplorons la pénurie chronique de magistrats et de fonctionnaires de greffe. Cette situation se traduit par un délai moyen de traitement des procédures en augmentation, toutes juridictions confondues.

De même, le système de l’aide juridictionnelle est à bout de souffle. À cet égard, le Sénat avait proposé le rétablissement de la contribution pour l’aide juridique en première instance, modulable de 20 à 50 euros, et l’instauration de l’obligation de consultation préalable d’un avocat avant toute demande d’aide juridictionnelle.

Concernant les crédits du programme « Administration pénitentiaire », je déplore l’hypocrisie de l’annonce du programme « 15 000 places », lequel repose essentiellement sur des constructions engagées par des gouvernements précédents. Ici, le constat est clair : le plan de construction de 15 000 places supplémentaires de prison d’ici à 2022 dont la mise en œuvre figurait parmi les engagements de campagne du Président de la République a été abandonné. Les ambitions du Gouvernement ont été ramenées, pour l’essentiel, à la création de 2 130 places en structures d’accompagnement vers la sortie d’ici à 2022. Aucun chantier n’étant engagé à ce jour, tous les terrains n’ayant pas été identifiés, même cet objectif plus modeste risque fort de ne pas être atteint.

Je souhaite également dénoncer l’insuffisance des crédits consacrés à la réinsertion, alors même que le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit de renforcer l’efficacité de l’exécution des peines.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2019.

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, pour la deuxième année consécutive, vous nous présentez, madame la ministre, un budget pour la justice qui connaît une nouvelle progression de ses crédits. Après une hausse significative de 3,9 % en 2018, les crédits de la mission « Justice » augmentent à nouveau, de 4,5 %, soit 313 millions d’euros supplémentaires.

Certes, ce budget ne permettra pas à la France de remonter en haut du classement des pays selon le critère des moyens qu’ils consacrent à leur système judiciaire établi par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice du Conseil de l’Europe, mais je tiens à souligner le volontarisme budgétaire du Gouvernement dans un contexte de redressement des finances publiques. Cela marque de façon évidente une volonté non feinte de placer la justice au rang des priorités gouvernementales.

Cet effort financier notable vous permettra, madame la garde des sceaux, de mettre en œuvre un engagement présidentiel important, inscrit dans le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, à savoir faire progresser de 24 % les crédits du ministère et créer 1 200 emplois d’ici à la fin du quinquennat.

Ce budget vous permettra de mener à bien les quatre chantiers prioritaires que vous vous êtes fixés : l’amélioration de la justice du quotidien ; le renforcement du sens et de l’efficacité des peines ; la diversification des modes de prise en charge des mineurs délinquants ; le renforcement de l’accès au droit et de l’aide aux victimes.

Ces moyens permettront, entre autres choses, la mise en œuvre du plan pénitentiaire que vous aviez présenté en septembre dernier et qui prévoit une évolution du parc pénitentiaire de notre pays, le renforcement de la sécurité des établissements pénitentiaires et la réinsertion des détenus. Ces mesures permettront d’améliorer les conditions de détention de ces derniers et les conditions de travail des personnels pénitentiaires. Comme le disait Albert Camus, une société se juge à l’état de ses prisons.

Je profite d’ailleurs du temps qui m’est imparti pour attirer votre attention sur la situation des établissements pénitentiaires dans les outre-mer.

En dépit d’améliorations récentes et en cours et de la création de nouvelles infrastructures, comme à Saint-Laurent-du-Maroni, l’état des prisons reste globalement déplorable dans ces territoires éloignés et présente des spécificités qui sont insuffisamment prises en compte, notamment s’agissant de la réinsertion des détenus. J’aurai l’occasion de revenir sur cette question lors de l’examen des crédits de la mission « Outre-mer », puisque j’ai souhaité en faire le fil directeur de mon avis.

Madame la garde des sceaux, avec ce budget, vous ambitionnez également d’améliorer la justice au quotidien. Cette amélioration s’appuiera notamment sur une programmation immobilière ambitieuse pour accompagner la réorganisation des juridictions prévue par le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dont l’examen s’achève à l’Assemblée nationale.

Là encore, même si je vous sais attentive à ces questions, je souhaite insister sur la situation des 73 juridictions qui rendent la justice en outre-mer, notamment sur celle de la chambre détachée de la cour d’appel de Saint-Denis à Mayotte. N’y a-t-il pas là une occasion de repenser l’organisation judiciaire au sein de ce département en difficulté et de le doter d’une cour d’appel de plein exercice ? Outre la reconnaissance supplémentaire de l’ancrage de Mayotte dans le droit commun des départements que cela induirait, il s’agit de permettre aux Mahorais d’accéder au service public de la justice comme tous les citoyens français.

Enfin, l’amélioration de la justice au quotidien passe par la transformation numérique de l’institution judiciaire – un sujet qui vous tient à cœur, madame la ministre –, qui profitera aux justiciables. Je pense par exemple à la consultation en ligne de l’état d’avancement de leur procédure sur le portail du Service d’accueil unique du justiciable, le SAUJ. Cette transformation profitera également aux professionnels du droit, avec le développement du passage à la fibre optique ou le déploiement d’ordinateurs portables et de smartphones. À cet égard, l’importance des ressources dégagées en faveur du plan de transformation numérique – 97 millions d’euros et 80 emplois créés – mérite évidemment d’être soulignée.

En conclusion, ce projet de budget de la justice pour 2019 est en adéquation avec les enjeux des réformes que vous souhaitez mener. Le groupe La République En Marche a déposé des amendements d’appel relatifs à l’aide juridictionnelle afin de faire avancer ce dossier sensible. Vous l’aurez compris, notre groupe votera en faveur de l’adoption des crédits de la mission « Justice ».

Je restitue une minute et quarante et une secondes de temps de parole, monsieur le président ! (Sourires.)

M. le président. Si tout le monde, y compris le Gouvernement, consent le même effort, nous pourrons peut-être achever l’examen des crédits de cette mission avant la suspension du déjeuner.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, un peu plus d’un mois après l’examen de la réforme de la justice, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur les crédits de la justice inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019.

Sur les chiffres, je serai brève : la progression globale des crédits de 4,5 %, à 7,29 milliards d’euros, va à l’évidence dans le bon sens, bien qu’elle demeure insuffisante, eu égard au retard qu’a accumulé notre pays, pour assurer le redressement du service public de la justice.

Les augmentations décidées année après année portent sur un budget historiquement si faible que le retard structurel n’est en effet jamais rattrapé, comme l’a d’ailleurs signalé la Commission européenne pour l’efficacité de la justice dans son rapport du 4 octobre 2018.

Rappelons que la France dépense moins de 66 euros par an et par habitant pour son système judiciaire, contre 122 euros pour l’Allemagne et 107 euros pour l’Autriche. Le nombre de juges et de procureurs français apparaît dérisoire, notre pays en comptant deux fois moins que la moyenne européenne.

Or la progression des crédits proposée ne permettra pas de renforcer les services judiciaires français, plus de la moitié du budget revenant, comme chaque année, au programme « Administration pénitentiaire ».

Au-delà des chiffres, nous nous interrogeons bien évidemment sur les orientations politiques que viendront servir ces crédits.

Ainsi, nous constatons – sur ce point, le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice nous avait déjà alertés – le maintien du projet de construction de places de prison, que la droite sénatoriale juge trop modeste, et nous au contraire bien trop important.

Quand allons-nous donc enfin avancer sur le sujet de la politique carcérale à mener dans notre pays, en confrontant décroissance carcérale et baisse de la délinquance et de la récidive, comme l’ont fait avec succès nos voisins d’Europe du Nord ? C’est là une question de pragmatisme. Le blocage serait-il idéologique ?

Les économies réalisées ne se combinent pas avec une réflexion sur notre société et le sens de la peine. Elles se font sur le dos des justiciables : que les plus fortunés se défendent en payant un avocat ; quant aux autres, qu’ils commencent par prouver qu’ils ont besoin de l’aide juridictionnelle en recourant un avocat, comme le propose la majorité sénatoriale, puis qu’ils se déplacent jusqu’à un lieu de justice encore ouvert, sachant que les tribunaux d’instance sont en passe d’être rayés de la carte judiciaire.

Au moment où l’on encourage la libération de la parole des victimes et où l’on insiste sur la nécessité que justice soit faite, peut-être faudrait-il s’assurer des conditions de sa bonne mise en œuvre… Or la dématérialisation échevelée des procédures, leur déjudiciarisation, le recul de la proximité et l’accès rendu plus difficile des justiciables aux lieux de justice sont à nos yeux autant d’atteintes à la mission de service public de la justice.

Quant au programme « Protection judiciaire de la jeunesse », sur lequel je souhaite insister, il demeure toujours aussi insuffisamment doté.

Sur le fond, je dois vous exprimer, madame la garde des sceaux, la surprise et l’inquiétude que vous avez suscitées dans nos rangs lorsque vous avez annoncé, à l’Assemblée nationale, la réforme de la justice pénale des mineurs par voie d’ordonnances, en demandant l’habilitation par un amendement au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Comment pouvez-vous employer une telle méthode ? Pour nous, c’est inacceptable.

La justice des mineurs doit bien sûr être réformée, mais veillons à ce que les grands principes posés par l’ordonnance du 2 février 1945 soient préservés, en matière tant d’atténuation de la responsabilité en fonction de l’âge que de recherche de réponses éducatives et de recours à des juridictions spécialisées.

Or la philosophie de ce projet de budget nous inquiète au plus haut point : pour l’essentiel, les nouveaux crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » sont absorbés par la construction de vingt nouveaux centres éducatifs fermés, alors même que le constat d’échec des cinquante-deux structures déjà existantes est établi, comme l’a récemment signifié une mission d’information sénatoriale sur la réinsertion des mineurs enfermés. Le caractère exceptionnel de l’enfermement des mineurs est pourtant déjà prévu par l’ordonnance de 1945.

S’agissant de mineurs, la justice doit aller de pair avec l’éducation. L’enfermement devrait être relégué aux oubliettes de l’histoire. Nous connaissons déjà ses effets délétères sur les adultes, pourquoi persister à se fourvoyer en enfermant des mineurs ?

Vous l’aurez compris, la progression des crédits de cette mission, qui fait de la Chancellerie un ministère prioritaire pour Bercy, ne saurait nous convaincre. Elle est trop faible pour permettre de rattraper le retard accumulé. Surtout, la ventilation des crédits augmentés est au service d’un projet de société et d’une vision de la justice qui ne sont pas les nôtres. Le cap d’une politique carcérale renforcée est maintenu, celui d’un éloignement et d’un affaiblissement du pouvoir judiciaire aussi. C’est pourquoi le groupe CRCE votera contre ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Madame le garde des sceaux, votre budget augmente de 4,5 % ; nous nous devons de le noter. Le budget de la justice progresse d’ailleurs depuis quinze ans, mais cela n’a pas toujours été à ce rythme. À cet égard, l’effort consenti par Jean-Jacques Urvoas pour l’augmenter significativement, durant l’année qu’il avait passée à la Chancellerie, doit être souligné.

Comme cela a déjà été dit, l’augmentation proposée cette année est insuffisante, au regard de l’effort qu’il faut absolument fournir. À cet égard, le Sénat a voté une trajectoire budgétaire plus ambitieuse, avec une hausse des crédits de la justice de 33,8 % sur la période 2018-2022, contre 23,5 % seulement dans celle dessinée par le Gouvernement.

Chacun sait que la France compte quatre fois moins de procureurs, trois fois moins de juges et deux fois moins de greffiers que la moyenne des pays européens. Ce n’est pas votre faute, madame la ministre : ce retard est dû à tous les gouvernements qui se sont succédé. On n’a jamais pris la mesure de l’effort à accomplir, que la commission des lois du Sénat a mis en exergue dans son rapport et sa programmation.

Les crédits de la juridiction judiciaire sont ceux qui augmentent le moins, à hauteur de 0,87 % seulement. Sur les 6 500 nouveaux emplois annoncés pour les cinq prochaines années, il n’y en aura que 400 de magistrat et 183 de greffier. Or nous constatons dans toutes les juridictions de France un manque de greffiers très important, qui rend également très difficile le travail des magistrats.

Concernant l’administration pénitentiaire, dans ce domaine aussi, madame la ministre, l’héritage est très lourd. Vous héritez, en particulier, des partenariats public-privé décidés avant votre arrivée, dont les effets néfastes sont désormais reconnus.

Il est clair que seules 7 000 places de prison seront construites sur les 15 000 annoncées, mais ce qui m’inquiète le plus, c’est l’absence de moyens pour réhabiliter les prisons existantes. (M. Jacques Mézard approuve.) Il est en effet indiqué, dans le rapport pour avis de la commission des lois, que, « en raison de la surpopulation carcérale, les détenus souffrent d’une grande promiscuité, de conditions d’hygiène déplorables et de difficultés d’accès aux soins ainsi qu’au travail ou à la formation, ce qui exacerbe les violences, nuit à la réinsertion des personnes condamnées et explique, au moins en partie, le manque d’attractivité de la profession de surveillant pénitentiaire ». Vous connaissez, madame la ministre, le drame que constitue la cohabitation, dans une cellule de 11 ou 12 mètres carrés, de trois personnes, dont un prévenu et deux condamnés, par exemple. De telles conditions de détention sont vraiment impossibles.

C’est pourquoi nous regrettons également que davantage de moyens ne soient pas consacrés aux alternatives à la détention. Il est évident qu’il faut multiplier les peines de travail d’intérêt général, les placements sous bracelets électroniques, les libérations sous probation, etc. Il faut aussi qu’il y ait moins de prévenus emprisonnés, et pour des durées moins longues.

Vous comprendrez, madame la ministre, que, pour ces raisons, le groupe socialiste et républicain ne pourra pas voter les crédits de la mission « Justice ».

M. le président. La parole est à Mme Sophie Joissains.

Mme Sophie Joissains. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis 2002, la mission « Justice » est devenue mission prioritaire du budget général de l’État.

Dans le présent projet de loi de finances, un effort important, correspondant aux souhaits du Sénat, a été fait pour les crédits de la mission « Justice », à l’exception toutefois de ceux du programme « Administration pénitentiaire ». J’y reviendrai.

La moyenne d’augmentation générale des autres programmes est satisfaisante. Seul le programme « Justice judiciaire » connaît une progression très inférieure. Du point de vue des financements accordés au fonctionnement des juridictions judiciaires, la France occupe en Europe un rang très médiocre : la dépense par habitant s’élève à 65,90 euros par an, contre 122 euros en Allemagne, 119,20 euros aux Pays-Bas ou 75 euros en Italie. Notre rapporteur pour avis Yves Détraigne craint fort que, compte tenu de l’inflation, l’augmentation budgétaire de ce programme ne soit finalement que résiduelle… Il recouvre pourtant l’ensemble des dépenses des juridictions judiciaires, le budget de l’École nationale des greffes – les greffiers sont les grands oubliés de la réforme –, la subvention versée à l’École nationale de la magistrature et le personnel affecté au sein du réseau judiciaire de proximité…

La proximité est, elle aussi, passée en grande partie par pertes et profits. Certaines des juridictions transformées en chambres seront inévitablement fermées à l’avenir, madame la garde des sceaux, et ce sont encore les habitants des territoires ruraux qui en feront les frais.

La question des moyens et de leur affectation est essentielle pour offrir à nos concitoyens une justice de qualité, une justice accessible offrant protection et garanties d’impartialité. Elle ne saurait en aucun cas trouver une solution dans de simples réorganisations, qui se révéleront à terme mortifères : suppression de tribunaux d’instance, déjudiciarisation ou encore dématérialisation débridée des procédures.

Comme les rapporteurs de la commission des lois, je constate que la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement dans le projet de loi de programmation 2018-2022 est bien moins ambitieuse que celle proposée par le Sénat. Sera-t-elle suffisante pour redresser le service public de la justice ? Non, sauf à réduire drastiquement son rôle auprès des citoyens. Cela semble être le chemin pris : déjudiciarisations coûteuses pour le contribuable, règlements amiables en ligne non sécurisés des litiges, disparition progressive des audiences de conciliation, disparition programmée des jurés, et ne parlons même plus du juge de paix, passé aux oubliettes… La liste est longue !

Je constate également que certaines ambitions du Gouvernement, reprenant les engagements de la campagne présidentielle, sont au mieux revues à la baisse, au pire abandonnées.

Je veux bien sûr parler ici de notre politique pénitentiaire. Nous avons voté dès 2009 le principe de l’encellulement individuel. Près de dix ans plus tard, l’échec est patent. Les détenus sont parfois quatre par cellule, sans que l’administration ait même toujours la possibilité de les grouper par catégorie de faits commis. La douche des détenus entassés est loin d’être quotidienne, et je n’évoque pas les soins psychiatriques… Inutile de souligner combien la réinsertion devient hasardeuse dans ces conditions !

La situation des bâtiments est elle aussi profondément préoccupante. De nombreux établissements sont à la limite de l’insalubrité et leur sûreté n’est pas toujours garantie.

Il avait été annoncé 15 000 places de prison supplémentaires en cinq ans ; le Gouvernement avance aujourd’hui l’objectif de 7 000 places livrées à l’horizon 2022. C’est insuffisant, et l’on peut se demander si cet objectif pourra même être tenu.

Le personnel des prisons françaises souffre de sous-équipement, de sous-effectif chronique et d’agressions quotidiennes, au moins verbales. Quelles mesures d’accompagnement et de protection ont été prévues à leur endroit ?

Sur ce programme, la commission des lois a émis un avis défavorable.

J’évoquerai maintenant l’aide juridictionnelle, un sujet qui me tient à cœur et sur lequel Jacques Mézard et moi-même avons été corapporteurs d’une mission d’information en 2014.

Les moyens mobilisés devraient augmenter de 7 %, pour atteindre 507 millions d’euros. C’est une excellente chose, mais, au regard des contraintes pesant sur le budget de l’État, il sera vraisemblablement nécessaire de conforter ces financements. Nous avons cosigné deux amendements en ce sens, dont l’un vise à instaurer une contribution sur la protection juridique des contrats d’assurance, une mesure que nous préconisions déjà dans notre rapport d’information adopté à l’unanimité de la commission des lois en 2014. Il faudra envisager une véritable réforme de l’aide juridictionnelle, madame la ministre.

Au-delà de ces aspects budgétaires, il est impossible de ne pas dire quelques mots sur la réforme de la justice, que j’évoquais à l’instant.

Pour la discussion de cette réforme, essentielle pour notre République et les droits de nos concitoyens, il a été recouru à la procédure accélérée, alors que les propositions des deux chambres auraient dû faire l’objet d’un examen minutieux et approfondi. La forme est bien souvent le reflet du fond… L’objectif de l’Assemblée nationale, ou plutôt des députés de la majorité, a été de revenir purement et simplement au projet du Gouvernement, en faisant fi des propositions du Sénat.

Il est pratique de bénéficier d’une majorité large et facile de se passer du concours de la deuxième chambre ; c’est aussi éminemment dangereux. Contre-pouvoirs et corps intermédiaires sont à la base de nos principes démocratiques. Ce texte est une catastrophe. On ne peut ignorer l’indignation unanime des professionnels du droit. Avocats et magistrats se sont mobilisés jeudi dernier pour une journée « justice morte ». Sinistre présage…

Syndicats, bâtonniers et avocats continuent d’être très actifs auprès de nous et, à titre personnel, je partage sans réserve leur profonde inquiétude. Il vous faut écouter, il vous faut entendre, madame la ministre !

Le groupe Union Centriste votera évidemment l’augmentation des crédits de la mission « Justice », avec l’ensemble des réserves que je viens d’exprimer. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains votera les crédits de cette mission, et je m’exprime ici à titre personnel.

Derrière la rigueur des chiffres du projet de budget, il y a des politiques qui résultent de choix opérés par le Gouvernement dans ce domaine éminemment régalien qu’est la justice.

Vous avez engagé une réforme importante, madame la ministre, en saisissant de votre projet de loi d’abord le Sénat. Le texte est actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, et une commission mixte paritaire se tiendra sans doute bientôt.

Certes, la justice doit être modernisée, renforcée, ses moyens humains, immobiliers et numériques doivent être accrus, les procédures doivent évoluer, ainsi que l’organisation de la justice elle-même. Sur tous ces points, nous sommes d’accord avec vous, mais nous avons fait valoir, lors de l’examen de votre texte, un certain nombre de différences. Nous avons en particulier souhaité défendre des valeurs d’équilibre de la justice et des procédures, notamment en matière pénale : je pense à la présence d’un avocat dans les procédures d’instruction ou au maintien du juge à portée du justiciable, par exemple.

Or nous constatons aujourd’hui, au terme de l’examen de votre projet de loi par l’Assemblée nationale, que tout ce qui avait été proposé par le Sénat a été purement et simplement supprimé.

Incontestablement, nous ne partageons pas le même point de vue sur l’organisation de notre justice. Ce qu’a dit Jean-Pierre Sueur est juste, les propos tenus par Sophie Joissains sont frappés au coin du bon sens. Vous augmentez les crédits, madame la ministre ; c’est très bien, mais pour quoi faire ? C’est sur la réponse à cette question que nous divergeons.

En matière pénitentiaire, par exemple, nous avons besoin de nouvelles places de prison, non parce qu’il faut privilégier l’incarcération, mais simplement pour résoudre le problème de la surpopulation carcérale.

En même temps – puisque c’est l’expression consacrée de cette mandature –, il faut mener des politiques de développement des peines alternatives à la prison. Nous sommes d’accord avec cette approche, mais, si vous ne réglez pas d’abord le problème des places de prison et de l’accueil des personnes condamnées dans les maisons d’arrêt, on ne parviendra jamais à une solution équilibrée.

Avec Yves Détraigne, je suis corapporteur pour la commission des lois du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice. Je trouverais quelque peu exotique d’émettre aujourd’hui un avis favorable sur votre projet de budget, alors que je suis personnellement en désaccord avec la manière dont les apports du Sénat ont été balayés à l’Assemblée nationale. Certes, la navette n’est pas terminée, mais les derniers événements sont de mauvais augure, à tout le moins sur les sujets qui me semblent importants pour notre justice.

À titre personnel, je ne voterai donc pas les crédits de la mission « Justice », nonobstant leur augmentation, pour des raisons tenant au fond de la politique menée en matière de justice. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de budget présente une caractéristique qu’il convient de saluer : il est en augmentation globale. Le groupe du RDSE le votera donc.

Pour autant, cette augmentation est-elle suffisante pour adapter notre justice aux évolutions sociétales ? Vraisemblablement non.

Cette constatation est la résultante de décennies durant lesquelles, quel que soit le gouvernement en place, la justice ne fut pas une priorité, pour les gouvernants comme pour nombre de nos concitoyens, d’ailleurs.

Pour pallier ou justifier cette carence, on a multiplié, hélas, les textes législatifs, les réformes partielles, parfois partiales, souvent consécutives à des faits divers.

Oserai-je ajouter que l’administration et l’exécutif sont peuplés de publicistes, mais que la justice nécessite aussi une vision de civiliste et de pénaliste et qu’il est utile d’écouter et de lire les observations et propositions émanant de la Cour de cassation. Nous parlerons une autre fois de la justice administrative…

Je ferai une remarque préalable : nous manquons de magistrats et de greffiers, et il n’est pas sain de considérer que l’on peut pallier cette carence simplement par la déjudiciarisation.

Notre justice souffre de plusieurs maux. L’un des plus graves est la non-exécution ou l’exécution partielle des peines. Comment comprendre que des peines ne soient jamais exécutées, ou qu’elles le soient parfois des années après leur prononcé ? Voilà une vraie priorité pour une politique judiciaire.

L’état de nombre de nos prisons en est une autre, surtout quand la prison fabrique de la récidive et des terroristes. Elle ne peut répondre à sa mission première, et la mise en place de peines alternatives que vous promouvez est une bonne orientation, qu’il convient de développer encore.

Dans les quelques minutes qui me sont imparties, je désire insister sur deux points : la proximité et l’aide juridictionnelle.

En ce qui concerne la proximité, la loi a pour objet et pour sens d’organiser la vie en société sur l’ensemble du territoire national. Je ne suis pas opposé – je ne l’ai jamais été – à une organisation départementale des juridictions, mais j’attire votre attention sur l’impérieuse nécessité de maintenir des juridictions à compétence généraliste. Continuer à spécialiser des juridictions dans quelques métropoles est une fausse bonne idée qui éloigne le justiciable de la justice et contribue à vider les territoires de la matière grise professionnelle. Il faut que des professionnels soient présents sur tout le territoire, surtout compte tenu des évolutions que nous connaissons. Le justiciable a besoin que la justice soit proche de lui, et nous ne pouvons adhérer à cette idée selon laquelle un justiciable peut bien faire 500 kilomètres pour plaider une ou deux fois dans sa vie.

Tant que la haute administration continuera à vouloir imposer une restructuration centrée sur ces grandes métropoles parce que cela l’arrange, l’État accentuera la fracture territoriale et sociale, dont nous constatons les dégâts cruels aujourd’hui.

Il en est de même en ce qui concerne le système pénitentiaire. Je pourrais citer un certain nombre d’exemples aberrants de prisons à moitié vides parce que cela dérange l’administration d’y envoyer des détenus…

En ce qui concerne l’aide juridictionnelle, j’ai commis avec notre collègue Sophie Joissains un rapport sur ce sujet sous le gouvernement précédent, sans bénéficier d’aucune écoute de la part de l’exécutif, mais nous sommes y habitués, quel que soit le gouvernement…

M. Jacques Mézard. Soyons clairs : en particulier en matière pénale, ce sont nos concitoyens les plus fragiles qui, souvent, ne bénéficient pas de la défense dont ils auraient pourtant profondément besoin.

Je persiste à dire qu’il y a d’autres solutions que recourir au budget de l’État. En particulier, les bénéfices réalisés par les compagnies d’assurances sur la protection juridique doivent être davantage sollicités pour financer l’aide juridictionnelle. C’est un choix politique fort à assumer ; vous pouvez le faire, madame la garde des sceaux, si vous le voulez ! (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Bertrand. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Anne-Marie Bertrand. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, « nous sommes devenus les juges des mesures fictives » : c’est en ces termes que se sont exprimés, dans une tribune publiée le 5 novembre dernier, quinze juges des enfants du tribunal de grande instance de Bobigny.

Mme Anne-Marie Bertrand. Je m’avoue dès lors satisfaite de votre volonté de réformer la justice des mineurs, qui manque cruellement de moyens, madame la ministre. Toutefois, vous le savez, nombreux sont vos prédécesseurs à avoir annoncé une telle réforme sans pour autant parvenir à la mener à bien.

Je pense notamment à Christiane Taubira, qui voulait supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs créés sous Nicolas Sarkozy et donner la priorité aux mesures éducatives sur les mesures répressives. Est-ce vraiment le rôle de l’État ? Je ne le crois pas.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est l’ordonnance de 1945 !

Mme Anne-Marie Bertrand. Nous pouvons cependant responsabiliser les parents, mais cela demande également des moyens !

Vous le savez, conformément au principe de la légalité des délits et des peines, les parents d’enfants délinquants peuvent être poursuivis sur le fondement de leur défaillance propre, qui constitue alors le fait générateur d’une infraction autonome. L’article 227-17 du code pénal punit en effet de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende « le fait, par le père ou la mère légitime, naturel ou adoptif, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur ».

Le texte existe, il est même plutôt bien rédigé, mais, dans les faits, les juges sont démunis. Les stages dits « de responsabilité parentale », par exemple, faute d’associations en mesure de les mettre en œuvre, ne peuvent être mis en place sur l’ensemble de notre territoire, ce qui crée des inégalités inadmissibles entre justiciables d’un département à l’autre. La mise en œuvre des décisions de nature civile appartient certes aux départements. Cependant, nous le savons, ces derniers sont débordés par leurs missions, notamment par la prise en charge des mineurs étrangers isolés, dont le nombre a triplé depuis 2015.

Madame la ministre, sous prétexte de recherche d’une réponse toujours plus adaptée, au point de ne plus être dissuasive, de nombreuses mesures ont été prises, sans pour autant qu’on leur affecte les moyens nécessaires. Voilà pourquoi je vous encourage à en réduire le nombre, afin que notre arsenal ne soit composé que de mesures applicables et appliquées. L’enjeu est très important : des enfants mal accompagnés, ce seront plus tard davantage d’adultes vulnérables, incapables de s’émanciper, et davantage de coûts sociaux.

Enfin, les différentes restrictions budgétaires rendent les recrutements difficiles. Les greffiers, en nombre insuffisant, peinent à remplir leurs missions. De ce fait, les décisions pénales sont notifiées dans des délais de plus en plus longs. Nous nous devons de penser aux drames que cela représente pour les victimes.

Juger plus vite, pour une réelle prise de conscience par le condamné, c’est aussi redonner confiance en la justice à nos concitoyens.

Madame la ministre, je crains que la baisse des chiffres ne tienne à de mauvaises raisons : non pas à une diminution de la délinquance, mais à une renonciation à saisir la justice.

Peur de représailles, délais trop longs, procédures trop coûteuses, peines d’emprisonnement trop souvent commuées pourraient ouvrir la voie à la loi du talion… Si la justice sans la force est impuissante, sans moyens, elle l’est tout autant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, que voilà une séance budgétaire étonnante, devant une assistance de qualité, mais peu fournie en ce samedi matin ! Ceux qui pensaient que nous aurions une discussion budgétaire classique se trompaient.

J’ai écouté chacune de vos interventions, mes chers collègues. J’ai entendu des rapporteurs très sévères, annonçant cependant qu’ils voteraient les crédits de la mission… J’ai entendu un collègue de la majorité, dont je ne pensais pas partager les analyses, défendre le même point de vue que mon groupe… J’ai entendu un ancien ministre, récemment revenu parmi nous, qui devait assister au conseil des ministres le jour de la présentation du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, formuler de nombreuses critiques, tout en indiquant que, finalement, son groupe voterait ce projet de budget…

Beaucoup de choses se jouent donc sur ce budget, notamment en raison de la concomitance de son examen avec celui de votre projet de loi, madame la ministre. Au Sénat, sur toutes les travées, nous avons proposé des transformations assez importantes de ce texte qui nous inquiète, mais elles n’ont malheureusement pas eu l’heur de plaire, semble-t-il, à nos collègues députés. Cela nous donne à penser que la version finale du texte sera sans doute très conforme à votre projet de loi initial, madame la ministre, et très peu marquée par les travaux du Sénat.

C’est tout à fait dommage, car le Sénat travaille depuis de nombreuses années sur le sujet, de manière intense et, souvent, transpartisane. Sur le fond des politiques préconisées, je note des évolutions, y compris au sein du groupe Les Républicains.

La situation paradoxale dans laquelle se trouvent certains collègues tient sans doute au fait que votre budget augmente, madame la ministre. Il est dès lors plus difficile de le critiquer : s’il augmente, c’est donc mieux que si c’était pire ! Pour autant, les politiques menées grâce à ce budget recueillent-elles notre assentiment ? Sur ce point, je rejoins totalement l’analyse de notre collègue François-Noël Buffet.

Trois points ont plus particulièrement retenu mon attention.

Premièrement, s’agissant de l’accès au droit, nous savons que les moyens restent insuffisants, même si la dénonciation par Jean-Jacques Urvoas d’une clochardisation de la justice a porté. Pour autant, les délais sont intenables et, en définitive, nous ne sommes pas très loin, dans certains cas, du déni de justice. Pourtant, vous concentrez essentiellement vos efforts, en la matière, sur l’aide juridictionnelle, qui fera l’objet tout à l’heure d’amendements bienvenus du groupe La République En Marche.

Deuxièmement, en ce qui concerne l’aide aux victimes, j’ai noté que le Gouvernement souhaitait renforcer son action, y compris en matière de violences faites aux femmes. Les crédits marquent toutefois le pas et ils seront en outre en partie réaffectés au profit notamment du comité mémoriel que le Président de la République a voulu mettre en place pour travailler sur la mémoire des victimes d’attentats et du dispositif « téléphone grand danger ». Bref, les crédits dédiés à l’aide aux victimes seront insuffisants.

Troisièmement, concernant la justice des mineurs, Mme Bertrand vient de rappeler la mobilisation des juges des enfants du tribunal de Bobigny. Faute de moyens, les jugements sont rendus et notifiés si tardivement qu’ils sont privés d’effet, nous disent-ils. Il semblerait que vous ayez trouvé la solution idéale, madame la ministre : modifier par ordonnance l’ordonnance de 1945, en demandant l’habilitation dans des conditions invraisemblables, par un amendement au projet de loi de programmation et de réforme pour la justice déposé à l’Assemblée nationale, sans avoir préalablement informé le Sénat ni la commission des lois de l’Assemblée nationale…

Vous proposez aussi la création de vingt nouveaux centres éducatifs fermés, alors personne ne sait vraiment aujourd’hui si ces structures sont réellement utiles et efficaces pour lutter contre la délinquance des jeunes.

Vous l’aurez compris, madame la ministre, nous sommes critiques sur le fond des politiques menées et sur l’effet d’optique d’une augmentation budgétaire qui, en réalité, sur les trois points que j’ai évoqués, ne permettra pas d’améliorer la situation des justiciables.

Pour ces raisons, et celles qui ont été évoquées précédemment par Jean-Pierre Sueur, nous ne pourrons approuver ce projet de budget. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le président, madame le ministre, universitaire, j’ai enseigné le droit toute ma vie professionnelle. Vous pouvez deviner combien les valeurs de la justice ont imprégné mes réflexions.

Directeur de l’Institut d’études judiciaires de Lille, j’ai formé tous les ans des centaines d’étudiants, devenus par la suite avocats ou magistrats. Je leur disais très souvent : « N’oubliez pas que vous allez recevoir dans vos cabinets des personnes qui souffrent et qui attendent de la justice une écoute, une prise en charge, de la compassion pour leurs problèmes familiaux ou professionnels, une réponse pénale à l’atteinte qu’ils ont subie sur leurs biens ou sur leur personne ».

Quel est le rôle de notre justice, sinon d’organiser l’équité et l’équilibre des forces civiles dans notre société, de faire la balance entre réinsertion et répression, sanction et protection ?

J’émettrai de lourdes réserves sur le projet de budget pour 2019 de la mission « Justice ». Le programme « Justice judiciaire » me paraît en être le parent pauvre ; il est l’expression même d’une vision comptable et déshumanisante de notre justice, ses crédits n’augmentant que de moins de 1 %.

Si des mesures positives doivent être saluées, comme les créations de postes ou l’effort en faveur de la rénovation de l’immobilier judiciaire, elles ne remédient pas au principal écueil de notre justice, à savoir le gouffre qui s’est ouvert entre les justiciables et les institutions judiciaires, une situation dont souffre tant le personnel de justice que nos concitoyens.

Les délais de traitement des affaires continuent à croître inexorablement, tant au civil qu’au pénal. Les tribunaux de grande instance, déjà en sous-effectif, vont devoir absorber dès janvier le contentieux social, qui était jusqu’à présent traité par les tribunaux des affaires de sécurité sociale et les tribunaux du contentieux de l’incapacité, alors même que 200 000 dossiers sont en attente, auxquels s’ajouteront 150 000 nouvelles affaires chaque année.

En guise de remède à ces surcharges, le Gouvernement nous parle de dématérialisation, d’informatique. Il en faut, certes, mais veillons à ne pas rendre notre justice inhumaine, madame le garde des sceaux !

Comme beaucoup d’entre nous, je suis entrée en politique animée par la volonté de protéger les personnes les plus vulnérables. Je ne peux que noter que nos concitoyens les plus fragiles n’ont pas obtenu la protection qu’ils étaient en droit d’attendre dans la programmation pour 2019.

Je nourris de grandes craintes quant à l’évolution de la protection des personnes sous tutelle, des femmes victimes de violences et, surtout, des enfants en danger. Dans mon département, par exemple, quelque 200 mineurs en danger ne peuvent être admis dans les structures d’accueil, faute de place.

Des assistantes sociales, des médiateurs, des psychologues prennent en charge l’assistance éducative, que la loi confie pourtant au juge des enfants, aujourd’hui surchargé de travail. Pour moi le juge reste le juge, celui qui exerce l’autorité, qui a la responsabilité d’incarner la justice. La déjudiciarisation ne me semble pas répondre aux attentes des justiciables et au besoin d’une justice forte. Blaise Pascal disait : « La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. » On ne peut, encore aujourd’hui, on ne qu’être d’accord avec lui.

Les crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » augmentent, il est vrai, ce qui autorise la création de quarante-huit postes et la construction de vingt nouveaux centres éducatifs fermés. Je souhaiterais cependant que l’on prenne en compte le plus en amont possible la situation dégradée des familles des jeunes concernés, afin de leur éviter de tomber dans une délinquance lourde.

Ayant déjà eu l’occasion de vous parler à plusieurs reprises des problèmes constatés dans les prisons et de l’insuffisance des recrutements de surveillants, je ne reviendrai pas ici sur ce sujet.

Toutes ces remarques me conduisent donc à émettre d’importantes réserves sur ce projet de budget de la justice. Bâtir de grands buildings visibles à des kilomètres à la ronde ne rétablira pas le lien indéfectible entre la justice et les citoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions. Je remercie en particulier les rapporteurs d’avoir soutenu globalement ce projet de budget, avec certes des nuances d’appréciation, notamment en ce qui concerne les questions pénitentiaires ; elles ont d’ailleurs déjà été exprimées il y a quelques semaines, lors de l’examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

En définitive, je retiens de toutes vos interventions une communauté de vues sur la nécessité de soutenir notre justice pour qu’elle puisse améliorer réellement son fonctionnement, au bénéfice des justiciables.

À mon sens, le Gouvernement se dote des moyens nécessaires pour atteindre cet objectif. Je sais que votre assemblée – M. Détraigne l’a indiqué dans son rapport – préconisait une hausse plus importante encore, mais il est de fait que le budget pour 2019 est en très forte augmentation. Il s’inscrit dans le cadre de la loi de programmation, elle-même très ambitieuse : elle prévoit une augmentation des crédits du ministère de plus de 24 % entre 2017 et 2022 et la création de 6 500 emplois durant le quinquennat.

Cette orientation s’est traduite dès 2018 par une augmentation des crédits de 3,9 % et la création de 1 100 emplois. Cette dynamique est encore renforcée dans le projet de loi de finances pour 2019, avec une hausse des crédits de 4,5 % et la création de 1 300 emplois. Je remercie d’ailleurs le rapporteur spécial Antoine Lefèvre d’avoir souligné que cette augmentation était significative et équilibrée.

Le budget du ministère pour 2019 s’élève ainsi à un peu plus de 7,2 milliards d’euros, hors pensions, en crédits de paiement. Si l’on prend en compte l’ensemble des crédits, il dépasse 9 milliards d’euros, un chiffre qui n’avait encore jamais été atteint. Cette hausse est beaucoup plus élevée que la moyenne des augmentations constatées entre 2012 et 2017 pour le budget du ministère de la justice, soit 2,6 %. Je ne peux qu’insister sur le fait que cette forte progression, de 4,5 %, doit également s’apprécier au regard de l’évolution de l’ensemble des crédits des autres ministères, lesquels n’augmentent que de 0,8 %. Ces chiffres témoignent de l’importance des efforts consentis au bénéfice du ministère de la justice.

Monsieur le sénateur Lagourgue, il ne s’agit donc pas d’un rattrapage insuffisant. Vous avez évoqué des comparaisons avec d’autres pays européens, ainsi d’ailleurs que Mme Joissains. Il faut, cependant, comparer ce qui est comparable. À ceux d’entre vous qui ont souligné le moindre nombre de procureurs en France par rapport à des pays voisins, je ferai observer que, dans notre système judiciaire, d’autres acteurs viennent à l’appui du ministère public, qui ne sont pas comptabilisés dans les études européennes.

Monsieur Sueur, même mon prédécesseur, Jean-Jacques Urvoas, n’aurait pas envisagé une hausse des crédits comme celle que je vous soumets, lui qui a écrit qu’une augmentation des crédits de 1 milliard d’euros sur cinq ans serait presque un rêve. Eh bien je vous propose 1,6 milliard d’euros ! Je vous sais gré de reconnaître que c’est bien plus, même si vous ne le dites pas. (M. Philippe Dallier rit.)

Le projet de budget que je vous présente traduit plusieurs priorités qui visent à assurer une transformation en profondeur de la justice.

La première priorité est l’amélioration de la justice au quotidien. Dans cette perspective, nous entendons accompagner la transformation de nos juridictions. Cette réorganisation s’appuie sur une programmation immobilière ambitieuse : le budget pour 2019 prévoit, pour la lancer, une enveloppe d’autorisations d’engagement de 450 millions d’euros. Cette somme nous permettra de construire de nouveaux tribunaux de grande instance, par exemple à Aix-en-Provence, madame la sénatrice Joissains.

Dès 2019, les crédits de paiement consacrés à l’investissement immobilier progresseront de 9 %, de sorte que nous pourrons également prendre en compte la situation dans les outre-mer, monsieur le sénateur Mohamed Soilihi ; nous en avons déjà parlé.

Cela nous permettra surtout d’améliorer la justice de proximité, madame Joissains, madame Assassi. Il s’agit à mes yeux d’un enjeu essentiel et je ne peux comprendre que vous évoquiez la fermeture de tribunaux de proximité. Je l’ai déjà dit et je le réaffirme : aucun tribunal d’instance ne fermera nulle part dans notre pays, car ma seule ambition est de maintenir cette justice de proximité au plus près de nos concitoyens. Non seulement nous la maintiendrons, mais, contrairement à ce qui a toujours été fait, nous l’améliorerons. Dans tous les actuels tribunaux d’instance, il y aura des juges des contentieux de la proximité. Il sera garanti par décret que seront jugés dans ces lieux les contentieux du surendettement, du crédit à la consommation, des tutelles, bref les contentieux du quotidien. Nous prévoyons même que, lorsque des besoins apparaîtront, de nouveaux contentieux puissent y être jugés. Tout cela sera garanti, je ne peux donc pas comprendre que l’on dise que les tribunaux de proximité fermeront : c’est inexact !

Nous aurons donc un budget qui permettra d’accompagner la réorganisation des juridictions et d’assurer le bon fonctionnement de la justice, en remettant à niveau les crédits de fonctionnement des juridictions et les frais de justice. Je ne détaille pas ces points.

Il permettra également de poursuivre le mouvement de transformation numérique du ministère, avec 530 millions d’euros d’investissements et des créations d’emplois. C’est pour moi la première des priorités, au sens où elle conditionnera toutes les autres. La justice n’en deviendra pas pour autant inhumaine. Devrions-nous être les seuls à ne pas mener cette transformation numérique, quand tous les autres ministères et les professions du droit se sont engagés dans cette voie ? Ce n’est pas envisageable. Nous le ferons donc, en préservant néanmoins un accueil physique des justiciables dans tous les tribunaux, au travers du programme de multiplication des services d’accueil unique du justiciable. De même, nous renforcerons les points d’accès au droit, qui permettront d’accueillir les citoyens en dehors même des tribunaux.

Le budget pour 2019 autorisera aussi la création de 100 postes de magistrat supplémentaires et la mise en place de véritables équipes autour des magistrats. Nous avons déjà résorbé plus de la moitié des vacances de postes en un an et demi, et nous allons donc continuer dans cette voie. Seront également créés 92 postes de juriste assistant et de greffier.

L’ensemble de ces mesures, y compris celles dont je ne parle pas ici, notamment la création du tribunal criminel départemental, devraient conduire à satisfaire une de vos demandes : la réduction des délais de traitement, qui constituent, ainsi que M. Détraigne et Mme de la Gontrie l’ont relevé, l’un des points faibles de notre système judiciaire.

En somme, nous entendons améliorer la justice du quotidien, et je voudrais rassurer M. Mézard : nous n’allons pas du tout vers une métropolisation des contentieux. Au contraire, nous maintenons la justice de proximité et tous les tribunaux de grande instance, sans exception, dans un équilibre des compétences. Tous les contentieux de masse continueront à y être jugés ; si des spécialisations sont instaurées, elles seront réparties entre l’ensemble des tribunaux, dans tous les territoires, et concerneront des contentieux de faible volume et de haute technicité. Il ne faut donc pas déformer l’ambition de notre projet, qui est d’assurer une justice de proximité et de qualité.

Une deuxième priorité est de renforcer le sens et l’efficacité des peines. Vous le savez, nous voulons que les peines prononcées soient à la fois adaptées et effectivement exécutées. Nous entendons également que les détenus soient suivis tout au long de leur parcours de peine. Cela suppose un programme immobilier ambitieux. Je sais que nous avons un désaccord à ce sujet, monsieur le sénateur Buffet, mais je réaffirme que le plan immobilier pénitentiaire que j’ai présenté, qui est réaliste, nous permettra de livrer 7 000 places de prison et d’engager la construction de 8 000 autres d’ici à 2022. Faisant cela, je ne présente pas un budget trompeur, pour reprendre l’expression que vous avez employée, mais un budget volontariste, soutenant une politique réaliste. Les implantations des nouveaux établissements sont désormais connues. En incluant la rénovation des gros établissements, cela représente un effort budgétaire de 1,7 milliard d’euros.

Monsieur Sueur, les crédits de maintenance s’élèveront à 100 millions d’euros dès cette année et nous les porterons dès l’année prochaine à 120 millions d’euros. Le programme immobilier pénitentiaire prévoit de nouveaux types d’établissements, l’idée étant de les adapter à différentes typologies de prévenus, ce qui permettra des prises en charge différenciées.

Nous avons en effet doublé les lits dans la moitié des cellules individuelles de la prison de la Santé, et non dans toutes, afin de pouvoir désengorger l’établissement de Fresnes, notamment, qui connaît un taux de surpopulation carcérale de près de 200 %.

Nous poursuivrons nos efforts pour renforcer la sécurité dans les établissements pénitentiaires et lutter contre la radicalisation : 50 millions d’euros seront consacrés au déploiement de nouveaux dispositifs de sécurité ou au renforcement de l’existant, 159 emplois seront créés pour accroître la sécurité, mieux sécuriser les extractions judiciaires et développer le renseignement pénitentiaire. Conformément aux engagements pris dans le relevé de conclusions du mois de janvier dernier, enfin, la création de 1 100 emplois supplémentaires de surveillant pénitentiaire permettra de réduire les vacances de postes.

Nous avons également prévu de mettre en place une prime de fidélisation des personnels pénitentiaires. Elle concernera les vingt-trois établissements qui connaissent le plus de difficultés, ceux où le turn-over est le plus élevé. Ce sont ainsi quelque 3 000 agents de l’administration pénitentiaire qui pourront bénéficier d’une indemnité de fidélisation à hauteur de 8 000 euros environ pour six ans de présence, versée en trois fois. Les discussions sont en cours avec les organisations syndicales, mais il s’agira d’un atout important pour fidéliser les personnels.

Enfin, un effort sera consenti pour suivre le parcours de peine des détenus, avec la création de 400 emplois dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation dès 2019 et de 1 500 emplois en tout d’ici à 2022. L’accent sera également mis sur la réinsertion des détenus, avec la création, le 10 décembre, d’une agence nationale pour le travail d’intérêt général et le travail en détention. À cette fin, une augmentation de 14 % des crédits est prévue dans le budget pour 2019.

La troisième priorité est de diversifier les modes de prise en charge des mineurs délinquants. Cette diversification est tout à fait essentielle, chaque territoire devant disposer d’une offre de placement équilibrée, de nature à répondre à la pluralité des demandes des magistrats. En 2019, cette orientation se traduira notamment par le lancement du programme de construction de vingt centres éducatifs fermés, dont le nombre total sera ainsi porté à soixante et onze. Cela ira de pair avec l’augmentation du recrutement de familles d’accueil et le développement d’une plus grande pluridisciplinarité de l’intervention en milieu ouvert.

J’entends les appels conjoints de M. Lefèvre, de Mme Carrère et, d’une certaine manière, de Mme Bertrand à mieux évaluer la portée et l’efficacité de ces dispositifs. C’est en effet une nécessité, et je m’y emploierai.

Hors masse salariale, les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, augmentent de 5,2 %, soit de 17 millions d’euros, pour atteindre 347 millions d’euros. Un effort tout particulier sera consenti pour l’entretien et la rénovation du patrimoine immobilier et 51 emplois – et non 48 – seront créés en 2019 au sein de la PJJ.

J’indique à l’intention de Mme la sénatrice Lherbier que nous avons également prévu d’aider les départements dans l’évaluation des mineurs non accompagnés. Cela ne relève que pour partie de mon ministère, mais la phase d’évaluation sera prise en charge par l’État. Les dispositifs financiers et les modalités d’évaluation de ces jeunes seront considérablement améliorés.

Concernant la réforme de l’ordonnance de 1945, j’ai conscience que la méthode peut apparaître paradoxale. Si j’ai souhaité demander une habilitation à légiférer par ordonnance à l’Assemblée nationale, c’est parce que j’avais reçu des appels de toutes parts, des parlementaires comme des professionnels, à procéder à la révision de l’ordonnance de 1945. C’est un texte qui a été modifié à de nombreuses reprises et qui, aujourd’hui, n’a plus de cohérence.

Mme Éliane Assassi. Pourquoi donc n’en avons-nous pas débattu au Sénat ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il était indispensable de le réviser pour en restaurer la cohérence et remédier aux difficultés que vous avez relevées en matière de modalités de jugement et de prise en charge des jeunes ou de contrôle judiciaire. C’est un sujet très important, et si j’ai choisi de passer par une loi d’habilitation, c’est pour me contraindre à faire une proposition dans des délais réduits.

M. Jean-Pierre Sueur. Pourquoi n’avez-vous pas annoncé cela devant le Sénat ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ensuite, je m’y suis engagée, il n’y aura pas de ratification « sèche » : le débat au Parlement aura pleinement lieu.

Je me suis également engagée à travailler avec les parlementaires sur le texte qui sera élaboré en vertu de la loi d’habilitation. De nombreux députés et sénateurs ont déjà rédigé des rapports, que j’entends absolument prendre en compte. Avec les professionnels, ils participeront, s’ils le souhaitent, à la réflexion qui débouchera sur le texte que je serai amenée à vous présenter.

M. Jean-Pierre Sueur. La procédure accélérée a privé le Sénat de ce débat. Pourquoi avez-vous déposé cet amendement à l’Assemblée nationale ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. J’ai précisé que je respecterais les principes qui fondent la justice des mineurs, tels qu’affirmés au travers des décisions du Conseil constitutionnel.

La dernière de mes priorités est de porter une attention particulière à nos concitoyens les plus vulnérables, grâce à une politique renforcée d’accès au droit et d’aide aux victimes. Les moyens consacrés à l’accès au droit et à la justice progressent de 6,5 % dans le budget pour 2019 pour atteindre 467 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 83 millions d’euros de ressources affectées, destinées au financement de l’aide juridictionnelle. Ce sont plus d’un demi-milliard d’euros qui sont consacrés à l’accès au droit pour chaque citoyen.

J’ai dit à plusieurs reprises que je souhaitais engager dès 2019 avec les avocats et l’ensemble des parlementaires une réflexion globale sur l’aide juridictionnelle, afin que des mesures concrètes puissent être affichées dans le budget pour 2020. Cependant, mener à bien ce chantier très vaste exige du temps et un travail conjoint.

Pour terminer, je vous signale, madame de la Gontrie, que les crédits en faveur de l’aide aux victimes sont en augmentation de 2,1 %. Cette hausse des moyens et l’action conduite par la délégation interministérielle à l’aide aux victimes, placée à mes côtés, me semblent garantir que les victimes puissent bénéficier, sur la durée, d’un suivi dans les domaines psychologique, social et économique.

M. le président. Il faut conclure, madame la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Comme vous l’avez constaté, les crédits de la mission « Justice » traduisent non seulement la volonté de donner à la justice les moyens dont elle a besoin, mais aussi l’ambition de la transformer en profondeur pour qu’elle soit à la hauteur des attentes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Rappel au règlement

Justice
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
État B

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, mon intervention se fonde non seulement sur le règlement, mais aussi sur la Constitution.

Il se trouve qu’il y a deux assemblées dans le Parlement. Madame la garde des sceaux, vous avez déposé, en cours de discussion d’un texte examiné selon la procédure accélérée, un amendement visant à demander à l’Assemblée nationale une habilitation à légiférer par ordonnance sur la justice des mineurs. La commission des lois de l’Assemblée nationale n’a pu débattre de cet amendement, non plus que le Sénat, qui est totalement bafoué dans cette affaire. Nous n’aurons aucune occasion de parler de ce sujet très important.

Vous nous dites que réformer l’ordonnance de 1945 est une impérieuse nécessité et qu’il fallait absolument recourir à une ordonnance. Dans ce cas, madame la garde des sceaux, pourquoi n’avez-vous pas présenté cet amendement devant le Sénat ? Votre façon de procéder est d’autant moins correcte que vous avez accepté que votre projet de loi soit examiné en procédure accélérée, ce qui à mon avis n’est pas normal s’agissant d’un texte sur la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Sueur. Mme la ministre ne répond pas ?...

Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Article additionnel après l'article 77 quater - Amendement n° II-403

M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Justice », figurant à l’état B.

ÉTAT B

(En euros)

Mission

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

Justice

9 037 860 353

9 055 671 303

Justice judiciaire

3 885 829 446

3 487 759 446

Dont titre 2

2 355 451 042

2 355 451 042

Administration pénitentiaire

3 325 416 094

3 750 413 072

Dont titre 2

2 534 491 408

2 534 491 408

Protection judiciaire de la jeunesse

903 781 765

875 470 114

Dont titre 2

528 541 821

528 541 821

Accès au droit et à la justice

466 810 755

466 810 755

Conduite et pilotage de la politique de la justice

451 150 524

470 407 147

Dont titre 2

177 193 892

177 193 892

Conseil supérieur de la magistrature

4 871 769

4 810 769

Dont titre 2

2 727 086

2 727 086

M. le président. L’amendement n° II-436, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Justice judiciaire

dont titre 2

1 235 912

1 235 912

1 235 912

1 235 912

Administration pénitentiaire

dont titre 2

Protection judiciaire de la jeunesse

dont titre 2

Accès au droit et à la justice

Conduite et pilotage de la politique de la justice

dont titre 2

Conseil supérieur de la magistrature

dont titre 2

TOTAL

1 235 912

1 235 912

SOLDE

1 235 912

1 235 912

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement est lié à la loi de modernisation pour la justice du XXIe siècle, qui a prévu le transfert au 1er janvier 2019 des tribunaux des affaires de sécurité sociale et des tribunaux du contentieux de l’incapacité au ministère de la justice.

Cette réforme est mise en œuvre grâce à un transfert des personnels relevant des organismes de sécurité sociale et du ministère des solidarités et de la santé qui assurent les fonctions de secrétariat et de greffe, ainsi que des moyens de fonctionnement associés.

Au 1er janvier 2019, 541 postes devront être pourvus dans les nouveaux pôles sociaux des tribunaux de grande instance. Compte tenu de la possibilité laissée aux agents relevant du ministère de la santé ou des caisses primaires d’assurance maladie de ne pas rejoindre le ministère de la justice, il est apparu que le nombre de 541 agents mis à disposition du ministère ne serait pas atteint.

En conséquence, le projet de loi de finances transfère des emplois à hauteur de 84 équivalents temps plein pour permettre au ministère de la justice de recruter les personnels nécessaires au fonctionnement de ces pôles sociaux. Sur ces 84 emplois, 54 sont transférés depuis le ministère des solidarités et de la santé par un transfert de crédits et d’emplois du programme « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative » vers le programme « Justice judiciaire » et 32 emplois sont transférés depuis la sécurité sociale par une mesure de périmètre.

Toutefois, au regard des nouvelles évolutions des effectifs qui seront effectivement présents au 1er janvier 2019 au sein des pôles sociaux, le nombre de 84 équivalents temps plein doit être revu à la hausse. Le présent amendement, qui a fait l’objet d’un accord du ministère des solidarités et de la santé, tend donc à opérer un transfert complémentaire de 22 emplois, se répartissant entre 5 emplois transférés depuis le ministère et 17 depuis les caisses de sécurité sociale, par mesure de périmètre.

Cet amendement tend également à opérer un abondement de la masse salariale du programme 166, à hauteur de 1 235 912 euros. Ce transfert complémentaire est indispensable à la bonne mise en œuvre des réformes des juridictions sociales au 1er janvier prochain.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. L’adoption de cet amendement permettra de financer le transfert du contentieux social au ministère de la justice : avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-436.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° II-123 rectifié quater, présenté par M. Mézard, Mme Joissains, MM. Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Collin et Corbisez, Mme N. Delattre, M. Gold, Mmes Jouve et Laborde et MM. Menonville, Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Justice judiciaire

dont titre 2

Administration pénitentiaire

dont titre 2

Protection judiciaire de la jeunesse

dont titre 2

Accès au droit et à la justice

16 400 000

16 400 000

Conduite et pilotage de la politique de la justice

16 400 000

16 400 000

dont titre 2

500 000

500 000

Conseil supérieur de la magistrature

dont titre 2

TOTAL

16 400 000

16 400 000

16 400 000

16 400 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Pour garantir un meilleur accès à la justice, nous proposons d’abonder les moyens de l’aide juridictionnelle via une augmentation de 16,4 millions d’euros des crédits du programme « Accès au droit et à la justice ».

Ne serait-ce que du fait de l’entrée en application de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, de nouveaux besoins vont s’ajouter aux actuels, déjà non entièrement satisfaits. Un redéploiement de crédits au profit de ce programme est donc pleinement justifié.

Madame la garde des sceaux, pour avoir longuement travaillé, avec Mme Joissains, sur cette question de l’aide juridictionnelle, je ne pense pas que l’on puisse dire qu’aucune réflexion n’a été menée sur le sujet. Au-delà de notre rapport, voilà des années que le Parlement travaille sur l’aide juridictionnelle.

On ne peut pas constamment remettre à l’année suivante une réforme devenue urgente : faciliter l’accès à la justice de nos concitoyens le plus en difficulté est une priorité. On a parlé de surendettement, de justice de proximité : c’est là qu’il y a des besoins !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. Je demande à entendre l’avis du Gouvernement sur cet amendement. Madame la garde des sceaux, le budget de l’aide juridictionnelle est-il suffisant compte tenu des réformes à venir…

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. … et quels sont les sous-jacents de la hausse des crédits de l’aide juridictionnelle prévue par le projet de loi de finances ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis. Nos collègues ont raison de dénoncer l’insuffisance des crédits destinés au financement de l’aide juridictionnelle. Cette aide concerne près de 1 million de personnes, et le filtre permettant d’apprécier la recevabilité de la requête prévu par la loi de juillet 1991 n’est jamais mis en œuvre.

La commission des lois ne cesse, depuis des années, de tirer la sonnette d’alarme et de formuler des propositions concrètes pour réformer un système aujourd’hui, tout le monde en convient, à bout de souffle. Elle l’a fait en 2014, avec le rapport de nos collègues Sophie Joissains et Jacques Mézard intitulé « Aide juridictionnelle, le temps de la décision ». Elle l’a fait de nouveau en 2017, au travers du rapport de la mission d’information sur le redressement de la justice. Sur sa proposition, le Sénat a introduit dans le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice des mesures concrètes et utiles pour réformer en profondeur l’aide juridictionnelle. J’y ai fait référence dans la discussion générale.

L’inertie du Gouvernement est particulièrement regrettable, dès lors que le diagnostic et les pistes de réforme sont connus. C’est pourquoi, tout en partageant les préoccupations de mes collègues, je m’interroge sur l’utilité d’abonder sans fin les crédits de l’aide juridictionnelle, au détriment d’autres actions de l’autorité judiciaire, si ces majorations ne s’accompagnent d’aucune réforme structurelle. L’aide juridictionnelle ne doit pas devenir le tonneau des Danaïdes de la justice…

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur Mézard, vous proposez d’accroître les ressources extrabudgétaires qui financent l’aide juridictionnelle, mais les crédits prévus à cette fin par le budget pour 2019 sont suffisants. Je ne l’ai peut-être pas précisé, mais ces crédits sont en hausse de 28 millions d’euros.

Les crédits prévus permettront de tenir les engagements pris à la fin de la législature précédente, avec une augmentation de l’unité de valeur de référence, qui sert à établir la rémunération des avocats, de plus de 40 %, passant de 22,5 euros à 32 euros, et le relèvement du plafond de l’aide juridictionnelle, porté à 1 000 euros.

Ces crédits permettront également de financer les conséquences de l’extension de la représentation obligatoire, prévue dans la loi de programmation et de réforme pour la justice.

À ce stade, nous n’avons donc pas besoin de ressources financières supplémentaires. Prévoir des ressources supplémentaires doit être lié à une réforme en profondeur du dispositif qui le rendrait plus efficace. Comme je vous l’avais déjà annoncé lors des débats sur le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, c’est un chantier auquel je compte m’atteler en 2019, pour un effet budgétaire en 2020.

J’ai confié une mission aux inspections générales de la justice et des finances pour travailler sur des pistes concrètes d’amélioration du dispositif d’aide juridictionnelle. Ce rapport m’a été remis, et nous allons maintenant pouvoir travailler sur les pistes proposées, en concertation avec les représentants de la profession d’avocat.

Il n’y a donc pas d’inertie du Gouvernement, mais au contraire la volonté de prendre ce dossier à bras-le-corps, dans des délais raisonnables. Je compte m’appuyer également sur les travaux parlementaires menés sur le sujet.

Il faut que nous définissions la réforme du dispositif de l’aide juridictionnelle avant d’en prévoir le financement.

J’émets un avis défavorable sur l’amendement.

M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission des finances ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la garde des sceaux, je ne comprends pas très bien : tout en nous assurant que les crédits sont suffisants, ce que nous contestons, vous annoncez votre intention d’engager une réforme. Sur quoi fondez-vous votre diagnostic ?

Aujourd’hui, il se passe un certain nombre de choses dans notre pays. Un grand nombre de personnes rencontrent de grandes difficultés pour accéder à leurs droits élémentaires. L’aide juridictionnelle est le moyen de permettre aux pauvres d’avoir accès à la justice, de voir reconnus leurs droits, et à quelques avocats d’être indemnisés – de manière extrêmement réduite, je vous prie de le croire – pour leur travail.

Cet amendement ouvre une possibilité d’améliorer la situation : nous le voterons.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Je crois, madame la garde des sceaux, que vous avez compris le message.

Vous avez confié un travail aux inspections générales de la justice et des finances, mais le diagnostic est connu depuis de nombreuses années, de même que les pistes. On peut continuer à demander des rapports, mais, en réalité, il s’agit maintenant de trancher.

Nombre de personnes appartenant à ce que l’on appelle aujourd’hui les classes moyennes basses n’ont pas accès à l’aide juridictionnelle, parce que le plafond de ressources est trop bas. Elles se trouvent confrontées à une situation extrêmement difficile, en particulier lorsqu’il s’agit d’être défendu en matière pénale.

Je ne souhaite pas que l’État abonde systématiquement les crédits. Il y a d’autres pistes, que nous connaissons déjà depuis des années. En particulier, je proposerai dans quelques instants la mise à contribution des bénéfices tirés des contrats de protection juridique.

Maintenant, madame la garde des sceaux, il y a un choix à faire. Vous nous dites qu’il sera déterminé par le travail qui sera fait en 2019, pour un effet budgétaire en 2020. Espérons-le, parce qu’il y a urgence !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-123 rectifié quater.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, nadopte pas lamendement.)

M. le président. L’amendement n° II-334, présenté par Mme de la Gontrie, MM. Sueur, Féraud, Durain, J. Bigot, Leconte, Kerrouche et M. Bourquin, Mme Meunier, MM. Kanner et Fichet, Mme Harribey, MM. Marie, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

+

-

+

-

Justice judiciaire

dont titre 2

Administration pénitentiaire

dont titre 2

50 000

50 000

Protection judiciaire de la jeunesse

dont titre 2

Accès au droit et à la justice

Conduite et pilotage de la politique de la justice

dont titre 2

50 000

50 000

Conseil supérieur de la magistrature

dont titre 2

TOTAL

50 000

50 000

50 000

50 000

SOLDE

0

0

La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Nous avons évoqué, les uns et les autres, la situation dans les prisons. Nous savons que la façon dont se déroule la vie pénitentiaire est importante pour le calme en détention, évidemment, mais aussi pour la sortie et la réinsertion. Dans cette perspective, les intervenants en milieu carcéral jouent un rôle capital.

Or vous avez décidé voilà quelques jours, madame la garde des sceaux, de mettre un terme à l’intervention en milieu carcéral d’une association historique, le GENEPI, créée en 1976 sur l’initiative, notamment, de Lionel Stoléru.

Plusieurs d’entre vous, mes chers collègues, ont été membres du GENEPI lorsqu’ils étaient étudiants. Au fil du temps, des milliers d’étudiants sont intervenus en milieu pénitentiaire, manifestant ainsi un engagement admirable à un âge où l’on peut peut-être envisager d’occuper autrement son temps. Pour ces jeunes gens, cette expérience a souvent marqué le début d’un engagement civique.

Vous avez donc décidé, madame la garde des sceaux, de mettre un terme au partenariat avec le GENEPI, lui fermant de fait les portes de la prison. J’ai cru comprendre que l’émotion que cette décision a suscitée vous a conduite à renouer le dialogue avec cette association, dont vous avez dit, un matin sur France Inter, que les actions n’étaient pas conformes à vos politiques et que cela posait problème – je pense que, ce jour-là, votre parole s’est égarée…

Peut-être cette association signera-t-elle, demain, une nouvelle convention avec l’administration pénitentiaire. Toujours est-il que vous la privez des moyens, au demeurant bien faibles – 50 000 euros annuels –, qui lui étaient alloués. En 2018, le GENEPI n’aura reçu aucun soutien public. Cet amendement vise à rétablir cette subvention de 50 000 euros.

Madame la garde des sceaux, je vous ai saisie de cette question par courrier le 31 octobre dernier, mais je comprends bien que les interventions des sénateurs n’ont pas beaucoup d’intérêt. En tout cas, je suis très heureuse que le débat budgétaire m’offre cette occasion de vous interpeller.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. La commission s’en remet à la sagesse du Sénat. Peut-être le Gouvernement pourra-t-il nous éclairer sur les subventions versées cette année et sur ce qui est envisagé pour l’année prochaine ?

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la sénatrice de la Gontrie, je tiens à vous assurer que les interventions des sénatrices et des sénateurs ont pour moi beaucoup d’intérêt ; je veille à ce que des réponses leur soient apportées, et je vous présente mes excuses si tel n’a pas été le cas pour le courrier que vous m’avez adressé.

La réinsertion des personnes placées sous main de justice est l’une des priorités que je défends de manière extrêmement forte, comme je l’ai expliqué à plusieurs reprises. D’ailleurs, le projet de loi de finances prévoit un effort important en la matière : 86 millions d’euros sont prévus à ce titre pour l’année prochaine, soit une augmentation de 6 % par rapport à 2018.

Ce budget est destiné notamment au financement des partenariats associatifs en milieu carcéral. Il s’agit à la fois de garantir les partenariats qui existent et de permettre leur diversification. Évidemment, les subventions versées par l’administration pénitentiaire vont à des associations qui participent au service public pénitentiaire, conformément à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ; nous devons collectivement justifier de leur bonne utilisation.

Le ministère est lié de très longue date au GENEPI. Ce groupement, créé par Lionel Stoléru en 1976, a pour finalité de développer les contacts entre les étudiants de l’enseignement supérieur, souvent issus de grandes écoles, et le monde pénitentiaire. L’activité principale de l’association était jusqu’ici de donner, bénévolement, des cours aux détenus incarcérés.

L’administration pénitentiaire était liée à cette association par une convention pluriannuelle d’objectifs. La dernière convention, qui portait sur la période 2015-2018, prévoyait le versement d’une subvention de 50 000 euros, en échange d’un engagement de l’association de stabiliser le nombre d’heures d’activité assurées au bénéfice des personnes détenues.

Plusieurs éléments m’ont conduite à envisager le non-renouvellement de cette convention et de cette subvention.

D’abord, le nombre d’heures d’intervention du GENEPI en détention a connu une baisse tout à fait importante, à hauteur de 80 % de ce que la convention prévoyait a minima. Cela caractérise, nous semble-t-il, un fort désengagement de l’association.

Ce désengagement correspond en réalité à une évolution des missions que le GENEPI se donne au niveau national. En effet, l’association a retiré de ses statuts la mention de l’enseignement aux personnes incarcérées. Or c’est cette participation au service public pénitentiaire qui justifiait le versement de la subvention de 50 000 euros.

Par ailleurs, le GENEPI a adopté un positionnement très critique à l’égard de l’administration pénitentiaire, comme en témoigne le mot d’ordre d’un certain nombre de ses actions : « L’État enferme, la prison assassine ».

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. C’est un délit d’opinion ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il est allé jusqu’à soutenir des mouvements de mutinerie ou à s’opposer, dans certains établissements pénitentiaires, comme celui de Villepinte, à la mise en place des modules de confiance, considérant que ces modules, dont le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice prévoit le développement, contribuaient à une « aliénation » des personnes détenues.

Dans ces conditions, il nous est apparu qu’un financement public par l’administration pénitentiaire de l’activité du GENEPI était difficilement envisageable.

Néanmoins, au regard de l’ancienneté de notre partenariat avec cette association, j’ai souhaité qu’un nouveau conventionnement, sans financement, puisse lui être proposé, afin de permettre aux étudiants qui le souhaiteraient de poursuivre leur activité d’éducation populaire en détention et d’avoir accès aux établissements pénitentiaires. Des dialogues sont en cours en ce sens entre mes services et le GENEPI.

Je tiens à réaffirmer mon attachement au travail d’éducation populaire en prison, qui me semble tout à fait essentiel. Nous le menons avec de très nombreuses associations. Je suis évidemment prête à le conduire avec le GENEPI, mais pas dans les conditions actuelles.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-334.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Justice », figurant à l’état B.

Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix ces crédits, modifiés.

(Les crédits sont adoptés.)

M. le président. J’appelle en discussion les amendements tendant à insérer des articles additionnels après l’article 77 quater, qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Justice ».

Justice

État B
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Article additionnel après l'article 77 quater - Amendement n° II-121 rectifié bis

Articles additionnels après l’article 77 quater

M. le président. L’amendement n° II-403, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Bargeton, Patriat et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :

A. – Après l’article 77 quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Après l’article 681 du code général des impôts, il est inséré un article 681… ainsi rédigé :

« Art. 681 …. – À compter du 1er janvier 2020, les droits d’enregistrement des actes mentionnés à l’article 635, à l’exception de ceux mentionnés aux 1° et 2° du 1 et au 1° du 2, sont augmentés de 1 %.

II. – Le I entre en vigueur au 1er janvier 2020.

B. – En conséquence, faire précéder cet article d’un intitulé ainsi rédigé :

Justice

La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Je présenterai quatre amendements d’appel, pour signifier que si, sur le sujet de l’aide juridictionnelle, des travaux sont en cours, nous sommes prêts, ici au Sénat, et ce depuis longtemps. Nous avons des propositions concrètes, dont celle que M. Mézard a présentée il y a quelques instants.

L’amendement n° II-403 tend à augmenter le financement budgétaire de l’aide juridictionnelle et à mettre en place un agenda politique.

Plus précisément, nous proposons d’augmenter les droits d’enregistrement perçus sur certains actes juridiques énumérés à l’article 635 du code général des impôts, à l’exclusion des actes de notaire, des actes d’huissier de justice et des décisions des juridictions de l’ordre judiciaire lorsqu’elles ouvrent un droit proportionnel ou progressif.

Ce dispositif est avantageux à double titre, du fait de son assiette large et de son taux bas. Il permet en outre de maintenir un lien entre la taxation proposée et ses futurs bénéficiaires.

En se référant au tableau récapitulatif « Enregistrement, timbre, autres contributions et taxes indirectes » du tome I du fascicule « Évaluations des voies et moyens » du projet de loi de finances pour 2018, il apparaît que le produit résultant de l’augmentation de 1 % de ces droits s’élèverait à 180 millions d’euros, soit une somme nettement supérieure aux recettes extrabudgétaires de nature fiscale figurant, à hauteur de 83 millions d’euros, dans le présent projet de loi de finances.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. Je demande le retrait de cet amendement d’appel. Pour gagner du temps et ne pas prolonger ce débat jusqu’à l’heure du goûter (Sourires.), j’indique d’ores et déjà que je ferai la même demande pour les quatre autres amendements restant à examiner, qui s’inscrivent dans la même logique : proposer de nouvelles sources de financement de l’aide juridictionnelle, alors que cette dépense a fortement augmenté ces dernières années.

La commission des finances est plutôt favorable au rétablissement d’un droit de timbre, tel que celui qui a existé jusqu’à une période récente. Cette mesure a d’ailleurs été adoptée par le Sénat lors de l’examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Cette démarche nous paraît plus pertinente que la création ou l’augmentation de diverses taxes affectées.

J’ajoute que, pour des raisons de recevabilité financière, ces amendements tendent à augmenter des taxes qui reviennent à l’État et aux collectivités territoriales.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je sollicite également le retrait de cet amendement.

Il nous faut procéder à la réforme complète du dispositif avant d’envisager son financement.

Je rappelle que la loi de finances pour 2016 a abaissé le plafond de l’aide juridictionnelle à 1 000 euros pour une aide juridictionnelle totale et à 1 525 euros pour une aide juridictionnelle partielle. Cela ne nous empêchera pas de réfléchir, au cours de l’année qui vient, à ces plafonds. Il est important de mener cette réflexion avant d’envisager toute augmentation d’impôt.

Les droits d’enregistrement perçus sur les actes juridiques mentionnés à l’article 635 du code général des impôts ne financent pas, aujourd’hui, l’aide juridictionnelle. Les droits d’enregistrement sont à titre principal affectés au financement des collectivités territoriales. En affecter une partie à l’aide juridictionnelle compliquerait donc encore davantage notre système fiscal et le circuit de financement de l’aide juridictionnelle, ce qui ne me paraît pas nécessairement opportun.

Plus fondamentalement, nous devons réfléchir à cette question de manière globale. C’est pourquoi je demande le retrait de cet amendement et des quatre suivants.

M. le président. Monsieur Thani Mohamed Soilihi, l’amendement n° II-403 est-il maintenu ?

M. Thani Mohamed Soilihi. Il était important que cet échange ait lieu. Comme je l’ai annoncé, il s’agit d’un amendement d’appel, comme les trois autres que j’ai déposés. C’est à dessein que je n’ai pas prévu l’affectation des sommes ainsi récoltées, sans quoi l’irrecevabilité au titre de l’article 40 aurait été prononcée ; il est bien évident que ces sommes seraient destinées au Conseil national des barreaux. Je retire l’amendement.

Article additionnel après l'article 77 quater - Amendement n° II-403
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Article additionnel après l'article 77 quater - Amendement n° II-394 rectifié

M. le président. L’amendement n° II-403 est retiré.

L’amendement n° II-121 rectifié bis, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Patriat et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :

I. – Après l’article 77 quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au 5° ter A de l’article 1001 du code général des impôts, les mots : « 12,5 % pour les primes ou cotisations échues à compter du 1er janvier 2016 et à 13,4 % pour les primes ou cotisations échues à compter du 1er janvier 2017 » sont remplacés par les mots : « 18 % pour les primes ou cotisations échues à compter du 1er janvier 2020 ».

II. – En conséquence, faire précéder cet article d’un intitulé ainsi rédigé :

Justice

M. Thani Mohamed Soilihi. Eu égard aux observations de la commission et du Gouvernement, je retire aussi cet amendement.

Article additionnel après l'article 77 quater - Amendement n° II-121 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Article additionnel après l'article 77 quater - Amendement n° II-122 rectifié bis

M. le président. L’amendement n° II-121 rectifié bis est retiré.

L’amendement n° II-394 rectifié, présenté par M. Mézard, Mme Joissains, M. Artano, Mme M. Carrère, MM. Corbisez, Gabouty et Guérini, Mme Jouve et M. Vall, est ainsi libellé :

I. – Après l’article 77 quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 1002 du code général des impôts est rétabli dans la rédaction suivante :

« Art. 1002. – Une taxe sur l’ensemble des contrats et clauses de responsabilité civile et de protection juridique souscrits en France est instaurée à hauteur de 5 millions d’euros au titre de l’année 2020 et de 10 millions d’euros à partir de l’année 2021.

« Cette contribution est répartie au prorata du montant des sommes générées au titre de l’année précédant l’année au titre de laquelle la contribution est due par les assureurs.

« Le contentieux, les garanties et les sanctions relatifs à cette contribution sont régis par les règles applicables en matière de créances étrangères à l’impôt et au domaine.

« Un arrêté conjoint des ministres en charge de la justice et du budget fixe les modalités de répartition de cette contribution, ainsi que les modalités selon lesquelles les assureurs rendent compte au ministère de la justice du recouvrement de la contribution. »

II. – En conséquence, faire précéder cet article d’un intitulé ainsi rédigé :

Justice

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Cet amendement reprend une proposition que Sophie Joissains et moi-même avions formulée dans le cadre du travail que nous avons mené sur l’aide juridictionnelle au nom de la commission des lois. Il s’agit de trouver un financement complémentaire pour l’aide juridictionnelle en prélevant une contribution sur les contrats de protection juridique.

Des contrats de protection juridique sont couramment inclus dans les contrats d’assurance, en sorte que, souvent, nos concitoyens sont assurés plusieurs fois en la matière, sans même le savoir… Il y a là une possibilité tout à fait certaine de financer en partie l’aide juridictionnelle, même si cela ne plaît pas du tout à Bercy, pour les raisons financières que l’on connaît.

Je pense, madame la garde des sceaux, que nous aurons l’occasion de reparler ultérieurement de cette proposition. C’est l’une des pistes envisageables en vue de mieux financer l’aide juridictionnelle.

S’agissant de l’aide juridictionnelle partielle, elle concerne très peu de nos concitoyens, étant donné la difficulté de l’obtenir. En outre, la part laissée à la charge du justiciable peut être assez importante et, de ce fait, le dispositif n’a guère d’intérêt.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. La commission demande le retrait de cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. Monsieur Mézard, l’amendement est-il maintenu ?

M. Jacques Mézard. Non, je le retire, monsieur le président !

Article additionnel après l'article 77 quater - Amendement n° II-394 rectifié
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales - Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural
Article additionnel après l'article 77 quater - Amendement n° II-394 rectifié
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Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales - Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

M. le président. L’amendement n° II-394 rectifié est retiré.

L’amendement n° II-122 rectifié bis, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Patriat et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :

I. – Après l’article 77 quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa du 1 de l’article 302 bis Y du code général des impôts est ainsi rédigé :

« 1. Les actes des huissiers de justice sont soumis à une taxe forfaitaire de 16 € pour les actes accomplis à compter du 1er janvier 2020. »

II. – En conséquence, faire précéder cet article d’un intitulé ainsi rédigé :

Justice

L’amendement n° II-177 rectifié bis, présenté par MM. Mohamed Soilihi, Bargeton, de Belenet, Patriat et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :

A. Après l’article 77 quater

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – L’article 1018 A du code général des impôts est ainsi modifié :

1° Aux 1° et 2°, le montant : « 31 € » est remplacé par le montant : « 40 € » ;

2° Au 3°, les montants : « 127 € » et « 254 € » sont respectivement remplacés par les montants : « 165 € » et « 330 € » ;

3° Au 4°, le montant : « 169 € » est remplacé par le montant : « 220 € » ;

4° Au 5°, le montant : « 527 € » est remplacé par le montant : « 685 € » ;

5° Au huitième alinéa, le montant : « 211 € » est remplacé par le montant : « 274 € » ;

II. – Le présent dispositif entre en vigueur au 1er janvier 2020.

B. En conséquence, faire précéder cet article d’un intitulé ainsi rédigé :

Justice

La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Je retire ces deux amendements, monsieur le président.

M. le président. Les amendements nos II-122 rectifié bis et II-177 rectifié bis sont retirés.

Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Justice ».

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures, pour l’examen des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures trente, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)

PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi

vice-président

Article additionnel après l'article 77 quater - Amendement n° II-177 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
État B

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

Compte d’affectation spéciale : développement agricole et rural

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

La parole est à M. le rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Houpert, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les États généraux de l’alimentation, nous nous attendions à un budget généreux de l’agriculture.

Or, ce que nous constatons, c’est une mise au régime sec, peut être en écho aux épisodes de sécheresse que les agriculteurs ont eu à subir cet été. À le lire, monsieur le ministre, j’ai l’impression d’être déjà en pleine période de carême ! (Sourires.)

En termes plus économiques, c’est à un budget sans vitalité macroéconomique et aux impacts microéconomiques tout à fait inacceptables que nous sommes confrontés.

Lors de la discussion de votre budget à l’Assemblée nationale, vous avez indiqué que « ce qui compte, ce n’est pas sa masse budgétaire ». Permettez-moi de m’étonner, car nous savons bien que la masse budgétaire, cela compte pour un budget dont la vocation primordiale est d’accompagner les efforts de nos agriculteurs, de leur permettre de vivre de leur activité et d’offrir aux Français toutes assurances de pouvoir consommer des produits sains.

N’oublions pas, monsieur le ministre, que la moitié des agriculteurs de ce pays dispose d’un revenu annuel avant impôt de 14 000 euros, et qu’entre 15 % et 25 % des agriculteurs n’ont tout simplement pas de revenu. Faut-il aussi rappeler ici le désespoir de bon nombre d’exploitants ? Faut-il rappeler encore le nombre de suicides constatés dans le secteur agricole ?

La France perd, année après année, des exploitations, et l’emploi agricole a chuté de près de 60 000 postes depuis 2010. La valeur ajoutée agricole est volatile, mais c’est surtout sa croissance qui s’est de longue date volatilisée.

La situation agricole de ce pays appelle un redressement ; la situation de nos agriculteurs mérite davantage de respect et de considération. Avec des crédits inertes, le budget que vous défendez n’est pas à la hauteur de ce défi économique.

Il n’est pas davantage au rendez-vous des deux ambitions majeures que devrait porter ce secteur : une agriculture diversifiée, structurante pour la vitalité des territoires ruraux, et une agriculture en transition vers un horizon agroécologique.

Monsieur le ministre, sans moyens réels, que devient l’objectif de convertir 15 % de la surface agricole française au bio dès 2022, sinon un slogan vide de tout sens ?

Quels seront les effets de la suppression de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, l’ICHN, pour les 3 800 exploitations affectées par la réforme du zonage ? Ne vous appuyez pas sur la hausse des crédits de l’ICHN, car vous savez bien qu’elle est financée par les agriculteurs et qu’au niveau de chaque exploitation elle n’apportera pas un centime de plus.

Ce budget sans élan est également inacceptable d’un point de vue microéconomique.

Une dotation pour dépenses imprévues a été intégrée au budget pour 2018. Comme c’était à craindre, elle n’a couvert que des dépenses prévisibles, à avoir celles nécessaires pour couvrir les corrections financières arrêtées par la Commission européenne pour sanctionner des défaillances de gestion des aides par votre ministère. Il reste un reliquat. Comptez-vous l’employer pour compenser les aléas de production dus à la sécheresse ou bien pour compléter des lignes budgétaires insuffisamment dotées ?

Vous entendez réduire d’un tiers cette dotation, en vous fondant sur la consommation des crédits de 2018, c’est-à-dire sur une dette d’apurement de l’ordre de celle réglée en cours d’année. Compte tenu des risques pendants, cela paraît bien imprudent, et cela signifie que vous ne disposez dans le budget initial de 2019 d’aucune marge pour soutenir les exploitants. Cela n’est pas acceptable Et la déduction pour épargne de précaution ne changera rien à l’affaire pour la plupart des agriculteurs.

Dans le sombre panorama de l’emploi agricole, le seul type d’emploi qui conserve un peu de dynamisme, c’est l’emploi saisonnier. Eh bien, voilà que vous le pénalisez, monsieur le ministre !

La réforme des exonérations de cotisations sociales pour les TO-DE, les travailleurs occasionnels et demandeurs d’emploi, ne peut être acceptée par notre assemblée. Vous le savez d’autant mieux qu’il n’y a pas si longtemps vous l’affirmiez vous-même avec force et brio, ici même, dans la haute Assemblée. Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à nous annoncer un plein retour au dispositif en vigueur ?

J’en finirai avec quelques mots sur le CASDAR. Nous souhaitons ici que la recherche soit pleinement intégrée à notre politique agricole. Il serait au demeurant souhaitable que l’INRA devienne un opérateur de la mission. Nous sommes inquiets de voir le CAS accumuler des moyens qu’il n’est pas en mesure de dépenser, selon les critères admis d’évaluation scientifique. Nous pressentons que, bientôt, le produit de la taxe sur le chiffre d’affaires des exploitations qui doit alimenter l’innovation agricole sera détourné de son objet pour des usages sans aucun lien avec l’agriculture.

Pour cet ensemble de raisons, la commission des finances vous propose de ne pas adopter les crédits de la mission, ni ceux du compte d’affectation spéciale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis, applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. rapporteur spécial.

M. Yannick Botrel, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous savez l’intérêt porté par cette assemblée à l’agriculture et la place qu’elle occupe dans la vie des territoires.

Nous sommes convaincus que cette activité est stratégique et qu’elle constitue une garantie de non-dépendance dans un monde instable et balayé d’incertitudes.

En outre, nous percevons bien à quel point nos concitoyens sont plus que jamais vigilants et réactifs s’agissant des conditions de la production agricole, ainsi que de la qualité de l’alimentation.

Par ailleurs, nous savons que nous vivons une période particulière. Le réchauffement climatique suppose de se préparer – il n’est que temps ! – aux aléas qui devraient s’accentuer et affecter l’agriculture, comme il faut faire face aux nouveaux risques sanitaires qui se manifestent à épisodes rapprochés désormais et qui peuvent surgir à chaque instant dans un monde rétréci par la mobilité.

Chacun connaît les conséquences de la fièvre catarrhale ovine, du virus H5N1, qui en est d’ailleurs à la quatrième ou cinquième génération désormais, sur l’économie des filières. Aujourd’hui, c’est la peste porcine présente en Pologne qui fait peser un risque substantiel sur cette production. Cela dit pour rappeler, monsieur le ministre, que le budget doit répondre à deux sujétions : celle du court et du moyen terme, bien entendu, mais aussi celle de l’avenir, qu’il faut anticiper.

Le sentiment que j’éprouve est que, pour une part importante, le budget poursuit sur sa trajectoire antérieure pour une grande part des dépenses qu’il prévoit, et ce dans l’attente de deux éléments déterminants : la nouvelle politique agricole commune et les conséquences du Brexit, sans doute difficiles à évaluer complètement à ce stade.

Du point de vue du contexte économique, le ministre de l’agriculture de 2018 se trouve, et c’est heureux, dans une situation plus apaisée que son prédécesseur l’an passé, la conjoncture agricole s’étant améliorée, même si elle demeure atone.

Par ailleurs, vous bénéficiez des efforts accomplis antérieurement afin d’améliorer le fonctionnement de la chaîne de paiements agricoles, ce qui devrait nous épargner de lourdes corrections financières européennes. Ces événements demeurant néanmoins aléatoires, tout relâchement des efforts de provisionnement des risques et de modernisation du cadre de gestion doit être exclu.

On doit à cet égard regretter la réduction de la dotation pour imprévus, ainsi que les variations autour du financement de la nécessaire modernisation des systèmes de l’Agence de services et de paiement.

L’avenir de l’agriculture mérite incontestablement mieux qu’un simple budget de reconduction, d’autant, monsieur le ministre, que nous devons, notamment, nous engager résolument vers une production plus diversifiée, biologique en particulier, qu’il ne s’agit pas, ainsi que vous l’avez plusieurs fois indiqué, d’opposer à l’agriculture conventionnelle, elle-même en voie de redéfinition.

Vous évoquez, monsieur le ministre, l’allégement des cotisations sociales, qui se traduira par un renforcement des transferts vers la production agricole.

Localement nous sommes surtout interpellés sur l’intérêt de conserver le régime TO-DE, qui concernerait 70 000 exploitations. En effet, il n’y a pas forcément adéquation entre l’emploi salarié en général, qui est loin de concerner toutes les exploitations, et l’emploi propre à certaines productions saisonnières ; je pense en particulier à la filière légumière, mais l’on pourrait tout autant citer l’arboriculture, que vous connaissez particulièrement bien, voire la production de sapins de Noël, comme l’a rappelé un collègue de la Nièvre.

La filière bois, quant à elle, demeure très déficitaire au titre du commerce extérieur, alors que la forêt française est la plus vaste d’Europe.

J’ouvre une parenthèse, afin de vous rappeler le rapport parlementaire produit par le Sénat, à ce jour resté sans écho. Qu’envisagez-vous de proposer afin de relocaliser la transformation de la ressource, donc la valeur ajoutée ? Le Gouvernement a signé récemment un nouveau contrat de filière avec les professionnels du bois. Quelle stratégie induit-il, monsieur le ministre ?

Parallèlement, nous avons noté la réduction des moyens de l’ONF, l’Office national des forêts, en matière d’emplois, soit 200 postes, et, dans le même temps, nous remarquons que l’office conserve un endettement très préoccupant, à hauteur de 320 millions d’euros, semble-t-il, qu’il faudra bien résorber un jour ou l’autre.

La qualité sanitaire de nos productions et de l’alimentation sera en permanence un sujet de préoccupation, comme tout ce qui concerne la santé publique. Le programme 206 finance une partie des dépenses correspondantes. Or il demeure à peu près inchangé, une fois pris en compte l’éventuel dénouement particulièrement laborieux du contentieux des vétérinaires sanitaires. Est-il opportun de maintenir simplement cette dépense quand tout, autour de nous, invite au contraire à l’accentuer ?

Quelque 40 emplois sont créés pour anticiper les effets du Brexit et les détournements de trafic qu’il occasionnera possiblement, et même certainement. C’est assurément trop peu compte tenu de besoins de contrôle dont, je l’accorde volontiers, on ne sait quand ils se matérialiseront complètement.

Nous sommes en permanence confrontés à l’irruption et la propagation de crises sanitaires toujours lourdes de conséquences économiques et financières pour les producteurs. Ni l’influenza aviaire, dont de nouvelles souches existent de par le monde, ni la peste porcine, qui rôde à nos frontières, n’ont d’égards pour les arbitrages budgétaires du moment.

Il faudrait sans nul doute anticiper les crises et augmenter les moyens de notre vigilance sanitaire, même si, par ailleurs, nous le savons bien une meilleure organisation pourrait permettre des gains d’efficacité. Sur ce sujet encore, nous avions proposé, dans un rapport de la commission des finances du Sénat, de repenser et réorganiser notre infrastructure de maîtrise du risque.

La dotation de l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, est quelque peu renforcée. La perspective du Brexit pourrait ne pas y être pour rien, puisque 40 % des autorisations de mise sur le marché, les AMM, des médicaments vétérinaires seraient aujourd’hui accordées au Royaume-Uni.

Or il existe pour le moins quelques sérieux problèmes du fait de la concurrence pouvant exister entre les intervenants participant à la délivrance des AMM. Cet aspect du rôle de l’ANSES a été beaucoup développé, malgré l’écart entre les coûts qu’il entraîne pour l’agence et les retours financiers qu’elle perçoit.

Je relève que ce déficit serait de nature à peser sur les autres activités de l’ANSES au service de la recherche et des opérations courantes d’identification de nouveaux risques sanitaires. Au-delà, alors que nos compatriotes s’inquiètent des effets des produits, phytopharmaceutiques notamment, il faut s’interroger sur les conséquences de cette situation concurrentielle entre agences sanitaires.

Enfin, monsieur le ministre, il convient que nous soyons attentifs, dès aujourd’hui, à l’impérieux devoir de recherche, pour prévenir les conséquences des changements climatiques, par la mise au point des semences plus résistantes et par l’accès à des techniques de production plus adaptées aux nouvelles conditions. En un mot, il faut que nous soyons pleinement préparés à ce bouleversement, pour maintenir notre économie agricole. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Laure Darcos applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’année 2019 est l’année de toutes les incertitudes pour l’agriculture. Le moment était venu d’envoyer un vrai signal à destination des agriculteurs. Il l’a été, mais, malheureusement, ce n’est pas le bon.

C’est donc au moment où le budget de la PAC est sur le point de diminuer de 15 % en euros constants que le budget de la mission recule de plus de 200 millions d’euros, soit 10 % à périmètre constant.

C’est donc au moment où les aléas n’ont jamais été si forts pour l’agriculture française, vous le savez, monsieur le ministre, que la réserve pour aléas, créée l’année dernière, voit ses crédits amputés d’un tiers.

C’est donc au moment où la concurrence n’a jamais été aussi forte sur nos productions que l’un des dispositifs les plus efficaces en faveur de la compétitivité de certaines filières, à savoir le TO-DE, est supprimé.

Tous ces paradoxes ne font que révéler l’ambiguïté de la politique agricole gouvernementale. Il faut rétablir la vérité !

La vérité, c’est que la réserve de crise du budget agriculture n’en est pas une. Elle ne sert qu’à financer des apurements communautaires. Aucun euro n’a été déboursé cette année contre des aléas agricoles ; pourtant, monsieur le ministre, si vous les interrogez, les agriculteurs vous confirmeront qu’ils en ont connu beaucoup. Cette réserve ne revient nullement aux agriculteurs en cas de calamités. Elle n’est qu’une épargne que l’État conserve pour couvrir chaque année les dépenses induites par les erreurs de son administration.

La vérité, c’est que la loi ÉGALIM ne peut réellement inverser le rapport de forces entre les producteurs et leurs acheteurs que si les contrôles du bon respect des contrats sont appliqués. Or ce PLF réduit les effectifs des deux instances chargées de ces contrôles : la DGCCRF et FranceAgriMer ! C’est à se demander, monsieur le ministre, si le Gouvernement ne doute pas de l’efficacité de sa propre loi !

La vérité, c’est qu’il n’est pas envisageable d’avaliser cette réduction du budget de l’agriculture, alors même que l’agriculture en a tellement besoin. C’est en tout cas le point de vue de la commission des affaires économiques et le mien.

En conclusion, monsieur le ministre, je vous demande de cesser ce jeu de massacre, qui consiste à stigmatiser sans cesse notre agriculture. C’est une impasse ! Cela démoralise les agriculteurs et les conduits parfois à l’acte ultime du suicide – un agriculteur se suicide tous les deux jours –, leur situation étant moralement insoutenable. C’est inacceptable.

De plus, cette pratique de l’agri-bashing est schizophrénique pour la France. Nous produisons de moins en moins sur notre territoire et sommes de plus en plus tributaires de l’importation de produits étrangers qui ne respectent ni nos normes ni nos façons de produire.

Monsieur le ministre, réagissez, et réagissez très vite ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur la sécurité sanitaire.

La France dispose de l’un des meilleurs systèmes au monde. C’est ce que rappelle un récent classement international. Même si le risque zéro n’existe pas, et c’est tout le problème, il faut en être fier.

Ce n’est pas pour autant que la France doit se reposer sur ses lauriers. Les défis sanitaires auxquels elle va devoir faire face sont nombreux, comme en témoigne le risque d’épidémie de peste porcine auquel la France est désormais exposée.

Or le budget du programme « Sécurité et qualité sanitaires » affiche un recul, certes comptable, mais un recul tout de même.

Parmi les principaux problèmes posés à notre sécurité sanitaire, le Sénat n’a de cesse de dénoncer les importations de denrées alimentaires de pays tiers ne respectant pas les normes européennes. Les résultats des contrôles aux importations sur ces produits sont en effet très préoccupants.

On peut estimer aujourd’hui qu’au moins un produit importé de pays tiers sur dix ne respecte pas les normes sanitaires et phytosanitaires européennes. Il est parfois de plus de 25 %. Rien que pour les produits issus de l’agriculture biologique, il est, par exemple, de 17 %. Je vous laisse y réfléchir, mes chers collègues. Et ces chiffres ne prennent pas en compte le taux de non-conformité des importations venant de pays de l’Union européenne, plus difficile à mesurer, et sans doute encore plus élevé.

Cette situation est intenable !

D’une part, elle pose d’immenses problèmes sanitaires, car ces importations nuisent à une bonne protection des consommateurs. D’autre part, ces importations constituent une concurrence déloyale massive pour nos agriculteurs français. Comment peut-on leur demander d’augmenter leurs standards de production tout en favorisant l’importation de produits ne les respectant pas ?

Le seul moyen de lutter contre ce phénomène, c’est d’accentuer les contrôles et de renvoyer une fois pour toutes tous les produits non conformes pour faire comprendre aux autres pays que la France est inflexible. Comment voulez-vous assurer un contrôle efficace quand l’État dépense moins de 10 millions d’euros par an pour contrôler l’ensemble des denrées alimentaires importées ?

Cela représente – je sais que vous êtes sensible à cette formule, monsieur le ministre – les recettes que l’État encaisse au titre de trois tirages du Loto ! Trois tirages du Loto pour la sécurité sanitaire des Français et la compétitivité de notre agriculture, cela ne paraît vraiment pas cher payé.

Depuis la loi ÉGALIM, l’autorité administrative doit prendre toutes les mesures de nature à faire respecter le principe d’interdiction à la vente de produits non autorisés dans l’Union européenne. Il est temps, monsieur le ministre, de prendre les mesures exigées par la situation et, surtout, de répondre aux obligations fixées par la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Daniel Gremillet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Henri Cabanel, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tant que j’aurai de la voix, je dirai et redirai ce chiffre effroyable, qui a déjà été évoqué : un agriculteur se suicide tous les deux jours ! Pour quelle autre profession accepterait-on ce tragique constat ?

Monsieur le ministre, vous l’avez dit vous-même sur ces travées, les lois agricoles se succèdent, mais rien n’y fait.

Ce malaise paysan reflète le malaise de notre société, car les enjeux que l’agriculture englobe sont universels : indépendance alimentaire, qualité alimentaire, santé publique, emplois non délocalisables, attentes sociétales, aménagement du territoire, lutte contre les incendies.

Vous avez affirmé une ambition pour la politique agricole. Pour vous avoir côtoyé de près dans vos combats dans nos rangs au Sénat, je crois en votre sincérité et en votre connaissance du terrain. Pour autant, vous le savez, ce n’est pas vous seul qui allez décider. Pour concrétiser des ambitions, il faut s’en donner les moyens, et ce budget n’est pas à la hauteur des enjeux de l’agriculture française.

Parlons méthode, tout d’abord. Votre prédécesseur avait mis en place les États généraux de l’alimentation. J’avais salué et même participé à ces ateliers, qui consistaient à placer autour d’une même table tous les acteurs de la chaîne.

L’intention s’est arrêtée en cours de route : la loi ÉGALIM a permis quelques avancées, mais elle a provoqué les inquiétudes des filières et des organisations syndicales. Face à la guerre des prix de la grande distribution, la recherche d’un prix juste pour le producteur n’a rencontré aucune solution.

La suppression annoncée de l’allégement des charges pour les TO-DE, maintenu, mais à la baisse, jusqu’en 2020, malgré une volonté forte du Sénat de pérenniser cette mesure, nous entraînera forcément à une perte de compétitivité. Après 2020, certaines filières seront condamnées : pommes, poires, horticulture…

Concernant la PAC, si nous prônons le maintien du budget agricole, ce n’est pas seulement dans des objectifs comptables. C’est parce qu’il faut regarder au-delà de l’Union européenne pour se rendre enfin compte que l’agriculture est une politique éminemment essentielle.

La Chine, le Brésil, les États-Unis, qui ont bien compris les enjeux d’une politique agricole engagée et soutenue, ont augmenté leur budget pour soutenir leurs filières.

Dans un contexte mondialisé et de libre-échange, où notre compétitivité se heurte à des iniquités tout aussi sociales que normatives, nous avons de grands doutes sur l’avenir de notre politique agricole commune.

Nourrissant de grands espoirs au sujet des États généraux de l’alimentation, mon groupe s’était abstenu l’an dernier. En revanche, monsieur le ministre, le groupe socialiste et républicain ne peut qu’être opposé à ce budget en baisse pour 2019.

Je vous donne rendez-vous dans un an, mais je pense que, malheureusement, il n’y aura eu aucune redistribution de la valeur. Les paysans, une fois de plus, en subiront les conséquences et resteront dans le désespoir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis, applaudit également.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le mercredi 18 avril 2018 au matin, alors que j’étais en commission des affaires étrangères, j’ai reçu un message qui m’a bouleversé : mon neveu Jean-Louis, agriculteur, venait d’être retrouvé mort au volant de son tracteur. En prenant la parole aujourd’hui, je souhaite lui rendre hommage, ainsi qu’au monde agricole, qui travaille par amour de la terre au prix de nombreux sacrifices et pour de faibles rémunérations.

Notre monde est aujourd’hui confronté à des enjeux capitaux : changement climatique, explosion démographique, épuisement des énergies fossiles, vieillissement et dépendance, inégalités croissantes, déséquilibres socio-économiques, perte de biodiversité. Tous ces défis sont complexes, car ils sont interdépendants. Ils nécessitent l’alliance de nombreux acteurs, s’inscrivent dans le long terme et ne s’accommodent pas de réponses simplistes. Une chose est sûre : l’agriculture, que ce soit à l’échelon national ou au niveau européen, a un rôle crucial à jouer.

L’agriculture française présente un bilan de santé contrasté. Si la France compte des champions agro-industriels, des entreprises intermédiaires innovantes très compétitives sur des marchés mondialisés, plusieurs signaux d’alerte montrent que le secteur vit des mutations profondes et souvent douloureuses.

De nombreuses exploitations sont aujourd’hui en détresse, et un agriculteur sur quatre en France vit sous le seuil de pauvreté. Les raisons de cette paupérisation sont bien connues : elles tiennent à la fois à la dérégulation des marchés agricoles et, surtout, à la très inégale répartition de la valeur dans les filières agricoles et alimentaires.

La profession d’agriculteur est le deuxième métier le plus dangereux au monde, avec des conditions de travail difficiles, un isolement fort, des accidents de travail bien trop nombreux. Nous avons, en tant qu’acteurs publics, une responsabilité à assumer face à ce triste constat. C’est la catégorie socioprofessionnelle la plus à risque : la mortalité par suicide chez les agriculteurs est de 20 % à 30 % supérieure à la moyenne de la population. Comme l’a rappelé Henri Cabanel, un agriculteur se suicide tous les deux jours en France ; on ne peut continuer à passer cela sous silence.

Eu égard à l’enjeu humain, ce projet de budget 2019 n’est pas assez ambitieux : relativement stable, il s’inscrit dans la continuité d’une politique menée depuis des années, avec la reconduction de la plupart des dispositifs. Il prend trop peu en compte les grands défis auxquels est confronté ce secteur. Il faut absolument adopter un nouveau regard sur l’agriculture française, changer de paradigme en matière de politiques publiques pour favoriser et mieux prendre en compte la diversité des agriculteurs et des agricultures.

Il convient également de la sécuriser, de la valoriser et de la rendre plus attractive, pour qu’elle soit durable, équitable et performante.

La sécuriser, car 2019 sera sans conteste une année charnière pour l’agriculture, qui fera face à de nombreuses incertitudes, avec notamment la gestion du Brexit, la réduction de 15 % des crédits de la PAC, et une concurrence toujours plus forte, souvent trop déloyale.

La réforme de la fiscalité agricole reste trop frileuse pour sécuriser le secteur agricole. Nous pouvons saluer le dispositif unique de déduction reposant sur la constitution d’une épargne de précaution. Cela permettra d’aider nos agriculteurs à faire face aux aléas de plus en plus fréquents grâce à des outils fiscaux leur permettant d’améliorer leur résilience et leur compétitivité, tout en leur assurant des revenus stables. Nous approuvons aussi le maintien du taux réduit de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques sur le secteur non routier pour l’agriculture.

En revanche, nous ne pouvons, en aucun cas, soutenir la suppression du dispositif d’exonération des charges pour les travailleurs saisonniers. Je salue d’ailleurs la position du Sénat, qui a défendu le maintien en sa forme actuelle au-delà de 2021, et la dernière position de l’Assemblée nationale, qui semble tendre vers un compromis acceptable.

Nous regrettons également la diminution des crédits prévus pour la réserve de crise et considérons qu’il serait souhaitable d’augmenter davantage les fonds à destination des zones à handicap naturel.

Nous souhaitons que soient valorisées nos filières agricoles en soutenant davantage l’enseignement agricole. Le budget restera stable en 2019. Il faut diversifier leurs activités, promouvoir les filières innovantes. Il s’agit de relever le défi et d’anticiper les métiers de demain.

Cette valorisation passe également par une meilleure communication sur la sécurité alimentaire des productions agricoles françaises : les règles sanitaires appliquées sont parmi les meilleures, mais aussi les plus contraignantes au monde. C’est pourquoi il est nécessaire, en parallèle, de renforcer le contrôle des importations. Il est également essentiel de lutter contre le recul du nombre de vétérinaires dans nos campagnes et de revaloriser les organismes gérant la sécurité alimentaire. Nous ne devons plus connaître de crises sanitaires, comme ce fut le cas par le passé.

Nous approuvons le maintien des mesures agroenvironnementales et climatiques. L’agriculture doit être écologiquement responsable et économiquement forte.

Cette agriculture, notre agriculture, nous devons aussi la rendre attractive en mettant en lumière le savoir-faire de nos agriculteurs, en développant des circuits courts, qui répondent aux demandes des consommateurs, en soutenant la recherche et l’innovation, en valorisant des méthodes de production respectueuses de l’environnement, tout en assurant des rendements suffisants.

L’installation des jeunes et la reprise des exploitations doivent aussi être un point essentiel. On constate dans certaines régions, dans la mienne par exemple, une réduction des surfaces agricoles. Dans la Loire-Atlantique, le fort développement des agglomérations de Nantes et de Saint-Nazaire conduit à une pression très forte sur les terres agricoles. La façade maritime et l’activité touristique associée contribuent également à la diminution de la surface agricole utile qui, forte de 457 000 hectares aujourd’hui, se réduit chaque année d’environ 2 500 à 3 000 hectares – il nous faut réagir.

Nos agriculteurs participent activement à la revitalisation des territoires ; ils sont les premiers gestionnaires des ressources naturelles françaises.

Concernant la politique forestière, nous regrettons qu’une trop grande dispersion des financements publics conduise à un manque de visibilité et de cohérence.

Le groupe Les Indépendants – République et Territoires s’abstiendra sur les crédits du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural », car ils ne sont pas à la hauteur de ces ambitions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent.

Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vivons aujourd’hui une période de transition de notre modèle agricole et de nos habitudes alimentaires. Nous ne devons pas rater ce rendez-vous et nous devons accompagner ces changements vers plus d’agriculture biologique et plus de sécurité sanitaire pour tous.

Aussi, le budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » pour 2019 a plusieurs ambitions.

Le premier objectif, et le plus important, est de donner à la France les moyens de rester souveraine sur le plan alimentaire. La balance commerciale continue aujourd’hui d’être excédentaire, et nous devons pérenniser cette situation par une montée en gamme de certains produits agricoles, pour obtenir, notamment, de meilleurs débouchés à l’international et assurer le développement d’une agriculture plus productive.

Par ailleurs, le caractère sociétal des débats qui ont lieu depuis maintenant quelques années a changé le paradigme par lequel les politiques, les médias et une grande partie de la population font une approche de l’agriculture et de l’alimentation. Il est devenu indispensable de produire une nourriture de qualité et dont le prix soit juste pour le producteur et l’acheteur.

C’est tout le sens des mesures que le Parlement a adoptées dans le cadre de la loi ÉGALIM, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, qui permettra à la France d’accomplir les transitions nécessaires.

Ainsi, nous devons tenir compte du mal-être d’une trop grande partie de nos paysans et de nos pêcheurs, qui méritent comme les autres de vivre dignement de leur travail et de leur production.

Au titre de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », le Gouvernement demande l’ouverture de 2,77 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 2,86 milliards d’euros en crédits de paiement.

Tout d’abord, la mission que nous examinons aujourd’hui doit se lire en parallèle avec la réforme fiscale prévue dans la première partie du projet de loi de finances pour 2019.

Avec le Parlement, le Gouvernement souhaite, comme il s’y était engagé l’année dernière, simplifier les modalités de recours à l’épargne de précaution afin que les agriculteurs puissent faire face efficacement aux aléas de plus en plus importants auxquels ils sont exposés. En effet, l’article 18 du projet de loi de finances pour 2019 supprime la déduction pour aléas , la DPA, ainsi que la déduction pour investissement, la DPI, et crée la déduction pour épargne de précaution, la DEP.

Le projet de budget que vous soumettez au vote du Parlement, monsieur le ministre, est cohérent et traduit une certaine stabilité par rapport au budget de l’année dernière, puisque celui-ci est sensiblement identique. Comme vous avez déjà pu l’expliquer, la baisse de 500 millions d’euros correspond en grande partie aux allégements de charges sociales, qui sont passées sur le budget de la sécurité sociale, car il ne s’agit pas d’actions de développement agricole évidentes.

Par ailleurs, la provision pour aléas sera ramenée de 300 millions d’euros à 200 millions d’euros, une baisse qui n’affectera pas le développement économique ni l’aide aux agriculteurs et à la transformation de l’agriculture, mais qui s’opère dans une période où nous sommes confrontés à plusieurs crises déclarées, notamment le phénomène de sécheresse, que je n’ai cessé de dénoncer ici même. En cas de nouvelles difficultés, vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à répondre de manière efficacement aux exploitants agricoles en difficulté.

Mes chers collègues, nous pouvons dire que, à périmètre constant, le budget est préservé, et notre ambition est maintenue.

La mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » traduit donc plusieurs ambitions, notamment celle de l’augmentation significative de l’agriculture bio. Plusieurs mesures budgétaires, à l’instar de la loi ÉGALIM, viennent traduire le programme Ambition Bio 2022, présenté en juin dernier par le Gouvernement.

Notons une augmentation pour la redevance pour pollution diffuse et le doublement progressif des moyens du fonds de structuration Avenir Bio, dont l’enveloppe sera portée de 4 millions d’euros à 8 millions d’euros. Notons aussi la subvention attribuée à l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, l’Agence Bio, qui sera portée de 5,43 millions d’euros à 10,7 millions d’euros.

Je salue également la volonté de développer l’expérimentation des fermes Dephy, en transférant quelque 450 millions du programme « Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture » » au programme « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation ». Par ailleurs, le budget alloué au secteur de la forêt et du bois bénéficie d’une augmentation substantielle de 250 millions d’euros.

À ce budget de 4,6 milliards d’euros s’ajoutent évidemment les crédits de la PAC – plus de 9 milliards d’euros – et les allégements fiscaux. Cumulés, ce sont 23,4 milliards d’euros que nous consacrerons l’année prochaine à l’aide directe à l’agriculture, soit une augmentation de 6 %.

Pour conclure, le budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » est à la hauteur des enjeux (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)

Mme Cécile Cukierman. J’imagine !

Mme Noëlle Rauscent. … et il traduit, conjointement avec la loi ÉGALIM, l’ambition d’une transition multiforme : une transition économique, avec l’inversion de la construction du prix, et une transition écologique, en favorisant une agriculture moins consommatrice d’eau et de produits phytosanitaires.

Comme le Président de la République s’y est engagé, la France sortira du glyphosate en 2021. (Exclamations sur les mêmes travées.)

M. Roger Karoutchi. Alors ça…

Mme Cécile Cukierman. Donc, tout va bien !

Mme Noëlle Rauscent. Il faut maintenir le cap pour que la France soit le leader européen de l’agriculture bio en 2022. (Mêmes mouvements.)

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. C’est mal parti !

Mme Noëlle Rauscent. Ce budget traduit enfin une transition sanitaire, avec une meilleure traçabilité des produits. Nous devons absolument combattre le développement d’une agriculture à deux vitesses : une agriculture sûre – bio, mais surtout peut-être plus onéreuse – et une agriculture pour les plus défavorisés.

De toute façon, toute la société souhaite parvenir à un « mieux manger ». Le mieux manger pour tous, tel est l’objectif que nous devons avoir. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, loin de moi l’idée de jouer la carte du pessimisme, mais, franchement, nous ne pouvons, encore une fois, que constater que le Gouvernement reste sourd face aux besoins du monde agricole !

Ce désir de raboter en général tous les crédits des missions, comme vous le faites avec la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », ne passe plus auprès des agriculteurs. Dotée de 2,765 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 2,854 milliards d’euros en crédits de paiement, la mission que nous étudions aujourd’hui connaît une baisse de près de 17 %.

Année après année, le constat amer est le même : vous tournez le dos à nos agriculteurs, aux consommateurs, à l’ensemble de nos concitoyens.

Même si vous répétez inlassablement que la baisse du soutien à l’agriculture via cette mission n’est qu’apparente, car elle est amputée des allégements de charges désormais intégrés au projet de loi de financement de la sécurité sociale, il n’en demeure pas moins vrai que cette baisse ne représente qu’un coût de 272 millions d’euros, et non de 552 millions d’euros comme c’est le cas actuellement !

Je l’ai dit, comme pour d’autres missions, le soutien de l’État passe de plus en plus par des allégements fiscaux et sociaux, aux dépens des soutiens aux crédits, qu’ils soient européens ou nationaux, et cela marque, de fait, le désengagement de l’État.

Nous partageons d’ailleurs le constat des rapporteurs spéciaux, les dépenses de soutien aux exploitations agricoles, absolument nécessaires à la viabilité de nombre d’entre elles, demeurant sans tonus.

Ainsi, tous les programmes connaissent des baisses, mais la plus forte est celle qui porte sur le programme 149, « Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture », qui perd 154 millions d’euros.

Pourtant, ce programme concerne les principaux dispositifs structurants de l’agriculture, notamment le cofinancement national des mesures de développement rural de la PAC : soutien à l’élevage dans les zones soumises à des contraintes naturelles, installation des jeunes agriculteurs, accompagnement des projets d’investissement des exploitations agricoles, mesures agroenvironnementales.

En entrant dans le détail des crédits, c’est moins 90 millions d’euros de crédits pour l’action n° 27, Moyens de mise en œuvre des politiques publiques et gestion des interventions. Or cette action regroupe les moyens dévolus aux opérateurs tels que l’Institut national de l’origine et de la qualité, l’INAO, l’Agence BIO, FranceAgriMer, l’Office de développement de l’économie agricole des départements d’outre-mer, l’Agence de services et de paiement ; la liste n’est pas exhaustive.

C’est moins 8,4 millions d’euros pour l’action n° 06, Mise en œuvre de la politique de sécurité et de qualité sanitaires de l’alimentation, et moins 18 millions d’euros pour l’action n° 01, Moyens de l’administration centrale.

Monsieur le ministre, c’est encore moins 8 millions d’euros pour les DRAAF, les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, et les DDT, les directions départementales des territoires. C’est toujours moins !

Dès lors, comment croire que ce budget permettrait tout à la fois de mener des actions de développement agricole et d’assurer la préservation de l’environnement, la transition vers l’agroécologie, le développement du bio et la meilleure protection sanitaire possible ? Comment croire qu’il sera possible de toujours faire mieux avec moins, alors que notre agriculture est aujourd’hui sinistrée !

Comme cela a été souligné lors de nombreux débats, vous affichez sur tous les terrains une préoccupation environnementale, mais les actes ne suivent pas ! Ils sont même en parfaite contradiction. La transition, c’est le changement, mais vous supprimez les moyens humains, et ce à tous les niveaux, alors qu’ils sont indispensables pour accompagner les agriculteurs vers l’agroécologie.

Ici même, lors du débat sur le CETA, l’accord économique et commercial global, mais aussi sur le Mercosur ou l’accord avec la Nouvelle-Zélande, nous avions pointé les risques pour certaines filières comme la filière viande, notamment, et nous avions répété nos inquiétudes lors du débat sur le Brexit.

Alors qu’il faudrait renforcer le soutien à nos filières, ainsi que les moyens attribués aux administrations de contrôle, c’est l’option inverse que vous choisissez ! Comment allons-nous, demain, contrôler les dizaines de milliers de tonnes supplémentaires de viande bovine importées du Canada, du Mercosur ou de la Nouvelle-Zélande ? Comment être sûr que ces viandes auront été produites sans antibiotiques, sans hormones, sans alimentation animale issue de sols traités avec du glyphosate ?

D’ailleurs, l’actualité récente nous donne raison, puisque Le Monde a découvert que 150 tonnes d’aliments contaminés par un OGM non conforme aux réglementations européennes à destination du bétail français ont été distribuées à trois fabricants et douze éleveurs. D’après des associations de consommateurs, vingt pays sont aujourd’hui touchés par ces denrées contaminées.

Il faut absolument condamner le manque de traçabilité en Europe : il a fallu plus d’un mois et demi avant que les autorités ne se saisissent du problème et que la société incriminée puisse donner aux États les éléments nécessaires pour retracer les lots infectés. De quoi compliquer ce travail de traçabilité !

Enfin, dans ce contexte de libéralisation croissante des échanges, nous ne pouvons nous satisfaire que la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ait été moins rabotée que les autres. Non, monsieur le ministre, franchement, les agriculteurs ne peuvent se soumettre à l’adage : « Faute de grives, on mange des merles ! »

Notre pays est frappé par un véritable agri-bashing, alors qu’il doit aujourd’hui apporter un soutien réel à l’ensemble du monde agricole, du monde paysan. Comme cela a été rappelé, l’agriculture permet à des femmes et à des hommes de vivre de leur travail et, tout simplement, aux millions de Français de se nourrir. La question de la qualité alimentaire, de l’accès de toutes et tous à cette qualité alimentaire, est un débat qui est encore devant nous.

Ne soyez pas surpris, nous ne voterons bien évidemment pas les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » connaissent une baisse de 16,5 % par rapport à 2018, diminution qui s’explique par deux facteurs : un rééquilibrage de la provision pour aléas, qui passe de 300 millions d’euros à 200 millions, et un allégement des charges sociales de 400 millions d’euros. Ce budget ne connaît donc pas de diminutions trop importantes dans un contexte budgétaire malheureusement contraint, comme vous le savez.

Il est crucial de conserver les moyens de répondre à la situation encore bien fragile de nombreux exploitants.

Ce budget a quatre objectifs : le soutien à l’agriculture complété par des cofinancements européens ; le renforcement de la prévention et de la gestion des risques sanitaires ; la formation des jeunes, au travers des moyens consacrés à l’enseignement et à la recherche, en particulier l’enseignement agricole dans toute sa diversité ; enfin, la transformation de l’agriculture par l’innovation et sa modernisation, notamment soutenue par le déploiement du volet agricole du Grand Plan d’investissement. J’ajoute que certains dispositifs du PLF traduisent déjà l’esprit de la loi ÉGALIM, récemment promulguée ; je pense, notamment, au doublement des crédits du Fonds Avenir Bio.

À ce titre, il est absolument nécessaire de ne pas décevoir les espérances nées lors des états généraux de l’alimentation, qui doivent pleinement mobiliser le Gouvernement pour faire de la loi ÉGALIM un succès. Ce n’est pas encore gagné, monsieur le ministre ! Cela ne repose bien évidemment pas que sur l’agriculture biologique, cela va de soi.

En effet, ce texte avait pour ambition première d’améliorer le revenu des agriculteurs. Il est important de rappeler que cela repose sur trois facteurs : le prix payé au producteur ; les soutiens européens portés par la PAC, enjeu essentiel sur lequel nous sommes mobilisés ; enfin, le niveau des charges. À ce titre, soyons très vigilants et veillons à ce que le second volet de la loi ÉGALIM n’entraîne pas une progression de celles-ci, neutralisant ainsi les objectifs ! La reconquête du revenu des agriculteurs ne peut se faire, à mon sens, qu’en combinant ces trois éléments.

Je voudrais maintenant évoquer quelques points de ce budget qui me paraissent importants.

Après la suppression programmée du dispositif TO-DE, les débats parlementaires et votre mobilisation ont permis de le maintenir à 1,15 % du SMIC. Le Sénat a, dans sa très grande majorité, adopté l’amendement, visant à rétablir le dispositif initial, de notre collègue Laurent Duplomb.

M. Guillaume Chevrollier. Excellent collègue !

Mme Cécile Cukierman. Futur chef de cabinet ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. Franck Menonville. J’avais alors en parallèle proposé un amendement de repli à 1,20 % du SMIC. Ce point d’équilibre a été adopté en séance publique par l’Assemblée nationale le 27 novembre dernier. Néanmoins, la question de la pérennité de ce dispositif reste en suspens. Il faut maintenir ce dispositif pour donner à nos agriculteurs la possibilité de s’adapter, car il s’agit d’un levier de compétitivité indispensable.

Monsieur le ministre, il est nécessaire d’envoyer un signal fort à ce secteur très fortement exposé à la concurrence internationale.

Par ailleurs, je veux revenir sur la réforme de la fiscalité agricole et, plus particulièrement, sur les dispositions fiscales favorisant l’épargne de précaution, qui permettront à nos agriculteurs de mieux faire face aux situations et d’amortir les aléas, qu’ils soient climatiques, sanitaires ou de marché. Je ne puis que saluer la création d’un tel dispositif, longtemps attendu par la profession, à la fois simple dans sa mise en œuvre et adapté à la situation de chacun.

Ce projet de budget met aussi l’accent sur l’installation et le soutien au renouvellement des générations, un soutien fondamental.

Enfin, concernant la filière bois, je salue l’augmentation des crédits à hauteur de 250 millions d’euros et plus particulièrement l’augmentation du Fonds stratégique de la forêt et du bois de 3 millions d’euros, même si les besoins sont encore plus conséquents.

C’est pour cette raison que je soutiens pleinement l’amendement déposé par notre collègue Anne-Catherine Loisier, pour orienter la taxe carbone, afin de soutenir les investissements nécessaires dans la filière.

En conclusion, une gestion durable de la forêt, les enjeux de la captation du carbone, les biocarburants, la méthanisation, le photovoltaïque, voilà autant de solutions de nature à contribuer à répondre aux nouveaux défis de l’agriculture et de la forêt, mais également à la nécessaire transition énergétique, un domaine fort mal accompagné actuellement, je tiens à le dire, par le ministère de la transition écologique. Nous devons absolument privilégier une écologie de projets et non pas une écologie d’interdiction, perçue comme étant punitive.

Monsieur le ministre, vous aspirez à ce que la France soit « souveraine d’un point de vue alimentaire » et que « son agriculture rayonne dans le monde ». Nous ne pouvons que partager et saluer vos ambitions. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à féliciter les rapporteurs spéciaux et pour avis de l’excellence de leur travail. J’illustrerai leurs interrogations en évoquant deux points : la situation de la filière fruits et légumes, ainsi que les conséquences du Brexit sur notre agriculture et la pêche.

La filière fruits et légumes est l’une des plus fragiles de nos productions agricoles, car elle dépend fortement non seulement du contexte climatique et météorologique, mais également de la compétition internationale. Avec 388 000 hectares cultivés en fruits et légumes, 5,5 millions de tonnes, la France est le troisième producteur de l’Union européenne, loin derrière l’Italie et l’Espagne.

Mon département, le Lot-et-Garonne, fait notre fierté dans ce domaine, mais il est aussi l’un des départements les plus touchés par les problématiques liées à l’emploi des salariés agricoles et par le manque d’eau durant l’été.

Permettez-moi d’insister fortement sur la question des travailleurs saisonniers ; les orateurs précédents s’y sont déjà employés. Depuis plus de trente ans, les employeurs de travailleurs saisonniers bénéficient d’une réduction de cotisations patronales sur les contrats par le biais d’un dispositif spécifique que nous connaissons tous et que vous connaissez aussi, monsieur le ministre, les TO-DE.

Nous avons été nombreux à vous alerter sur ce point, car nous craignons que, sous couvert d’économies budgétaires, les mesures que le Gouvernement propose ne viennent directement affecter la compétitivité de notre économie agricole.

Le coût de la main-d’œuvre française est déjà bien plus élevé que chez nos voisins allemands et italiens, à savoir respectivement de 27 % et 37 %. Il ne faudrait pas encore l’aggraver.

En outre, ce secteur est directement affecté par les aléas climatiques, ceux qui sont liés à l’eau, c’est-à-dire les inondations et la sécheresse. Nous pensons qu’il est nécessaire de revoir la loi sur l’eau, pour faire évoluer nos capacités à créer et à gérer la ressource, tout en continuant à la protéger.

Ces difficultés, particulièrement accrues pour la filière fruits et légumes, entraîneront une perte de souveraineté alimentaire pour notre pays. Or je sais votre attachement à celle-ci, monsieur le ministre, comme d’ailleurs à notre agriculture et à nos agriculteurs.

En outre, j’évoquerai les conséquences du Brexit sur notre pays dans le domaine de la pêche maritime. Après un an de négociations, l’Union européenne et la Grande-Bretagne ont fini par s’entendre sur un projet d’accord de retrait. La politique européenne en matière agricole est essentielle pour la France. Les aides de la PAC représentent près des deux tiers des concours publics à notre agriculture. Nous devons être très vigilants à leur évolution dans la nouvelle politique PAC, mais aussi dans les conséquences du retrait britannique.

Le Conseil européen a adopté dimanche dernier un texte réglant les relations avec Londres pendant une période de transition, qui pourrait se prolonger jusqu’en 2022. Cet accord, qui contient un volet sur les questions de pêche, prévoit un accès aux eaux territoriales britanniques, et les Britanniques resteront soumis aux quotas de pêche européens pendant la période de transition.

Néanmoins, il faudra conclure un accord au plus tard d’ici à la mi-2020 pour régler cette question. Nous pouvons nous associer avec d’autres États membres comme les Pays-Bas pour faire valoir notre position. Je crois que la négociation pourrait se fonder sur les principes d’accès réciproques et sur le maintien des quotas existants. Il faut trouver un équilibre entre les droits de douane, les règles de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, et l’accès aux eaux territoriales.

Nous souhaitions, avec mes collègues bretons, vous interpeller, monsieur le ministre, sur ce sujet, car il y va de la survie de la pêche maritime européenne et française. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Bertrand. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Anne-Marie Bertrand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Ferme France contribue à la richesse de notre pays, avec une balance excédentaire de 6 milliards d’euros, mais celle-ci s’érode d’année en année.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Eh oui !

Mme Anne-Marie Bertrand. C’est un constat partagé avec mon collègue Daniel Laurent et, j’en suis sûre, de nombreux collègues, nos agriculteurs sont fatigués – certains de mes collègues ont parlé précédemment des suicides. Ils doivent déployer beaucoup d’énergie pour défendre leur métier, alors même qu’il est gage d’indépendance.

Personne ne l’ignore : nous ne vivons pas dans un bocal. Des pays émergents le sont de moins en moins et deviennent des puissances à part entière. L’agriculture française cherche à s’adapter à la mondialisation des échanges, et ce budget n’est pas à la hauteur des enjeux de l’agriculture de demain.

Bien qu’ils soient en permanence pointés du doigt comme de « présumés pollueurs », les agriculteurs se sont engagés dans la transition écologique en menant des actions concrètes. Ce qu’ils contestent, ce sont les calendriers et les moyens d’accompagnement mis en œuvre, qui ne tiennent absolument pas compte de leur situation économique actuelle.

Face aux phénomènes climatiques, la question de l’efficience des assurances récoltes et les modalités de l’épargne de précaution sont également des sujets importants pour aider les professionnels à surmonter ces épreuves, et ce dans des délais raisonnables.

Depuis 2014, nous n’avons cessé d’intervenir sur la récurrence des retards d’instruction des aides du second pilier. La situation financière des exploitants ne peut supporter de nouveaux dysfonctionnements.

Les propositions de la Commission européenne dans le cadre du Brexit et de la nouvelle PAC sont, vous le savez, inadmissibles.

Sur la question des TO-DE, vous avez indiqué que l’Assemblée nationale aurait le dernier mot – cela tombe bien monsieur le ministre, le Gouvernement y dispose de la majorité ! Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir défendre nos exploitants. À titre d’exemple, je puis vous dire que les Bouches-du-Rhône doivent faire face à la concurrence italienne, espagnole, marocaine, où le coût du travail est nettement inférieur.

Les agriculteurs souhaitent également que leur régime de retraite continue de s’améliorer. Comment ne pas les comprendre ?

Monsieur le ministre, chaque année lors de l’examen du projet de loi de finances ou du salon de l’agriculture, ou à chaque élection présidentielle, nos agriculteurs entendent beaucoup de déclarations d’amour. On évoque souvent le souvenir d’un arrière-grand-père exploitant. Parfois, on va jusqu’à parler d’une jeunesse passée à la campagne…

Permettez-moi de vous le rappeler, monsieur le ministre, en amour comme en politique, il n’y a que les actes qui comptent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, il y a un an, votre prédécesseur nous disait que le budget 2018 était la « première étape d’une transformation sans précédent de l’agriculture française ». Nous n’avions pas su alors trouver les nouveautés répondant aux grands enjeux que l’agriculture française doit relever et nous étions abstenus en considérant que l’essentiel restait à faire.

Vous nous avez dit que le budget que nous examinons aujourd’hui, monsieur le ministre, n’était pas le vôtre, mais que vous le défendriez pleinement, ce qui est bien normal.

Le revenu des agriculteurs, l’accompagnement de la transformation agroécologique des exploitations, la compétitivité des filières, la gestion des risques, l’approche de la future PAC : c’est à l’aune de ces enjeux que ce budget doit être apprécié.

Au cours de l’année écoulée, à partir de l’initiative positive des États généraux de l’alimentation, les EGA, vous avez abordé la question du revenu, celle de la qualité de l’alimentation et des plans de filières.

La loi a été promulguée, les ordonnances sur les seuils de revente à perte et les promotions sont prises, les négociations commerciales sont en cours. Pourtant, le doute persiste dans la profession même quant à l’efficacité de ces dispositifs.

Tout en partageant les objectifs du Gouvernement, nous étions sceptiques au sortir de la discussion de cette loi. Nous le sommes toujours et d’autant plus que 1 million d’euros seulement sera consacré à son accompagnement.

La mise en extinction sur une période de deux ans des exonérations de charges patronales pour l’emploi de TODE va considérablement affaiblir des filières comme la viticulture, la filière fruits et légumes et bien d’autres.

Vous envoyez ainsi un signal contraire à votre intention initiale, qui consistait à redonner du revenu aux producteurs. Maintenir ce dispositif est indispensable, quand bien même des allégements de charges s’y ajoutent. La compétitivité des filières concernées ne s’en portera que mieux dans un contexte, vous le savez, où la concurrence sur les coûts fait rage. La transition agroécologique vers des produits de qualité à prix abordable en sera aussi facilitée.

La sortie injuste et injustifiée à ce jour de certains territoires ancestraux de polyculture-élevage des zones défavorisées conduira aussi à des pertes de revenus importantes et à l’arrêt d’exploitations, voire pire. Ce sera le cas dans le Gers pour près de 110 éleveurs, dans l’Aude, dans les Deux-Sèvres, ainsi que dans d’autres départements.

On ne peut l’admettre quand on connaît les territoires concernés, les hommes et les femmes qui y vivent avec autant de peine que de dignité !

Au-delà des dispositifs de sortie déjà annoncés et bien insuffisants, nous avons déposé un amendement ayant pour objet de flécher une augmentation des crédits du PCAE, le plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles, vers les exploitants, ce qui leur aurait permis de maintenir leur activité et leurs revenus, au moins durant une phase transitoire. Cet amendement a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. C’est incompréhensible ! Il ne tendait pourtant pas à aggraver les charges de l’État ou à réduire pas ses ressources !

Par ailleurs, nous pensons que les primes des éleveurs qui restent dans le dispositif baisseront sensiblement. Vous nous direz peut-être ce qu’il en est exactement de leur situation, monsieur le ministre.

Henri Cabanel et moi-même avons travaillé ensemble sur le développement d’outils de gestion des risques. Le texte voté à l’unanimité sur ces travées pourrait utilement être repris, afin de soutenir les revenus agricoles. Vous nous avez dit vouloir avancer sur ce sujet, et nous nous en réjouissons. Mais pourquoi votre budget baisse-t-il les crédits de la réserve pour aléas de 100 millions d’euros, quand, de surcroît, on sait que les 200 millions d’euros restants seront affectés aux apurements communautaires ?

En matière de soutien à la transition agroécologique, la dotation accordée au PCAE diminue de 8 millions d’euros et de 27 % en deux ans, soit une baisse de près d’un tiers. Quel signal voulez-vous envoyer en la matière ?

En ce qui concerne l’Europe, vous nous avez assuré de votre intransigeance à l’égard d’une éventuelle baisse du budget de la nouvelle PAC. Comment allez-vous compenser la diminution des aides annoncée, qui est de 15 % en euros constants, pour que le revenu agricole n’en soit pas affecté ? D’ores et déjà, les effets du Brexit sont sensibles : les 40 équivalents temps plein travaillé que vous prévoyez pour le contrôle des importations anglaises nous paraissent très loin des besoins estimés par les autorités concernées, à savoir 80 ETPT.

Monsieur le ministre, indépendamment de la diminution d’environ 300 millions d’euros de ses crédits, à périmètre constant, et malgré des mesures bienvenues en matière fiscale, ce budget 2019 ne prend pas, ou pas assez, en compte les grandes difficultés des filières, des territoires, des hommes et des femmes.

L’issue du débat déterminera notre appréciation sur cette mission. Nous regrettons cependant que, au titre d’une interprétation très restrictive de l’article 40 de la Constitution, qui ne nous convainc absolument pas sur le fond, certains de nos amendements, pourtant importants, car ils permettaient de prendre en compte les problèmes de nombreux agriculteurs, n’aient même pas pu être discutés. Et je reconnais volontiers, monsieur le ministre, que ce n’est pas de votre fait. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Louault.

M. Pierre Louault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout le monde l’a dit : le budget alloué à l’agriculture n’est pas à la hauteur des enjeux et ne correspond aux besoins ni de l’agriculture ni des agriculteurs français.

Pourtant l’agriculture va mal ! Je voudrais, au moment du vote de ce budget, que l’on n’oublie pas les premiers intéressés : un tiers d’entre eux ne gagne pas la moitié du SMIC, un autre tiers gagne à peine le SMIC, un dernier tiers seulement, tout en travaillant souvent plus de soixante-dix heures par semaine, gagne à peu près convenablement sa vie.

Dans le même temps, nos agriculteurs sont accusés de tous les maux. On les accuse d’être des paysans-pollueurs, qui abîment les sources, la nature, les aliments, alors qu’ils ont consenti d’énormes efforts pour pratiquer une agriculture raisonnée et produire des aliments français,…

Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !

M. Pierre Louault. … aujourd’hui concurrencés par des aliments qui viennent du monde entier et peuvent entrer dans notre pays quasi librement, sans avoir à respecter les normes de production française.

On les accuse aussi d’être des agriculteurs-bourreaux, alors que tout le monde connaît le soin et l’amour que les agriculteurs portent à leurs animaux, et l’on voit l’association L214 mettre le feu aux abattoirs en toute impunité. Comment peut-on ignorer le massacre des loups dans les troupeaux d’ovins, parfois même dans des troupeaux de bovins ? On m’a ainsi rapporté le cas d’un veau naissant, attaqué par un lynx et laissé à l’agonie pendant toute une nuit.

Aujourd’hui, les agriculteurs en ont ras le bol ! Si ce n’était pas suffisant, et vous le savez tout autant que moi, monsieur le ministre, ils subissent une administration omnipotente, qui n’est même plus capable de gérer les règles qu’elle a fixées et de payer les agriculteurs, tant la complexité de ces règles provoque des bugs informatiques.

Aujourd’hui, nombre d’entre eux n’ont toujours pas reçu leurs primes de 2016 et de 2017, alors que l’on sait très bien qu’une partie des réserves de ce budget va servir à payer des pénalités à l’Europe. Ce ne sont pourtant pas les agriculteurs qui sont responsables de ces pénalités. C’est plutôt le ministère qui est incapable de gérer l’agriculture française. Il va donc falloir se ressaisir, et rapidement !

Face à ce malaise paysan, il va falloir apporter un certain nombre de réponses : des réponses pour mettre une barrière à la concurrence des produits qui ne respectent pas les normes françaises et élaborer une loi-cadre pour l’agriculture française, qui fixerait les règles du jeu entre les agriculteurs et les consommateurs français.

N’oublions pas que nos agriculteurs nourrissent tout un pays et qu’ils ont l’impression, aujourd’hui, que ce pays leur en veut.

Il ne faut pas céder à un public de « bobos écolos ». (Marques dapprobation sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.). Celui-ci laisse aux plus pauvres le soin de payer une transition écologique qui est beaucoup trop rapide pour notre pays. Ce qui se passe aujourd’hui dans nos rues en est d’ailleurs quelque peu la conséquence.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Pierre Louault. Les agriculteurs sont prêts à produire des aliments de qualité, il faut simplement leur donner un peu de temps et quelques moyens.

Ces moyens, on ne les trouve pas dans ce budget, mais vous venez d’arriver aux responsabilités, monsieur le ministre,…

M. le président. Il faut vraiment conclure !

M. Pierre Louault. … et les agriculteurs ont confiance en vous. Vous ne devez pas les décevoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. Le temps qui vous était imparti est écoulé, mon cher collègue.

La parole est à M. Daniel Gremillet. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les précédentes interventions ont relayé un message et des interrogations sur la gravité de la situation dans laquelle se trouvent notre agriculture, nos territoires et nos entreprises agroalimentaires.

Pour ma part, je voudrais avoir une pensée pour les événements qui sont en train de se dérouler sur nos territoires en ce moment. La situation est très grave, elle interroge ; je ne voudrais pas qu’elle soit oubliée en cet instant, parce qu’elle nous concerne tous de la même manière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

Monsieur le ministre, lors de votre audition, vous avez commencé votre propos en déclarant que ce budget 2019 n’était pas le vôtre, puisque vous étiez encore dans nos rangs au moment où il a été conçu. J’ai bien compris que vous étiez devenu ministre alors que la construction budgétaire était effectivement déjà quasi finalisée.

Toutefois, je le répète, il y a un an, nous avons entendu des engagements du Président de la République lors du discours de Rungis. Nous avons également connu les États généraux, qui ont fait naître des espérances, qui ont fait travailler, qui ont suscité beaucoup d’agitation dans nos territoires, dans le cadre notamment des ateliers, et qui auraient normalement dû permettre d’aboutir à un texte satisfaisant.

Ce texte a été discuté et voté ici au Sénat, mais le travail des sénateurs a été malmené par le Gouvernement et l’Assemblée nationale. Ainsi, monsieur le ministre, on se rend compte aujourd’hui que le budget 2019, qui devrait normalement mettre en œuvre les dispositions votées dans la loi ÉGALIM, n’a ni cette ambition ni cette perspective.

Vous avez rendu des arbitrages sur la formation des prix dans le cadre de ce texte. Je serai bref sur ce point, car mes collègues y reviendront. Les négociations ont commencé, et je crains que, au mois de janvier ou de février prochain, puisque la fin des négociations commerciales a lieu au mois de février 2019, les espérances du monde rural, celles du monde paysan, mais aussi, quelque part, celles des Français, ne soient déçues.

Je prendrai un autre exemple, celui du titre II de la loi ÉGALIM, qui a créé des charges nouvelles pour notre agriculture. Là encore, on aurait pu espérer que ce budget 2019 prenne en compte ces contraintes nouvelles, cette modernisation qui a été imposée à l’agriculture française, mais pas aux produits alimentaires importés du reste de l’Europe ou d’ailleurs.

Je reconnais, monsieur le ministre, que la ligne budgétaire pour la modernisation de notre agriculture n’est pas en baisse, puisque les crédits augmentent de 2 %. Mais quand on sait le défi qui est lancé à l’agriculture, aux paysans et aux entreprises, on comprend que ce n’est pas une telle hausse qui nous permettra de répondre aux besoins et de régler les situations de distorsion de concurrence !

Je crains sincèrement que le budget 2019 ne mette pas en valeur la Ferme France et que le consommateur ne retrouve pas dans son assiette les promesses qui lui avaient été faites s’agissant des « exigences à la française ».

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Gremillet. Le temps passe très vite, monsieur le président ! (M. le ministre rit.) M. le ministre est content, parce qu’il sait qu’il aura moins à répondre…

M. Didier Guillaume, ministre. Pas du tout !

M. Daniel Gremillet. J’aurais aimé parler de la forêt…

M. le président. Le chronomètre est le même pour tous, mon cher collègue.

M. Daniel Gremillet. C’est vrai ! Monsieur le ministre, pour conclure, j’espère que vous n’oublierez pas les propos que vous teniez ici en tant que sénateur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le ministre, pour apprécier le budget que vous nous présentez aujourd’hui, je partirai du même point que mon collègue Franck Montaugé : le budget 2018 devait être la « première étape d’une transformation sans précédent de l’agriculture française ».

En jetant un œil dans le rétroviseur sur les avancées engrangées depuis ce budget, on se dit que, à ce rythme-là, la transformation prendra du temps ! Or du temps, nous n’en avons guère, puisque, selon une récente étude du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD, et de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, tous les indicateurs sont à l’orange.

Ces deux grands organismes de recherche agronomique ont travaillé sur cinq scénarios d’évolution possible d’usage des terres. Un seul de ces modèles permet de concilier tous les impératifs : préservation de l’environnement, atténuation du changement climatique, garantie d’une alimentation saine et suffisante, développement rural plus inclusif.

Si vous souhaitez réellement aller vers une transformation sans précédent de notre agriculture, c’est sur la voie étroite, certes, mais praticable que ces organismes décrivent, qu’il faut vous engager. Or ce budget semble s’inscrire dans la stricte lignée du précédent : nous n’y trouvons ni les réponses aux grands enjeux de demain ni les solutions aux problèmes d’aujourd’hui.

L’urgence, nous le savons tous, est de garantir un métier rémunérateur aux agriculteurs. Comme l’a justement souligné Franck Montaugé, la question du revenu est l’un des principaux motifs de déception de la loi ÉGALIM, après l’espoir qu’avaient suscité les États généraux l’année dernière.

Avec la suppression programmée de l’exonération des charges patronales pour l’emploi des travailleurs saisonniers, les TO-DE, vous allez encore fragiliser des filières entières. Des voix se sont élevées toute une après-midi sur toutes les travées de cet hémicycle pour vous en faire la démonstration.

Vous nous aviez répondu que, bien qu’il soit sympathique, le dispositif que nous adoptions ne pourrait pas tenir à l’Assemblée nationale. Et plutôt que d’essayer de convaincre les députés de ce que les sénateurs vous avaient fait remonter à l’unanimité, monsieur le ministre, vous vous êtes empressé d’émettre un avis favorable sur l’amendement du rapporteur de l’Assemblée nationale qui tend à éteindre cette exonération en 2021, ce qui est bien dommage.

Puisque vous voulez vous poser en « bouclier » contre l’agri-bashing – cet anglicisme n’est évidemment pas de moi –, vous devriez peut-être commencer à le faire quand vous êtes face aux députés de votre majorité (Mme Sophie Taillé-Polian applaudit.), qui semblent bien mal connaître l’agriculture française ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)

Cette après-midi encore, nous vous ferons objectivement des propositions concrètes et pragmatiques pour améliorer la situation économique de nos exploitations.

Puisque l’avenir se prépare aujourd’hui, nous vous proposerons de rétablir les dotations allouées aux jeunes agriculteurs, qui sont en baisse de 1,3 million d’euros en autorisations d’engagement ; elles apparaissent certes en augmentation de 12 millions d’euros en crédits de paiement par rapport à l’an dernier, mais c’est uniquement pour couvrir les restes à payer des prêts bonifiés supprimés en 2017 !

Aussi la diminution de 1,3 million d’euros en autorisations d’engagement marquerait un coup d’arrêt pour l’année prochaine. Cumulée à celle de l’année précédente, elle correspondrait à une baisse de 3,8 millions d’euros en deux ans, soit 7 % de moins par rapport à 2017.

L’installation et le renouvellement des générations sont des problématiques majeures quand il est question de l’avenir de notre agriculture. C’est pourquoi il faut absolument maintenir les efforts financiers dans ce domaine.

Il manque dans ce budget des mesures volontaristes pour répondre aux difficultés de trésorerie que connaissent de nombreuses exploitations. Aussi, je voudrais vous faire une proposition très simple à mettre en œuvre : le versement mensualisé des aides du deuxième pilier de la PAC.

M. Didier Guillaume, ministre. 200 millions d’euros, sur 7 milliards d’euros au total !

M. Jean-Claude Tissot. Vous avez reconnu lors de votre audition que l’État était aujourd’hui défaillant en matière de versement des aides. Comme mon collègue l’a rappelé, les aides dues au titre de l’année 2016 ne seront versées qu’au début de l’année 2019 en même temps que les aides de l’année 2017.

Toutefois, au-delà de cette défaillance, un versement différé l’année N+2 n’est pas satisfaisant. C’est pourquoi je vous propose de réfléchir à la mise en place d’un paiement mensualisé d’une partie de l’aide annuelle sur les dix premiers mois de l’année : ce serait une bouffée d’oxygène pour les trésoreries des exploitations, et les deux derniers mois de l’année permettraient un ajustement par rapport à l’aide recalculée.

Dans le même ordre d’idée, nous avons voté en première partie du projet de loi de finances un amendement, qui tend à verser 60 % du crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique dès le mois de janvier, afin de prévenir les effets du prélèvement à la source sur ces exploitations. J’espère que cette mesure ne sera pas détricotée à l’Assemblée nationale avec votre appui, monsieur le ministre.

Pour rester sur cette question, je voudrais revenir sur la suppression des aides à la conversion et au maintien de l’agriculture biologique. Vous n’aviez pas répondu à ma question lors de votre audition devant la commission des affaires économiques, ici même, au Sénat.

Aussi, je vous la repose très clairement : quelle différence faites-vous entre ces aides au maintien de l’agriculture biologique et la prime au maintien de vaches allaitantes, par exemple, ou la prime à la brebis ? Pourquoi, d’après vous, le marché doit-il s’équilibrer pour certaines filières, et pas pour d’autres ?

Ces derniers temps, les préoccupations de nos concitoyens en matière de qualité et de sécurité alimentaires, ainsi que leur attention à l’impact environnemental de ce qu’ils consomment, se font plus fortes que jamais. Le modèle de production de l’agriculture biologique constitue l’une des réponses à ces attentes. Les aliments biologiques ne sont pourtant toujours pas accessibles à toutes les bourses : la suppression de ces aides, qui permettaient de rendre ce type d’aliments plus abordable, ne va donc pas dans le bon sens.

Je vous le répète, monsieur le ministre : vous aviez dit ici – nous l’avons tous entendu, puisque nous vous l’avons tous rappelé ! – que vous défendriez ce budget préparé par votre prédécesseur comme si c’était le vôtre. Cela peut se comprendre, mais entre votre prédécesseur et vous, il y a eu la démission de Nicolas Hulot et la sonnette d’alarme qu’il a tirée !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Claude Tissot. J’en termine : monsieur le ministre, qu’allez-vous apporter de différent dans ce ministère, notamment pour hâter la nécessaire transformation de notre modèle agricole ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Chauvin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Christine Chauvin. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs spéciaux, mes chers collègues, les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » pour 2019 laissent une impression mitigée, entre le très peu de positif et une grande déception.

Le monde agricole a des défis à relever, chacun en convient. Or les actes ne sont pas à la hauteur des engagements pris.

Monsieur le ministre, je voudrais manifester ma préoccupation et mon inquiétude pour la dotation de réserve pour aléas climatiques et problèmes sanitaires, qui est en baisse de 100 millions d’euros. L’enveloppe diminue malgré les difficultés actuelles. Les aléas sont de plus en plus fréquents et importants : c’est le cas cette année avec la sécheresse, qui va causer de lourds préjudices. Il est regrettable que la ligne ouverte en 2018 ne serve pas à accompagner les éleveurs, qui subissent de plein fouet les effets de la crise.

Une grande partie de l’agriculture française sinistrée par la sécheresse doit faire face à une situation sans précédent. Certes, comme vous l’avez dit en commission, monsieur le ministre, des aides exceptionnelles sont prévues, mais les compensations versées seront-elles à la hauteur et dans quel délai ? Pour certains départements comme le Jura, par exemple, la première coupe de fourrage a été correcte ; ensuite, hélas, pas de regain et des pâturages complètement grillés ! Envisagez-vous de prendre en compte les pertes liées aux pâturages, monsieur le ministre ?

La réserve pour aléas ne couvre en fait aucun aléa agricole, puisqu’elle sert à financer les apurements communautaires. Nos rapporteurs estiment d’ailleurs à juste titre que cette provision est un alibi, qui vise à masquer des coupes budgétaires. En 2018, quelque 94 % des dépenses de la réserve ont servi au paiement des refus d’apurement communautaire. Cette réserve de crise est en réalité une auto-assurance de l’État financée par des économies réalisées au détriment des agriculteurs. Voilà la vérité ! Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous rassuriez nos agriculteurs, de plus en plus confrontés aux aléas de toute nature.

Notre agriculture est soumise également à des risques sanitaires, comme, en ce moment, le risque de propagation de la peste porcine. Hélas, ce n’est pas la pose de clôtures électriques de part et d’autre de la frontière qui arrêtera le virus ! On voit ici que la notion d’aléa va devenir de plus en plus cruciale.

En lien avec les problèmes sanitaires, je souhaiterais soulever le problème des déserts vétérinaires. En effet, les futurs vétérinaires choisissent de plus en plus fréquemment les soins pour animaux domestiques, délaissant la pratique en élevage. Que prévoyez-vous, monsieur le ministre, pour lutter contre ce phénomène ?

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Marie-Christine Chauvin. Nos agriculteurs travaillent dur pour nous nourrir et assurer notre indépendance alimentaire. Ils méritent notre reconnaissance et notre soutien. Les crédits de la mission qui sont présentés aujourd’hui ne me paraissent pas à la hauteur des enjeux agricoles à venir. Aussi je ne voterai pas ces crédits, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Émorine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Paul Émorine. Monsieur le ministre, je tiens tout d’abord à vous dire que, en tant qu’ancien président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, j’ai beaucoup de plaisir à voir qu’un membre éminent de cette commission soit au banc des ministres, en tant que ministre de l’agriculture.

Nous avons entamé l’examen du budget de l’agriculture. Il est vrai que l’on observe une baisse globale des crédits de la mission de 260 à 300 millions d’euros, ce que nous ne pouvons toutes et tous que regretter. Toutefois, je veux rappeler devant mes collègues que l’agriculture vit une crise structurelle qui dure depuis plusieurs années. Elle n’émane pas de votre gouvernement, monsieur le ministre.

Si nous observons les chiffres des dernières années, on voit que, en 2017, le revenu mensuel moyen d’un tiers des agriculteurs était de 360 euros ; c’est une moyenne, ce qui veut dire que certains agriculteurs gagnaient peut-être 500 euros, alors que d’autres n’avaient peut-être pas de revenus du tout. Un autre tiers gagnait moins de 1 000 euros par mois et un dernier tiers parvenait à dégager un revenu convenable.

C’est cette situation qu’il faut prendre en compte. Sur la période 2007-2018, le secteur de l’agriculture a connu de nombreux suicides. Je vous rends hommage, monsieur le ministre, parce que vous avez insisté vis-à-vis de l’opinion publique dès votre prise de fonction sur cette question dont votre prédécesseur n’avait jamais pris conscience.

La situation du monde agricole est inacceptable. On observe les baisses de crédits du ministère. Les aides de la PAC qui s’élèvent à près de 9 milliards d’euros et qui permettent aujourd’hui de compenser les difficultés vont vraisemblablement baisser.

En 2018, nous n’avons pas encore les comptes des exploitations, mais, en examinant la trajectoire du premier semestre de cette année, on voit que les exploitations agricoles, surtout celles qui sont spécialisées dans l’élevage, ont une trésorerie très faible et ont des problèmes de financement.

En plus du reste, la sécheresse a posé un problème majeur aux agriculteurs, qui n’avaient plus aucun moyen de trouver des aliments pour leurs animaux faute de trésorerie, même si, parallèlement, les collectivités locales se sont mobilisées pour leur apporter des concours financiers.

On voit bien que les dispositions prises vis-à-vis de l’agriculture par le ministère, que ce soit l’exonération de la taxe sur le foncier non bâti ou le fonds de garantie des calamités agricoles, ne sont que des palliatifs par rapport à une crise structurelle.

Monsieur le ministre, le Président de la République a fait une déclaration importante, indiquant vouloir redonner du pouvoir d’achat aux agriculteurs, c’est-à-dire un revenu décent.

Vous étiez présent dans l’hémicycle lors de l’examen de la loi ÉGALIM : ce que nous avons pu constater, c’est que l’objectif qui devait être atteint dans le cadre de la contractualisation après un accord entre les différentes professions n’est pas assez ambitieux. Ici, au Sénat, nous avons regretté que l’on ne puisse prendre en compte l’observatoire de la formation des prix et des marges de FranceAgriMer. Tous ces éléments sont importants pour l’avenir de notre agriculture.

Monsieur le ministre, il faut que vous fassiez valoir que l’agriculture est un patrimoine national. L’agriculture couvre 50 % de la superficie de notre territoire. Comme vous êtes responsable du budget qui lie l’agriculture et la forêt, on peut même parler d’un espace couvrant 80 % du territoire. Il offre une qualité environnementale à nos concitoyens, mais aussi une qualité en termes alimentaires.

Monsieur le ministre, les agriculteurs ne vous demandent pas de faire 35 heures par semaine – ils travaillent plutôt 70, 80 ou 100 heures –, mais simplement de leur assurer à l’avenir un revenu décent, qui leur permette de faire vivre leurs familles correctement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre de lagriculture et de lalimentation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier les différents orateurs de leurs interventions.

On peut, évidemment, ne pas souscrire à ce budget – il me semble, d’ailleurs, que le Sénat ne le votera pas. Mais il y a bien une chose que nous partageons : notre passion pour l’agriculture, pour les agriculteurs et les agricultrices, et la volonté, commune sur toutes ces travées, que l’agriculture se porte mieux demain.

Ce n’est pas simple ! Nous y travaillons, chacun, indépendamment des gouvernements ou des sensibilités politiques, depuis de très nombreuses années. Pourtant le constat est là : le revenu des agriculteurs ne cesse de diminuer depuis vingt ans. C’est la réalité !

M. Didier Guillaume, ministre. Les lois successives – loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, dite « LMAP », loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, loi ÉGALIM – n’y ont rien changé.

On ne peut se réjouir de cette situation. C’est pourquoi j’ai besoin de la représentation nationale, du Sénat et, en particulier, des trente-quatre sénateurs qui sont agriculteurs et qui connaissent bien ce métier. J’ai envie de leur demander : que peut-on faire, ensemble, pour aller encore plus loin que toutes les lois votées, pour améliorer ce revenu des agriculteurs et des agricultrices, qui ne fait que régresser depuis vingt ans ?

Vous avez été plusieurs à reprendre mes propos en commission. Oui, ce budget n’est pas le mien, mais je le fais mien ! Je l’assume totalement, car il répond à la situation actuelle de l’agriculture française. C’est la traduction chiffrée d’une politique, et non l’inverse.

Vous connaissez ma vision globale. Il faut que la France conserve son haut niveau de souveraineté alimentaire, dont nous pouvons toutes et tous être fiers, et que son agriculture rayonne dans le monde.

C’est le cas aujourd’hui ! Notre balance commerciale est encore excédentaire, même si, comme cela a été souligné précédemment, cet excédent diminue depuis plusieurs années, et ce mouvement doit être enrayé. Dans le même temps, il faut produire une nourriture de qualité, au juste prix pour celui qui produit et pour celui qui consomme. Or, depuis plusieurs années aussi, la situation n’évolue jamais en faveur des producteurs.

Aussi, ces crédits permettront d’accompagner les transitions qui ont été évoquées : économique, écologique, sanitaire et sociale. Ils sont suffisants pour développer la filière bois et améliorer la sécurité sanitaire.

Je partage tous les constats dressés au cours de cette discussion générale ; je n’ai rien à y redire. J’ajoute que si ce budget avait été augmenté de 30 %, 40 % ou 50 %, l’on aurait su quoi en faire – c’est, bien sûr, valable pour toutes les missions.

Pour autant, le budget que je défends aujourd’hui devant vous, s’il baisse de 500 millions d’euros en valeur comptable, ne compte, en réalité, en termes de politique effective de développement agricole, pas un centime de moins. En effet, les 400 millions d’euros qui sont transférés sur le PLFSS, ce n’est pas de l’argent en moins pour l’agriculture française. Les 100 millions d’euros de provision pour aléas – j’y reviendrai dans un instant en évoquant la sécheresse –, ce n’est pas de l’argent en moins pour gérer les aléas !

Ce budget est conçu pour relever les défis majeurs de notre agriculture.

Il s’agit de donner un avenir à l’agriculture et de faire du métier d’agriculteur un métier d’avenir.

Il s’agit de faire en sorte que, demain, notre agriculture soit rémunératrice pour les agriculteurs, et – vous avez eu raison de le souligner, sur toutes les travées – c’est loin d’être gagné.

Il s’agit de faire en sorte que, demain, nous puissions amplifier encore cette transition agroécologique que tous appellent de leurs vœux, à commencer par les paysans.

Il s’agit de faire en sorte que, demain, notre haut niveau de sécurité sanitaire soit maintenu.

La provision pour aléas créée en 2018 a été évoquée. Voici les chiffres pour cet exercice 2018 : les apurements communautaires s’élèvent à 178 millions d’euros ; les contentieux représentent 9 millions d’euros ; une somme de 25 millions d’euros est mise sur la sécheresse et 50 millions d’euros sont reportés sur 2019.

En 2019, la totalité de la dotation pour aléas sera consacrée à ces derniers, notamment à la sécheresse. Ce ne sera évidemment pas suffisant, car l’on peut d’ores et déjà considérer que les sommes attribuées à la gestion de cet épisode de sécheresse seront plus proches de 400 millions d’euros que des 200 millions d’euros inscrits au budget. C’est dire s’il faut faire la différence entre la comptabilité publique, ce que l’on inscrit dans un budget, et la volonté politique, c’est-à-dire ce que l’on donne réellement à l’agriculture lorsque celle-ci est touchée.

S’agissant des paiements liés à la politique agricole commune, la PAC, je l’ai dit publiquement, que ce soit à l’Agence de services et de paiement, l’ASP, ou au cours des auditions à l’Assemblée nationale ou au Sénat, il est anormal – c’est une défaillance de l’État – que ces aides ne puissent pas être payées en temps utile, c’est-à-dire au bout d’un an ou d’un an et demi.

L’administration est en échec, et elle n’aime pas que l’on lui dise. Ce n’est pas uniquement de sa faute, d’ailleurs. La complexité est trop grande ! Quand il faut un jour et demi à un agent de la direction départementale des territoires, la DDT, pour étudier un dossier de demande d’aides, ce n’est pas possible ! On compte 9 000 critères ; il faut réduire ce nombre. (Marques dapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous sommes donc tous d’accord pour travailler à la simplification de ces dispositifs.

M. François Bonhomme. Il y a du chemin à faire !

M. Didier Guillaume, ministre. Je sais pouvoir compter sur vous dans cette affaire.

Aujourd’hui, le taux sur le premier pilier atteint 99 %. En revanche, sur le deuxième pilier, l’engagement pris par le Gouvernement en juin dernier ne sera pas tenu. Je ne m’en suis pas caché, par souci de transparence : toutes les aides PAC du deuxième pilier, notamment en bio, ne seront pas payées avant la fin de l’année, mais engagement a été pris au niveau de l’ASP pour qu’elles le soient dans les deux premiers mois de l’année 2019.

Avant d’en venir au budget en lui-même, permettez-moi de m’arrêter un instant sur les propos, très justes, que Franck Montaugé a tenus avec beaucoup de conviction. Aujourd’hui, les agriculteurs et les agricultrices de France sont dans la peine, et cela – je leur rends hommage pour cela – dans la dignité. La situation est dramatique.

C’est pourquoi je veux dire à nouveau, même si c’est du patois breton, alsacien ou bourguignon, que l’agri-bashing n’est plus possible ! Cet agri-bashing, ce n’est pas le Gouvernement qui l’entretient, ni les parlementaires ; il est le fait de la société tout entière.

Pour ma part, je ne laisserai jamais traiter un paysan de pollueur ! Je ne laisserai jamais traiter un paysan d’empoisonneur ! Je me suis rendu à Rethel, dans les Ardennes, pour rouvrir un abattoir. Je n’ai pas peur de dire que nous avons besoin d’une filière d’élevage et d’abattoirs qui fonctionnent bien, en toute sécurité.

Quoi qu’il arrive, le Gouvernement soutiendra les agriculteurs face à cet agri-bashing,…

M. François Bonhomme. Et face aux lobbys qui l’entretiennent !

M. Didier Guillaume, ministre. … car celui-ci n’est plus supportable.

Dernièrement encore, j’ai réagi à la publication d’une organisation sur ce que l’on appelle les « fermes usines ». Que ce soit au Gouvernement ou ici, nous défendons, toutes et tous, la tradition des exploitations familiales. Certaines entreprises agricoles sont plus grandes que d’autres. Mais une exploitation agricole comptant six ou huit salariés associés et cent à cent cinquante têtes de bétail, ce n’est pas une ferme usine ; c’est une exploitation familiale, avec des associés ! Je veux le dire avec force, ici, devant la représentation nationale.

De même qu’ils sont ulcérés par l’agri-bashing, les agriculteurs sont aujourd’hui fatigués par toutes ces crises, que, malgré les années, on ne parvient pas à régler. Ainsi, ayant par le passé cosigné un texte de loi sur la gestion des aléas en agriculture, je souhaite que nous puissions, dans les mois à venir, remettre l’ouvrage sur le métier.

Comme je l’indiquais à l’instant, le Gouvernement a pris la mesure de la situation actuelle, eu égard à la sécheresse. Il aidera, autant que faire se peut, les agriculteurs. Je rappelle le chiffre annoncé – autour de 400 000 euros selon les prévisions actuelles. J’ai reçu un certain nombre d’acteurs, notamment le président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, l’APCA, qui compte engager un travail collectif pour avancer sur la question.

Enfin, les agriculteurs sont inquiets pour leurs revenus, et c’est le point essentiel qui doit nous occuper ici. Les négociations commerciales sont ouvertes. Elles dureront trois mois et, vraisemblablement, leur résultat sera le même que d’habitude.

Je veux le dire à cette tribune de la Haute Assemblée, ce n’est pas possible ! Non, on ne peut pas envisager que les négociations commerciales se passent comme celles des années passées ! Si tel est le cas, il faudra s’attendre à des fermetures d’exploitations agricoles par centaines, voire à pire, et moi, je ne veux plus entendre parler – Jean-Paul Émorine a eu la gentillesse d’évoquer le sujet – d’un suicide de paysan tous les deux jours, tous les cinq jours ou toutes les semaines.

C’est pourquoi, dès la semaine prochaine, je vais réunir l’ensemble de la filière, de l’amont à l’aval, – producteurs, transformateurs, industriels, distributeurs –, et, avec mon collègue de Bercy, nous allons mettre la pression sur ces négociations commerciales.

Plusieurs orateurs ont fait remarquer que la loi ÉGALIM n’avait pas produit ses effets. C’est forcé, car cette loi n’est pas encore en application. Les ordonnances ne sont pas prises. Par ailleurs, ces dispositions seront-elles suffisantes ? Je ne sais pas, mais j’ai la ferme volonté d’avancer, et le Gouvernement ne cessera pas de défendre le revenu des agriculteurs.

Sur la question de l’Europe, les agriculteurs sont crispés. Ils ont l’impression que celle-ci n’est pas vraiment pour eux, en dépit des quelque 9,5 milliards d’euros d’aides. En effet, le poids des normes et des contrôles leur semble chaque fois plus lourd.

Par ailleurs, la France est bien prête à affronter le Brexit, qu’il soit plus ou moins dur. Des postes ont déjà été créés dans les services de douane et les services vétérinaires, mais ce n’est pas dans ce budget que les autres postes seront ouverts. Nous examinerons la question avec le coordinateur national Brexit et, évidemment, l’État sera amené à recruter du personnel pour les contrôles douaniers ou vétérinaires.

Ce budget entend aller dans le sens du développement économique, avec une ambition : non pas mieux avec moins – je réponds à Mme Cécile Cukierman –, mais mieux avec autant ! Ce budget n’est pas en déprise ; il présente un montant inchangé par rapport à l’année dernière.

L’agriculture biologique a beaucoup été évoquée. Nous avons fait le choix de mettre tout le paquet sur la conversion, plutôt que sur les aides au maintien. Nous pensons, en effet, que la transition vers l’agroécologie ne peut se faire uniquement via des aides sur cinq ans, mais qu’il faut encourager, aussi, les jeunes à se tourner vers le bio. À ce titre, j’ai pris l’engagement, devant le syndicat des jeunes agriculteurs, les JA, et l’ensemble de la profession, que les aides à l’installation ne seraient pas revues à la baisse en cas de réduction des recettes liée à l’actuel épisode de sécheresse.

Pour répondre au rapporteur spécial Alain Houpert, le budget du fonds Avenir bio a été doublé ; le plan Ambition bio est doté de 1,1 milliard d’euros. On ne peut donc pas dire que rien n’est fait en matière d’agriculture biologique.

Je ne veux pas m’appesantir sur toutes les mesures fiscales. Vous savez très bien l’utilisation que nous ferons du Grand Plan d’investissement. Les baisses fiscales seront très fortes. Nous voulons aider à la compétitivité des entreprises de transformation alimentaire.

Quant à l’épargne de précaution, ce n’est pas rien ! La simplification était demandée par la profession ; elle a été mise en place dans ce budget. Certes, il sera compliqué d’épargner, pour ceux qui subissent actuellement la sécheresse et d’autres aléas, mais cette épargne de précaution est bien inscrite dans le budget. Il faudra avancer sur le sujet, car cela aura un effet positif dans de nombreux secteurs.

Plusieurs questions ont été posées à propos du secteur forêt-bois. Le 16 novembre dernier, un plan d’action concernant la filière a été présenté et un contrat de filière signé. Pour répondre aux inquiétudes exprimées sur l’ONF, je réaffirme ici que cet organisme public est un formidable outil, que nous devons conserver. Son modèle économique est très fragile – deux orateurs ont évoqué une dette exorbitante et un problème de gouvernance. Nous travaillons actuellement sur le sujet et serons à même de faire des propositions dans les semaines à venir. Franck Menonville a eu la gentillesse de signaler que plus de 250 millions d’euros dotaient ce fonds.

L’objectif en matière de politique sanitaire – je m’adresse plus particulièrement à Mme Françoise Férat – est de répondre aux enjeux de santé publique et de protéger notre agriculture. La France est en avance sur tous les autres pays dans ce domaine – ce n’est pas forcément rassurant ; on préférerait sans doute voir certains pays progresser également. Elle promeut l’interdiction de certains produits phytosanitaires, et ses propositions sont souvent suivies. Je pense, notamment, à la récente interdiction du méthamsodium.

Nous comprenons la crainte qui s’exprime à propos des accords internationaux. C’est précisément pour cette raison, du fait d’une trop grande disparité avec les pays composant cet ensemble, que la France refuse de signer les accords avec le Mercosur.

Il en va de même pour le Brexit et, plus particulièrement, pour le secteur de la pêche, évoqué par le sénateur Jean-Pierre Moga. Quoi qu’il arrive, les pêcheurs ne rencontreront aucune difficulté dans les deux ans à venir et, évidemment, nous nous battons – l’ensemble des membres du Gouvernement, dont Nathalie Loiseau – sur tous ces sujets. Le Président de la République a annoncé, lors du dernier conseil européen, que la pêche ne pourrait pas être la variable d’ajustement dans le cadre des discussions sur le Brexit et du débat européen.

Telles sont les réponses que je pouvais vous apporter, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’aborder l’examen des amendements.

Le Sénat risque fort de ne pas voter ce budget, mais cela ne nous empêchera pas, tout au long de l’année, de travailler ensemble au développement de notre agriculture et, de nos exploitations agricoles, afin que notre agriculture continue de rayonner en Europe et dans le monde. C’est ce qui nous est le plus cher.

Si, en plus, nous gagnons le pari de cette lutte incroyable pour une meilleure rémunération des agriculteurs, alors nous aurons fait œuvre utile pour l’agriculture française. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales - Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
État D (début)

M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », figurant à l’état B.

ÉTAT B

(En euros)

Mission

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales

2 831 337 110

2 920 382 846

Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture

1 676 788 142

1 759 009 529

Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation

537 125 584

536 225 584

Dont titre 2

308 959 606

308 959 606

Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture

617 423 384

625 147 733

Dont titre 2

555 574 243

555 574 243

M. le président. L’amendement n° II-112 rectifié, présenté par MM. Montaugé, Cabanel, Tissot, Botrel et Kanner, Mme Artigalas, M. M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, M. Iacovelli et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture

9 400 000

 

9 400 000

 

Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation

dont titre 2

 

 

 

 

Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture

dont titre 2

 

9 400 000

 

9 400 000

TOTAL

9 400 000

9 400 000

9 400 000

9 400 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Cet amendement vise à maintenir le niveau des autorisations d’engagement du plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles, ou PCAE, à hauteur de 71 millions d’euros.

Les aides liées au PCAE servent à moderniser l’appareil de production, innover, combiner les performances économiques, environnementales et sociales. Elles favorisent aussi l’installation des jeunes agriculteurs, ce qui n’est pas négligeable.

Désormais, ces aides sont intégrées, au niveau de leur financement, dans le Grand Plan d’investissement évoqué par le ministre.

Toutefois, ce plan n’est pas encore réellement mis en œuvre. Les moyens débloqués en 2019 apparaissant encore faibles, à savoir 158 millions d’euros en autorisations d’engagement et 216 millions d’euros en crédits de paiement, sur les 5 milliards d’euros annoncés sur la période 2018-2022. Il nous apparaît donc nécessaire, dans un premier temps et a minima, de maintenir les autorisations d’engagement à un niveau similaire à celui de 2018.

Je rappelle que, en 2017, les autorisations d’engagement pour le PCAE s’élevaient à 84,5 millions d’euros, après avoir connu une augmentation de 77 % en cinq ans, sous le précédent quinquennat. Si le niveau des aides était maintenu en l’état dans le présent PLF, nous enregistrerions une baisse de 23 millions d’euros, soit près de 30 % en deux ans. Ce serait un signal contraire aux propos du ministre sur la nécessité d’une transition.

Le groupe socialiste et républicain avait présenté un amendement visant à flécher des crédits PCAE vers les exploitations sortant du dispositif des indemnités compensatoires de handicaps naturels, ou ICHN. L’article 40 de la Constitution est passé par là, mais je tiens tout de même à évoquer ce sujet. Nous pensons, monsieur le ministre, que vous avez la latitude de procéder à ce fléchage pour ces cas particuliers, qui le méritent, car les exploitants sont en grandes difficultés.

Tout cela, c’est sans parler des prestations pour services environnementaux. Je ne les ai pas évoquées en discussion générale, mais elles le seront dans le cadre de la future PAC et pourraient permettre à l’agriculture française d’être reconnue pour tout ce qu’elle apporte à la société, dans son ensemble !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Cette mesure serait un bon signal adressé aux exploitations en mal de financement et qui, souvent, sont aussi en mal d’autofinancement. Cela appelle une action publique, à laquelle le PCAE peut contribuer. À cet égard, Bpifrance doit être encouragée dans son action.

La commission émet donc un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Didier Guillaume, ministre. Je ne suis pas opposé à cette mesure, mais, comme je l’ai souligné précédemment, toutes les aides à l’investissement décidées par le Gouvernement entrent désormais dans le cadre du Grand Plan d’investissement. Cette année, il y avait 58 millions d’euros, et ce montant restera probablement inchangé en 2019.

Dès lors que, sur un plan stratégique, on choisit d’inscrire ces crédits dans le Grand Plan d’investissement, il n’y a pas lieu de les intégrer ici.

Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Je tiens à soutenir fortement cet amendement de Franck Montaugé, qui a pour objet l’investissement.

Dans l’une de ses dimensions, cet investissement concerne le secteur de la forêt. Vous venez, monsieur le ministre, d’évoquer l’ONF de manière un peu générale. Il est clair que la situation de la filière bois est très difficile, tout comme la situation budgétaire de cet organisme. Je ne prendrai qu’un exemple, qui pourra paraître ponctuel, mais qui préoccupe un certain nombre d’habitants et d’élus dans mon département du Loiret.

L’arboretum des Barres, créé par la famille Vilmorin, à Nogent-sur-Vernisson, rassemble 10 000 arbres, représentant plus de 2 000 espèces différentes. Ce site, unique au plan international, est géré par l’ONF, lequel nous a appris, voilà quelques semaines, qu’il ne disposait plus des moyens de présenter au public ce patrimoine très précieux. C’est dire combien la situation est tendue !

Je voulais appeler votre attention sur cette question précise, monsieur le ministre, et vous demander si vous pouviez nous donner quelques assurances ou même nous dire que vous allez vous intéresser au sujet. Je sais en effet que vous aimez les arbres ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Didier Guillaume, ministre. Je vais très brièvement répondre à M. Jean-Pierre Sueur, qui a profité d’une explication de vote qui n’en était pas une pour aborder le dossier de cet arboretum situé dans le département du Loiret.

Nous en avons déjà parlé ensemble, monsieur le sénateur, mais je confirme devant cette assemblée que, à la suite de votre interpellation et à celle de M. Jean-Pierre Door, j’examinerai ce dossier.

M. Jean-Pierre Sueur. Merci, monsieur le ministre. J’avais déposé un amendement sur la question, mais, hélas, il y a eu un abattage d’amendements au titre de l’article 40 !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-112 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° II-326 rectifié, présenté par Mmes Grelet-Certenais, Taillé-Polian et Rossignol, M. Daudigny, Mmes Préville, Meunier et Conway-Mouret, MM. Tissot, Madrelle, Marie, Assouline et Lurel et Mme Monier, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture

8 000 000

 

8 000 000

 

Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation

dont titre 2

 

 

 

 

Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture

dont titre 2

 

8 000 000

 

8 000 000 

TOTAL

8 000 000

8 000 000

8 000 000

8 000 000

SOLDE

0

0

La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Cet amendement, auquel Mme Nadine Grelet-Certenais tient tout particulièrement, tend à mettre en place un « bonus cantine bio et locale ».

Il s’agirait d’un bonus temporaire, pour encourager certaines collectivités ayant du mal à s’engager dans des dispositifs permettant la délivrance de produits bio ou de qualité, notamment dans les cantines scolaires, de mettre le pied à l’étrier.

Voilà plusieurs années, voire une dizaine d’années, avec les lois issues du Grenelle de l’environnement, que les parlementaires, ici comme à l’Assemblée nationale, fixent des objectifs dans ce domaine. Malheureusement, force est de constater que, malgré la bonne volonté affichée par certaines collectivités ou les actions très fortes que celles-ci peuvent mener, le taux de nourriture bio proposée dans les restaurants collectifs atteint 3,5 % seulement.

Autrement dit, certains font, avec un grand volontarisme et beaucoup de réussite, et d’autres – ils sont les plus nombreux – n’arrivent pas à faire, par manque de formation de leur personnel ou manque de moyens.

Il serait bon de mettre en place un fonds dédié à ce bonus, afin de lancer une dynamique dans un certain nombre de collectivités, et ce d’autant que la loi ÉGALIM fixe un objectif de 20 % de produits bio, mais aussi un objectif de 50 % de produits sous signe de qualité.

On peut lire parfois que les produits bio ne sont pas plus chers, que de nombreuses collectivités atteignent l’objectif sans forcément enregistrer des surcoûts. C’est souvent parce que les produits bio utilisés viennent de loin. Il est certain que des pommes bio en provenance de Pologne risquent de ne pas forcément causer un surcoût important. Mais est-ce vraiment cela que nous voulons ?

Nous avons inscrit dans la loi que nous souhaitions, notamment pour nos enfants dans les cantines, des produits de qualité, des produits sous label. Reconnaissons qu’une volaille sous label rouge coûtera plus cher qu’une volaille conventionnelle !

Il y a donc bien une question de coût à traiter, si nous voulons sortir des vœux pieux et des démarches trop limitées, si nous voulons faire en sorte que toutes les collectivités s’y mettent et que le plus grand nombre possible d’enfants dans les cantines scolaires – un jour peut-être, ce sera les hôpitaux ou d’autres structures collectives – puisse enfin avoir accès aux produits de l’agriculture biologique et aux produits reconnus par les meilleurs signes de qualité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Je ne vais pas refaire le débat de la nourriture bio dans les cantines scolaires, qui concerne plus les zones urbaines que la ruralité, où il peut être plus facile de prendre certaines dispositions. La commission est favorable à cet amendement et demandera le retrait de l’amendement n° II–97 rectifié, qui n’a pas encore été défendu, à son profit.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Didier Guillaume, ministre. L’avis du Gouvernement sera défavorable, et même très défavorable. Je vais vous en donner les raisons, moi qui ai fait de mon département, pendant une quinzaine d’années, le premier département « bio » de France, avec 50 % de produits bio proposés dans toute la restauration collective.

Si le premier signe que l’on donne consiste à dire qu’il faut mettre plus d’argent pour plus du bio, la bataille est perdue !

Lorsque le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale, notamment M. Matthieu Orphelin, élu de La République En Marche, a présenté un amendement en tout point pareil – le sujet est bien connu, j’ai rencontré Audrey Pulvar et je sais comment tout cela fonctionne… –, j’ai réussi à éviter que cette disposition ne passe. Ce serait en effet un très mauvais signal !

La première chose à faire, c’est de mieux former. La deuxième chose, c’est d’engager un travail avec les chambres d’agriculture et les gestionnaires. La troisième chose, c’est d’utiliser les moyens que nous confèrent les lois dont nous disposons.

Avec Bernard Buis, mon collègue sénateur, que je salue bien volontiers, puisque c’est la première fois que je le rencontre dans cet hémicycle, j’ai monté la plateforme Agrilocal, aujourd’hui présidée par l’excellent Jean-Yves Gouttebel, président du conseil départemental du Puy-de-Dôme. Cette plateforme le montre parfaitement : cela ne coûte pas plus cher de proposer du « bio » dans les cantines, ou alors c’est que l’on est en train de faire autre chose…

Pour ma part, je suis partisan de donner de l’ambition et de forcer tous les agents sur les territoires – agriculteurs, enseignants, gestionnaires – à se lancer dans cette aventure.

Après cet amendement, on demandera des aides pour le financement des légumeries, et ainsi de suite… L’enjeu n’est pas là ! L’enjeu, c’est la transition agroécologique. Si nous progressons dans cette voie, nos enfants mangeront dans bons produits dans les cantines.

Autre point, ce qui me fait bien rire, c’est que l’on ne parle que des cantines scolaires. Mais quand la Ferme France donne, il n’y a personne dans les écoles et les cantines parce que ce sont les vacances scolaires ! On ferait mieux de s’engager sur la restauration collective de manière générale – les hôpitaux, les administrations, l’armée, etc. L’enjeu est là !

M. Didier Guillaume, ministre. J’ai déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle, la loi ÉGALIM n’est pas plus ambitieuse que les dispositions issues du Grenelle de l’environnement. Les taux sont identiques. Mais nous n’avons pas réussi dans la décennie écoulée depuis Jean-Louis Borloo. Aussi, avançons, afin d’atteindre cet objectif de 50 % de produits de qualité dans toutes nos cantines !

Enfin, je fais toujours attention quand on mentionne de tels produits… Pardonnez-moi de le dire, mesdames, messieurs les sénateurs, mais, dans nos cantines, on mange des produits de qualité ! L’agriculture française, en effet, fournit des produits de qualité ! (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.

M. Daniel Gremillet. Je partage complètement l’avis du ministre. C’est d’ailleurs pour cette raison que notre groupe a voté l’amendement n° II–112 rectifié de Franck Montaugé. Cette disposition avait du sens ! Elle n’opposait pas les agricultures. Elle permettait de susciter des envies, de donner aux différents types d’exploitations des capacités de modernisation et d’adaptation. À elles, ensuite, d’affronter le marché, le bio comme le reste !

Sur ce sujet, nous vous rejoignons donc totalement, monsieur le ministre – cela arrive ! Ne nous trompons pas de message. Je l’ai dit dans mon intervention en discussion générale, et Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, l’a aussi évoqué, le groupe Les Républicains juge nécessaire d’afficher des crédits supplémentaires au niveau de ces lignes budgétaires, qui, même si elles sont en légère augmentation aujourd’hui, ne suscitent pas l’ambition.

Je me réjouis de la position de M. le ministre. Nous sommes nous aussi opposés à cet amendement, considérant qu’il est satisfait par le précédent.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Pour être très honnête, cet amendement me pose un problème politique. Lors de l’examen de la loi ÉGALIM, nous sommes un certain nombre, dans mon groupe, mais pas seulement, à avoir cherché à faire la démonstration que passer à 20 % de bio dans la restauration collective ne coûterait pas plus cher demain aux collectivités, et que, pour répondre à cette exigence, il fallait aider la filière à investir, l’accompagner dans la structuration de son fonctionnement et de son organisation, travailler avec elle sur l’aide à la reconversion.

Tel était le but des amendements que nous avions déposés.

Parce que nous connaissons bien en région cette problématique, j’irai jusqu’à dire qu’il faudrait même mettre sur pied des plateformes que les agriculteurs bio fourniraient, à charge pour les responsables des différents lieux de restauration collective – dans les collectivités territoriales, dans les grandes administrations publiques, dans les entreprises disposant encore d’un restaurant d’entreprise – de venir s’y approvisionner sereinement, sans risque de rupture.

Je ne remets pas en cause l’objectif des auteurs de cet amendement, mais je crois qu’il va à l’encontre de ce que nous voulons et à l’encontre de la volonté d’un certain nombre de maires, depuis des années, de s’approvisionner en produits bio sinon locaux, du moins d’origine régionale. Souvent, ce qui explique le prix plus élevé des productions locales, c’est la difficulté à garantir un approvisionnement suffisant au regard des quantités commandées.

Comme je l’ai dit dans mon intervention générale, autant certains programmes sont sous-dotés et mériteraient davantage de crédits, autant il faudrait accompagner, encourager et même, parfois, obliger certaines régions à mieux investir dans cette filière. Mais je ne pense pas que l’adoption de cet amendement permettrait de traiter l’enjeu du bio dans les cantines et la restauration publique.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.

Mme Sophie Taillé-Polian. Je livrerai quelques éléments supplémentaires.

La loi ÉGALIM prévoit 20 % de bio, mais également 50 % de produits « sous signes de qualité » : un label, une indication géographique protégée, une appellation d’origine protégée. Or, en général – et vous me direz si je me trompe –, cette contrainte entraîne un coût supplémentaire.

M. Didier Guillaume, ministre. Non !

Mme Sophie Taillé-Polian. Autre chose : j’ai dirigé non pas un conseil départemental, monsieur le ministre, mais une régie publique de restauration collective.

Quand nous faisions des tests afin de choisir les produits, nous en trouvions certains qui n’étaient pas de qualité. Ils provenaient non pas forcément des agriculteurs, mais plutôt d’une certaine industrie agroalimentaire, qui propose à la restauration collective des produits à bas coût et avec des niveaux de qualité, y compris nutritionnelle, souvent différents selon les prix.

Comme dans bien d’autres domaines, il existe un certain nombre de gammes et de niveaux de qualité. Pour en avoir goûté certains, je puis vous certifier que ces produits n’étaient pas tous d’une qualité identique. C’est pourquoi il faut aider les collectivités à investir dans la qualité.

C’est vrai, nous ne pouvons plus nous en tenir à des vœux pieux. Mais, comme vous le dites vous-même, monsieur le ministre, cela fait dix ans que l’on en parle.

M. Didier Guillaume, ministre. Cela ne relève pas de la loi !

Mme Sophie Taillé-Polian. C’est vrai, certains le font. Mais parce qu’une commune aurait ouvert pour la première fois une crèche ou tout autre service public seule, sans aucune subvention, faudrait-il alors ne jamais subventionner aucune autre crèche, aucun autre service public similaire ? Il faut prendre en compte la réalité : la réalité, aujourd’hui, c’est 3,2 % de bio en moyenne et une inégalité majeure entre les collectivités qui se sont engagées dans cette voie et les autres, celles qui n’ont pas pu ou, pour certaines, pas voulu s’y engager.

Il ne s’agit pas pour nous d’arroser tout le monde ; nous voulons simplement inciter à s’engager dans des démarches volontaristes. S’il faut cibler des actions de formation des personnels, monsieur le ministre, alors faisons-le !

De toute manière, ce n’est pas avec 8 millions d’euros que l’on va pouvoir aider toutes les cantines de France et de Navarre à atteindre 50 % de bio et de produits de qualité ; il s’agit de leur mettre le pied à l’étrier, de les aider à aller au-delà des vœux pieux. Cela fait dix ans que nous en parlons sans que rien ne se passe. Soyons pragmatiques !

M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.

M. Laurent Duplomb. La problématique que tend à soulever cet amendement va bien au-delà.

Pour prendre l’exemple des cantines scolaires de mon département, le coût d’un repas au collège se monte à un peu plus de 8 euros, la part des produits ne représentant même pas 2 euros de ce total. Ce n’est donc pas un problème de subventions ; il faut simplement changer de méthode et d’organisation.

Aujourd’hui, la totalité des produits consommés dans les collèges et dans les lycées provient d’une plateforme qui échappe complètement aux décisions politiques du conseil départemental ou du conseil régional. Son but est de sans cesse massifier le marché, pour tenter de faire baisser les prix au maximum.

On voudrait aujourd’hui favoriser les produits de qualité en restauration hors foyer, mais commençons déjà par favoriser les produits français ! En effet, pour ne prendre que cet exemple, 80 % des poulets consommés hors foyer proviennent soit de la Pologne, soit du Brésil. Pour la viande bovine, ce chiffre se situe entre 40 % et 50 %. Cessons de nous flageller et de nous focaliser sur le bio, les labels ou les autres signes distinctifs. Puisque les repas des cantines sont financés par des contributions ou par l’impôt des Français, il faut qu’ils soient fournis par nos producteurs, soumis à nos propres normes.

Monsieur le ministre, nous allons, à l’occasion de l’examen d’un prochain amendement, aborder la question du contrôle à l’importation de denrées alimentaires. Alors même que le CETA n’a pas encore été ratifié par le Parlement, déjà l’Europe importe des produits canadiens contenant quarante et une substances interdites en France. C’est le principe même de tous ces accords ! Faisons ce qu’il faut pour que ce ne soit pas possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Joël Guerriau applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.

Mme Angèle Préville. À l’heure où nos concitoyens attendent une amélioration sensible de la qualité des repas servis en restauration collective scolaire – l’enjeu est très important, puisqu’il s’agit de nos enfants –, nous devons absolument faire en sorte que les collectivités soient accompagnées de manière significative et très concrète. Ceux qui gèrent les restaurants collectifs peuvent être démunis, être freinés de multiples façons : il faut donc absolument débloquer ces situations.

Les choses ne sont pas simples, nous le savons tous : il faut chercher des producteurs locaux, s’assurer de la conformité des produits, contractualiser. Il faut aussi veiller à l’équilibre des budgets. C’est un important travail supplémentaire qui est demandé à ces collectivités. Ce bonus pourrait donc aider tous ces restaurants à s’engager dans cette voie.

Ces aides sous forme de bonus non seulement sont incitatives, mais peuvent aussi permettre de vaincre des réticences, de manière que tous les acteurs puissent envisager cette transition avec sérénité.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Ce sujet est particulièrement sensible, compte tenu du contexte dans lequel évolue l’agriculture, ainsi que bien d’autres secteurs d’activité.

Monsieur le ministre, vous avez fait référence au savoir-faire de nos agriculteurs et avez même évoqué le département que je représente.

La restauration collective en milieu scolaire, de la maternelle jusqu’au lycée, est du ressort des collectivités territoriales – communes, intercommunalités, départements, régions, selon les compétences de chacune d’entre elles. Se pose aussi le problème des marchés publics. Dans les Ardennes, mais cela vaut malheureusement pour de nombreux autres départements, les organisations syndicales agricoles sont très mécontentes, faute pour les agriculteurs de pouvoir fournir les établissements scolaires, alors même qu’ils proposent des produits de qualité. C’est vraiment contradictoire !

Sans doute faudrait-il également simplifier les règles applicables aux marchés publics. Posons-nous les bonnes questions. Je comprends donc nos collègues agriculteurs, que je soutiens moi aussi.

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour explication de vote.

M. Bernard Buis. Voilà encore quinze jours, j’étais gestionnaire de collège, donc soumis aux directives de notre collectivité de rattachement, à savoir le département. Celui-ci souhaitait que soient servis davantage de produits locaux et de produits bio.

À cette fin, nous avons adhéré à une plateforme, de manière à mettre en rapport les gestionnaires avec les fournisseurs potentiels dans un périmètre de 20 à 30 kilomètres – quelque 50 % de nos approvisionnements provenaient d’un fournisseur situé à moins de 20 kilomètres. Nous avons ainsi pu surmonter les problèmes de marchés publics. C’est donc faisable ; seule suffit la bonne volonté des gestionnaires. Peut-être faut-il les former quand ils ne le sont pas. Mais il faut aussi que les collectivités locales donnent des directives dans ce sens.

Le recours à des groupements d’achats a permis que chaque repas servi dans un collège de l’Ardèche revienne à 2,10 euros. Nous avions fait le choix de goûter les produits à l’aveugle et d’éliminer ceux qui n’étaient pas bons, indépendamment du prix. Cela fonctionne et cela permet de servir toujours les meilleurs produits, si possible locaux.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-326 rectifié.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° II-97 rectifié, présenté par Mmes Lienemann et Benbassa, n’est pas soutenu.

L’amendement n° II-92, présenté par M. Duplomb, Mme Férat et M. Cabanel, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture

 

2 600 000

 

2 600 000

Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation

2 600 000

 

2 600 000

 

dont titre 2

2 600 000

2 600 000

Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture

dont titre 2

 

 

 

 

TOTAL

2 600 000

2 600 000

2 600 000

2 600 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Les dispositions de cet amendement font suite à plusieurs événements.

Le projet de loi de finances prévoit de financer le recrutement de 40 ETP supplémentaires pour renforcer les contrôles sanitaires à l’importation de denrées alimentaires après le Brexit. Monsieur le ministre, vous nous dites pouvoir assurer cette sécurité sanitaire. Aussi, je vous pose franchement la question : pensez-vous que ce sera possible avec seulement 40 ETP ?

Le ministre Darmanin, à qui j’ai posé la même question, m’a répondu qu’il avait rendu son arbitrage sur la demande effective de la Direction générale de l’alimentation, la DGAL : selon lui, ces 40 ETP correspondent exactement à la demande que celle-ci a formulée. Or, nous avons eu le plaisir d’auditionner le directeur de la DGAL en commission, et celui-ci nous a déclaré avoir demandé non pas 40 ETP, mais au moins 80, soit le double. Excusez du peu !

Au cours de la discussion, je lui rapporte les propos du ministre Darmanin, selon lequel nous n’aurions à contrôler aux frontières que les produits entrants, et non les produits sortants. Le directeur me répond par la négative, indiquant que les produits sortants devront obligatoirement être conformés et donc faire l’objet d’un avis, afin de déterminer s’ils répondent aux normes de qualité et aux spécifications définies.

Immédiatement, mes collègues rapporteurs pour avis Françoise Férat et Henri Cabanel et moi-même lui avons demandé à combien d’ETP il estimait ses besoins pour faire correctement le travail, si 80 ne suffisent pas. Le directeur général de l’alimentation nous a alors fait cette réponse hallucinante : au moins 900 ETP ! (Exclamations.)

M. Didier Guillaume, ministre. Non ! Ce n’est pas exact !

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Les deux rapporteurs pour avis sont présents dans cet hémicycle et pourront vous confirmer que c’est exactement ce qu’il nous a été dit.

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. Absolument !

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Je veux bien que le directeur général de l’alimentation ait des problèmes avec les chiffres, mais c’est en tout cas ce que j’ai entendu au cours de cette audition, que j’ai conduite.

Étant raisonnable – quoique ! –, je ne demande pas la création de 900 ETP. En revanche, il serait important de faire preuve d’un peu plus de réalisme et d’envisager plus que 40 ETP pour assurer les contrôles sanitaires aux frontières. Nous demandons que ce chiffre passe à 80.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Avec mon collègue Yannick Botrel, j’ai rédigé un rapport sur la sécurité alimentaire…

M. Didier Guillaume, ministre. Un excellent rapport !

M. Alain Houpert, rapporteur spécial. … pour lequel nous avons auditionné le directeur général de l’alimentation.

Monsieur le rapporteur pour avis, la commission est favorable à votre amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Didier Guillaume, ministre. Je ne pense pas que M. Dehaumont ait parlé de la nécessité de 900 ETP pour la période post-Brexit. Ce qui est certain, c’est que, pour garantir la sécurité sanitaire, il faudra procéder à des recrutements dans les services vétérinaires au cours des dix prochaines années ; Mme Férat l’a dit.

Vraisemblablement, nous sommes d’accord, ces 40 ETP ne seront pas suffisants, pour les raisons que j’ai indiquées en commission. Une fois que le coordinateur interministériel pour le Brexit aura établi un bilan global, nous connaîtrons le chiffre des recrutements supplémentaires nécessaires – cinquante, soixante, cent ETP, je ne sais pas –, lesquels seront financés non pas sur le budget du ministère de l’agriculture, mais sur le budget général.

Certes, on peut toujours augmenter les effectifs des services vétérinaires et recruter toujours plus de fonctionnaires. Mais sachez que la France est prête à exercer ses contrôles et à surveiller la situation, et qu’il ne se passera rien entre le 29 mars et le 1er avril. On n’assistera pas à un déferlement sur la France de camions remplis de denrées avariées.

L’État fera ce qu’il faudra faire. À ce stade, je ne puis vous indiquer quels seront les besoins. Et encore une fois, je ne pense pas que M. Dehaumont ait parlé de 900 ETP supplémentaires.

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. Si, je vous le confirme !

M. Didier Guillaume, ministre. Je ne remets pas en cause ce que vous affirmez, vous et vos deux collègues rapporteurs pour avis ; simplement, il a dû mal s’exprimer.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Yannick Botrel, rapporteur spécial. Je voudrais rappeler les propos que j’ai tenus dans mon intervention à la tribune il y a quelques instants au sujet de ces 40 emplois : « C’est assurément trop peu compte tenu des besoins de contrôle », mais j’ai ajouté : « On ne sait pas quand ils se matérialiseront ». C’est une vraie question.

M. Didier Guillaume, ministre. Exactement !

M. Yannick Botrel, rapporteur spécial. Aujourd’hui se pose un problème fondamental, celui du contrôle, dans un certain nombre de ports, des produits entrant sur le continent européen.

Dans ce rapport qu’Alain Houpert et moi avons rédigé, et que M. le ministre a eu la bonté de trouver excellent, nous dressions le constat que certains ports, en particulier celui d’Anvers, pratiquaient un taux de contrôle extrêmement faible – moins de 1 % des marchandises contrôlées –, par rapport à d’autres ports, en particulier français. Ce sujet dépasse le cadre de la discussion que nous avons cet après-midi.

Ce problème des contrôles insuffisants dans certains ports est évoqué également par les producteurs français, et même probablement européens. Il est à craindre justement qu’un certain nombre de pays ne privilégient ces ports à d’autres quand il s’agira de faire entrer des produits sur notre continent.

J’entends ce que dit le ministre, à savoir que ces 40 postes devront être vraisemblablement complétés par d’autres quand on y verra un peu plus clair dans le Brexit et les conséquences que ce dernier entraînera, qu’il faudra examiner de très près. Je sais également, parce que ce sujet a été évoqué l’autre jour en en commission des affaires européennes, que s’instaure dès à présent une concurrence entre les ports européens pour recueillir une partie du flux des marchandises qui arriveront en Europe.

Je sais aussi que les ports français n’ont pas été très bien traités jusque-là, en particulier les ports normands et ceux du nord de la Bretagne. En l’état, je souscris sur le fond à cette demande de création de postes ; la question n’est pas celle-ci, c’est celle du calendrier. De bonne foi, j’entends l’argument du ministre.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur spécial.

M. Yannick Botrel, rapporteur spécial. Nous devrons examiner les choses attentivement, une fois que l’on y verra un peu clair sur le Brexit.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Nous avons été nombreux à le rappeler dans la discussion générale ou dans des débats précédents, et cette proposition nous rappelle l’exigence de s’assurer de la sécurité des produits entrant dans notre pays. Nous savons bien que, avec le Brexit, se posera la question des produits en provenance du Royaume-Uni.

On ne peut pas à la fois exiger pour notre pays des pratiques agricoles garantissant notre sécurité alimentaire – je fais partie de ceux qui portent cette exigence – tout en acceptant qu’entre tout et n’importe quoi à n’importe quel prix, quitte à mettre en danger la santé des consommateurs français.

Par ailleurs, ce qui est en jeu, c’est la qualité de l’alimentation et l’évolution des comportements alimentaires des uns et des autres. Un certain nombre de scandales qui ont éclaté dans le passé expliquent en partie que de plus en plus de nos concitoyens et de nos concitoyennes soient désormais sensibles à une musique les incitant à revoir leur régime alimentaire et à se détourner partiellement de l’alimentation traditionnelle, néanmoins indispensable au bon développement de l’être humain.

Enfin, ces scandales alimentaires ont aussi fortement fragilisé l’ensemble de nos industries agroalimentaires de transformation. La question de la sécurité alimentaire des produits entrants intervient donc à tous les niveaux de la production agricole.

Bien évidemment, nous voterons cet amendement de la commission des affaires économiques. À ce propos, vous me permettrez, en ce 1er décembre, de ne pas bouder mon plaisir quand j’entends mon collègue Laurent Duplomb défendre avec autant de ferveur l’idée qu’il faut davantage de fonctionnaires dans notre pays. (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.) Cela montre que, en France, les fonctionnaires sont utiles et efficaces !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Je ne répondrai pas à Cécile Cukierman, même si ce n’est pas l’envie qui m’en manque. (Sourires.) Je reviendrai sur trois points.

Premièrement, monsieur le ministre, l’exercice d’aujourd’hui, me semble-t-il, c’est le budget. Or le bon sens paysan veut que, lorsque l’on élabore un budget, il faut penser à se protéger, c’est-à-dire, en bon père de famille, à prévoir un peu plus qu’il ne faut, quitte à ce que toutes les dépenses ne soient pas exécutées si les besoins ne s’en font pas sentir. C’est ce que l’on fait quand on gère correctement une collectivité locale.

Deuxièmement, nous ne sommes pas sûrs que le Brexit ne soit pas un Brexit dur le 31 mars 2019. Le cas échéant, bons Français que nous sommes, nous aurons tellement mis la poussière sous le tapis que nous regretterons de ne pas y avoir pensé un peu plus vite ou un peu plus tôt. Inscrire dans le budget des crédits supplémentaires, même s’ils ne sont pas consommés, c’est simplement une mesure de précaution.

Troisièmement, une grande quantité de produits traversent déjà nos frontières sans qu’ils répondent à nos normes. Par conséquent, même si cela n’est pas obligatoirement nécessaire à la suite du Brexit, et pour répondre à l’invitation de Cécile Cukierman, embauchez des fonctionnaires pour renforcer les contrôles. Cela évitera que nous nous écharpions sur la qualité de notre agriculture et sur notre modèle agricole.

Nos concitoyens pourront ainsi manger des produits français, conformes à nos normes, plutôt que des produits étrangers qui ne les respectent pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.

M. Daniel Gremillet. Je me félicite de la position de notre rapporteur spécial Alain Houpert et de son avis favorable.

Laurent Duplomb a parfaitement exprimé la position de la commission des affaires économiques. Monsieur le ministre, l’adoption de cet amendement entraînerait peut-être une charge supplémentaire, mais chaque fois que l’on empêchera un produit d’entrer sur le territoire national parce qu’il n’est pas conforme à l’exigence que nous formulons pour les assiettes des Français, nous favoriserons d’autant notre propre production. Cela s’inscrit parfaitement dans l’esprit du texte que nous avons voté dernièrement, alors même que vous siégiez encore dans cet hémicycle.

Ce n’est pas du protectionnisme ; c’est simplement faire en sorte que ce que trouveront dans leurs assiettes nos enfants et nos concitoyens, corresponde exactement à ce que nous leur avons promis.

Je ferai une dernière remarque, que je vous demande de ne pas prendre mal. Il y a un an, le Sénat était resté fort prudent s’agissant de l’augmentation des taxes. S’il avait été écouté, nous n’en serions pas là. Loin de moi l’idée de tout amalgame, mais, à certains égards, c’est un peu la même chose : il ne faudrait pas, monsieur le ministre, que l’on se retrouve dans l’incapacité de répondre à l’instant t aux exigences auxquelles nous confronteront les textes de loi que nous avons votés ici, Brexit ou pas.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Nous n’allons pas entamer une partie de ping-pong, et je vais donc faire le filet. (Sourires.)

Mon collègue Yannick Botrel, coauteur avec moi d’un rapport sur la sécurité alimentaire, a dit qu’il était urgent d’attendre parce que nous ne sommes pas prêts. M. Duplomb dit qu’il est urgent de prévoir. Je suis d’accord avec lui, parce que nos frontières sont des passoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Didier Guillaume, ministre. Ce n’est pas très sympathique pour les services vétérinaires…

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Henri Cabanel, rapporteur pour avis. Je veux conforter les propos de mon collègue Duplomb : la langue du directeur général de l’alimentation a sûrement fourché, mais il a bien déclaré qu’en cas de Brexit dur, il faudrait au moins 500 à 900 ETP supplémentaires.

De quoi parlons-nous ? Effectivement, on peut comprendre votre position. Sauf que c’est du nombre de contrôleurs que dépendront les contrôles.

Aujourd’hui, cela a été dit, bon nombre d’aliments importés ne sont pas suffisamment contrôlés. En outre, 10 % des aliments contrôlés sont non conformes. Ce pourcentage monte à 20 % pour les viandes, et à plus encore pour les produits bio.

Aussi, avec le peu d’ETP que vous proposez, les contrôles risquent d’être insuffisants, et la proportion de produits non conformes augmentera très certainement. Il vaut mieux prévenir que guérir : vous réajusterez certainement le dispositif dans les années qui viennent, monsieur le ministre, mais, en attendant, je suggère de voter cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. À mon tour de confirmer ce que j’ai entendu au cours de l’audition.

Je voudrais simplement insister sur les 40 équivalents temps plein, monsieur le ministre. Certes, en trois jours, aucune situation ne peut devenir gravissime. Néanmoins, expliquez-moi comment vous faites avec 40 équivalents temps plein ?

On peut supposer que ces salariés ne travailleront pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre – ce serait une nouveauté ! –, qu’ils auront droit à quelques congés et, hélas !, même si nous ne le souhaitons pas, que certains tomberont malades. Vous vous trouverez alors, en moins de trois jours, dans une situation impossible, sauf à accepter, comme vient de le dire M. Cabanel, que des aliments ne soient pas contrôlés.

On parle du Royaume-Uni, mais ce n’est pas le seul pays concerné. Avez-vous encore à l’esprit tous ces pays du Commonwealth qui transiteront, eux aussi, par cette porte d’entrée ? Il ne me semble pas du tout raisonnable de s’en tenir aux 40 équivalents temps plein, monsieur le ministre. Vous allez être très rapidement débordés. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-92.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° II-110 rectifié bis, présenté par MM. Tissot, Cabanel, Montaugé, Botrel et Kanner, Mme Artigalas, M. M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Iacovelli, Bérit-Débat et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture

1 300 000

 

1 300 000

 

Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation

dont titre 2

 

 

 

 

Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture

dont titre 2

 

1 300 000

 

1 300 000

TOTAL

1 300 000

1 300 000

1 300 000

1 300 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. La question de l’installation des jeunes agriculteurs reste pour nous très importante. D’ailleurs, le sujet fait écho à ce que disait M. le ministre à l’instant à propos de la compétitivité de l’agriculture française et de sa transition vers un mode plus agroécologique.

Mes chers collègues, cet amendement vise à attirer votre attention sur la baisse des autorisations d’engagement dans ce budget. Il est souhaitable de les rétablir, au moins au niveau qui était les leurs en 2018. C’est la raison pour laquelle nous demandons une augmentation de 1,3 million d’euros en autorisations d’engagement. En effet, celles-ci ont baissé, je le souligne, de près de 7 %, soit 3,8 millions d’euros. Pour mémoire, le gouvernement précédent avait porté les autorisations d’engagement concernant ces installations à 40 millions d’euros.

M. le ministre évoquera peut-être le Grand Plan d’investissement avec ses 5 milliards d’euros, dont 1 milliard d’euros permettra des garanties via la Banque européenne d’investissement pour l’installation des jeunes agriculteurs.

Comme on dit chez moi et ailleurs, « il vaut mieux tenir que courir » ; d’où notre amendement qui vise – puisque les mesures ne sont pas encore en place, même si elles sont annoncées – à éviter de dissuader les jeunes et à permettre de les accompagner lorsqu’ils souhaitent s’installer. Encore une fois, il y va de la modernisation, dans le bon sens du terme, de nos agricultures françaises.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Il s’agit là d’un signe positif, montrant notre volonté de maintenir l’effort en faveur de l’installation des jeunes agriculteurs.

La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Didier Guillaume, ministre. Je suis favorable au maintien du soutien à l’installation des jeunes agriculteurs, mais pas à cet amendement. (Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis, sexclame.) Néanmoins, je l’ai évoqué, le Grand Plan d’investissement, avec les 5 milliards d’euros pour l’agriculture, y contribuera.

Cette année, dans le cadre de l’équilibre budgétaire, les autorisations d’engagements sont à moins 600 000 euros, laissant penser que le budget baisse. Mais les crédits de paiement sont de plus 12,8 millions d’euros, permettant de souligner un effort important du Gouvernement pour l’installation des jeunes agriculteurs.

On peut toujours ajouter 1,3 million d’euros, mais en avons-nous réellement besoin ? Pour l’instant, nous ne le pensons pas. Sont prévus, en outre, des ajustements de fiscalité pour les jeunes – je n’en parlerai pas.

Pour ces raisons, je suis au regret de solliciter, avec peu d’espoir de succès il est vrai, le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Angèle Préville, pour explication de vote.

Mme Angèle Préville. Dans certains territoires comme le mien, le département du Lot, la situation est critique. La population, d’une manière générale, est non seulement vieillissante, notamment chez les agriculteurs, mais en baisse. Nous perdons 1 000 habitants par an pour une population de 170 000 habitants.

Dans nombre de nos communes, les quelques agriculteurs restants sont trop souvent sans successeur. Or reprendre une exploitation peut être presque impossible pour un jeune désirant s’installer. Il y a urgence dans certains territoires, où la déprise agricole est là. L’avenir ne doit pas passer par la désertification rurale, qui mène aux espaces spontanément « enforestés ».

Nous devons entendre le malaise des jeunes agriculteurs. En votant cet amendement, mes chers collègues, vous leur enverrez un signal fort d’engagement et de soutien. (M. le ministre s’exclame.)

Donnez une chance à nos territoires ruraux, en somme, à la France !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-110 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° II-94, présenté par M. Duplomb, Mme Férat et M. Cabanel, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture

 

1 200 000

 

1 200 000

Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation

dont titre 2

1 200 000

 

1 200 000

 

Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture

dont titre 2

 

 

 

 

TOTAL

1 200 000

1 200 000

1 200 000

1 200 000

SOLDE

0

0

La parole est à Mme le rapporteur pour avis.

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. Cet amendement tend à lutter contre la désertification des vétérinaires en zone rurale, en promouvant les stages tutorés de vétérinaires.

Les vétérinaires spécialisés en élevage jouent, vous le savez parfaitement, mes chers collègues, un rôle essentiel dans la prévention, la détection et le traitement des épizooties sur l’ensemble de notre territoire. Or l’Observatoire national démographique de la profession vétérinaire pour 2017 craint une diminution importante de ses effectifs. L’activité principale de ceux-ci s’oriente de plus en plus vers les filières « animaux de compagnie ».

Ce phénomène pourrait s’aggraver dans les années à venir, à mesure que les jeunes praticiens ne remplacent plus les anciens vétérinaires ruraux, qui étaient proches de la retraite, pour se concentrer sur les soins d’animaux de compagnie dans les centres urbains.

C’est un drame, mais tout comme ont surgi les « déserts médicaux », les premiers « déserts vétérinaires » sont apparus en France et devraient se multiplier d’ici cinq à dix ans dans certaines régions rurales. Vous n’ignorez pas non plus que cela constituerait un drame pour nos territoires ruraux, pour notre élevage, ainsi que pour la sécurité sanitaire de la France dont nous parlons jusqu’à présent.

Pour autant, certaines solutions ont fait leurs preuves. C’est le cas des « stages tutorés en milieu rural », financés par le programme 206, monsieur le ministre, à hauteur de 300 000 euros. Lors de leur dernière année du cursus des écoles nationales vétérinaires, les étudiants peuvent réaliser un stage tutoré. Une vingtaine d’entre eux a bénéficié de ce dispositif et plus des trois quarts – 80 % environ, ce qui est particulièrement significatif – s’installent et exercent, par la suite, en milieu rural.

Le stage tutoré est donc un outil qui a fait ses preuves. Il faut l’étendre dès aujourd’hui pour agir avant qu’il ne soit trop tard. C’est la raison pour laquelle cet amendement vous propose de relever le budget des stages tutorés de 1,2 million d’euros pour créer 80 places supplémentaires, ce qui porterait le total des places offertes à cent.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Cet amendement a été merveilleusement défendu, et la commission est favorable à toute action en faveur du tutorat vétérinaire.

J’émets donc un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Didier Guillaume, ministre. On constate dans les classes vétérinaires – j’en ai personnellement eu la confirmation récemment –, tout d’abord, que 80 % à 90 % des étudiants sont des filles, et 10 % à 20 % des garçons, et, ensuite, que quand on leur demande ce qu’ils veulent faire plus tard et s’ils souhaitent devenir vétérinaires en zone rurale, ils répondent par la négative, car ils préfèrent travailler comme vétérinaires de ville. C’est donc un vrai sujet, et vous avez raison de le souligner, madame Férat.

C’est pourquoi, en 2016, un engagement avait été pris, avec une feuille de route pour organiser des stages tutorés. Nous pensons que les choses avancent, car le nombre des étudiants concernés par les stages est passé de trente-cinq en 2017-2018 à cinquante-cinq en 2018-2019. Et ce n’est pas la seule action qui est menée. J’en veux pour preuve les huit axes stratégiques que vous connaissez beaucoup mieux que moi.

Toutefois, dans ce budget, nous n’avons pas les moyens d’augmenter le nombre de stages. Je ne sais même pas si nous avons les moyens d’accueillir de nouveaux jeunes et si de nouveaux cabinets vétérinaires pourront organiser les tutorats.

Aussi, parce qu’il nous faut continuer à appliquer la feuille de route qui a été lancée en 2016, je suis au regret d’émettre un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour explication de vote.

M. Laurent Duplomb. Émettre un avis défavorable sur cet amendement est à mes yeux une erreur. Certes, il s’agit d’une dépense supplémentaire, monsieur le ministre. Mais c’est une mesure intelligente.

Prenons l’exemple du Royaume-Uni, qui, pendant une certaine période, a dénaturé complètement les services sanitaires vétérinaires. Souvenons-nous de la crise de la vache folle, que chacun devrait garder en mémoire, comme étant susceptible de se reproduire dans notre pays. Je vous rappelle que nous avons eu, en France, trois cas de maladie de Creutzfeld Jakob, mais que cette affection a pu être stoppée grâce au tissu vétérinaire et sanitaire réparti sur la totalité des territoires et permettant une bonne surveillance. Au Royaume-Uni, des milliers, voire des millions de cas se sont déclarés, au point que des buchers d’animaux étaient allumés à travers tout le pays.

Nous devons faire de la prospection et être capables de former des jeunes, pour les inciter à travailler au sein de services vétérinaires ruraux. Ce n’est pas contraire à la mode ou à la responsabilité d’un ministre de l’agriculture. Le peu d’argent que ce dispositif représente devrait au contraire peser directement sur le budget de cette année. Il y va de la sécurité sanitaire future des consommateurs et de nos élevages, plutôt que d’intérêts purement financiers.

M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.

M. Daniel Gremillet. J’irai dans le même sens que mon collègue : vous n’aurez pas de politique d’élevage dans nos territoires, monsieur le ministre, si aucun vétérinaire n’exerce à proximité.

Nous sommes tous d’accord sur l’importance de soutenir l’installation des jeunes agriculteurs et de favoriser le renouvellement des générations. Mais les productions animales jouent un rôle extrêmement important sur nos territoires, notamment sur l’utilisation de l’herbe, elle-même essentielle pour la qualité de l’eau.

Il faut savoir tirer les leçons de l’expérience que nous avons dans les zones rurales ou dans certains secteurs urbains dépourvus de médecins. Ne répétons pas le même schéma pour l’agriculture, car jusqu’à présent, comme je l’ai souvent dit, l’élevage était parfois mieux traité que l’homme. En effet, jour et nuit, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, un vétérinaire pouvait se rendre disponible dans le quart d’heure ou la demi-heure suivant la demande.

M. Didier Guillaume, ministre. Exactement !

M. Daniel Gremillet. C’est ainsi que l’on peut donner envie à des personnes d’investir dans le secteur de l’élevage.

Je souhaiterais maintenant conforter le propos de mon collègue. Dans une autre vie, j’étais responsable de la politique de l’élevage au sein des chambres d’agriculture. Monsieur le ministre, je suis allé à Bruxelles avec vos services pour témoigner de ce que l’on avait fait en France, et non au Royaume-Uni, non pas à la suite de la crise de la vache folle, mais en réaction à l’épidémie de fièvre aphteuse. Alors que nos voisins britanniques avaient brûlé de nombreux animaux sur des bûchers, en France, nous avions su tout conjuguer.

La France a été auditionnée par la Commission à Bruxelles. Pourquoi ? Justement pour savoir comment notre organisation territoriale avait contribué à faire naître cet esprit de surveillance territoriale aussi fin. J’aimerais que la France ne gâche pas ses forces. Cet amendement en est l’un des moyens, car il donne envie et rassure la population et les acteurs économiques. On peut dire qu’il est stratégique. C’est pourquoi je le soutiens.

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. J’ai peu de choses à ajouter aux propos de mes deux collègues. Simplement, monsieur le ministre, vous sembliez penser que nous manquions de tuteurs en la matière.

Eh bien, je m’inscris en faux contre cette déclaration, car les auditions que nous avons menées démontrent bien au contraire que les vétérinaires sont prêts à être les tuteurs qui pourront demain transmettre leurs savoir-faire. Sur ce point, soyez pleinement rassuré, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.

M. Henri Cabanel. Je voudrais conforter les propos de Mme la rapporteur pour avis.

Lors de l’audition qui nous a permis d’écouter les vétérinaires, on les a vus exprimer leurs craintes – M. Gremillet l’a dit. À cette occasion, la comparaison a vite été établie entre la désertification médicale et la disparition des vétérinaires. L’explication que les vétérinaires nous ont donnée est assez simple : il vaut mieux s’installer comme vétérinaire dans une ville, soigner des chats et des chiens sans sortir, plutôt que parcourir pendant des heures et des heures des routes rurales, pour prodiguer à la campagne des soins à tel ou tel animal.

M. Yannick Botrel, rapporteur spécial. Bien sûr !

M. Didier Guillaume, ministre. Cela rapporte plus !

M. Henri Cabanel. Il faut vraiment se soucier de l’inquiétude de ces professionnels. C’est la raison pour laquelle je vous invite à aller dans le sens de cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-94.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° II-93, présenté par M. Duplomb, Mme Férat et M. Cabanel, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture

 

1 000 000

 

1 000 000

Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation

dont titre 2

1 000 000

 

1 000 000

 

Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture

dont titre 2

 

 

 

 

TOTAL

1 000 000

1 000 000

1 000 000

1 000 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Henri Cabanel, rapporteur pour avis. Cet amendement tend à doubler le budget des projets alimentaires territoriaux, les PAT, en le passant de 1 million à 2 millions d’euros.

Les projets alimentaires territoriaux constituent finalement des réponses à une annonce du Gouvernement qui n’a pas été traduite dans le projet de loi de finances. En effet, à la suite des États généraux de l’agriculture, il avait été annoncé que le nombre de PAT devait atteindre 500 en 2020.

Les PAT sont des solutions intéressantes et pragmatiques pour consolider les filières sur un territoire dans le but de structurer la production, d’aider la structuration des marchés de gros, par exemple, et de mieux répondre à la hausse de la demande de la restauration collective.

C’est une manière intelligente d’aider les collectivités territoriales à pouvoir répondre aux nouvelles obligations qui pèsent sur elles à la suite de l’adoption de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, la loi ÉGALIM, notamment en matière d’approvisionnements de produits – nous en avons débattu précédemment.

Je rappelle que, à ce stade, 80 % des poulets et de la viande dans la restauration collective sont aujourd’hui importés. L’objectif est de cinq cents PAT. Or on en compte seulement 40, faute de budget suffisant, puisque seulement un million d’euros sont dédiés chaque année à leur financement. Il est surtout illusoire d’espérer atteindre un objectif de cinq cents PAT d’ici à 2020, soit une multiplication par 12,5 du nombre actuel, sans y ajouter des moyens supplémentaires.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Didier Guillaume, ministre. Si vraiment on veut ajouter un million d’euros pour les projets alimentaires territoires, il faut partir du terrain et créer des dynamiques. Pour l’instant, nous n’avons pas d’informations concernant un manque d’argent.

En conséquence, le Gouvernement sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettrait un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-93.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. L’amendement n° II-107 rectifié, présenté par Mme Bonnefoy, MM. Montaugé, Cabanel, Tissot, Botrel et Kanner, Mme Artigalas, M. M. Bourquin, Mme Conconne, MM. Courteau, Daunis et Duran, Mme Guillemot, MM. Iacovelli, Bérit-Débat et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture

 

 

 

 

Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation

dont titre 2

1 000 000

 

1 000 000

 

Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture

dont titre 2

 

1 000 000

 

1 000 000

TOTAL

1 000 000

1 000 000

1 000 000

1 000 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Avec cet amendement, nous tirons les conséquences de l’adoption au Sénat, le 1er février 2018, de la proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. Il s’agit de prendre en charge la réparation intégrale des préjudices des personnes atteintes de maladies liées à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, par la création d’un fonds d’indemnisation abondé par les fabricants de ces produits.

Cette proposition de loi portée par notre collègue Nicole Bonnefoy et l’ensemble du groupe socialiste et républicain du Sénat, votée à l’unanimité par notre assemblée, avait été reprise et adoptée dans le cadre de la loi ÉGALIM le 2 juillet dernier – vous avez d’ailleurs voté en faveur de la création de ce fonds à plusieurs reprises, monsieur le ministre. Et vous teniez le même jour les propos suivants, en vous adressant à votre prédécesseur :

« Monsieur le ministre Stéphane Travert, il me semble, avec tout le respect que j’ai pour vous, que vous apportez à une question politique et sociétale portée par nos concitoyens, une réponse administrative et technocratique.

« Considérant le débat que nous avons à l’instant, le Sénat semble s’orienter vers un vote très majoritaire. Aussi, parfois le Gouvernement doit écouter le Parlement.

« Monsieur le ministre, vous comprendrez que nous n’attendons donc rien d’autre que votre plein et entier soutien à notre amendement, qui vient répondre à une attente sociétale forte et vient traduire une prise de position claire et ferme de la Haute Assemblée, quels que soient les bancs politiques.

« Nous le répétons, il s’agit de protéger et de défendre les malades, au premier rang desquels les agriculteurs. Ces derniers sont en effet trop souvent montrés du doigt pour l’utilisation de ces produits, alors qu’ils sont, dans le même temps, les premiers et les plus nombreux à souffrir de leur effet nocif. »

Monsieur le ministre, je le répète, je compte sur votre constance pour apporter un soutien à notre amendement, conformément au vote que vous avez exprimé en février et juillet derniers au Sénat, et à la nécessité, comme vous le disiez si bien vous-même lors de l’examen de la loi ÉGALIM, que le Gouvernement écoute le Parlement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Comme l’a dit notre collègue Henri Cabanel, le Sénat a adopté à l’unanimité une proposition de loi portant la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytosanitaires.

Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur Cabanel, ne jouez pas avec les mots. Je suis désolé, mais ce n’est pas du tout ce qui est écrit dans la loi !

Sur le fond, je suis favorable à cette mesure que nous avons votée à l’unanimité, mais la loi prévoit la remise d’un rapport au Parlement dans les six mois suivant sa promulgation, donc avant le 30 avril 2019. Un peu de sérieux ! Le rapport est en cours d’élaboration, il va être déposé au Parlement qui, sur la base de ces éléments objectifs – j’y suis favorable, je le redis, puisque j’ai voté pour – prendra sa décision légitimement. Les effets d’annonce sont possibles, mais ils doivent reposer sur les dispositions de la loi ÉGALIM.

Je vous demande donc, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer votre amendement, et je prends l’engagement que, après la remise du rapport, le Parlement travaillera sur le sujet. À défaut, le Gouvernement émettra un avis très défavorable.

M. le président. Monsieur Cabanel, l’amendement n° II-107 rectifié est-il maintenu ?

M. Henri Cabanel. Oui, je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-107 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », figurant à l’état B.

Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix ces crédits, modifiés.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)

compte d’affectation spéciale : développement agricole et rural

État B
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
État D (interruption de la discussion)

M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural », figurant à l’état D.

ÉTAT D

(En euros)

Mission

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

Développement agricole et rural

136 000 000

136 000 000

Développement et transfert en agriculture

65 000 000

65 000 000

Recherche appliquée et innovation en agriculture

71 000 000

71 000 000

M. le président. Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix ces crédits.

(Les crédits ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Je remercie tous les sénateurs présents aujourd’hui, ceux des territoires ruraux, auxquels se sont joints des sénateurs très urbains de la région parisienne – ils sont à proximité du Bois-de-Boulogne et des cantines ! (Sourires.)

M. Christian Cambon. Il y a de l’agriculture dans le Val-de-Marne !

M. Alain Houpert, rapporteur spécial. Je veux aussi remercier les collaborateurs de la commission.

M. le président. Mes chers collègues, nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

État D (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Discussion générale

3

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour un rappel au règlement.

M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce matin même, nous votions les crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

Permettez-nous de regretter que, aujourd’hui même, à Paris, la tombe du Soldat inconnu ait été déshonorée et que des inscriptions scandaleuses aient été écrites sur l’Arc de triomphe. Nous comprenons les manifestations des gilets jaunes et leurs revendications légitimes. D’ailleurs, nous, sénateurs, sommes les représentants des territoires et, à ce titre, connaissons bien les problèmes des gilets jaunes. Nous avons d’ailleurs voté, en première partie du projet de loi de finances, la fin de la hausse de la taxe sur les carburants.

Néanmoins, nous ne pouvons pas tolérer l’extrême violence, les incendies, les dégradations en tout genre. Nous ne pouvons pas non plus comprendre pourquoi le Gouvernement n’a pas mieux protégé ce haut lieu de l’histoire de France, ni pourquoi il n’a pas repris la proposition de loi de Bruno Retailleau, votée ici au Sénat, contre les Blacks Blocs, car il ne faut pas confondre ces derniers avec les gilets jaunes. Nous avons formulé des propositions contre les casseurs.

Nous appelons solennellement à l’apaisement, et celui-ci passera par les solutions du Sénat. Je demande au Gouvernement de nous écouter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

4

État D (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Seconde partie

Loi de finances pour 2019

Suite de la discussion d’un projet de loi

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Défense

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale.

SECONDE PARTIE (SUITE)

MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

Seconde partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
État B (début)

M. le président. Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.

Défense

M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Défense ».

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires étrangères et de la défense, ce budget constitue la première année de la mise en œuvre de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025, qui a été adoptée il y a quelques mois.

Le montant des crédits de paiement, hors pensions, inscrits dans le présent projet de loi de finances – 37,9 milliards d’euros, en hausse de 1,7 milliard d’euros par rapport à 2018 –est donc conforme à la trajectoire fixée par la loi de programmation militaire.

Dont acte, même si nous continuons à déplorer que l’effort prévu entre 2019 et 2023 soit inégalement réparti, avec une marge plus importante, qui ne pourra être gravie qu’en 2023, soit au début du prochain quinquennat et de la prochaine mandature.

S’agissant des effectifs, les engagements sont également tenus, avec la création de 450 emplois. La répartition de ces postes est également conforme à la loi de programmation militaire, la majorité d’entre eux étant consacrée au renseignement et à la cyberdéfense.

Toutefois, je m’inquiète de la sous-consommation des crédits du titre 2 en 2018. Cette dernière, qui est de 155 millions d’euros, illustre les difficultés de recrutement et de fidélisation des personnels. Dans ce contexte, je me félicite du financement de mesures de revalorisation salariale et de la montée en puissance du plan Famille.

Doté de 57 millions d’euros en 2019, contre 22,5 millions d’euros en 2018, ce plan comporte 46 actions relatives à la mobilité, au champ social ou encore à l’hébergement. À cet égard, je persiste à penser que c’est une erreur que de vouloir poursuivre la cession du Val-de-Grâce, dernière emprise foncière parisienne susceptible d’accueillir des militaires. À l’avenir, il faudrait héberger nos soldats de l’opération Sentinelle hors de Paris et subir toutes les difficultés qui en découleraient, qu’il s’agisse de la sécurité ou des transports.

Dans le rapport que j’ai dédié, en 2017, au parc immobilier des armées, j’ai dressé le constat d’une dégradation des infrastructures de la défense, singulièrement de celles du quotidien, destinées à l’hébergement ou à la restauration. En 2019, les crédits de maintenance progressent de 7 % en autorisations d’engagement et de 12 % en crédits de paiement. Sur la durée de la programmation, 13,5 milliards d’euros devraient être consacrés aux infrastructures. Il s’agit là d’un effort important, qu’il me plaît de souligner, même si, selon les armées, il manque encore 1,5 milliard d’euros.

L’entretien programmé des matériels progresse de 4,6 milliards d’euros en autorisations d’engagement, pour accompagner la réforme du maintien en condition opérationnelle aéronautique. Mais il est clair que les résultats attendus ne seront pas perceptibles dès cette année. Nous sommes donc, une nouvelle fois, placés face à la question de la surutilisation de nos matériels et de la formation de nos troupes.

Madame la ministre, ce budget est, au total, conforme aux engagements pris, et, au matin du 6 novembre dernier, je préconisais encore son approbation par la Haute Assemblée. Néanmoins, depuis le 7 novembre, date de présentation du projet de loi de finances rectificative pour 2018, nous avons compris que l’inscription des crédits était une chose, et que l’exécution en était une autre… Ces nouveaux chiffres ont jeté le trouble, non pas sur votre bonne foi, madame la ministre, mais sur la sincérité du Gouvernement.

Pour la première fois depuis de nombreuses années, en contradiction totale avec l’article 4 de l’actuelle loi de programmation militaire comme avec l’article 4 de la future LPM, la solidarité interministérielle ne jouera pas. Ce renoncement aux principes augure mal de l’application de la future loi de programmation. Comment croire qu’avec une provision OPEX de 850 millions d’euros en 2019, contre 650 millions d’euros en 2018, Bercy ne sera pas tenté de récidiver, en répétant ce hold-up ?

Si nous nous sommes battus pour le principe de l’inscription de la solidarité interministérielle dans la LPM, c’est pour des raisons, non seulement budgétaires, mais aussi politiques. Nos militaires ne choisissent pas de partir au front au péril de leur vie. La solidarité interministérielle témoigne, à leur endroit, de la reconnaissance de la Nation tout entière.

À ces arguments s’ajoute une raison plus profonde, que je qualifierai de quasi constitutionnelle : le Président de la République a le pouvoir d’engager nos forces, au nom de la France, sans passer devant le Parlement. Il est donc logique que sa décision trouve une traduction solennelle impliquant l’ensemble de l’action gouvernementale.

À cet instant, madame la ministre, je ne puis manquer de rappeler les déclarations que vous avez faites à cette tribune, le 29 mai dernier, lors du vote solennel de la LPM. Vous affirmiez alors : « […] Nous venons ensemble d’envoyer à nos armées un message clair : les privations sont finies, le renouveau commence. »

Je suis convaincu que vous étiez sincère en prononçant ces paroles, et que vous aviez reçu suffisamment d’assurances pour les exprimer au nom du Gouvernement. La solidarité gouvernementale vous impose de ne pas nous livrer le fond de votre pensée. Mais vous ne m’empêcherez pas d’estimer, comme nombre de mes collègues, que vous avez été trahie.

En nous remettant à la sagesse du Sénat pour ce qui concerne ce projet de budget de la défense, nous entendons condamner cette trahison et formuler un quadruple message.

Le premier s’adresse à nos militaires. Nous leur disons clairement que nous dénonçons une pratique consistant à leur demander toujours plus, sans leur donner les moyens qui s’imposent. Au total, 404 millions d’euros de crédits sont annulés purement et simplement, dont 319 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement au titre du programme 146, qui devrait garantir la régénération de nos forces. Malgré les allégations du Premier ministre, cette décision aura, tôt ou tard, des conséquences sur le paiement de nos commandes et sur les livraisons elles-mêmes.

Le deuxième message s’adresse au Gouvernement, et singulièrement à Bercy. Nous refusons de cautionner un budget qui compromet, dès son entrée en vigueur, la bonne exécution de la nouvelle LPM.

Le troisième message s’adresse à vous-même, madame la ministre. Nous vous invitons à poursuivre votre combat pour obtenir les moyens indispensables aux missions de nos armées, et nous vous assurons du soutien du Sénat à cet égard.

Le quatrième et dernier message s’adresse à l’opinion. Le Président de la République se met en scène, remontant les Champs-Élysées dans un command car, s’exprimant depuis le Charles-de-Gaulle ou appelant à une défense européenne. Mais, dans le même temps, selon la formule consacrée, il ne respecte pas la LPM, texte par essence régalien, dont il est le garant. Nous dénonçons cette pratique ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Joël Guerriau applaudit également.)

M. Antoine Lefèvre. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, en remplacement de M. le rapporteur pour avis.

Mme Hélène Conway-Mouret, en remplacement de M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Équipement des forces ». Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis, avec moi, du programme 146, « Équipement des forces », ne peut malheureusement être des nôtres aujourd’hui, en raison du décalage de l’examen de la mission « Défense ». Il m’a demandé de bien vouloir vous livrer son intervention.

Madame la ministre, les crédits du programme 146 doivent augmenter sensiblement en 2019 : nous nous en réjouissons, en raison du caractère stratégique de ce programme, qui représente 30 % des crédits de votre ministère. Fort de 10,9 milliards d’euros, il constitue également le premier budget d’investissement de l’État.

L’augmentation de 644 millions d’euros dont bénéficient les crédits de paiement est donc une bonne nouvelle. Elle permettra l’acquisition de nombreux matériels. Je salue notamment la poursuite du redressement des capacités de transport aérien, avec un A400 M Atlas, un MRTT Phénix deux C 130 J.

Je relève également la montée en puissance des outils de surveillance aérienne, avec notamment deux systèmes de trois drones MALE Reaper pour la mobilité et le soutien des troupes au sol, dix hélicoptères NH90 et les 500 premiers véhicules légers affectés au transport public de personnes, les VLTP. S’y ajoutent, enfin, pour le système de forces « engagement et combat », quelque 8 000 fusils d’assaut HK 416, une frégate multimissions, ou FREMM, 50 postes de tir du nouveau missile moyenne portée, ou MMP, et 89 blindés multirôles lourds Griffon.

Je tiens à m’arrêter un instant sur ce programme Griffon. En effet, à plusieurs reprises, lors de nos auditions en commission, nous avons demandé si le calendrier établi serait tenu. Nous avons reçu des réponses rassurantes, ce qui ne nous empêche pas de rester vigilants au sujet de ce programme emblématique. En effet, nous avons appris les quelques difficultés auxquelles Thales a pu se heurter.

De fait, les trois exemplaires annoncés comme livrés dès cette année seront-ils vraiment réceptionnés par l’armée de terre avant la fin du mois ? Et que se passera-t-il en 2019 ? Les représentants de Thales, que nous avons interrogés à ce sujet, nous indiquent que les difficultés sont en cours de traitement. Dès lors, l’entreprise devrait être en mesure de respecter le calendrier de livraison prévu ; mais cet objectif ne sera pas facile à atteindre, avec 89 Griffon à livrer au cours de l’année.

Quoi qu’il en soit, l’entrée en LPM est fragilisée par les conditions de la fin de gestion de l’exercice 2018. La décision, prise par le Gouvernement, de faire peser la totalité du surcoût OPEX de 2018 sur le seul ministère des armées, est une mauvaise nouvelle pour le programme 146. Au total, quelque 404 millions d’euros sont retranchés des crédits de votre ministère, et ce programme sera, comme d’habitude, le plus lourdement frappé, avec 319 millions d’euros annulés. Il s’agit là d’une pratique que notre commission dénonce régulièrement, et qu’elle a encore condamnée dans le rapport qu’elle a dédié à la LPM.

Il n’y a pas de miracles : ces millions d’euros, annulés aujourd’hui, devront être payés plus tard, c’est-à-dire au cours d’une LPM qui, avant même son premier jour, est plongée dans le rouge. Nous voyons malheureusement le redressement annoncé se heurter d’emblée à des logiques budgétaires qui, en définitive, posent la question des priorités politiques.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Équipement des forces ». Monsieur le président, mes chers collègues, le 29 mai dernier, le Sénat votait le dernier projet de loi de programmation militaire. Or, cinq mois plus tard, ce texte, devenu consensuel grâce notamment au dialogue permanent que nous entretenons avec Mme la ministre, semble désavoué par la copie budgétaire du Gouvernement.

Madame la ministre, le problème n’est pas votre budget ou vos orientations, lesquelles sont conformes à la loi. Le problème vient de l’annulation, imposée par Bercy, de 404 millions d’euros dans le cadre du projet de loi de finances rectificative. Pour le programme 146, dont je suis rapporteur pour avis, 319 millions d’euros sont, au total, déduits du budget de 2018.

À cet égard, je souhaite vous poser une première question, dont j’estime qu’elle est tout à fait légitime : elle porte sur l’impact exact de cette annulation, notamment pour ce qui concerne le report de charges.

De plus, la ponction opérée pour financer les OPEX, en contravention totale, rappelons-le, aussi bien avec la LPM 2013-2018, toujours en vigueur, qu’avec la LPM que nous venons de voter pour 2019-2025, pose naturellement cette question : que se passera-t-il l’année prochaine ? En 2019, la provision pour OPEX ne sera encore que de 850 millions d’euros. Bercy compte-t-il continuer l’an prochain à refuser d’appliquer la LPM que vous avez conçue et qui a été signée par le chef de l’État le 14 juillet dernier ?

Vous le savez, au cours des dernières années, le programme 146, relatif à l’équipement des forces, s’est trop souvent révélé la variable d’ajustement de toutes les contraintes budgétaires. C’est ce comportement court-termiste que nous espérions avoir dépassé avec la nouvelle LPM. Pour résumer, madame la ministre, qui prendra la décision relative à l’exécution du budget de la défense pour 2019 ?

Ce triste épisode nous conduit également à nous demander comment nous en sommes arrivés là. Certains ont tenté de justifier ces annulations de crédits en avançant qu’elles seraient indolores pour la défense ; les montants en question n’auraient pas pu être dépensés, d’une manière ou d’une autre, faute d’engagement. On comprend que tel puisse être le cas pour le titre 2, notamment si certains recrutements prévus n’ont pas pu avoir lieu, faute de candidats. Mais qu’en est-il pour le programme 146 ? A-t-on déploré des retards ou des sous-engagements ?

Madame la ministre, vous avez fait reposer une part importante de la LPM sur les coopérations européennes. À ce titre, nous vous avons fait part de nos préoccupations. Certaines informations récentes nous inquiètent tout particulièrement au sujet du partenariat franco-allemand.

Saurez-vous nous rassurer sur ce point ? Par exemple, nous souhaiterions obtenir, sous forme de rapport, des informations détaillées quant à l’avancement des différents projets de coopération européenne en matière d’armement. Pouvez-vous également nous exposer ce qui, dans le budget pour 2019, traduit concrètement l’accélération des coopérations européennes que vous espérez ?

Enfin, je tiens à évoquer un dernier sujet. Nous aimerions obtenir des éléments de comparaison à propos des coûts d’acquisition et d’entretien de nos matériels, par rapport à ceux que connaissent nos alliés européens et otaniens. La LPM prévoit que nous augmentions fortement les crédits d’équipement des forces. Il nous revient aussi de nous assurer que ces fonds supplémentaires profitent pleinement, et surtout principalement, à nos forces armées.

M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, en remplacement de M. le rapporteur pour avis.

Mme Christine Prunaud, en remplacement de M. Jean-Marie Bockel, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Préparation et emploi des forces ». Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je prends la parole en remplacement de Jean-Marie Bockel, qui s’est trouvé dans l’impossibilité absolue de se joindre à nous aujourd’hui.

Le programme 178 voit ses crédits de paiement augmenter de 8,9 % par rapport à 2018, pour s’établir à 8,78 milliards d’euros. Cette progression bénéficie au financement des opérations extérieures, lequel obtient 195 millions d’euros supplémentaires pour atteindre 600 millions d’euros. Si notre commission a soutenu la poursuite du « resoclage » budgétaire des surcoûts des OPEX, c’était à la condition que l’enveloppe globale des crédits de la mission soit augmentée à due proportion. Or tel n’est pas le cas. Les crédits que le projet de loi de finances pour 2019 consacre aux OPEX sont encore largement insuffisants.

Dans ce contexte, notre commission, qui a modifié l’article 4 de la LPM pour prévoir le financement interministériel des surcoûts dus aux OPEX et la proportionnalité de l’effort consenti par la défense, recommande vivement que cette disposition soit bien appliquée en 2019.

L’allocation de 375 millions d’euros supplémentaires en faveur de l’entretien programmé du matériel, en 2019, est un effort nécessaire au regard des besoins immenses qui se font jour. L’externalisation des marchés d’entretien des équipements aéronautiques, sous la houlette de la nouvelle direction de la maintenance aéronautique, la DMAé – la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres, la SIMMT, œuvre également en ce sens –, est un changement de paradigme qui ne fonctionnera que si la performance est au rendez-vous, en alliant remontée de la disponibilité technique opérationnelle, la DTO, et maîtrise des coûts de maintenance. Il conviendra également de veiller au maintien des compétences en régie de l’État et des possibilités de mise en concurrence ultérieure.

Madame la ministre, trente-huit commissaires se sont abstenus de voter les crédits de la mission pour marquer leur mécontentement face aux décisions d’exécution pour 2018, lesquelles brisent l’élan de cette LPM. Nous espérons que Bercy entendra cette protestation, qui vise à soutenir la défense.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.

Mme Christine Prunaud, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Préparation et emploi des forces ». Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’activité opérationnelle, gage de l’excellence et de la sécurité de nos militaires, reste inférieure, de près de 10 %, aux objectifs fixés.

La remontée tarde à s’amorcer. Notre commission le déplore et s’inquiète à ce sujet : les jeunes équipages de l’armée de l’air peinent à se qualifier, alors que l’entraînement est un enjeu majeur de la marine. Enfin, Sentinelle pèse sur la capacité d’entraînement de l’armée de terre ; ne serait-il pas temps de définir Sentinelle 3 ?

De surcroît, la commission s’inquiète de l’état des services de soutien, qui, selon une expression récurrente dans cette assemblée, sont les éternels sacrifiés : ils subissent de plein fouet les réductions de personnel, quand le nombre de soutenus remonte.

Certes, la remontée des effectifs du service de santé des armées, le SSA, longtemps appelée de nos vœux, est enfin prévue. Mais cette structure reste fragile, alors que la capacité de projeter le personnel médical est une condition indispensable à la capacité de la France à entrer en premier. Or, c’est 20 % du contrat opérationnel du SSA en OPEX qui, l’année prochaine, seront assurés par des réservistes, contre 10 % en 2018.

Le service du commissariat des armées, le SCA, va connaitre 150 suppressions de postes au cours de la période de programmation. Sa réforme n’est pourtant pas achevée. De grands défis l’attendent, qu’il s’agisse de mettre ses systèmes d’information à la hauteur des besoins, d’améliorer la fonction d’habillement, ou encore de parfaire le transport, domaine où les tensions sont réelles.

Madame la ministre, nous serons d’autant plus attentifs à l’évolution du SCA que celui-ci sera un acteur important de la réforme des soutenants annoncée : face à ce chantier d’ensemble, nous resterons très vigilants.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Soutien de la politique de défense ». Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en tant que rapporteur pour avis du programme 212, je prends acte de l’augmentation modérée des crédits de titre 2, laquelle est de l’ordre de 1,3 % pour 2019.

Cette hausse permet de respecter la trajectoire des effectifs fixée par la nouvelle LPM, laquelle prévoit 450 créations nettes d’emplois en faveur du renseignement, de la cyberdéfense, de la numérisation, de la sécurité-protection et du soutien aux exportations – ces priorités sont désormais bien connues –, sans oublier un renfort opérationnel au profit de la marine et de l’armée de l’air.

Cette hausse des crédits de titre 2 permet, en outre, de financer un plan catégoriel d’envergure, qui autorise enfin la mise en œuvre de la seconde annuité du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations », suspendue l’année dernière par mesure d’économie.

Cette décision nous avait préoccupés. En effet, nous sommes attachés à ce que la transposition en faveur des militaires des mesures affectant la rémunération des fonctionnaires civils soit assurée sans retard, afin d’éviter que des écarts, ressentis comme inéquitables, ne se creusent au détriment de nos forces.

Au surplus, le plan catégoriel comporte diverses mesures de revalorisation salariale et indemnitaire, notamment en faveur des praticiens des armées et, plus largement, au bénéfice des métiers sous tension, notamment via la création d’une nouvelle prime de lien au service. Cette dernière a vocation à se substituer à cinq primes existantes. Elle est conçue comme un outil plus souple, à la disposition des différentes armées. Elle a vocation à favoriser l’attractivité des emplois de la défense, la fidélisation de ses personnels et la valorisation de ses compétences critiques.

Il s’agit là – on le sait – d’un enjeu crucial pour les armées. Leur modèle de ressources humaines « à flux » impose un constant renouvellement des effectifs. Dans le même temps, elles doivent attirer des compétences rares et recherchées dans un environnement de plus en plus concurrentiel.

Madame la ministre, ces considérations me conduisent à vous interroger : comment ces mesures en faveur de l’attractivité, prévues au titre du présent texte, s’articuleront-elles avec le chantier de la nouvelle politique de rémunération des militaires, laquelle est en cours de déploiement ? Ces mesures constituent-elles déjà une partie de la réforme ? Dans le cas contraire, ne les anticipent-elles pas outre mesure ? Il faudrait que nous puissions appréhender l’économie du projet dans son ensemble, ainsi que ses équilibres, avant sa mise en œuvre, prévue, sauf erreur de ma part, à l’horizon 2022. Pouvez-vous nous éclairer au sujet de la méthode et du calendrier ?

De plus, la perspective de la réforme des retraites suscite des inquiétudes dans le monde militaire. La réforme s’accommodera-t-elle du maintien de ces dispositions, qui mettent en jeu la pérennité du modèle de ressources humaines appliqué par les armées ? On pense, bien sûr, aux bonifications de cotisations liées à l’activité opérationnelle, à l’existence d’une pension à liquidation immédiate, ou encore aux limites d’âge basses, qui sont liées aux carrières courtes des militaires. En d’autres termes, pouvez-vous nous certifier que la singularité militaire sera bien prise en compte à l’occasion de cette réforme ?

Enfin, puisque l’année touche à son terme, et puisque j’ai dépassé mon temps de parole (Sourires.), je me contenterai d’une dernière interrogation. Pouvez-vous nous donner des assurances quant à la mise en œuvre de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu, qui va se télescoper avec le basculement de Louvois vers Source Soldes ?

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur pour avis.

M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis. À cet égard, quand devrait débuter la phase dite « de solde en double », ultime étape avant la bascule, qui ne concernera, dans un premier temps, que la marine ? Nous le savons, ce dossier est à très haut risque, et nous avons un très mauvais souvenir de Louvois !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Gilbert Roger, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Soutien de la politique de défense ». Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, après une hausse de plus de 400 millions d’euros l’an dernier, les crédits de la politique immobilière du ministère des armées semblent stabilisés. La marche franchie l’an passé semble désormais pérenne.

Toutefois, nous sommes inquiets pour deux raisons : d’une part, la LPM ne permettra qu’une stabilisation de l’état du patrimoine – en effet, 1,5 milliard d’euros d’investissements ont été reportés au-delà de 2025 ; d’autre part, la soutenabilité de la politique immobilière est incertaine, en raison de la saturation des services de soutien. La déconcentration et l’externalisation sont des réponses au mieux partielles, en tout cas insuffisantes.

Le service des infrastructures de la défense comptait 11 500 collaborateurs en 2005. Aujourd’hui, il en dénombre 6 700, et cet effectif n’est pas appelé à progresser sur la durée de la LPM. Or ce service a été bâti, en 2015, dans la perspective de 1 milliard d’euros de travaux de dépenses immobilières annuelles, et, aujourd’hui, ce montant dépasse les 2 milliards d’euros !

Madame la ministre, la stratégie d’efficience accrue a ses limites : la charge de travail est telle que le service ne semble plus suffisamment efficace. La mutualisation des soutiens était souhaitable, mais peut-être aurait-on pu réfléchir à réemployer une partie des effectifs de manière intelligente, plutôt que de les restituer de manière précipitée.

M. de Legge a déjà évoqué les cessions immobilières. Nous regrettons la récente cession d’une fraction de l’îlot Saint-Germain à la régie immobilière de la ville de Paris : cette opération a été conclue avec plus de 66 % de décote – c’est un constat que j’ai dû dresser moi-même. Malheureusement, le ministère des armées ne va récupérer que cinquante petits logements sociaux.

M. Bruno Sido. C’est scandaleux !

M. Gilbert Roger, rapporteur pour avis. C’est insuffisant. Le Sénat a introduit dans la LPM une disposition qui permet, pour l’avenir, de réserver au ministère trois quarts des logements sociaux réalisés lors d’opérations de cette nature. Avec cette disposition, l’on devrait être à même de faire beaucoup mieux – ce n’est pas difficile… (Sourires.) – en cas d’application de la décote : à défaut de recettes, le ministère doit bénéficier de logements.

Je conclus en évoquant la cession du bâtiment de l’ancien hôpital du Val-de-Grâce. Nous avions appelé à reconsidérer la pertinence d’une telle cession. Madame la ministre, où en sont les discussions en cours ?

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Excellent, comme d’habitude !

M. le président. La parole est à M. Michel Boutant, en remplacement de M. le rapporteur pour avis.

M. Michel Boutant, en remplacement de M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Environnement et prospective de la politique de défense ». Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le cadre budgétaire du programme 144 est, disons-le d’emblée, positif, car il respecte la trajectoire définie par la LPM, à savoir l’augmentation progressive des crédits d’ici à 2025.

Les crédits d’études amont représentent, à eux seuls, un peu plus de la moitié des crédits du programme, et progresseront de 35 millions d’euros pour s’établir à 758,5 millions d’euros. Notons tout de même que ce montant est en retrait par rapport aux 762 millions d’euros prévus dans le cadre de la loi de programmation militaire. En effet, nous avions souhaité inscrire le détail de la montée en puissance de ces crédits dans le rapport annexé à la LPM.

Cela étant, comme nos collègues rapporteurs pour avis du programme 146, nous sommes inquiets des conditions de la fin de gestion de 2018 : pour le programme 144, ce sont 20 millions d’euros qui sont annulés. Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser où ces coupes seront effectuées exactement et quel sera leur impact ?

Pour ce qui concerne le soutien à l’innovation, qui constitue l’un des deux axes de ce programme, l’autre étant le renseignement, nous portons, globalement, une appréciation positive, du fait, non seulement, de la hausse des crédits, mais aussi de l’orientation que vous avez retenue, en soulignant à maintes reprises l’importance que vous accordez à l’innovation.

Naturellement, il ne faut pas que ces mesures restent un effet de mode. Dans ce contexte, si nous ne voulons pas que notre industrie de défense, aujourd’hui, et nos armées, demain, connaissent le déclassement technologique, il faut redoubler d’efforts sur le front de l’innovation. Le constat a été dressé lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire : il faut notamment capter l’innovation civile, qui, aujourd’hui, dépasse de plus en plus souvent l’innovation militaire.

Le 1er septembre dernier, l’Agence de l’innovation de défense a été créée, et nous nous en félicitons. Nous avons auditionné son directeur, M. Emmanuel Chiva. Ce dernier nous l’a clairement dit : il a bien conscience du risque d’empilement des structures. Il entend précisément simplifier les canaux de diffusion de l’innovation. Nous suivrons donc avec un grand intérêt les premiers pas de cette nouvelle agence.

Nos auditions ont confirmé un second point positif : le succès du régime d’appui aux innovations duales, ou dispositif RAPID, de soutien à l’innovation. À ce sujet, nous vous adressons une suggestion : le dispositif pourrait être amélioré s’il était étendu à la phase de pré-production des projets.

Enfin, j’appelle votre attention sur la situation de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales, l’ONERA.

Alors que l’innovation et la recherche sont affirmées comme des éléments fondamentaux de notre effort de défense, on ne peut qu’être frappé du cadre extrêmement contraint que l’État a fixé à l’ONERA au titre du contrat d’objectifs et de performance, ou COP, pour la période 2017-2021 : la subvention de l’État devrait être pour ainsi dire stable, de l’ordre de 115 millions d’euros.

De manière significative, la subvention à l’équivalent allemand de l’ONERA a crû, dans le même temps, de 110 à 170 millions d’euros. À l’heure où nous voulons mettre en œuvre, de concert avec l’Allemagne, le système de combat aérien futur, le SCAF, ce différentiel relatif à l’effort de recherche amont devrait nous faire réfléchir.

Pour résumer, le COP négocié et signé en 2016 est aujourd’hui en décalage par rapport à nos ambitions dans le domaine aéronautique et, plus largement, en matière de défense, me semble-t-il. Madame la ministre, n’y aurait-il lieu de faire un petit effort supplémentaire pour l’ONERA, sans attendre la fin du COP ?

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Michel Boutant, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Environnement et prospective de la politique de défense ». Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la LPM a exposé clairement les menaces et les priorités. Dans un monde plus incertain et plus dangereux, la France doit poursuivre ses efforts dans le domaine du renseignement.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, les crédits alloués à la direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, et à la direction du renseignement et de la sécurité de la défense, la DRSD, en sont la traduction. À ce titre, je tiens à formuler deux observations.

Tout d’abord, la DGSE bénéficiera de 89 créations d’emplois, contre 41 pour la DRSD. Toutefois, cette dernière ne parvient pas à pourvoir tous les postes ouverts, non seulement parce que les armées ne sont plus en mesure de la régénérer autant que nécessaire, mais aussi parce qu’elle manque de visibilité et de capacité à proposer des niveaux de rémunération suffisants aux personnels civils.

Ces difficultés de recrutement et de fidélisation, globalement, mais pas complètement surmontées par la DGSE, tiennent également aux singularités des profils recherchés, ainsi qu’à la faiblesse des viviers, notamment dans le domaine du numérique. Il s’agit là d’un problème structurel, qui touche tous les secteurs de l’État.

Il est regrettable que les écoles d’ingénieurs et les universités soient dans l’incapacité de répondre à la croissance des demandes, ce qui crée des tensions sur le marché du travail. Sans une politique active d’orientation vers les filières scientifiques, la France aura, à terme, des difficultés à suivre les pays concurrents ou adversaires dans le domaine du renseignement technique et de la cyberdéfense. C’est un véritable enjeu de sécurité nationale !

Deuxième observation, les crédits d’investissement progressent de plus de 15 %, cette hausse étant essentiellement destinée aux investissements techniques et aux infrastructures immobilières.

Avec Pascal Allizard, je me suis rendu sur les sites centraux de la DGSE et de la DRSD et nous avons pris conscience de l’hétérogénéité et de la vétusté de nombre de bâtiments. Ils ne correspondent plus aux besoins et à l’activité de ces services et nuisent, en outre, à leur attractivité comme à la fidélisation de leurs agents. Les programmes de rénovation et de construction sont des opérations complexes : la saturation des emprises oblige à rénover sans interrompre l’activité et les exigences de sécurité sont maximales.

S’agissant de la DGSE, l’effort d’investissement est considérable : quelque 910 millions d’euros devraient être engagés d’ici à 2025 contre 277 millions d’euros au cours de la précédente loi de programmation. La DRSD verra, en 2019, le démarrage du projet de restructuration du site central pour un coût évalué à 60 millions d’euros. En parallèle, un plan pluriannuel de rénovation des directions zonales et des postes sera financé pour un montant de 16,5 millions d’euros. Nous veillerons à ce que cet effort soit maintenu en exécution.

En conclusion, s’agissant du renseignement, je me réjouis à titre personnel du respect, dans le projet de loi de finances pour 2019, des engagements de la loi de programmation.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je voudrais tout d’abord rendre hommage à nos soldats, exemplaires, ces femmes et ces hommes qui exposent leur vie pour défendre la France et nos concitoyens.

Je pense notamment à celles et ceux qui, en ce moment même, sont déployés en OPEX. J’ai aussi une pensée pour nos blessés, dont on parle peu, alors qu’ils portent dans leur chair la trace de leur courage. Je veux à cet instant et en notre nom à tous leur dire notre reconnaissance et notre admiration. (Applaudissements.)

Nous voilà, madame la ministre, sur le premier exercice budgétaire de la nouvelle loi de programmation militaire. Vous avez pu mesurer lors de nos débats sur ce texte que le Sénat s’interdisait toute posture partisane, quand il y va de la défense de la France – cela a été rappelé, 326 sénateurs ont voté ce texte.

Nous avons adhéré à votre démarche d’une LPM « à hauteur d’hommes », qui se préoccupe des militaires et de leurs familles, et pas seulement des équipements. Nous avons soutenu les deux volets de ce texte, la réparation et la préparation de l’avenir, tous les deux indispensables.

C’est pourquoi vous ne serez pas étonnée que je reconnaisse ici, tout d’abord, qu’il y a du positif dans le projet de budget pour 2019, qui s’élève à 35,9 milliards d’euros, en hausse de 1,7 milliard d’euros. Il y a une augmentation des moyens, personne ne peut le nier. Il y a aussi le respect, à ce stade, de la trajectoire de la LPM. Les presque 700 millions d’euros supplémentaires sur les équipements doivent ainsi permettre de véritablement commencer le grand chantier de modernisation de nos armées. C’est votre combat, madame la ministre ; c’est aussi le nôtre !

Naturellement, il y a des points qui appellent une plus grande vigilance, notamment concernant les ressources humaines : la façon dont seront traitées les retraites des militaires, la mise en œuvre de la nouvelle politique de rémunération, les conditions d’application du prélèvement à la source… Après la catastrophe Louvois, il est impératif que la bascule sur Source Soldes se passe au mieux. Nous serons très vigilants sur tous ces points et je sais, madame la ministre, combien ils vous mobilisent.

Mais parce que nous reconnaissons les points positifs, nous ne tairons pas non plus nos déceptions. Vous le savez, notre commission déplore vivement l’annulation des 404 millions d’euros du budget de 2018, inscrite dans la loi de finances rectificative. Les conséquences en seront réelles et lourdes.

Tout d’abord, jugeons l’ordre de grandeur, alors que le ministre de l’action et des comptes publics veut nous vendre le fait que tout cela est marginal : sur le seul programme 146, ce sont 319 millions d’euros qui sont annulés. Nos rapporteurs, Cédric Perrin et Hélène Conway-Mouret, l’ont dénoncé à raison.

Mes chers collègues, 319 millions, ce n’est pas rien, c’est l’équivalent de deux ans de livraison des nouveaux Griffon ou de dix hélicoptères Tigre, c’est 2,5 fois le coût de l’équipement de tous nos soldats en nouveaux fusils HK416, qui arrivent pourtant au compte-gouttes dans les régiments !

Au-delà de ces exemples éloquents, il y a plus grave : c’est le doute que ce mouvement soudain de pure logique comptable peut faire naître sur la détermination du Gouvernement à suivre la feuille de route, difficile, que trace la LPM. S’il faut déjà raboter près d’un demi-milliard d’euros, alors que la LPM n’est même pas encore commencée, comment ferons-nous lorsqu’il faudra ajouter chaque année un volume encore plus important de crédits au budget de la défense ?

Le message adressé par le collectif budgétaire est désastreux, et tout cela laisse une immense impression de gâchis, quelques mois seulement après l’adoption presque unanime de la LPM. La confiance finira par laisser place au doute !

Madame la ministre, nous avons travaillé en responsabilité, vous et nous, sur la LPM. Nous ne remettons pas en cause votre bonne foi. Nous savons quel est votre combat, il est aussi le nôtre : renforcer les capacités opérationnelles de nos armées. Je veux réaffirmer aujourd’hui notre détermination totale à faire respecter la LPM que nous avons votée.

Sans cette initiative malheureuse sur le collectif budgétaire, nous aurions voté sans réserve le budget de ce premier exercice de la LPM, mais à cause de cela, une large majorité des sénateurs va s’abstenir. Nous manquons une belle occasion de rassembler à nouveau le Sénat derrière nos armées et aussi derrière vous, madame la ministre. Tout cela est bien dommage…

Tournons-nous maintenant vers l’avenir. L’an prochain, la provision pour les OPEX sera portée à 850 millions d’euros. Nous savons bien que ce montant sera inférieur aux besoins. Je vous pose donc d’ores et déjà la question : le Gouvernement compte-t-il, l’an prochain, renier à nouveau le principe d’une prise en charge par la solidarité interministérielle de ce surcoût et faire le contraire de ce qui est spécifiquement prévu dans la LPM ?

J’ai lu avec attention la lettre que le Premier ministre a bien voulu m’adresser à la suite du communiqué de presse de notre commission. J’ai cru y deviner l’amorce d’un raisonnement qui me paraît préoccupant : l’idée que, en proportion du budget total des armées, la ponction était faible et que, somme toute, votre ministère avait été bien traité.

C’est inquiétant, car si le Gouvernement tient ce raisonnement en 2018, qu’en sera-t-il au fur et à mesure de l’exécution de la LPM et des augmentations prévues – 1,7 milliard d’euros par an dans un premier temps, puis 3 milliards d’euros ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Eh oui !

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. C’est oublier que les moyens que nous avons décidé de consacrer à notre défense dans la LPM sont loin d’être un luxe !

Les défis sont colossaux, vous les connaissez comme moi, madame la ministre : combler les lacunes capacitaires, moderniser les équipements, développer nos capacités de renseignement, remettre en état des infrastructures délabrées, investir les nouveaux champs de conflictualité, redonner de l’air au service de santé et au commissariat des armées et renforcer l’attractivité du métier des armes, à l’heure où la concurrence des recruteurs du privé menace les ressources humaines des armées.

Oui, il y a aura besoin de l’effort prévu en LPM, et si Bercy persiste à venir chercher un demi-milliard d’euros, un milliard d’euros ou plus sur le budget des armées chaque année, cela ne fonctionnera pas !

J’ai également entendu un argument assez troublant : quand le Gouvernement – pas vous, madame la ministre – affirme que les annulations de crédit n’auront aucun impact, que faut-il en conclure exactement ?

S’il s’agit de dire que certaines dépenses, par exemple le versement à l’OCCAR, l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement, seraient reportées, c’est tout simplement de la cavalerie budgétaire. Autre hypothèse, nous aurions fait des économies sur le coût de certains matériels : si le ministère avait réussi à faire plus de 300 millions d’économies, nous le saurions !

Une autre interrogation émerge alors ? Si l’annulation de ces crédits devait être indolore, serait-ce parce que le ministère des armées serait devenu incapable d’absorber des hausses de crédits ? Il faut dans ce cas se poser la question de l’organisation du soutien, qui est en silos : une telle organisation est-elle encore adaptée ? Ne faut-il pas plus de subsidiarité pour les bases de défense ? Les commandants de base, eux, sauront engager les crédits au plus près des besoins, au lieu d’être corsetés pour commander un transport, gérer l’habillement ou la cantine ou repeindre un couloir ! Cette question d’organisation doit être traitée, au risque d’empêcher la remontée en puissance.

La question des ressources humaines et des recrutements nous inquiète aussi : quelque 155 millions d’euros n’ont pas été dépensés sur le titre 2 cette année. Chacun connaît la difficulté de maintenir les compétences dans nos armées, vu le niveau des rémunérations et la comparaison avec ce qui a cours dans le secteur privé.

Aussi, l’idée qu’il reste en fin d’année 155 millions d’euros non dépensés nous laisse songeurs. La centralisation de la politique des ressources humaines au niveau du secrétariat général des armées a-t-elle vraiment amélioré le pilotage de la masse salariale ? Ou, tout simplement, est-ce un mal plus profond, celui de la perte globale d’attractivité du métier des armes par la conjonction du surengagement et de la faiblesse des rémunérations ? Je ne doute pas, madame la ministre, que ce sont des questions sur lesquelles vous allez vous pencher de très près. Nous vous accompagnerons dans ces investigations.

Ce que souhaite notre commission, vous le savez, c’est non pas l’échec du Gouvernement, mais la réussite de notre modèle d’armée, parce que cette réussite est la condition de la défense de la France et des Français.

Nous espérons avoir des réponses sur l’ensemble de ces questions et notre commission restera vigilante et mobilisée pour le succès de nos armées. Elle reste disponible, vous le savez, pour y travailler avec vous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Rachid Temal applaudit également.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Alain Richard.

M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances constitue la première étape de l’application de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025, que nous avons adoptée en juin dernier.

De fait, les crédits inscrits sont en hausse de 1,7 milliard d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2018. Cette hausse, qui est sans précédent depuis la fin de la guerre froide, respecte la trajectoire inscrite dans la loi de programmation. Cette évolution est également cohérente, dans un pays qui lutte contre le surendettement, avec les dispositions de la loi de programmation des finances publiques.

En outre, les ressources prévues sont dépourvues d’aléas, ce qui n’a pas encore été indiqué, me semble-t-il, dans notre débat. Ces inscriptions budgétaires, ainsi que la perspective stratégique claire qui a été définie au début du présent quinquennat – perspective qui est d’ailleurs cohérente avec celle qui avait été fixée antérieurement –, constituent une base solide pour financer un développement cohérent de nos forces armées.

Nous avons entendu, lors de la présentation des différents rapports budgétaires, des critiques sur la gestion du financement des OPEX en fin d’année 2018. Ces critiques sont évidemment légitimes, mais je ferai simplement observer que nous n’avons jamais connu une inscription budgétaire de 850 millions d’euros pour les OPEX en loi de finances initiale.

Souvenons-nous tout de même que, durant les premières années où nous avons inscrit une ligne budgétaire à ce titre, celle-ci ne s’élevait qu’à quelques dizaines de millions d’euros et qu’elle a oscillé, durant les deux précédents quinquennats, entre 400 et 500 millions d’euros. Une inscription de 850 millions d’euros en loi de finances initiale constitue donc un progrès ; il n’est pas inopportun de le rappeler.

Le projet de loi de finances pour 2019 met l’accent sur l’investissement en faveur des personnels, militaires ou civils, auxquels je veux aussi exprimer notre hommage et notre soutien – je rejoins en cela les termes employés par le président Cambon à l’instant, qui nous rassemblent tous.

Cette année, les forces armées bénéficieront de 450 créations de postes, centrées principalement sur le renseignement, le cyber et le numérique. Cela constitue un défi, car de tels recrutements, nous le savons, sont difficiles. Cette difficulté explique aussi le chiffre de 450, qui est accessible.

La dimension ressources humaines de ce budget comprend aussi une composante importante et politiquement très significative, à savoir la poursuite du plan Famille. Cette problématique, qui représente le premier facteur de disponibilité et d’engagement des personnels, avait été clairement identifiée par les gouvernements précédents, mais c’est celui auquel vous appartenez, madame la ministre, qui met effectivement des mesures en œuvre.

Des solutions sont ainsi apportées en matière de petite enfance, de logement, d’accès facilité à la carte famille de la SNCF ou de Wi-Fi – celui-ci devient gratuit dans la plupart des situations de projection. Ce sont des projets concrets, qui contribuent à l’attractivité de la carrière militaire pour les jeunes, qui vont ainsi servir leur pays dans des conditions améliorées par rapport à ce qu’ont connu leurs aînés.

Ce budget porte aussi des améliorations en matière d’infrastructures – certaines datent effectivement… – et de conditions de travail et de vie. Sur ces sujets, plusieurs dispositifs sont bien engagés et vont se poursuivre au cours de l’année 2019. Je pourrais aussi citer, comme l’a fait notre collègue Guerriau, la mise à jour du système indemnitaire, qui est destinée à conserver de l’attractivité aux carrières dans l’armée.

Je voudrais d’ailleurs saluer, à cet instant, le travail réalisé depuis maintenant une dizaine d’années par le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, qui est un instrument crédible et parfaitement respectueux de la neutralité des armées ; au fond, il est chargé de défendre par procuration les intérêts professionnels des militaires, en opérant notamment un travail de comparaison, d’étalonnage, de leurs conditions statutaires et de rémunération par rapport à d’autres professions. Les personnalités engagées dans ce Haut Comité apportent beaucoup de soin à leur tâche et servent utilement les armées.

Je voudrais aussi évoquer le service de santé des armées. Nous savons tous par expérience à quel point ce service est une composante essentielle de la solidité et de la confiance de nos forces armées, et à quel point il constitue un pôle d’excellence dans la médecine française et la recherche.

Au-delà de la question immobilière – le sujet du Val-de-Grâce a été évoqué –, je crois qu’il nous faut aussi parler des personnels, dont je veux souligner les qualités humaines, de courage et d’engagement – je pense notamment aux médecins, qui sont, je le rappelle, particulièrement qualifiés pour la mission dans laquelle ils s’engagent.

Il n’est pas toujours facile de fidéliser ces personnels. En raison de la valeur scientifique et médicale, l’attractivité des postes est toujours très forte en début de carrière, ce qui est un bon signe, mais la suite est souvent plus fragile. Je suis convaincu, madame la ministre, que vous examinez ce sujet de près.

Dans nombre d’opérations, dont certaines avec des unités très dispersées, il peut être nécessaire de projeter aussi des personnels médicaux. La question du service de santé des armées est donc importante pour la crédibilité de nos engagements.

Pour revenir au projet de loi de finances, je note que les dépenses liées aux équipements sont en forte progression.

Sans citer toutes les réalisations, je souhaite mentionner l’importante réorganisation que vous avez engagée, madame la ministre, en ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle, le MCO, de l’aéronautique. Ce projet porte beaucoup d’espoirs, puisque, dans toutes les armées, il s’agit d’une fragilité connue et très sérieuse.

J’observe aussi avec satisfaction l’accélération des études amont et la mise en place d’un nouveau partenariat avec Bpifrance, DEFINVEST, qui, je le crois, attirera nombre d’entreprises stratégiques.

Vous l’aurez compris, nous sommes devant un bon budget, qui ouvre une perspective dynamique. Il faut donc le voter – c’est en tout cas ce que fera le groupe La République En Marche, en disant bravo au Gouvernement ! (M. Jacques Mézard applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Défense » sont essentiels pour la préservation de notre sécurité et de nos valeurs, mais aussi de nos intérêts, du fait de notre présence sur l’ensemble du globe.

Ces crédits doivent en priorité assurer la sécurité des militaires déployés dans le monde. Au moment où nous parlons, ils sont près de 5 000 au Sahel, où ils remportent chaque jour des victoires contre le terrorisme, plus de 1 000 au Levant, que ce soit en mer, sur terre ou dans les airs, pour lutter contre ce qui reste de Daech et 10 000 à assurer la présence et la souveraineté de la France dans le monde.

Ces crédits sont essentiels, enfin, car ils doivent contribuer à préparer l’avenir, en nous permettant d’investir dans l’innovation pour préserver notre liberté d’action et d’assurer notre capacité à dissuader tout adversaire potentiel. Jeudi dernier, le chef d’état-major de l’armée de l’air a notamment souligné son inquiétude face à la prolifération des systèmes d’anti-accès, qui mettent en péril notre supériorité aéronavale.

Face à ces défis, nous avons deux préoccupations ; nous les avons déjà exprimées lors des discussions sur la loi de programmation militaire.

Première préoccupation, le budget des armées doit être sincère. Certes, madame la ministre, j’entends l’argument d’une hausse sans précédent du budget de la défense depuis de nombreuses années, mais convenez qu’il y a un problème de respect du vote du Parlement et des engagements pris à l’égard des armées dans le cadre de la LPM pour 2019-2025.

Je pense, d’une part, aux annulations de programme qu’il faudra réintégrer dans les prochaines années, et, d’autre part, au prolongement de l’effort engagé en 2018 en ce qui concerne les OPEX, dont la provision va à nouveau augmenter, en passant de 650 millions d’euros en 2018 à 850 millions en 2019. Nous appelons à ce que le reliquat soit effectivement et concrètement assuré par la solidarité interministérielle, comme l’a indiqué Dominique de Legge, et non par le budget des armées.

Seconde préoccupation, le budget des armées doit, au moins, permettre de préserver un statu quo opérationnel et capacitaire.

C’est vrai en termes budgétaires, mais également en termes humains. L’année 2019 verra la création de 450 postes, en particulier dans les secteurs du renseignement et de la cyberdéfense. Nous comprenons ces priorités, mais nous souhaitons que les missions conventionnelles des armées reçoivent également le renfort humain dont elles ont besoin.

À ce niveau, nous sommes confrontés à un fait préoccupant : une sous-consommation des crédits de personnel pourrait être constatée en 2018. Sommes-nous face à un creux conjoncturel ou à un déficit chronique d’attractivité de la part des armées ? Pourriez-vous, madame la ministre, nous éclairer sur ce point ?

Cette question est d’autant plus prégnante que vous avez déjà pris des mesures fortes, que nous approuvons, pour fidéliser les soldats. Ainsi, la création d’une prime de lien au service, la reprise du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » et la montée en charge du plan Famille vont dans le bon sens. Il faut placer les efforts de la Nation, comme vous le dites avec justesse, madame la ministre, « à hauteur d’hommes ».

Sur le plan humain, nous avons d’autres questionnements. Le projet de service national universel, SNU, nous interpelle. S’il était question d’un encadrement militaire, à quelque échelle que ce soit, cela soulèverait des interrogations majeures. Où les ressources correspondantes seraient-elles prélevées ? Quelles seraient la responsabilité des militaires et leur articulation avec les encadrants civils ?

Le SNU devrait être expérimenté à l’été 2019. Or aucun crédit n’a été inscrit à ce titre dans le présent projet de loi de finances, ni sur le budget du ministère des armées, ni sur celui du ministère de l’éducation nationale. Nous craignons une déstabilisation de la LPM et nous demandons à être rassurés sur ce point.

Pour permettre d’exercer pleinement leur métier, les hommes ont besoin d’équipements bien entretenus et renouvelés.

En 2019, les crédits pour l’entretien programmé du matériel connaîtront une hausse exceptionnelle en autorisations d’engagement de plus de 4,6 milliards d’euros, ce qui représente un doublement. Cette augmentation concernera en particulier le maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques et contribuera à la mise en place de la nouvelle direction de la maintenance aéronautique.

Alors que se déroulait, la semaine dernière, le Forum Innovation Défense, il est évident que la capacité du ministère à investir dans les technologies de demain est indispensable à notre effort de défense. Nous saluons ainsi la hausse des crédits dédiés à la recherche et au développement, qui sera de l’ordre de 180 millions d’euros en 2019.

Toutefois, en matière d’effort d’armement et d’équipement, nous souhaitons rappeler notre vigilance quant aux mouvements de crédits en cours, qui peuvent parfois déstabiliser des programmes entiers. L’exemple du récent projet de loi de finances rectificative nous a montré à quel point ces budgets sont fragiles et soumis aux aléas budgétaires.

Cela m’amène à mon dernier point : la logique comptable qui prévaut trop souvent au détriment de nos intérêts de sécurité. Vous savez que le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient la remontée en puissance du budget des armées. Pour nous, il s’agit d’un impératif de sécurité nationale, mais également d’une nécessité si nous souhaitons maintenir notre rang dans le monde, être crédible auprès de nos alliés et assumer pleinement notre indépendance.

Le Parlement a voté une trajectoire budgétaire ambitieuse, la plus ambitieuse depuis de nombreuses années. Nous n’accepterons pas de la voir remise en question en permanence par des arbitrages de Bercy. Cette tension entre les ministères des armées et du budget doit cesser, si nous voulons assumer collectivement l’effort de défense que nous avons tous voulu.

Je rappelle à ce titre que les plus hautes « marches » budgétaires ne doivent être gravies qu’à partir de 2023. Le plus dur est donc devant nous ! Un proverbe tibétain dit : « Quand tu es arrivé au sommet de la montagne, continue de grimper ! » (Sourires.) Nous ne sommes qu’au début de la mise en œuvre de la loi de programmation militaire, et l’ascension sera longue avant que nous n’atteignons le sommet. Il ne faudrait pas, madame la ministre, que de petits cailloux nous fassent trébucher prématurément.

Madame la ministre, nous avons confiance dans votre engagement et vous pouvez compter sur notre soutien en faveur de l’intégrité de la trajectoire budgétaire, que nous avons votée dans la loi de programmation militaire. (Mme Sophie Joissains et M. Alain Richard applaudissent.)

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le vote des crédits de la défense est toujours un moment singulier, incontournable, car c’est un moment de vérité budgétaire et politique. C’est l’occasion de vérifier si le Gouvernement respecte ses engagements en allouant les moyens nécessaires à l’application de lois que nous votons.

La question est simple : le budget des armées pour 2019 est-il en adéquation financière avec la loi de programmation militaire votée il y a quatre mois, après un vrai travail de concertation ?

Madame la ministre, nous savons votre engagement personnel dans la recherche de crédits à la hauteur des ambitions françaises en matière de défense, ambitions imposées par nos responsabilités internationales et par une sécurité mondiale rythmée par une instabilité géopolitique croissante.

Pour autant, madame la ministre, je suis au regret de vous dire que, malheureusement, votre détermination n’a pas suffi ! Ce budget devait incarner « l’antichambre » de la première année de la loi de programmation militaire. Or, une fois de plus, nous avons assisté au scénario « gel de crédits, dégel et crispation sur toutes les travées »…

Comme l’a très bien exprimé notre collègue rapporteur spécial de la commission des finances Dominique de Legge lors de son examen, le projet de loi de finances rectificative pour 2018 est un budget de renoncement : il se traduit par une annulation de 404 millions d’euros, qui affecte principalement le programme 146 dédié aux équipements.

Pourtant, vous nous aviez promis que l’heure était à la réparation et à la préparation de l’avenir. Ces annulations augurent mal de l’entrée dans la nouvelle LPM, alors même que la France n’a pas réduit la voilure des OPEX.

De fait, la problématique du maintien en condition opérationnelle, ou MCO, reste centrale, car l’usure des matériels et la rudesse des théâtres exigent un rythme de remplacement plus soutenu. Il y va de la sécurité de nos soldats.

En outre, nul ne peut le nier, ces annulations de crédits auront des répercussions sur la base industrielle et technologique de défense et sur le tissu des petites et moyennes entreprises qui participent à la croissance économique et pèsent positivement dans la balance des exportations. Il nous faut d’ailleurs réfléchir aux moyens de mieux les protéger, par exemple en écartant des appels d’offres les entreprises étrangères, dès lors qu’ils touchent à des domaines très sensibles.

Que dire également de la fin de la solidarité interministérielle dans le financement des OPEX ? Que penser des déclarations du Premier ministre, selon lesquelles les armées peuvent assumer intégralement les OPEX ?

Cela m’amène à deux remarques. La fin de l’interministériel, c’est la négation de la LPM. Est-ce là toute la considération pour le pouvoir législatif et la représentation nationale ? Ensuite, l’interministériel n’est pas uniquement une question comptable : c’est aussi un partage du coût de la sécurité et de la défense de la Nation entre tous les ministères. En termes symboliques, ce n’est pas un détail.

Peut-être me répondrez-vous que des reliquats de crédits de personnel, à hauteur de 150 millions d’euros, permettront d’amortir ces annulations ? Malheureusement non, car cette non-consommation incarne parfaitement le défi de la politique de ressources humaines, auquel le ministère doit faire face : recruter, rémunérer et fidéliser.

C’est particulièrement vrai dans les domaines du renseignement et de la cyberdéfense. Les data, leur exploitation et leur protection représentent un enjeu économique primordial. En outre, comment être attractif dans un secteur où les salaires dépassent ceux des généraux ?

Certes, la réserve citoyenne pourrait offrir un début de réponse, mais encore faudrait-il mieux recenser et utiliser les talents des réservistes. Madame la ministre, je profite de cet instant pour vous demander de nous éclairer sur l’état de la réserve citoyenne, qui pourrait être mieux utilisée, en particulier à l’étranger pour l’organisation de la Journée défense et citoyenneté. J’aurai l’occasion d’y revenir.

Pour continuer sur les questions technologiques, je voudrais attirer votre attention sur l’importance de notre souveraineté en matière cyber.

Nous pouvons nous féliciter d’une certaine prise de conscience qui a eu lieu sur ce sujet et des efforts qui sont consacrés à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, mais il convient de les accroître tant en matière de formation que d’investissement. À l’heure où les « rançongiciels » se développent, nous devons réfléchir à l’utilisation des logiciels libres dans les services et par les opérateurs sensibles.

La dépendance de la défense envers Microsoft, j’ai déjà eu l’occasion de le dire et de l’écrire, est un handicap, voire une menace pour cette souveraineté numérique que nous devons construire.

À cet instant de la discussion et en dépit du constat négatif sur la réalité de votre budget et ses lourdes conséquences sur les armées, je voudrais, madame la ministre, vous remercier pour votre action vis-à-vis des soldats et de leurs familles.

Il me paraît important de rappeler qu’il n’est point de défense sans ressources humaines. Certes, nous rendons très régulièrement un hommage appuyé et solennel aux hommes et aux femmes de la défense. Mais ces hommages et cette reconnaissance doivent se traduire par des actes.

Nous ne pouvons donc que vous soutenir concernant le plan Famille mis en place l’année dernière et qui devrait monter en puissance. Il y a en effet derrière chaque soldat une famille pour qui le quotidien est souvent difficile.

Madame la ministre, vous l’aurez compris, je suivrai, avec mon groupe, l’avis de la commission des finances, qui a conclu à une position de sagesse, sagesse responsable, mais empreinte de lassitude et de lourdes inquiétudes concernant l’environnement et toute la communauté de défense.

En guise de conclusion, je veux vous donner rendez-vous l’année prochaine, madame la ministre. Cela vous laisse une année pour réussir la première marche de la loi de programmation militaire et sur laquelle nous serons plus que vigilants.

(M. Philippe Dallier remplace M. Thani Mohamed Soilihi au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.

Mme Christine Prunaud. Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il y a six mois, nous discutions de la programmation militaire 2019–2025. Lors de ce débat, notre groupe avait pointé une vive inquiétude quant au choix de reporter la majorité de l’effort de défense à la fin du quinquennat, voire après les élections de 2022.

Autant dire notre attention sur ce premier budget post-LPM.

Avant toute chose, il faut rappeler notre profond doute à l’égard de l’objectif des fameux 2 % du PIB de l’effort budgétaire de défense. Cet objectif appelle, selon nous, un débat démocratique qui n’a toujours pas eu lieu. Pourrons-nous vraiment préparer la paix dans le monde en nous livrant à la course aux armements et en augmentant tous les budgets militaires mondiaux ?

Je sais, mes chers collègues, que nous avons un désaccord sur le financement des OPEX.

La défense nationale concerne, selon nous, l’ensemble des acteurs publics de l’État. Faire reposer une part du budget des opérations extérieures sur un fonds interministériel ne nous semble toutefois pas la solution la mieux adaptée. Je vous rappelle d’ailleurs la critique émise par la Cour des comptes sur ce fonctionnement.

Ce choix est, selon moi, d’autant plus incohérent que le ministère de la défense participe lui aussi à ce fonds. Dans ces conditions, pourquoi ne pas prévoir une ligne budgétaire suffisante au sein du programme 178 ?

Si, comme l’a rappelé l’un de nos collègues, le provisionnement de 850 millions d’euros pour cette année apporte beaucoup plus de transparence, le problème de la sous-évaluation du coût des OPEX perdure. Ces dernières années, il a coûté cher en retard d’équipements pour nos soldats et nos armées.

Je poursuis sur la question de l’immobilier. Les gouvernements successifs ont fait le choix de vendre le patrimoine de la défense, alors que les besoins étaient criants, du fait de la mobilisation toujours plus importante des effectifs et de la vétusté des locaux existants.

Le plan Famille doit permettre de répondre, en partie, à cette problématique. Nous soulignons l’engagement dans ce budget de presque 2 milliards d’euros pour planifier les nombreuses améliorations et rénovations de bâtiments de défense. C’est une très bonne chose, madame la ministre !

Pour poursuivre, vous connaissez, mes chers collègues, notre désaccord sur l’augmentation des crédits apportés à l’OTAN, à hauteur de 84 millions d’euros sur le budget de la défense et de 28 millions d’euros sur le budget de l’action extérieure de l’État. Cela représente encore une hausse de 7 %.

Nous le répétons chaque année, notre opposition n’est pas purement de principe, elle est également liée aux enjeux de la construction d’une Europe de la défense. Comment construire une nouvelle politique de sécurité collective en Europe et non une Europe de la défense arrimée à l’OTAN ? Voilà la question dont nous devrions débattre.

Autre point de désaccord, que j’ai également souvent évoqué ici, le plan de modernisation nucléaire, qui mobilisera 4,5 milliards d’euros. En consacrant toujours plus d’argent à ce plan de modernisation – j’en reviens toujours à cela, car j’aimerais nous voir un jour réussir à réduire le nucléaire militaire, ce qui serait déjà une avancée énorme ! –, la France s’interdit d’être la figure de proue d’un retrait progressif du nucléaire militaire, conformément au traité de non-prolifération. Je n’aborde pas ici les traités d’interdiction.

Dans cette intervention, je tiens à aborder un sujet largement évoqué lors de nos discussions en commission, la question des ventes d’armes. Le sens des responsabilités mais aussi l’éthique impliqueraient de mettre en œuvre, comme le préconisent nos voisins allemands – je ne sais s’ils sont passés aux actes – et le Parlement européen, un arrêt des ventes d’armes vers les pays engagés dans un conflit contre la population civile, et je ne pense pas seulement à l’Arabie Saoudite par rapport au Yémen. Avouez que cette situation – très rarement évoquée, même entre nous, au sein de la commission – est, d’après les informations dont nous disposons, catastrophique sur le plan humain ! (Mme Florence Parly, ministre des armées, acquiesce.)

Le Gouvernement maintient sa position de refus de débattre de la question. Son argument, c’est que l’utilisation des armes, dès lors qu’elles sont achetées et livrées par les pays acheteurs aux armées d’État légales, ne regarde pas le vendeur que nous sommes, une fois la livraison effectuée. J’aimerais que soient engagées des réflexions sur ce sujet et sur l’opacité dans la vente des armes. Sur le plan humain, sur le plan du respect du droit international que nous défendons tous ici, nous adopterions déjà une position forte en affichant, sinon une volonté de stopper la vente des armes vers de tels pays, du moins celle de demander un moratoire.

Lors de mon intervention en qualité de rapporteur pour avis, j’avais souligné la remontée du maintien en condition opérationnelle, mais celle-ci reste encore lente et inférieure aux prévisions.

J’insiste également sur la baisse des crédits de l’action sociale en direction des militaires. Il s’agit ici d’un message que nous aurions aimé différent. Les séquelles de Louvois sont encore très présentes – vous en êtes consciente, madame la ministre, je le sais. Il faut aussi mentionner la future réforme des retraites, qui laisse planer une grosse inquiétude pour nos militaires.

M. le président. Il faudrait conclure.

Mme Christine Prunaud. Je vais conclure, monsieur le président. L’année dernière, j’avais dit qu’il serait bon que nous réussissions à nous rapprocher au sujet de la loi de programmation militaire. Après maintes discussions au sein de mon groupe, nous avons décidé, madame la ministre, de ne pas voter contre les crédits de la mission. Nous nous abstiendrons.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.

M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur Christian Cambon, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis nos derniers débats, ici même, lors de l’examen de la loi de programmation militaire, la situation du monde ne s’est pas apaisée. La montée des menaces a été largement décrite dans la dernière Revue stratégique.

La menace terroriste, si elle a été largement circonscrite par nos interventions, notamment avec les opérations Barkhane et Chammal, est toujours présente et engage nos forces armées en opérations extérieures et intérieures.

Je tiens ici à saluer la détermination, le courage et le professionnalisme de tous nos soldats et de leurs chefs, le général François Lecointre, chef d’état-major des armées et les chefs d’état-major des armées de terre, de l’air et de la Marine.

Au-delà des opérations extérieures, les Français les côtoient au quotidien et il n’est pas rare qu’ils les remercient ou les saluent avec admiration et bienveillance. Ils patrouillent chaque jour dans nos rues en s’intégrant parfaitement aux dispositifs mis en place de manière conjointe et coordonnée par l’ensemble de nos forces de sécurité.

Certains d’entre eux seront sur tous les théâtres d’opérations lors des prochaines fêtes de fin d’année et, pour avoir partagé quelques réveillons à leurs côtés, je sais ce que cela représente pour leurs familles.

Derrière chaque soldat, il y a des parents, des conjoints, des enfants. Il y a aussi, et je tiens à insister sur ce point, notre pays et ses valeurs, que nos forces armées servent sans hésitation, fût-ce au prix du sacrifice suprême. Je pense aussi à nos soldats blessés et aux familles endeuillées.

Notre travail dans cet hémicycle doit prendre tout cela en considération au moment où nous débattons du budget de la défense.

En ce sens, au Sénat, nous n’avons pas attendu les artifices de communication d’un soi-disant « nouveau monde » pour considérer que certains sujets revêtent une importance qui dépasse les oppositions classiques entre partis politiques et appelle une approche collective au-delà de toutes les travées, sans oublier nos différences et nos divergences qui enrichissent nos travaux. Notre défense appelle sérénité et efficacité.

Vous avez pu, madame la ministre, constater l’an dernier, lors du précédent débat budgétaire et au cours de la discussion de la loi de programmation militaire, que le Sénat est un lieu de débat constructif et créatif. Le président Cambon a repris le flambeau de ses prédécesseurs et je tiens à le remercier, lui et l’ensemble de nos collègues, pour la qualité de nos échanges et de nos débats en commission.

Ici, nous travaillons en confiance et avec vigilance. Nous jugeons sur pièces !

Lors de la loi de programmation militaire, vous avez proposé un cadre de confiance en positionnant les futurs engagements budgétaires à « hauteur d’homme » et en suscitant beaucoup d’espoir d’amélioration pour nos armées. Nous avons voulu croire aux promesses d’un effort inédit et d’une remontée en puissance exceptionnelle.

Cette démarche s’inscrivant en continuité du travail impulsé par le précédent président de la République, François Hollande, notre groupe l’a soutenue tout en émettant des réserves quant à son exécution et à la traduction des paroles en actes.

Or, dans les actes, la fin de gestion de l’exercice 2018 est marquée par la contradiction de l’article 4 de la loi de programmation militaire sur la solidarité interministérielle quant aux surcoûts des OPEX. Cette disposition primait jusqu’alors et jusque dans le texte que nous avons voté en toute bonne foi le 4 juillet dernier.

Les 404 millions d’euros supportés en 2018 par le seul budget des armées seront répercutés dès 2019 et entament donc largement les promesses faites par l’actuel gouvernement à nos armées. La loi de programmation militaire n’est pas encore en œuvre que ces engagements sont déjà remis en question. Ce n’est pas, comme nous l’avons entendu, une simple question de technique budgétaire. C’est un problème politique dont nous nous demandons quelles seront les répercussions concrètes.

Ce problème politique vient ternir l’impression générale de l’augmentation de 4,2 % du budget de la défense pour 1,7 milliard d’euros, qui l’inscrit dans la trajectoire fixée par la loi de programmation militaire. À la suite du projet de loi de finances rectificative pour 2018, le doute est là. Il ne permet pas d’être assuré, par exemple, que l’augmentation du programme 146 aura la portée escomptée et que l’ensemble des commandes et livraisons d’équipements seront au rendez-vous.

La logique budgétaire qui s’est appliquée ces dernières semaines pour le budget de la défense, consistant à prendre plus au ministère des armées parce qu’il a été doté de plus de crédits, risque d’être démultipliée lorsqu’il s’agira de garder le cap et de gravir la dernière grande marche avec l’augmentation de 3 milliards d’euros annuels dans la seconde partie de la loi de programmation militaire. L’exercice de travaux pratiques et concrets risque de se heurter encore plus durement à la logique de Bercy. Cependant, dans ce contexte d’incertitudes, il y a tout de même des signaux positifs à saluer. L’aspiration profonde au sein de nos armées portant sur les conditions de vie apparaît néanmoins prise en compte. Je pense à l’augmentation des crédits pour le plan Famille, portés à 57 millions d’euros. Cela va dans le bon sens et nous soutiendrons toutes les décisions qui permettront de poursuivre cette dynamique.

L’un des grands enjeux de ces prochaines années porte en effet sur les capacités de fidélisation des personnels de nos armées. Nous devons faciliter la vie de nos soldats, qu’ils soient sur base, en caserne ou en situation de mobilité. Trop souvent, les tracas du quotidien quant à la recherche d’une place en crèche ou d’un appartement viennent s’ajouter aux difficultés d’un métier soumis à une pression constante.

Comme le relève le 11e rapport du Haut comité d’évaluation de la condition militaire de septembre 2017, le premier facteur de départ de l’institution militaire porte sur la conciliation entre vie privée et vie militaire pour plus de 55 % des militaires interrogés. Nous avons le devoir de mettre nos soldats dans les meilleures conditions possibles, que ce soit en opération mais aussi en dehors.

De ce point de vue, pourriez-vous, madame la ministre, nous éclairer sur les prochaines étapes du plan Famille et d’autres projets que le ministère serait amené à porter pour situer son action sur l’amélioration des conditions de vie et de travail de nos militaires ?

À cet enjeu de fidélisation s’ajoutent d’autres enjeux en termes de ressources humaines, avec le recrutement de 6 000 personnels sur la période 2019–2025.

D’abord, je redis notre inquiétude sur la capacité à tenir la trajectoire annoncée, qui fait porter le plus gros effort sur 2023 à 2025, avec 75 % des créations de postes.

Ensuite, je repose la question des moyens et des dispositifs de recrutement et d’intégration dans un contexte où 62 % des militaires envisagent de quitter la fonction. Le plan Famille est un levier d’attractivité qui porte essentiellement sur les personnels déjà sous contrat, mais qui ne sera peut-être pas suffisant pour celles et ceux que nos armées souhaiteraient attirer.

Dans la pratique, pour l’année 2019, ce projet de loi de finances prévoit la création de 450 postes, 199 dans le renseignement et 107 dans la cyberdéfense, soit 68 % des postes créés. Si je tiens à saluer ces créations de postes, j’observe qu’il s’agit d’emplois faisant appel à un haut niveau de compétences et à des profils particuliers.

Sur ces profils, le ministère des armées est en concurrence avec le secteur privé, qui bénéficie d’une attractivité plus importante et qui est, en tout état de cause, rompu à l’exercice depuis de nombreuses années. En conséquence, l’institution va devoir mettre en œuvre une stratégie d’attraction des meilleurs profils. Je vous pose donc la question, madame la ministre : quelles mesures le ministère entend-il prendre afin d’attirer et d’incorporer ces hauts potentiels ?

Madame la ministre, vous l’aurez compris, nous sommes sceptiques. Depuis la loi de programmation militaire, le projet de loi de finances rectificative pour 2018 est passé par là, et il laisse des traces. Nous ne pouvons regarder ce budget « Défense » dans le projet de loi de finances pour 2019 qu’à travers un prisme de doutes et d’incertitudes, conséquences directes des conditions de fin de gestion de l’exercice budgétaire qui s’achève. Budget 2018 pour lequel vous nous annonciez « un budget sincère, contrairement », je vous cite, « aux gouvernements précédents ».

L’impact de 319 millions d’euros annulés sur le programme 146 n’est pas encore mesurable concrètement en termes d’équipements, mais nous savons, par expérience, qu’il y aura des effets à moyen ou long terme.

Ce n’est pas un bon signal dans la perspective du comblement de nos lacunes capacitaires. Ce n’est pas non plus un bon signal donné par le Gouvernement à l’aube de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de programmation militaire.

Nous savons que nous n’avons pas besoin de vous convaincre, vous, madame la ministre. Cohérents avec ce que nous disons depuis votre entrée en fonctions consistant à soutenir les avancées au service de notre défense et à nous opposer aux reculs, nous allons envoyer, à notre tour, un signal au Gouvernement.

En conséquence, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur le vote des crédits de la mission « Défense ».

M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti. (Mme Nadia Sollogoub et M. Jean-Pierre Moga applaudissent.)

M. Olivier Cigolotti. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’affichage des mesures inscrites dans le budget 2019 vient valider les axes de réforme portés par la loi de programmation militaire dont notre groupe partage pleinement les ambitions.

Il s’agit en effet du premier budget de cette loi de programmation militaire 2019–2025, que le groupe Union Centriste que je représente avait largement soutenue lors de son examen par notre assemblée.

Avec une augmentation de 1,7 milliard d’euros de crédits par rapport à 2018, l’effort financier permet au budget d’atteindre 35,9 milliards d’euros, hors pensions. Nous sommes donc sur la bonne trajectoire pour atteindre notre objectif d’allocation de 2 % de la richesse nationale à notre impératif de défense.

Je tiens tout d’abord à saluer, pour la première année, une remontée en puissance des effectifs au sein du ministère, avec la création nette de 450 emplois affectés principalement dans les domaines du numérique, du renseignement et de la cyberdéfense.

Ce budget intègre ainsi deux axes structurants de la loi de programmation militaire, la préparation aux conflits du futur et l’innovation, avec, notamment, 758 millions d’euros prévus pour les études amont, soit une hausse de 5 % des crédits.

À l’heure de révolutions numérique et sociétale, ces effectifs et ces crédits supplémentaires sont indispensables pour demeurer compétitifs et protégés face aux nouvelles menaces qui apparaissent autour de nous.

Les nouvelles technologies constituent en effet de nouveaux moyens de protection aussi bien que de nouvelles armes.

Il s’agit donc, à la fois, de ne pas nous laisser distancer, mais aussi et surtout de nous assurer de l’avance en termes d’initiative technologique.

À ce titre, je veux saluer la création de l’Agence de l’innovation de défense, dont nous attendons avec impatience des éléments complémentaires quant à ses moyens et son fonctionnement.

La progression des crédits permettra également de répondre à d’autres défis sociétaux et sociaux, notamment par l’investissement de 57 millions d’euros dans le plan Famille.

Très attendu par les personnels civils et militaires des armées, celui-ci constitue un levier incontournable de leur fidélisation. Sa mise en place est donc une réelle priorité afin d’assurer un meilleur accompagnement des militaires et de leur famille, notamment sur les questions de mobilité.

Concernant le maintien en condition opérationnel – MCO – des matériels terrestres, maritimes et aériens, des efforts importants sont à noter, avec une augmentation de 7 % des crédits par rapport à 2018.

Dans une période de fort engagement opérationnel de nos forces armées sur plusieurs théâtres d’opérations, également marquée par la mise en service de nombreux matériels nouveaux, il est primordial que le MCO des équipements soit assuré sans rupture et avec un degré de performance particulièrement élevé, en dépit des contraintes budgétaires et de la complexité des procédures contractuelles.

Je tiens cependant à alerter sur la situation de notre marine, qui semble connaître une évolution de ses crédits un peu moins importante que celle des autres forces.

Serons-nous à la hauteur avec une augmentation de seulement 6 % pour la préparation des forces navales, alors que cette augmentation est supérieure à 9 % pour les forces aériennes, comme pour les forces terrestres ?

À l’heure où la Chine met à la mer l’équivalent de l’ensemble de la flotte française tous les quatre ans, à l’heure où la Russie développe sa capacité de missiles depuis ses navires, il est plus que jamais nécessaire que nous conservions, voire renforcions, nos capacités navales et aéronavales. Elles sont le gage de notre capacité de projection et de notre présence sur tous les théâtres d’intervention au niveau mondial.

La conflictualité maritime ne pourra que s’accroître avec le temps et la mondialisation de nos échanges.

Ce constat m’amène à rappeler les chiffres concernant le financement des OPEX. Il était en effet prévu une provision de 650 millions d’euros pour les OPEX cette année et 850 millions d’euros en 2019, le reste à financer devant être pris en charge par la solidarité interministérielle.

Le général Lecointre, chef d’état-major des armées, avait d’ailleurs rappelé, l’année dernière, que ce complément de solidarité interministérielle était « extrêmement important pour montrer que ce ne sont pas les armées qui décident de leurs engagements ».

Le changement de position sur la solidarité interministérielle est, certes, inclus dans le projet de loi de finances rectificative, et non dans la mission que nous examinons aujourd’hui.

Même si je tiens à saluer, madame la ministre, vos efforts et votre détermination sur la loi de programmation militaire, comme sur ce budget, ni notre commission ni le groupe auquel j’appartiens ne sauraient rester silencieux face à ce revirement inacceptable de la part de Bercy.

Ces OPEX nécessitent, en outre, inéluctablement, un remplacement des matériels les plus anciens par des matériels de pointe. La hausse des crédits répondra, l’année prochaine, aux premiers besoins en la matière.

Je pense notamment à la livraison du premier avion léger de surveillance et de renseignement, ALSR, d’une FREMM, frégate de défense aérienne, de 89 véhicules blindés multirôles lourds GRIFFON ou encore de deux systèmes drone REAPER supplémentaires.

Derrière ces annonces globalement positives, nous ne pouvons passer sous silence certains points moins satisfaisants du budget dont nous sommes aujourd’hui saisis.

Je pense en particulier à l’annulation par le ministère des comptes publics du montant de crédits équivalents à ceux de l’enveloppe interministérielle dédiée aux OPEX.

Piochés dans la réserve de précaution sur trois programmes de défense, le 146, « Équipement des forces », le 212, « Soutien de la politique de la défense », et le 144, « Environnement et prospective de la politique de défense », ce sont près de 400 millions d’euros qui disparaissent de la réserve de précaution par un tour de passe-passe budgétaire !

Pour conclure, madame la ministre, je souhaite rappeler le plein soutien de mon groupe à la trajectoire fixée par la loi de programmation militaire.

Cependant, la coupe claire de crédits opérée par Bercy sur ce budget pour 2019 est inacceptable et incompréhensible. Nos forces ont besoin de ces crédits. Par conséquent, à défaut d’éléments nouveaux, notre groupe s’abstiendra sur le vote des crédits de la mission « Défense ».

M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 11 novembre dernier, au Forum de la paix organisé à la Villette, le Président de la République rappelait notre monde « fragilisé par des crises qui déstabilisent nos sociétés ».

Comme l’avait souligné le Livre blanc de 2013, puis confirmé La Revue stratégique de défense et de sécurité nationale en 2017, notre environnement stratégique se durcit.

En effet, malgré des décennies de construction d’un droit international, nous ne sommes toujours pas à l’abri des menaces, des menaces qui nous éloignent malheureusement du rêve de Charles Péguy, qui déclarait, à la veille de sa mort, le 5 septembre 1914 : « Je pars, soldat de la République, pour le désarmement général, pour la dernière des guerres. » Aujourd’hui, plus de 100 ans après, les défis ont changé de nature, mais, comme hier, ils nous obligent à maintenir et même accentuer l’effort de défense de notre pays.

Ces défis, nous les connaissons bien. Il y a celui de la faiblesse des États faillis, qui mobilise nos forces armées, comme c’est, par exemple, le cas actuellement dans la bande sahélo-sahélienne, avec l’opération Barkhane.

Il y a celui des postures de puissances de plus en plus affirmées, comme en témoigne la hausse continue des dépenses militaires dans le monde depuis 1999. En 2017, elles ont encore progressé de 1,1 % en valeur.

Et je n’oublie pas les menaces de nature contemporaine, en particulier dans les domaines cyber et spatial. À cet égard, nous saluons l’initiative présidentielle lancée au début du mois à l’UNESCO, l’« Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace ». Il y a urgence, car si de nombreux pays, dont la France, ont intégré le cyberespace dans leur doctrine militaire, se pose avec de plus en plus d’acuité la question de la définition de normes communes et de l’application du droit international dans l’espace. Aussi, il faut avancer sur ce dossier sensible. J’en conviens, ce n’est pas facile, comme le laissent entrevoir les discussions en cours à l’ONU, qui se crispent sur les questions de souveraineté et de non-ingérence.

Dans ce contexte de menaces protéiformes, les moyens de nos armées doivent être à la hauteur. C’est tout l’enjeu de la nouvelle loi de programmation militaire que le Parlement a adoptée l’été dernier, visant à faire converger le budget de la défense à 2 % du PIB d’ici à 2025.

Cela a été souligné par nos collègues rapporteurs, le projet de loi pour 2019 abonde la mission « Défense » de 1,7 milliard d’euros supplémentaires par rapport à 2018, une évolution qui s’inscrit dans la trajectoire fixée par la loi de programmation militaire.

Cependant, alors que celle-ci avait été adoptée à la quasi-unanimité, nous sommes aujourd’hui nombreux à être inquiets, au regard du projet de loi de finances rectificative pour 2018, qui compense le surcoût devenu habituel des OPEX par des annulations de crédits qui sont devenues, elles aussi, habituelles. C’est un mauvais signal, mais j’espère, madame la ministre, que vous nous apporterez des garanties, car il s’agit de garantir la crédibilité de notre défense, et ce à plusieurs égards.

Tout d’abord, parce que le respect de la trajectoire budgétaire est bien évidemment une condition de l’efficacité de nos armées.

La Revue stratégique l’a constaté : la France a des lacunes capacitaires à réparer. Il n’est donc pas envisageable que les crédits, en particulier, ceux de l’équipement, soient la variable d’ajustement budgétaire, comme cela a déjà été le cas dans le passé.

En attendant vos précisions sur la fin de gestion 2018, madame la ministre, pour ce qui concerne les crédits inscrits en 2019 pour l’équipement des forces, on doit reconnaître que l’effort est là, au travers du programme 146 dont les crédits de paiement et d’engagement augmentent significativement. En effet, l’attention portée tant sur les livraisons que sur les commandes devrait permettre de régénérer nos capacités conventionnelles durement éprouvées par la succession d’opérations extérieures.

J’observe également avec satisfaction l’effort porté sur la Marine qui, on doit bien le dire, a été délaissée par les dernières lois de programmation. Il est important d’inverser la tendance car, d’une part, le défi stratégique en mer s’intensifie, d’autre part, notre pays dispose de la deuxième plus grande zone économique exclusive avec 11 millions de kilomètres carrés.

La sincérité budgétaire, nous la devons aussi, et je dirais même « avant tout » aux militaires, hommes et femmes, qui consacrent une grande partie de leur vie au service de la Nation. Nous quittons un cycle mémoriel consacré à la Grande Guerre, et il n’est donc point besoin de rappeler que les militaires, aujourd’hui certes dans d’autres conditions et proportions, risquent néanmoins encore leur vie pour protéger la nôtre.

Ce sens du sacrifice, qui est au cœur de leur métier, doit être reconnu.

Aussi, je me réjouis de toutes les mesures qui contribuent à améliorer leur quotidien, tant sur le terrain que dans leur vie personnelle. Je pense en particulier aux 57 millions d’euros qui abondent en 2019 le bienvenu « Plan famille 2018–2022 » au sein du programme 212.

Enfin, pour terminer, je dirai que c’est également par égard pour nos alliés et nos partenaires que nous devons garantir au mieux une trajectoire budgétaire ascendante pour notre défense. Compte tenu du temps qu’il me reste, je n’évoquerai que nos engagements au sein de l’Union européenne, pour rappeler l’importance de pousser les dossiers de la défense commune pour mieux partager les responsabilités. Je sais, madame la ministre, que vous vous y employez, comme en témoignent vos récentes annonces sur le système de combat aérien futur, le SCAF, pour ne prendre qu’un exemple d’un développement conjoint, en l’occurrence avec l’Allemagne, de capacités futures pour renforcer la défense européenne.

Mes chers collègues, à ce stade des débats, si les membres du RDSE ont un regard bienveillant sur ce budget, ils seront évidemment vigilants quant à sa bonne exécution. (MM. Jacques Mézard et Alain Richard applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Florence Parly, ministre des armées. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ces présentations et des nombreuses remarques que vous avez bien voulu formuler. J’ai bien noté certaines inquiétudes dans vos propos et je vais y répondre. D’abord, j’aimerais dire un mot, à mon tour, sur ce PLF 2019.

Le budget que je vous présente aujourd’hui, c’est d’abord une réponse.

Une réponse à des années de réduction de nos moyens, de programmes retardés, de livraisons annulées. C’est une réponse au fossé qui s’est creusé entre nos engagements et les crédits qui étaient accordés pour les remplir.

Ce budget, c’est aussi une ambition pour nos armées.

Après une augmentation du budget de 1,8 milliard d’euros en 2018, le PLF 2019 est l’étape suivante pour la remontée en puissance de nos armées, avec 1,7 milliard d’euros supplémentaires. Ce sont donc au total 35,9 milliards d’euros que nous consacrerons à notre défense en 2019, soit 1,82 % de notre PIB.

Pour vous donner une idée de la marche que nous franchissons, je vous rappelle qu’en 2016, juste après les attentats de 2015, les armées disposaient en tout et pour tout d’un budget de 32 milliards d’euros. Aujourd’hui, ce sont près de 4 milliards d’euros de plus qui figurent dans ce PLF 2019. Pour être plus claire encore, nous vous proposons une augmentation de 5 % du budget des armées par rapport à l’année dernière.

Ce PLF est donc une étape majeure pour réussir la loi de programmation militaire que vous avez votée, largement, cette année. Il s’agit d’actes pour une ambition à « hauteur d’homme », pour le renouvellement de nos équipements, pour l’innovation et pour la préparation des armées aux conflits de demain.

Enfin, ce PLF 2019, j’y tiens beaucoup, c’est une responsabilité. C’est l’exigence de finances tenues, une exigence que chaque euro employé soit un euro utile. C’est la nécessité que ces moyens supplémentaires sont bien employés et que nos forces en ressentent au plus tôt les effets. Nous allons donc continuer à moderniser le ministère et je veillerai strictement à la bonne exécution de notre budget. J’aurai l’occasion de revenir sur ce point dans un instant.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un budget de reconquête que je vous présente, d’une reconquête nécessaire pour notre défense, pour nos forces, pour les Français.

Car, certains d’entre vous l’ont dit, le contexte international ne s’est pas apaisé. Les menaces restent fortes, violentes, imprévisibles. Nous avons besoin d’affirmer nos alliances et de nous tourner vers l’Europe. Nous avons besoin d’anticiper des conflits sur terre, dans les airs et en mer, mais aussi dans l’espace exo-atmosphérique et le cyberespace. Nous devons faire face, encore et toujours, à la menace terroriste, contre laquelle nos armées combattent à la source.

Dans ce contexte, face aux menaces toujours bien présentes, pour répondre aux besoins et aux attentes de nos forces, le PLF 2019 offre des solutions.

D’abord pour nos forces, pour leurs familles. Les premiers sacrifices les ont trop longtemps concernés, et cela ne pouvait plus durer.

Vous le savez, je tiens particulièrement à mettre l’humain, les civils comme les militaires, les familles, au cœur de notre ministère, au cœur de nos armées, au cœur de notre action.

J’ai donc souhaité que le plan Famille entre le plus rapidement possible en vigueur. Je dois dire que je suis très satisfaite de son exécution, qui est le fruit d’un travail tout à fait remarquable mené par nos armées, directions et services. Aujourd’hui, je puis vous dire, comme je m’y étais engagée, que 70 % des mesures du plan ont été lancées, une grande partie a même été accomplie. Quand on parle de wifi qui arrive ou de facilités pour voir son enfant, cela change concrètement la vie. Je ne doute pas que tous ceux qui ont eu l’occasion de rendre visite à nos forces récemment ont pu se rendre compte des améliorations concrètes que tout cela apporte à nos soldats au quotidien.

Alors, nous allons continuer et, sans me lancer dans une énumération longue et fastidieuse, je voudrais citer, parmi les mesures du plan Famille pour 2019, un accroissement de l’offre de gardes d’enfants, une amélioration de l’accueil des familles, ainsi que des actions de cohésion en garnison ou la pérennisation du dispositif de soutien psychologique aux familles avec l’assistance téléphonique « Écoute Défense ». En 2019, vous l’avez rappelé, 57 millions d’euros sont prévus pour la mise en œuvre du plan Famille, contre 23 millions cette année.

Au-delà du plan Famille, il faut aussi évoquer les mesures « à hauteur d’homme » de la loi de programmation militaire, qui commencent à se concrétiser grâce au PLF 2019.

Pour la protection du combattant, ce sont 25 000 gilets pare-balles, des nouveaux treillis, des blindages pour hélicoptères, des moyens de lutte contre les engins explosifs improvisés. Pour la préparation opérationnelle et l’amélioration de la disponibilité du matériel, c’est une augmentation de près de 8 % du budget d’entretien des matériels, porté à 4,2 milliards d’euros en 2019. C’est aussi un effort pour l’amélioration des infrastructures et, en particulier, leur entretien.

Comme je vous le disais, et comme vous pouvez le constater, parler de LPM et de ministère à « hauteur d’homme », ce n’est pas un slogan, c’est une réalité.

Quand je parle d’actions concrètes, j’en viens assez naturellement au renouvellement de nos équipements, qui est le deuxième axe de la loi de programmation militaire. C’’est, comme vous le savez, une nécessité, car nos matériels sont vieillissants pour certains, usés par des engagements intenses dans des milieux particulièrement abrasifs.

Alors, il fallait des moyens nouveaux, et il les fallait vite. C’était d’ailleurs le constat que nous avions dressé ensemble voilà quelques mois.

En termes de masse budgétaire, ce sont 19,5 milliards de crédits d’équipements qui sont prévus dans le PLF 2019.

Je ne vais pas me lancer ce soir dans un inventaire « à la Prévert », mais je voudrais citer quelques livraisons emblématiques qui interviendront pendant l’année 2019, et qui montrent que, non, le renouveau de nos armées ne peut pas attendre, et que, oui, ses effets doivent se faire sentir tout de suite.

Pour l’armée de terre, l’année 2019 rime avec l’entrée concrète dans le programme SCORPION, et sera ainsi marquée par la livraison des 89 premiers blindés Griffon. Elle verra aussi la livraison de 8 000 fusils d’assaut HK416, de 50 postes de tir du missile moyenne portée, le MMP, répartis dans 14 régiments, des hélicoptères NH90, très attendus, des parachutes et des véhicules tactiques VT4.

Du côté de l’armée de l’air, des équipements indispensables seront livrés, à commencer par le deuxième MRTT, qui viendra s’ajouter à celui qui a été réceptionné le 19 octobre dernier, un A400M supplémentaire, 2 C130-J adaptés aux besoins de nos opérations spéciales, 6 drones MALE REAPER supplémentaires, ainsi qu’un avion léger de surveillance et de reconnaissance.

Pour ce qui est de la Marine nationale, on assistera notamment à la livraison de deux bâtiments de soutien et d’assistance hauturier, d’une frégate multimissions – il y aura donc une FREMM de plus à Brest –, d’un patrouilleur léger et d’un bâtiment multimissions dans les Antilles, ainsi que d’un avion de patrouille maritime rénové Atlantique 2.

C’est déjà beaucoup et, pourtant, je n’ai pas tout dit ! Je vous épargne donc les commandes que nous allons lancer, mais elles sont nombreuses, et je compte bien que toutes arrivent dans les temps.

Enfin, ce budget fait la part belle aux deux autres axes structurants de la loi de programmation militaire : la préparation aux conflits du futur et l’innovation, avec 758 millions d’euros prévus pour les études en amont, c’est-à-dire une hausse de 5 %. C’est une étape supplémentaire avant d’atteindre le milliard d’euros, dont nous avons parlé ensemble, en 2022. Par ailleurs, les armées disposeront de crédits et d’emplois supplémentaires, les deux tiers étant dédiés aux capacités clés du renseignement, du cyber et du numérique.

La force de ce PLF, je voulais le souligner devant vous, est qu’il n’oublie personne. Il n’y a pas de perdants ; il n’y a que des gagnants dans cette remontée en puissance.

Le ministère des armées verra ses effectifs croître de 450 équivalents temps plein, les ETP, avec, notamment, un effort particulier pour le renseignement, la cyberdéfense et l’action dans l’espace numérique.

J’en viens maintenant à vos remarques et à vos questions.

Il y en a une qui a particulièrement retenu mon attention, tout simplement parce qu’elle est revenue à de nombreuses reprises. Elle ne porte d’ailleurs pas stricto sensu sur le texte que nous sommes en train de discuter, mais sur le PLFR 2018.

Je souhaite profiter de ce débat pour tirer définitivement les choses au clair.

Non, la défense n’a pas perdu de crédits. Non, les programmes ne seront pas retardés ou mis en danger à l’avenir. Les chiffres qui ont été donnés, bien souvent par voie de presse, n’ont pas un rapport tout à fait direct avec la réalité.

Cette réalité, je vais tenter de vous l’exposer.

Tout d’abord, nous avons eu une gestion que je qualifierai de responsable du financement de nos opérations extérieure. Leur montant a diminué. Certes, l’année n’est pas totalement terminée, mais nous pouvons évaluer le coût des opérations extérieures à 1,370 milliard d’euros en 2018, à comparer à 1,540 milliard d’euros l’année dernière.

Couplée à la baisse du montant des surcoûts, la provision pour les OPEX et les missions intérieures – vous l’avez vous-même signalé – a été augmentée de 200 millions d’euros en 2018, ce qui a permis de réduire la pression. Je vous rappelle que, l’année dernière, c’est plus de 1 milliard d’euros qu’il avait fallu mobiliser pour financer les OPEX.

L’annulation de 404 millions d’euros que vous avez constatée est une décision qu’il faut ramener à sa juste proportion. Loin de moi l’idée de dire que ce n’est pas sensible, mais je veux vous rappeler qu’il s’agit de 1 % environ du budget global de notre ministère et que cette annulation s’est imputée sur une réserve que nous avions constituée à cet effet, et que nous avions d’ailleurs qualifiée de « réserve de précaution ». Dans ces conditions, cette annulation est sans incidence sur nos programmes.

Enfin, je précise qu’aucun gel ni aucun report n’interviendra au moment où nous débuterons la gestion 2019, puisque nous avons obtenu des garanties, avec le dégel, voilà deux semaines, de 272 millions d’euros. Je puis vous confirmer que ces crédits ont effectivement été libérés.

Nous respecterons donc le montant voté dans la loi de finances initiale pour 2018 à l’euro près, avec la hausse de 1,8 milliard d’euros du budget des armées, telle qu’elle avait été programmée. Cette hausse aura permis de faire la transition entre les deux LPM, l’ancienne, dont nous clorons dans quelques semaines la dernière annuité, et la nouvelle, qui commence par le présent projet de loi de finances. Encore une fois, j’y insiste, nous assurons cette transition sans remettre en cause les commandes et les livraisons de matériels, en amorçant une LPM à hauteur d’homme, nécessaire pour nos soldats, nos marins et nos aviateurs, qui s’engagent au quotidien pour la protection de la France et des Français.

Dans ce débat, j’en appelle au calme et à la responsabilité de chacun. Je crois que c’est bien l’esprit du débat qui s’en engagé ici depuis deux heures.

Je voudrais enfin insister sur un point, sur lequel nous aurons certainement l’occasion de revenir dans le futur : les décisions de cette année ne font pas les pratiques de demain.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !

Mme Florence Parly, ministre. Demain, nous entrons dans une nouvelle LPM. Et c’est bien du PLF 2019, le premier PLF de cette nouvelle LPM, dont nous discutons. Aussi, et c’est, je crois, la volonté de tous ici, n’entravons la remontée en puissance de nos armées, n’entravons pas cette augmentation de 1,7 milliard d’euros du budget de la défense pour 2019. Nos armées ne le comprendraient pas ; elles méritent que vous votiez ce budget.

Je l’ai déjà dit ici même, voilà un an : je me battrai pour chaque centime du budget des armées et je ne suis pas près de m’arrêter.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam et M. Robert del Picchia. Très bien !

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. C’est bien !

Mme Florence Parly, ministre. Pour ce qui est des très nombreuses questions que vous avez par ailleurs soulevées, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les orateurs, je suis bien consciente que, dans la minute qu’il me reste, il me sera un tout petit peu difficile de répondre à tout, que ce soit sur les projets d’avenir, le SCAF, la coopération européenne, le programme SCORPION, les réformes structurantes de notre ministère, la nouvelle politique de rémunération des militaires, la réforme des retraites, la poursuite de la réforme du SSA, la mise en œuvre du prélèvement à la source, la bascule sur Source soldes, les mesures de fidélisation de nos personnels et l’évolution du budget de l’ONERA. Je ne peux vous redire qu’une chose : je suis à l’entière disposition de votre commission pour répondre, autant que vous le souhaiterez, lors d’une audition, à la date que vous me fixerez.

Pour conclure, permettez-moi de rendre, comme vous, hommage à nos soldats, à nos forces, qui agissent avec courage pour préserver notre souveraineté et nos libertés. Permettez-moi aussi de souligner que nos armées attendent beaucoup de nous tous, de la représentation nationale comme du Gouvernement. Au moment où vous vous apprêtez à vous prononcer sur ce premier budget de la loi de programmation militaire 2019–2025, soyons bien conscients que nous sommes tous observés et que nos armées ont besoin d’un signal fort : celui de votre soutien à la première annuité de cette LPM. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Guerriau applaudit également.)

Défense
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
État B (interruption de la discussion)

M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Défense », figurant à l’état B.

ÉTAT B

(En euros)

Mission

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

Défense

54 494 386 400

44 354 203 916

Environnement et prospective de la politique de défense

1 628 787 470

1 476 089 721

Préparation et emploi des forces

14 991 575 939

8 792 592 726

Soutien de la politique de la défense

23 401 808 588

23 197 538 671

Dont titre 2

20 551 944 766

20 551 944 766

Équipement des forces

14 472 214 403

10 887 982 798

M. le président. L’amendement n° II-393, présenté par MM. Guerriau, Bignon, Capus, Chasseing, Decool, Fouché, Lagourgue, Malhuret et A. Marc, Mme Mélot et M. Wattebled, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

6 000 000

6 000 000

Préparation et emploi des forces

6 000 000

6 000 000

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

Équipement des forces

TOTAL

6 000 000

6 000 000

6 000 000

6 000 000

SOLDE

0

0

La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. La mission « Défense » prévoit, pour 2019, une dotation en carburants opérationnels de 39,5 millions d’euros pour nos forces armées, soit une baisse de 4,1 millions d’euros par rapport au projet de loi de finances pour 2018.

Toutefois, plusieurs facteurs sont susceptibles d’entraîner une augmentation substantielle des dépenses de carburant de nos forces armées.

En premier lieu, la hausse de la taxation du carburant décidée dans le présent projet de loi, qui devrait, en 2019, faire augmenter le prix du gazole de 7 centimes par rapport à 2018, ce qui revient à une hausse moyenne de 5 %.

En second lieu, la hausse du prix du baril de pétrole, qui devrait augmenter d’environ 9,3 % en 2019. Le Gouvernement table sur un prix du pétrole de 73 dollars par baril. Cette prévision ne tient pas compte de la grande volatilité des cours du baril liés à l’évolution du marché, mais aussi aux risques économiques internationaux.

Cet amendement vise donc à augmenter de 6 millions d’euros la dotation en carburants opérationnels, afin que ces différents facteurs aient un impact neutre sur le budget de nos forces armées.

Cela s’effectuerait par le fléchage de 6 millions d’euros de crédits de paiement supplémentaires vers l’action n° 05, Logistique et soutien interarmées, au sein du programme « Préparation et emploi des forces ». Ce fléchage serait compensé par une réduction de 6 millions d’euros des crédits de paiement de l’action n° 08, Relations internationales et diplomatie de défense, au sein du programme « Environnement et prospective de la politique de défense ».

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Cet amendement soulève une très bonne question : l’évolution du cours du pétrole et son impact sur les moyens de nos armées.

Je souhaite citer l’article 5 de la loi de programmation militaire 2019–2025 : « En cas de hausse de prix constatée des carburants opérationnels, la mission « Défense » bénéficiera de mesures financières de gestion et, si la hausse est durable, des crédits supplémentaires seront ouverts en construction budgétaire, pour couvrir les volumes nécessaires à la préparation et à l’activité opérationnelle des forces. »

Dans un autre contexte, j’aurais donc été tenté de vous répondre, mon cher collègue, que votre amendement n’est peut-être pas utile. Néanmoins, il serait sans doute bon d’entendre le Gouvernement nous rappeler qu’il a l’intention d’appliquer en 2019, à la lettre et dans les chiffres, la loi de programmation militaire, puisque tel n’a pas été le cas il y a quelques semaines.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Florence Parly, ministre. Monsieur le sénateur, vous avez raison : les crédits de carburants opérationnels sont essentiels au fonctionnement et à l’activité des armées. Ils font donc l’objet d’un pilotage spécifique par l’état-major des armées.

La dotation qui figure dans le projet de loi de finances pour 2019 que j’ai l’honneur de vous présenter s’élève à 458 420 000 euros. Pour dimensionner cette dotation, le ministère prend en compte, bien sûr, les volumes nécessaires à l’activité des forces, ainsi que l’évolution du cours du baril de brent. Il a retenu comme hypothèse de construction un cours de 60 dollars, c’est-à-dire 5 dollars de plus que dans la loi de finances pour 2018, ainsi qu’un cours de 1,10 euro pour 1 dollar.

Pour faire face aux variations du prix du baril, le prix du carburant qui est facturé aux armées par le compte de commerce du service des essences des armées, ou SEA, correspond à un coût moyen unitaire, ce qui permet de lisser le prix d’acquisition sur une longue période.

Par ailleurs, le tarif de cession du carburant qui est pratiqué par le SEA prend en compte, outre le cours du pétrole, les coûts d’achat, les coûts de fonctionnement du SEA et l’éventuel recours à un mécanisme de couverture sur les marchés financiers, mécanisme qui fonctionne comme un stabilisateur de prix.

Ainsi, l’augmentation du cours du baril de brent ne se traduit pas, financièrement, par une augmentation immédiate et de mêmes proportions du prix des carburants acquis par les armées.

Enfin, comme vient de le rappeler M. le rapporteur spécial, l’article 5 de la loi de programmation militaire prévoit une clause de sauvegarde qui permet, qui permettra, devrais-je dire, de garantir l’adéquation de la dotation pour les dépenses de carburant des forces armées.

Il ne me paraît pas, dès lors, nécessaire d’abonder encore la ligne budgétaire dédiée à ces carburants.

Pour cette raison, le Gouvernement souhaite le retrait de cet amendement, faute de quoi son avis sera défavorable.

M. le président. Monsieur Guerriau, l’amendement n° II–393 est-il maintenu ?

M. Joël Guerriau. Dans la mesure où j’ai reçu des garanties que notre budget consacré aux carburants pourrait, l’an prochain, être adapté en fonction de ces possibilités, je retire cet amendement.

M. le président. L’amendement n° II–393 est retiré.

L’amendement n° II–140, présenté par M. P. Laurent, Mme Prunaud, MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Modifier ainsi les crédits des programmes :

(En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

Préparation et emploi des forces

1 500 000 000

1 500 000 000

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

1 500 000 000

1 500 000 000

Équipement des forces

3 000 000 000

3 000 000 000

TOTAL

3 000 000 000

3 000 000 000

3 000 000 000

3 000 000 000

SOLDE

0

0

La parole est à Mme Christine Prunaud.

Mme Christine Prunaud. Nous retirons cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° II–140 est retiré.

L’amendement n° II–409 rectifié, présenté par Mmes Garriaud-Maylam et Deromedi, MM. Frassa et Regnard et Mme Renaud-Garabedian, est ainsi libellé :

I. – Créer le programme :

Journée défense et citoyenneté à l’étranger - Personnel travaillant pour le programme “Liens entre la Nation et son armée”

II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :

 (En euros)

Programmes

Autorisations dengagement

Crédits de paiement

 

+

-

+

-

Environnement et prospective de la politique de défense

Préparation et emploi des forces

Soutien de la politique de la défense

dont titre 2

500 000

500 000

Journée défense et citoyenneté à l’étranger - Personnel travaillant pour le programme “Liens entre la Nation et son armée”

500 000

500 000

Équipement des forces

TOTAL

500 000

500 000

500 000

500 000

SOLDE

0

0

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Il s’agit d’un amendement d’appel et d’alerte. Vous ne l’ignorez pas, madame la ministre, mes chers collègues, la Journée défense et citoyenneté, ou JDC, est essentielle pour renforcer l’esprit de défense de nos jeunes, ainsi que leur esprit d’appartenance à notre Nation. Le code du service national précise d’ailleurs, à son article L. 114–2, que la JDC est organisée pour tous les Français.

Or une partie de nos jeunes compatriotes, ceux qui résident à l’étranger, risque d’être privée de cette journée par une décision unilatérale du ministère des affaires étrangères, qui la justifie par des raisons budgétaires.

Ces jeunes Français de l’étranger sont pourtant les plus concernés : ce sont ceux de nos compatriotes pour lesquels il est le plus important d’organiser la JDC, parce qu’ils sont à 50 % des binationaux, qu’ils sont souvent éloignés des consulats et des ambassades, et que c’est souvent leur seule occasion d’avoir un vrai contact avec les autorités françaises.

Supprimer la JDC pour eux, à l’heure où l’on s’apprête à dépenser des millions pour la création d’un service national universel dont ils seront de toute façon exclus, me semblerait une grave faute morale, et stratégique puisque nous avons besoin d’eux comme relais de nos valeurs et comme relais et promoteurs de la francophonie.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Je voudrais remercier Mme Garriaud-Maylam de cet amendement, parce qu’elle pose une excellente question : le caractère universel de cette journée ne semble en effet pas être assuré aujourd’hui sur l’ensemble des territoires où résident les Français de l’étranger.

Vous avez souligné, ma chère collègue, que la difficulté venait d’ailleurs plus du ministère de l’Europe et des affaires étrangères que du ministère des armées. Je crois savoir que, ce matin, vous avez défendu un amendement similaire et tout aussi excellent, amendement que vous avez retiré, considérant avec le Gouvernement qu’il aurait plus sa place dans la mission « Action extérieure de l’État ».

C’est la raison pour laquelle je vous suggère, ce soir, d’avoir le même comportement que ce matin et de retirer aussi cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Florence Parly, ministre. Madame la sénatrice, je vous remercie de l’attachement que vous manifestez à la Journée défense et citoyenneté. Je vous réponds avec la même conviction que Geneviève Darrieussecq ce matin, en vous assurant combien cette journée est importante pour conforter l’esprit de défense et le lien entre nos armées et la jeunesse.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier les Français établis hors de France. Le code du service national prévoit en effet que cette journée puisse être proposée aux jeunes Français de l’étranger, si bien que mettre fin à l’organisation de cette journée supposerait qu’une autre disposition législative soit prise, ce qui n’est pas du tout d’actualité.

Vous avez vous-même contribué, madame la sénatrice, à donner beaucoup de visibilité aux JDC organisées à l’étranger par les postes diplomatiques. Vous avez exprimé votre attachement à ce que tous les jeunes Français aient une bonne connaissance des valeurs et des enjeux de sécurité et de défense ; cet attachement, je le partage, tout comme Mme Darrieussecq.

Je vous rejoins donc tout à fait sur le fond. Néanmoins, comme le rappelait M. le rapporteur spécial à l’instant, la mise en œuvre de la JDC pour les Français établis hors de France relève de la responsabilité du ministère des affaires étrangères.

Par conséquent, je puis vous assurer que nous sommes en discussion avec ce ministère, attachés que nous sommes à la poursuite de l’organisation de cette journée.

Je vous serais donc extrêmement reconnaissante de bien vouloir, comme vous l’avez fait ce matin, retirer cet amendement. Nos échanges ne peuvent que conforter la position du ministère des armées pour appuyer, auprès du ministère des affaires étrangères, la poursuite de l’organisation de cette journée.

M. le président. Madame Garriaud-Maylam, l’amendement n° II–409 rectifié est-il maintenu ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Comme je l’ai précisé au début de ma présentation, il s’agissait bien d’un amendement d’alerte et d’appel, et j’avais bien évidemment l’intention, comme je l’ai fait ce matin, de le retirer.

Toutefois, madame la ministre, je souhaitais vous entendre, parce qu’il me semblait extrêmement important de recevoir de vous ce message de soutien. En effet, il nous faut lutter : comme le ministère des affaires étrangères a bel et bien décidé de supprimer ces JDC, nous avons besoin de tout votre appui !

Si j’ai présenté un nouvel amendement sur cette mission, après en avoir défendu un autre sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », c’est que cela ne me semblait pas illégitime, dans la mesure où, à l’étranger, ce sont souvent les attachés de défense qui s’attachent à organiser la JDC. Celle-ci n’occupe d’ailleurs même plus une journée entière, mais une simple demi-journée.

Dès lors, s’il n’y avait eu aucune possibilité d’accord avec le ministère des affaires étrangères – de fait, j’espère qu’il reviendra sur cette décision –, le ministère des armées aurait peut-être pu assumer l’organisation des JDC à l’étranger.

Quoi qu’il en soit, madame la ministre, je vous remercie de votre position, que je transmettrai bien évidemment à nos compatriotes de l’étranger, et je retire mon amendement.

M. le président. L’amendement n° II–409 rectifié est retiré.

Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Défense », figurant à l’état B.

Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix ces crédits.

(Les crédits sont adoptés.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Défense ».

État B (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Discussion générale

5

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, dimanche 2 décembre 2018, à dix heures, quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :

Suite du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale (n° 146, 2018–2019) ;

- Écologie, développement et mobilité durables (+ articles 75 à 76 quinquies) ;

- Budget annexe : Contrôle et exploitation aériens ;

- Compte spécial : Aides à l’acquisition de véhicules propres ;

- Compte spécial : Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale ;

- Compte spécial : Services nationaux de transport conventionnés de voyageurs ;

- Compte spécial : Transition énergétique ;

- Sport, jeunesse et vie associative.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD