Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la représentation des communes au sein des intercommunalités est très souvent un sujet irritant, qui durcit et crispe la relation entre élus d’un même territoire, alors que l’intercommunalité est un espace de coopération qui doit se construire sur l’intelligence territoriale et le consensus, à partir d’un projet de territoire partagé au service des habitants.

L’irritation est montée d’un cran ces dernières années pour deux motifs : la décision rendue par le Conseil constitutionnel en 2014 à la suite du recours de la commune de Salbris, décision qui a réaffirmé le principe d’égalité devant le suffrage, impliquant une répartition des sièges dans les conseils communautaires sur des bases essentiellement démographiques, et la loi NOTRe et la bonification budgétaire attachée à certaines catégories d’intercommunalité, qui ont conduit à la création d’intercommunalités « XXL », au sein desquelles les petites communes ou les communes intermédiaires se sentent invisibles et impuissantes, cantonnées à un rôle de figurantes, alors que l’intercommunalité absorbe de plus en plus de compétences.

Aussi convient-il de saluer la volonté exprimée par notre éminent collègue Jean-Pierre Sueur et les cosignataires de cette proposition de loi de tenter de répondre au malaise des communes et de résoudre la question de leur représentation au sein des intercommunalités.

Mme Cécile Cukierman. Dommage qu’il ne l’ait pas fait lorsqu’il était président de la commission des lois…

Mme Françoise Gatel. Cependant, s’il est nécessaire de définir une règle de droit commun, la diversité de nos intercommunalités fait que le problème s’apparente à la résolution de la quadrature du cercle et rend très difficile l’application d’une règle universelle uniforme ressentie comme équitable par tous, dans le respect des exigences du Conseil constitutionnel.

Monsieur Sueur, vous qui vous êtes inquiété de ma sensibilité, je ménagerai la vôtre en disant que vouloir « logarithmer » de façon satisfaisante la diversité de nos territoires s’apparente à la quête du Graal, que je vous félicite de vouloir entreprendre…

M. Jean-Pierre Sueur. J’y ai renoncé.

Mme Françoise Gatel. Toutefois, si la volonté initiale des auteurs de cette proposition de loi était d’améliorer la représentation des petites communes, il s’est avéré, au regard des simulations effectuées, que la règle de répartition proposée aboutissait en réalité à écraser la représentation des communes intermédiaires.

De ce fait, notre collègue rapporteur, dont je salue la qualité et l’importance du travail, a préféré proposer une autre méthode de redistribution des sièges. Pour autant, ma chère collègue, cette proposition déplace le problème sans véritablement le régler,…

Mme Françoise Gatel. … car si elle satisfait 18 000 communes représentant 21 millions d’habitants, elle pourrait en irriter 14 000 regroupant 39 millions d’habitants.

Mme Françoise Gatel. Dès lors, le risque d’inconstitutionnalité est réel, et sa réalisation aurait de lourdes conséquences pour les intercommunalités et les communes, contraintes de défaire et refaire douloureusement une composition du conseil communautaire qui doit être arrêtée au 31 août 2019.

M. Jean-Pierre Sueur. La justice n’est pas douloureuse, elle est nécessaire !

Mme Françoise Gatel. Aussi nous semble-t-il difficile de créer, par ce texte, un espoir de meilleure représentation qui serait mis à mal ultérieurement.

Le Sénat, représentant des territoires, défend toujours avec conviction la nécessaire prise en compte de leur diversité pour garantir l’efficience de l’action publique. Cette diversité appelle un cadre législatif qui permette plus qu’il n’impose.

Dans cette perspective, je salue encore une fois l’excellent travail de notre rapporteur, qui propose, à l’article 1er bis, des dispositions favorisant un assouplissement de l’accord local, dans l’esprit de la proposition de loi Darnaud-Gourault, permettant de s’écarter, dans certaines conditions, des règles de droit commun. Soit dit sans vouloir heurter votre sensibilité, monsieur Sueur, il me semble que l’Assemblée nationale n’a pas eu le bon goût de donner suite à cette proposition de loi…

Aujourd’hui, les règles relatives aux accords locaux sont tellement contraignantes et complexes que, dans la pratique, elles sont souvent impossibles à appliquer. Aussi la proposition de notre rapporteur de relever à 45 % la proportion de sièges supplémentaires susceptibles d’être créés par accord local est-elle une réponse intéressante. À notre sens, l’article 1er bis, conforté par l’amendement du Gouvernement visant à reculer l’échéance pour la détermination de la composition du conseil communautaire est véritablement de nature à diminuer le niveau d’irritation des communes.

Enfin, l’article 2, qui tend à mieux associer les élus municipaux qui ne sont pas conseillers communautaires à l’action de l’EPCI, est aussi une réponse nécessaire pour atténuer le désenchantement des conseillers municipaux, qui ont l’impression d’être cantonnés à un rôle de figurant et de perdre le sens de leur engagement.

Il convient tout autant d’impliquer étroitement tous les maires à l’action de l’EPCI, car ils resteront toujours comptables de l’efficacité de l’action publique devant leurs concitoyens. L’intercommunalité, espace de coopération, ne peut conduire et réussir son action sans y associer fortement et étroitement les maires et tous les élus. C’est par la construction collective d’un projet de territoire partagé que l’intercommunalité trouve son sens et recueille l’adhésion indispensable à son action.

Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste, très attaché à la liberté des territoires, mais aussi à la sécurité de la loi et à la stabilité des dispositions législatives, notamment sur ces sujets, déterminera son vote en fonction de l’évolution du texte au cours de la séance. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi visant à assurer une plus juste représentation des petites communes au sein des conseils communautaires tend à répondre aux demandes de certains de ces élus qui considèrent que les évolutions récentes ont conduit à minorer leur représentation au sein des conseils intercommunaux.

Ce texte a pour objet, dans un premier temps, de réformer les règles régissant la répartition des sièges au sein de l’organe délibérant de l’EPCI, en prévoyant que celle-ci se fasse, dans le cadre du scrutin proportionnel, à l’arrondi supérieur.

Ensuite, il vise à prévoir que l’organe délibérant d’une intercommunalité inscrive dans son règlement intérieur les modalités selon lesquelles les élus municipaux d’une commune membre participent aux réunions des commissions thématiques.

Relevant que les dispositions présentées soulevaient des difficultés, le rapporteur, notre collègue Maryse Carrère, a proposé à la commission des lois de les compléter.

Un premier amendement tend principalement à corriger les effets excessivement redistributifs de la nouvelle méthode de répartition proposée, en l’assortissant d’un nouveau mode de détermination de l’effectif théorique du conseil communautaire. Celui-ci serait fonction non plus seulement de la population totale de l’EPCI à fiscalité propre, mais aussi du nombre de communes qui en sont membres.

Ainsi complété, le dispositif de l’article 1er permettrait un rééquilibrage raisonnable de la représentation des communes au sein des conseils communautaires et assurerait un équilibre territorial favorisant une vitalité de la démocratie locale.

Un deuxième amendement a introduit un article 1er bis relatif aux accords locaux par lesquels les conseils municipaux des communes membres des communautés de communes et d’agglomération peuvent s’écarter des règles de droit commun en matière de composition des conseils communautaires.

La commission des lois a d’abord choisi de relever, sous conditions, de 25 % à 45 % la proportion de sièges supplémentaires susceptibles d’être créés par accord local, sans augmentation de l’enveloppe indemnitaire.

En outre, la commission a souhaité autoriser les accords locaux qui réduisent en moyenne les écarts de représentation entre communes au regard de leur démographie.

Enfin, un troisième amendement vise, afin de mieux associer les conseillers municipaux qui ne sont pas membres de l’organe délibérant de l’EPCI auquel leur commune appartient au fonctionnement des instances de coopération, à leur reconnaître un droit général à l’information sur les affaires de l’intercommunalité. Cette règle s’appliquerait aussi bien dans les EPCI à fiscalité propre que dans les syndicats de communes.

Ce texte appelle de ma part deux remarques et une justification.

Première remarque : il est vrai que les communes moyennes sont plutôt pénalisées, surtout dans les grandes agglomérations, mais des accords locaux existants permettent déjà de rectifier la situation.

Seconde remarque : alors que les intercommunalités devront définir sous quelques mois les règles de représentation valables à partir de mars 2020, ce texte pourrait susciter des recours qui aboutiraient à ce qu’il soit déclaré inconstitutionnel. En effet, à quatorze mois des prochaines élections municipales, les délais apparaissent bien trop courts. De plus, le texte qui nous est présenté ne s’accompagne d’aucune simulation.

Enfin, j’affirme que le système actuel n’est pas si mauvais, puisqu’il garantit la représentation de chaque commune, en vertu du principe « une commune, une voix », instauré depuis l’adoption d’un amendement de notre collègue André Diligent en 1995. Cet amendement a permis, en instituant des strates supplémentaires, de mieux représenter les communes plus importantes. De surcroît, les conseils municipaux des petites communes sont associés dès l’instant où le délégué de la commune fait le lien entre celle-ci et l’intercommunalité. En outre, dans les domaines où l’EPCI n’est compétent que pour les actions d’intérêt communautaire, ses délibérations sont rattachées à des délibérations communales. Par ailleurs, les grandes décisions, concernant par exemple les plans locaux d’urbanisme, ne sont pas prises sans associer les communes.

Mes chers collègues, pendant vingt-deux ans, j’ai été élu, comme certains d’entre vous, d’une communauté urbaine, devenue métropole européenne. Je sais que les équipes de l’EPCI viennent présenter les projets relatifs aux compétences déléguées à celle-ci devant les conseils municipaux, à leur demande. De plus, certains EPCI ont institué dans leur règlement intérieur un conseil des maires, délégué à un vice-président ; c’est le cas de la métropole européenne de Lille.

C’est donc l’articulation entre le conseiller communautaire et son conseil municipal qui compte ; augmenter le nombre de conseillers ne changera rien.

J’ajoute que, en fonction du cadre juridique, certaines décisions communautaires sont soumises à une délibération communale, celle-ci pouvant s’opposer à la délibération présentée par l’EPCI.

Enfin, à l’heure où les Français s’élèvent contre la multiplication des élus locaux, je vois mal comment justifier une assemblée devenue pléthorique, dont le fonctionnement serait alourdi. (Mme Cécile Cukierman sexclame.)

M. Jean-Pierre Sueur. Pléthorique ? Nous parlons de dix sièges supplémentaires au maximum !

M. Dany Wattebled. Pour toutes ces raisons, je pense qu’il n’y a pas d’urgence à adopter ce texte, d’autant qu’une réforme constitutionnelle est en cours. C’est pourquoi, à titre personnel, je m’abstiendrai. En revanche, certains de mes collègues du groupe Les Indépendants voteront pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Saury. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Hugues Saury. Madame la présidente, madame la ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui appelés à débattre de la proposition de loi visant à assurer une plus juste représentation des petites communes au sein des conseils communautaires ou, sans doute plus exactement, à améliorer la représentativité des conseils communautaires et à mieux associer les conseillers municipaux au fonctionnement de l’intercommunalité.

C’est un sujet important, sur lequel il est indispensable de légiférer plus justement. Beaucoup de petites communes rurales de France sont directement concernées, à l’instar de villages de mon département du Loiret.

Les conseils communautaires ont été créés afin d’établir une seule instance décisionnaire, représentative des conseils municipaux d’un territoire, afin d’exercer certaines compétences que les communes ne pouvaient assumer seules.

À l’origine, les accords locaux permettaient aux établissements publics de coopération intercommunale de s’adapter et aux communes de faible population de bénéficier de la présence de plusieurs représentants au sein des conseils communautaires. Cette règle de la représentation démographique avait été mise en place par la loi d’orientation du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, mais c’est la loi Chevènement du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale qui avait rendu possible les accords locaux sur la répartition des sièges au sein des organes délibérants des EPCI.

La loi dite RCT de réforme des collectivités territoriales de décembre 2010 maintenait la possibilité d’accords locaux et introduisait par défaut le principe de répartition des sièges à la proportionnelle au plus fort quotient.

Par une décision faisant suite à une question prioritaire de constitutionnalité du 20 juin 2014, dite QPC Salbris, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions législatives permettant les accords locaux au nom du principe d’égalité devant le suffrage. En pratique, il a mis un terme à toute possibilité de négocier de tels accords. En voulant protéger le principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage, les Sages ont créé une situation engendrant parfois un sentiment de frustration et d’injustice chez les élus représentant les petites communes ou les communes intermédiaires des intercommunalités.

Pour trouver une solution à cette situation mal vécue par les élus concernés, les sénateurs ont été à l’initiative de l’adoption de la loi n° 2015-264, qui prévoit la possibilité de négocier de nouveau des accords locaux, mais dans des conditions moins favorables et plus complexes, notamment du fait d’écarts à la proportionnelle très faibles.

En l’état actuel des choses, de nombreux élus de petites communes jugent que les évolutions législatives ont conduit à minorer de manière excessive leur représentation au sein des conseils communautaires, certains se considérant exclus de la vie de l’intercommunalité, eu égard à un pouvoir décisionnaire devenu très faible, alors même qu’ils avaient contribué à la créer.

Si les communautés de communes et d’agglomération peuvent, selon la loi, établir elles-mêmes des répartitions de sièges, force est de constater que les critères restent très contraignants. Dans l’absolu, ceux-ci sont destinés à assurer une juste représentation devant le suffrage, mais ils s’avèrent insuffisants pour assurer un fonctionnement satisfaisant pour l’ensemble des communes membres.

Devant ce constat, les auteurs de la proposition de loi tentent d’assouplir les critères de composition des conseils communautaires. Ce texte repose sur une logique de réajustement en faveur des communes intermédiaires et vise à prévenir une tentation hégémonique de la part de la ville-centre ou, plus exactement sans doute, à apaiser les craintes des autres communes à cet égard.

À cette fin, il est proposé un système de répartition des sièges fondé sur l’arrondi à l’entier supérieur du quotient électoral. Ce système, mécaniquement plus favorable aux petites et moyennes communes, permettrait d’atténuer les décalages de représentation provoqués par la proportionnelle majoritaire et renouerait, d’une certaine façon, avec l’esprit communautaire initial.

Le fait que des conseils communautaires puissent voir leur nombre de sièges majoré après l’application du nouveau mode de calcul ne semble pas constituer un obstacle majeur, car des correctifs peuvent être apportés, notamment ceux que propose notre rapporteur. In fine, en renforçant au sein des EPCI la place, notamment, des petites et moyennes communes, cette proposition de loi vise à favoriser chez les élus de celles-ci l’engagement d’une démarche d’appropriation et l’émergence d’un plus fort sentiment d’adhésion. C’est également un moyen de donner un poids plus important à ceux qui représentent les territoires les plus fragiles que constituent généralement nos petites communes, souvent rurales.

Il s’agit véritablement, à la lumière de l’expérience de quelques années de pratique communautaire, de substituer à un strict principe d’égalité démographique un autre, fondé sur l’équité et la solidarité des territoires. Ce travail s’appuyant sur des constats posés dans nos territoires, je soutiendrai cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.

M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, le dispositif de l’accord local ayant été déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 juin 2014, nos très éminents collègues Alain Richard et Jean-Pierre Sueur avaient déposé une proposition de loi tendant à instituer un dispositif d’accord local conforme à la jurisprudence constitutionnelle.

La loi ainsi votée, intégralement validée par le Conseil constitutionnel, dispose que l’accord local doit respecter un certain nombre de règles : le nombre total de sièges ne peut excéder de plus de 25 % celui qui résulterait de l’application du droit commun ; la répartition des sièges doit, conformément à la jurisprudence, s’établir en fonction de la population de chaque commune ; chaque commune dispose d’au moins un siège ; aucune commune ne peut détenir plus de la moitié des sièges ; la part des sièges attribuée à chaque commune ne peut s’écarter de plus de 20 % de la part de sa population dans la population globale des communes membres, à deux exceptions près.

On voit bien la technicité d’un tel dispositif et combien le chemin est étroit…

Jugeant que l’encadrement de ces accords est trop contraignant et qu’il assure une trop faible représentation des petites communes au sein des intercommunalités, nos collègues ont souhaité assouplir le droit en vigueur en proposant une nouvelle méthode de répartition à la proportionnelle arrondie à l’entier supérieur. La commission a souhaité compléter ce nouveau dispositif et introduit un article 1er bis, visant à modifier le régime actuel de l’accord local en faisant passer le plafond de 25 % de sièges supplémentaires à 45 % et en ajoutant de nouvelles exceptions à la règle selon laquelle aucune commune ne peut être sur- ou sous-représentée à hauteur de plus de 20 %.

L’article 2 de la proposition de loi, qui a été modifié par la commission des lois, tend à prévoir un droit général d’information pour les conseillers municipaux ne siégeant pas dans les instances intercommunales, ce qui va dans le sens d’une plus grande transparence et d’une meilleure responsabilisation des élus qui n’appartiennent pas aux exécutifs locaux.

Mes chers collègues, si nous partageons comme vous la philosophie de cette proposition de loi, qui tend à une meilleure représentation des petites et moyennes communes, nous souhaitons éviter que l’on tombe dans la démagogie en créant des assemblées pléthoriques,…

M. Jean-Pierre Sueur. Mais non, dix sièges supplémentaires au plus ! Ce n’est pas pléthorique !

M. Arnaud de Belenet. … que l’on crée un dispositif qui réglerait des problèmes particuliers que nous connaissons tous sur nos territoires mais qui en susciterait d’autres et, enfin, que l’on adopte un texte qui ne résisterait pas à l’épreuve d’une question prioritaire de constitutionnalité, car la construction des intercommunalités s’en trouverait dès lors une nouvelle fois ébranlée – elle le serait d’ailleurs vraisemblablement même sans QPC, compte tenu du calendrier qu’a rappelé Mme la ministre.

Nous nous réjouirons de pouvoir approuver cette proposition de loi…

M. Roger Karoutchi. Cela ne se voit pas ! (Sourires.)

M. Arnaud de Belenet. … si son contenu évolue, notamment le dispositif de l’article 1er, qui soulève un problème de constitutionnalité déjà évoqué, et celui de l’article 1er bis, que nous souhaitons voir modifié par l’amendement du Gouvernement le sécurisant du point de vue constitutionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Roger Karoutchi applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Roger Karoutchi. Je crains un changement de ton… (Sourires.)

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi méritoire vient après toutes les tentatives visant à rendre habitable la « baraque », ni faite ni à faire, de la réforme territoriale,…

Mme Françoise Gatel. Ah, quand même ! (Sourires.)

M. Pierre-Yves Collombat. … sous prétexte que ce qui est fait est fait et que les élus seraient las de tout changement, même bénéfique !

Si la loi NOTRe, en imposant des intercommunalités regroupant un minimum de 15 000 habitants, sauf dérogations, et le bouleversement des institutions régionales et départementales ont grandement aggravé la situation et contribué à la création d’intercommunalités « XXL », ce ne sont que les détonateurs d’un explosif bureaucratique dont la fabrication remonte à la loi RCT du 16 décembre 2010.

En rendant obligatoire, pour la première fois, la constitution d’intercommunalités déjà plus vastes que beaucoup de celles qui existaient alors, en réglant par la loi ce qui, jusque-là, relevait du contrat statutaire entre égaux, ouvrant ainsi la voie à la transformation des EPCI intercommunaux en collectivités territoriales sans nom, en préférant la proportionnelle au plus fort quotient, qui favorise les grandes communes, à toute autre règle de répartition des sièges, la loi RCT a lancé le mouvement. Un mouvement sanctifié par le Conseil constitutionnel, qui s’est institué constituant en confondant sciemment intercommunalités, outils des communes pour faire à plusieurs ce qu’elles ne peuvent faire seules, et collectivités territoriales. La règle de la « représentation essentiellement démographique » n’a ici aucun sens, puisque les EPCI rassemblent des communes et non des populations, puisque les membres de leurs assemblées délibérantes représentent des communes ès qualité, et non la population de celles-ci. D’où le malaise résultant de la volonté du Conseil constitutionnel de n’en tenir aucun compte et notre présence ici pour tenter de faire baisser ce malaise d’un cran. C’est une tentative de plus ; il y en aura d’autres !

La proposition de loi initiale avait le mérite de la clarté, une clarté qui manque, à mon sens, au texte de la commission des lois. Celui-ci a cependant le même objet, et l’on nous assure, sans produire d’ailleurs de simulations, qu’elle règle aussi une autre difficulté, à savoir la représentation des communes de taille moyenne au sein des intercommunalités. Je veux bien le croire et je me rallierai d’autant plus facilement à cette version que les auteurs de la proposition de loi initiale l’ont déjà fait.

Cela dit, la solution proposée par la commission n’est pas la seule possible.

M. Jean-Pierre Sueur. Il y a le logarithme ! (Sourires.)

M. Pierre-Yves Collombat. C’est ce que montre l’amendement de notre groupe, qui nous semble avoir un double mérite : celui d’affirmer l’existence des collectivités petites et moyennes à l’intérieur de la grande et celui de la clarté.

Le principe de notre amendement est simple : il s’agit d’attribuer les sièges sur la base non pas de la population réelle, mais d’une population fictive calculée en affectant à celle-ci un coefficient logarithmique décroissant avec la taille des communes. C’est exactement l’inverse de la méthode qui est utilisée – sans que personne n’y trouve à redire, à commencer par le Conseil constitutionnel – pour le calcul de la part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, dans lequel un urbain vaut deux ruraux, et pour celui du potentiel financier intercommunal agrégé, l’immortel PFIA. On ne trouve pas anormal que les urbains comptent davantage que les ruraux dans ces calculs, mais on trouve anormal que, dans le cadre de l’intercommunalité, des ruraux puissent être comptés pour un peu plus qu’ils ne sont en réalité !

C’est une proposition perfectible, je l’avoue – on peut discuter des coefficients –, mais qui me semble prometteuse si bien sûr l’on n’entend pas se contenter d’un rapiéçage du carcan dans lequel l’intercommunalité a été enfermée ! Rêvons donc un peu… (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – M. Roger Karoutchi applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Éric Kerrouche. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, le désenchantement qui touche les élus locaux et les risques qu’il représente pour notre démocratie locale ont été largement documentés par la presse. Ce désenchantement a aussi été rendu manifeste par l’enquête conduite par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation et par celle qui a été commanditée au Cevipof par l’Association des maires de France. Je vous ai posé deux questions écrites, madame la ministre, pour connaître le nombre de démissions d’élus locaux intervenues depuis 2014. Je ne doute pas que vos services sont en train d’y répondre…

Le fait que l’intercommunalité puisse parfois être mal vécue compte parmi les motifs de ce que l’on a pu qualifier de blues des élus locaux. Certains élus, en particulier les élus non communautaires, peuvent éprouver un sentiment de dilution et de dépossession, dont l’origine, mon cher collègue Collombat, ne se trouve pas uniquement dans la dernière loi d’organisation territoriale.

S’il n’y a pas de raison unique au malaise des élus locaux, la crispation autour du sujet de l’intercommunalité amène à s’interroger sur les relations entre celle-ci et les communes. C’est précisément à cette question que la proposition de loi du groupe socialiste et républicain tend à répondre, au moins en partie, en consolidant la place des communes au sein de l’intercommunalité par une amélioration de la représentation et un meilleur accès à l’information.

Dans cette optique, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, l’esprit de la coopération intercommunale nécessite parfois que l’on dépasse le simple critère de la proportionnalité démographique afin d’aller vers une nouvelle clé de répartition qui pourrait inspirer d’autres travaux à venir.

La France a privilégié, pour les communes, une voie médiane, celle de l’intercommunalité, plutôt que la fragmentation ou la fusion. Cette coopération intercommunale a ainsi constitué un outil de sauvegarde des communes, qui continuent d’exister en son sein.

Or communes et intercommunalité sont « siamoises » : les deux niveaux sont intrinsèquement liés, ils ont besoin l’un de l’autre, même si chacun continue à mener son existence propre. Il est donc nécessaire que l’ensemble des conseillers municipaux puissent être informés de ce qui se passe à l’étage intercommunal. C’est la condition sine qua non pour que la démocratie intercommunale soit vraiment fonctionnelle. En ce sens, la solution présentée au travers de l’article 2 de la proposition de loi semble tout à fait performante.

La question de la juste représentation reste cependant centrale. Cela impose à notre sens de compléter le critère de proportionnalité démographique, car le recours exclusif à celui-ci peut parfois conduire à une accentuation des inégalités de représentation.

Dans l’état actuel des choses, on observe une sous-représentation des communes moyennes, notamment, et l’existence d’un étau trop contraignant posé, de fait, par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Malgré les règles instaurées par le législateur, le constat partagé par la plupart d’entre nous est celui d’une sous-représentation de certains conseils municipaux au sein des organes délibérants de nombre d’intercommunalités.

Par ailleurs, la mise en place d’un accord dit « local » permettant de corriger des écarts de représentation est soumise à des contraintes extrêmement fortes. Je n’y reviendrai pas, mais la jurisprudence Salbris, complétée par celle qui concerne la métropole Aix-Marseille-Provence, a complexifié la mise en œuvre d’un accord local, ce qui a, d’une certaine façon, porté atteinte au fondement du contrat intercommunal.

On se trouve ainsi dans cette situation étonnante où un accord local assurant précédemment une meilleure représentativité et une meilleure acceptabilité de l’intercommunalité est devenu inconstitutionnel, alors qu’un accord légal, qui peut aussi présenter de fortes ruptures de proportionnalité démographique, est, quant à lui, constitutionnel. Il en résulte que si la commune principale est mieux représentée, c’est au détriment d’autres communes, notamment des communes intermédiaires. Malgré le vote de la loi de 2015, les accords locaux doivent donc être transformés.

La nouvelle clé de répartition proposée au travers du texte issu de la commission des lois nous semble intéressante. À cet égard, je tiens à saluer le travail de Mme la rapporteur : nous savons tous que le sujet est d’une simplicité évidente. (Sourires.) Nous avons ainsi abouti à la coconstruction avec la DGCL et la commission des lois d’une solution qui nous paraît tout à fait efficace. Cela montre qu’il est possible, dans cette assemblée, de transcender les clivages pour travailler ensemble quand il s’agit des territoires.

Il nous est apparu à tous essentiel d’assurer une meilleure représentation des communes, singulièrement de celles qui sont dans un entre-deux et de desserrer l’étau de la jurisprudence constitutionnelle.

La proposition de loi, telle qu’amendée, débouche donc sur une solution pour le calcul de la répartition des sièges qui nous semble tout à fait efficiente. Elle vise, d’une part, à mettre en place un mode de détermination de la représentation des communes au sein de l’EPCI tenant compte non seulement de la population de l’EPCI, mais aussi du nombre de communes, et, d’autre part, à apporter deux assouplissements au régime actuel, trop contraignant, de l’accord local de répartition des sièges, par l’augmentation de 25 % à 45 % du volant de sièges supplémentaires susceptibles d’être créés et par l’ajout d’une nouvelle dérogation au « tunnel » des plus ou moins 20 %. J’espère que Mme la ministre soutiendra un texte qui reprend des propositions qu’elle défendait quand elle était sénatrice… (Sourires.)

Quand bien même d’autres règles pourraient être imaginées, par exemple pour tenir compte des morphotypes de communautés, ce dispositif nous semble intéressant. Il vient aménager de façon intelligente la loi NOTRe, dont il faut bien constater les limites en matière de représentativité des conseils intercommunaux.

Enfin, en ce qui concerne l’article 2, mieux associer les conseillers municipaux aux décisions communautaires est une nécessité absolue si nous voulons que le couple commune-intercommunalité puisse mieux fonctionner à l’avenir. Le dispositif auquel nous avons abouti à l’issue des travaux de la commission est un compromis. Il représente un premier pas, il renforce l’information ; sans doute devrons-nous aller plus loin.

Pour conclure, je dirai que cette proposition de loi, que nous pourrions d’ailleurs revoir très prochainement, interroge les choix juridiques du Conseil constitutionnel, ce qui n’est pas un crime de lèse-majesté. En effet, derrière les choix juridiques du Conseil constitutionnel, il y a des choix méthodologiques, qui ne sont jamais neutres.