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Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Discussion générale (suite)

Loi de finances pour 2019

Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 218, rapport n° 221).

Organisation des travaux

Mme la présidente. Mes chers collègues, compte tenu de l’heure tardive à laquelle le texte adopté cette nuit par l’Assemblée nationale nous a été transmis, je vous propose, en accord avec le président et le rapporteur général de la commission des finances, de repousser le délai limite de dépôt des amendements, initialement fixé au début de la discussion générale, à la fin de celle-ci.

Il n’y a pas d’observation ?…

Il en est ainsi décidé.

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Question préalable (début)

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat auprès du ministre de laction et des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes ici réunis pour examiner, en nouvelle lecture, le projet de loi de finances pour 2019, compte tenu des désaccords manifestes entre les deux chambres.

Après plus de 150 heures de débat au Sénat depuis sa présentation, je tiens à saluer votre implication et votre travail : vous avez déposé près de 2 000 amendements, introduit 101 articles et adopté 120 articles conformes sur les quelque 350 articles que comporte désormais ce projet de loi de finances, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture ce matin, un peu avant six heures.

Cette nouvelle lecture est également l’occasion pour moi de revenir sur les annonces du Président de la République, qui répondent à l’urgence économique et sociale du pays.

Ces annonces se sont d’abord matérialisées par la revalorisation de la prime d’activité, que vous avez adoptée à l’unanimité lors de la seconde délibération de ce projet de loi de finances – je tiens à vous en remercier, au nom du Gouvernement. Je pense ensuite à la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, à la défiscalisation des heures supplémentaires ou encore à la mesure sur la CSG des retraités, qui font l’objet d’un texte ad hoc que votre assemblée étudiera cette semaine.

Bien que les modifications apportées par l’Assemblée nationale aient fait apparaître des divergences de fond évidentes entre la majorité présidentielle et la majorité sénatoriale, certains points de convergence méritent cependant d’être soulignés.

S’agissant de l’impôt sur les sociétés, le Sénat a adopté conforme un article modifiant les règles de calcul des acomptes afin de permettre de mieux répartir les quotités d’impôt sur les sociétés dues par les entreprises.

De la même manière, les deux chambres ont adopté sans modification l’article 17, visant à faciliter la croissance des entreprises en leur proposant un dispositif de révocabilité de leur passage de l’imposition sur les revenus à l’imposition sur les sociétés.

En matière de fiscalité agricole, certains articles ont su faire consensus entre les deux chambres. Parmi ceux-ci, j’évoquerai la simplification des règles d’appréciation des produits des activités accessoires aux groupements agricoles d’exploitation en commun ou encore l’étalement sur cinq ans de l’imposition lorsqu’un agriculteur décide de passer de l’impôt sur le revenu à l’impôt sur les sociétés.

Enfin, s’agissant de la transition énergétique, les deux chambres ont trouvé plusieurs points de consensus, en réduisant le taux de TVA à 5,5 % pour l’énergie solaire thermique ou bien en créant une réduction d’impôt au titre de la mise à disposition de vélos pour les salariés.

Enfin, le Premier ministre a annoncé devant vous l’annulation de la hausse des taxes sur les carburants au 1er janvier prochain. Cette mesure, que vous aviez votée sur l’initiative de votre commission des finances, nous permet d’engager le dialogue sur le rythme de la transition écologique et son financement.

De la même manière, le Gouvernement a émis un avis favorable sur un certain nombre d’amendements adoptés sur l’initiative du Sénat, et que l’Assemblée nationale a ensuite confortés en nouvelle lecture. Parmi ceux-ci, j’évoquerai l’amendement de M. Antiste exonérant de TVA les locations de navires de grande plaisance de courte durée à partir de la Guadeloupe ou de la Martinique…

M. Roger Karoutchi. Un amendement clé du Sénat, assurément ! (Sourires.)

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Vous y étiez apparemment très attentif, monsieur Karoutchi !

M. Roger Karoutchi. Je fais attention à tout !

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. Je citerai également l’amendement de M. Cadic étendant l’exemption de taxe générale sur les activités polluantes aux réceptions d’équipements de protection individuelle et collective pollués par les fibres d’amiante, ou encore les amendements du rapporteur général de la commission des finances concernant la taxe de séjour et tendant à harmoniser les obligations déclaratives pour ses collecteurs.

Au-delà du rejet de six missions – j’y reviendrai plus longuement –, plusieurs articles introduits par le Sénat dans la seconde partie du projet de loi de finances ont fait l’objet d’une adoption conforme. Je pense, par exemple, à l’annexe budgétaire relative au financement de la recherche, qui a été complétée sur l’initiative de Mme Darcos afin de rendre compte des montants consacrés à la recherche fondamentale sur la lutte contre le cancer pédiatrique. Votre assemblée a également adopté un amendement du président François Patriat qui élargit le document de politique transversale concernant la lutte contre la fraude fiscale aux fraudes de toutes natures, aussi bien fiscale que sociale. En rationalisant les nombreux rapports transmis au Parlement en la matière, cette disposition permettra au Gouvernement de mieux informer les citoyens sur les actions conduites dans le cadre de la lutte contre la fraude aux prélèvements obligatoires et sur les moyens qui y sont consacrés.

Je terminerai en soulignant le travail du Sénat sur l’article 13 bis, qui fait suite à l’affaire des « CumEx Files », et qui a été adopté avec un avis de sagesse du Gouvernement. Vous avez proposé l’introduction d’un nouveau dispositif fiscal permettant de contrer les montages effectués sur les dividendes, adopté à l’unanimité, sur l’initiative de la grande majorité des groupes composant votre assemblée. Ce dispositif introduit deux retenues à la source de 30 % : la première sur toutes les commissions versées à des non-résidents lors de la restitution du titre, en cas de schéma de « CumCum » interne ; la deuxième sur tous les paiements de dividendes vers des personnes résidant dans des États avec lesquels notre convention interdit à la France de prélever une retenue à la source, en cas de schéma de « CumCum » externe. Cette proposition a été partiellement modifiée par l’Assemblée nationale, tout en conservant l’esprit du dispositif initial, afin de se conformer au droit européen et aux conventions fiscales qui auraient pu le neutraliser. Je me réjouis d’autant plus de cette initiative qu’elle s’inscrit dans la continuité des objectifs du Gouvernement et de la majorité présidentielle pour lutter contre la fraude.

Malgré certaines convergences que je viens d’exposer, la commission mixte paritaire a souligné des désaccords majeurs entre les deux chambres.

Vous me permettrez tout d’abord, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous faire part de l’incompréhension du Gouvernement face à certaines critiques qui ont été soulevées durant l’examen du projet de loi de finances en première lecture, votre assemblée ayant remis en cause les équilibres budgétaires, fiscaux et politiques de ce texte.

Tandis que nous faisons le choix de mesures structurelles, le Sénat considère que nous menons une politique de « super-rabot », où nos seules économies – permettez-moi de reprendre vos mots, monsieur le rapporteur général – seraient engendrées par des « fusils budgétaires à un coup ». Ces mots contrastent pourtant avec l’ampleur des réformes engagées par le Gouvernement : réforme du travail et des politiques de l’emploi, réforme du logement et du financement du logement social, réforme de l’État et des services publics, réforme du recouvrement de l’impôt, réforme de l’audiovisuel public, ou encore réunion des réseaux de l’État à l’étranger.

Je ne pense pas que l’on puisse qualifier de « méthodes de l’ancien monde » ces réformes qui ont vocation à transformer le fonctionnement de l’État en profondeur.

Le deuxième point de désaccord majeur entre l’Assemblée nationale et le Sénat a trait au financement des politiques publiques. Le rejet de six missions du budget général conduit à réduire fictivement les dépenses de 56,7 milliards d’euros. Le Sénat ne prévoit ainsi plus aucun crédit pour les missions « Cohésion des territoires », « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », « Écologie, développement et mobilité durables », « Sport, jeunesse et vie associative », « Immigration, asile et intégration » et « Sécurités ». Je me permets d’insister tout particulièrement sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables », où l’attitude du Sénat consiste à nous reprocher de ne pas aller assez loin en faveur de la transition écologique et, dans le même temps, à rejeter les crédits afférents à cette mission.

M. Jean-François Husson. On avait raison !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On a toujours tort d’avoir raison trop tôt !

M. Olivier Dussopt, secrétaire dÉtat. En la matière, je crains que nous n’ayons pas exactement la même appréciation de la raison… J’ai toutefois souligné combien le Gouvernement se réjouissait de pouvoir conforter la mesure que le Sénat avait adoptée en matière de fiscalité écologique.

Vous en avez pleinement conscience, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte adopté par votre assemblée en première lecture remet fondamentalement en cause les choix politiques du Gouvernement et de la majorité présidentielle, en comportant des mesures incompatibles avec les engagements pris devant les Français par le Président de la République et la majorité de l’Assemblée nationale.

Cependant, au-delà des positionnements de chacune des assemblées et des choix idéologiques des différents groupes politiques, nous avons assisté à des prises de position responsables qui pouvaient laisser penser à l’aboutissement d’un consensus, fût-il ponctuel et parcellaire, entre les majorités des deux assemblées.

Enfin, puisque les débats risquent d’être écourtés par l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable, je veux remercier M. le président de la commission des finances, M. le rapporteur général ainsi que tous les groupes politiques et les intervenants pour la qualité de nos échanges au cours de cette session budgétaire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de reconnaître que le Sénat vous a ouvert un certain nombre de pistes, notamment sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE. Si le Sénat n’avait pas adopté une position différente de celle de l’Assemblée nationale, la règle de l’entonnoir vous aurait empêché de donner raison aux Français et vous auriez été contraint de déposer un projet de loi de finances rectificative.

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, nous sommes théoriquement réunis, cet après-midi, pour examiner en nouvelle lecture le projet de loi de finances pour 2019. Mais, finalement, est-ce bien ce texte que nous examinons ? Le projet qui nous est soumis est en effet extrêmement éloigné du texte d’origine.

Je me suis amusé, à l’instant, à consulter le compte rendu de la séance du 22 novembre 2018, au cours de laquelle nous engagions la discussion sur ce projet de loi de finances, et je ne résiste pas à l’idée de vous en lire deux extraits.

Bruno Le Maire affirmait ainsi : « Nous sommes sortis de la procédure pour déficit excessif, en passant sous la barre des 3 % ». Raté, l’article liminaire prévoit désormais un déficit largement supérieur…

Quant à Gérald Darmanin, il nous promettait l’absence de collectif budgétaire et une nouvelle méthode, faite de plus de sincérité et de lisibilité dans les comptes publics. Encore raté, comme en témoignent les nombreux cafouillages et aller-retour intervenus depuis… (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le projet de loi de finances a donc été considérablement bouleversé par la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, cette dernière ayant été amenée à reprendre un certain nombre d’apports du Sénat et à introduire des dispositions nouvelles.

Si je me demande ce que nous faisons cet après-midi, c’est parce que nous nous trouvons dans une situation très particulière. En effet, le texte adopté ce matin par le conseil des ministres, qui comporte diverses mesures liées au pouvoir d’achat, bouleverse encore les équilibres de la loi de finances.

Comme le soulignait Roger Karoutchi ce matin en commission, nous pouvons nous interroger sur l’appréciation que portera le Conseil constitutionnel sur ce texte, sans parler de sa sincérité. Quoi qu’il en soit, nous sommes très éloignés, en termes de déficit, de dépenses publiques et d’endettement, des objectifs initiaux de la loi de finances, très éloignés aussi de l’objectif de lisibilité que le Gouvernement appelait de ses vœux.

En additionnant le texte adopté ce matin et les différents apports de l’Assemblée nationale, on obtient environ 10 milliards d’euros de dépenses supplémentaires. Nous sommes loin de l’épaisseur du trait ! Il s’agit, au contraire, d’une évolution considérable sur laquelle nous devons nous interroger.

Évidemment, je ne vais pas détailler les 241 articles du projet de loi de finances qui restent en discussion.

Je soulignerai en revanche que le Gouvernement a été amené – faut-il s’en réjouir ? – à retenir le texte du Sénat pour la hausse de la taxe sur les carburants. Pourtant, dès 2018, Jean-François Husson, ici présent, vous avait mis en garde. Nous l’avions redit cette année, et supprimé cette hausse à compter de 2019.

Finalement, après énormément de difficultés, vous avez retenu notre idée. Nous avons aussi eu raison, de fait, sur le gazole non routier, un sujet sur lequel nous avions également appelé votre attention.

De nombreuses autres dispositions introduites par le Sénat ont été retenues par l’Assemblée nationale. Je pense au crédit d’impôt pour la transition énergétique, que nous avons modifié en réintégrant les fenêtres, avec un sous-amendement de la commission, ou encore à nos propositions sur le prélèvement forfaitaire unique, ou PFU, les régimes d’abattement en faveur des élus locaux ou le dispositif « Dutreil ».

L’Assemblée nationale a également conservé des apports importants du Sénat sur la taxe de séjour, sur l’exonération des résidences principales comportant une chambre d’hôte, sur les friches commerciales ou encore sur la suppression de la provision pour investissement des sociétés coopératives, ou SCOP.

Toutes ces mesures, dont certaines avaient été adoptées par une très large majorité au Sénat, ont été retenues par l’Assemblée nationale. Comme mes collègues l’ont fait ce matin en commission des finances, je voudrais souligner combien la navette parlementaire et l’apport du Sénat sont essentiels.

Au-delà de l’anecdote quelque peu malheureuse de la TICPE, vous avez reconnu, monsieur le secrétaire d’État, après Joël Giraud à l’Assemblée nationale lors de la réunion de la commission mixte paritaire, l’utilité des apports de notre assemblée.

Je pense également à d’autres amendements sur le mécénat pour les PME ou sur le prélèvement pour l’imposition des non-résidents, qui ont également été retenus. Malheureusement, je suis obligé de les passer très vite en revue compte tenu du temps qui m’est imparti.

Pour autant, devons-nous envisager une nouvelle lecture de ce projet de loi de finances à la suite de l’échec de la commission mixte paritaire ?

Nous conservons des divergences fondamentales avec le Gouvernement et l’Assemblée nationale.

La première divergence est macroéconomique. Elle porte non seulement sur le taux de croissance, mais aussi sur le taux de prélèvements obligatoires, que nous jugeons trop élevé. Elle s’exprime, me semble-t-il, sur de nombreuses travées dans cette enceinte. Les Français, eux, l’expriment de façon très visible, et malheureusement parfois de façon un peu violente.

Vous n’accompagnez pas votre politique d’une baisse des dépenses publiques. Vous vous engagez au mieux à les stabiliser, et toutes les réformes structurelles restent à accomplir. Elles seront encore plus difficiles à mener l’année prochaine et les années à venir, au moment où la croissance s’annonce en fort ralentissement. En termes de déficit et d’endettement, la France fait aujourd’hui figure de mauvais élève en Europe. En tout cas, notre pays est très isolé.

L’article liminaire du projet de loi, tel qu’il a été modifié par l’Assemblée nationale, entérine cette augmentation du déficit, en prenant en compte les mesures que j’ai annoncées.

Avec un déficit public de 3,2 % du PIB, nous sommes très éloignés de l’objectif initialement annoncé, qui consistait à passer en dessous de la barre des 3 %.

Ce matin, des dépenses supplémentaires ont été décidées pour un montant de 6 milliards d’euros, et la situation n’est pas encore stabilisée.

Monsieur le secrétaire d’État, vous avez défendu devant le Sénat un amendement à 600 millions d’euros sur la prime d’activité. Mais l’on nous dit aujourd’hui que la mesure coûtera peut-être 2 milliards d’euros, voire 2,5 milliards d’euros. Les chiffres changent toutes les minutes ; je ne sais lequel annoncer ! Une chose est sûre : nous sommes très loin de l’objectif initial.

Au-delà de ces divergences fondamentales sur le contexte macroéconomique, nous regrettons que l’Assemblée nationale ait rétabli son texte sur un certain nombre de dispositions qui avaient été adoptées par le Sénat, parfois à une très large majorité. Ce sont, me semble-t-il, des erreurs politiques que les Français vont découvrir et qui se paieront.

Je pense par exemple à l’assujettissement des emprunteurs à la taxe sur les conventions d’assurances, la TSCA, qui va contribuer à renchérir le coût des emprunts immobiliers. Le Sénat s’était fermement opposé à cette mesure. Je pense aussi à nos alertes sur la définition des locaux industriels et artisanaux. Vous n’avez pas voulu reprendre le texte voté par le Sénat et c’est, là encore, une erreur.

L’Assemblée nationale a également rétabli le renforcement de la composante carbone de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, sans reprendre les amendements du Sénat. Cela signifie très concrètement que, dans les années à venir, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères augmentera pour tous les Français. Ils le découvriront au fur et à mesure, et c’est une nouvelle erreur.

L’Assemblée nationale n’a pas voulu entendre non plus le Sénat sur le pouvoir d’achat. Je pense au relèvement du quotient familial, une mesure en faveur de la justice fiscale et du pouvoir d’achat.

Nous n’avons pas été entendus non plus sur certains amendements votés à l’unanimité ou presque du Sénat. Je pense au maintien du prêt à taux zéro pour l’ensemble du territoire ou à l’exonération des sommes misées au titre du loto du patrimoine. Voilà un bel exemple de bêtise technocratique, qui consiste à taxer d’une main pour redonner de l’autre. Franchement, qui décide des arbitrages dans ce pays ? Les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont sauvé leur patrimoine grâce à des lotos exonérés de taxes. Nous avions l’occasion de dégager des sommes importantes pour le patrimoine rural, là où les besoins sont les plus importants. Mais, par une vision totalement déconnectée et technocratique, l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont pas voulu retenir l’amendement voté à la quasi-unanimité du Sénat.

Je pense également à la lutte contre l’arbitrage des dividendes. Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, nous avons une divergence sur la notion de « fraude aux dividendes » dans les dispositifs reposant sur les non-résidents. Vous considérez que les dispositions des conventions fiscales s’imposent ; nous n’avons pas la même analyse et nous avons, sur ce point encore, une divergence fondamentale.

Vous le voyez, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, les sujets de désaccord entre les deux assemblées restent nombreux. Même si le Sénat rétablissait son texte, je ne pense pas que cette nouvelle lecture serait de nature à faire évoluer le Gouvernement ni l’Assemblée nationale. Nous serions surtout dans une situation totalement paradoxale, avec un télescopage du projet de loi de finances et du texte que nous allons examiner vendredi, lequel va remettre en cause les grands équilibres, avec 6 milliards d’euros de dépenses supplémentaires.

La logique aurait voulu que l’on travaille sur un projet de loi de finances rectificative.

Je vous pose donc la question, monsieur le secrétaire d’État : un collectif budgétaire sera-t-il bientôt déposé ?

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. J’en termine, madame la présidente.

On nous annonçait une taxe sur les GAFA applicable au 1er janvier 2019. A priori, il n’y aura pas de loi de finances d’ici là, sauf à prévoir un collectif entre Noël et le 31 décembre… Faudra-t-il ensuite voter des mesures rétroactives ?

On annonçait également un certain nombre de mesures pour les entreprises : quand verront-elles le jour ? Il est très difficile d’y voir clair.

Je ne prolongerai pas davantage le plaisir, ou plutôt le supplice, mes chers collègues, et c’est la raison pour laquelle je vous proposerai, dans quelques instants, d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2019 intervient dans un contexte nouveau, un « contexte bouleversé », pour reprendre les mots du rapporteur général, un contexte politique quasi insurrectionnel, à peine apaisé par les annonces du Président de la République.

J’espère que l’organisation d’un débat national, portant notamment, mais pas seulement, sur la fiscalité écologique, contribuera à revenir au dialogue et au calme. Il le faut pour la France.

Je l’ai dit à plusieurs reprises lors de nos discussions : nos institutions et nos corps intermédiaires doivent reprendre la main pour que notre pays sorte de cette crise par le haut. Le référendum d’initiative citoyenne est le nouvel avatar de cette défiance à l’égard de la démocratie représentative.

Gaulliste libéral d’esprit,…

M. Emmanuel Capus. … je ne suis pas par principe hostile au référendum, bien au contraire. Mais il ne doit pas servir de prétexte à un nouvel antiparlementarisme. Nous refusons la tentation d’une tyrannie de la minorité, comme l’a dit récemment le président Gérard Larcher. L’urgence est aujourd’hui que les Français participent aux élections, qu’ils réinvestissent le champ démocratique en commençant par s’inscrire sur les listes électorales. On en est loin aujourd’hui !

C’est à nous, mes chers collègues, c’est à nous parlementaires, ici au Sénat et dans nos territoires, d’apporter des réponses à nos concitoyens.

C’est au Gouvernement de proposer des solutions concrètes aux revendications légitimes qui se sont exprimées ces dernières semaines.

Le Gouvernement gouverne, le Parlement légifère, dans le souci de l’intérêt général. Tel est l’esprit de nos institutions, et il doit être respecté.

Or, le Sénat n’a pas à rougir de son rôle pendant la crise. Il a parfois, comme le rappelait M. le rapporteur général, anticipé la tournure des événements et proposé des mesures de bon sens.

Je pense, bien sûr, au premier chef, au gel de la trajectoire carbone de la TICPE. Nous nous félicitons que l’Assemblée nationale ait adopté cette avancée politique du Sénat, indispensable pour rétablir l’ordre.

De même, la suppression par l’Assemblée nationale de l’article 19 sur la hausse de la fiscalité du gazole non routier, ou GNR, rejoint la position que notre groupe avait défendue lors de la première lecture.

Nous étions convaincus que cette hausse était à la fois injuste, contre-productive et absolument pas écologique, puisqu’il n’existe pas d’alternative au GNR pour les entreprises du bâtiment et des travaux publics.

Nous nous félicitons donc de cette suppression, et ce d’autant plus que nous n’avions pas été suivis totalement par le Sénat sur ce point.

Au total, ce sont 4 milliards d’euros de hausse prévue de la fiscalité écologique qui viendront à la place alimenter le pouvoir d’achat des ménages et le taux de marge des entreprises. C’est une bonne nouvelle pour nos concitoyens. C’est une preuve de lucidité du Gouvernement, qui doit beaucoup aux travaux du Sénat.

Le contexte dans lequel nous examinons ce projet de loi de finances est également nouveau sur le fond.

Il sert à présent de véhicule, avec le projet de loi que nous examinerons vendredi, aux mesures de pouvoir d’achat annoncées par le Président de la République.

C’est notamment le cas de la nouvelle bonification de la prime d’activité avancée au 1er janvier 2019.

C’est aussi le cas, malgré quelques hésitations, de l’extension du chèque énergie à 2 millions de foyers supplémentaires,…

M. Jean-François Husson. Ça a failli sauter !

M. Emmanuel Capus. … du relèvement du barème kilométrique et du doublement de la prime à la conversion pour les « gros rouleurs ». Tout cela était indispensable.

Néanmoins, sans préjuger des débats que nous aurons vendredi et sans nier la nécessité de ces mesures, nous nous interrogeons toujours sur les modalités pratiques de leur application, et surtout sur leur financement.

Le Gouvernement a pris dans l’urgence les mesures qui s’imposaient. Il convient à présent de passer de la gestion de crise à la réforme structurelle. Le plus dur reste donc à faire.

Le plus dur, c’est de réduire résolument la dépense publique et la masse salariale de l’État.

Le plus dur, c’est de supprimer les dépenses publiques inefficientes et les niches fiscales poussiéreuses.

Le plus dur, c’est d’avoir le courage de ne pas renoncer aux réformes vitales promises aux Français.

Le plus dur, enfin, pour le Sénat, sera d’agir en responsabilité, sans critiques caricaturales, pour sortir le pays de l’ornière. La France ne peut plus se permettre un quinquennat pour rien. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) L’intérêt national commande un retour à la marche normale des institutions et au respect mutuel du Gouvernement et du Parlement.

Mes chers collègues, nous sommes au bord du précipice, dans une situation quasi insurrectionnelle, et nous n’avons aucune raison de nous réjouir des difficultés que rencontre le Gouvernement. Je suis profondément convaincu que, si nous étions aux affaires, nous rencontrerions les mêmes difficultés, voire qu’elles seraient bien pires encore si nous avions eu à appliquer le programme de François Fillon. (Protestations sur les travées du groupe les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit.)

Nous devons donc agir en responsabilité, sans caricatures et en faisant des propositions.

Dans ce contexte de crise, bien que notre groupe soit par principe opposé aux questions préalables, nous ne nous opposerons toutefois pas à l’adoption d’une motion en ce sens. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)