compte rendu intégral

Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret

vice-présidente

Secrétaires :

M. Daniel Dubois,

M. Guy-Dominique Kennel.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidatures à deux commissions

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de deux commissions ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer la représentativité des conseils communautaires et à mieux associer les conseillers municipaux au fonctionnement de l'intercommunalité
Discussion générale (suite)

Représentation des petites communes au sein des conseils communautaires

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer la représentativité des conseils communautaires et à mieux associer les conseillers municipaux au fonctionnement de l'intercommunalité
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi visant à assurer une plus juste représentation des petites communes au sein des conseils communautaires, présentée par MM. Jean-Pierre Sueur, Marc Daunis, Éric Kerrouche, Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain (texte n° 85, texte de la commission n° 246, rapport n° 245).

Madame la ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que cette proposition de loi est examinée dans le cadre d’un espace réservé au groupe socialiste et républicain d’une durée totale de quatre heures. Une autre proposition de loi étant inscrite à l’ordre du jour, j’invite chacun à tenir compte de cette contrainte et à faire preuve de concision.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi.

M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis très heureux d’avoir l’occasion de vous présenter la proposition de loi qu’Éric Kerrouche, Marc Daunis, Patrick Kanner et moi-même avons préparée. Cette proposition de loi a donné lieu à un travail préparatoire important et à de nombreux débats au sein de la commission des lois. Je veux dire ici combien j’ai apprécié le travail que nous avons mené conjointement, sous la houlette du président de la commission, Philippe Bas, avec Mme Maryse Carrère, rapporteur. Je tiens en outre à saluer l’aide précieuse qui nous a été apportée par les membres du cabinet de Mme la ministre, qui manifeste depuis longtemps son intérêt pour ces sujets, et par la direction générale des collectivités locales, la DGCL. En effet, nous devions vérifier un certain nombre d’hypothèses, et la DGCL nous a apporté tout le concours que nous pouvions souhaiter. Cela a permis de modifier le texte dans un sens que je crois profondément positif.

De quoi s’agit-il ? Il me faut, madame la ministre, vous reparler de l’affaire Commune de Salbris. Située dans votre cher département de Loir-et-Cher, Salbris est la commune-centre d’une communauté de communes. Un accord local avait été passé entre les communes de cette intercommunalité, mais il portait préjudice à la commune de Salbris, si bien que les élus et des habitants de celle-ci ont, très légitimement, saisi le tribunal administratif, qui a considéré qu’une question prioritaire de constitutionnalité, une QPC, pouvait être soumise au Conseil d’État. Ce dernier l’a transmise au Conseil constitutionnel qui, jugeant qu’il y avait là une injustice manifeste, a déclaré contraire à la Constitution l’article de la loi permettant la mise en place d’un accord local.

Cette décision a évidemment entraîné un grand branle-le-bas de combat, notamment à l’Association des maires de France, qui s’est tournée vers Mme Gourault, M. Richard et votre serviteur. Nous nous sommes alors efforcés de préparer une proposition de loi dont les dispositions répondent aux exigences manifestées par le Conseil constitutionnel. Cette proposition de loi a été adoptée et a permis de rétablir la possibilité de conclure un accord local, mais dans des conditions extrêmement contraignantes. Il fallait en effet respecter la théorie du « tunnel » des plus ou moins 20 % instaurée par le Conseil constitutionnel.

J’ai un infini respect pour le Conseil constitutionnel, comme vous tous, mes chers collègues,…

M. Jean-Pierre Sueur. … mais je ne considère pas forcément, monsieur Collombat, que l’on s’inscrit dans le cadre de l’égalité républicaine quand on s’écarte de la moyenne de 19,97 %, mais que le respect de cette égalité se trouve remis en cause si l’on s’en écarte de 20,03 %… Toujours est-il que le rapport de Mme Carrère montre bien que ces conditions sont tellement contraignantes que, parfois, il n’est pas possible de parvenir à établir un accord local. Je pense notamment à l’exemple de la communauté de communes de Granville Terre et Mer.

Dans ce contexte, notre objectif, au travers de la présente proposition de loi, qui concerne un grand nombre de communes, est d’instaurer davantage de justice.

Je crois que personne ne conteste le fait que la représentation des communes au sein des intercommunalités présente aujourd’hui de grandes injustices. Si le fait qu’un siège au minimum soit attribué à chaque commune avantage d’une certaine façon les plus petites communes, les moins petites des petites communes, et surtout les communes moyennes, sont défavorisées. Ainsi, comme le montre le rapport de la commission, la représentation d’un certain nombre de communes moyennes est inférieure de 70 %, avec le droit actuel, à ce qu’elle serait si l’on appliquait un calcul strictement démographique.

Dès lors qu’existent de telles injustices, il me paraît légitime de chercher à les corriger, de manière que la représentation des communes soit plus juste. Dans le texte initial de notre proposition de loi, nous avions prévu de retenir l’arrondi supérieur pour le calcul. Il apparaît que cela aurait des effets bénéfiques, mais aussi quelques effets négatifs, auxquels je sais Mme Gatel sensible,…

M. Jean-Pierre Sueur. … en termes de représentation des communes les plus peuplées. Cela étant, madame Gatel, dès lors que l’on cherche à instaurer plus de justice par une meilleure représentation des communes petites et moyennes, il est logique qu’il y ait moins de sièges pour les plus grandes communes. On ne peut pas vouloir à la fois la justice et que tout le monde y gagne !

Après avoir beaucoup réfléchi à cette question et grâce à l’aide précieuse de la DGCL, qui a bien voulu mettre ses ordinateurs à la disposition du Sénat, nous avons conçu, avec Mme la rapporteur, un dispositif prenant en compte non seulement la démographie, mais aussi le nombre de communes.

J’évoquerai à cet égard, par parenthèse, certains cas aberrants de communautés urbaines ou d’agglomération englobant un grand nombre de villages, ce qui aboutit à une construction hybride. Pour ma part, je crois aux agglomérations, qu’elles soient organisées sous forme de métropoles, de communautés urbaines ou de communautés d’agglomération, et je crois aux communautés de communes composées de communes moyennes et petites : la construction des intercommunalités ne doit pas être artificielle, elle doit correspondre à une réalité.

Toujours est-il que le dispositif de la proposition de loi initiale tendait à défavoriser injustement certaines communes-centres. En prenant en compte à la fois la démographie et le nombre de communes de l’intercommunalité, on arrive à un dispositif qui, à coup sûr, est plus juste que le droit existant.

Le texte contient d’autres dispositions bénéfiques, sur lesquelles je reviendrai très rapidement.

La première de ces dispositions reprend, madame la ministre, un excellent amendement que vous aviez déposé avec M. Darnaud quand vous étiez sénatrice. Il s’agit de donner de l’oxygène à la mise en place d’accords locaux, en permettant une augmentation du nombre total de représentants dans les intercommunalités, dans la limite de dix : cela reste très raisonnable.

Une deuxième disposition consiste à autoriser les élus à s’écarter du « tunnel » des plus ou moins 20 % dans lequel le Conseil constitutionnel enferme, en principe, les écarts de représentation des communes prises isolément par un accord local réduisant en moyenne les écarts de représentation au sein du conseil de l’EPCI, quitte à élargir un peu ce tunnel. Cela ne doit pas vous effrayer, mes chers collègues, car c’est exactement ce qu’a validé le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence Commune dÉguilles et autre au sujet de la métropole Aix-Marseille-Provence.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Pierre Sueur. Puisque le Conseil constitutionnel a validé cette disposition dans le cas de la métropole Aix-Marseille-Provence, il n’y a, me semble-t-il, aucun inconvénient – il n’y a même que des avantages – à l’étendre à l’ensemble du territoire de la République.

Nous aurons l’occasion de parler de l’amélioration de l’information des conseillers municipaux sur les affaires de l’EPCI au cours de l’examen des articles.

Mme la présidente. Il vous faut vraiment conclure, mon cher collègue !

M. Jean-Pierre Sueur. Le dispositif de cette proposition de loi permettra d’instaurer davantage de justice dans la représentation des communes au sein des intercommunalités. Sa rédaction peut sans doute, madame la ministre, être encore perfectionnée ; je ne doute pas que, pour cela, vous fassiez comme nous-mêmes confiance à la navette parlementaire, comme le veulent la loi, la Constitution et le bon sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme la présidente. Je renouvelle mon appel à la concision…

La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Maryse Carrère, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, la présentation de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, due à l’initiative de M. Jean-Pierre Sueur et des membres du groupe socialiste et républicain, est avant tout un symptôme, celui des dysfonctionnements de l’intercommunalité dans certains de nos départements à la suite des dernières réformes territoriales.

Personne ne se préoccuperait outre mesure de rééquilibrer la composition des conseils communautaires si le fonctionnement de l’intercommunalité était toujours harmonieux et si le véritable esprit de coopération qui doit présider à ce fonctionnement n’avait pas été mis à mal par des regroupements forcés, par un agrandissement inconsidéré du périmètre de nombreux EPCI à fiscalité propre et par la multiplication des transferts de compétences obligatoires à leur profit.

On n’accorderait peut-être pas non plus autant d’importance à ce que les conseillers municipaux qui ne sont pas membres de l’organe délibérant de l’EPCI auquel leur commune appartient soient correctement associés au fonctionnement quotidien de cet établissement si la plupart des leviers de décision n’avaient pas été transférés au niveau intercommunal.

Cette proposition de loi soulève donc des questions auxquelles il est urgent d’apporter des réponses.

Je me félicite de ce que le Président de la République, lors de son déplacement dans l’Eure, la semaine dernière, ait fait part de son esprit d’ouverture en la matière. Oui, il est temps de corriger certains effets pervers des dernières réformes territoriales, afin – je cite le Président de la République – de « remettre de la responsabilité au plus près du terrain ».

Cette proposition de loi a un objet plus limité.

Le premier objectif est d’améliorer la représentativité des conseils communautaires. Comme vous le savez, le nombre et la répartition des sièges au sein de l’organe délibérant des EPCI à fiscalité propre sont déterminés soit, dans les communautés de communes et d’agglomération, par accord local d’une majorité qualifiée de conseils municipaux, soit en application des règles de droit commun fixées par la loi.

L’article 1er ne traite que de la répartition de droit commun. Celle-ci obéit aujourd’hui à quatre principes : les sièges doivent être répartis entre les communes sur une base essentiellement démographique ; toutefois, il est attribué au moins un siège à chaque commune, ce qui est la traduction du fait qu’un EPCI à fiscalité propre est un organisme de coopération entre communes ; aucune commune ne peut détenir à elle seule plus de la moitié des sièges, ce qui est la conséquence du principe de non-tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre ; enfin, aucune commune ne peut se voir attribuer plus de sièges qu’elle ne compte de conseillers municipaux.

Des règles complexes de répartition ont été mises au point par le législateur pour concilier, autant que faire se peut, ces quatre principes. Sans entrer dans le détail, je rappellerai que ces règles aboutissent, au regard du nombre d’habitants, à une forte, voire très forte, surreprésentation des petites communes et qu’elles garantissent en général une représentation correcte des communes les plus peuplées. Mais elles ont tendance à pénaliser les communes de taille moyenne, qui sont parfois sous-représentées à hauteur de plus de 70 %.

Pour corriger ces déséquilibres, les auteurs de la proposition de loi ont imaginé une méthode originale. Ils proposent d’adopter une nouvelle règle mathématique pour traduire le principe de représentation proportionnelle, règle que j’appellerai la méthode de l’arrondi à l’entier supérieur. Je vous invite à consulter le rapport écrit pour une présentation exhaustive.

La méthode de l’arrondi à l’entier supérieur produit, par elle-même, de forts écarts de représentation et ne saurait être considérée comme permettant une traduction fidèle du principe de représentation proportionnelle. Toutefois, en l’espèce, les résultats obtenus doivent être comparés avec ceux de l’application de l’ensemble des règles de répartition prévues par le droit en vigueur, qui produit, comme je l’ai indiqué, de très forts écarts de représentation.

Nous avons procédé à de nombreuses simulations, complétées par celles qui nous ont été fournies par l’Association des maires de France et par le Gouvernement. Il est apparu que l’article 1er, dans sa version initiale, aboutissait effectivement à corriger légèrement la sous-représentation des communes moyennes, mais qu’il tendait à diminuer très fortement le nombre de sièges revenant aux plus grandes communes, qui se seraient ainsi trouvées fortement sous-représentées. Reims, par exemple, aurait perdu 34 sièges au sein de la communauté urbaine à laquelle elle appartient.

La commission des lois a estimé qu’une redistribution aussi massive des sièges serait à la fois inopportune et juridiquement fragile, eu égard à la jurisprudence constitutionnelle en la matière. Elle a donc apporté à l’article 1er un correctif indispensable, en combinant la nouvelle méthode de répartition avec un nouveau mode de détermination de l’effectif théorique du conseil communautaire, c’est-à-dire de l’effectif qui sert de base aux calculs de répartition. Cet effectif théorique ne dépendrait plus seulement de la population de l’EPCI, mais aussi du nombre de communes qui en sont membres.

Avec ce correctif, la mise en œuvre du dispositif de l’article 1er aboutirait à un rééquilibrage tout à fait raisonnable de la représentation des communes au sein des conseils communautaires. Les plus grandes communes conserveraient souvent le même nombre de sièges ou elles n’en perdraient que quelques-uns, les pertes les plus fortes concernant de grandes communes qui, compte tenu de la configuration de l’EPCI, sont déjà très avantagées par le droit en vigueur. Les communes moyennes les plus pénalisées par le droit en vigueur recevraient un siège de plus.

Par ailleurs, la commission a voulu emprunter une autre voie pour rééquilibrer la composition des conseils communautaires, en assouplissant les règles relatives à l’accord local de répartition des sièges.

Comme vous le savez, à la suite de la décision Commune de Salbris du Conseil constitutionnel, le régime de l’accord local a dû être revu – ce fut fait à l’initiative de nos collègues Jean-Pierre Sueur et Alain Richard. Ce régime a le mérite d’exister. Néanmoins, il est devenu tellement strict qu’il aboutit à des situations aberrantes. Alors même que le droit commun produit de très forts écarts de représentation entre les communes, les règles régissant l’accord local sont si contraignantes qu’elles rendent illégal un accord qui, pourtant, diminue dans l’ensemble les écarts de représentation…

Cela tient en partie au volant maximal de 25 % de sièges supplémentaires susceptibles d’être créés par accord local. La commission des lois a donc réintroduit, à l’article 1er bis, une disposition adoptée en octobre 2016 par le Sénat, sur votre initiative, madame la ministre, et celle de notre collègue Mathieu Darnaud. Cette disposition consiste à relever à 45 % la part de sièges supplémentaires pouvant être créés, dans le cas où cela s’avère nécessaire pour conclure un accord local. En tout état de cause, cet assouplissement ne pourrait conduire à répartir plus de dix sièges supplémentaires par rapport au droit en vigueur.

En outre, il nous a semblé opportun et conforme à la jurisprudence constitutionnelle d’autoriser les accords locaux qui réduisent globalement les écarts de représentation, en tenant compte non seulement du nombre de communes, mais aussi de la population concernée par ces écarts, sans produire pour aucune commune prise isolément un écart excessif. Nous en reparlerons au cours de la discussion des articles.

J’en viens à l’article 2, dont l’objet est de mieux associer les « simples » conseillers municipaux, ceux qui ne sont pas membres du conseil communautaire, au fonctionnement de l’intercommunalité. C’est un objectif que nous partageons tous. On observe aujourd’hui un grand nombre de démissions chez ces conseillers municipaux qui, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi NOTRe, ont parfois le sentiment que leur mandat a perdu de son sens.

Nos collègues proposaient donc que, dans les EPCI à fiscalité propre comportant au moins une commune de 3 500 habitants et plus, le conseil communautaire ait l’obligation de délibérer pour définir les modalités de participation des conseillers municipaux aux commissions thématiques.

La commission a estimé qu’une telle disposition aurait laissé les EPCI à fiscalité propre dans l’insécurité juridique et qu’il valait mieux, en tout état de cause, s’en remettre à la décision locale. En revanche, elle a voulu consacrer le droit d’information de tous les conseillers municipaux sur les affaires de l’EPCI et des syndicats dont leur commune est membre.

Le Gouvernement a fait part de son intérêt pour cette proposition de loi ; je l’en remercie. Je sais qu’il subsiste quelques divergences d’appréciation entre nous, mais je ne doute pas qu’elles pourront être aplanies au cours de la navette parlementaire.

Mme Maryse Carrère, rapporteur. La commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi ainsi modifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie, cher Jean-Pierre Sueur, d’avoir déposé cette proposition de loi, dont le Gouvernement partage la philosophie.

Vous cherchez à favoriser une représentation plus équilibrée de toutes les communes au sein de l’intercommunalité, afin de répondre à une demande formulée à plusieurs reprises sur le terrain par les élus locaux comme par les habitants, qui font état d’un besoin de sens, de responsabilité et de proximité dans l’exercice des politiques publiques, à tous les niveaux.

Je vous remercie aussi d’avoir rappelé l’historique de cette question, en partant du cas de Salbris, dans le Loir-et-Cher,…

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’était pas par hasard…

Mme Jacqueline Gourault, ministre. … ainsi que le travail qui a déjà été réalisé dans cette assemblée pour améliorer la représentation des communes.

Mme Cécile Cukierman. Mais vous aviez voté la loi NOTRe !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Madame la sénatrice, j’ai élaboré avec MM. Sueur et Richard une proposition de loi portant sur cette question.

Comme l’a indiqué Mme la rapporteur, dans l’Eure puis dans le Lot, le Président de la République a échangé avec de nombreux maires. Il a notamment dit qu’il ne fallait « pas tout détricoter, mais permettre, de façon pragmatique, d’améliorer les choses, en aménageant ce qui ne fonctionne pas ».

M. Pierre-Yves Collombat. C’est-à-dire en ne faisant rien…

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il faudra à mon avis se pencher de nouveau sur la question de l’amélioration de la gouvernance au sein de l’intercommunalité, ainsi que sur celle de la territorialisation des politiques publiques. C’est en tout ce que je ressens de plus en plus sur le terrain.

Cette proposition de loi cherche à répondre à un problème dont nous partageons le diagnostic, celui de la juste représentation des communes – plus précisément, même si son titre ne l’indique pas, des communes intermédiaires – au sein de l’intercommunalité.

M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le code général des collectivités territoriales, dont l’article concerné a fait l’objet de six modifications en cinq ans, prévoit que la répartition des sièges s’effectue selon deux possibilités : l’application du droit commun ou la conclusion d’un accord local strictement encadré.

Dans le cadre du droit commun, les sièges à pourvoir sont fixés par un tableau selon la strate démographique à laquelle appartient l’EPCI. Puis, ces sièges sont répartis à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne sur la base de la population municipale. Enfin, un siège est attribué de droit à chaque commune qui n’aurait pas obtenu de siège au titre de l’opération précédente et une commune disposant de plus de la moitié des sièges à l’issue de cette même opération voit sa représentation réduite d’autant.

Cette opération présente, il est vrai, le désavantage de surreprésenter les plus petites communes de l’EPCI, parfois au détriment des communes de taille intermédiaire.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Absolument !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Toutefois, il a le mérite d’être stable, connu, éprouvé, et d’avoir été validé par le juge constitutionnel à plusieurs reprises.

Si l’intention qui sous-tend l’article 1er de tenter de pallier cette difficulté est louable, je dois souligner les risques que cela entraîne.

La proposition de loi initiale modifiait le calcul de la répartition de droit commun des sièges selon des règles de représentation proportionnelle avec un nombre de sièges flottant qui ne permettaient pas l’élection des conseils communautaires sur une base essentiellement démographique, comme l’exige la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel.

La commission des lois du Sénat, dont je salue le travail, a donc fait évoluer le texte, en modifiant le nombre de sièges par strate du tableau et en ne conservant que trois quarts des sièges. Elle a également modifié la base de calcul permettant de répartir les sièges entre chaque commune, en appliquant un quotient électoral arrondi à l’entier supérieur.

Dans cette configuration, elle a supprimé les règles de répartition des sièges de manière forfaitaire, à savoir les 10 % de sièges supplémentaires, la dérogation au « tunnel » des plus ou moins 20 % ou les dispositions spécifiques à la métropole Aix-Marseille-Provence.

Or, si ce texte permet une meilleure représentation démographique de 4 701 communes, représentant près de 21,5 millions d’habitants, il aboutit également à une dégradation de la représentation de nombreuses autres.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est normal !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Certes, monsieur Sueur. Je ne fais que répéter ce que vous avez dit. Nous sommes donc d’accord… (Sourires.)

Par conséquent, la conformité de ce texte à la Constitution paraît très incertaine au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

L’article 1er, tel que modifié par la commission, tend par ailleurs à réduire, j’y insiste, les possibilités d’accord local. Cet impact est intrinsèque au modèle de répartition que vous présentez, et il n’est pas possible de l’éviter. La question est donc de savoir si ces suppressions seront jugées acceptables par les communes concernées.

Enfin, à quelques mois des élections municipales, il me semble inopportun de modifier les règles de droit commun d’un dispositif qui a été à maintes reprises examiné par le juge constitutionnel et que ce dernier a stabilisé. Je rappelle que les communes doivent délibérer sur les accords locaux avant le 31 août 2019…

M. Jean-Pierre Sueur. J’avais proposé de reculer la date.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. … et que modifier l’intégralité du dispositif engendrerait une instabilité nuisible au bon déroulement des élections municipales, dont, vous le savez comme moi, la préparation a commencé sur le terrain. Modifier les règles aujourd’hui laisserait très peu de temps, voire pas du tout, pour mettre au point les simulateurs nécessaires et préparer les négociations.

Concernant le nouvel article 1er bis, je remercie la commission d’avoir réintroduit l’accord local auquel, vous le savez, je suis très attachée, car celui-ci permet de donner de la souplesse aux élus locaux pour rectifier la représentation entre communes dictée par le droit commun. Comme je l’avais proposé avec Mathieu Darnaud au travers d’une proposition de loi adoptée par le Sénat en octobre 2016, vous permettez d’augmenter le nombre de sièges à répartir dans le cadre de l’accord local. Je ne peux donc qu’être favorable à cette modification.

Toutefois, cette proposition est soumise aux mêmes contraintes calendaires que celles évoquées précédemment. Pour cette raison, le Gouvernement a déposé un amendement ayant pour objet de décaler d’un mois la date butoir de délibération des communes pour leur permettre d’être matériellement en mesure de procéder au vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Excellent amendement !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Merci !

Cependant, je dois souligner le risque que cela représente en matière d’organisation matérielle. Je regrette à cet égard que nous n’ayons pas pu trouver de compromis afin d’accélérer le processus parlementaire. Il reste à espérer que la navette soit le plus rapide possible, pour que le texte puisse être voté dans les meilleurs délais.

M. Jean-Pierre Sueur. Cela dépend de vous !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je vous rappelle que c’est une proposition de loi, monsieur le sénateur.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous pouvez la faire inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Mme Cécile Cukierman. C’est juste !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Quand vous parlez en même temps que moi, je ne peux pas vous entendre…

Je le répète, il faudra que la navette soit aussi rapide que possible pour que nous puissions faire avancer cette proposition de loi qui va dans le bon sens mais que je ne peux soutenir dans son intégralité pour des raisons constitutionnelles. (M. Philippe Bas, président de la commission des lois, et M. Arnaud de Belenet applaudissent.)