Mme Éliane Assassi. C’est aussi cela, « regarder en face ». L’immigration est un vrai sujet, mais, pour moi, ce n’est pas un problème.

Pour relancer ce débat, vous agitez et manipulez les chiffres du droit d’asile. François Héran, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire migrations et sociétés, considère pour sa part que, s’il y a problème, c’est parce que le diagnostic initial est faux : la France est loin, très loin d’être le premier pays d’Europe pour la demande d’asile. « Raisonner en chiffres absolus n’a aucun sens quand il s’agit de comparer des pays de taille inégale et de richesse variable. » Ainsi, en passant des chiffres bruts aux chiffres relatifs, les 400 000 demandes enregistrées sur notre sol depuis janvier 2015 ne représentent que 10 % du total européen ; et, dans l’hypothèse où toutes les personnes concernées seraient restées en France, elles n’auraient accru notre population que de 0,6 %, contre 2 % en Allemagne et 0,8 % en moyenne dans l’Union européenne.

Aussi, à l’échelle de l’Europe, vu notre population et notre économie, on se fourvoie quand on imagine que des facteurs d’attraction exceptionnels, comme l’aide médicale de l’État ou le regroupement familial, placeraient notre pays en première ligne.

Je m’arrêterai quelques instants sur la réforme annoncée de l’aide médicale de l’État. Le fait que ce débat ressurgisse est largement révélateur de la logique politique suivie : stigmatiser encore et toujours la figure du migrant, jusqu’à la caricature.

Après le « shopping de l’asile », La République En Marche et le Gouvernement nous ont parlé de « tourisme médical ». Mais sachez que toute mesure qui contribue à réduire l’accès de toutes et tous à la santé est contraire au respect des droits fondamentaux et porte atteinte à la dignité individuelle.

De plus, ces choix soulèvent d’importantes questions en matière de santé publique. La ministre, Mme Agnès Buzyn, se veut rassurante sur le sujet, mais, quand même, ne soyons pas dupes : les conclusions des rapports demandés aux inspections concernées seront remises, précisément, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale… Nous veillerons aux mesures qui seront alors adoptées.

Tous ces reculs proposés à l’échelle nationale ne sont bien sûr que le reflet de la politique migratoire européenne en vigueur.

L’approche uniquement sécuritaire de l’immigration défendue par l’Union européenne n’est plus à démontrer : elle est parfaitement assumée depuis la création de l’agence Frontex, que vous n’avez de cesse d’encenser, sans parler des accords avec la Turquie, conclus à la suite de la crise syrienne.

Dans ce cadre, deux points doivent être soulevés à l’échelon européen.

Premièrement, la définition des « pays d’origine sûrs » doit être revue. Je pense évidemment au prétendu détournement du droit d’asile, dont vous parlez en boucle, par les Albanais et les Géorgiens. L’asile n’a été accordé qu’à 8 % des Albanais et à 5 % des Géorgiens pourchassés bien souvent pour des raisons de vendetta, d’orientation sexuelle ou même d’engagement politique, comme le rappellent la Cimade ou l’association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour, l’Ardhis. Mais d’autres pays bien peu sûrs figurent sur cette liste : je songe par exemple au Bénin. Qu’en pensez-vous ?

Deuxièmement, le règlement de Dublin, dont vous appelez de vos vœux le renforcement, est obsolète. Un autre système doit le remplacer.

À plusieurs reprises, le Défenseur des droits a appelé le Gouvernement à suspendre l’application de ce règlement pour permettre à des personnes extrêmement fragilisées par des mois d’errance de demander l’asile. Il rappelle qu’il existe, « en Europe, plusieurs centaines de milliers de personnes dont le retour dans le pays d’origine – du fait de leur nationalité – est impossible mais qui, en application de ces règles, ne trouveront jamais d’issue juridique et humaine à leur situation. » Or, en 2017, la France s’est révélée la championne européenne des refus d’entrée aux frontières terrestres, renvoyant massivement des personnes en quête de protection vers l’Italie.

Quoi qu’il en soit, la question de l’immigration se posera de nouveau très rapidement, et dans des termes internationaux. Il nous faudra alors défendre une interprétation plus large des critères de la convention de Genève, notamment pour tenir compte des nouvelles causes d’exil forcé, qui affectent des groupes entiers de personnes, comme les conséquences du dérèglement climatique.

Le fait de renforcer les opérations de police aux frontières et la politique d’expulsion ne changera rien à cet état de fait, pas plus que l’instauration de quotas révélateurs d’une vision néocolonialiste et assez étroite de nos frontières.

Au contraire, je vous invite à prendre connaissance de l’Éloge des frontières de Régis Debray, pour qui « la frontière rend égales, tant soit peu, les puissances inégales : les riches vont où ils veulent à tire-d’aile, les plus pauvres vont où ils peuvent en ramant, ceux qui ont la maîtrise des stocks […] peuvent jouer avec les flux en devenant encore plus riches, ceux qui n’ont rien en stock sont les jouets des flux. »

M. Bruno Retailleau. C’est bien l’Éloge des frontières !

Mme Éliane Assassi. Plutôt que de se replier sur elle-même, la France s’honorerait à mieux travailler, à faire des propositions à la représentation nationale pour agir efficacement en faveur du développement et pour la réparation de dangereuses décisions géopolitiques, comme en Libye par exemple ; pour mieux accueillir celles et ceux qui ne demandent pas l’aumône, qui ne viennent pas manger notre pain, mais nous demandent asile, aide, respect et dignité, qui participent au développement de notre pays et aussi – ne l’oublions pas – de leur pays d’origine ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, fallait-il ouvrir ce débat ? Pour les professionnels de l’indignation, la réponse est non. Le seul mot « immigration », tel le marteau du médecin sur le tendon rotulien, déclenche la phrase réflexe : « Vous faites le jeu du Front national. »

M. Stéphane Ravier. Rassemblement national !

M. Claude Malhuret. Les donneurs de leçons, qui aiment les mots pompeux, en ont trouvé un qui fait florès depuis quinze jours : il paraît qu’Emmanuel Macron « triangule ». Ils veulent dire par là qu’il braconne sur les terres des autres… Je ne sais pas où il y a un triangle, mais passons.

Quand les détenteurs du monopole du cœur comprendront-ils ce qui les a entraînés en salle de réanimation idéologique (Rires sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE.), à savoir l’angélisme et le victimisme, qui mettent les faits en fuite et qui, en déclarant tabous l’immigration et d’autres sujets, ont conduit les classes populaires à leur tourner les talons, comme on abandonne un matelas usé devant sa porte ?

Le réel ne cessant pas d’exister parce qu’on l’ignore, on laisse à l’extrême droite le champ libre pour propager, avec une fixité de poteau indicateur, ses absurdités montées sur des échasses et ses pulsions xénophobes. Nous en avons eu un exemple tout à l’heure.

M. Loïc Hervé. Absolument !

M. Claude Malhuret. C’est ainsi que les populistes sont aujourd’hui aux portes du pouvoir.

Je ne vois donc pas de raison de me mêler au chœur des pleureuses : je vais parler de la politique migratoire et de l’intégration.

Bien sûr, ce débat n’est pas sans risque. Les deux bouts de l’omelette, comme disait Alain Juppé, sont en embuscade : il s’agit là d’un premier danger. « Ouvrez les frontières ! » contre « immigration zéro ! » : les fonds de commerce du gauchisme irresponsable et de l’extrême droite intolérante, deux rhinocéros au cuir épais, à la vue basse et toujours prêts à charger vont ressurgir. (Sourires sur des travées des groupes Les Indépendants, LaREM, UC et RDSE.)

L’opposition républicaine, à gauche comme à droite, sera tentée de pimenter ses discours d’un peu de cette radicalité. Je voudrais inviter à y renoncer. Voilà quarante ans que l’immigration est l’exemple même de l’impuissance publique : quarante ans que nous faisons ce que dénonçait Richelieu, lequel disait : « Faire des lois et ne pas les faire exécuter, c’est autoriser ce qu’on veut interdire. » Cette phrase doit nous inciter à l’humilité.

Le deuxième danger, c’est le risque Dalida : « Paroles, paroles ! » (Sourires.)

M. Ladislas Poniatowski. Et avec l’accent ! (Nouveaux sourires.)

M. Claude Malhuret. Les Français veulent des actes.

Il y a d’abord ce dont ils ne veulent plus. Ils ne veulent plus voir à la télévision des réfugiés noyés et échoués sur les plages après avoir été abandonnés par les passeurs. Ils ne veulent plus voir les pays européens se livrer à des querelles de cour d’école chaque fois qu’arrive un bateau de migrants. Ils ne veulent plus voir Calais et Vintimille. Ils ne veulent plus voir les centaines de tentes alignées le long des boulevards et des quais. Ils ne veulent plus voir les prostituées albanaises ou africaines, esclaves tragiques de mafias dont on avait cru notre pays débarrassé à jamais.

Mme Catherine Procaccia. Au bois de Vincennes !

M. Claude Malhuret. Ce que veulent les Français, c’est d’abord comprendre. Ils voient bien que le maintien des illégaux sur le territoire est un fléau pour les sans-papiers eux-mêmes, forcés à la précarité et à la clandestinité, et une épreuve pour la population, contrainte de voisiner avec les squats ou les ghettos. Ils souhaitent donc que les reconduites à la frontière soient effectives.

Les Français ont compris que le sujet est non pas seulement national, mais européen. Néanmoins, ils ne comprennent pas que l’Europe n’ait ni le mandat ni les moyens de le traiter. Frontex va voir ses effectifs passer de 2 000 à 10 000 agents : très bonne nouvelle – moins bonne quand on apprend que le chiffre de 10 000 sera atteint en 2027…

Les Français veulent que l’on trouve des solutions pour faire cesser le détournement des procédures d’asile. Quand les deuxième et troisième nationalités par le nombre sont les Albanais et les Géorgiens, dont les pays sont considérés comme « sûrs », c’est le signe que, là aussi, les mafias et les passeurs ont mis la main sur le système.

Toutefois, l’essentiel est ailleurs. Le Président de la République l’a parfaitement compris, mais le sujet est tellement inflammable qu’il a dû l’aborder, comme dirait Nietzsche, avec des pattes de colombe. Il l’appelle l’« insécurité culturelle ». En langage direct, cela veut dire la « crise de l’intégration ».

Au début des années quatre-vingt sont apparus deux mouvements de jeunes antiracistes. Leurs buts étaient les mêmes, mais les méthodes les opposaient. Le premier, France Plus, d’Arezki Dahmani, avait pour mot d’ordre l’intégration républicaine. Son slogan était : « Nous voulons le droit à la ressemblance. » Le second, SOS Racisme, proposait le multiculturalisme. Abreuvé de subventions, surmédiatisé par tous les relais du jacklanguisme triomphant (Mme Éliane Assassi rit.), il fit une entrée fracassante dans le paysage politico-intellectuel. France Plus, privée de tout moyen, disparut.

Au début des années 2000, un nouveau président de SOS Racisme, Malek Boutih, homme de gauche responsable, propose un virage à 180 degrés, s’oppose radicalement à ce qui était devenu le politiquement correct multiculturel, condamne le différentialisme et fait l’éloge de l’intégration républicaine. Mais le mal était fait, et Malek Boutih se trouve rapidement congédié. Le victimisme et le dolorisme sont devenus l’alpha et l’oméga du discours d’une certaine intelligentsia sur l’immigration,…

M. Loïc Hervé. C’est vrai !

M. Claude Malhuret. … un discours qui, au prétexte d’atténuer le déracinement des immigrés, conduit à les laisser à la discrétion de leur communauté ; un discours qui, au nom de la tolérance, renonce à les protéger contre les abus de la tradition dont ils relèvent.

C’est ainsi que la France est devenue un pays où montent chaque jour un peu plus le communautarisme et les discours anachroniques de l’indigénisme, de la racisation ou de l’islamo-gauchisme.

Le défi de l’intégration est immense, comme l’indiquent les sondages récents selon lesquels 27 % des musulmans pensent que la charia est supérieure aux lois de la République française. Mais ce chiffre montre aussi que la grande majorité d’entre eux pense le contraire. Et les très nombreux exemples chez les enfants et les petits-enfants d’immigrés aux parcours scolaires et professionnels réussis – chacun d’entre nous en connaît autour de lui – apportent un démenti aux victimocrates, qui expliquent l’échec de l’intégration par les obstacles rencontrés.

Un démenti est encore plus éclatant : celui des centaines de milliers de boat people asiatiques, arrivés eux aussi dans les années quatre-vingt, sans connaître un mot de notre langue. Dès la deuxième génération, ils ont atteint le niveau moyen d’études et de revenu des Français. Leur chance, si l’on peut dire, c’est que notre modèle, ils en avaient rêvé pendant des années, contre la tyrannie qu’ils fuyaient par tous les moyens, comme ils me le disaient lorsque, président de Médecins sans frontières, je travaillais dans les camps de réfugiés du Vietnam, du Cambodge et du Laos. Ils ne sont pas prêts à gober le discours doloriste, qui coupe les ailes en justifiant tous les échecs par l’excuse de la condition sociale.

Monsieur le Premier ministre, voilà les défis qui vous attendent : on ne peut que vous souhaiter de les relever, parce que si, au bout de quarante ans, vous échouiez à votre tour, les Français pourraient bien s’en remettre, pour les régler, aux rhinocéros à la vue basse.

J’évoquerai une dernière question. Les vagues d’immigration du début du XXe siècle concernaient des arrivants aux cultures proches des nôtres. Mais si, à l’époque, ces derniers ont été assimilés rapidement, c’est aussi parce que la France était sûre de son modèle républicain, de sa conception de la laïcité, de sa façon de vivre ensemble et de sa place dans le monde.

M. Bruno Retailleau. Absolument !

M. Claude Malhuret. Le plus grand défi aujourd’hui n’est-il pas de réussir l’intégration dans un pays qui voit ces valeurs s’estomper, comme s’efface peu à peu, à la surface de la mer, un visage de sable ? (M. François-Noël Buffet opine.) Le plus grand défi n’est-il pas de convaincre Français comme immigrés que ces valeurs sont non seulement celles du passé, mais aussi celles de l’avenir ? Cette question n’est pas posée qu’à vous, monsieur le Premier ministre, elle est posée à chacun d’entre nous. Elle est posée à notre démocratie ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, RDSE, UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste.

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, que faire ? Comment convaincre nos concitoyens que notre pays est apte à appliquer les règles qu’il a définies et qu’il en a toujours la volonté ?

Les élus de mon groupe écartent tout déni et se veulent force de proposition pour combattre le sentiment d’impuissance de l’État en matière de droit d’asile et de migrations. Ce sujet touche à l’essentiel, à la souveraineté et donc à l’État, à la citoyenneté comme à l’identité et, en conséquence, à la Nation.

L’immigration serait, pour les uns, une chance pour la France et, pour les autres, une menace ou une invasion : pour notre part, nous refusons cette alternative. Notre ligne directrice sera de considérer que la modération des idées n’écarte pas la fermeté de l’action, et qu’en particulier en matière de droit d’asile un « non » doit être un « non », un « oui » doit être un « oui ».

Dans cet exercice contraint, je me concentrerai sur nos propositions.

Notre première proposition porte sur la construction d’un droit européen de l’asile convergent. Monsieur le Premier ministre, vous nous l’avez dit, vous y travaillez. Entre le niveau le plus bas d’harmonisation – un soutien logistique, financier et technique par le bureau européen d’appui – et le niveau le plus haut – une harmonisation totale, avec une agence européenne de l’asile et un droit 100 % européen, qui, en l’état, est un vœu pieux –, nous suggérons deux solutions.

La première, qui a notre préférence, serait une coopération dite « renforcée » avec neuf pays au minimum, une sorte de premier cercle du droit d’asile. Cette méthode est juridiquement possible. (M. le Premier ministre le confirme.) Les accords de Schengen ont bien été inclus dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le TFUE, dont ils constituent les articles 77 à 80, et ils sont annexés au traité d’Amsterdam. Cette coopération s’appuierait sur des référentiels communs et sur une reconnaissance mutuelle des décisions prises quant aux demandes d’asile. Elle permettrait à ceux qui veulent avancer de le faire.

La seconde solution, plus modeste, serait de travailler à la convergence par la technique, par des définitions communes des critères d’asile, ou encore par des référentiels partagés relatifs aux niveaux de risques dans les pays d’origine. L’élaboration de ces référentiels pourrait être confiée à un organisme européen de l’asile. Elle permettrait de converger a minima vers une culture commune de la pratique du droit d’asile. En résumé, il s’agirait d’une convergence, faute d’unification.

Nous suggérons aussi un travail particulier avec nos amis allemands. Au cours de la période récente, ils ont accueilli 1 600 000 étrangers, mais ils en ont également débouté 700 000. Le premier alinéa de l’article 16 A de la Loi fondamentale allemande garantit aux personnes politiquement persécutées un droit individuel d’asile. Quant au deuxième alinéa de ce même article, il interdit aux personnes provenant d’un pays tiers sûr n’appartenant pas à l’Union européenne de faire appel au précédent. Mais, dans une décision du 14 mai 1996, la Cour constitutionnelle fédérale a élargi considérablement la notion de pays tiers sûr,…

M. Bruno Retailleau. C’est vrai !

M. Philippe Bonnecarrère. … en énonçant que « quiconque arrive d’un pays tiers sûr n’a pas besoin de la protection, car il aurait pu trouver une protection contre les persécutions politiques dans le troisième État ». C’est exactement ce que ne permet pas notre droit constitutionnel. Bref, les cours constitutionnelles française et allemande doivent essayer de rapprocher leurs points de vue, par exemple dans le cadre de la Conférence européenne des Cours constitutionnelles.

Notre deuxième proposition, c’est la renégociation de l’espace Schengen. Monsieur le Premier ministre, vous y travaillez aussi. À cet égard, je formule deux suggestions.

D’une part, il est pertinent de donner davantage de moyens à l’agence Frontex, à condition qu’elle ait une politique migratoire à appliquer. La définition de la mission est un préalable au renforcement de l’outil. (M. le Premier ministre le concède.) D’autre part, il faut se préoccuper de l’interopérabilité des systèmes d’information. En cette matière, rien n’est réglé. Je vous passe le détail des différents systèmes ; mais le caractère essentiel de ce travail d’interopérabilité, couplé à une histoire informatique française qui a pu avoir ses défaillances, me conduit à vous suggérer une maîtrise d’ouvrage particulièrement robuste dédiée à cette mission !

Sur un autre plan, nous ne serions pas opposés au principe des hotspots dans le cadre d’une révision du paquet dit « asile ».

Mes chers collègues, notre troisième proposition consiste à réformer et à simplifier le droit de l’éloignement : avec neuf régimes, ce droit est extrêmement complexe et mobilise beaucoup de moyens. Curieusement, sa refonte n’avait pas été incluse dans le texte de 2018, alors qu’elle ne poserait pas de problème constitutionnel. Néanmoins, monsieur le Premier ministre, nous saluons la mission que vous venez de confier au Conseil d’État, afin de proposer des solutions de simplification.

Nous sommes ouverts à l’idée, déjà débattue au Sénat, suivant laquelle le rejet de la demande d’asile par la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, vaudrait OQTF, à la manière de la force exécutoire attachée à tout jugement civil. En revanche, cette solution me semblerait plus difficile à envisager pour les décisions non judiciaires de l’Ofpra.

Notre quatrième proposition vise la non-coopération des pays d’origine qui pose un problème majeur et la politique de réciprocité via les conditions d’octroi des visas qui a ses limites. Cette question peut être traitée sous forme bilatérale – l’Espagne fait mieux que nous, par exemple, avec le Maroc – ou à l’échelon européen, en s’appuyant sur la conditionnalité des aides au développement.

Cette mesure serait efficace si elle était couplée à un haut niveau d’ambition sur le plan du développement à l’égard du Maghreb ou de l’Afrique, une sorte de Routes de la soie à l’européenne. Cette idée a été évoquée parmi les propositions avancées par les ministres.

Notre cinquième proposition concerne la question des quotas : mon groupe y est plutôt favorable, même si nous en connaissons le caractère assez limité depuis la mission menée par Pierre Mazeaud, sur l’initiative du président Sarkozy, puisque ces quotas ne seraient opposables ni aux demandeurs d’asile ni aux demandeurs de regroupement familial.

Nous serions a minima favorables à l’idée d’un débat annuel devant le Parlement avec des orientations, voire des objectifs chiffrés, dont l’administration pourrait rendre compte en cas de non-réalisation.

Nous sommes également ouverts à l’idée d’un statut de migrant temporaire avec permis de séjour et de travail, à la manière d’une green card européenne, assez similaire à l’autorisation temporaire pour les métiers en tension que vous évoquiez, monsieur le Premier ministre.

Notre sixième proposition s’attache à l’AME, au regroupement familial, à la naturalisation, bref, à des symboles politiques qui relèvent largement de principes constitutionnels.

Mon groupe est favorable à une analyse ciblée des conditions de résidence, de ressources, d’intensité des liens familiaux, ou encore de durée, sans pour autant remettre en cause les principes.

Septième proposition : nous souhaitons la simplification des régimes d’hébergement.

À ce jour existent les CADA – centres d’accueil des demandeurs d’asile –, les CPH, ou centres provisoires d’hébergement, les HUDA – hébergements d’urgence pour demandeurs d’asile –, les CAES, les centres d’accueil et d’examen de la situation, les CAO, les centres d’accueil et d’orientation, ou encore les CHUM – centres d’hébergement d’urgence pour migrants –, le tout sous l’égide des PRAHDA, les programmes d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile. Chaque dispositif a un coût spécifique et offre des prestations différentes. Une rationalisation de l’hébergement nous semble indispensable.

Notre huitième proposition vise à répondre à la question suivante : comment améliorer l’intégration ? Nous reconnaissons le travail réalisé pour améliorer la formation à la langue française et l’intégration professionnelle, avec le plan d’investissement dans les compétences, le PIC.

Nous formulons deux suggestions. Tout d’abord, travaillons beaucoup plus localement sur l’intégration. Cela pourrait, par exemple, prendre la forme de contrats locaux d’intégration républicaine, dont il m’a semblé trouver la trace dans les propos de M. le ministre de l’intérieur.

La seconde suggestion concerne la question du travail. Un demandeur d’asile ne peut envisager de travailler avant un délai de six mois – neuf mois précédemment ; nous serions prêts à examiner l’abandon pur et simple de ce délai, dont nous pensons qu’il présente finalement plus d’inconvénients que d’avantages.

Quel intérêt avons-nous à priver les demandeurs d’asile de revenus potentiels et de la possibilité de faire leurs preuves ? N’est-il pas préférable de sortir de l’hypocrisie et de légaliser ce travail ?

Notre neuvième et dernière proposition concerne l’exigence de globalité ou de transversalité. Que nous parlions d’interopérabilité, de conditionnalité ou de situation des mineurs non accompagnés, nous faisons face aux éternelles difficultés françaises des silos de décision, avec des sujets qui ne relèvent que du ministère de l’intérieur, du ministère des affaires étrangères ou du ministère de la justice. Mon groupe insiste sur la nécessaire prise en charge transversale de la question du droit d’asile et de l’immigration, un peu à la manière du secrétariat général des affaires européennes, le SGAE en ce qui concerne l’Europe, sujet transversal par définition.

En conclusion, nous proposons de recentrer et d’harmoniser le droit d’asile pour mieux le préserver et de réguler l’immigration à la mesure de notre capacité d’intégration. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, mon groupe est disponible pour continuer à y travailler. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, un débat sans vote, cela nous laisse sans voix ou presque !

M. Henri Cabanel. Vous allez tout de même parler durant seize minutes !

M. Bruno Retailleau. Je sais qu’il s’agit d’une commande du Président de la République. Mais parfois, la complexité de la pensée présidentielle nous laisse dans une certaine perplexité…

Tout d’abord, mes chers collègues, voilà tout juste un an que la loi Asile et immigration a été promulguée. Monsieur le Premier ministre, vous aviez qualifié ce texte de « solide ». Il l’est tant qu’un an après, il faut le consolider ! Sa solidité est telle que le Président de la République, lors de la Conférence des ambassadeurs – il me semble que vous y étiez –, a dû reconnaître un échec : la France est devenue le premier pays de rebond en Europe pour les déboutés du droit d’asile. Leur nombre a augmenté de 22 %, alors qu’il baissait de 17 % en Allemagne et de 10 % en Europe.

Amélie de Montchalin a superbement illustré le ciseau ouvert entre le flux européen, qui diminue, et le flux français, qui augmente.

Ce débat est, en quelque sorte, la reconnaissance d’un échec, permettez-moi de vous le dire. Je sais très bien qu’il serait injuste de vous rendre coupable de tous les échecs en matière de politique migratoire, mais en politique, on est toujours comptable de ses choix et de ses décisions.

Or, pendant l’examen du texte âprement défendu à l’époque par François-Noël Buffet, notre rapporteur, et par notre collègue Roger Karoutchi, vous avez systématiquement balayé d’un revers de main toutes les propositions du Sénat.