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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire d’Irak

M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer la présence dans la tribune d’honneur d’une délégation de députés du Parlement irakien, conduite par Mme Ala Talabani, présidente du groupe d’amitié Irak-France. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre des solidarités et de la santé, se lèvent.)

La délégation est accueillie par le groupe d’amitié France-Irak, présidée par notre collègue Bernard Cazeau, pour une visite consacrée au rôle de la France dans la reconstruction de l’Irak.

La délégation participera à un déjeuner de travail avec le groupe d’amitié, ainsi qu’à un petit-déjeuner économique avec l’Agence française de développement, la direction générale du Trésor et plusieurs entreprises françaises qui souhaitent développer leur présence en Irak.

Elle sera également auditionnée par le groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens, les minorités au Moyen-Orient et les Kurdes, présidé par notre collègue Bruno Retailleau.

Cette visite s’inscrit dans le cadre d’une intensification des relations interparlementaires, avec la perspective de la prochaine visite à l’automne du président du Parlement irakien, Mohammed al-Halboussi.

La France s’est tenue aux côtés de l’Irak au sein de la coalition internationale contre Daech. Elle entend également le soutenir dans le processus de reconstruction politique et économique pour lequel le Parlement, clé de voûte des institutions irakiennes, est appelé à jouer un rôle central.

Le Sénat sera attentif à toutes les sollicitations formulées par nos partenaires irakiens contribuant au renforcement des parlementarismes, garantie d’une participation inclusive de l’ensemble des citoyens à la vie politique.

Mes chers collègues, permettez-moi, en votre nom à tous, de souhaiter à nos homologues du Parlement irakien la bienvenue au Sénat français ainsi qu’un fructueux séjour. (Applaudissements.)

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé
Discussion générale (suite)

Organisation et transformation du système de santé

Suite de la discussion et adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire

M. le président. Nous reprenons le cours de la discussion générale.

La parole est à M. Daniel Chasseing.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé
Article 1er

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire, réunie le jeudi 20 juin dernier, sur les dispositions du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé.

L’accord qui en résulte témoigne de la qualité du travail des deux assemblées et de la bonne volonté de chacun d’enrichir le texte sans le dégrader.

Il témoigne également de l’urgence d’agir pour garantir l’accès aux soins à tous dans tous les territoires.

L’amendement transpartisan, à l’article 2, que le Sénat a adopté pour professionnaliser la dernière année des études de médecine, avec un stage ambulatoire de six mois, a constitué le cœur des débats.

Notre groupe se félicite du maintien de cette disposition. Plus de 45 % des médecins sont âgés de plus de 55 ans. Les départs à la retraite des généralistes vont s’accentuer dans les prochaines années. Si le problème de la désertification médicale est évoqué depuis près de vingt ans, le plus important est encore à venir et les zones rurales ne seront pas les seules concernées.

Par cet amendement du Sénat, la mobilisation de jeunes étudiants et professionnels dans les zones sous-dotées représente un levier d’action important pour résorber ou améliorer fortement – nous l’espérons – en quelques années le problème de l’accès aux soins dans les territoires, grâce au renforcement du dispositif des maîtres de stage. Je veux remercier à cet égard M. le président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, de son soutien.

L’accès aux soins ne saurait se réduire à la disponibilité des médecins. Nous savons que les ruptures de stock de médicaments se sont amplifiées au cours des dernières années : un Français sur quatre a déjà été confronté à l’indisponibilité d’un médicament ou d’un vaccin. Sur l’initiative de Jean-Pierre Decool, le Sénat a mené une mission d’information à ce sujet l’été dernier.

Madame la ministre, vous avez présenté la semaine dernière une feuille de route visant à mettre en œuvre une partie des 30 propositions du rapport du Sénat. La loi Santé prévoit d’ores et déjà d’autoriser le pharmacien à remplacer un médicament prescrit indisponible par un autre de la même famille lorsqu’il s’agit d’un médicament d’intérêt thérapeutique.

Encore faut-il qu’un tel médicament soit disponible. Vendredi dernier, dans mon canton en Corrèze, j’ai constaté que de nombreuses pharmacies ne disposaient plus d’aucun corticoïde, médicament pourtant indispensable en premier recours pour de nombreuses maladies chez l’enfant et l’adulte. Il est toujours possible, bien sûr, d’adresser les patients aux urgences, mais celles-ci sont suffisamment encombrées.

Toutes les actions d’amélioration sont donc absolument nécessaires, vont dans le bon sens et témoignent de notre volonté commune, madame la ministre, de répondre au principal défi sanitaire de la France, qui est de garantir l’accès aux soins dans tous les territoires.

Si l’accès aux soins est prioritaire, la prévention a également un rôle important, dans toutes ses dimensions : alimentation, environnement, promotion des pratiques sportives, éducation, détection, etc. La prise en charge globale de la santé nécessite d’adopter une approche territoriale et transversale, au travers des CPTS, les projets territoriaux de santé, les réseaux d’hôpitaux et les maisons de santé, qui devront fonctionner ensemble, en concertation avec les élus locaux et les ARS, pour trouver les bonnes réponses à chaque situation territoriale, à chaque bassin de vie, notamment en renforçant les services d’urgences et les Ehpad, avec une augmentation sensible des infirmiers et des aides-soignants. Cela est primordial pour la prise en charge des patients, en parallèle du nécessaire renforcement des effectifs de ces formations.

La stratégie de transformation de notre système de santé, engagée par le Gouvernement au travers du plan Ma santé 2022 se déploiera sur plusieurs années. Elle poursuit l’effort de réorganisation de la médecine de ville et de la médecine hospitalière, modernise le déroulement des études médicales et accompagne l’évolution des pratiques au travers de la numérisation de la santé, notamment avec le projet médical partagé, ou PMP, la continuité de l’aide pour les maisons de santé, le soutien à l’installation des médecins. Le financement de la sécurité sociale, qui prend en compte ces propositions, est bien sûr capital.

Avec l’adoption de ces mesures importantes, à commencer par la levée progressive du numerus clausus, nous espérons une implication de l’hôpital et des facultés de médecine dans l’accès à la santé pour tous, en liaison avec les élus locaux et les CPTS, l’objectif étant que chaque maison de santé dispose d’un médecin. Nous saluons également la régularisation prochaine de la situation d’une partie des praticiens diplômés hors Union européenne, les Padhue, même si nous regrettons l’exclusion de ceux qui travaillent en Ehpad privés.

Globalement, cette vaste réforme de la santé est très attendue. Notre groupe la soutient pleinement. (Mme Véronique Guillotin applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Michel Amiel. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. Michel Amiel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce texte intitulé « organisation et transformation du système de santé », le troisième en dix ans après la loi HPST de 2009 et la loi Touraine de 2016.

Traduction de la stratégie Ma Santé 2022, annoncée par le Président de la République le 18 septembre dernier, ce texte a pour ambition de transformer en profondeur notre système de santé pour assurer à chaque Français la qualité et la sécurité des soins.

Réformer les études de médecine, notamment en supprimant le numerus clausus, réarticuler médecine de ville et hôpital, développer l’offre numérique, améliorer l’offre hospitalière de proximité, promouvoir les communautés professionnelles territoriales de santé : tels ont été les points centraux de nos discussions.

Si les deux assemblées n’avaient pas la même vision de ces enjeux, je me félicite de ce que les échanges en commission mixte paritaire aient abouti à un compromis, un texte équilibré qui reprend en particulier les avancées du Sénat, représentant des territoires, sur la lutte contre les déserts médicaux.

Sur la réforme des études de santé, si je réitère ma crainte sur la suppression du numerus clausus, qui n’aura d’effets – l’arrivée sur nos territoires des professionnels formés – que dans dix à quinze ans, j’applaudis l’ambition d’un véritable changement de culture qui permettra à des étudiants non issus de la première année commune aux études de santé, la Paces, d’accéder aux études médicales.

Restent, comme je le rappelais lors des explications de vote sur l’ensemble du texte en première lecture, des inconnues : la capacité des universités et des hôpitaux d’accueillir les étudiants, l’orientation des étudiants via Parcoursup, et les critères de définition des besoins en professions médicales des territoires, discutés entre universités et ARS. Sur ces points, notre groupe restera attentif. Il le sera aussi sur les modalités modifiant l’accès au troisième cycle, et donc au choix de spécialité, avec le vote de la suppression de l’examen classant national actuel pour le remplacer par un dispositif qui, s’il visera à s’assurer du niveau de connaissances des étudiants, prendra également en compte les compétences cliniques acquises, les qualités humaines développées et l’ensemble du parcours des candidats.

Mais si une réforme des études médicales a d’abord pour ambition de mieux former les étudiants, elle vise aussi à offrir aux territoires un meilleur accès aux soins. Comme vous l’avez dit vous-même, madame la ministre, cela « ne réglera pas le problème de la démographie médicale ».

Aussi, je salue l’accord trouvé concernant la professionnalisation de la dernière année de l’internat de médecine. Proposé par les sénateurs soucieux d’assurer une prise en charge dans l’ensemble des territoires qu’ils défendent et représentent, cela prendra la forme d’un stage devant être effectué en ambulatoire, en priorité dans les zones sous-dotées, pendant six mois – contre un an dans la version initiale du dispositif sénatorial –, le tout encadré par un maître de stage.

À cet effet, les conditions pour devenir maître de stage ont été assouplies.

Je salue tout autant la volonté de développer les CPTS, outil d’organisation donné aux professionnels du terrain, qui sont les mieux à même d’évaluer les besoins et d’élaborer les solutions de circuits de prise en charge de la population.

Mes chers collègues, la notion et la prise en compte de la responsabilité populationnelle des professionnels de santé doivent être encouragées, car le médecin, l’infirmier mais aussi les aides-soignants et les kinésithérapeutes sont bel et bien des acteurs de santé publique.

Je regrette toutefois que les avancées prévues par le Sénat n’aient pas été suivies en ce sens, notamment l’ambition de réaffirmer la notion d’infirmier référent, outil majeur dans le cadre d’une coordination des soins promue par les CPTS.

Toujours dans l’objectif de simplifier la prise en charge coordonnée des personnes, le numérique – et les outils qu’il offre, notamment pour le suivi des patients – constitue un virage essentiel qu’il convient d’encourager, mais surtout de faciliter. Aussi, l’automaticité de l’ouverture du dossier médical partagé, ou d’un espace numérique de santé, l’ENS, permettra de déployer cet outil pour tous. Les acteurs de la santé pourront ainsi mieux prendre en charge, et de manière plus coordonnée, leurs patients.

À ces fins, nos assemblées ont pu s’accorder sur la nécessité d’une offre de proximité de qualité.

Les hôpitaux de proximité sont un des éléments forts du maillage territorial et de la vision d’un exercice coordonné de la médecine. La gradation des soins doit être vue non pas comme une médecine à deux vitesses, mais bien pour ce qu’elle est : une réorganisation d’un système à bout de souffle, comme l’ont montré les difficultés des services d’urgences qui s’amplifient, et une meilleure coordination ville-hôpital.

Enfin, notre groupe se félicite des enrichissements du texte, qui bénéficieront aux territoires d’outre-mer, particulièrement en ce qui concerne l’autorisation d’exercer des praticiens à diplôme hors Union européenne.

Le groupe s’est par ailleurs montré vigilant sur la question de Mayotte, où l’urgence sanitaire est on ne peut plus alarmante. Il le restera quant au financement de la future agence régionale de santé.

Mes chers collègues, si cette nouvelle loi de structuration de l’offre de santé dans notre pays a pour objectif l’amélioration des conditions d’exercice de la médecine et d’accès aux soins, il faudra aussi penser dès la rentrée, avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale, aux mécanismes de financement d’un tel projet qui devra s’inscrire dans la durée.

Madame la ministre, vous avez avec beaucoup de sagesse montré la voie. Puisque M. Milon a cité Pascal et Mme Cohen Descartes, j’évoquerai quant à moi Confucius : quand le sage montre la lune du doigt, l’insensé regarde le doigt. (Sourires.)

Le groupe La République En Marche votera bien évidemment ce texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. René-Paul Savary. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en premier lieu, je tiens à excuser notre collègue Corinne Imbert, absente pour cause de décès dans sa commune, et qui m’a chargé de lire son intervention. Je vous ferai part, en second lieu, de mes réflexions personnelles.

La question des difficultés de l’accès aux soins est devenue omniprésente dans la plupart des débats relatifs à la santé. En effet, la désertification médicale touche aujourd’hui l’ensemble de nos territoires.

Si les centres urbains ont longtemps été épargnés par ce phénomène, on note aujourd’hui que même les grandes villes peinent à proposer une offre de soins satisfaisante pour leurs habitants.

M. Julien Bargeton. Tout à fait !

M. René-Paul Savary. La médecine générale est bien entendu en proie à ces difficultés, mais le manque de spécialistes se fait également ressentir.

Pour prendre en charge les patients, il faut, madame la ministre, croire davantage dans les femmes et les hommes professionnels de santé que dans les organisations, certes nécessaires mais chronophages, et surtout prévues à des échelons qui n’incarnent en rien la proximité.

Afin d’apporter une réponse concrète à ces difficultés, Corinne Imbert avait proposé à l’occasion de nos débats de transformer la dernière année du troisième cycle de médecine en une année de pratique ambulatoire en autonomie dans les zones sous-dotées.

Loin de constituer une contrainte pour les internes en médecine, cette proposition avait pour objectif d’apporter une solution rapide et pragmatique aux difficultés rencontrées dans nos territoires. Ce sont ainsi 3 500 étudiants, pour la seule médecine générale, qui auraient pu venir travailler en renfort aux côtés des médecins installés, maîtres de stages ou non.

Ce format présentait plusieurs avantages.

Premièrement, c’était l’occasion de faire découvrir des coins de France où qualité de vie et environnement sont préservés, ce qui aurait permis de déconstruire certains a priori dont font l’objet nos territoires ruraux.

Deuxièmement, la durée d’un an aurait permis d’inscrire cet apprentissage professionnalisant en zones sous-dotées dans un temps long, optimisant ainsi l’éventualité d’une installation des internes dans ces territoires.

Troisièmement, enfin, la notion de pratique ambulatoire en autonomie est essentielle, car, contrairement à ce qui est d’usage dans un stage classique, le médecin n’aurait pas besoin d’être en permanence avec l’étudiant. L’effet direct serait d’augmenter le nombre de patients pris en charge.

Cette proposition a d’ailleurs été reprise par d’autres groupes politiques du Sénat et votée par la quasi-totalité des sénateurs, ce qui illustre le caractère transpartisan et consensuel d’une telle mesure. Corinne Imbert remercie l’ensemble des sénateurs, qui, dans un esprit de défense de l’intérêt général et de l’intérêt de nos territoires, ont su mettre de côté leurs divergences idéologiques pour défendre collectivement une mesure de bon sens.

Non, le Sénat n’est pas tombé sur la tête ce jour-là ! Une nouvelle fois, il a fait honneur à sa réputation, à son esprit constructif et à la qualité de ses propositions.

M. René-Paul Savary. À force de discussions et d’échanges sur ce sujet, le Sénat et l’Assemblée nationale sont parvenus à un compromis, aux termes duquel chaque étudiant de dernière année de troisième cycle de médecine devra réaliser un stage de six mois minimum dans un territoire sous-doté, en autonomie supervisée.

Bien que cette mesure ne soit pas entièrement satisfaisante, elle est un début de réponse aux difficultés rencontrées par nos concitoyens. Dans les mois et années à venir, nous devrons être en mesure de proposer d’autres solutions innovantes afin de répondre à l’urgence rencontrée en matière d’accessibilité aux soins. Il n’y a pas une sénatrice ou un sénateur dans cet hémicycle qui n’ait été sollicité par un élu ou un administré sur cette thématique.

La colère gronde, madame la ministre. (Lorateur se tourne un instant vers les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Cela a déjà été dit. Entendez-la, avant que les solutions drastiques et caricaturales ne s’imposent d’elles-mêmes !

Le Sénat s’est également employé à renforcer la place des élus locaux dans le pilotage territorial de la santé. En effet, l’organisation territoriale de notre système de santé ne peut être pensée et exécutée par des structures souvent déconnectées des réalités du terrain. C’est pourquoi le Sénat a voté le renforcement des prérogatives du conseil de surveillance des établissements publics de santé, où siègent les représentants des collectivités territoriales.

De la même manière, cinq maires seront désignés dans le cadre de la mise en œuvre du projet régional de santé et de ses orientations, notamment sur l’accès aux soins et l’évolution de l’offre de santé.

La Haute Assemblée est historiquement le lieu de représentation des territoires. Les sénateurs connaissent le caractère pluriel de notre pays et les spécificités de chaque département. Afin de tenir compte de cette diversité, le Sénat a voté des amendements visant à apporter de la souplesse aux dispositifs de structuration du système de santé. Les besoins spécifiques de chaque territoire seront donc pris en compte dans le cadre des projets territoriaux de santé.

Malgré une commission mixte paritaire conclusive, que nous saluons, ce texte nous laisse un sentiment d’inachevé. En effet, de nombreuses mesures seront prises par ordonnance malgré la mise en garde des sénateurs. De la même manière, on peut regretter que ce texte ne réponde pas à la nécessité d’une restructuration de la gouvernance et du financement de notre système de santé.

Lors des futurs textes de loi consacrés à la santé, vous pourrez compter, madame la ministre, sur la force de proposition que constitue le Sénat pour continuer à répondre à la problématique de l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire français. Dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous aurons à cœur de discuter de certains dispositifs qui n’ont pu être adoptés lors de l’examen de ce texte en raison de leur impact financier.

À titre d’exemple, l’exonération de cotisations sociales pour les jeunes médecins, dès lors qu’ils s’installent dans les trois ans suivant l’obtention de leur diplôme dans les zones déficitaires, pourra constituer une réponse au manque d’attractivité que connaît actuellement la médecine libérale. De la même manière, le financement des hôpitaux de proximité demeure encore incertain et il faudra apporter des précisions dans ce domaine. Ce débat fondamental aura également lieu, nous n’en doutons pas, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

Corinne Imbert vous remercie de l’attention que vous avez portée à son intervention. Je m’associe à ses remerciements, notamment à l’endroit de notre rapporteur et président de la commission des affaires sociales.

Ces remarques étant faites, la majorité du groupe Les Républicains votera, j’en suis certain, ce texte en espérant voir ses résultats se réaliser au plus vite sur le terrain.

Madame la ministre, il me reste quelques minutes pour intervenir à titre personnel et vous faire part de certaines remontées de terrain. Les sénatrices et les sénateurs sont en effet en contact permanent avec vos services, notamment les ARS, et un certain nombre de personnes viennent nous voir dans nos permanences pour nous informer des problèmes qui se posent.

Des mesures incitatives pour l’installation des médecins peuvent ainsi devenir des mesures contraignantes. J’en veux pour exemple mon territoire, qui est désertifié : trois jeunes médecins qui se sont installés dans la commune de Vertus ont eu un « mal de chien », pour des raisons administratives, à obtenir leurs aides spécifiques à l’installation, et ce financement ne leur est parvenu qu’au terme de deux ans. C’est la direction de l’ARS qui a réglé le problème.

Je pense également aux malades qui connaissent des difficultés particulières, car le traitement de leur pathologie est très onéreux.

Je connais une jeune fille qui souffre d’un déficit en lipase acide lysosomale : son traitement, administré toutes les trois semaines, et qui coûte 500 000 euros par an, a été pris en charge par l’hôpital d’Épernay. Vous connaissez le problème : du fait des actes techniques médicaux, les ATM, de l’autorisation temporaire d’utilisation, l’ATU, le remboursement n’est pas pris en compte dans le cadre du groupe homogène de séjour, le GHS. Par conséquent, l’hôpital d’Épernay estime désormais que le traitement coûte trop cher : il faut donc qu’elle soit prise en charge à l’hôpital Necker.

Prenons garde à ce que ne s’exerce pas, dans des cas très particuliers de pathologies lourdes, une médecine à plusieurs vitesses. Je vous demande, madame la ministre, d’y être très attentive.

C’est la raison pour laquelle j’avais proposé que le conseil de surveillance des ARS soit présidé par un président de région, un élu ou son représentant. Ce conseil serait ainsi devenu un lieu de discussion et de contre-pouvoir où l’on aurait pu régler un certain nombre de problèmes que l’on connaît sur le territoire.

Par ailleurs, avec Catherine Deroche et plusieurs de nos collègues, nous menons des auditions communes très intéressantes. Nous recevons, entre autres, des biotech. Tous ces acteurs de l’innovation nous répètent le même discours : les délais sont trop longs entre la délivrance de l’ATU, l’AMM, l’autorisation de mise sur le marché, et la fixation des prix ; la teneur des discussions diffère selon qu’elles se passent au niveau de la Haute Autorité de santé ou du Comité économique des produits de santé, le CEPS, quant à la fixation des tarifs.

Pour ce qui concerne les médicaments innovants, des exemples montrent que notre dispositif n’est pas aussi performant que précédemment. Les biotech, qu’il s’agisse d’entreprises françaises ou de filiales de sociétés étrangères, ont du mal à mobiliser leurs investisseurs, parce que la France est réputée pour pratiquer de longs délais, alors même que sa réputation est extraordinaire dans le domaine de la recherche et de l’innovation.

Je pense au cas spécifique de la bêta-thalassémie, pour laquelle il y a désormais un one shot et une thérapie génique, ce qui évite des transfusions régulières. Or notre modèle de tarification – en particulier l’article 65 de la LFSS 2019 – ne correspond pas à ce type de pathologie.

Nous avons également été confrontés à un problème complexe avec des nouvelles technologies destinées à soigner le cancer de la prostate à bas risque, lesquelles concilient un médicament, donc soumis à l’AMM, un dispositif médical, ce qui suppose une autre voie de tarification, et un acte chirurgical, lequel doit être codifié par la sécurité sociale. Il faudra trouver, pour ces thérapies innovantes, un nouveau modèle de tarification.

Dans le domaine de la prévention, il convient d’aller plus loin, d’oser davantage.

Par exemple, pour ce qui concerne la lutte contre le tabagisme, le plan anti-tabac ne suffit pas. Mais il y a des fumeurs qui ne parviennent pas à arrêter de fumer ! Il faut donc réfléchir à un concept de diminution des risques, puisqu’on ne parviendra pas à les supprimer totalement. Dans cette perspective, le vapotage ou le tabac chauffé et non brûlé, qui réduisent considérablement les effets cancérologiques, sont des solutions de remplacement qui méritent d’être étudiées. Elles existent dans d’autres pays et peuvent aider des fumeurs acharnés, même si ce n’est bien sûr pas la panacée. J’y insiste, il faut trouver des solutions pour limiter les effets toxiques du tabac.

Vous le savez, madame la ministre, le vote de la loi Santé ne signifiera pas que le travail est terminé, car un certain nombre de dispositifs méritent d’être pris en compte. Vous pouvez compter sur les sénatrices et les sénateurs pour avancer sur ces dossiers ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)

M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Mme Nadine Grelet-Certenais. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous touchons ici à la dernière étape de l’examen d’un projet de loi qui focalisait tellement d’attentes de la part de nos territoires, marqués par la désertification médicale et par une crise de confiance sans précédent.

Il aurait fallu aller plus loin, et vous le savez, madame la ministre, pour répondre à l’anxiété des élus locaux que nous rencontrons chaque semaine.

Par peur de manquer de médecins, les collectivités, qui ne peuvent prendre des mesures de régulation efficaces, tentent d’attirer par tous les moyens des médecins généralistes, parfois – il faut bien le dire – aux dépens d’autres collectivités.

Cette concurrence malsaine entre territoires n’est pas à la hauteur du principe d’égal accès aux soins et laisse nombre d’élus locaux sans solution.

La récurrence des grèves dans les urgences, en Sarthe et sur l’ensemble du territoire, démontre combien la situation est tendue.

Comme l’a très bien exposé notre collègue Yves Daudigny, des avancées notables ont pu être obtenues grâce à l’apport du Sénat, notamment à l’article 2, obligeant les internes à effectuer, en dernière année de troisième cycle de médecine générale, un stage de six mois en ambulatoire prioritairement en zones sous-denses. Cette généralisation du Saspas, que nous avons proposée et qui a emporté notre non-opposition, pourrait avoir des effets concrets à court et moyen terme.

À la différence de ladite « suppression » du numerus clausus, mesure de bon sens mais qui n’aura que peu d’effets directs et instantanés – cela a été également dit –, ce stage constitue l’une des solutions pour lutter contre le phénomène de désertification médicale. Les territoires attendent beaucoup de cette mesure emblématique de souche sénatoriale. Nous serons donc très vigilants quant à sa mise en place rapide par le Gouvernement.

Autre point positif de cette loi, le développement de la télémédecine : il est évident que le télésoin peut apporter un service efficace et permettre de régler certaines situations délicates, notamment pour des publics incapables de se déplacer.

Toutefois, je tiens à le rappeler fermement, la télémédecine ne peut se substituer à la présence physique d’un médecin. Sans parler des problématiques d’accès au numérique, lequel demeure un sujet dans nos territoires ruraux, le risque est évidemment de créer une médecine à deux vitesses, l’une présentielle pour les territoires attractifs, l’autre virtuelle pour les territoires délaissés et déjà impactés par la disparition excessive de services publics comme privés.

À ce sujet, je ne me résous pas à l’abandon de l’article 13 bis A, qui introduisait un principe de médiation numérique en santé pour les usagers distants des nouvelles technologies, principe particulièrement pertinent en zone rurale et recommandé par le Défenseur des droits.

Il n’est pas nécessaire, madame la ministre, de vous rappeler l’importance du maintien d’une offre de santé diversifiée au plus près des territoires. Je pense notamment à l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, qui peut être remis en cause par le simple départ à la retraite d’un gynécologue, comme ce fut le cas l’été dernier en Sarthe à l’hôpital du Bailleul.

Alors que le sujet est extrêmement sensible et qu’une tribune de nos collègues députés vous appelle à inscrire dans notre Constitution ce droit à l’IVG afin de le protéger, il est étonnant de constater quelles sont les positions du Gouvernement et de la majorité à l’Assemblée nationale. Quand le Gouvernement exprime par votre voix, madame la ministre, un avis défavorable à l’extension des délais légaux d’accès à l’avortement, une mesure portée ici même avec pugnacité par notre collègue Laurence Rossignol, la majorité ne réintroduit pas le regretté article 27, qui tendait à demander à vos services un rapport sur l’accès effectif à l’IVG dans nos territoires.

J’avais proposé à l’automne dernier de mettre sur pied un groupe de travail au sein de la commission des affaires sociales du Sénat ; en vain. C’est donc avec une réelle déception que je vois ce rapport abandonné, car il aurait permis de mettre en lumière les difficultés de beaucoup de femmes qui ne peuvent plus, en France, avoir accès à leur droit. Vous pouvez compter sur le groupe socialiste et républicain pour porter cette question de justice à chaque occasion jusqu’à ce que votre discours, a priori volontariste, se concrétise enfin. Nous attendons plus de cohérence, madame la ministre !

Ainsi, loin de clore certaines questions, cette loi ouvre des débats dont nous serons amenés à reparler dans un avenir proche. Je pense notamment à la question des données et à celle du recueil du consentement des patients.

Nous avons défendu le principe du consentement comme fondement de la licéité du traitement des données personnelles en santé, et donc de l’ouverture de l’espace numérique de santé, en lieu et place de l’ouverture automatique initialement prévue et portée par le groupe majoritaire.

À l’heure où les croisements de données vont devenir exponentiels, il s’agit de replacer le patient au cœur du système et d’affirmer le principe de consentement libre et éclairé, qui n’en devient que plus fondamental alors que nous ne mesurons pas forcément les conséquences de l’utilisation des « applis » de santé et de bien-être. De manière identique, les modalités de création et de gestion du Health Data Hub, ou « plateforme des données de santé », ne sont pas suffisamment encadrées par le projet de loi.

Nous aurons assurément l’occasion d’en reparler lors des débats à venir sur le projet de loi relatif à la bioéthique.

Néanmoins, nous pouvons nous réjouir du maintien dans le texte final de plusieurs de nos amendements visant, par exemple, à étendre l’usage de l’ENS aux bénéficiaires de l’aide médicale d’État, à intégrer des données relatives à l’accompagnement social et médico-social dans l’ENS ou encore à renforcer la protection des données lors de l’application ou la conclusion de tout contrat.

Au regard de ce bilan mitigé, nous nous abstiendrons sur ce texte qui ne prend pas suffisamment à bras-le-corps le sujet de la désertification médicale et qui ne répond que partiellement aux problèmes rencontrés par les élus locaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)