Sommaire

Présidence de M. Vincent Delahaye

Secrétaires :

Mmes Jacky Deromedi, Patricia Schillinger.

1. Procès-verbal

2. Sites naturels et culturels patrimoniaux. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale :

M. Jérôme Bignon, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire

M. Hervé Gillé

M. Éric Gold

M. Frédéric Marchand

M. Guillaume Gontard

Mme Évelyne Perrot

M. Christophe Priou

M. Claude Malhuret

Mme Catherine Morin-Desailly

Mme Vivette Lopez

M. Jérôme Durain

Clôture de la discussion générale.

Article 1er

Amendement n° 2 rectifié de M. Éric Gold. – Adoption.

Adoption de l’article modifié.

Articles additionnels après l’article 1er

Amendement n° 3 rectifié bis de M. Jérôme Durain. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.

Amendement n° 1 rectifié de M. Éric Gold. – Retrait.

Articles 2 à 4 (supprimés)

Vote sur l’ensemble

Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

3. Loi de finances pour 2020. – Discussion d’un projet de loi

Discussion générale :

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances

M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances

Question préalable

Motion n° I-639 de M. Pascal Savoldelli. – M. Pascal Savoldelli ; M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances ; M. Gérald Darmanin, ministre ; M. Thierry Carcenac ; M. Pascal Savoldelli ; M. Philippe Dallier. – Rejet, par scrutin public n° 40 de la motion entraînant le rejet du projet de loi.

Organisation des travaux

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances

Discussion générale (suite)

M. Julien Bargeton

M. Philippe Adnot

M. Éric Bocquet

M. Claude Malhuret

M. Bernard Delcros

M. Yvon Collin

M. Bruno Retailleau

M. Thierry Carcenac

M. Georges Patient

M. Vincent Delahaye

M. Jean-François Husson

M. Rémi Féraud

M. Jean-Marc Gabouty

Mme Nathalie Goulet

Mme Christine Lavarde

Mme Sophie Taillé-Polian

M. Jérôme Bascher

M. Bruno Le Maire, ministre

M. Gérald Darmanin, ministre

Clôture de la discussion générale.

Article liminaire

M. Rémi Féraud

Amendement n° I-423 rectifié de M. Emmanuel Capus. – Retrait.

Adoption de l’article liminaire.

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty

Première partie

Article 36 et participation de la France au budget de lUnion européenne

M. Patrice Joly, rapporteur spécial de la commission des finances

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes

M. Pierre Laurent

Mme Colette Mélot

M. Philippe Bonnecarrère

M. Jean-Claude Requier

M. André Gattolin

M. Jean-François Rapin

M. Simon Sutour

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes

Article 36

Adoption de l’article.

Renvoi de la suite de la discussion.

4. Ordre du jour

COMPTE RENDU INTÉGRAL

Présidence de M. Vincent Delahaye

vice-président

Secrétaires :

Mme Jacky Deromedi,

Mme Patricia Schillinger.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l'hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux
Discussion générale (suite)

Sites naturels et culturels patrimoniaux

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Indépendants, de la proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l’hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux, présentée par M. Jérôme Bignon et plusieurs de ses collègues (proposition n° 689 [2018-2019], texte de la commission n° 111, rapport n° 110).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jérôme Bignon, auteur de la proposition de loi et rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l'hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux
Article 1er

M. Jérôme Bignon, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, jusqu’à 7 000 touristes par jour sur les sept kilomètres de long et trois kilomètres de large de la petite île de Porquerolles, dans le Var, 800 000 visiteurs par an dans les gorges du Verdon, 16 000 touristes par jour, l’été, sur la dune du Pilat, en Gironde, 49 navires commerciaux faisant des navettes sur la zone de la réserve de Scandola, en Corse, plus de 300 personnes par jour pour l’ascension du mont Blanc, en haute saison ; jusqu’à 30 000 touristes par jour sur le Mont-Saint-Michel au mois d’août ; ces chiffres hyperboliques décrivent une réalité, celle de nombreux sites protégés aujourd’hui partout en France.

On parle « d’hyper-fréquentation » pour les cas extrêmes, mais, sans atteindre forcément ces records, nombre d’espaces naturels sont aujourd’hui victimes d’un phénomène de saturation touristique, qui laisse les élus démunis face aux éventuels dommages qui en découlent pour la protection de l’environnement ou du caractère de ces sites.

En tant qu’auteur de la proposition de loi, c’est à cette difficulté que j’ai tenté, modestement, de trouver une solution, aidé de nombreux juristes et spécialistes de ces questions, qui vivent, sur le terrain, ces difficultés. Nombre de collègues m’ont rejoint, puisque ce texte a été cosigné par des sénateurs issus de toutes les travées de la Haute Assemblée.

Les débats que nous avons eus en commission sont, de ce point de vue, révélateurs ; des marais salants de Loire-Atlantique, évoqués par notre collègue Christophe Priou, au massif du Mont-Blanc, dont nous a parlé Cyril Pellevat, en passant par les falaises d’Étretat, évoquées par Pascal Martin, et par la dune du Pilat, dont a fait état notre collègue Hervé Gillé : tous ces exemples illustrent la difficulté de concilier une politique de tourisme durable avec la protection des sites naturels ou culturels patrimoniaux.

Comme l’ont expliqué tous les acteurs que j’ai entendus, la forte fréquentation de ces sites tend à changer de nature et à se traduire par de nouveaux comportements. Le maire de Saint-Gervais-les-Bains, dans le massif du Mont-Blanc, évoquait ainsi, de manière très parlante, le phénomène de l’« unique venue », selon ses propres termes, à savoir des touristes qui ne reviendront jamais, qui souhaitent simplement prendre une photo – un selfie, comme l’on dit – pour la mettre sur les réseaux sociaux, mais qui, bien souvent, ne respectent pas les sites.

Or ces nouveaux comportements peuvent avoir, sur l’environnement, des conséquences inattendues et importantes : destruction de la faune et de la flore, augmentation des déchets et de leur dispersion, ou encore impact sur la biodiversité et sur la qualité paysagère – le « caractère » – des sites.

L’objectif de la proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner est de fournir aux élus un outil supplémentaire permettant de prévenir ces dommages. En effet, les outils qui existent aujourd’hui présentent certaines limites.

Nous avons en France un principe fort, celui de l’accès libre et gratuit aux espaces naturels. Ce n’est pas du tout le cas partout dans le monde ; au contraire, dans la plupart des pays, on paie pour entrer dans un site naturel. Cela dit, des outils de protection existent pour certains sites, en raison de leurs caractéristiques écologiques ou culturelles patrimoniales, mais ces régimes – qu’ils relèvent d’une convention internationale, d’une loi, comme la loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite « loi Littoral », ou encore de dispositions réglementaires – n’offrent pas tous le même niveau de protection et n’induisent pas le même niveau de contraintes réglementaires.

À titre d’exemple, dans le cœur des parcs nationaux, le directeur de l’établissement public exerce un certain nombre de compétences attribuées au maire en matière de police. En outre, la charte de chaque parc, validée par un décret en Conseil d’État après consultation de l’ensemble des acteurs du territoire, peut également contribuer à la régulation de la fréquentation. Dans le cas des réserves naturelles nationales, l’acte de classement en réserve peut fermer et réglementer l’accès au site, ou définir un zonage plus restrictif. Il peut également réglementer les activités ou les manifestations sportives. En revanche, pour les sites classés, le classement ne permet pas de contrôler les usages ni les comportements inadaptés.

Au-delà de ces outils juridiques, la plupart des acteurs mettent en avant l’importance des solutions pragmatiques, passant par l’aménagement du territoire dans le cadre de projets de territoire. À Étretat, par exemple, le réseau des grands sites de France a permis de mettre autour de la table tous les acteurs concernés, afin de trouver des solutions permettant de préserver le site du phénomène de l’hyper-fréquentation, par le recul des parkings en dehors de la ville, l’instauration de mobilités douces ou la mise en place d’une déviation. C’est également ainsi que nous avons procédé, récemment, en baie de Somme, à l’occasion du renouvellement du grand site.

Néanmoins, ces différents outils ne sont pas suffisants. Pour reprendre l’exemple du Mont-Blanc, qui est non pas un parc national mais un site classé sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, ce site bénéficie, certes, d’une forte reconnaissance, mais la réglementation que les maires peuvent mettre en œuvre à ce titre est très limitée. La montagne est, aux dires des montagnards, un espace de liberté…

Mes chers collègues, je quitte maintenant ma casquette d’auteur de la proposition de loi pour coiffer celle de rapporteur. C’est un cas assez rare, finalement, et je remercie le président Maurey de l’avoir autorisé.

Sur ma proposition, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a modifié le dispositif prévu par ce texte. En effet, en tant que rapporteur, j’ai eu à cœur de travailler autant que possible avec neutralité et impartialité, d’écouter et d’entendre les critiques formulées par les différents acteurs que j’ai auditionnés. Nous avons procédé à une dizaine d’auditions, très intéressantes, très riches et très pertinentes.

Si toutes les personnes entendues s’accordaient sur le constat et sur la nécessité d’y apporter une solution concrète – c’est en soi important, il n’y a pas eu de désaccord quant à cette nécessité –, la plupart d’entre elles m’ont alerté sur les difficultés que le dispositif initial pouvait soulever, notamment eu égard à son périmètre, qui était très large. J’avais été ambitieux, mais je ne le regrette pas ; j’avais pensé qu’il convenait de procéder à un élargissement, à la protection de l’environnement, des pouvoirs de police administrative générale du maire. C’était probablement, je le répète, trop ambitieux, et il est peut-être encore un peu trop tôt pour cela.

Toutefois, cette solution, qui mériterait d’être approfondie et travaillée, ne serait-ce que parce qu’elle reviendrait, selon moi, à tirer les conséquences des dispositions constitutionnelles de la Charte de l’environnement, était en réalité beaucoup plus large que l’objectif visé par le titre de la proposition de loi. Cet objectif consiste, je vous le rappelle, à permettre aux maires de réglementer l’hyper-fréquentation des zones touristiques, aux fins de préservation de l’environnement.

Au cours des travaux, il m’a également été opportunément rappelé que la modification du pouvoir de police générale du maire conduisait également à lui confier une responsabilité nouvelle, et à l’exposer ainsi à d’éventuelles poursuites s’il ne s’en servait pas. Ce risque paraissait d’autant plus dommageable que le maire ne dispose pas, la plupart du temps, des moyens techniques, juridiques ou humains qui lui permettraient d’exercer effectivement ce nouveau pouvoir de police.

En outre, alors que la plupart des polices spéciales de la nature sont exercées par l’État, une mauvaise interprétation de ces dispositions aurait pu laisser penser que les maires étaient désormais compétents, de manière générale, en matière de protection de l’environnement, et la délimitation précise de cette nouvelle compétence aurait été complexe, car « en creux » par rapport à l’ensemble des polices spéciales déjà attribuées, par le code de l’environnement, à d’autres autorités.

Pour toutes ces raisons, la commission a recentré la proposition de loi sur une extension du pouvoir de police spéciale du maire, qui existe déjà en matière de circulation des véhicules motorisés – c’est l’article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales. Aujourd’hui, pour résumer, le maire ne peut qu’interdire les 4x4 sur certaines routes. La modification que nous allons, je l’espère, adopter, permettra à ce dernier, par un arrêté motivé, de réglementer également la circulation des personnes, par exemple, au sein d’espaces naturels hyper-fréquentés fragiles, dont les milieux seraient menacés.

Cette solution présente l’avantage, d’une part, de ne pas conduire à des incompréhensions sur l’interprétation de ce nouveau pouvoir de police spéciale des maires, et, d’autre part, de limiter le risque de concurrence des polices spéciales. Je précise que cette solution a été travaillée en lien avec la commission des lois, dans la mesure où les pouvoirs du maire relèvent de son champ de compétence. Je tiens d’ailleurs à remercier tout particulièrement le président Bas, que j’ai pu consulter sur le texte ; il partageait la même analyse sur l’utilité d’un tel recentrage.

Je conclurai en insistant sur le fait que ce nouveau pouvoir doit être vu comme un outil supplémentaire mis à la disposition des maires. La commission a prévu qu’un décret détermine les consultations nécessaires auprès des instances de gouvernance des espaces protégés, dans la mesure où les arrêtés ne seront efficaces que s’ils sont pris en lien avec les autres acteurs, dans le cadre d’un projet de territoire visant un aménagement et un tourisme durables.

Voilà, mes chers collègues, en quelques mots, l’ambition de cette proposition, en réalité transpartisane. Elle est attendue par un certain nombre d’élus directement confrontés à ces phénomènes d’hyper-fréquentation. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire dÉtat auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, cher Hervé Maurey, monsieur le rapporteur, cher Jérôme Bignon, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi examinée aujourd’hui a pour objet de proposer un nouvel outil juridique pour trouver une solution aux différents problèmes que peut poser la sur-fréquentation de certains espaces naturels.

Le développement de l’attrait et de l’intérêt de nos concitoyens pour les espaces naturels préservés et les paysages remarquables est grandissant. Il correspond à une attente, et même un besoin, de la part du public de pouvoir accéder à ces espaces et à ces sites. Nous ne pouvons que nous en féliciter ; cet engouement est aussi la récompense de la mobilisation de tous les acteurs qui travaillent au quotidien pour la politique de préservation des espaces naturels et paysagers.

Quelques chiffres, en complément de ceux que Jérôme Bignon a cités : en 2018, il y a eu, dans les dix parcs nationaux, 8,5 millions de visiteurs, soit une augmentation de 42 % par rapport à 2011. Dans les réserves naturelles, on compte 10 millions de visiteurs chaque année, dont 1,5 million de visiteurs pour la seule réserve nationale des Gorges de l’Ardèche. Enfin, on dénombre, chaque année, 40 millions de visiteurs sur les sites du Conservatoire du littoral et 42 millions dans les territoires figurant sur la liste des grands sites de France, deux territoires connaissant une fréquentation supérieure à 2 millions de visiteurs, Bonifacio, en Corse, et le massif de l’Esterel, dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Dès lors, le développement de la fréquentation de tous ces sites pose évidemment des difficultés d’un genre nouveau, auxquelles les outils permettant aux acteurs locaux d’agir ne sont pas totalement adaptés.

Les problèmes engendrés par une fréquentation trop importante par rapport aux capacités du site peuvent être de natures diverses, au regard des enjeux et de la configuration de chaque lieu. Ils sont souvent liés à la difficulté de canaliser le public dans des espaces ouverts et au cumul des impacts : nuisances liées aux déchets, au bruit, au piétinement, aux dégradations des végétaux ou des équipements, à la difficulté de cohabitation entre les différents modes de loisirs. En outre, l’ensemble de ces impacts peut occasionner, dans certains cas, des problèmes de sécurité.

Je veux citer deux exemples, qui illustrent ces difficultés, en écho à ce que disait M. le rapporteur.

Tout d’abord, Porquerolles, qui fait partie du parc national de Port-Cros et qui dépend, partiellement, de la commune d’Hyères, voit augmenter, chaque année, le nombre de passagers débarquant sur l’île, laquelle est, par définition, un espace limité. La réglementation du parc national ne permet pas au directeur d’agir, car l’île se situe non pas en zone de cœur du parc national, mais en zone d’adhésion.

Le cas du Mont-Blanc, ensuite, sur lequel nous avons été alertés par le maire de Saint-Gervais-les-Bains, permet d’illustrer les difficultés que peut causer la sur-fréquentation d’un site exceptionnel de haute montagne. Il y a en outre une particularité : le Mont-Blanc est protégé uniquement au titre de la réglementation relative aux sites classés, qui ne permet pas de réguler, et encore moins d’interdire, une fréquentation excessive qui dégraderait ce site remarquable.

S’il est possible, pour le maire ou le préfet, d’agir pour des raisons de sécurité, les autres nuisances et dégradations engendrées sur le site sont plus difficiles à encadrer. Pour le Mont-Blanc, une solution, en tout cas provisoire, a néanmoins pu être trouvée avec un arrêté préfectoral, pris le 31 mai dernier, visant à réguler l’accès au sommet sur la voie normale, au travers d’un nouveau dispositif de réservation obligatoire dans les hébergements ; néanmoins, cela ne permet pas de traiter la totalité du problème.

Force est donc de constater que, malgré les outils existants, nous n’avons pas encore de réponse adéquate et que nous manquons de réactivité face aux situations qui se présentent.

Dès lors, nous trouvons intéressante cette proposition de loi, qui vise à offrir la possibilité au maire des communes concernées d’utiliser un nouveau pouvoir de police spéciale, fondé sur les impacts sur l’environnement d’une sur-fréquentation. Le Gouvernement est favorable à l’esprit général de ce texte, qui nécessitera probablement des ajustements au cours de la navette parlementaire, mais qui répond à une vraie urgence environnementale et politique.

À ce titre, il paraît fondé que le maire puisse disposer, sur sa commune, de certaines prérogatives lui permettant d’agir, de façon motivée et proportionnée, pour contribuer à protéger ce patrimoine.

Je souhaite toutefois porter à votre connaissance quelques points auxquels je suis attentive.

Les espaces naturels protégés sont dotés, pour la majorité d’entre eux, d’une instance de gouvernance chargée d’administrer le site et de mettre en œuvre les orientations de gestion ou la réglementation propre à chaque site. Il est important de respecter ces dispositifs de gestion des sites naturels protégés ainsi que leur gouvernance multipartite. Je suis donc attachée à ce que la mobilisation, par le maire, de cette nouvelle compétence puisse se faire en concertation et avec un avis de telles instances, lorsque celles-ci existent.

Le problème de la sur-fréquentation des sites dépasse aussi le seul enjeu de la gestion des espaces naturels protégés, qui a vocation à permettre le bon état de conservation écologique ou de préservation paysagère du site. D’autres outils d’aménagement ou de maîtrise des usages peuvent contribuer à réduire les impacts de la sur-fréquentation.

Enfin, j’appelle votre attention sur le fait qu’une nouvelle compétence entraîne une nouvelle responsabilité ; ainsi, si de nouveaux pouvoirs sont conférés au maire, la responsabilité de celui-ci pourrait être recherchée en cas d’inaction.

Avant que nous ne discutions de façon plus détaillée de cette proposition de loi, laissez-moi vous redire l’importance de cette question et le soutien du Gouvernement à ces démarches d’ajustement de notre droit, pour faire face, ensemble, aux nouvelles problématiques environnementales. (Applaudissements sur toutes les travées, à lexception de celles du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé.

M. Hervé Gillé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’hyper-fréquentation des sites naturels, culturels et patrimoniaux est un sujet préoccupant, qui évolue défavorablement. Le tourisme de masse est toujours en augmentation, en raison, souvent, de tropismes éphémères et de lieux considérés comme incontournables et immortalisés au moyen de selfies rapidement oubliés…

Malheureusement, selon les prospectives, ce phénomène ira en s’amplifiant. Il faut donc s’interroger désormais sur les nécessaires régulations à mettre en œuvre pour permettre aux milieux d’être préservés et fonctionnels, et pour faciliter les respirations nécessaires à l’ensemble des parties prenantes.

Faute d’une législation adaptée, les régulations existantes sont difficiles à mettre en œuvre et exposent, dès aujourd’hui, les maires. En effet, il existe de nombreuses polices spéciales de l’environnement – plus d’une vingtaine –, et des réglementations pour protéger certains sites : loi Littoral, loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, dite « loi Montagne », chartes de parc naturel régional, label « Grand Site », sans compter les pouvoirs des préfets en matière d’environnement.

Toutefois, la législation n’autorise pas un maire à réglementer ou limiter l’accès à certains sites dans la perspective de protéger l’environnement. En effet, l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, qui précise les pouvoirs de police administrative générale du maire, fait reposer l’ordre public général sur trois piliers : la tranquillité, la sécurité et la salubrité publiques.

De ce fait, tout arrêté municipal initialement motivé par la volonté de protéger l’environnement ou le caractère d’un lieu ou d’un site est censuré, au motif qu’il n’entre pas dans ces champs. Les maires se retrouvent donc démunis, dans l’incapacité d’intervenir, ou alors ils s’exposent, d’une manière parfois inconsidérée, en contournant la législation, en prenant des arrêtés pour de fausses raisons. Il existe donc là un hiatus, qui méritait d’être étudié.

Je tiens à souligner, monsieur le rapporteur et auteur de la proposition de loi, votre volonté d’objectivité, d’écoute et de transparence, qui vous a conduit à revisiter en profondeur votre projet.

En effet, dès les premières auditions, votre souhait d’accroître les pouvoirs de police générale du maire, partagé initialement par certains opérateurs territoriaux, a suscité des interrogations relatives aux conditions et au champ d’application de cet élargissement. Vous souhaitiez étendre ces pouvoirs de police à la préservation de l’environnement dans son ensemble, en autorisant le maire à intervenir pour prévenir toute forme d’atteinte à la protection des espèces animales ou végétales et de leurs habitats, et ce dans tous les sites bénéficiant d’un régime de protection en raison de leur dimension esthétique, écologique et culturelle.

L’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) a émis des réserves, et la poursuite de nos auditions nous a confortés dans cette analyse. J’ai pu également en discuter avec les maires de Gavarnie-Gèdre et de Cauterets ainsi qu’avec des élus concernés par la dune du Pilat ; pour la plupart, ils ont indiqué que, au-delà de l’élargissement des pouvoirs de police du maire, il fallait encadrer ceux-ci strictement et surtout créer les conditions pour pouvoir les exercer. Cela reste un sujet sans doute à travailler, dans le cadre de la politique des moyens.

Conscient de ces inquiétudes, vous avez réécrit votre texte en commission, pour le clarifier, en élargissant la portée de l’article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales, qui met en place une police spéciale de la circulation dans les espaces naturels, au profit des maires. Cette disposition permettra de réglementer, et non pas seulement d’interdire, l’accès aux sites concernés, d’encadrer les pratiques touristiques et de supprimer la référence aux véhicules. Cette suppression ouvre ainsi la possibilité de réguler toutes les formes d’accès au site, y compris la circulation des personnes ; c’est une dimension importante.

La voie choisie, validée par l’AMF, est plus pragmatique, plus rationnelle et elle permet de limiter l’exposition des maires lorsqu’ils prennent leurs responsabilités. Il s’agit donc d’une voie raisonnable, qui mérite d’être confortée dans la suite du processus parlementaire. J’ai compris de votre intervention, madame la secrétaire d’État, que cela devrait pouvoir se concrétiser.

Le groupe socialiste et républicain votera en faveur de cette proposition de loi, tout en souhaitant que les futurs décrets d’application précisent les conditions nécessaires de consultation des parties prenantes ; cela permettrait de conforter la prise de décision. Ce sujet intéressant a été abordé par vous-même, monsieur le rapporteur, et par Mme la secrétaire d’État.

En effet, d’une manière plus globale, ce sujet suscite des questions sur la mise en œuvre de la compétence tourisme ; cette compétence doit nécessairement s’inscrire dans un projet de territoire, cela a également été souligné, en organisant les subsidiarités, les processus de concertation et de coopération. Ces coopérations devraient d’ailleurs constituer un préalable à tout processus de contractualisation avec l’État et les collectivités territoriales. Il y a là un sujet : comment coordonner au mieux la mise en œuvre de cette compétence tourisme avec ses corollaires, notamment en matière de sécurité ?

Cette proposition de loi n’est pas forcément, nous le voyons bien, un aboutissement, mais elle ouvre une réflexion pour améliorer la réglementation environnementale et notre capacité à respecter les milieux, en limitant notre impact et en préservant les usages. Elle mérite donc d’être soutenue et accompagnée, pour aboutir. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et LaREM. – Mme Évelyne Perrot et M. le rapporteur applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que certains pays nordiques revendiquent un droit d’accès à la nature, cette proposition de loi vient rappeler trois éléments majeurs pour notre pays et nos concitoyens.

D’une part, la France est le premier pays visité au monde. Avec près de 90 millions de touristes internationaux par an, les défis sont immenses et remettent naturellement nos politiques publiques en question, notamment dans un contexte de hausse exponentielle du tourisme mondial.

D’autre part, les visiteurs et touristes recherchent plus d’authenticité et de connexion avec la nature.

Enfin, de troisième part, nous avons, nous aussi, une tradition d’accès libre et gratuit à la nature, que nous tenons tous à voir perdurer.

Le constat de Jérôme Bignon est sans appel : la saturation d’un certain nombre d’espaces protégés et son impact sur les écosystèmes interpellent les responsables de leur gestion et de leur préservation.

Alors que se déroule, cette semaine, le congrès des maires de France, la proposition de loi que nous examinons pose la question du rôle du maire dans la protection des sites naturels et culturels patrimoniaux, et de ses moyens d’action.

La version initiale du texte prévoyait une nouvelle mission de police générale du maire, dédiée à la protection de l’environnement. J’y avais souscrit, en cosignant la proposition de loi avant même sa publication. J’y voyais un signal fort envoyé à nos élus, tout à fait en capacité de juger des mesures à prendre pour préserver un site d’intérêt sur leur territoire. J’y voyais également, au-delà de la consécration de la notion d’« ordre public écologique », en accord avec la conscience collective qui émerge dans notre société, un message d’espoir pour nos sites patrimoniaux, qui se voyaient octroyer un nouveau défenseur, au plus près du terrain.

Toutefois, j’ai bien compris les risques que cette nouvelle mission faisait peser sur les maires. Si la décentralisation et la différenciation territoriale doivent être accentuées, il serait dommage de voir la responsabilité de la commune engagée en cas de dommages ou d’inaction, surtout dans un domaine aussi complexe que celui de l’environnement. Le groupe du RDSE et moi-même souscrivons donc bien sûr à la rédaction adoptée en commission, qui permet au maire, dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale, de réglementer et d’interdire la circulation des personnes dans certains secteurs.

Nous vous proposerons toutefois deux amendements visant à l’enrichir.

Le premier tend à rappeler qu’un site patrimonial s’étend rarement sur le périmètre d’une seule et unique commune, et que toutes les parties prenantes – collectivités, parc naturel, propriétaires – doivent être consultées dans le cadre d’un véritable projet de territoire.

Le second a pour objet de rappeler que nous attendons depuis plus de trois ans la publication d’un décret, sur lequel j’ai interpellé, plusieurs fois, le Gouvernement, autorisant les agents assermentés des parcs naturels régionaux à rechercher et à constater les infractions en matière de protection du patrimoine naturel. Les gardes nature sont nos alliés en matière de protection de l’environnement ; ils connaissent le territoire comme leur poche et sont au plus près du terrain pour sanctionner les infractions. Nous devons pouvoir nous appuyer sur leur présence et leur expertise au quotidien.

Cette proposition de loi a le mérite de rappeler l’importance de ces sites pour la biodiversité, au-delà de la beauté des paysages et du patrimoine culturel.

Elle rappelle aussi que, malgré l’absence de régime général d’accès aux sites protégés, les collectivités font des efforts considérables pour canaliser les flux, avec des aménagements dédiés, et qu’il est sans doute nécessaire de voir émerger une politique touristique globale et cohérente de gestion des espaces naturels.

L’équation est difficile à résoudre, entre la hausse de la fréquentation et la préservation des sites, elle-même indispensable à la poursuite de cette fréquentation. Plus le site est remarquable, plus il est fréquenté.

À titre d’exemple, le département du Puy-de-Dôme, que je connais particulièrement, a la chance d’avoir fait inscrire, voilà un peu plus d’un an, la chaîne des Puys au patrimoine mondial de l’Unesco. Aujourd’hui, nous travaillons plus que jamais à l’émergence de politiques publiques permettant de faire rayonner ce site exceptionnel, de transmettre la connaissance par ce haut lieu tectonique et de ne pas le garder sous cloche, pour y faire prospérer le pastoralisme tout en le préservant du piétinement, des déchets et du comportement parfois peu civique des quelque 1,5 million de visiteurs qui s’y pressent déjà chaque année.

L’accès à des sites comme Venise, le Machu Picchu ou la baie de Maya en Thaïlande pourrait être durablement restreint, voire interdit, aux visiteurs. Ce n’est pas ce que nous souhaitons pour la France.

Aussi, vous l’aurez compris, le groupe du RDSE votera en faveur de cette proposition de loi recentrée sur sa mission d’origine : réglementer l’hyper-fréquentation des sites touristiques pour les préserver durablement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SOCR, CRCE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.

M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le tourisme, apparu en Europe au XIXe siècle, est passé d’une pratique culturelle, réservée à une élite, à un phénomène de masse. Depuis les années 2000, ce secteur se développe de manière exponentielle partout dans le monde, et joue un rôle majeur dans l’économie mondiale.

Le baromètre de l’Organisation mondiale du tourisme évalue à plus de 1,4 milliard le nombre de touristes internationaux ayant voyagé en 2018, soit une augmentation de plus de 5 % en un an. Ce chiffre pourrait avoisiner les 2 milliards d’ici à 2030.

Les dépenses des touristes ont aussi fortement augmenté. Les recettes engrangées par le tourisme international ont progressé de 4 % en 2018, s’élevant à 1 448 milliards de dollars ; ainsi, 4 milliards de dollars sont dépensés en moyenne chaque jour par les voyageurs.

La France est la première destination touristique au monde, avec quasiment 90 millions de visiteurs étrangers attirés en 2018. L’Hexagone bat son propre record de fréquentation et s’approche du cap des 100 millions de visiteurs, qui pourrait être dépassé en 2020. Il est indéniable que le tourisme est un secteur vital de l’économie française, au vu de ses retombées financières.

Si ces retombées sont vitales pour notre pays, l’hyper-fréquentation – le « sur-tourisme » – a des conséquences néfastes, tant pour l’environnement que pour les habitants des régions concernées.

Nous sommes nombreux à avoir ainsi à l’esprit l’image du paquebot de treize étages qui a heurté un quai et un bateau en voulant s’amarrer en juin 2019 à Venise. Le pire a été évité, mais, au-delà du danger physique que ces accidents peuvent occasionner pour les touristes, ces géants des mers contribuent à l’érosion des fondations de la ville, alors que celle-ci et sa lagune sont inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco.

Le gouvernement italien a réagi en interdisant l’accès du centre historique aux paquebots géants. Entre la manne financière substantielle et la véritable menace pour la survie de la ville, il semble que la raison l’ait emporté.

En France, nous ne sommes pas en reste : habitants excédés, sites naturels ravagés ou pollués, villages muséifiés… Les dégâts du tourisme de masse sont légion. Je ne reprendrai qu’un seul des chiffres essentiels rappelés par Jérôme Bignon : le mont Blanc attire plus 25 000 ascensionnistes par an, ce qui entraîne des problèmes de sur-fréquentation des refuges, de sécurité des pratiquants – notamment avec le déclenchement d’avalanches meurtrières –, d’augmentation des incivilités et d’amoncellement des déchets.

Face à cette situation, la préfecture de Haute-Savoie a mis en place une série de mesures de régulation de l’accès au mont Blanc assorties de sanctions pénales et administratives particulièrement dissuasives. Face à la détérioration continue de la situation, les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités en protégeant un site classé et en assurant mieux la sécurité des visiteurs.

Plus généralement, face à cette pression touristique, les autorités locales adoptent des mesures pour protéger villes et populations. Certaines villes françaises voient leur population se multiplier avec la venue des touristes, créant ainsi d’importants déséquilibres au niveau local : rues et transports surchargés, nuisances sonores, plages bondées… Les commerces de proximité cèdent la place à des bars et à des boutiques de souvenirs. La prolifération d’hôtels et d’hébergements touristiques engendre une pénurie de logements pour les habitants et une hausse des prix de l’immobilier.

Certains lieux ne sont pas adaptés pour recevoir un trop grand nombre de voyageurs et manquent d’infrastructures. Le village escarpé des Baux-de-Provence, par exemple, compte 380 habitants et voit passer chaque année 1,5 million de touristes, dont 80 % durant l’été. Dans ce village, les prix très élevés de l’immobilier obligent ceux qui y travaillent à se loger ailleurs – notamment à Arles, à une vingtaine de kilomètres. Cette situation illustre tous les déséquilibres du marché locatif.

Plus généralement, le sur-tourisme accentue le phénomène de gentrification, le départ des classes populaires des centres-villes au profit d’une classe sociale plus aisée. Face à l’augmentation du coût de la vie, les habitants sont contraints de se loger ailleurs et les quartiers se vident progressivement de leurs habitants.

Le sur-tourisme exerce inévitablement des pressions sur l’environnement, avec une surconsommation des ressources naturelles, une part plus importante de déchets dans la nature, une pollution accrue de l’eau et des sols qui nuit à la biodiversité, la destruction des écosystèmes, la disparition de la biodiversité. Sur ce dernier point, un phénomène inquiétant se fait jour : des lieux préservés, encore inconnus voilà quelques années, et popularisés par les réseaux sociaux sont aujourd’hui gravement menacés par l’afflux massif de touristes.

En France, il existe un principe primordial de libre accès et de gratuité des espaces naturels. Toutefois, plusieurs outils permettent de protéger certains sites eu égard à leurs caractéristiques environnementales ou culturelles patrimoniales. Ainsi, un grand nombre de polices spéciales de la nature vise à assurer la préservation des espaces naturels et des espèces de la faune et de la flore sauvages.

Par ailleurs, la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement a instauré une taxe destinée à faire participer les passagers du transport public maritime à la protection d’espaces protégés, qu’ils y débarquent ou non.

En outre, plusieurs solutions d’aménagement du territoire, concertées au niveau local, visent à remédier aux problèmes liés à la sur-fréquentation des sites et espaces naturels.

Cependant, il n’existe pas de régime général d’accès aux espaces naturels et aux sites bénéficiant d’un régime de protection. Comme cela a déjà souligné, notre commission a modifié la proposition de loi initiale portée par Jérôme Bignon, en recentrant le dispositif sur l’extension du pouvoir de police spéciale de la circulation des véhicules motorisés.

Le maire pourra ainsi réglementer, et non plus seulement interdire, l’accès et la circulation des personnes, et non plus des seuls véhicules motorisés, sur certaines voies ou dans certains secteurs, dès lors que cet accès serait de nature à y compromettre la préservation de l’environnement.

Le maire disposera ainsi d’un outil supplémentaire pour préserver des sites bénéficiant d’une protection pour des raisons écologiques ou culturelles, dont le caractère serait menacé par une hyper-fréquentation touristique. Comme cela a déjà été dit à plusieurs reprises, il ne s’agit que d’un premier pas qui doit nous conduire, demain, vers d’autres dispositions et vers une réflexion beaucoup plus globale sur le tourisme.

Vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, il est également prévu qu’un décret en Conseil d’État précise les modalités de consultations des différentes parties prenantes du territoire concerné, sujet essentiel s’il en est.

Le tourisme est une activité de premier plan pour l’emploi et l’économie de la France et de ses territoires. Si les retombées économiques sont vitales pour notre pays, la préservation de notre patrimoine culturel et environnemental l’est tout autant.

Il s’agit aujourd’hui de stopper les conséquences mortifères du tourisme de masse et de favoriser le développement d’un tourisme éco-responsable, en donnant aux maires la possibilité de réguler l’activité touristique pour qu’elle soit plus raisonnable et mieux encadrée. C’est la raison pour laquelle j’ai cosigné cette proposition de loi à laquelle s’associera le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et SOCR – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne pouvons que souscrire à cette proposition de loi dont je tiens à remercier l’auteur et rapporteur, Jérôme Bignon.

Ce texte vise à mieux protéger les sites d’un tourisme de masse incompatible avec la protection de la nature et de la biodiversité, et à donner aux élus locaux les moyens juridiques d’organiser cette protection.

Il ne s’agit pas d’un problème mineur puisque, selon l’Organisation mondiale du tourisme, 95 % des touristes mondiaux se concentrent aujourd’hui sur moins de 5 % des terres émergées.

La proposition de loi, dans sa rédaction initiale, nous convenait bien. Élargir les pouvoirs de police du maire à un « ordre public écologique », notion aujourd’hui encore très théorique, nous apparaissait comme une évolution positive du droit qui permettait de répondre aux débats encore très universitaires et qui témoignait aussi d’une véritable prise de conscience des enjeux environnementaux.

Le principe de police administrative générale donnée au maire ne permet pas actuellement, selon une jurisprudence constante, et malgré la référence à la lutte contre les pollutions de toute nature, de traiter de l’hyper-fréquentation des sites et du tourisme de masse. Ainsi, l’ordre public recouvre aujourd’hui uniquement le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques.

Faire évoluer la notion même d’ordre public nous semblait une démarche innovante et porteuse de sens, une évolution d’autant plus souhaitable que la notion d’ordre public, par nature mouvante, doit pouvoir s’adapter aux nouveaux besoins.

Dans ce sens, et alors que nous avons intégré la Charte de l’environnement au bloc de constitutionnalité, bousculer la définition de l’ordre public nous semblait légitime, voire même souhaitable.

Cependant, nous entendons vos arguments sur le caractère trop général d’un « ordre public écologique » aux contours trop vastes qui entraînerait des risques d’interprétation juridique hasardeuse et, donc, une incertitude pour les maires chargés d’une compétence en contradiction avec des polices de l’environnement supportées par d’autres acteurs. Pour autant, nous estimons nécessaire de poursuivre une réflexion visant à redéfinir l’ordre public.

Monsieur le rapporteur, vous avez fait le choix de la réécriture, en resserrant la proposition de loi sur la police spéciale de l’environnement visée à l’article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales. Vous avez permis d’élargir cette police, qui ne traitait initialement que de la circulation des véhicules, à la notion de fréquentation générale. Au final, le résultat sera le même et c’est bien cela qui compte.

Nous sommes donc d’accord avec cette évolution législative, malgré quelques questionnements d’ordre plus général. Il faut tout d’abord savoir comment s’opérera cette régulation. Dans bien des pays, elle se traduit de plus en plus souvent par un droit d’entrée qui éloigne les plus modestes des espaces remarquables et des merveilles de ce monde. Au Bhoutan, par exemple, le nombre de visiteurs étrangers est limité par une taxe de séjour quotidienne très importante.

Nous portons, pour notre part, la conviction que la régulation de fréquentation ne peut se faire en instaurant un droit d’entrée payant, ce qui reviendrait à interdire l’accès de ces sites aux plus démunis. Le principe de gratuité d’accès aux espaces naturels doit être maintenu. Par contre, la régulation par des inscriptions ou par l’interdiction intermittente d’accès permettant de limiter le nombre de présents nous apparaît opportune.

Une politique de prévention sur les sites pourrait également être mise en œuvre pour favoriser un tourisme responsable et durable, et accompagner ainsi les élus dans leur démarche. Nous pourrions d’ailleurs intégrer cette mission à l’Agence nationale de cohésion des territoires, qui va entrer en fonction très bientôt.

Pour autant, s’il est légitime de donner aux élus les moyens de préserver leur territoire, encore faut-il qu’ils puissent également financer les remises en état et la préservation des sites sur le long terme, notamment dans le cadre de leur politique d’aménagement. Or les dotations aux collectivités sont limitées et la préservation de l’environnement est souvent le parent pauvre des politiques locales.

Enfin, l’État ne peut se désintéresser de la question de la protection de la biodiversité des sites remarquables, qui font parfois l’objet d’une protection particulière au titre du code de l’environnement.

Pourtant, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit plus de 1 000 suppressions de poste l’année prochaine au sein du ministère de la transition écologique et solidaire. Les effectifs agissant dans le domaine de la biodiversité sont en baisse de 75 emplois, dont 43 pour le seul Office français de la biodiversité, en parfaite contradiction avec l’objectif affiché de faire de la préservation et de la reconquête de la biodiversité une priorité de l’action en matière environnementale. L’État doit prendre sa part de responsabilité.

Pour finir, nous pensons qu’il convient, en parallèle de cette régulation et de ce nouveau pouvoir octroyé aux maires, d’engager une réflexion sur le tourisme de masse et le modèle économique qu’il sous-tend en favorisant un éco-tourisme plus respectueux de notre environnement dans une vision de long terme, soutenable pour l’humanité.

Nous devons donc changer de modèle de développement et de tourisme, par exemple en pénalisant plus fortement les mobilités polluantes, en régulant les capacités de tourisme sur certains territoires et en limitant drastiquement l’artificialisation des sols qui défigure nos côtes, nos montagnes et les espaces les plus fréquentés.

Nous voterons bien évidemment cette proposition de loi, en espérant que son adoption par le Sénat soit rapidement suivie d’un examen par l’Assemblée nationale afin qu’elle puisse entrer au plus vite en vigueur. (Applaudissements sur des travées des groupes SOCR, RDSE et LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Perrot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Évelyne Perrot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’homme cueilleur-chasseur a toujours évolué dans la nature. Son territoire était restreint et respecté, car il y allait de sa survie.

Aujourd’hui, l’homme hyper-consommateur veut aller partout, le plus rapidement possible, en oubliant parfois le respect de l’endroit et, malheureusement, en laissant chaque fois une trace de son passage. Pourtant, les territoires naturels sont fragiles, les sites abritent des écosystèmes rares et une biodiversité riche.

Dans beaucoup de cas, la réglementation, voire l’interdiction de l’accès au public, est indispensable sur les sites sensibles. En ce qui concerne les lieux de promenades, dits lieux ouverts, il est parfois important de sacrifier quelques mètres carrés pour canaliser les promeneurs et protéger ainsi une grande partie du site.

Toutefois, il me semble que l’hyper-fréquentation peut également constituer un enjeu majeur de la protection de la biodiversité. Il m’a été donné de constater que la multifonctionnalité des sites permet de mettre en place différentes actions, de créer des aménagements ludiques pour faire prendre conscience aux consommateurs d’espaces naturels des enjeux environnementaux et les sensibiliser ainsi à la préservation de ces patrimoines naturels exceptionnels. Connaître et comprendre ces derniers aide à mieux les protéger tout en permettant au plus grand nombre de découvrir les richesses de la nature.

Parce que certains sites naturels doivent être protégés, il nous faut un arsenal juridique qui nous autorise à le faire. Gérer les flux et accueillir les publics dans de bonnes conditions, c’est ce que font les parcs naturels qui y sont particulièrement confrontés.

Hors de ce cadre, dans les communes, notre collègue Jérôme Bignon a constaté que le dispositif de régulation de la fréquentation des lieux menacés était insuffisant. Nous devons protéger durablement les milieux naturels, en concertation avec les acteurs locaux. Merci à lui de proposer ce texte.

Dans sa première mouture, la proposition de loi n’était pas satisfaisante en ce qu’elle conférait au maire un pouvoir général de police environnementale – donc trop large – qu’il aurait été bien en peine d’exercer et qui l’aurait exposé à d’infinies poursuites. Il faut des mesures adaptées. Le pouvoir de police du maire est une condition indispensable à la préservation des milieux d’intérêt écologique et à la protection des sites.

Heureusement, Jérôme Bignon a modifié son texte avec pertinence en élargissant simplement le pouvoir de police spéciale de la circulation du maire. C’est ce qu’il fallait faire, à savoir permettre de réguler – et non interdire purement et simplement – l’accès des personnes physiques, et non des seuls véhicules motorisés, à certains sites. Il s’agit donc d’un bon texte, que nous voterons.

En complément, je pense que l’Office français de la biodiversité, ce nouvel opérateur pour protéger et restaurer la biodiversité et dont les missions sont de simplifier l’organisation par le rapprochement des expertises, de coordonner pour renforcer l’efficacité des politiques publiques et de renforcer l’action territoriale pour garantir un partage équilibré des usages et des espaces naturels, devrait devenir l’unique contact. Un tel rapprochement avec les collectivités permettrait à cet office de devenir un véritable service pour l’élu. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants et LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Priou. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe Priou. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais d’abord féliciter et remercier Jérôme Bignon, investi depuis tant d’années, je dirais même depuis des décennies (Sourires.), dans le domaine de l’environnement.

Il fut également, en son temps, un excellent président du Conservatoire du littoral, outil remarquable mis en place voilà quarante ans par Olivier Guichard – à l’instar des parcs naturels régionaux, en 1967 –, qui nous rappelle que la moitié des zones humides a disparu en cinquante ans en France. Ces outils ne sont malheureusement plus suffisants pour assurer la protection de l’environnement et faire en sorte que le plus de monde possible puisse profiter de nos sites.

J’ai lu la biographie de Jérôme Bignon. Il avait 19 ans en mai 1968. Depuis, il a certes un peu blanchi sous le harnais, ses cheveux poivre et sel tiennent aujourd’hui davantage du sel – de préférence, de Guérande ! (Sourires.) Mais quel que soit le côté que l’on occupait sur les barricades à l’époque, on pouvait y lire le même slogan : « Il est interdit d’interdire. » Géographiquement, les parcs naturels régionaux vont du Grand-Ouest à la forêt d’Orient ; philosophiquement, dans cet hémicycle, nous allons parfois d’Occident au Grand Orient (Murmures sur plusieurs travées.), même si l’Orient à lui seul est déjà compliqué…

Comme cela avait été souligné en commission, ce texte s’attaque à la liberté de circuler. Or, quand on s’adresse aux gens pour leur rappeler les règles de fréquentation d’un site, on se heurte généralement à trois totems : « j’ai le droit », « je ne fais rien de mal » et, enfin « je paye des impôts ». Il faut donc mener une réflexion, comme l’a souligné Guillaume Gontard, sur les questions d’accessibilité et de gratuité.

En mai 1968, nous n’étions que 50 millions de consommateurs. Nous sommes aujourd’hui 67 millions dans le seul Hexagone et notre pays vise, demain, les 100 millions de visiteurs étrangers.

Je voudrais insister, comme certains des orateurs précédents, sur l’importance du tourisme. Première économie nationale, souvent mal perçue, à commencer par les pouvoirs publics, nous n’avons pas suffisamment conscience de son poids.

Madame la secrétaire d’État, triste anniversaire, le 12 décembre prochain marquera les vingt ans du naufrage de l’Érika, qui fut l’occasion d’une véritable prise de conscience et surtout, de faire avancer la législation. Après douze ans de procédure, la justice avait reconnu le principe du pollueur-payeur, ce qui était une première en France.

De même, après un vote à l’unanimité du Sénat, le préjudice écologique était reconnu dans notre législation avec l’adoption d’une proposition de loi de Bruno Retailleau. Le président Maurey, qui mène la commission d’enquête sur l’usine Lubrizol de Rouen, s’appuie sur cette notion pour permettre le déblocage de premières sommes, notamment au profit des agriculteurs.

Nous avions, à l’époque, établi des dossiers d’indemnisation, la saison touristique 2000 ayant été catastrophique. Nous nous étions aperçus en Loire-Atlantique, en Vendée, en Pays de la Loire que le tourisme arrivait bien loin devant toutes les économies locales. Nous avons deux poumons économiques industriels en Loire-Atlantique, Airbus et les chantiers navals. Or le tourisme, avec ses milliers d’emplois et ses milliards d’euros de chiffre d’affaires, est loin devant ces industries.

Comme l’a souligné Mme Perrot, l’époque du pêcheur-cueilleur-chasseur est bien révolue. Pour la première fois en France et, je crois, dans le monde, on compte aujourd’hui plus d’urbains que de ruraux. Il s’agit tout de même d’une révolution.

La semaine dernière, quelques-uns d’entre nous étaient à Fontainebleau, où nous avons rencontré des agents de l’Office national de la forêt. Ils nous ont expliqué les problématiques de sur-fréquentation avec les seuls habitants du secteur, aussi bien en semaine que le week-end.

Nous devons aussi aborder la question de l’aménagement et du financement. En France, nous avons aménagé des sites emblématiques, comme la pointe du Raz, le Mont-Saint-Michel – même si l’aménagement en question n’était pas uniquement lié à la fréquentation touristique – et la grotte de Lascaux. Il existe des milliers d’autres sites qu’il faut également aménager et qui ont besoin de financements.

Il faut aussi faire face, madame la secrétaire d’État, à la réglementation. L’État avait été notre partenaire, voilà une dizaine d’années, dans une démarche audacieuse qui ne demandait que – ce n’est pas le moindre – de la matière grise : il s’agissait de l’Atelier littoral. Les différents ministères descendaient sur des sites comme Collioure ou les marais salants de Guérande, et nous aidaient à réfléchir à la façon de les aménager, de les faire vivre, d’y maintenir une activité.

Nous avions alors vaincu deux acronymes redoutables, le CPF – « ce n’est pas facile » – et le CPP – « ce n’est pas possible » –, que les sénateurs-maires ou députés-maires – espèces en voie de disparition… – se voyaient souvent opposer. À l’époque, nous avions trouvé des terrains d’entente, tout en respectant bien évidemment la loi, notamment la loi Littoral à laquelle nous sommes attachés, pour faire vivre ces sites.

Voilà qui me ramène aux marais salants de Guérande : voilà quarante ans, en déprise, ils faisaient l’objet de convoitises en termes de projets immobiliers ou routiers. Aujourd’hui, 300 paludiers y vivent à l’année. Tout en gardant l’activité de base, nous avons su attirer les visiteurs, les canaliser. Nous avons organisé des visites guidées, construit « Terre de Sel », bâtiment à vocation pédagogique qui génère une économique mixte fructueuse pour tout le monde.

Pour toutes ces raisons, cher Jérôme Bignon, la majorité du groupe Les Républicains sera à vos côtés pour soutenir cette proposition de loi qui va dans le bon sens, même si nous savons qu’elle n’est pas suffisante. Pour revenir à mai 68, je conclurai mon propos en disant : ensemble, continuons le combat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et LaREM. – M. le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les dernières données de l’Organisation mondiale du tourisme sont claires : le tourisme n’a cessé d’augmenter ces dernières années. Il représente environ 10 % du PIB mondial. Les prévisions pour les années futures confirment cette tendance. La France est la destination la plus prisée, avec près de 90 millions de touristes pour l’année 2017.

L’arrivée de touristes dans notre pays est une excellente nouvelle pour le rayonnement de sa culture et la beauté de nos territoires. Toutefois, cela nous oblige à nous poser la question des conséquences de ce phénomène, notamment en cas de fréquentation massive.

Je tiens donc à saluer le travail pertinent et neutre entrepris par le rapporteur, notre collègue Jérôme Bignon, ainsi que la justesse du calendrier. Les élections municipales sont dans quelques mois – autant dire demain – et les propositions des maires et des candidats sur le tourisme seront primordiales dans beaucoup de nos territoires.

Nous sommes face à l’inévitable confrontation entre la fréquentation souhaitée de nos sites touristiques et culturels et leur préservation. La fréquentation touristique est souvent une chance, à la fois pour nos territoires, en termes de croissance économique, mais aussi pour les visiteurs.

Ce tourisme est un moyen de transmission, d’éducation, de sensibilisation aux enjeux de préservation et de découverte de notre histoire. Nous voyons de nouvelles formes de tourismes apparaître avec une conscience forte de l’impact de cette activité sur les sites touristiques – mais pas seulement.

Les selfies à la chaîne et le besoin désormais vital de poster sur les réseaux sociaux chaque instant insignifiant de nos vies ont également entraîné un tourisme de consommation. Tout comme on ne regarde plus une œuvre dans un musée pour s’assurer seulement d’en avoir capté l’essence en photo pour la partager, on se photographie et on géolocalise le lieu afin d’être sûr de le faire connaître à nos friends et à nos followers. Et si ce lieu a été visité auparavant par une célébrité, c’est encore mieux !

Ces nouvelles pratiques n’ont pas toujours un effet négatif sur le tourisme et ont permis de faire découvrir au grand public des sites hors normes. L’attractivité a aussi permis d’alerter sur des sites en danger que l’humanité ne peut se permettre de voir disparaître. Cependant, elles ont aussi eu des effets néfastes sur certains lieux aux prises avec une hyper-fréquentation qui n’avait jusque-là pas été envisagée.

Les impacts sont majoritairement environnementaux. La fréquentation massive peut entraîner une saturation des sites avec des conséquences sur la biodiversité, voire même sur la sécurité. Les sites peuvent être abîmés ou fragilisés par le passage trop fréquent de véhicules ou de personnes. Les conséquences sont parfois dommageables pour le tourisme lui-même.

La question des pollutions diverses est également un enjeu. Les déchets sont un exemple parmi tant d’autres. La pollution sonore et la qualité de l’air peuvent ainsi avoir un impact et fragiliser tout un écosystème. De manière générale, les touristes, et donc les citoyens, doivent se responsabiliser quant à leurs gestes et à leurs actions afin de pouvoir profiter de manière durable des endroits qu’ils visitent et les transmettre aux générations suivantes.

Dans le monde entier, des mesures ont été prises. Les cas sont assez nombreux. Je n’en citerai qu’un, celui de l’Indonésie, qui réfléchit à restreindre l’accès, de manière temporaire, à l’île de Komodo, refuge de ses célèbres dragons menacés, entre autres, par la venue de milliers de touristes chaque semaine.

En France, ce phénomène d’hyper-fréquentation reste ciblé sur certains lieux qui ont acquis une notoriété incontestable comme le Mont-Saint-Michel, le Mont-Blanc ou encore les gorges du Verdon. Mais d’autres lieux en font également les frais en période de grande affluence.

Des outils déjà existants sont utilisés par les responsables locaux, comme l’a très justement mis en exergue Jérôme Bignon dans son rapport. De meilleurs aménagements de sites pouvant accueillir plus de personnes en toute sécurité sont réalisés. À l’extérieur des sites également, avec la construction de parkings pour éviter l’usage de la voiture, ou des places de stationnement encadrées pour réguler la fréquentation. Dans certains lieux, des éco-gardes sont présents pour s’assurer du respect des règles et alerter sur les bons gestes.

Les maires particulièrement ont un panel de solutions à leur disposition avec des pouvoirs en matière environnementale, qu’il s’agisse de pollution ou de prévention. Ces outils fonctionnent et sont reconnus comme efficaces.

La proposition qui nous est faite vient compléter le dispositif déjà existant et le parfaire. Elle crée une nouvelle police spéciale à l’endroit des maires qui pourront désormais réguler l’accès à certains sites ou zones de site. Cette régulation concerne non seulement les véhicules, mais aussi les personnes, ce qui n’était pas le cas auparavant. De plus, le dispositif proposé permet d’insérer davantage de flexibilité dans un système qui n’envisageait que l’interdiction d’accès.

Le maire se voit donc attribuer une corde supplémentaire à son arc. Cependant, la flèche pourra être retenue avant d’atteindre sa cible, car l’arrêté motivé devant être délivré suppose la discussion avec des acteurs locaux. Cela renforcera certainement le pouvoir de la décision et sa justesse.

Ainsi, la fréquentation massive de nos sites naturels et culturels patrimoniaux est un double enjeu. De préservation, certes. Mais rappelons-nous que beaucoup de nos territoires espèrent une forte attractivité pour le partage de la beauté de leurs sites, pour le rayonnement de leur histoire et de leurs spécificités. C’est ce que nous espérons tous. La France a des atouts formidables. Chaque fois que cela sera nécessaire, une boîte à outils renforcée sera disponible afin de préserver ces richesses.

De leur côté, nos concitoyens, et les citoyens du monde, doivent aussi se sentir concernés et responsables afin qu’ensemble nous préservions notre bien commun et les témoignages de notre patrimoine. Si, comme le dit l’Organisation mondiale du tourisme, « Le tourisme, c’est bien plus que vous ne l’imaginez », il existe aussi d’autres enjeux qui sont bien plus que le tourisme. (Applaudissements sur toutes les travées, à lexception de celles du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les connaisseurs du patrimoine savent bien que l’hyper-fréquentation des sites culturels et naturels peut être un véritable problème. Cette question ne date pas d’aujourd’hui, puisque la grotte de Lascaux a été fermée au public en 1963 pour en préserver les peintures rupestres.

Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est l’ampleur du phénomène. Le cas de Venise est connu et emblématique. Lors d’un déplacement effectué en octobre 2016, notre commission de la culture a pu constater sur place la menace que fait peser le tourisme de masse : exode des habitants, surexploitation inappropriée des ressources, dégradation continue du système écologique et culturel de Venise et de sa lagune. À tel point que, le 2 octobre dernier, le comité du patrimoine mondial de l’Unesco a annoncé envisager d’inscrire Venise sur la liste du patrimoine mondial en péril si des progrès significatifs n’étaient pas faits pour en assurer la conservation. Et Venise n’est pas un cas isolé.

Le phénomène ne peut que s’emballer dans les années qui viennent. Selon l’Organisation internationale du tourisme, qui a publié en 2017 un rapport sur l’Overtourism, le tourisme mondial devrait passer de 1,3 milliard de voyageurs aujourd’hui à 1,8 milliard en 2030.

Au-delà des désagréments pour la population, il faut prendre conscience de l’importance d’assurer la préservation du patrimoine et de prendre des mesures.

Certains sites, un peu partout dans le monde, ont déjà réagi : depuis cette année, à Venise, les paquebots de plus de 100 000 tonnes ne peuvent plus accoster que de l’autre côté de la lagune. De même, Amsterdam a interdit les hôtels flottants, Santorin a limité l’affluence touristique à 8 000 personnes par jour et l’île de Pâques a restreint à trente jours la durée maximale des touristes sur place. Vous avez également cité, monsieur le rapporteur, le troisième site naturel le plus visité au monde, le Mont-Blanc

La présente proposition de loi s’inscrit donc dans la droite ligne de cette prise de conscience. Je remercie vraiment notre collègue Jérôme Bignon d’en avoir eu l’initiative.

Ce texte entend donner aux maires les moyens juridiques de lutter contre l’hyper-fréquentation des sites naturels et culturels. Lier sites naturels et culturels est en parfaite adéquation, je tiens à le dire, avec la réflexion que nous avons menée, ici, au Sénat lors des débats sur la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, en créant les sites patrimoniaux remarquables.

Par ailleurs, je le rappelle, le Comité national des biens français est placé sous la double tutelle du ministère de la culture et du ministère de l’environnement.

Comme ma collègue Évelyne Perrot, je soutiens ce texte, que j’ai cosigné. Il a évolué favorablement, pour permettre la prise de mesures concrètes et efficaces, souhaitées, je tiens à en témoigner, par les maires. Je pense notamment, dans mon département de la Seine-Maritime, au maire de Veules-les-Roses, dont la commune a été classée parmi les plus beaux villages de France l’année dernière, compte tenu du remarquable travail qu’il a fait pour le patrimoine environnemental et culturel, ou à la maire d’Étretat, puisque le site d’Étretat se trouve aujourd’hui confronté, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, à la lourde problématique de l’hyper-fréquentation.

Pour autant, vous le savez, ces mesures nécessaires ne sauraient être suffisantes si elles n’étaient pas assorties d’un plan de gestion globale réfléchi et anticipé associant tous les acteurs. Je pense au travail remarquable mené par mes collègues élus dans le cadre de l’Opération grand site des falaises d’Étretat-Côte d’Albâtre, qui concerne treize communes du littoral et de l’arrière-pays. Il s’agit d’un projet de développement durable et local recouvrant plusieurs thématiques : les paysages, les déplacements, l’aménagement du territoire, le tourisme et, bien sûr, les risques. C’est une démarche vertueuse, que je tiens à saluer, qui vise à concilier l’accueil d’un grand nombre de touristes, lequel s’inscrit dans le cadre du développement économique, et la préservation d’un site remarquable et fragile. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, LaREM et Les Indépendants.)

M. le président. La parole est à Mme Vivette Lopez.

Mme Vivette Lopez. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à féliciter notre collègue Jérôme Bignon, avec qui je partage de nombreuses actions, d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi et d’avoir travaillé sur la protection de notre cadre de vie et l’enrichissement des moyens mis à disposition des maires dans l’exercice de leurs fonctions.

Ce texte vient mettre en lumière les nouveaux défis que nous devons relever. Trois d’entre eux me semblent particulièrement prioritaires : répondre intelligemment et concrètement à l’explosion mondiale du tourisme, préserver l’environnement, ce que nos concitoyens appellent de leurs vœux, et prendre en compte les nouvelles formes de tourisme ainsi que les nouveaux comportements qui y sont associés. Le sujet est vaste, aussi riche que la réflexion qui s’impose, mais la rédaction de cette proposition de loi vient contribuer de façon positive aux actions engagées.

Incontestablement, nous devons nous réjouir de l’attractivité dont bénéficie notre pays : nous recevons de plus en plus de touristes. L’Organisation mondiale du tourisme estime que, d’ici à 2030, 4 millions de touristes s’ajouteront au 1,4 milliard de personnes qui voyagent déjà. À l’heure où la concurrence mondiale pour capter la venue de touristes est forte, la hausse de la fréquentation touristique en France est le signe d’une réelle vitalité et la conséquence de politiques touristiques efficaces. Reste que cela ne nous autorise pas à faire n’importe quoi, n’importe comment.

Pour de nombreuses destinations, gérer cet essor représente un défi important. Sur certains sites, la sur-fréquentation sévit depuis longtemps. Elle laisse des traces, à tel point qu’elle menace, selon bon nombre d’observateurs, leur existence même. Pensons à Venise, comme l’a dit notre collègue Catherine Morin-Desailly, ou à l’Islande. À l’évidence, les moyens légaux mis à la disposition des élus pour encadrer cet afflux de touristes ne sont pas adaptés.

Parfois, des actions menées pour la protection de l’environnement peuvent provoquer le contraire de ce que nous voulions. Je prendrai pour exemple le film de Nicolas Vanier sur la protection de la faune et de la flore et la prise de vue, par un drone, de flamants roses en période de couvaison aux Salins du Midi. Celle-ci a effrayé les flamants, qui ont fui et abandonné les œufs. Les dégâts, bien évidemment non voulus, ont ainsi été nombreux.

J’approuve le texte adopté par la commission, lequel, en recentrant plus précisément les dispositifs à faire évoluer, témoigne de pragmatisme. Au lieu d’étendre les pouvoirs de police du maire, comme c’était initialement envisagé, il prévoit finalement, avec beaucoup de bon sens et de finesse, de n’étendre que l’actuel pouvoir de police spéciale du maire en matière de circulation et de stationnement, avec deux nouvelles possibilités : réglementer l’accès et non plus seulement l’interdire ; réglementer ou interdire la circulation des personnes et non pas uniquement les véhicules motorisés.

Il était difficilement envisageable d’exposer les maires à des responsabilités nouvelles. Ils en ont déjà bien assez ! Cela les aurait potentiellement exposés à des poursuites pour inaction fautive, alors même qu’ils ne disposent pas, le plus souvent, des moyens techniques, juridiques et humains appropriés.

En outre, alors que la plupart des polices spéciales de la nature sont exercées par l’État, une mauvaise interprétation de ces dispositions aurait pu laisser penser que les maires sont désormais compétents de manière générale en matière de protection de l’environnement.

L’accent a donc été mis sur la cohérence entre les différents dispositifs. Je crois particulièrement à l’efficacité de cette démarche. Néanmoins, une telle initiative en appelle bien d’autres. Notre gestion globale du tourisme évolue-t-elle assez vite face à un risque climatique qui nous alerte de plus en plus, alors que nos concitoyens aspirent à retrouver des liens plus vrais avec la nature ? Rien n’est moins sûr ! Les qualités naturelles et paysagères restent en effet un facteur essentiel de l’attractivité des territoires de par le monde.

Le tourisme, par son caractère transversal, en appelle à une réponse globale, avec une véritable coordination des outils et un partage des responsabilités. Cette proposition de loi s’inscrit dans cette démarche et apporte une amélioration que je veux saluer.

En guise de conclusion, comparons la situation de deux lieux touristiques : s’il est possible d’accueillir 1 million de visiteurs au pont du Gard, il est compliqué de faire de même pour ce qui concerne l’étang de Scamandre ! (M. le rapporteur et M. Frédéric Marchand applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre collègue Christophe Priou a évoqué mai 68. Je convoquerai pour ma part quelques souvenirs plus récents.

Voilà trente ans, étudiant, j’allais en forêt de Fontainebleau pour profiter de ses charmes et pour le plaisir de gravir quelques-uns des plus beaux blocs de grès de la planète. Il y avait là quelques « bleausards », les habitués de cette forêt, quelques Parisiens, des gens de province qui s’étaient égarés. Aujourd’hui, cette forêt concentre Australiens, Américains, Japonais, ainsi que toute l’Europe grimpante, avec des conséquences sur l’érosion des sites : des chemins abîmés et des blocs altérés, en raison d’un problème d’hyper-fréquentation. Ceux-là ne sont pas amateurs de selfies, ils veulent juste profiter d’un site exceptionnel. Je voulais citer cet exemple dans le cadre de nos débats.

J’ai souvenir d’avoir discuté, lors de l’examen d’une proposition de loi de M. Retailleau, des meilleurs moyens d’assurer un accès libre à des sites naturels en évitant les chausse-trapes des risques liés aux accidents. La proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l’hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux constitue l’autre bout de l’omelette, si vous me passez cette expression chère au Premier ministre.

Le Sénat, dans sa grande sagesse, souhaite préserver la possibilité de fouler les plus beaux sites naturels, mais il veut aussi préserver leur pérennité et, donc, éviter l’hyper-fréquentation si bien décrite dans le rapport de Jérôme Bignon. Sont notamment concernés la baie de Somme avec ses embouteillages sur plusieurs sorties d’autoroute, Port-Cros et ses nombreux allers-retours de bateaux ou encore le Mont-Blanc et ses faux guides. Les dérives en matière d’accès à certains de nos plus beaux sites naturels sont nombreuses !

Ce texte évite les pièges que beaucoup ont décelés durant l’examen du projet de loi Engagement et proximité, à savoir donner des pouvoirs de police aux maires, ce qui les mettrait en première ligne sans leur donner les moyens d’exercer leur compétence. En prévoyant d’élargir la portée de l’article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales, qui met en place une police spéciale de la circulation dans les espaces naturels au profit des maires, il aboutit à une solution pragmatique.

Avec mes collègues du groupe socialiste, nous présenterons un amendement qui s’inscrit dans le périmètre de cette proposition de loi. Il vise à apporter une réponse ferme aux inconscients égoïstes qui seraient tentés de renouveler l’atterrissage sauvage accompli il y a quelques mois au sommet du mont Blanc, pour une dépose peu compatible avec les usages et le respect de la montagne.

J’avais déposé une proposition de loi sur ce thème et recueilli nombre de réactions positives. J’ai cependant retravaillé le texte en échangeant avec le Gouvernement, afin d’éviter que les pilotes de bonne foi et soucieux de l’environnement ne pâtissent de mes suggestions. Nous aurons l’occasion tout à l’heure d’évoquer ce sujet plus en détail.

Nous sommes tous sensibles à ces questions sur lesquelles nous pouvons nous retrouver en laissant de côté les étiquettes politiques. Le Président de la République s’est exprimé sur le Mont-Blanc ; on imagine qu’il est également sensible à la question de la baie de Somme, qui vous est chère, monsieur Bignon. Nous espérons donc que le Gouvernement sera attentif à nos débats.

D’ici là, j’espère que vous me pardonnerez de contribuer à l’hyper-fréquentation de l’hémicycle ce matin, bien que je sois membre de la commission des lois, pour présenter un amendement qui ne concerne même pas mon département. Mais je crois que votre texte intéresse largement et que le Mont-Blanc mobilise tous les Français, quelle que soit la place qu’ils occupent dans la cordée ! (Applaudissements.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l’hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l'hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 3 rectifié bis

Article 1er

I. – Le premier alinéa de l’article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Après le mot : « motivé, », sont insérés les mots : « réglementer ou » ;

2° Les mots : « aux véhicules dont la circulation sur ces voies ou dans ces secteurs », sont remplacés par les mots : « dès lors que cet accès ».

II. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du I dans les espaces protégés au titre des livres III et IV du code de l’environnement.

M. le président. L’amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Gold, Arnell et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mme Costes, M. Dantec, Mmes N. Delattre et Guillotin, MM. Jeansannetas et Labbé, Mme Laborde et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :

Alinéa 4

Compléter cet alinéa par les mots :

ainsi que les modalités de consultation des parties prenantes locales

La parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. Le présent amendement vise à ce que le pouvoir de police spéciale du maire réglementant l’accès aux espaces protégés s’exerce dans le cadre d’un projet de territoire, en précisant que le décret en Conseil d’État prévoit les modalités de consultation des parties prenantes locales : collectivités territoriales concernées, parcs naturels, propriétaires… Une telle précision est d’autant plus nécessaire que les prescriptions du maire peuvent avoir une incidence territoriale beaucoup plus large.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Par cet amendement, il s’agit d’associer les modalités de consultation aux modalités d’application. Même si l’objet du décret est d’ores et déjà de prévoir ces modalités, je ne suis pas opposé à une telle précision. La commission a donc émis un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire dÉtat. Le Gouvernement est également favorable à cet amendement. En effet, le décret en question vise à préciser les modalités de mise en œuvre du pouvoir du maire. Il semble important d’indiquer également les modalités de consultation des parties prenantes, ce qui permettra une meilleure intégration de la mesure de police municipale dans un cadre juridique qui reste complexe.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l'hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux
Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 1 rectifié

Articles additionnels après l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Durain, Gillé, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mme Bonnefoy, M. Dagbert, Mme M. Filleul, MM. Houllegatte et Jacquin, Mmes Préville, Tocqueville et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le chapitre III du titre VI du livre III du code de l’environnement est ainsi rédigé :

« Chapitre III

« Accès par aéronefs

« Section 1

« Interdiction des atterrissages à des fins de loisirs

« Art. L. 363-1. – Dans les zones de montagne, l’atterrissage d’aéronefs motorisés à des fins de loisirs, à l’exception des aéronefs sans personne à bord, et la dépose de passagers par aéronefs motorisés à des fins de loisirs, sont interdites, sauf sur un aérodrome au sens de l’article L. 6300-1 du code des transports, ainsi que sur les emplacements autorisés par l’autorité administrative.

« Art. L. 363-2. – La publicité, directe ou indirecte, de services faisant usage des pratiques mentionnées à l’article L. 363-1 est interdite.

« Art. L. 363-3. - Dans les zones de montagne, les déposes de passagers à des fins de loisirs par aéronefs non motorisés sont interdites, sauf sur les aérodromes au sens de l’article L. 6300-1 du code des transports, ainsi que sur les emplacements autorisés par l’autorité administrative.

« Section 2

« Dispositions pénales

« Art. L. 363-4. – Est puni d’un an d’emprisonnement et 150 000 € d’amende le fait de ne pas respecter l’interdiction mentionnée à l’article L. 363-1.

« Art. L. 363-5. – Est puni de six mois d’emprisonnement et 75 000 € d’amende le fait de ne pas respecter l’interdiction mentionnée à l’article L. 363-2. »

La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. L’atterrissage d’un avion de tourisme au sommet du mont Blanc le 18 juin dernier a mis en lumière le caractère lacunaire de notre arsenal législatif pour lutter contre ce type de comportement, qui contrevient aux usages en vigueur en montagne et transgresse les lois en matière de protection de l’environnement.

En Haute-Savoie et au-delà, ce comportement déplorable a légitimement choqué celles et ceux qui aiment la montagne et souhaitent que son environnement soit préservé. Certes, l’article L. 363-1 du code de l’environnement prévoit déjà que, dans les zones de montagne, les déposes de passagers à des fins de loisirs par aéronefs sont interdites, sauf sur les aérodromes dont la liste est fixée par l’autorité administrative. Toutefois, à défaut de sanctions dans les textes, cette interdiction ne peut aujourd’hui être mise en œuvre. Le pilote incriminé le 18 juin dernier n’a écopé que d’une amende de 38 euros.

Cet amendement vise à dissuader toute récidive en durcissant les peines encourues. Les réactions positives ont été nombreuses lorsque j’ai rédigé la proposition de loi dont s’inspire cet amendement. Toutefois, des pilotes de montagne de bonne foi se sont inquiétés des conséquences possibles sur les aérodromes de Saint-Rémy-de-Maurienne et Sollières et sur les pratiques responsables d’aviation de montagne.

J’ai été heureux d’échanger avec le cabinet de Mme la secrétaire d’État pour parfaire cet amendement. Selon moi, sa rédaction permet désormais d’éviter toute conséquence néfaste pour les pilotes qui respectent les règles et de rester dissuasif pour ceux qui seraient tentés de renouveler le triste exploit du mois de juin.

Le Président de la République a eu l’occasion d’en faire part, il est conscient des enjeux de préservation du Mont-Blanc, qui dépassent la seule question des atterrissages sauvages. J’espère que le présent amendement aidera les élus de ce département, qui n’est pas le mien, à préserver notre patrimoine naturel national.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur. À la suite de divers incidents, notamment l’atterrissage d’un avion de tourisme au sommet du mont Blanc en juin, cet amendement vise à renforcer les dispositions prévues par notre droit sur le sujet. Il tend à interdire l’atterrissage et la dépose de personnes par aéronef motorisé à des fins de loisirs, en assortissant cette interdiction d’un régime de sanctions pénales lourdes, puisqu’il s’agit d’un an d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende et de six mois d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende concernant la publicité relative à de tels services.

Il vise également à interdire la dépose de personnes par aéronef non motorisé, mais sans la soumettre au régime de sanctions pénales prévues pour le premier cas. En effet, il paraîtrait disproportionné de sanctionner pénalement quelqu’un qui atterrirait en deltaplane, par exemple.

Ce sujet rejoint tout à fait les préoccupations de la proposition de loi que nous examinons, laquelle tend à compléter la boîte à outils permettant de faire face aux nouvelles habitudes touristiques auxquelles sont confrontés de nombreux sites naturels aujourd’hui hyper-fréquentés. Il s’agit d’un tourisme plus tourné vers la consommation – tourisme de l’unique venue – ne respectant pas le patrimoine naturel.

Ainsi la commission avait-elle émis un avis favorable sur cet amendement avant son ultime rectification. Cette dernière n’ayant pas modifié l’amendement sur le fond, elle y est toujours favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire dÉtat. Vous l’avez dit, monsieur le sénateur, le fait générateur, l’atterrissage d’un aéronef de tourisme très haut sur le mont Blanc, est emblématique. J’ai eu l’occasion de m’en entretenir avec le maire de Saint-Gervais-les-Bains pas plus tard qu’hier. Vous savez toute l’attention que porte le Président de la République à ce sujet.

L’adoption de cet amendement permettra d’instaurer un régime de sanctions et de mieux encadrer l’atterrissage d’aéronefs dans des zones sensibles, sans pénaliser les acteurs de bonne foi et avec le bon régime juridique.

Je veux saluer le travail très constructif mené à la fois par vous-même, la commission et les services du ministère de la transition écologique et solidaire. Selon moi, nous avons trouvé un point d’équilibre. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis très favorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. En tant que sénateur de la Haute-Savoie (Lorateur, essoufflé, a du mal à sexprimer.), je suis particulièrement attentif à cette question et au fait que des réponses concrètes soient apportées aux élus locaux chargés de cette merveille naturelle qu’est le massif du Mont-Blanc. Bien évidemment, je voterai cet amendement, très important à mes yeux.

M. le président. Il vous faut reprendre de l’oxygène, mon cher collègue, un peu d’altitude ! (Sourires.)

Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié bis.

(Lamendement est adopté.)

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 3 rectifié bis
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l'hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux
Articles 2 à 4

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 1er.

L’amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Gold, Arnell et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Corbisez, Mmes Costes et N. Delattre, M. Gabouty, Mme Guillotin, MM. Jeansannetas et Labbé, Mme Laborde et MM. Requier et Roux, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 415-1 du code de l’environnement est complété par un paragraphe ainsi rédigé :

« … – Le présent article entre en vigueur au plus tard le 1er janvier 2020. Ses conditions d’application sont fixées par décret en Conseil d’État. »

La parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. Cet amendement vise à appeler l’attention du Gouvernement sur la nécessité d’un décret, promis depuis plusieurs années, visant à l’assermentation des gardes nature au sein des parcs régionaux.

En juin 2018, en réponse à une question posée, le ministre de la transition écologique et solidaire avait promis ce décret d’application d’ici à la fin de l’année 2018.

Lors de l’examen du projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, le Gouvernement avait annoncé sa publication pour l’automne 2019. Or ce décret n’est toujours pas paru, laissant les gardes nature démunis de leurs possibilités de constater des infractions, au détriment de la protection de notre patrimoine naturel.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Comme vient de l’expliquer notre collègue Gold, cet amendement vise à solliciter la publication du décret, pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2020.

L’insertion de cette précision dans le texte n’accélérera pas la publication du décret. Le Gouvernement le prendra quand il sera prêt. J’estime qu’il s’agit plutôt d’insister amicalement auprès du Gouvernement pour que ce décret, attendu depuis longtemps, sorte enfin.

Dans la mesure où je suis certain que vous serez entendu, mon cher collègue, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement au profit d’un engagement de Mme la secrétaire d’État.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire dÉtat. Le décret qui conditionne l’entrée en vigueur effective de la mesure habilitant les agents des collectivités et leurs groupements, notamment ceux des parcs naturels régionaux, à constater les infractions relatives au patrimoine naturel a été examiné par le Conseil d’État dans sa section des travaux publics le 19 novembre dernier. Nous venons de recevoir son avis favorable. (Marques de satisfaction sur plusieurs travées.)

Il me semble donc que je pourrai tenir l’engagement que j’avais pris lors de l’examen de la loi portant création de l’Office français de la biodiversité de sortir ce décret d’ici à la fin de l’année, peut-être même techniquement à l’automne 2019, puisque, l’hiver arrivant le 20 décembre, il n’est pas impossible que nous puissions tenir parole.

Par conséquent, je vous demande, monsieur Gold, de bien vouloir retirer votre amendement, qui est satisfait.

M. le président. Monsieur Gold, l’amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?

M. Éric Gold. Totalement satisfait par la réponse de Mme la secrétaire d’État, je retire l’amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.

Article additionnel après l'article 1er - Amendement n° 1 rectifié
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l'hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Articles 2 à 4

(Supprimés)

Vote sur l’ensemble

Articles 2 à 4
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)

M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)

PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l'hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux
 

3

 
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Discussion générale (suite)

Loi de finances pour 2020

Discussion d’un projet de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 2020, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 139, rapport général n° 140).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Question préalable

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie et des finances. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous présenter le projet de loi de finances pour 2020, dans un contexte économique marqué par des tensions commerciales persistantes entre les États-Unis et la Chine et un ralentissement prononcé de la croissance mondiale, aussi bien aux États-Unis et en Chine qu’au niveau européen.

J’ai pu m’entretenir avec le secrétaire américain au commerce de l’administration Trump des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine. À cette occasion, je lui ai redit à quel point nous étions opposés aux sanctions infligées aux viticulteurs français. Il faut que ces derniers sachent qu’ils peuvent compter sur le soutien du gouvernement français, et sur mon soutien, pour sortir de cette politique de sanction : nous leur apporterons toute l’aide nécessaire, alors que nous vivons un temps important en matière de commercialisation du vin.

Nous sommes également confrontés à un ralentissement de la croissance européenne. De ce point de vue, je rappelle que la France tire son épingle du jeu : elle fait mieux que les autres pays européens, puisqu’elle maintient un niveau de croissance élevé, un niveau d’investissement important et une attractivité qui est désormais la meilleure de tous les pays membres de la zone euro.

Le dernier point général sur lequel je veux insister, après avoir évoqué les tensions commerciales et le ralentissement de la croissance dans la zone euro, est la persistance de taux d’intérêt faibles, voire négatifs, qui ont évidemment un impact sur l’activité. Cette situation doit appeler tous les États qui disposent des marges de manœuvre budgétaires nécessaires à investir et à innover pour compléter une politique monétaire qui est désormais aux limites de son efficacité.

Dans ce contexte général de ralentissement de la croissance mondiale et de taux d’intérêt bas, voire négatifs, quelle est la politique que nous vous proposons à travers le projet de loi de finances pour 2020 ?

C’est une politique d’innovation, une politique pour le travail et une politique de poursuite du rétablissement de nos finances publiques.

Face au ralentissement de la croissance, la seule politique qui nous paraît valable est celle de l’investissement dans l’avenir et de la poursuite d’une politique de l’offre, qui, je le redis, a commencé à donner des résultats, avec la création d’un demi-million d’emplois dans notre pays, la restauration de marges de manœuvre industrielles et le maintien d’une croissance solide.

Nous avons donc maintenu des choix fiscaux en faveur des entreprises. Il y aura 1 milliard d’euros de baisse nette d’impôts sur les entreprises en 2020. L’intégralité des allégements de charges, quel que soit le niveau de salaire, seront maintenus, sachant que ces allégements ont été renforcés au 1er octobre dernier, puisqu’il n’y a plus aucune cotisation patronale au niveau du SMIC. Ces allégements de charges, je le répète, nous souhaitons les maintenir, car nos entreprises ont besoin de visibilité et de stabilité, en matière de coût du travail, pour les années à venir.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Et la baisse de l’impôt sur les sociétés ?

M. Bruno Le Maire, ministre. La baisse de l’impôt sur les sociétés, monsieur le rapporteur général, se poursuivra.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Moins que prévu !

M. Bruno Le Maire, ministre. La visibilité sera maintenue, puisque le cap des 25 % de taux d’impôt sur les sociétés pour toutes les entreprises sera atteint en 2022, comme le Président de la République s’y était engagé.

Les entreprises dont les chiffres d’affaires sont les plus modestes verront leur impôt sur les sociétés baisser plus rapidement en 2020 que les autres, mais toutes les entreprises, quel que soit le niveau de leur chiffre d’affaires, bénéficieront bien d’une baisse de l’impôt sur les sociétés dès 2020, selon une trajectoire qui les amènera au taux de 25 % en 2022.

Autre baisse d’impôt pour les entreprises : le prélèvement sur les entreprises affecté au financement des chambres de commerce et d’industrie diminuera. Nous nous y étions engagés, et nous tiendrons cet engagement.

Je veux également profiter de cette intervention pour rassurer les chambres de commerce et d’industrie : elles ont fait un travail très important pour se moderniser et s’engager dans une transformation en profondeur. J’ai toujours indiqué que nous vérifierions que la trajectoire prévue est supportable pour les chambres ; nous organiserons bien un point d’étape en 2020 pour nous assurer que toutes les chambres de commerce et d’industrie arrivent à supporter cette transformation.

Je rappelle enfin que la suppression du prélèvement « France Télécom » permettra de rendre près de 30 millions d’euros aux chambres pour accompagner la transformation de leur modèle.

Les impôts, sur le quinquennat, baisseront de 13 milliards d’euros pour les entreprises et de 27 milliards d’euros pour les ménages : 40 milliards d’euros de baisses d’impôt au total. Nous sortons de la période de matraquage fiscal qu’ont connue les entreprises et les ménages, en France, depuis plusieurs années.

Nous maintenons et continuerons de maintenir, par ailleurs, une politique d’innovation offensive, clé de notre souveraineté de demain et clé, aussi, du maintien d’un niveau de croissance important. C’est pour cette raison que nous avons décidé de sanctuariser le crédit d’impôt recherche, auquel nous ne toucherons pas. Nous avons simplement pris en compte les remarques de la Cour des comptes sur le forfait relatif aux dépenses de fonctionnement, en ramenant son taux de 50 % à 43 %. Si nous suivons la recommandation de la Cour des comptes, c’est par souci de responsabilité : cette décision représente une économie de 230 millions d’euros à l’horizon de 2021.

Cette politique d’innovation est aussi ce qui nous a conduits à céder un certain nombre d’actifs que l’État détenait dans des entreprises, en particulier La Française des jeux, dont je viens, ce matin, de lancer la cotation.

La privatisation de La Française des jeux est un immense succès : un succès populaire – plus d’un demi-million de Français y ont participé –, un succès pour La Française des jeux, qui a montré sa solidité, un succès pour la place financière de Paris, qui a montré qu’elle était attractive. C’est bien la preuve qu’il est possible de réconcilier les Français avec l’investissement dans les entreprises, qu’il est possible de permettre à une entreprise de se développer dans de bonnes conditions sur le marché tout en conservant une participation de l’État, qu’il est possible, surtout, de trouver les moyens financiers nécessaires pour financer les innovations de rupture et les nouvelles technologies – je rappelle en effet que l’intégralité du produit de cession ira au fonds pour l’innovation de rupture.

C’est la politique à laquelle nous croyons : laisser les entreprises commerciales se développer, leur donner les moyens d’un tel développement, tout en gardant un droit de contrôle de l’État, et concentrer l’effort de l’État sur ce qui est vital pour les générations à venir, à savoir l’innovation et l’investissement dans l’intelligence artificielle, dans les énergies renouvelables, dans le stockage des données, dans tout ce qui fera, demain, la souveraineté de notre pays.

Notre deuxième grande orientation est celle de la rémunération du travail. Nous engageons, dans ce budget – le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin, y reviendra –, une baisse massive de l’impôt sur le revenu. Cette baisse de 5 milliards d’euros va concerner 17 millions de Français dès le 1er janvier 2020.

Nous vous proposons également de voter, dans ce budget, des baisses d’impôt en matière de taxe d’habitation, qui s’ajoutent à notre politique de meilleure rémunération du travail. S’il y a une leçon à retenir de la crise des « gilets jaunes », c’est qu’une immense majorité de Français aspirent à la dignité par le travail, à la juste rémunération de leur activité ; ils veulent pouvoir vivre bien du travail qu’ils font et du salaire qu’ils touchent.

Toutes les mesures que nous avons prises depuis près de trois ans s’inscrivent exactement dans cette orientation : la revalorisation de la prime d’activité, 100 euros de plus par mois au niveau du SMIC pour tous ceux qui travaillent, la défiscalisation des heures supplémentaires, la suppression de toute taxe sur l’intéressement vont permettre à chaque Français qui travaille de vivre mieux et plus dignement de son activité et d’être mieux considéré.

S’agissant de l’intéressement, auquel je crois profondément, nous avons supprimé la taxe de 20 %, simplifié les accords d’intéressement et permis que ces accords soient signés pour une durée non pas de trois ans, mais d’un an, afin que les plus petites entreprises puissent expérimenter l’intéressement.

Je suis prêt à aller encore plus loin dans le sens de la simplification des accords d’intéressement pour les plus petites entreprises, de moins de onze salariés, afin que les salariés signataires d’un accord d’intéressement soient demain, non plus 1,4 million, mais 3 millions, trois fois plus, en sorte que l’intéressement soit généralisé aux salariés français dans les meilleurs délais. C’est une question de justice, de reconnaissance du travail et d’association des salariés aux résultats de l’entreprise.

Récompenser le travail, c’est aussi avoir la lucidité de voir à quel point, dans certains services publics – je pense aux hôpitaux –, les économies qui ont été demandées depuis des années ont pu provoquer des difficultés, des blocages, voire des souffrances de certains personnels. Le plan pour l’hôpital public qui a été annoncé par le Premier ministre, d’une ampleur inédite, vise précisément à mieux récompenser le travail de ce personnel hospitalier auquel nous devons tant. Des primes seront donc versées pour soutenir le personnel hospitalier : 100 euros nets par mois dès 2020 pour les aides-soignants exerçant auprès des personnes âgées, 800 euros nets de prime annuelle pour les 40 000 infirmiers et aides-soignants vivant à Paris et dans sa proche banlieue, 300 euros de prime annuelle distribués directement par les hôpitaux.

Nous avons également accepté, avec le ministre des comptes publics, de reprendre une partie de la dette des hôpitaux, ce qui va permettre de dégager des moyens supplémentaires pour que les hôpitaux publics puissent, soit assainir leur situation financière, soit investir dans des travaux du quotidien indispensables à leur fonctionnement.

Pour financer ces baisses d’impôt, nous allons réduire un certain nombre de niches fiscales, et ce après de longues consultations qui ont permis de trouver des points d’équilibre avec les professions concernées.

Je prends l’exemple de l’avantage accordé au gazole non routier : il sera supprimé non plus en un an, mais en trois ans ; la première hausse interviendra non pas au 1er janvier 2020, mais au 1er juillet 2020, de façon à laisser aux professionnels le temps de s’adapter. Ceux-ci auront droit, en outre, à un certain nombre de compensations que nous mettrons en œuvre : clause générale de révision des prix, mécanisme de suramortissement destiné à leur permettre d’acquérir du matériel moins polluant, augmentation de l’avance aux PME, qui sera portée de 5 % à 10 %, et inscription des travaux d’entretien de réseaux des collectivités territoriales dans la liste des dépenses éligibles au Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée.

Toutes ces compensations répondent à des semaines de discussions avec les professionnels concernés par la suppression de cet avantage fiscal.

Deuxième niche que nous réduirons : le mécénat d’entreprise.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Grave erreur !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous voulons l’encadrer. Nous avons donc baissé le taux de défiscalisation de 60 % à 40 % pour les dons supérieurs à 2 millions d’euros, ce qui ne concerne, je le rappelle, que 78 grandes entreprises.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Pour combien de bénéficiaires, monsieur le ministre ?

M. Bruno Le Maire, ministre. Chaque fois que nous proposons une économie de dépense publique, l’opposition nous explique que c’est une erreur… J’aimerais simplement qu’elle nous fasse des propositions aussi volontaristes que les mesures que nous prenons.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Supprimez les agences de l’eau, les agences régionales de santé, ou l’Agence nationale de la cohésion des territoires, ce bidule !

M. Bruno Le Maire, ministre. Le troisième dispositif que nous modifions est l’avantage lié à la déduction forfaitaire spécifique. Cet avantage sera plafonné, ce qui permettra de réaliser une économie de 400 millions d’euros dès 2020. Ce plafonnement est proposé dans le cadre du PLFSS.

Voilà les économies de dépense publique que nous faisons ! Cependant, je constate que, chaque fois que nous mettons en œuvre de telles économies, tous ceux qui les réclament par ailleurs votent contre, ce que je trouve regrettable. Le sens des responsabilités devrait les conduire à voter les réductions de dépense publique qui financent les baisses d’impôt qu’attendent tous les Français !

Le troisième point est logique vu ce que je viens de dire : c’est le rétablissement de nos finances publiques. Nous avons engagé, avec Gérald Darmanin, depuis trois ans, le rétablissement des finances publiques françaises. Nous étions en procédure pour déficit excessif ; nous ne le sommes plus.

M. Jérôme Bascher. Ça va venir !

M. Bruno Le Maire, ministre. Nous étions au-dessus des 3 % de déficit public ; nous sommes au-dessous : 2,2 % en 2020. C’est le déficit public le plus bas depuis vingt ans – les chiffres sont têtus !

M. Jean-François Husson. Il n’y a pas que les chiffres !

M. Bruno Le Maire, ministre. Ces chiffres montrent que nous rétablissons nos finances publiques : nous stabilisons la dette et nous baissons le déficit public.

Certains diront, à juste titre, que nous le faisons à un rythme qui est plus lent que ce qui était prévu. C’est vrai ! Mais je pense qu’il est raisonnable d’adapter le rythme du rétablissement des finances publiques tant à la conjoncture internationale qu’à la situation sociale du pays.

Nous ne perdons pas le fil de notre politique, qui vise à rétablir les finances publiques françaises. Nous rétablirons les finances publiques françaises ! Mais on ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas eu une crise sociale majeure dans notre pays. On ne peut pas faire comme si des millions de Français n’avaient pas réclamé une amélioration de leurs conditions de vie. Et on ne peut pas faire comme si n’existait pas la crise internationale qui a mené à un ralentissement profond de la croissance mondiale, aux États-Unis comme dans la zone euro !

Ces objectifs seront donc tenus d’ici à la fin du quinquennat, et nous conjuguerons politique de l’offre pour l’innovation et l’investissement, meilleure rémunération du travail et rétablissement de nos finances publiques. Je crois profondément que c’est l’alliance de ces trois objectifs qui permettra à la France de rester dans la situation où elle est, celle d’une des économies les plus vaillantes de la zone euro. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics.

M. Gérald Darmanin, ministre de laction et des comptes publics. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous dire tout le plaisir que j’ai à vous retrouver, pour la troisième année consécutive – l’amour dure trois ans, monsieur le rapporteur général (Sourires.) –, pour vous présenter le projet de budget pour 2020 avec M. le ministre de l’économie et des finances.

La politique fiscale et économique conduite sous l’autorité du Président de la République lors de ces deux derniers exercices budgétaires a permis d’obtenir des résultats importants : le chômage a baissé continuellement, la croissance est restée dynamique, bien plus que celle de nos voisins, le pouvoir d’achat des Français a crû de façon inédite et les impôts ont baissé comme jamais au cours d’un mandat d’un Président de la Ve République. Ces résultats, nous les devons en partie à notre politique économique, à notre conviction en matière de maîtrise des dépenses publiques et à la transformation structurelle de nos politiques publiques, qui nous ont permis de réduire à la fois nos impôts et nos déficits.

Les résultats sont là ; ils sont incontestables.

Ainsi, 40 milliards d’euros de dépenses publiques auront été évités entre 2017 et 2020. Je rappelle que, en 2017, lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, les dépenses publiques représentaient 55 % du PIB ; nous en sommes désormais à 53,4 % du PIB : 1,6 point de dépenses publiques en moins, donc.

Rien qu’en 2020, les impôts baisseront de plus de 9 milliards d’euros pour les ménages et de 1 milliard d’euros pour les entreprises.

Le déficit public aura baissé de près d’un tiers entre son estimation par la Cour des comptes dans son rapport sur la gestion du gouvernement précédent, au lendemain de notre arrivée – 3,4 % du PIB –, et 2020. Le budget présenté par le Gouvernement prévoit un déficit de 2,2 % du PIB : 1,2 point de déficit en moins, donc.

Pour la première fois depuis dix ans, la dette publique baisse, très légèrement certes – la décrue est de 0,1 point –, après une stagnation, sachant que nous réalisons la sincérisation de la dette de la SNCF, qu’aucun gouvernement n’avait voulu engager.

Après 2018 et 2019, nous sommes déterminés à maintenir le cap sur le front de notre politique économique comme sur nos objectifs de finances publiques. L’ampleur inédite de la réponse que nous avons apportée à l’urgence économique et sociale nous conduit sans doute à faire des modifications, mais sans changer de cap.

Je voudrais d’ailleurs souligner la sincérité avec laquelle nous présentons désormais les comptes de la Nation – cette sincérité est saluée par l’ensemble des observateurs. Nous avons fait, en y étant très attentifs, les économies de gestion qu’il fallait ; je salue, à ce propos, l’accord auquel sont parvenus le Sénat et l’Assemblée nationale dans le cadre de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion d’un projet de loi de finances rectificative qui n’était que de fin de gestion, sans aucun article fiscal, donc sans aucune augmentation d’impôt – le Sénat, qui demandait depuis bien longtemps qu’il en soit ainsi, l’a noté.

Alors que le Président de la République a annoncé, au lendemain du grand débat, des dépenses ou des recettes supplémentaires ou en moins, avec d’évidentes conséquences macroéconomiques, nous avons réussi – le PLFR est là pour en témoigner – à faire par ailleurs les économies nécessaires pour tenir le déficit antérieurement prévu. Cela prouve à la fois le dynamisme de notre économie et la sincérité des comptes que présente le Gouvernement à la représentation nationale.

Cela fait deux fois, monsieur le rapporteur général, que le Gouvernement ne présente pas de décret d’avance, fait exceptionnel : ce n’était jamais arrivé depuis la promulgation de la LOLF. Le décret d’avance était une mauvaise habitude, relevant soit de l’insincérité budgétaire soit du défaut d’autorisation parlementaire. Vous avez vous-mêmes fait preuve, mesdames, messieurs les sénateurs, lors de la réunion de la CMP sur le PLFR, de l’indépendance qui sied à la fonction parlementaire, en rouvrant et en fermant des crédits, ce qui montre qu’il nous est possible de travailler ensemble dans un climat de confiance, malgré les différences politiques qui nous séparent.

Au cours du quinquennat, 27 milliards d’euros d’impôts auront été rendus aux ménages, 13 milliards d’euros aux entreprises.

M. le ministre de l’économie l’a évoqué, il y aura une baisse sans précédent de l’impôt sur le revenu, de 5 milliards d’euros, conformément à la promesse du Président de la République.

Sous les vivats, sans doute, de la majorité sénatoriale, grâce au prélèvement à la source, qui fut un succès, et grâce au travail de l’administration fiscale, les Français verront dès le mois de janvier prochain cette baisse d’impôt sur leur feuille de salaire ou leur bulletin de pension. Cette baisse bénéficiera en priorité aux 12 millions de foyers fiscaux imposables dans la première tranche du barème de l’impôt sur le revenu, dont le taux passera de 14 % à 11 %, pour un gain moyen de 350 euros. Mais ses effets iront bien au-delà de ces 12 millions de foyers : près de 17 millions de foyers, soit 95 % de la population imposable, connaîtront une baisse d’impôt sur le revenu dès le mois de janvier.

C’est également l’année prochaine que sera définitivement supprimée la taxe d’habitation sur la résidence principale pour 80 % des Français. Le présent projet de loi de finances prévoit la suppression complète de la taxe d’habitation et sa compensation pérenne et à l’euro près ; le Gouvernement a donc tenu sa parole.

J’ai chargé Olivier Dussopt de défendre les articles en question devant la représentation nationale ; il évoquera avec vous cette transformation très importante de la fiscalité locale. De nombreux amendements ont été déposés par les sénateurs sur cette question ; c’est bien normal venant de la chambre qui représente les collectivités territoriales. Personne, dans la République française, n’avait jamais supprimé un impôt de 22 milliards d’euros ; c’est ce qu’aura fait le Président de la République !

Il s’agit d’une réforme historique, vous le savez, et j’imagine que nous prendrons le temps, au Sénat, comme nous l’avons fait à l’Assemblée nationale, d’en discuter, afin d’acter enfin cette réforme importante et définitive.

Nous baissons les impôts, mais nous ne baissons pas la garde. Le Gouvernement, depuis le début du quinquennat, s’est fixé des priorités, et il s’y tient, en apportant des moyens budgétaires à la hauteur des défis, à commencer par l’accélération de la transition écologique.

Les crédits alloués à la transition écologique et aux transports augmenteront de 3 milliards d’euros sur le quinquennat et de 800 millions d’euros dès 2020, et la trajectoire prévue par la loi d’orientation des mobilités sera respectée. De grands projets seront financés ; j’aurai d’ailleurs le plaisir, demain – je m’excuse par avance de m’absenter ainsi quelques heures du débat budgétaire, mais ce sera le tour du ministre de l’économie et des finances de débattre avec vous –, de signer la convention financière relative à la construction du canal Seine-Nord Europe. Ce chantier compte parmi les engagements financiers pris par ce gouvernement quand d’autres, malgré beaucoup de paroles, n’ont jamais donné le premier coup de pelle dans ce genre de travaux.

Le crédit d’impôt pour la transition énergétique sera recentré et, conformément à l’engagement pris pendant la campagne présidentielle, transformé en prime contemporaine. C’est très important pour le déclenchement des travaux : avec le crédit d’impôt, ceux qui avaient peu de trésorerie devaient attendre que l’argent arrive sur leur compte et, souvent, les travaux n’étaient pas déclenchés. La prime est un dispositif plus juste – nous concentrerons ainsi cette politique publique sur les ménages les plus modestes, les classes populaires et moyennes – et plus efficace : davantage de travaux seront déclenchés, notamment là où ils étaient le plus nécessaire. Plus on est pauvre, en effet, moins on a de revenus, et plus le logement est une passoire énergétique.

La transformation du CITE est très importante, mais c’est une mesure one-off – pardon d’utiliser ce mot anglais déjà employé à propos du CICE. Elle explique une partie du ressaut budgétaire et sera accomplie en deux fois. La prime sera donc plus efficace que ne l’était le crédit, plus généreuse pour les ménages les plus modestes, plus contemporaine ; autrement dit, elle s’inscrit dans le programme présidentiel.

Nous accompagnons par ailleurs le retour à l’emploi et protégeons les plus vulnérables. L’augmentation de la prime d’activité se poursuit : 4 milliards d’euros d’augmentation entre 2018 et 2022. À la fin du quinquennat, la prime d’activité aura presque atteint les 9 milliards d’euros, contre 3,5 milliards d’euros lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités. Cette prestation sociale vise à augmenter le pouvoir d’achat de ceux qui travaillent : 100 euros de pouvoir d’achat supplémentaire au niveau du SMIC, telle était la promesse du Président de la République au lendemain du grand débat ; cette promesse sera tenue.

La prime exceptionnelle annoncée l’année dernière par le Président de la République sera reconduite, assortie d’une promotion des dispositifs d’intéressement qu’a évoqués M. le ministre de l’économie et des finances. Le lien que le ministre a noué, dans le cadre de la loi Pacte, entre le capital et le travail se trouve ainsi renforcé – vieille idée gaulliste positive pour le salariat français.

Pour la clarté des débats, l’ensemble du dispositif figurera, lorsque le Sénat souhaitera l’examiner, dans le PLFSS, mais il comportera bien une exonération fiscale en plus de l’exonération de cotisations sociales.

L’allocation aux adultes handicapés sera revalorisée de 1,3 milliard d’euros sur le quinquennat ; le minimum contributif fera également l’objet d’une revalorisation, et nous poursuivrons la montée en puissance du plan Pauvreté. Nous allons améliorer le recouvrement des pensions alimentaires, comme s’y est engagé le Président de la République, afin d’être au rendez-vous de la solidarité nationale auprès de ces femmes, notamment, dont l’ex-conjoint ne paie pas la pension. Quant aux pensions les plus modestes, elles seront indexées sur l’inflation, jusqu’à 2 000 euros.

Nous poursuivons en outre le réarmement régalien de l’État.

Les crédits de la mission « Défense » augmentent de 1,7 milliard d’euros, conformément à la loi de programmation militaire.

Les crédits du ministère de la justice augmentent également, conformément à la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, afin notamment de créer des équivalents temps plein.

Le ministère de l’intérieur aura bénéficié de la création de 10 000 emplois de policiers et de gendarmes sur le quinquennat, l’année 2020 représentant évidemment, en la matière, une césure, conformément à la trajectoire définie dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Les crédits dévolus au ministère de l’intérieur augmentent d’une manière inédite, de plus de 2 milliards d’euros, le nouveau protocole salarial prévoyant enfin la rémunération des heures supplémentaires des policiers.

Nous préparons l’avenir. Les crédits du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse augmentent de 2,6 milliards d’euros, finançant le dédoublement des classes et la limitation à vingt-quatre élèves par classe, qui comptaient parmi les annonces faites à l’issue du grand débat, mais aussi le déploiement du service national universel, la réforme sans précédent du baccalauréat et l’augmentation de 500 millions d’euros des crédits de la recherche. Nous poursuivons la mise en œuvre du programme d’investissements d’avenir en investissant dans les compétences, c’est-à-dire dans les hommes, comme dans les infrastructures. Ce budget est aussi le budget de l’investissement !

Nous poursuivons également nos efforts en matière de justice fiscale. De concert avec le Sénat, qui a beaucoup travaillé sur cette question, nous assumons de mener une action résolue contre la fraude et l’évasion fiscales.

Nous venons, grâce aux nouveaux outils de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, à la création desquels le Sénat a apporté une contribution particulièrement importante, de connaître des succès sans précédent. L’année 2019 sera l’année où la fraude fiscale aura été la plus combattue, avec des gains considérables pour les finances publiques.

J’en profite d’ailleurs pour saluer le travail effectué par le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, qui a permis d’aboutir, sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, à un texte commun à l’issue d’une CMP conclusive. Je pense en particulier à la fin du verrou de Bercy, dont on voit l’efficacité – 85 % de transmissions supplémentaires au parquet –, ou au plaider-coupable, qui nous a permis de régler des contentieux très importants avec les entreprises qui ne payaient pas le juste impôt dans notre pays.

Il faut désormais aller encore plus loin. À la demande du Premier ministre, j’ai saisi au bond la balle lancée par le Sénat en matière de lutte contre la fraude à la TVA applicable au e-commerce, fraude à la fois massive et méconnue.

Mme Nathalie Goulet. Absolument !

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous souhaitons également, à partir de 2021, rendre les plateformes redevables de la TVA, en lieu et place du vendeur ou de l’importateur,…

M. Philippe Dallier. Bonne idée !

M. Gérald Darmanin, ministre. … dès lors qu’elles facilitent les transactions ; nous prévoyons d’établir une liste noire des plateformes non coopératives, où seront inscrites celles qui ne respectent pas leurs obligations.

M. Jérôme Bascher. Très bien !

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous allons permettre à l’administration de demander aux entrepôts logistiques des informations sur la provenance et la destination des colis, comme l’ont fait nos amis Britanniques.

Comme l’Espagne ou l’Italie, nous mettrons également en place la facturation électronique – cela évitera la fraude à la TVA – d’ici à 2023, afin notamment de laisser aux PME le temps de s’organiser. Le Gouvernement tient particulièrement à cette disposition, qui permettra sans doute de répondre aux interrogations de la Commission européenne. Cette dernière estime à plus de 10 milliards d’euros la fraude à la TVA pour la France. Nous savons tous que la fraude est un coup de poignard au pacte républicain.

Nous travaillerons sur la liste des États non coopératifs en cas d’évasion fiscale. Nous proposerons une disposition très intéressante sur la domiciliation fiscale des dirigeants, qui entraînera sans doute un certain nombre de discussions. Cette disposition est conforme à l’engagement du Président de la République. Payer ses impôts en France n’est pas honteux, bien au contraire ! La richesse étant créée en France, les dirigeants d’entreprise doivent payer leurs impôts en France.

L’article 57 du projet de loi de finances nous donnera l’occasion de débattre de l’utilisation de l’intelligence artificielle et des réseaux sociaux pour confondre les fraudeurs. Les discussions sur ce sujet ont été intéressantes et vives à l’Assemblée nationale, qui, à la quasi-unanimité, a souhaité encourager le Gouvernement à mener son expérimentation. J’imagine que nous aurons un débat similaire au Sénat sur les moyens donnés à l’administration fiscale pour lutter contre la fraude, comme l’ont fait d’autres pays, tels les États-Unis ou la Grande-Bretagne.

Enfin, nous simplifierons la vie des Français, notamment avec la suppression de la déclaration sociale des indépendants – aujourd’hui les indépendants font trois déclarations, demain ils n’en feront plus qu’une – ou la contemporanéisation des crédits d’impôt et des aides sociales, en particulier les APL, sans parler de la déclaration tacite pour l’impôt sur le revenu. Les Français ne rempliront plus leur déclaration de revenus comme ils le faisaient jusqu’à maintenant : cette simplification permettra d’éviter un certain nombre d’erreurs. Nous améliorerons par ailleurs notre fiscalité par la suppression de petites taxes et la rationalisation des dépenses fiscales inefficientes. Le Gouvernement est bien sûr à l’écoute des propositions du Sénat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de discuter de ce projet de loi de finances pour 2020 avec vous. C’est un projet de loi qui diminue le déficit, réduit les impôts, garantit la croissance, lutte contre la fraude fiscale, simplifie la vie des Français, réforme la fiscalité locale. (Exclamations amusées sur diverses travées.)

M. Jean Bizet. Le rêve !

M. Laurent Duplomb. On se demande pourquoi il y a des manifestations, finalement !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Pourquoi nous réunissons-nous ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Julien Bargeton. Vous êtes jaloux !

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous constatons que le chômage recule et que les impôts baissent. La politique fiscale du Gouvernement y est sans doute un peu pour quelque chose, monsieur le rapporteur général ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, Gérald Darmanin a ouvert la discussion de ce projet de loi de finances en rappelant l’historique. Il a souligné que c’est le troisième PLF qu’il a le plaisir de présenter. Que s’est-il passé à l’automne 2017, lors de l’examen du PLF pour 2018 ? Jean-François Husson avait alerté sur le risque qu’il y avait à prévoir de manière pluriannuelle une augmentation de la fiscalité sur l’énergie, sans l’assortir d’aucune compensation pour les Français. À l’époque, il avait évoqué les « bonnets rouges ».

M. Jean Bizet. Il s’était trompé de couleur ! (Sourires.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Son seul tort a effectivement été de se tromper de couleur et de vêtement : nous avons finalement eu droit aux « gilets jaunes » !

Quoi qu’il en soit, vous n’avez pas écouté le Sénat, messieurs les ministres. Il en fut de même lors de l’examen du PLF pour 2019, au cours duquel Sénat avait supprimé cette hausse de la fiscalité que les Français ne pouvaient pas supporter. Ils commençaient déjà à manifester, mais, là encore, vous avez été sourds et aveugles. Finalement, dans la douleur, à la dernière minute, vous avez été conduits à accepter la proposition du Sénat.

Je forme donc le vœu, à cet instant, que le Gouvernement soit davantage à l’écoute du Sénat. Nous n’en serions pas là si les messages que nous vous avons envoyés sur la CSG des retraités, la fiscalité de l’énergie et bien d’autres sujets avaient été entendus.

Le présent projet de loi de finances comporte des baisses d’impôts, c’est vrai, mais aussi un certain nombre de hausses, notamment en ce qui concerne l’énergie. Nous serons appelés à en discuter lundi.

À mi-quinquennat, le bilan, du point de vue des finances publiques, n’est pas très brillant. Vous avez avancé des chiffres, messieurs les ministres, mais la réalité, confirmée par des déclarations au plus haut niveau de l’État, est que le redressement des comptes publics est purement et simplement abandonné. La France vit à crédit et voit ses marges de manœuvre réduites, surtout dans l’hypothèse d’une nouvelle crise.

Vous me direz que mes propos ne sont guère différents de ceux que je tenais à l’été, lors du débat d’orientation des finances publiques. C’est parce que les grandes masses n’évoluent guère. Vous vous félicitez de vos prétendus « bons résultats », mais plusieurs éléments peuvent nous inquiéter à ce stade.

Tout d’abord, si le scénario macroéconomique paraît cette année encore constituer une base crédible pour construire le budget, il est entouré de fortes incertitudes, comme vous l’avez vous-mêmes reconnu.

Vos hypothèses de croissance sont revues à la baisse, du fait notamment du faible dynamisme du commerce extérieur. Après 1,4 % en 2019, la hausse du produit intérieur brut serait limitée à 1,3 % en 2020 comme en 2021, contre une prévision de 1,4 % annoncée dans le cadre du débat d’orientation des finances publiques.

Le scénario de remontée des taux d’intérêt est significativement revu à la baisse par rapport au programme de stabilité d’avril, dont nous avions souligné le caractère conservateur. Toutefois, vous restez très prudent sur ce point, avec l’anticipation d’une remontée du taux de l’OAT à dix ans à 0,7 % en fin d’année 2020. Très concrètement, cela signifie sans doute que vous espérez qu’une « bonne nouvelle » surviendra une nouvelle fois en exécution sur ce plan.

Cependant, de nombreuses incertitudes, notamment d’ordre macroéconomique, pèsent sur votre scénario de croissance. Je pense, en particulier, au Brexit, à l’importante montée des tensions protectionnistes ou encore au risque de ralentissement en zone euro.

Si l’on teste la sensibilité de votre trajectoire budgétaire aux hypothèses macroéconomiques sous-tendant les prévisions les plus pessimistes, il apparaît que le niveau du déficit se trouverait dégradé à hauteur de 0,5 point de PIB en 2020. Sur le plan de l’endettement, nous dépasserions le seuil fatidique des 100 % du PIB, et ce dès 2020 !

Malheureusement, il apparaît clairement que, au lieu de vous montrer prudents, vous avez abandonné toute ambition de redresser les comptes publics, au risque de rendre l’économie française plus vulnérable. Les chiffres sont là : le solde public devrait présenter un déficit de 2,2 % pour 2020, quand le programme de stabilité, qui remonte à seulement dix-huit mois, visait un déficit de 0,9 % du PIB ! Pis encore, alors que, à l’horizon du quinquennat, le Gouvernement anticipait un solde public excédentaire de 0,3 % du PIB, il prévoit désormais un déficit de 1,5 % du PIB à cette même échéance. On a donc un peu de mal à vous croire quand vous affirmez que vous tiendrez votre objectif.

D’ailleurs, la forte baisse du déficit prévue pour l’an prochain – celui-ci passerait de 3,1 % du PIB à 2,2 % – s’explique entièrement par la conjoncture et le contrecoup de la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE. Si l’on considère le solde structurel, c’est-à-dire non lié à la conjoncture, prévu pour 2020, on s’aperçoit qu’il est strictement identique à celui attendu pour 2019 !

En réalité, depuis le début du quinquennat, le Gouvernement a profité de la conjoncture et de la baisse des taux pour réduire le déficit nominal, sans produire d’effort structurel.

En ce qui concerne l’endettement, il est prévu à 98,7 % du PIB, avec une réduction de seulement 0,7 point de PIB, soit un niveau dix fois inférieur à celui attendu dans le cadre du programme de stabilité de 2018 !

Alors que la France, l’Allemagne et les Pays-Bas étaient endettés à des niveaux comparables en 1998, à savoir 60 % du PIB, l’écart d’endettement devrait atteindre 54 points de PIB entre la France et les Pays-Bas et 47 points de PIB entre la France et l’Allemagne d’ici à la fin du quinquennat. La France a donc continué à s’endetter, contrairement à ses deux voisins.

Selon le Gouvernement, cette absence d’amélioration de la situation structurelle des comptes publics s’expliquerait par la nécessité de financer les mesures de diminution des prélèvements obligatoires. Hélas, cette thèse résiste mal à l’analyse. En effet, l’effort de maîtrise de la dépense est finalement aussi faible que sous le précédent quinquennat, une fois la diminution de la charge de la dette neutralisée.

Cette stratégie budgétaire, que l’on peut qualifier d’attentiste et de peu ambitieuse, n’est pas exempte de risques, tant sur le plan politique que sur le plan économique.

Sans surprise, la nouvelle Commission européenne a confirmé nos craintes, estimant que les prévisions budgétaires de la France pour 2020 présentaient « un risque de non-conformité » avec les règles européennes.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Effectivement, le scénario budgétaire gouvernemental n’a jamais été aussi éloigné de ces règles !

Cher Bruno Le Maire, lors de l’examen du PLF pour 2018 – là encore, cela ne remonte pas à la préhistoire ! –, vous aviez pourtant affirmé : « La France qui se moque de ses engagements européens, c’est fini ! La France qui balaie d’un revers de la main les critiques de ses partenaires européens, c’est fini ! […] La France qui ne se soucie pas de la bonne tenue de ses comptes publics, c’est fini ! »

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Il faut se méfier des verbatim !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Comment voulez-vous être crédible quand vous demandez à nos voisins Allemands de dépenser plus si la France ne respecte pas ses engagements européens et ne tient pas ses promesses a minima ?

On pourrait se dire que tout cela n’est finalement pas si grave et que l’on n’a pas à se fixer des objectifs si rigides. Le Président de la République ne disait-il pas lui-même que la règle des 3 % était « d’un autre siècle » ?

Mais la réalité est tout autre : la France est un pays très endetté. En cas de crise, elle ne pourrait pas compter sur l’arme monétaire, qui a déjà été très largement utilisée, ni sur l’arme budgétaire, car on ne prête pas à un pays endetté à hauteur de 100 % du PIB comme à un pays endetté à moins de 60 %, comme l’Allemagne. Vous jouez donc avec le feu !

L’on constate aussi que les efforts en termes de maîtrise de la dépense sont principalement supportés par la sphère sociale et surtout par la sphère locale. Là encore, les chiffres sont parlants : le déficit prévisionnel pour l’État s’établit à 93 milliards d’euros, avec une amélioration de 3 milliards d’euros permise par une hausse spontanée des recettes qui permet de « couvrir » une augmentation de 7,7 milliards d’euros de la norme de dépenses pilotables et des investissements d’avenir ; la dette négociable de l’État, elle, devrait s’alourdir de 81 milliards d’euros pour atteindre 1 915 milliards d’euros, sans compter la reprise par l’État d’une partie de la dette de SNCF Réseau.

Le poids du besoin de financement de l’État est considérable, puisque vous prévoyez d’émettre l’an prochain un montant record de 205 milliards d’euros d’OAT : pour la première fois, l’État empruntera sur les marchés une somme supérieure aux recettes qu’il tire de la TVA et de l’impôt sur le revenu. Un tel scénario est-il soutenable ? Actuellement oui, au regard des marchés, mais quid en cas de retournement de conjoncture ?

Les dépenses des ministères dépassent tous les objectifs fixés précédemment. Vous affirmez que les dépenses sont inférieures à ce qui était prévu en loi de finances initiale : c’est exact, mais vous oubliez de dire que la cible fixée était nettement plus élevée que celle prévue un an plus tôt par la loi de programmation des finances publiques. Le nouveau triennal que vous proposez au travers du PLF pour 2020 s’écarte ainsi de 8 milliards d’euros des objectifs fixés dans la loi de programmation des finances publiques.

Seule la mission « Cohésion des territoires » connaît une baisse significative de crédits, sous l’effet du report à l’an prochain du versement contemporain des aides au logement, mais aussi grâce à une vieille ficelle, que Philippe Dallier dénoncera sans doute, je veux parler du prélèvement opéré sur la trésorerie d’Action logement.

Cette totale déconnexion entre l’évolution des dépenses et la trajectoire fixée en loi de programmation se traduit, au niveau des crédits des missions, par de forts dépassements.

L’abandon des ambitions du Gouvernement n’est nulle part aussi patent qu’en matière d’objectifs de réduction des effectifs de l’État. Alors que vous vous étiez fixé un objectif de diminution de 50 000 emplois, celui très modeste de 1 600 emplois supprimés en 2018 n’a pas été atteint. Pour 2020, l’objectif se réduit à 47 emplois supprimés… Vous auriez aussi bien pu nous en communiquer la liste ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) J’ajoute que seuls les opérateurs de l’État sont concernés, ce dernier voyant ses effectifs augmenter !

Lors de l’examen de la loi de programmation des finances publiques, Gérald Darmanin avait affirmé des ambitions auxquelles nous pouvions souscrire. Elles sont aujourd’hui abandonnées. Le ministre indiquait que la trajectoire alors définie avait « le mérite de la clarté, qu’il s’agisse des équivalents temps plein d’agents publics ou des crédits budgétaires : il faut dépenser moins d’argent public et le dépenser mieux ». Nous sommes aujourd’hui très loin du compte !

Le projet de loi de finances qui nous est parvenu de l’Assemblée nationale comprend pas moins de 200 articles, d’importance inégale.

Certes, vous réduisez la pression fiscale sur les ménages, avec notamment la réforme de l’impôt sur le revenu, mais vous revenez aussi, encore une fois, sur vos engagements dans un objectif de pur rendement.

La pente de l’impôt sur les sociétés est révisée pour la seconde fois en moins d’un an, ce qui laisse à penser qu’il sera bien difficile d’atteindre réellement le taux de 25 % en 2022. Surtout, la création de nouvelles taxes et une fiscalité prétendument écologique cachent la recherche de nouvelles recettes. Nous sommes très loin du « verdissement » du budget annoncé pour l’an prochain !

Le Sénat a à cet égard une position simple : une fiscalité environnementale ne sera pas acceptée si son seul objectif est de rapporter des recettes à l’État ; elle ne doit pas se tromper de cible et viser des secteurs économiques de première importance ; elle doit surtout être juste et prendre en compte les contraintes qui pèsent sur certaines catégories de personnes et sur certains territoires, en particulier les zones rurales ; enfin, les pouvoirs publics doivent être en mesure de rendre clairement compte de l’utilisation de son produit.

J’achèverai mon propos en abordant la réforme de la fiscalité locale inscrite à l’article 5. Je ne reviendrai pas sur la suppression complète de la taxe d’habitation, que nous n’approuvons pas, mais l’application du schéma de compensation financière nous paraît prématurée. C’est la raison pour laquelle la commission des finances souhaite le décalage d’un an de l’entrée en vigueur de la réforme. Aujourd’hui, de votre propre aveu, celle-ci ne fonctionne pas : elle aurait notamment des conséquences totalement délirantes en matière de calcul du potentiel fiscal. Plutôt que de voter une réforme à l’aveugle, non accompagnée de simulations, nous préférons essayer d’en corriger les effets et d’en mesurer les conséquences, quitte à en différer l’entrée en vigueur. C’est tout le contraire de ce que vous nous proposez. Le délai supplémentaire proposé par le Sénat nous permettrait de mieux apprécier les effets de cette réforme. Ce décalage dans le temps permettrait notamment au Gouvernement de faire tourner « à blanc » sa réforme. Nous proposerons donc lundi après-midi un certain nombre d’amendements en ce sens.

Nos amendements, messieurs les ministres, sont raisonnables. Ils relèvent non pas d’une opposition systématique, mais d’une volonté de parvenir à des dispositions équilibrées. Je pense notamment à la fiscalité sur l’énergie. Je ne vous adresserai qu’un seul message, inspiré par l’expérience de ces deux dernières années : si vous voulez que le pays se porte mieux, écoutez le Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen en séance publique du projet de loi de finances pour 2020, après un long temps de travail en commission.

Je veux souligner, en préambule, l’implication de mes collègues de la commission des finances, du rapporteur général et des rapporteurs spéciaux, qui, depuis plusieurs semaines, étudient en détail les mesures budgétaires et fiscales de ce projet de loi de finances pour forger leurs convictions. Ils ont ainsi entendu 488 personnes au cours de plus de deux cents heures d’audition, la commission y consacrant plus de quarante heures de réunions plénières. Les commissions saisies pour avis ont également conduit des auditions diverses, en particulier ministérielles. Tout ce travail préparatoire sera particulièrement utile pour éclairer nos débats, dans le respect du délai constitutionnel contraint de vingt jours.

J’en viens à quelques observations sur ce projet de loi de finances.

Il faut tout d’abord considérer qu’il s’inscrit dans un contexte de ralentissement économique marqué. Alors que la croissance avait atteint 2,3 % en 2017, elle ne serait plus que de 1,4 % en 2019 et de 1,3 % l’an prochain. De plus, les incertitudes tant internationales qu’européennes, avec la perspective du choc lié au Brexit – sans parler des risques internes liés à d’éventuels conflits sociaux, comme notre pays a pu en connaître avec la crise des « gilets jaunes » et comme il s’en profile encore –, pèsent incontestablement sur cette prévision de croissance. Elles devraient nous inciter à la prudence, tant un retournement de conjoncture exposerait nos finances publiques.

Or, de la prudence, ce projet de loi de finances en manque considérablement. Il ne laisse aucune marge de manœuvre en cas d’évolution négative du contexte économique national, européen ou mondial.

Comme je l’ai déjà souligné, le Gouvernement s’écarte de la loi de programmation des finances publiques qu’il avait fait adopter à l’automne 2017 et choisit de ne pas la réviser pour ne pas souligner l’ampleur de ses renoncements et son manque d’ambition pour nos finances publiques.

Malgré des taux d’intérêt très bas, qui allègent considérablement la charge de la dette – elle devrait diminuer de 3 milliards d’euros en deux ans –, l’endettement public frôlera les 100 % du produit intérieur brut en 2020, à rebours de la réduction qui avait été annoncée. C’est donc un budget de renoncement, puisque l’objectif de retour à l’équilibre de nos comptes publics pour la fin du quinquennat est définitivement abandonné.

Nous ne respectons pas non plus le minimum de redressement demandé par nos partenaires européens. L’effort structurel est réduit à néant, le Président de la République estimant d’ailleurs que la règle des 3 % du PIB pour notre déficit public relève d’« un débat d’un autre siècle », sans toutefois indiquer quel est son objectif dans ce domaine. Paradoxalement, la France appelle son principal partenaire européen, l’Allemagne, à renoncer à ses objectifs d’équilibre budgétaire, sans s’engager sur ses propres efforts de redressement et sans témoigner de son sérieux budgétaire.

Le Gouvernement, qui se targuait, à l’été 2017, d’engager un mouvement sans précédent de baisse de la dépense publique et de réduire les effectifs de l’État de 50 000 postes a dû finalement se confronter à la dure réalité et aux contraintes de l’exercice. Nos concitoyens demandent un véritable socle de services publics, de présence de l’État dans les territoires et de solidarité nationale. Après un budget pour 2019 présenté comme le « budget du pouvoir d’achat », dont on a vu qu’il correspondait bien mal à cet affichage, le budget pour 2020 est surtout celui du renoncement et du statu quo en matière de déséquilibres !

Le Gouvernement a en effet dû renoncer à nombre de baisses de dépenses qu’il avait envisagées. Pour autant, les dépenses sur lesquelles il choisit d’agir concernent d’abord les politiques sociales, notamment les contrats aidés, le logement social et les aides au logement, ou encore – pour sortir du strict champ de l’État – l’assurance chômage. Seules des manifestations d’ampleur l’amènent à répondre aux demandes sociales au cas par cas, de manière brouillonne et improvisée, comme on a pu le constater avec l’annonce, hier même, d’un prétendu plan Hôpital. Aucune vision d’ensemble n’est en fait proposée.

Dans le même temps, s’il ne parvient pas à tenir les objectifs de maîtrise de la dépense qu’il avait lui-même fixés, le Gouvernement n’a pas renoncé à baisser les impôts, mais il entend le faire à crédit, en alourdissant le déficit budgétaire ou en espérant des recettes budgétaires des procédures de privatisation d’entreprises publiques – Aéroports de Paris ou Française des jeux – qui, demain, ne produiront donc plus de dividendes pour l’État. On privilégie des intérêts de court terme au détriment des intérêts de long terme de la Nation.

Les baisses d’impôts ont visé par priorité les entreprises et les ménages les plus aisés, sans que l’on puisse estimer l’impact de ces mesures, pourtant coûteuses, sur l’activité économique et l’emploi.

J’ai conduit, avec le rapporteur général, une étude sur la réforme de la fiscalité du capital, dont il ressort que rien ne permet de mesurer le fameux « ruissellement » qui devait découler de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), voire de la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU).

M. Julien Bargeton. Ça fonctionne pourtant !

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Au total, les contribuables les plus fortunés auront nettement profité de ces réformes sans rien donner en retour. Même en prenant en compte les mesures post-« gilets jaunes », une étude de l’Institut des politiques publiques sur l’effet cumulé des budgets 2018-2020 montre qu’il n’y a eu aucun gain, ou presque, pour les 20 % les plus pauvres, mais qu’il y a eu une hausse de 4 % des revenus disponibles pour le premier centile des contribuables les plus riches. Ce mardi, l’Insee vient de faire paraître une note qui confirme cette analyse.

Je proposerai de revenir sur ces réformes néfastes, sans rétablir tel quel le système fiscal antérieur, mais en le modernisant pour qu’il réponde à l’objectif d’équité fiscale auquel nos concitoyens sont très attachés. Tous les contribuables, y compris les plus aisés, doivent participer à la solidarité nationale.

La suppression de la taxe d’habitation, qui concernera, à terme, tous les ménages, ne changera pas la situation pour les redevables les plus modestes, qui en étaient, pour bon nombre d’entre eux, exonérés. Selon les données fournies par le ministère de l’économie et des finances lui-même, la suppression de la taxe d’habitation pour les 20 % des ménages les plus aisés représentera par ailleurs, à elle seule 44,6 % du coût de la réforme, qui s’élève à 17,6 milliards d’euros !

En revanche, cette réforme non financée risque de mettre en péril les recettes de nos collectivités territoriales, qui demandent des garanties sur la pérennité de leurs ressources et une réelle étude de l’impact de ces mesures. Nous en reparlerons lors de la discussion de l’article 5.

Enfin, nous attendons du Gouvernement qu’il définisse une stratégie en matière de fiscalité environnementale. Entre la renonciation précipitée à la trajectoire de hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui faisait porter un coût excessif sur les ménages, notamment les plus modestes, comme nous étions nombreux ici à le souligner, pour ne pas dire à le dénoncer, et les dernières péripéties concernant la fiscalité des biocarburants, le Gouvernement n’a pas établi de ligne claire sur ce point. Nous espérons que les débats sur la première partie du PLF seront l’occasion de le faire et, de façon plus générale, de rapprocher nos dispositifs fiscaux du double objectif d’équité sociale et d’utilité dans l’action publique que toute loi de finances se doit, me semble-t-il, de poursuivre. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Organisation des travaux

Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Savoldelli, Bocquet et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° I-639.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2020.

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour la motion.

M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, si nous avons déposé cette motion tendant à opposer la question préalable, ce n’est pas pour empêcher le débat. (Exclamations amusées sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ça revient à ça !

M. Pascal Savoldelli. C’est parce que le projet de loi qui nous est présenté relève, selon nous, d’une profonde insincérité politique – je pèse mes mots – à l’égard de nos concitoyens et de leurs aspirations. Les choix politiques lourds qu’il opère sont esquivés. Cette question préalable, c’est le peuple qui vous la pose, messieurs les ministres !

Alors que notre pays a connu une année de mouvements sociaux inédits, le Gouvernement n’en tient nullement compte dans son projet de loi de finances. S’il entend les revendications populaires qui s’expriment à travers le pays, ce n’est que pour mieux les dévoyer !

Alors que les associations féministes demandent un budget de 1 milliard d’euros pour lutter contre les violences que les femmes subissent et pour assurer une réelle égalité, la majorité discute autour d’un Grenelle à faible portée tout en réduisant les crédits du programme « Égalité entre les femmes et les hommes » !

M. Pascal Savoldelli. Tandis que les étudiants alertent sur leurs conditions de vie exécrables, le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche va baisser pour la première fois depuis 2008,…

M. Stéphane Piednoir. Ce n’est pas vrai !

M. Pascal Savoldelli. … alors même que le nombre d’étudiants augmente.

Alors que les « gilets jaunes » ont fait part de leur ras-le-bol à l’égard d’une fiscalité injuste pour des services publics qui s’amoindrissent comme peau de chagrin, le Gouvernement répond par un jeu de dupes, en pensant calmer la colère sociale.

Si le projet de loi de finances prévoit une baisse de l’impôt sur le revenu, payé par seulement 50 % de nos concitoyens, la TVA, qui est l’impôt le plus injuste et représente pourtant 50 % des recettes du budget de l’État, ne bouge pas. Pour qui la fin du mois commence bien trop souvent le 15, ces 20 % de taxes, ce sont autant de repas qui leur sont retirés de la bouche, autant de jours passés dans le froid, faute de pouvoir payer les factures. À cette détresse que le Gouvernement semble ignorer, aucune réponse n’est apportée !

Alors que la diminution de la TVA sur les produits de première nécessité et les biens alimentaires, la baisse des tarifs de l’énergie auraient pu répondre à cette urgence vitale pour nombre de familles, le Gouvernement continue d’appliquer les mêmes recettes injustes et délétères pour les classes populaires.

Alors que le Président de la République s’est pris de bons sentiments pour nos banlieues après avoir vu le film Les Misérables, il divise par deux les crédits du Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) ! Pourtant, le tissu associatif joue un rôle crucial pour nombre de nos jeunes, en leur offrant soutien scolaire, accès au sport ou à la culture. Il a permis l’émergence de nombreux sportifs et artistes. Si le Président était attentif aux banlieues, au-delà des deux secondes d’émotion suscitées par le visionnage d’un film, il aurait trouvé chez un artiste comme Kerry James une référence utile pour résumer sa politique : « Incapables de voir loin, on veut pas le bien, quitte à détruire l’intérêt commun. »

Et quel manque de vision à long terme ! Les prétendues baisses d’impôts en faveur des plus modestes que le Gouvernement concède seront en réalité financées grâce aux taux d’intérêt négatifs auxquels l’État emprunte, qui lui permettent de récupérer 1,6 milliard d’euros. Ce que le Gouvernement donne aujourd’hui, il le reprendra donc demain pour financer la hausse de la charge de la dette.

Alors qu’ont surgi sur le devant de la scène la pauvreté et les difficultés dans nos campagnes ainsi que dans les zones périurbaines, le Gouvernement n’en tient nullement compte. Les prix de l’énergie continuent d’augmenter et les petites lignes de trains de fermer ; 200 000 personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté… Lorsque la misère n’est pas sublimée par l’art, elle reste invisible aux yeux du Gouvernement.

M. François Bonhomme. Que c’est beau !

M. Pascal Savoldelli. Je n’aborderai même pas la question écologique, tant l’absence d’ambition est criante au vu des enjeux et de l’urgence.

Face à ces politiques de casse des solidarités, d’affranchissement des riches de l’effort commun et de pressurage des classes populaires, nos villes et nos départements sont devenus les derniers remparts contre l’épanouissement d’un libéralisme destructeur.

Au travers de ce projet de loi de finances, avec la suppression de la taxe d’habitation, le Gouvernement avance ses pions en vue de la mise au pas des collectivités locales. Lors de l’ouverture du Congrès des maires de France, Emmanuel Macron a fustigé l’autonomie fiscale des collectivités territoriales, arguant qu’elle n’existe pas dans les pays voisins. Mais si les collectivités locales françaises devenaient de simples guichets de l’État, qu’en serait-il des centres de santé, des bibliothèques, du logement social, des équipements sportifs et culturels, en bref de tout ce qui fait la vie au quotidien ?

Le progrès social et humain, ce n’est pas le projet de ce gouvernement. Son projet, c’est la transformation libérale de l’État à tous les échelons, y compris locaux, et notamment municipal.

Après la baisse de la dotation globale de fonctionnement (DGF) attribuée aux communes, passée de 41 milliards d’euros en 2013 à 26 milliards aujourd’hui, après la loi NOTRe en 2016,…

M. Philippe Dallier. Merci Hollande !

M. Pascal Savoldelli. … après la mise en place du contrat de Cahors, qui place sous tutelle les communes les plus importantes en contraignant leur budget de fonctionnement, la suppression de la taxe d’habitation opère une nouvelle mise au pas des collectivités.

Cette taxe permettait pourtant de développer des politiques de solidarité. Elle offrait aux municipalités la possibilité de mettre en place des politiques redistributives grâce à un impôt progressif et de développer les services municipaux. Mais, en plus d’entraver les communes par une chaîne supplémentaire, le Gouvernement les arnaque. Le mécanisme de compensation, fondé sur les recettes de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), est quasiment illisible. La compensation sera en outre calculée par référence aux taux de 2017, alors qu’ils ont augmenté depuis.

Sur ce sujet encore, outre cette arnaque, le Gouvernement fait preuve d’une profonde malhonnêteté politique à l’égard de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Faire croire que l’on peut leur accorder un cadeau fiscal de cette ampleur sans que cela emporte de conséquences, c’est déjà fort ; faire croire que c’est une mesure de justice sociale, ça l’est encore plus !

Discrètement mais sûrement, l’exonération de la taxe d’habitation a été étendue aux 20 % des ménages les plus riches. Ainsi, 45 % du coût total de la suppression de la taxe d’habitation profitera à ces 6,3 millions de foyers qui n’en ont pas besoin, tandis que les 16 % de foyers les plus modestes, qui ne payent déjà pas la taxe d’habitation, risquent d’être les plus touchés par la casse des services publics consécutive à cette réforme. En effet, l’État devra trouver des budgets à amputer pour compenser sa participation à la réforme de la fiscalité locale.

Si le Gouvernement, au fil des lois qu’il présente, avance masqué, c’est pour mieux cacher ses véritables ambitions quant au devenir des collectivités locales. En les mettant sous tutelle, son objectif est en réalité d’infliger aux collectivités la même transformation qu’il est en train d’appliquer à l’État central : une destruction de l’État social au profit d’un État réduit à un simple lieu d’administration des affaires du CAC 40, le tout piloté par des hauts fonctionnaires passant du privé au public, et vice versa.

Le dernier acte de ce jeu de dupes interviendra – comme par hasard ! – après les élections municipales, lorsque la ministre Jacqueline Gourault viendra proposer son projet de métropolisation, visant à fondre les collectivités dans des machines bureaucratiques à la démocratie réduite, qui pourront se « différencier » – c’est le troisième « D » de la loi « 3D » – pour mieux se concurrencer.

Ce choix de société est lourd de sens. C’est le choix d’une société dans laquelle la concurrence de chacun avec tous cimente les rapports humains et le darwinisme social détermine le devenir des individus, au détriment d’une société où la solidarité est le socle de ces mêmes rapports.

Par de basses tactiques politiciennes, le Gouvernement esquive le débat et tente d’imposer ses choix. Notre démocratie mérite mieux que cela. Nous ne pouvons pas discuter d’un projet de loi qui opère des choix de société aussi lourds sans jamais réellement les aborder.

Les miettes lâchées tantôt aux étudiantes et aux étudiants, tantôt aux personnels hospitaliers, tout en tentant de les diviser, confirment l’extrême fragilité d’un gouvernement qui demeure minoritaire, acculé par la contestation sociale, et qui tente d’imposer ses choix à l’ensemble de la société.

Nous en sommes convaincus, nous sommes en présence d’un régime en bout de course qui nous conduit au désastre. Pour offrir à notre société une issue positive, nous espérons que vous voterez cette motion tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi de finances pour 2020, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE et sur quelques travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. Personne ne demande la parole contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Notre collègue a dit que cette motion n’est pas destinée à nous priver de débat. Pourtant, ce serait la conséquence directe de son adoption, par simple application de l’article 44, alinéa 3, du règlement du Sénat : il n’y aurait alors pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2020.

M. Jean Bizet. C’est automatique !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ce serait tout à fait dommage, car nous serions privés de débattre des plus de 1 200 amendements, dont un certain nombre émanant du groupe CRCE, qui ont été déposés.

Vous venez, mon cher collègue, de faire état d’un certain nombre de prises de position et de propositions, que nous partagerons peut-être concernant par exemple la taxe d’habitation. Il serait tout à fait regrettable d’être privés de l’exposé des excellentes propositions du groupe CRCE et des autres groupes du Sénat !

Pour cette raison, la commission des finances est défavorable à cette motion tendant à opposer la question préalable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous souhaitons nous aussi pouvoir débattre du projet de loi de finances.

Monsieur le sénateur, je voudrais corriger quelques contrevérités flagrantes que vous avez exprimées. Vous ne manquez ni de talent ni de conviction ; il n’était pas utile de recourir à des affirmations totalement inexactes !

Vous avez dit à la tribune du Sénat que, pour la première fois depuis 2008, les crédits consacrés à la recherche, à l’université et à la vie étudiante étaient en baisse. C’est totalement faux, puisque 500 millions d’euros de plus y sont consacrés ! (M. Stéphane Piednoir approuve.)

Mme Éliane Assassi. Pas pour les étudiants !

M. Bruno Le Maire, ministre. Les crédits augmentent pour eux aussi !

M. Gérald Darmanin, ministre. En effet, les crédits consacrés à la vie étudiante augmentent également. Ce n’est pas compliqué : tous les postes budgétaires relevant du ministère de Mme Vidal sont en augmentation ! On peut critiquer l’action du Gouvernement sans recourir à des contrevérités, que démentent tous les documents budgétaires à votre disposition.

Vous avez dit que le budget dont dispose Mme Schiappa était en baisse. C’est faux ! Ces crédits sont absolument au même niveau que l’année dernière.

Mme Éliane Assassi. Ils sont en baisse !

M. Gérald Darmanin, ministre. Non : je vous renvoie aux documents budgétaires issus de l’Assemblée nationale !

Vous avez ajouté, monsieur le sénateur, à la suite d’ailleurs de M. le président de la commission des finances, que les 20 % les plus aisés de nos concitoyens n’avaient pas besoin de la suppression de la taxe d’habitation. Je comprends donc que, selon vous, un célibataire dont les revenus s’élèvent 2 500 euros par mois est un contribuable très aisé…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Sous Hollande, oui !

M. Gérald Darmanin, ministre. En effet, un tel contribuable fait partie des 20 % ! On peut discuter de l’opportunité de supprimer la taxe d’habitation pour les 1 % ou 2 % de ménages les plus aisés. M. le rapporteur général a eu l’honnêteté intellectuelle de préciser que ce n’était pas, initialement, le projet du Gouvernement : c’est le Conseil constitutionnel, saisi de cette question notamment par le Sénat, qui s’est prononcé en faveur de la suppression intégrale de la taxe d’habitation.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Nous avions seulement évoqué le seuil de 2 500 euros !

M. Gérald Darmanin, ministre. Pour ma part, je ne considère pas que l’on est riche dès lors que l’on gagne plus de 2 500 euros par mois.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Moi non plus, mais au-dessous la suppression de la taxe d’habitation n’apporte pas de gain ! Sur ce point, vous ne répondez pas !

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas honteux, monsieur le président de la commission, mais vous défendez sur ce point la même position que M. Savoldelli ! Je le répète, je ne considère pas, quant à moi, que l’on est riche dès lors que l’on perçoit plus de 2 500 euros de revenus par mois. Je trouve légitime de supprimer la taxe d’habitation aussi pour les personnes qui bénéficient de tels revenus.

Pour ce qui concerne les collectivités locales, le contrat de Cahors a ses défauts et ses qualités, mais en tout cas jamais elles n’avaient investi autant qu’aujourd’hui. Il suffit, pour s’en convaincre, d’en discuter dans les territoires. C’est singulièrement vrai pour votre département, monsieur le sénateur. Les dépenses de fonctionnement doivent bien sûr être maîtrisées, mais l’investissement, public comme privé, est au rendez-vous comme jamais auparavant.

M. Stéphane Piednoir. Ce n’est pas vrai, monsieur le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Un certain nombre de contrevérités de fond ont été émises et des défauts d’opportunité ont été évoqués. C’est la politique, mais je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à étudier au fond ce projet de loi de finances.

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que chaque groupe n’a droit qu’à une prise de parole pour explication de vote.

La parole est à M. Thierry Carcenac, pour explication de vote.

M. Thierry Carcenac. Nous comprenons la position de nos collègues du groupe CRCE et partageons leur point de vue sur le manque d’ambition de la politique gouvernementale. Nous souhaitons cependant pouvoir débattre du projet de loi de finances, afin que chacun d’entre nous puisse s’exprimer.

Dans le passé, des motions tendant à opposer la question préalable ont été présentées,…

Mme Éliane Assassi. On en use sur toutes les travées !

M. Philippe Dallier. Pas au début de la première lecture, il ne faut pas exagérer !

M. Thierry Carcenac. … et leur adoption nous a fait regretter de ne pouvoir débattre des textes sur lesquels elles portaient.

Les amendements que nous proposerons permettront de vérifier qui veut davantage de justice fiscale et sociale, qui veut lutter contre l’accroissement de la richesse des plus aisés pour assurer une meilleure cohésion sociale. Le groupe socialiste et républicain ne suivra pas le groupe CRCE.

Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Je voudrais faire appel à la mémoire et à l’esprit de responsabilité de l’ensemble des sénatrices et des sénateurs.

Nous avons des divergences d’analyse et d’appréciation, mais nous avons des valeurs communes : le respect et l’écoute. Mes chers collègues, les propos que j’ai tenus sur la suppression de la taxe d’habitation ou de la TFPB ne reflètent pas la seule position du groupe communiste républicain citoyen et écologiste : nous avons scellé unanimement, dans cette enceinte, un principe extrêmement important pour l’État républicain mais aussi pour la démocratie communale, celui de l’autonomie fiscale des collectivités territoriales. Nous avons adopté tous ensemble, dans notre diversité, ce principe avec beaucoup de sincérité.

Mes chers collègues, que restera-t-il de l’autonomie fiscale des départements après qu’on leur aura retiré la taxe foncière sur les propriétés bâties ? Il s’agit d’une recentralisation ! En privant les communes du produit de la taxe d’habitation, on leur enlève leur autonomie fiscale et leur liberté d’administration ! Nous pouvons certes avoir un affrontement gauche-droite, mais il faut tout de même respecter la Constitution !

M. Laurent Duplomb. Il a raison !

M. Pascal Savoldelli. Les principes de la République unie et indivisible s’appliquent en haut comme en bas, à l’échelle de chaque commune, quelle que soit l’étiquette politique du maire !

Encore une fois, mes chers collègues, ce point de vue n’est pas seulement celui de mon groupe. Cette motion tendant à opposer la question préalable vient en fait du peuple : les électeurs, dans leur diversité, sont très attachés à ces principes, parce qu’il y a un lien intime entre démocratie et impôt.

Je trouve que le travail a été bâclé. Il n’est pas incorrect de parler d’insincérité politique, comme je l’ai fait. Ce gouvernement s’est livré à un tour de passe-passe.

Mme la présidente. Votre temps de parole est largement dépassé, mon cher collègue !

M. Pascal Savoldelli. On passe le CICE à la trappe, on remplace l’ISF par l’IFI et on augmente les exonérations sociales… (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.

M. Philippe Dallier. Bien évidemment, les sénateurs du groupe Les Républicains ne voteront pas cette motion. Je suis d’ailleurs certain que nos collègues communistes n’ont pas envie non plus qu’elle soit adoptée ! Ils souhaitaient simplement disposer de dix minutes de temps de parole supplémentaires, ce que l’on peut comprendre. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Nous devons discuter de ce projet de ce budget, car ce qui m’a frappé en écoutant les ministres puis le rapporteur général, c’est que l’écart n’a peut-être jamais été aussi grand entre l’autosatisfaction du Gouvernement et la situation décrite par Albéric de Montgolfier.

M. Laurent Duplomb. C’est vrai !

M. Philippe Dallier. C’est tout de même étonnant ! La situation est-elle vraiment si bonne que cela, messieurs les ministres ? À vous écouter, on a l’impression que ce projet de budget pour 2020 est magnifique, merveilleux… Franchement, quelqu’un ici pense-t-il sérieusement que tout va bien, eu égard à la crise sociale que connaît le pays et à la grève prévue le 5 décembre ?

On peut sans doute estimer que cela va un peu mieux que sous le quinquennat de François Hollande (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur des travées du groupe SOCR.),…

M. Julien Bargeton. Ça, c’est sûr !

M. François Bonhomme. Ce n’est pas difficile !

M. Philippe Dallier. … mais sommes-nous pour autant sur la bonne trajectoire pour redresser les finances publiques ? Vous voyez que je peux faire preuve d’honnêteté intellectuelle, monsieur le ministre !

L’écart est grand par rapport à ce qu’il faudrait faire pour redresser les finances publiques de ce pays. Il y a urgence ! Allez-vous assez vite et assez loin ? Selon nous, la réponse est non ! Voilà pourquoi nous pensons qu’il faut débattre de ce projet de budget.

Mes chers collègues communistes, nous serons très heureux de débattre avec vous, car oui, il y a matière à débat entre nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° I-639, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 40 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 16
Contre 324

Le Sénat n’a pas adopté.

Organisation des travaux

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Discussion générale

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Mes chers collègues, nous entamerons demain, à quatorze heures trente, l’examen des articles de la première partie du projet de loi de finances. Afin que vous puissiez vous organiser, je vous informe que, à la suite des souhaits exprimés par le Gouvernement et la commission des finances, celle-ci demandera demain, à l’ouverture de la séance, que ces articles soient examinés selon les modalités suivantes.

À l’ouverture de la séance de demain, vendredi 22 novembre après-midi, l’article 1er puis les articles 9 à 15, hormis l’article 13 bis – il s’agit donc des articles 9, 10, 11, 11 bis, 12, 13, 13 ter, 13 quater, 13 quinquies, 13 sexies, 13 septies, 13 octies, 13 nonies, 13 decies, 14 et 15 –, seraient examinés par priorité.

Samedi 23 novembre au matin seraient examinés les articles 2 à 5, hormis l’article 4. Il s’agit donc des articles 2, 2 bis, 2 ter, 2 quater, 2 quinquies, 2 sexies, 2 septies, 2 octies, 2 nonies, 3 et 5.

Le lundi 25 novembre après-midi seraient examinés les articles 4, 13 bis, 16, 16 ter, 17, 18, 19, 20, 28, 28 bis, 32 et 33.

Les autres articles seraient examinés dans l’ordre normal du dérouleur.

Ces demandes de priorité et de réserve seront formulées demain après-midi à l’ouverture de la séance. Elles concerneront également les amendements portant articles additionnels liés aux articles visés.

Discussion générale (suite)

Organisation des travaux
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Article liminaire

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Julien Bargeton. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. Julien Bargeton. Madame la présidente, messieurs les ministres, chers collègues, voilà un projet de budget qui prévoit de baisser les impôts, de réduire le déficit, de stabiliser la dette (M. Bruno Sido rit.) et de maîtriser la dépense, tout en respectant la demande de services publics de nos compatriotes. Je crois qu’il ne mérite pas d’être caricaturé comme il l’a été. Il me semble que la véhémence du ton employé est inversement proportionnelle à la portée des critiques.

Ce projet de budget pour 2020 prolonge et amplifie des réformes qui ont été lancées, à commencer par celle de la taxe d’habitation, qui était un engagement fort du Président de la République…

M. Philippe Dallier. Et hasardeux !

M. Julien Bargeton. … et représentera, je n’en doute pas, un « gros morceau » de nos débats. J’observe qu’elle est décriée et contestée avec virulence, mais pas au point de justifier le dépôt d’un amendement de suppression…

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il y a 1 200 amendements !

M. Julien Bargeton. Je n’en ai vu aucun tendant à rétablir la taxe d’habitation !

Nous aurons ce débat de façon approfondie, mais ce que voulaient les maires, c’était…

M. Stéphane Piednoir. L’autonomie !

M. Julien Bargeton. … un impôt local, aux bases dynamiques, la liberté de fixer les taux, la compensation à l’euro près. Or tout cela figure dans le texte !

Le groupe La République en Marche se réjouit du pouvoir d’achat supplémentaire que confère la suppression de la taxe d’habitation, notamment en Vendée, monsieur le président Retailleau, votre département étant en effet, d’après les études récentes, celui qui bénéficie le plus, proportionnellement, de l’augmentation du pouvoir d’achat par ménage liée à cette suppression.

M. Bruno Retailleau. Merci d’avoir pensé à la Vendée ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Délicate attention !

M. Julien Bargeton. Autre réforme poursuivie, la baisse des impôts : l’impôt sur le revenu diminuera de 5 milliards d’euros, le taux de l’impôt sur les sociétés passera à 25 % d’ici à 2022, les heures supplémentaires seront défiscalisées. Cela représente un point de PIB en moins depuis deux ans, soit davantage que ce qui était prévu dans la loi de programmation des finances publiques : nous sommes loin du contre-choc fiscal de la période 2011-2014, durant laquelle les prélèvements avaient augmenté de près de 65 milliards d’euros.

La baisse des impôts a contribué à la diminution du chômage et à la création de 540 000 emplois. Je considère que cette trajectoire est la bonne.

Cette réduction des impôts est en outre indispensable pour affermir le consentement à l’impôt, qui a connu une crise avec le mouvement des « gilets jaunes ». Nous ne sommes d’ailleurs pas le seul pays à connaître une telle crise, qui se manifeste actuellement du Liban au Chili. Le message est le suivant : les classes moyennes ont le sentiment – c’est d’ailleurs une réalité – qu’ils paient beaucoup, que le travail n’est pas assez rémunéré et que certains échappent à l’impôt.

Pour que l’impôt soit mieux accepté, il doit être réduit et contrôlé. C’est pourquoi la baisse de l’impôt et la lutte déterminée contre la fraude fiscale vont de pair. Le consentement à l’impôt est l’un des piliers de la République. Or ce pilier est fragilisé, il est en train de vaciller. Il faut donc le consolider. Le prélèvement à la source y contribue. Si j’étais excessivement taquin, je rappellerais le mal qui a été dit de cette réforme l’an dernier. D’aucuns disent que l’on n’écoute pas suffisamment le Sénat ; heureusement qu’on ne l’a pas suivi sur ce point, car le prélèvement à la source est un outil qui permet d’améliorer la rentrée des recettes.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. On paye juste plus d’impôts…

M. Julien Bargeton. Des outils, il en faut d’autres. Quant à moi, je n’ai pas de préventions à l’égard des dispositions du présent texte relatives à la lutte contre la fraude fiscale. Alors que les géants du numérique exploitent les données qu’ils recueillent, il ne faut pas que l’État baisse la garde.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est une idée du Sénat !

M. Julien Bargeton. Les géants du numérique ne doivent pas pouvoir faire ce qu’ils veulent. Il importe de « faire du judo » en la matière, tout en respectant bien sûr l’État de droit. Cela signifie utiliser la puissance des outils numériques et des réseaux sociaux pour lutter contre la fraude fiscale. De ce point de vue, je reconnais, monsieur le rapporteur général, que le Sénat a pleinement joué son rôle, en faisant notamment des propositions sur l’assujettissement des plateformes numériques à la TVA.

Apporter des recettes permet de réduire les déficits sans augmenter les impôts. J’ai entendu dire en sourdine, sur les travées de gauche de cette assemblée, qu’il fallait de nouveau recourir à cette vieille ficelle qu’est la hausse des impôts. Non, il faut non pas augmenter les prélèvements obligatoires, qui sont d’ores et déjà trop élevés en France, mais au contraire les diminuer de façon mesurée et progressive. Augmenter les impôts, fût-ce seulement pour les plus riches, n’est pas ce dont le pays a besoin, du point de vue de sa crédibilité, du respect de la parole donnée et de la cohérence de sa politique fiscale.

La cohérence doit également prévaloir en matière d’économies. On ne manquera pas de nous proposer, comme d’habitude, des mesures d’économies visant les agents publics et l’aide médicale d’État (AME). Alors que l’on demande davantage de concertation, de consultation et de respect des corps intermédiaires, la majorité sénatoriale propose de modifier d’un trait de plume le temps de travail des agents publics.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est la Cour des comptes !

M. Julien Bargeton. Il y a sans doute des économies à faire sur la masse salariale de l’État, mais comment peut-on vouloir changer l’ensemble de l’organisation du temps de travail dans la fonction publique sans même engager un dialogue préalable avec les organisations syndicales ? Ce n’est ni crédible, ni sérieux, ni réalisable ! On peut travailler cette question, mais sur des bases solides.

Pour ce qui concerne l’AME, la fraude existe, certes. Il faut la limiter, contrôler, mais sans en faire un totem ou un tabou. Il est illusoire de croire que les économies réalisées à ce titre résoudraient tous les problèmes de financement de l’État.

L’exigence de crédibilité vaut aussi pour les niches fiscales. On n’a de cesse de les dénoncer, au nom de la lutte contre le déficit, mais nos amendements, reconnaissons-le, visent souvent à créer ou à élargir des niches fiscales !

Certes, la fiscalité ne sera jamais un jardin à la française parfait. Pour autant, la jungle est suffisamment touffue pour que l’on n’ajoute pas de la complexité en déployant des trésors d’inventivité pour aboutir à réduire encore les recettes, et donc à creuser les déficits.

Cette crédibilité, c’est celle du Gouvernement, du Président de la République, mais pas seulement ! C’est aussi celle de notre pays à l’égard de l’Europe. Ce n’est pas Bruxelles qui contraint la France à redresser ses finances publiques, c’est la situation du pays. Nous avons besoin de stabiliser la dette, voire de la réduire. On critique le fait que le déficit s’établisse à 2,2 % du PIB, mais on ne dit jamais vraiment comment on pourrait aller plus vite ou plus loin. C’est justement au moment où le déficit est au plus bas depuis vingt ans que l’on peut discuter de la pertinence, du bien-fondé de la règle des 3 % ! C’est parce que l’on vise le respect de cette règle que l’on peut commencer à se demander si elle est appropriée au XXIe siècle, au moment où nous sommes confrontés au retrait stratégique des États-Unis en matière de défense, à l’urgence écologique, à la concurrence de la Chine dans le numérique. Dans ces trois domaines – la défense, le numérique, l’écologie –, n’y a-t-il pas des investissements puissants à faire au niveau européen, ce qui suppose de réfléchir au maintien de cette règle ? Cela signifie non pas qu’il ne faut pas continuer à maîtriser les déficits publics, mais simplement qu’il faut avoir le courage d’ouvrir ce débat dans le siècle que nous traversons.

Mes chers collègues, notre discussion doit être utile. Pour reprendre les mots d’Alfred Sauvy, « le but de la démocratie n’est pas de s’entendre mais de savoir se diviser ». Sur ce plan, je pense que nous sommes bien partis, mais ce débat doit permettre d’éclairer l’ensemble des enjeux et être à la hauteur des défis qui s’imposent à nous. Il y va de la crédibilité de notre pays, de la constance, de la cohérence et de la clarté de ses choix. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. M. Yvon Collin applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, ne disposant que de cinq minutes, je n’aborderai que deux sujets : la taxe d’habitation et le mécénat.

En ce qui concerne la taxe d’habitation, je suis bien conscient que mon intervention ne servira à rien (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.),…

M. Bruno Le Maire, ministre. Mais non !

M. Philippe Adnot. … dès lors que la haute administration, sûre de sa supériorité et figée dans ses certitudes, n’écoutera rien !

M. Bruno Sido. Alors on s’en va !

M. Philippe Adnot. Je le sais, l’affaire est entendue, il paraît qu’il s’agit de tenir un engagement de campagne. Je me permets juste d’alerter une nouvelle fois sur l’absurdité de la suppression de la taxe d’habitation, une absurdité qui coûtera cher à l’État, donc aux contribuables, et qui portera atteinte à l’autonomie des collectivités territoriales. C’est encore un cadeau fait à ceux qui paient une taxe d’habitation élevée !

Il aurait mieux valu prévoir un allégement forfaitaire pour tous les contribuables. La suppression de la taxe d’habitation coûtera 20 milliards d’euros chaque année. C’est une charge supplémentaire pour l’État, un déficit supplémentaire : c’est par l’emprunt que l’on trouvera la solution.

Ce faisant, vous avez surtout privé les collectivités locales d’un levier responsabilisant. Désormais, aucun maire ne pourra calmer les ardeurs dépensières de ceux qui n’auront plus à financer la satisfaction de leurs demandes par le paiement de l’impôt. Bien sûr, il restera les impôts fonciers, mais ceux-ci ne concernent pas tout le monde. La spécialisation de l’impôt dans les collectivités locales, c’est l’injustice garantie !

Vous n’avez pas réussi à supprimer les communes. Aussi avez-vous inventé une arme de destruction massive beaucoup plus dangereuse : la déresponsabilisation. L’État est impécunieux, il ne profite pas des taux bas pour investir via des dépenses structurelles à même de favoriser la relance ou de résoudre les différents problèmes de notre société. Pour l’instant, on utilise des artifices. Nous avons examiné hier la reprise par l’État de la dette de la SNCF. Cette reprise n’est bien sûr pas dramatique, puisqu’elle n’apparaîtra pas dans le déficit de l’État… Il n’empêche que c’est une dette certaine. Il n’est pas de bonne méthode de procéder ainsi.

Le traitement réservé au mécénat illustre à merveille l’absence de vision globale de nos élites comptables. Si l’on abaisse le taux de défiscalisation de 60 % à 40 % au-delà de 2 millions d’euros, l’État va certes gagner quelques millions d’euros, mais, pour prendre un exemple qui relève de l’exercice précédent, si les entreprises et les citoyens ne s’étaient pas mobilisés à la suite de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame, l’État, étant son propre assureur, aurait dû assumer l’intégralité des dépenses… Alourdir la fiscalité pour le mécénat est donc selon moi une mauvaise idée.

Il en va de même pour l’enseignement supérieur : de nombreuses chaires sont aujourd’hui financées par les entreprises, alors que leur financement relève normalement de l’État. On a fait croire que le régime fiscal ne changerait que pour les dons supérieurs à 2 millions d’euros, mais c’est le cumul des dons qui est pris en compte. Demain, il est vraisemblable qu’un certain nombre d’universités verront diminuer le financement de leurs chaires parce que les entreprises adopteront, comme le Gouvernement, une analyse comptable. Ce n’est pas de bonne méthode, alors que s’enclenchait en France une dynamique à l’œuvre dans tous les autres pays. Juste au moment où cette dynamique commençait à prendre chez nous, on la remet en cause !

J’approuve sans réserve la position de la commission des finances : pas d’application de la réforme de la taxe d’habitation tant qu’on n’en connaîtra pas les conséquences et qu’on ne disposera pas de toutes les évaluations nécessaires ; suppression de l’article relatif au mécénat, dont le dispositif méconnaît l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marie Mizzon applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà maintenant plus de deux mois que le Gouvernement fait assaut de communication pour vendre à l’opinion publique ce budget comme étant la réponse à la crise des « gilets jaunes ».

Cette crise n’est ni une simple saute d’humeur ni un coup de colère passager. Le mouvement des « gilets jaunes » est le produit de la crise sociale profonde que connaît notre pays depuis trop d’années. Le problème est ancien, donc, mais la politique que vous menez depuis deux ans et demi, messieurs les ministres, n’a fait qu’aggraver la situation.

Que nous dit ce mouvement ?

D’abord que nos concitoyens ne supportent plus de n’être ni entendus, ni compris, ni même parfois considérés comme faisant partie de la population par un pouvoir jugé technocratique et arrogant, donnant l’impression de prendre des décisions davantage en suivant une logique de « tableau Excel » qu’en étant immergé dans la vie réelle.

Ces sentiments sont largement partagés par ceux dont le président Macron a dit un jour qu’ils « ne sont rien » ou qui ne figurent pas parmi les bienheureux « premiers de cordée ». Plus que jamais, notre société est profondément fracturée. Il y a eu « la France d’en haut et la France d’en bas » de notre ancien collègue Jean-Pierre Raffarin, la « fracture sociale » pointée en son temps par le candidat Jacques Chirac. La « France périphérique » d’aujourd’hui se révolte et dit sa colère de ne pouvoir mener une vie décente, une vie tout simplement normale.

Notre République va mal parce que notre société connaît des inégalités de plus en plus fortes. Les rapports successifs, notre vécu quotidien le démontrent régulièrement.

Votre politique, quoi que vous puissiez en dire, aggrave cette situation. En 2018, le taux de pauvreté a augmenté de 0,6 % pour atteindre 14,7 % de la population ; près d’une personne sur sept vit sous le seuil de pauvreté dans notre pays, la sixième puissance économique mondiale, la troisième sur le plan de l’Union européenne.

Concrètement, au-delà de ce pourcentage, ce sont 400 000 personnes qui ont basculé dans la pauvreté, laquelle concerne aujourd’hui plus de 9 millions de nos concitoyens. Ce chiffre en hausse se trouve être le plus élevé depuis 2011 et n’a été dépassé qu’à deux reprises depuis vingt-trois ans, en 1996 et en 2011.

Du côté des « premiers de cordée », où en sommes-nous en cette année 2019 ? Ne soyez pas inquiets, mes chers collègues, soyez même enthousiastes, car de ce côté-là tout va bien, merci pour eux ! Ces « premiers de cordée » ont toutes les raisons de se féliciter des choix économiques et fiscaux du gouvernement de M. Macron. Les mesures socio-fiscales mises en place par le Gouvernement en 2018 ont augmenté le niveau de vie des Français de 1,1 %, mais elles ont surtout avantagé les 10 % les plus aisés de nos concitoyens. Cette catégorie a gagné 790 euros de pouvoir d’achat par an en moyenne, contre 130 à 230 euros pour le reste de la population.

Les plus grands bénéficiaires des réformes de l’exécutif ont bien sûr été les détenteurs de capital. Le remplacement de l’ISF par l’IFI a notamment entraîné pour les ménages concernés une hausse du revenu disponible estimée à 10 000 euros. Selon l’Institut des politiques publiques, l’effet cumulé des mesures fiscales et sociales prises en 2018, en 2019 et en 2020 entraîne une hausse de ce revenu de plus de 23 000 euros pour les 0,1 % les plus riches. Concrètement, cela concerne les foyers fiscaux dont le revenu annuel est supérieur à 700 000 euros. Telle est la réalité, la traduction concrète de vos choix, messieurs les ministres.

Après le « grand débat », plus rien ne devait être comme avant. Nous allions entrer dans l’acte II du quinquennat, et ce budget allait donc traduire en mesures concrètes le virage social annoncé. Vous nous dites vouloir rendre du pouvoir d’achat aux Français. Le récit est peaufiné, millimétré et colporté à l’envi via médias et réseaux sociaux. Le Gouvernement ne revient pas sur les mesures fiscales en faveur des plus riches, engagées en 2018… Nous sommes loin d’un tournant social, il s’agit davantage d’une pause tactique de votre part.

Votre maître mot, dans la présentation de ce projet de budget, c’est la baisse des impôts. Présentée ainsi, l’affaire paraît séduisante. Cela signifie qu’il y aura mécaniquement moins d’argent dans les caisses de l’État, mais derrière une communication tonitruante se dissimule une tout autre réalité que celle affichée : moins d’argent dans les caisses se traduit par de l’austérité pour nos services publics et moins de crédits pour répondre aux urgences sociales et climatiques. Vous l’avez confirmé, la baisse de l’impôt sur les sociétés va se poursuivre. Des milliards d’euros vont être accordés sans condition, alors que certains grands groupes continuent de délocaliser leurs usines à l’étranger, dans des pays à bas coûts de production.

Ce nouveau cadeau pour le capital représente en fait 2,5 milliards d’euros en moins pour notre budget, nos hôpitaux, nos retraités, nos communes et le financement de la transition écologique. Ce n’est pas l’impôt qui est le problème, c’est l’injustice fiscale ; il faut la combattre. L’impôt donne à l’État les moyens de construire une société solidaire et juste. Je reprendrai à mon compte cette phrase d’Henry Morgenthau, secrétaire d’État au trésor du président Roosevelt dans les années 1930 : « Les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée. »

Le consentement à l’impôt s’appuie sur des principes de justice fiscale, de progressivité et, surtout, sur l’idée que personne ne doit échapper à l’impôt, notamment les contribuables les plus importants.

À ce propos, messieurs les ministres, nous sommes demandeurs d’informations détaillées sur la mission qui fut confiée à la Cour des comptes le 25 avril dernier par le Président de la République lors de sa conférence de presse clôturant le grand débat. Cette mission consistait en une évaluation du montant de la fraude et de l’évasion fiscales pour notre pays. Un rapport devait être rendu avant le débat budgétaire au Parlement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le 2 décembre !

M. Éric Bocquet. Nous sommes le 21 novembre, le texte arrive au Sénat et nous n’avons plus aucune nouvelle. Cela est d’autant plus inquiétant que dans ce projet de loi de finances ne figure aucune véritable mesure de lutte contre l’évasion fiscale. Est-ce à dire que vous considérez que le problème serait complètement et définitivement réglé ?

Nous défendrons de nombreux amendements lors des débats à venir. La justice fiscale étant notre boussole, nous proposerons le rétablissement de l’ISF, ainsi qu’un barème de l’impôt sur le revenu comportant un nombre plus élevé de tranches afin que les petits revenus paient moins et les plus gros davantage. Nous présenterons également des amendements visant à réformer la TVA, pour la rendre faible sur les produits de première nécessité, forte sur les produits de luxe, considérant que le commerce du luxe se porte à merveille : il connaît une hausse de 10,8 % en 2019 selon les revues spécialisées.

Voilà un effet de ruissellement évident de la suppression de l’ISF et de la mise en place du PFU.

Oui, messieurs les ministres, ce sont bien les plus modestes qui subiront les effets de vos choix économiques et fiscaux. Votre baisse de l’impôt sur le revenu ne profitera évidemment pas à ceux qui ne gagnent pas assez d’argent pour être imposables. Vous proposez de faire des économies sur la santé, le logement, l’assurance chômage, les APL de nouveau, la vie étudiante et nos services publics de proximité. Vous avez fait le choix très libéral de vendre nos bijoux de famille avec la privatisation des groupes Aéroports de Paris et Française des jeux.

Selon votre conception, pour que le travail paie, il faut passer par la caisse d’allocations familiales, avec la prime d’activité, par l’État, avec les baisses d’impôts, ou par la sécurité sociale, avec les allégements de cotisations.

Bref, c’est à la solidarité nationale, c’est-à-dire à nous toutes et tous, de payer ces augmentations de salaires. On n’augmente pas vraiment les salariés, alors même que la distribution des dividendes bat encore des records cette année dans notre pays.

Dans votre stratégie de communication, vous mettez en avant la restitution de pouvoir d’achat aux Français par le biais de la suppression de la taxe d’habitation. Cela est séduisant, mais il convient ici de bien analyser les conséquences de cette décision pour les collectivités. Cela vaut pour les communes, mais aussi pour les départements, qui ont clairement exprimé leur désaccord avec votre proposition de remplacer la taxe d’habitation des communes par la taxe sur le foncier bâti, perçue jusque-là par les collectivités départementales, d’autant que l’année de référence serait 2017 et non 2019. Lors du récent congrès de l’Assemblée des départements de France (ADF), les présidents de département, dans leur diversité politique, ont exprimé clairement leur opposition à cette mesure. De très nombreux départements connaissent déjà une situation financière très tendue. Ils considèrent aussi que les propositions gouvernementales demeureront inacceptables si les départements ne conservent pas de la liberté. C’est bien là une deuxième pierre d’achoppement, celle de l’autonomie financière des collectivités. Le projet de compenser les pertes par une part de TVA contrevient à ce principe : seul l’État a la maîtrise des taux de cette taxe, sans parler des aléas que le produit de celle-ci peut subir en fonction de l’intensité de la consommation, et donc de la croissance économique. Certes, on nous promet la compensation à l’euro près, mais les élus sont échaudés. Nous avons déjà entendu cette histoire, et nous savons que le respect de ses engagements par l’État peut être bien aléatoire. Décidément, messieurs les ministres, le compte n’y est pas pour les départements !

Dans nos communes et les territoires ruraux, la disparition des services publics se confirme d’année en année. Là encore, la revendication de leur maintien s’est fortement exprimée lors du grand débat et au travers du mouvement des « gilets jaunes ».

On cherche également dans ce projet de loi de finances la marque d’une grande ambition en matière de transition énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique. Ce projet de budget pour 2020 ignore, comme l’urgence sociale, l’urgence climatique.

Certes, on évoque une augmentation de 800 millions d’euros des crédits pour la transition écologique. Si Bercy a distribué un petit livret vert pour vendre ses actions, les choses ne bougent guère sur le fond. Les experts s’accordent à estimer qu’il faudrait investir 30 milliards d’euros dans la transition écologique. Les taux des emprunts sont actuellement négatifs pour les prêts d’une maturité allant jusqu’à quinze ans pour notre pays. C’est le moment ou jamais de profiter de cette occasion historique.

Les besoins sont clairement identifiés. Il faudrait rénover 7 millions de logements qui sont de véritables passoires thermiques, au rythme d’au moins 700 000 logements par an. Nous en sommes aujourd’hui péniblement à 250 000, dont seulement 40 000 rénovations complètes. À l’évidence, nous prenons du retard.

Sur la thématique des transports, il y a trop peu dans votre projet de budget pour investir massivement en faveur des transports ferroviaires, quasiment rien pour le fret, pour améliorer le transport des voyageurs avec davantage de dessertes et des billets moins chers.

Dans le même ordre d’idées, le Gouvernement serait bien inspiré d’accompagner les collectivités qui sont de plus en plus nombreuses à s’engager en faveur de la gratuité des transports collectifs.

Le temps est venu d’une autre politique budgétaire, d’une autre logique de gestion. La réduction dogmatique de la dépense publique nous a conduits dans l’impasse. Il faut, messieurs les ministres, changer le logiciel de votre politique. Pour sortir de cette impasse, il aurait fallu s’attaquer aux près de 500 niches fiscales, qui représentent un total de 100 milliards d’euros.

Le seul CICE, aujourd’hui transformé en baisse des charges patronales, aura coûté 100 milliards d’euros depuis sa création pour créer péniblement 130 000 emplois, nous dit-on. Vous n’annoncez rien de neuf en matière de lutte contre toutes les pratiques d’évitement de l’impôt toujours à l’œuvre dans notre pays. Des dizaines de milliards d’euros échappent à la collectivité. C’est une lutte sans merci qu’il faut livrer contre ces pratiques scandaleuses. Il y a là des ressources abondantes à récupérer pour relever les grands défis de notre temps.

Dans cet esprit, nous déposerons un amendement sur les crédits de la mission « Gestion des finances publiques » en vue de la création d’un observatoire de la fraude fiscale,…

Mme Nathalie Goulet et M. Michel Canevet. Ah !

M. Éric Bocquet. … excellente idée lancée avec fracas il y a un an, perdue aujourd’hui dans les limbes de la communication politique. Cette idée, nous la reprenons à notre compte, et ce gouvernement, nous en sommes convaincus, ne manquera pas de la saluer et de la soutenir. (Mme Nathalie Goulet opine.)

Certes, notre pays n’est pas une exception dans le monde, mais toutes les estimations disponibles montrent qu’en France les montants de la fraude sont très élevés. La multiplication des affaires prouve d’ailleurs que celle-ci se sophistique et qu’elle demeure extrêmement coûteuse.

Il faut aussi relever que les effectifs du contrôle fiscal baissent depuis plusieurs années, ce qui se traduit par une baisse du nombre des contrôles et, par conséquent, par une baisse des résultats du contrôle fiscal : toujours cet écart saisissant entre une communication brillante et abondante et la réalité des choix faits par votre gouvernement !

Pour conclure, ce projet de budget est très loin de répondre aux aspirations légitimes exprimées dans notre pays de manière de plus en plus marquée. Un budget, c’est l’outil de la justice sociale, de la justice fiscale et du progrès pour la société. M. Macron « président des riches », voilà une étiquette dont vous aurez du mal à vous débarrasser, à l’instar du fameux sparadrap du capitaine Haddock dans LAffaire Tournesol ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Patrick Kanner applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. « Point de banqueroute. Point d’augmentation d’impositions. Point d’emprunts. Pour remplir ces trois points, il n’y a qu’un moyen. C’est de réduire la dépense au-dessous de la recette. Sans cela, le premier coup de canon forcerait l’État à la faillite. »

Mes chers collègues, ces mots sont peut-être d’un autre siècle, mais ils ont gardé toute leur force. Ce sont ceux de l’illustre Turgot, dont Voltaire baisait les mains en pleurant. Ce sont les mots qu’il choisit pour présenter à Louis XVI son plan d’action destiné à restaurer la crédibilité de l’État face à la colère qui montait. Turgot n’eut que deux ans pour tenter d’assainir les finances ; Louis XVI crut bon de le congédier et céda de nouveau aux sirènes de l’emprunt et de la dette. Nous connaissons tous la suite. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Procaccia. Vous êtes optimiste…

M. Claude Malhuret. Nous ne sommes pas là pour parler d’histoire, mais une chose est sûre : quand les temps sont durs, et ils le sont aujourd’hui, deux années ne suffisent pas plus à vous, messieurs les ministres, qu’à Turgot pour assainir les finances publiques, et sans doute en France plus encore qu’ailleurs. Nous devrons redoubler d’efforts, en 2020 et pendant de nombreuses années encore, pour pouvoir tirer définitivement un trait sur des années, voire des décennies, d’incurie budgétaire.

Alors que nous commençons ce jour l’examen du projet de loi de finances pour 2020, il me semble judicieux de ne céder ni au triomphalisme ni au défaitisme. Car, à la vérité, si la situation s’améliore, c’est avant tout, comme dirait M. de La Palice, parce qu’elle a cessé de se détériorer. La barre des 100 % du PIB reste au-dessus de notre dette comme un bonnet d’âne au-dessus de nos têtes.

Il faut d’abord reconnaître que le Gouvernement a repris le contrôle de la situation, ce qui n’était pas arrivé depuis plus de dix ans. Les principaux voyants sont repassés au vert : la croissance économique poursuit son rythme tranquille, à 1,2 % du PIB, et elle se montre même résiliente aux tensions qui affectent le commerce international, tandis que la machine allemande, que l’on n’imaginait plus ralentir, commence à se gripper ; les prélèvements obligatoires sont contenus sous la barre des 45 % du PIB et le ratio de la dépense publique reflue légèrement à 53 % du PIB ; le déficit public s’établit à 2,2 % du PIB, nettement au-dessous de la barre des 3 %, dans les « clous » du traité de Maastricht.

Nous laissons derrière nous, comme un mauvais souvenir, la procédure européenne de déficit budgétaire excessif, dans laquelle notre pays s’était empêtré pendant des années. Nous étions nombreux sur ces travées à considérer que la maîtrise de notre déficit public constituait un préalable indispensable pour redorer l’image de la France sur la scène européenne et rassurer nos voisins quant à la fiabilité de notre modèle économique et social. C’est désormais chose faite, et le crédit en revient essentiellement au Gouvernement.

Mais permettez-moi de ne pas m’en tenir à de bonnes paroles caoutchouteuses. En termes de déficit public, la France fait encore figure de mauvaise élève de la zone euro. Avec l’Espagne, l’Italie et la Belgique, notre pays a été épinglé par la Commission européenne, qui nous invite, dans son langage feutré, à « poursuivre des politiques budgétaires prudentes », et nous dit que la France présente – savourons la litote ! – « un risque de dérapage significatif de ses comptes publics par rapport aux ajustements requis ». La Commission nous rappelle enfin que bon nombre de nos partenaires ont su profiter d’un contexte macroéconomique favorable pour procéder aux ajustements nécessaires.

Ce n’est pas encore tout à fait le cas de la France. Plus précisément, ce n’est pas le cas de l’État. Car le déficit public, cela a déjà été rappelé, est aujourd’hui exclusivement porté par l’État. Alors que les administrations publiques locales et les administrations de sécurité sociale affichent des soldes excédentaires, et ce malgré l’imbroglio créé par le système des 35 heures, dont la débâcle des hôpitaux est emblématique, l’État reste dans le rouge. Le jour où les taux remonteront, nous risquons de redécouvrir ce que chacun sait bien dans sa vie quotidienne : les créanciers ont toujours une meilleure mémoire que les débiteurs.

Ce projet de budget de mi-mandat arrive enfin au Sénat. À la chambre des territoires, tous les regards sont rivés sur les réformes de la fiscalité locale. Nombreux sur ses travées sont ceux qui lisent entre ces lignes comptables comme un message d’alerte, et la bataille des chiffres n’a pas encore débuté que les communes craignent d’avoir déjà perdu la partie.

Le groupe Les Indépendants veillera à ce que le grand jeu comptable ne se fasse pas aux dépens des communes, particulièrement pour ce qui concerne l’élaboration du déjà fameux « coco », le coefficient correcteur pour la compensation du transfert de la taxe d’habitation au budget de l’État. Avec un « coco », on n’est jamais à l’abri des mauvaises surprises ! (Sourires et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Savoldelli. Revenez plutôt à Turgot !

M. Claude Malhuret. Il est bien évident que la majorité des contribuables qui étaient soumis à cette taxe sont très contents de ne plus avoir à la payer, comme le faisait remarquer le Président de la République avant-hier au Congrès des maires. Mais cela ne veut pas dire qu’ils comprennent, et a fortiori qu’ils approuvent, le système qui la remplacera. Une chose est sûre : les Français font confiance aux maires, bien plus qu’au Gouvernement ou au Parlement, et ils ne veulent pas que les collectivités locales perdent au change. Nous y serons attentifs.

Les collectivités locales, et singulièrement les communes, ont déjà fait leur part et dégagent maintenant des excédents budgétaires. Elles écoutent désormais l’État leur dire que tout va changer et qu’après tout ira mieux. Mais elles souhaiteraient qu’il réduise d’abord sa dépense publique, ou plutôt qu’il le fasse en même temps qu’il change la fiscalité locale. Certaines d’entre elles s’inquiètent de perdre la main sur une part importante de leurs recettes et de vivre un peu plus dans la dépendance de l’État. Dans cette optique, la question des valeurs locatives est loin d’être un détail technique. Si elles craignent de perdre sur le plan comptable, elles redoutent également de perdre sur le plan de l’autonomie fiscale.

Je n’ignore pas les raisons qui conduisent le Gouvernement à de tels arbitrages. Vous avez mis le pouvoir d’achat au centre de votre politique économique, et vous avez le courage de conduire cette politique en réduisant la pression fiscale sur les ménages, notamment les plus modestes, sans laisser filer la dette, heureusement aidés par une conjoncture qui pourrait être plus mauvaise et des taux qui ne pourraient pas être plus bas.

Dans cette optique, la baisse de l’impôt est une mesure salutaire. Le groupe Les Indépendants avait déjà proposé, l’an dernier, de baisser les taux marginaux sur les deux premières tranches du barème. Je me réjouis que vous ayez fait vôtre cette idée et je ne doute pas que le Sénat lui réservera cette fois un accueil favorable, car si la fable dit que le travail est pour les hommes un trésor, les Français commençaient à croire que l’État se l’accaparait…

Encore une fois, c’est la justice fiscale qui sous-tend les débats. Vous avez compris qu’il est indispensable, pour des questions de paix sociale, qu’en France le travail soit mieux rémunéré. Vous avez aussi compris que, pour la même raison, il est également indispensable que les impôts soient bien payés en France. C’est pourquoi notre groupe ne s’opposera pas à la domiciliation fiscale en France des dirigeants d’entreprises françaises, même si c’est les obliger plus que les inciter. Si je doute que cette mesure change la face du monde, elle aura le mérite, si précieux à notre époque, de faire comprendre que le fardeau du financement est équitablement partagé…

Je crois qu’il est ainsi possible de relocaliser et l’impôt et le travail. Tout ce qui simplifie la vie des entreprises sur le territoire national y contribue efficacement. C’est pourquoi nous soutiendrons également les mesures qui visent à supprimer progressivement les taxes à faible rendement et les niches fiscales, usines à gaz dont le coût de fonctionnement est en général inversement proportionnel à l’efficacité.

Turgot, dans la même lettre adressée à Louis XVI, avait déjà identifié les obstacles que vous ne manquerez pas de rencontrer : « On demande sur quoi retrancher, et chaque ordonnateur, dans sa partie, soutiendra que toutes les dépenses particulières sont indispensables. Ils peuvent dire de fort bonnes raisons ; mais comme il n’y en a pas pour faire ce qui est impossible, il faut que toutes ces raisons cèdent à la nécessité absolue de l’économie. »

C’est inévitable : bien sûr, le Gouvernement sera systématiquement critiqué lorsqu’il supprimera en même temps des recettes et des dépenses. Quoi qu’il fasse, on préférerait toujours qu’il le fasse à quelqu’un d’autre. L’année qui s’est écoulée en a apporté une nouvelle fois la preuve. Les formes changent, mais le fond demeure le même : les Français aiment l’État qui donne et détestent l’État qui prend, et ils refusent souvent de voir que ce sont les deux faces d’une même médaille. Comme dans beaucoup de pays, l’État est vécu, non parfois sans quelque raison, comme un monstre à deux bras inégaux, un très long bras pour prendre et un bras très court pour donner. Mais ces critiques ne doivent pas ôter le courage d’aller de l’avant en matière d’équilibre budgétaire.

Oscar Wilde disait que le mariage est la principale cause de divorce. On peut dire de la même façon que la dépense publique est la principale cause des impôts, et tout le reste est un mensonge sur lequel finit toujours par germer la haine d’un autre fantasmé, des responsables politiques aux riches, en passant par les chômeurs et les étrangers.

Alors que, à la veille du 5 décembre, il est plus difficile de trouver en France un esprit tranquille qu’un trèfle à quatre feuilles, le Gouvernement doit composer avec une urgence plus grande encore que la réduction de la dette publique : non contents de devoir déjà réduire drastiquement notre dette publique, nous devons maintenant, et de toute urgence, réduire notre dette climatique.

Vous avez pris le sujet à bras-le-corps, sans céder à la démagogie qui consiste à faire croire que les finances ne comptent pas face au climat. Les deux degrés d’augmentation de la température sont devenus le nouveau prétexte de ceux qui veulent apporter à ce problème aussi immense qu’inédit la vieille solution de la dépense publique. On entend dire, çà et là, qu’il faudrait exclure de l’application des critères de Maastricht toutes les dépenses qui contribuent à la transition écologique.

M. Julien Bargeton. Non, pas toutes…

M. Claude Malhuret. On comprend bien l’intention, et l’on serait tenté d’accepter si la méthode ne ravivait pas quelques mauvais souvenirs : il faudrait alors mettre en place un comité central de planification écologique qui déciderait, depuis le 139 rue de Bercy, ce qui rentre ou non dans les clous de la révolution écologique, comme le prône le líder minimo de la France soumise à Cuba ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jérôme Bascher applaudit.)

La vérité, c’est que l’urgence climatique nous met face à nos contradictions. Chacun sait qu’il nous faudra renoncer à notre confort et redoubler d’efforts pour être à la hauteur des enjeux. Mais je pense que nous saurons trouver là le moyen de nous élever collectivement. Nous savons tous qu’il n’y a aucune alternative. Dette climatique, dette publique, même combat. Et dans les deux cas, il faut de la rigueur. Rappelons-nous le mot de Paul Valéry : « La plus grande liberté naît de la plus grande rigueur. »

Les mesures de fiscalité écologique que vous proposez vont dans le bon sens. Elles se focalisent sur les deux secteurs qui contribuent le plus aux émissions de CO2 en France, à savoir le logement et le transport, par le biais, d’une part, du soutien aux travaux de rénovation énergétique, et, d’autre part, de la diminution des avantages fiscaux pour les carburants fossiles. Cette approche réintroduit un peu de rationalité dans les débats et est plus progressive. Nous la soutiendrons.

Il est toujours plus confortable d’imaginer que la seule solution pour s’adapter aux temps modernes consiste à faire table rase du passé, mais c’est souvent la pire erreur que d’oublier le monde d’hier pour penser le monde de demain. C’est pourquoi la réduction de notre dette publique doit être menée parallèlement à notre transition écologique. Il faut solder les comptes sans chercher à tout prix à désigner des coupables. D’aucuns disent que les réformes ne vont pas assez vite pour réduire en même temps notre dette publique et notre dette climatique. Je crois qu’elles vont tout de même dans la bonne direction. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes LaREM, UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. Bernard Delcros. Madame la présidente, messieurs les ministres, chers collègues, voilà un an éclatait, à Paris et dans tous nos départements, une crise sociale d’ampleur.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Le Sénat avait prévenu !

M. Bernard Delcros. Face à cette situation exceptionnelle, d’importantes mesures de soutien au pouvoir d’achat furent prises, avec le soutien unanime du Sénat.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Et sur son initiative !

M. Bernard Delcros. Il s’agissait alors de répondre à une réalité, mais aussi au sentiment accumulé depuis longtemps d’injustice sociale, fiscale et territoriale,…

M. Jean-François Husson. Et écologique !

M. Bernard Delcros. … exprimé avec colère par les Français, quand bien même il fallait, pour cela, s’écarter des objectifs initiaux de la loi de programmation des finances publiques. En effet, derrière l’impôt auquel nous consentons, derrière la dépense que nous autorisons, c’est l’humain qui doit guider notre action, et non pas seulement les ratios financiers.

Bien sûr, nous devons conserver l’objectif du redressement des comptes publics ; nous y tenons, car c’est ainsi que nous préparons l’avenir ; mon collègue Vincent Delahaye reviendra sur ce sujet. Mais ne nous trompons pas sur les moyens d’y parvenir : nous ne réussirons pas le redressement des finances publiques s’il ne s’accompagne pas d’une politique efficace de réduction des inégalités.

Comment pourrait-on aujourd’hui continuer à courir derrière une baisse drastique et toute théorique du nombre d’agents publics alors que nous avons besoin de plus de personnel hospitalier, que nous devrons relever le défi de la dépendance, que nous avons besoin d’enseignants et d’accompagnants dans nos écoles, de davantage de policiers et de gendarmes pour mieux répondre à la menace terroriste ? Et on pourrait continuer la liste !

Même si, évidemment, des réorganisations et des redéploiements sont nécessaires, même si des réductions d’effectifs et des économies sont possibles, notamment dans les agences et autres organismes satellites de l’État, il existe aussi d’autres marges de manœuvre. On pourrait ainsi renforcer les moyens de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. (M. Éric Bocquet acquiesce.) Monsieur le ministre, vous avez rappelé les avancées obtenues dans ce domaine : depuis le début de l’année, 5,6 milliards d’euros ont été recouvrés par l’État au titre de la lutte contre la fraude fiscale, soit 40 % de recettes en plus par rapport à l’an dernier. Sur ce terrain, de nombreuses pistes restent encore à explorer : vous en avez évoqué quelques-unes, et ma collègue Nathalie Goulet reviendra sur ce sujet, sur lequel elle a beaucoup travaillé.

Ce projet de loi de finances doit finalement tenter de respecter un difficile équilibre, en tenant compte de la réalité sociale et en répondant aux enjeux auxquels est confrontée notre société sans pour autant perdre de vue le nécessaire redressement des comptes publics. Le déficit public, établi à 2,2 % du PIB, est certes encore élevé, mais il est à son niveau le plus faible depuis vingt ans, et ce malgré une baisse historique des prélèvements obligatoires, à hauteur de 9 milliards d’euros. Voilà la réalité !

La justice fiscale sort renforcée de la baisse de 5 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu au profit des premières tranches d’imposition. Nous saluons également la poursuite de la baisse de l’impôt sur les sociétés, dont le taux devrait s’établir à 25 % d’ici à 2022.

Enfin, l’article 5 entérine la suppression de la taxe d’habitation en 2020 pour 80 % des ménages et en 2023 pour les 20 % restants. Quel que soit l’avis que l’on porte sur le bien-fondé de cette mesure, la réalité est qu’elle induira un gain de pouvoir d’achat moyen de plus de 700 euros par ménage concerné.

Ce projet de budget donne également le coup d’envoi de la réforme de la fiscalité locale, suivant des modalités finalement assez proches de celles qu’avait proposées la commission des finances du Sénat en 2018.

La question du mode de compensation a suscité beaucoup d’inquiétude chez les élus, une inquiétude justifiée au regard des plus de 2 milliards d’euros perdus chaque année par le seul bloc communal du fait des mécanismes de compensation inadaptés institués lors des précédentes réformes.

C’est pourquoi nous approuvons le principe général proposé, qui vise à substituer au produit de la taxe d’habitation perdu, pour chaque niveau de collectivité, une nouvelle recette fiscale, ce qui leur garantira une ressource pérenne et dynamique.

Les communes percevront le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties, jusqu’à présent affecté aux départements. C’est en cohérence avec les compétences qu’elles exercent.

Pour les départements et les intercommunalités, je considère que l’attribution d’une part de l’impôt national qu’est la TVA a un effet péréquateur qui préservera les départements les plus fragiles. Je sais que les avis divergent sur cette question, mais, élu du Cantal, je connais parfaitement les limites de l’autonomie fiscale, tant recherchée mais purement virtuelle pour certains territoires. Je lui préfère l’autonomie financière que permet le mécanisme proposé.

M. Bernard Delcros. Enfin, la hausse de la péréquation, à hauteur de 180 millions d’euros pour les communes, et la réforme de la péréquation entre départements, d’ailleurs voulue par les départements eux-mêmes, renforcent la solidarité en faveur des collectivités les plus fragiles.

Le texte qui nous est présenté devra néanmoins être corrigé sur plusieurs points d’importance.

D’abord – c’est le point essentiel à mes yeux –, le risque d’une variation du potentiel financier de l’ensemble des collectivités sous l’effet de la réforme de la taxe d’habitation devra impérativement être écarté. C’est un risque majeur de cette réforme à forte incidence sur le niveau des dotations. Sans mécanisme de neutralisation, les territoires les plus riches verraient leur potentiel financier baisser – ils apparaîtraient donc virtuellement comme plus pauvres –, alors que celui des plus fragiles augmenterait. Cela creuserait les inégalités territoriales.

Mme Nathalie Goulet. C’est la double peine !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La réforme n’est pas aboutie !

M. Bernard Delcros. Pour prendre un exemple chiffré, le département du Cantal verrait son potentiel financier augmenter relativement de 12 %, tandis que celui de Paris baisserait de 40 % ! Voilà, monsieur le ministre, ce qu’il faut absolument éviter !

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est n’importe quoi ! Cette réforme n’est pas prête !

M. Bernard Delcros. De même, les valeurs locatives qui servent de bases de calcul de la taxe d’habitation pour 2020 et feront office de référence pour la compensation, devront être justement revalorisées, ce qui n’est pas prévu dans ce projet de loi de finances. Si l’on veut respecter le principe de neutralité financière de la réforme, les valeurs locatives devront être revalorisées dans les conditions du droit en vigueur : la revalorisation de 0,9 % adoptée par l’Assemblée nationale représente certes un progrès, mais elle est insuffisante !

Enfin, un mécanisme de garantie dans le temps des recettes des départements devra être mis en place pour sécuriser leurs ressources sur la durée.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Bernard Delcros. Quelques points saillants restent donc en suspens : notre groupe contribuera activement au débat budgétaire qui s’ouvre cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe LaREM.  Mme Josiane Costes applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est dans un contexte international empreint de beaucoup d’incertitudes que nous examinons ce projet de loi de finances pour 2020. Le « ni oui ni non » britannique sans fin sur le Brexit, les postures de puissance de certains dirigeants qui alimentent des conflits commerciaux, l’impact des crises au Moyen-Orient sur les cours des hydrocarbures, tout cela pèse défavorablement sur la croissance mondiale. MM. les ministres l’ont rappelé, ces tensions coûteront probablement 0,5 point de croissance en 2020.

Malgré ces conditions difficiles, gardons le cap pour imprimer à notre politique budgétaire, autant que faire se peut, soutenabilité, équité et efficacité.

En ce qui concerne tout d’abord la soutenabilité, l’idéal d’un budget en équilibre n’est plus, depuis longtemps, qu’un idéal, mais, à défaut de le réaliser, nous pouvons nous en approcher. Aussi la réduction du déficit public doit-elle être poursuivie. Le retour sous la barre des 3 % du PIB est heureusement intervenu dès 2017, et la perspective d’un déficit ramené à 2,2 % du PIB est réjouissante, même si elle est en deçà de la cible prévue par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Quant à la dette publique, elle décroît très légèrement : c’est bien, mais ce n’est sans aucun doute pas assez, malgré le renfort de taux d’intérêt très bas.

On connaît les conditions de ces dérapages pour l’exercice budgétaire 2019 : ils sont en partie la conséquence des mesures adoptées en réponse à la crise des « gilets jaunes ». C’est la difficulté de tout exercice budgétaire : pouvoir digérer les aléas, qu’ils soient sociaux ou économiques. Il est donc important de retrouver des marges en faisant fondre au plus vite notre déficit structurel.

En attendant, afin d’éviter l’éventuel retour de colères contenues, qui coûterait encore très cher, tentons de mettre en œuvre la politique la plus équitable possible.

Des mesures de soutien en direction des ménages les plus modestes ont été adoptées l’année dernière ; le RDSE les avait très largement approuvées. Cette année, le projet de budget cible également les classes moyennes, avec une baisse de l’impôt sur le revenu de 5 milliards d’euros qui les concernerait. C’est une bonne chose, mais l’équité passe aussi par un certain ménage fiscal. Je pense à cet égard aux niches fiscales, que nous avons bien du mal à supprimer ; quand nous le faisons, d’autres réapparaissent comme par enchantement ! Sans les remettre en cause par principe, il serait temps, monsieur le ministre, d’évaluer strictement leur légitimité.

L’équité est aussi un principe qui doit prévaloir à l’égard de nos entreprises. Est-il normal que le commerce physique ait été imposé à hauteur de 47,3 milliards d’euros en 2018, tandis que la contribution fiscale des GAFA s’établit à seulement 67 millions d’euros ?

Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes très sensible à cette problématique. Trois articles du présent projet de loi de finances ciblent particulièrement l’e-commerce. Pour aller plus loin, je proposerai d’assujettir à la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) les entrepôts des plateformes en ligne, les pure players. Rappelons que le commerce physique représente 2,8 millions d’emplois ; à ce titre, il contribue très largement à la croissance de notre pays et au dynamisme de ses territoires.

J’en viens au troisième principe qui doit sous-tendre le budget de l’État : l’efficacité, au service de nos entreprises, mais aussi de nos collectivités locales.

Je salue le maintien de l’objectif de baisse de l’impôt sur les sociétés, dont le taux devrait s’établir à 25 % d’ici à 2022, si tout va bien. Cela devrait représenter pour les entreprises, en 2020, un gain de 1 milliard d’euros, qu’il faut peut-être toutefois mettre en rapport avec un mouvement contraire : je pense à la réduction de deux dépenses fiscales, concernant l’une sur le mécénat des entreprises et l’autre la modification des modalités du forfait des dépenses de fonctionnement pour le calcul du crédit d’impôt recherche. À reprendre d’une main ce que l’on donne de l’autre, on risque de gripper la politique de l’offre alors que clignotent des signaux de ralentissement économique.

Aussi proposerai-je quelques amendements portant sur deux secteurs importants pour notre économie : les opérateurs de télécommunications et l’aviation civile.

Pour le premier, une certaine modération fiscale serait souhaitable, par exemple via un aménagement de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques (TOCE) ou de l’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER), car la part de la fiscalité spécifique, c’est-à-dire celle qui s’applique uniquement aux opérateurs des télécoms, et non aux GAFA, a atteint un record en 2017, avec un montant de 1,22 milliard d’euros. Alors que l’État demande aux opérateurs de déployer rapidement et massivement des réseaux performants pour couvrir tout le territoire dans le cadre du new deal mobile, leurs capacités d’investissements se trouvent affectées par certaines taxes dont le montant devient exponentiel.

Concernant le secteur du transport aérien, le pavillon français s’emploie à relever les défis environnementaux, dont celui de réduire de 50 % ses émissions de CO2 à l’horizon 2050. Dans un contexte de forte concurrence internationale, je proposerai quelques mesures visant à soutenir les compagnies dans leur transition écologique et à alléger le poids fiscal du dispositif de l’article 20, qui pèse sur elle. Je rappelle que l’aviation civile irrigue notre base industrielle à bien des égards, ce qui invite à ne pas grever sa compétitivité.

Enfin, la tenue du Congrès des maires m’amène à rappeler que les collectivités locales sont un levier fondamental de nos politiques publiques, en ce qu’elles apportent des réponses de proximité très opportunes, grâce leurs capacités d’investissement. Néanmoins, malgré toute la bonne volonté des élus, leur efficacité dépend là aussi de l’évolution de leurs moyens et du respect de leur autonomie financière.

Monsieur le ministre, vous voyez, dans le projet de loi de finances pour 2020, une stabilité des dotations à nos collectivités locales, quand elles voient une régression de leurs ressources à hauteur de 120 millions d’euros. Vous voyez une neutralité de la suppression de la taxe d’habitation, quand elles craignent un impact à court terme. Qu’en est-il en réalité ? Le Sénat, soucieux des collectivités locales qu’il représente, attend des garanties susceptibles de réconforter nos élus qui, vous le savez, constituent un relais essentiel quand notre pays va mal. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Emmanuel Macron a été élu sur deux engagements : la réconciliation des Français et la transformation de la France.

Pour ce qui est de la réconciliation, les fractures n’ont jamais été aussi profondes. On parle d’« archipélisation », on décrit une opposition entre bloc élitaire et bloc populaire.

Qu’en est-il de la transformation de la France ? C’est le troisième projet de loi de finances que nous examinons sous ce quinquennat ; ce qui n’aura pas été fait au travers des trois premiers ne le sera certainement pas par le biais des deux derniers. Nous avons désormais une forme de visibilité pour appréhender la politique générale du Gouvernement en matières économique, budgétaire et fiscale.

La seule question qui vaille est la suivante : Emmanuel Macron aura-t-il réussi à transformer la France ? Aura-t-il réussi à contenir ses faiblesses structurelles ? Aura-t-il réussi à nous préparer à affronter l’avenir ?

Concernant les faiblesses structurelles, j’entends souvent le Gouvernement se réjouir de ce que les performances françaises soient meilleures que, par exemple, celles de l’Allemagne en matière de croissance. Nous devrions avoir le triomphe modeste. En effet, ce sont nos faiblesses qui nous protègent : c’est l’addiction à la dépense publique qui nourrit le maigre filet de croissance dont nous bénéficierons encore l’an prochain. De même, le fait que nous exportions peu réduit notre exposition à la contraction du commerce mondial. C’est notre manque de compétitivité qu’exprime le déficit de notre balance commerciale, l’excédent agricole diminuant par ailleurs.

Ce sont donc bien nos faiblesses structurelles qui nous protègent des effets de la conjoncture, mais ce sont aussi elles, malheureusement, qui créent le décrochage français, celui qui nous laisse à la remorque du monde occidental, à la traîne de l’Europe.

M. Jean Bizet. Absolument !

M. Bruno Retailleau. Bien sûr, le chômage a baissé : une petite baisse, une baisse météorologique. Quand on se compare, on se désole ! Le taux de chômage français est le double de celui des grandes économies occidentales ou européennes. On ne peut évidemment pas s’en satisfaire !

Nous sommes toujours les champions du monde de la dépense publique. En trois années, on aura ajouté 68 milliards d’euros de dépense publique supplémentaire. Albéric de Montgolfier nous indiquait à l’instant que, de ce point de vue, la situation n’est pas meilleure que sous le quinquennat précédent.

Enfin, nous sommes également lanterne rouge en Europe en matière de déficit. En s’accumulant, le déficit crée de la dette : là encore, en trois années, nous aurons enregistré 190 milliards d’euros de dette supplémentaire ! Rien ne justifie cet accroissement de la dette française, puisque l’investissement public de l’État baisse. Cette croissance de la dette publique ne vient pas non plus compenser un recul de l’endettement privé : une spécificité française, on le sait, est que l’endettement de tous les acteurs économiques, ménages comme entreprises, augmente. Il n’y a donc aucune justification à la hausse de la dette publique !

On peut donner au Gouvernement un satisfecit pour la baisse des impôts. Pourquoi ne le ferait-on pas ?

M. Bruno Retailleau. Il faut toutefois remarquer, à l’instar de M. le rapporteur général tout à l’heure, que ces baisses sont finalement quelque peu en trompe-l’œil. D’une part, elles cachent des hausses d’impôts visant les automobilistes – on reparlera du bonus-malus –, les transporteurs routiers ou encore les micro-entrepreneurs. D’autre part, même si ce n’est pas le projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous examinons aujourd’hui, je rappellerai que les retraités et les familles vont contribuer au budget de l’État à hauteur de 1 milliard d’euros au titre de la désindexation des prestations.

En outre, ces baisses d’impôts sont gagées sur d’autres hausses encore, celles qui interviendront inévitablement demain : les baisses n’étant pas compensées par une réduction de la dépense publique, il faudra recourir à l’endettement. Dès lors, ce sont les générations futures qui auront à acquitter le solde et elles nous le reprocheront.

Par ailleurs, ce projet de budget répond-il à la question du pouvoir d’achat et à celle de la transition écologique – « la fin du mois et la fin du monde », pour reprendre une expression employée à propos du mouvement des « gilets jaunes » ? Dans ces domaines, le Gouvernement nous prépare-t-il à affronter l’avenir ? Je ne le crois pas.

M. Bocquet disait que le taux de pauvreté s’élève dans notre pays à 14,7 %. D’où vient le sentiment, assez général en France, d’une forme de paupérisation, au-delà de cette statistique ? Les « gilets jaunes » ont apporté une réponse à cette question. Ils disent habiter un entre-deux, n’étant ni assez riches pour appartenir à la classe des hyper-privilégiés, ni assez pauvres pour bénéficier des aides de l’État et des collectivités. N’étant finalement nulle part, ils ont voulu faire de ces non-lieux que sont les ronds-points un « quelque part ». Voilà la parabole qu’ils nous jettent au visage !

La réponse d’Emmanuel Macron consiste à ouvrir les vannes de la dépense publique pour soutenir le pouvoir d’achat. Ce n’est pas selon moi une bonne réponse : d’une part, elle hypothèque l’avenir et n’est pas soutenable à moyen terme ; d’autre part, recourir à toujours plus de dépense publique, ce n’est pas traiter les causes de la crise, qui tiennent tout simplement au fait que notre économie ne parvient pas à produire suffisamment de richesse. Le chômage de masse a appauvri les Français, la croissance est molle depuis des décennies, ce qui affaiblit toujours plus notre économie. Nous sommes le pays d’Europe où le marché du travail est le plus polarisé, entre les très hauts salaires et les petits revenus. La désindustrialisation française a mené au remplacement des salaires de 40 000 euros par des salaires de 28 000 euros, notamment dans le secteur des services à la personne. Voilà encore une des sources du mécontentement actuel au sein de l’hôpital !

Il faut aller aux causes ! La solution, à mon sens, est de permettre une croissance potentielle plus élevée, d’assurer une création collective de richesse plus importante à l’avenir.

Il faut fournir un effort sur l’offre de travail, développer l’activité. Notre taux d’emploi est inférieur de 10 points à celui de l’Allemagne. Il faut favoriser l’emploi tant pour les plus jeunes que pour les seniors. C’est pourquoi nous proposons de reculer l’âge légal de départ à la retraite, afin de tirer vers le haut le taux d’emploi. On en a besoin dans une société qui vieillit !

Il faut aussi redresser notre compétitivité. La croissance potentielle, c’est la productivité multipliée par l’offre de travail, voilà tout ! Si l’on veut augmenter la création de richesse, il faut renforcer notre compétitivité. Nos entreprises supportent 18 huit points de PIB de charges et de fiscalité, contre 9 points en Allemagne et 11 points en moyenne dans la zone euro.

Vous avez préféré, monsieur le ministre, réformer la fiscalité locale et supprimer la taxe d’habitation : c’est un mauvais choix, qui ne permet pas de préparer l’avenir et de permettre à notre économie de redémarrer et d’être beaucoup plus productive.

Enfin, après la fin du mois, la fin du monde. Jean-François Husson rappelait, il y a quelques semaines, à l’occasion d’une question d’actualité au Gouvernement, que la France a été condamnée par la Cour de justice de l’Union européenne, le 24 octobre dernier, pour avoir dépassé « de façon systématique et persistante » les seuils de pollution, notamment par le dioxyde d’azote. Il faut prendre acte de cette condamnation.

Ce n’est pas le mix énergétique de la France qui est en cause, mes chers collègues : notre énergie est décarbonée.

M. Jean Bizet. Merci au nucléaire !

M. Bruno Retailleau. On sait parfaitement que la différence se fera dans les transports et le logement, deux secteurs où de mauvais signaux sont envoyés.

En effet, la transformation du crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) s’opère au détriment de la lutte contre les passoires énergétiques. C’est un mauvais signal, tout comme le bonus-malus : il y aura beaucoup de malus, mais peu de bonus pour favoriser une véritable conversion du parc automobile. En réalité, le verdissement de la fiscalité cache, dans ce projet de loi de finances comme dans les précédents, une recherche de rendement budgétaire. De ce point de vue, vous n’avez pas tiré la leçon de ce qui a été, à l’origine, une révolte fiscale des « gilets jaunes ».

Je me félicite, monsieur le président de la commission des finances, que nous puissions avoir, lundi, un vrai débat sur les articles afférents à ce sujet. Les exemples scandinaves peuvent nous éclairer ; une délégation de la commission des finances s’est rendue sur place pour les étudier. En se fondant sur les principes de neutralité, de cohérence et de progressivité, on peut, je le crois, instituer en France une fiscalité écologique qui soit plus juste et ne déclasse pas un peu plus encore les plus démunis !

Pour conclure, j’estime, mes chers collègues, que ce budget privilégie le court terme. Il confirme un choix de continuité – toujours plus de dépense publique –, sans doute une rupture – plutôt que l’économie de l’offre, une économie de la demande, dont bénéficieront à l’évidence les produits étrangers, en particulier chinois. Il marque, à l’instar des bas taux d’intérêt, une préférence pour le présent qui signe le sacrifice du futur. Je suis convaincu que cela ne rendra pas la France plus forte dans un monde de plus en plus menaçant, dans une conjoncture qui sera vraisemblablement toujours plus sombre. Le pire, c’est que je ne suis même pas sûr que cette politique d’ouverture toute grande des vannes suffise à acheter la paix sociale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Louis Lagourgue applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Carcenac. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Thierry Carcenac. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors que le débat politique de ces dernières semaines a parfois été occulté par des sujets de société qui, s’ils ont indubitablement leur importance, ne concernent parfois que très indirectement nos concitoyens, il est temps d’engager la discussion au fond de ce projet de loi de finances pour 2020.

Davantage que les polémiques suscitées par des entretiens accordés à Valeurs actuelles, ce sont les débats que nous entamons qui permettront de jauger l’action concrète du Gouvernement pour nos concitoyens, dans un contexte où les attentes sont grandes et – permettez-moi de le dire, monsieur le ministre – légitimes eu égard aux résultats décevants, pour ne pas dire plus, du Gouvernement à ce jour.

Mes chers collègues, ce qui prime, ce sont les dépenses engagées par le Gouvernement depuis le début de cette mandature.

Néanmoins, au groupe socialiste et républicain, nous demeurons convaincus qu’une bonne gestion publique est nécessaire. Si les règles des 3 % de déficit public et des 60 % d’endettement ne sont peut-être pas l’alpha et l’oméga d’une saine politique économique, tenir ces objectifs permet de dégager des marges de manœuvre pour financer avec davantage de force les politiques publiques qu’un gouvernement juge prioritaires.

Votre gouvernement a d’ailleurs, monsieur le ministre, placé la barre très haut en la matière en début de quinquennat, avec beaucoup d’aplomb. Claude Raynal et moi-même avons retracé vos prévisions budgétaires, entre la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, présentée au mois de décembre 2017, et le projet de loi de finances pour 2020 que vous nous soumettez aujourd’hui.

Vous nous promettiez, fin 2017, un excédent des comptes publics de 0,2 % en fin de quinquennat. C’est aujourd’hui sur un déficit de 1,5 % que vous tablez.

Vous nous promettiez, à l’époque, une dette publique s’élevant à 91,4 % du PIB. C’est aujourd’hui sur une dette atteignant 97,7 % du PIB que vous tablez.

Vous nous promettiez également alors une dépense publique limitée à 50,9 % du PIB. C’est aujourd’hui sur une dépense de 52,3 % du PIB que vous tablez.

Permettez-nous, monsieur le ministre, de douter de la crédibilité de vos annonces récentes devant notre commission des finances. Après le fameux « 8-3-1 » de 2018, vous tablez désormais sur le « 20-30-40 »… Permettez-nous d’être dubitatifs, les effets d’annonce et les bons mots ne faisant pas nécessairement une bonne politique.

Certes, vous invoquerez la récession internationale, la crise des « gilets jaunes », vous vous targuerez de meilleurs résultats que nos voisins européens, voire que vos prédécesseurs. Je me suis donc permis d’établir un comparatif.

Durant le quinquennat de M. Sarkozy, plus précisément entre 2008 et 2012 – cette restriction permet d’exclure partiellement l’effet de la crise –, la croissance moyenne était de 0,36 % et le déficit a progressé de 1,4 %, alors que la France traversait la crise économique la plus dure de ces trente dernières années. Chers collègues de la majorité sénatoriale, nous reconnaissons que la conjoncture économique était peu porteuse à l’époque !

M. Christian Cambon. Il est temps ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Thierry Carcenac. Durant le quinquennat Hollande, la croissance moyenne était de 1,07 % et le déficit a chuté de 2 points.

M. Julien Bargeton. Mais les impôts ont augmenté !

M. Thierry Carcenac. Pour le moment, avec une croissance largement supérieure, de 1,68 % en moyenne, vous avez réussi l’exploit de réduire le déficit de 0,6 % ! Je ne crois pas que cela puisse légitimer les leçons que le Gouvernement se plaît à adresser à l’« ancien monde ».

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Très bien !

M. Thierry Carcenac. Toutefois, l’équilibre budgétaire n’est pas, il est vrai, la fin en soi d’une politique budgétaire.

Au vu de ces renoncements, nous aurions pu nous attendre à ce que nos concitoyens bénéficient d’un réel effort de la part d’un gouvernement qui s’est illustré jusqu’à présent par son souci de protéger les grands groupes et les plus aisés. Nous avons cherché, dans ce projet de loi de finances pour 2020, mais nous n’avons rien trouvé.

Certes, il y a eu les mesures « gilets jaunes », qui, soit dit au passage, ont coûté à l’État deux fois plus que le montant des économies qu’il comptait réaliser au travers du projet de loi de finances pour 2020.

Certes, il y a les 5 milliards d’euros de baisse de l’impôt sur le revenu, mais, monsieur le ministre, pour être exhaustif, pourriez-vous nous rappeler à combien se chiffre la hausse des recettes fiscales et non fiscales de l’État consécutive notamment à l’adoption du prélèvement à la source, que nous avons engagée sous le précédent gouvernement et soutenue sous le vôtre ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Le bébé a plusieurs pères quand il est beau !

M. Thierry Carcenac. Eh oui, cette mesure avait été proposée par le précédent gouvernement.

Même quand vous tentez, sous la contrainte, de mettre en œuvre une politique à destination de certains de nos concitoyens qui en ont besoin, vous déployez des trésors d’inventivité pour en annuler la portée. Je me permets de rappeler que près de 5 millions de foyers n’ont pas vu la couleur de la suppression de la taxe d’habitation et que près de 22 millions de nos concitoyens seront exclus du bénéfice de la seule mesure voulue comme redistributive de ce projet de loi de finances.

Où sont les moyens déployés pour l’enseignement supérieur, notamment l’immobilier universitaire, et les étudiants, dont vous ne pouvez plus ignorer la situation dramatique ? Où sont les moyens dévolus au logement, sujet de forte préoccupation pour les Français ? Où sont les moyens pour la santé et l’hôpital public ? Que proposez-vous de concret pour mettre en œuvre la transition écologique ?

Malgré des recettes supplémentaires et la modestie de la redistribution, vous n’arrivez même pas à équilibrer vos comptes ! Nouvelle illustration de votre politique : la sécurité sociale, que nous avions tant peiné collectivement à remettre à l’équilibre, creusera un peu plus le déficit, à hauteur de près de 5 milliards d’euros. En somme, vous reprenez d’une main ce que vous avez donné de l’autre.

Monsieur le ministre, je me permets une suggestion : le rétablissement de l’ISF, que nous vous avions proposé et que nous vous proposerons de nouveau, aurait permis de dégager des recettes fort opportunément pour répondre aux besoins et à la demande de plus de justice fiscale.

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. C’est sûr !

M. Thierry Carcenac. En effet, le rapport du président Vincent Éblé et du rapporteur général Albéric de Montgolfier a permis d’établir que le gain moyen lié à la mise en place de l’IFI a été, pour les 100 premiers redevables de l’ISF au titre de 2017, de 1,2 million d’euros par foyer.

Nos propositions de bon sens, de justice fiscale et les alertes du Sénat auraient dû vous faire entendre raison. Qu’attendez-vous ? Que les mouvements sociaux du 5 décembre dégénèrent ? Cette posture de pompier pyromane qui est la vôtre ne vous honore pas et elle est dangereuse.

Pour conclure, le groupe socialiste et républicain souhaite tendre la main au Gouvernement et à la majorité sénatoriale. Nous avons publié, voilà quelques semaines, un contre-budget qui témoigne, si besoin était, de la crédibilité d’une autre orientation politique que celle que vous avez choisie.

Nos amendements s’articulent selon trois axes : la justice fiscale et sociale, le défi environnemental et l’intelligence des territoires. Nous nous prononcerons en fonction du sort qui leur sera réservé. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, au mois de juillet dernier, à l’occasion de la signature des premiers contrats de convergence et de transformation entre l’État et les outre-mer, le Président de la République a rappelé le principe de base guidant sa politique pour nos territoires ultramarins en déclarant haut et fort que l’« on ne fait pas d’économies sur les outre-mer ».

Je dois dire que le Gouvernement a respecté la parole présidentielle. L’examen du projet de budget de la mission « Outre-mer » fait apparaître une stabilité des crédits de paiement, à 2,358 milliards d’euros, la baisse apparente étant due, pour l’essentiel, à des mesures de périmètre, pour 100 millions d’euros, et, pour 34 millions d’euros, à la compensation moindre des exonérations de charges sociales.

On s’en rend encore mieux compte en considérant, toutes missions confondues, l’ensemble des crédits consacrés aux outre-mer, la mission « Outre-mer » ne représentant finalement que 11,6 % du total. Ainsi, que ce soit en autorisations d’engagement – 22,05 milliards d’euros – ou en crédits de paiement – 21,53 milliards d’euros –, le PLF pour 2020 marque une augmentation, comme ce fut d’ailleurs déjà le cas les deux années précédentes. Ce seront ainsi plus de 400 millions d’euros engagés de plus depuis 2018 en autorisations d’engagement et en crédits de paiement.

Pour autant, il ne faut pas se satisfaire de la situation actuelle. Là encore je reprendrai les mots du Président de la République : « Nous ne sommes pas en train de réussir en outre-mer. »

En effet, dans l’« archipel France », il y a des îlots de pauvreté et de précarité, des îlots en retard de développement, que nous n’arrivons pas à résorber. Ainsi, le PIB par habitant de la Guyane est de 14 800 euros, inférieur de moitié à celui de la métropole. Pis, celui de Mayotte est à peine de 9 100 euros.

Malgré les moyens engagés, les situations sont telles en outre-mer que cela semble toujours insuffisant. Par exemple, la jeunesse ultramarine est une richesse qui demande beaucoup d’investissements : 33,1 % de la population a moins de 20 ans, contre 24,4 % en métropole, les disparités étant fortes entre les territoires, puisque ce taux atteint 54,5 % à Mayotte et 42,3 % en Guyane. D’après les données pour 2018 d’Eurostat, 21,3 % des jeunes Ultramarins âgés de 18 à 25 ans quittent prématurément le système d’éducation et de formation. En corollaire, le chômage des jeunes, qui s’établit à plus de 40 %, continue d’augmenter.

Le défi que lance cette jeunesse est énorme. Pour le relever, les crédits consacrés à l’éducation et à la jeunesse augmentent de plus de 200 millions d’euros en deux ans, sans compter le maintien de dotations spéciales, pour un montant de 90 millions d’euros, à destination des collectivités de Guyane et de Mayotte afin d’aider à la construction d’établissements scolaires. Divers dispositifs sont par ailleurs renforcés au travers de ce PLF, comme le service militaire adapté, dont les capacités d’accueil sont portées à plus de 6 000 jeunes. Au mois de juillet 2019, la signature de contrats de convergence et de transformation entre les collectivités régionales et l’État, pour un montant de 2,1 milliards d’euros sur quatre ans, est venue concrétiser la volonté du Gouvernement de mener une politique véritablement à la hauteur des enjeux ultramarins. Leur traduction dans ce PLF confirme cet engagement.

Cependant, ce que je souhaite souligner avec force aujourd’hui, c’est que ce projet de loi de finances pour 2020 reconnaît pour la première fois l’iniquité de traitement entre les collectivités locales d’outre-mer et celles de métropole.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est vrai !

M. Georges Patient. Cela fait des années que les collectivités ultramarines sont sous-dotées en matière de péréquation, et des années que j’en fais le constat sans être entendu. Il en est désormais autrement. Le Gouvernement a chiffré l’écart, pour les communes d’outre-mer, à 85 millions d’euros, qu’il propose de rattraper sur cinq ans.

Permettez-moi tout de même d’exprimer ma déception de voir que la commission des finances a préféré s’aligner sur la position du Comité des finances locales en proposant un amendement visant à augmenter le montant total de la DGF, très certainement pour ne pas brusquer les communes de l’Hexagone. Cet amendement montre à quel point la solidarité n’est pas encore une valeur partagée par tous.

Pour autant, il faudra plus qu’une augmentation de dotation pour sortir de l’ornière financière des collectivités exsangues. Ce n’est bien évidemment pas l’objet de ce PLF. Il faudra que chacun accepte d’assumer ses responsabilités, l’État comme les élus locaux.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est vrai !

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Vincent Delahaye. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’équilibre, c’est la santé, y compris en matière budgétaire.

M. Gérald Darmanin, ministre. Oui !

M. Vincent Delahaye. Ce n’est un scoop pour personne ici : la France fait partie des derniers pays de la classe européenne en matière de déficit. Nombre de nos partenaires européens sont à l’équilibre budgétaire, voire en excédent. Bizarrement, c’est dans ces pays que l’on lutte le mieux contre le chômage et l’inactivité. Je veux parler de l’Allemagne, de la Suède, des Pays-Bas, de la République tchèque. Pour moi, tout est lié : santé budgétaire, santé économique et santé sociale.

Pour lutter contre le chômage et l’inactivité, faut-il toujours plus de dépense publique et plus de déficit ? Je pense l’inverse : il faut moins de dépense publique et moins de déficit. Sur ce sujet, nous sommes collectivement responsables. En effet, à la moindre montée de tension, à la moindre poussée de fièvre, à la première manifestation, on pense immédiatement à augmenter la dépense publique et à distribuer du pouvoir d’achat. On le fait à crédit, en aggravant le déficit et la dette. Messieurs les ministres, 2 % ou 3 % de déficit, 100 milliards d’euros : ces chiffres passent au-dessus de la tête des Français. Ils demandent toujours plus de moyens pour l’éducation, pour la défense, pour la sécurité, pour la transition écologique, pour l’hôpital, pour les étudiants…

M. Gérald Darmanin, ministre. Pour les collectivités territoriales !

M. Vincent Delahaye. L’augmentation de la dépense, des déficits, de la dette, du chômage, nous connaissons cela depuis quarante ans ! Messieurs les ministres, si la dépense publique rendait heureux, nous serions les champions du monde du bonheur ! Je crois que nous en sommes assez loin…

M. Jean-François Husson. C’est la Finlande !

M. Vincent Delahaye. Comment revenir à une situation saine ? Faut-il augmenter les impôts ? Il y a déjà overdose ! Pour revenir à l’équilibre budgétaire, il faudrait, sur une seule année, augmenter tous les impôts, y compris la TVA et la CSG, de 33 %.

M. Julien Bargeton. C’est impossible !

M. Vincent Delahaye. En effet. La seule solution, même si c’est impopulaire, est de réduire les dépenses publiques.

M. Julien Bargeton. Lesquelles ?

M. Vincent Delahaye. Pour ce faire, il faut forcément s’attaquer au temps de travail et à la mobilité.

Les 35 heures de Martine Aubry ont fait beaucoup de mal à notre économie, et pas seulement à l’hôpital. (Protestations sur des travées du groupe SOCR. – Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Nous sommes le pays où l’on travaille le moins, avec un taux de chômage très élevé. Le partage du temps de travail a totalement échoué, mes chers collègues. Il faut faire en sorte que tous les fonctionnaires travaillent effectivement au moins 35 heures. Avec le rapporteur général, nous irons plus loin, en proposant, comme l’an dernier, de porter la durée du travail pour les fonctionnaires à 37,5 heures, ce qui correspond à la durée moyenne du travail dans le secteur privé. Cela permettrait de dégager des marges supplémentaires, messieurs les ministres.

M. Gérald Darmanin, ministre. On les paiera combien ?

M. Vincent Delahaye. Nous en reparlerons au cours du débat, monsieur le ministre. Je souhaite finir mon intervention.

Il faut aussi aller plus loin en matière de mobilité et de formation pour permettre des mobilités entre ministères. Par exemple, au ministère de l’éducation nationale, quelque 25 000 fonctionnaires sur 800 000 ne sont pas affectés et sont payés à ne rien faire. Dans le même temps, il manque des greffiers au ministère de la justice, ce qui ralentit celle-ci. Ne pourrait-on pas former des fonctionnaires de l’éducation nationale afin de pouvoir les employer là où existent des besoins ?

Messieurs les ministres, il faut être rigoureux sur le temps de travail et astucieux en matière de mobilité pour parvenir à réduire la dépense publique.

Il y a également une autre voie à explorer, celle qu’indiquait le Premier ministre lors de la conclusion du grand débat : développer une culture de la simplification. Il touchait juste, mais le dire, c’est bien, le faire, c’est mieux. La complexité de nos procédures et de notre système administratif nous coûte très cher.

Je prendrai l’exemple des fameuses niches fiscales. Là encore, nous sommes tous responsables : nombre des amendements qui ont été déposés sur ce PLF ont pour objet la création de niches fiscales supplémentaires.

M. Julien Bargeton. C’est vrai !

M. Vincent Delahaye. Au nom du groupe Union Centriste, je présenterai un amendement sur l’impôt sur le revenu visant à aller un petit plus loin que vous, messieurs les ministres, en termes de baisse des taux, de déductibilité de la CSG et de la CRDS, mais aussi, parallèlement, à supprimer quatre-vingts niches fiscales. Je rassure les amateurs de niches fiscales, il en restera plus d’une centaine pour le seul impôt sur le revenu !

Rigueur, astuce et volonté : tels sont les mots d’ordre pour aller vers l’équilibre budgétaire, dans l’intérêt de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà deux ans, jour pour jour, dans cet hémicycle, je dénonçais la hausse brutale, dangereuse et aveugle de la fiscalité carbone et mettais en garde le Gouvernement. Vous m’aviez opposé, monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, une certaine forme de mépris, assumé et un brin condescendant. Je vous accorde bien volontiers le droit à l’erreur, dans l’esprit de la loi pour un État au service d’une société de confiance que vous avez défendue… (Sourires.)

L’an passé, à la même période, les Français se mobilisaient sur les ronds-points, comme en écho à nos avertissements. Votre refus d’écouter la voix du Sénat et un certain entêtement auront fait perdre des mois d’action précieux à la France, au prix de vives tensions sociales, jamais vues sous la Ve République.

Après de telles crispations, nous aurions pu croire la leçon retenue. Nous aurions pu croire que les appels à garantir la traçabilité de l’utilisation des recettes de fiscalité énergétique avaient été entendus. En effet, ne nous y trompons pas, bien davantage que le principe même d’une fiscalité écologique et comportementale, c’est l’utilisation abusive et fallacieuse que vous en avez faite qui a été contestée l’an dernier. L’augmentation massive, brutale et aveugle de la trajectoire carbone a pris de court et à revers, dans un contexte de hausse du prix des carburants, des milliers de Français, souvent automobilistes, assignés à résidence et victimes d’un empilement de taxes et d’impôts particulièrement indigeste !

M. Julien Bargeton. Et la TVA Fillon ?

M. Jean-François Husson. Ce qui a été dénoncé l’année dernière, c’est aussi le hold-up fiscal : ce moyen facile et détourné pour l’État d’alimenter son budget, sans servir aucunement la cause de la transition écologique. C’est en somme l’écologie alibi !

Mes chers collègues, la crise des « gilets jaunes » a démontré que le Gouvernement associait par trop l’écologie à une contrainte et la rendait ainsi insupportable à beaucoup de nos concitoyens. C’est une grave erreur : ce sujet devrait, tout au contraire, rassembler nos concitoyens pour « faire France » ensemble.

Il y a pis encore. Avec l’arrêt en rase campagne de la trajectoire carbone, vous ne disposez plus de la fiscalité énergétique pour financer vos plans de sauvetage. Cependant, je vous reconnais un certain don d’inventivité : lorsqu’il n’est plus possible d’augmenter les recettes écologiques, vous baissez les dépenses environnementales ! Ce PLF traduit votre volonté de vernir une fiscalité de rendement en prétendant la verdir… Vous êtes en fait de faux dévots de l’écologie, de vrais tartuffes verts.

Des tartuffes en matière de transition de notre parc automobile, quand vous cassez la prime à la conversion, parce qu’elle marche trop bien, huit mois seulement après l’avoir mise en place. Vous augmentez le malus automobile tout en rehaussant trop faiblement le bonus, auquel sont seuls éligibles les véhicules électriques neufs.

Des tartuffes en matière de rénovation du parc locatif, quand vous privez 50 % des bénéficiaires du CITE dans une pure logique de rendement budgétaire, rendant inatteignable l’objectif de 500 000 logements rénovés par an, alors même qu’il faudrait en rénover entre 700 000 et 1 million.

Des tartuffes quand vous prétendez faire de l’éco-contribution sur les billets d’avion une mesure écologique : vous impactez en fait notre compagnie nationale et, surtout, la taxe financera la réparation des radars routiers détruits l’année dernière !

Des tartuffes, enfin, en matière d’utilisation des recettes issues de la fiscalité verte, quand vous supprimez les comptes d’affectation spéciale écologiques, qui permettent la traçabilité de l’emploi de ces recettes.

Messieurs les ministres, ce projet de budget porte également la marque de vos renoncements : renoncement à proposer une nouvelle fiscalité environnementale, juste, adaptée et accompagnant les Français ; renoncement à investir dans la transition énergétique, les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » baissant, à budget constant, de 1 % et près de 800 emplois étant supprimés dans son périmètre ; renoncement à accompagner les ménages dans cette transition, en présentant le chèque énergie, dont on sait la relative faiblesse du montant – environ 200 euros –, comme une mesure suffisante, susceptible de compenser l’alourdissement de la fiscalité verte ; renoncement, enfin, à prendre en compte les effets du changement climatique, les agences de l’eau continuant d’être ponctionnées au profit de l’État et les fonds destinés à la prévention des risques étant en baisse.

Alors, comme on sort un lapin du chapeau, vous dégainez ce livre vert, succédané peut-être du petit Livre rouge. (M. Éric Bocquet rit.) Tout cela, mes chers collègues, ce n’est pas un acte II plus vert, une nouvelle étape, c’est du greenwashing. Quant à ce PLF, c’est du greenbudgeting : j’en veux pour preuve l’indigence – il ne compte que quelques feuillets – de ce livret censé exposer vos engagements écologiques.

Pourtant, le temps presse.

D’une part, qu’il s’agisse du climat ou de l’équilibre de nos finances publiques, vous hypothéquez l’avenir de nos concitoyens. Présenter un budget financé massivement par la dette, lorsque celle-ci représente déjà près de 100 % de notre richesse nationale, c’est jouer avec le feu.

D’autre part, en privilégiant la communication au détriment du courage, vous dissimulez mal l’absence de stratégie, le déficit de vision et une certaine improvisation. Je le dis solennellement : ceux qui évoquent une convergence des luttes ou en rêvent exposent la France à une coalition des colères. Les semaines passent, et les revendications s’accumulent chez les agriculteurs, chez certaines de nos forces de sécurité et de protection, chez les enseignants, chez les personnels de santé et les personnels soignants, chez les étudiants…

Messieurs les ministres, je ne veux pas souffler sur les braises, mais je tiens à vous dire que le pays ne peut demeurer dans cet état de tension permanente. À trop laisser couver le feu sous la cendre, vous risquez l’incendie. Je crois bon de rappeler que la vraie chambre de refroidissement, le lieu de l’apaisement, c’est le Parlement. Personne ne gagnera à voir se multiplier les revendications dans la rue, suivies d’annonces médiatiques ou de plans de sauvetage, toujours financés par la dette.

Face à de telles tensions, il est urgent de renouer avec les Français, par le biais de leurs représentants, un contrat démocratique qui soit un pacte écologique, social et économique. Le débat démocratique doit se tenir au Parlement. C’est dans nos assemblées que doivent se dire la vérité des chiffres, s’élaborer le diagnostic partagé et se dessiner la feuille de route commune pour la maison France. C’est ce à quoi nous vous invitons, messieurs les ministres. Je forme le vœu que cette fois vous nous entendiez ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

M. Rémi Féraud. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi de finances pour 2020 est annoncé par le Gouvernement comme celui de l’acte II du quinquennat, censé être marqué par une baisse massive d’impôts et s’inscrivant dans un contexte « de croissance française robuste ». Mais derrière la communication, la croissance est en réalité bien fragile, et largement due aux mesures d’urgence prises par le Gouvernement à la suite du mouvement des « gilets jaunes ».

D’ailleurs, avant-hier, après le vote de ce PLF à l’Assemblée nationale, l’AFP titrait : « le budget 2020 à la teinte gilets jaunes ». En réalité, il semble plutôt jaune pâle. Derrière les paroles, derrière les annonces, c’est la même politique qui continue, avec, c’est vrai, un peu plus de déficit budgétaire que prévu.

L’injustice fiscale continue, d’abord. Aucun retour en arrière n’est prévu concernant la suppression de l’ISF ou l’instauration du prélèvement forfaitaire unique. Prenons même la suppression de la taxe d’habitation, qui était censée garantir une fiscalité plus juste pour les Français : en réalité, les 5 millions de foyers les plus modestes, qui ne la payaient pas, ne bénéficieront donc pas de sa suppression.

M. Julien Bargeton. Rétablissez-la !

M. Rémi Féraud. À l’inverse, les 20 % de Français les plus favorisés feront un gain de 8 milliards d’euros, soit autant que les 80 % des Français appartenant à la classe moyenne. Ainsi, la suppression de la taxe d’habitation, présentée lors de la campagne présidentielle comme une mesure de justice sociale, est devenue le contraire. Monsieur le ministre, vous avez invoqué la décision du Conseil constitutionnel pour justifier cette évolution : quelle ironie de l’histoire, reconnaissez-le !

Par ailleurs, contrairement à ce que vous affirmez, la suppression de la taxe d’habitation ne sera pas intégralement compensée aux communes, puisque 250 millions d’euros leur manqueront, ainsi qu’aux intercommunalités, dès 2020. Quant aux départements, comment ne pas évoquer le prélèvement par l’État d’une partie des droits de mutation à titre onéreux perçus par les départements de la région d’Île-de-France, décidé lors de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale ? Cela représentera, pour ces collectivités, une perte de 60 millions d’euros chaque année.

L’Institut des politiques publiques, dans son étude du 15 octobre dernier, dresse un bilan clair : les grands perdants des mesures fiscales du Gouvernement sont les 25 % de Français les plus modestes, particulièrement les 10 % de ménages les plus pauvres. Si l’on ajoute le fait que ces foyers les plus modestes ne bénéficieront ni de la suppression de la taxe d’habitation ni de la baisse de l’impôt sur le revenu, il apparaît clairement qu’ils sont de nouveau les grands perdants.

En valeur absolue, le constat est sans appel : au terme de l’exécution des trois premiers budgets du Gouvernement, un Français dont les revenus se situent dans le deuxième décile, soit environ 1 150 euros mensuels, aura gagné 284 euros par an. Dans le même temps, les 1 % les plus aisés auront bénéficié d’un gain de 4 462 euros. C’est à eux que profite en priorité votre politique, à laquelle vous ne renoncez pas plus en 2020 qu’en 2019 ou en 2018, ce qui vous conduit d’ailleurs à conserver un déficit budgétaire important sans pour autant financer les actions publiques dont notre pays a besoin.

Prenons l’exemple de l’écologie, que vous semblez aujourd’hui hésiter à ériger en priorité de votre action. Nous assistons à un tour de passe-passe. Le Gouvernement se targue d’une hausse de 900 millions d’euros des crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » – soit une augmentation de 2,6 %, ce qui reste modéré –, mais, à titre de comparaison, l’Allemagne a adopté un plan de 100 milliards d’euros sur dix ans pour répondre à l’urgence climatique. Cette augmentation n’est en réalité qu’une façade et la fiscalité écologique reste conçue comme une fiscalité de rendement. L’effort budgétaire est en vérité bien faible.

De surcroît, les effectifs du ministère de la transition écologique ont été réduits de près de 5 000 postes, dont 1 769 supprimés par le projet de loi de finances pour 2020. C’est le ministère le plus touché par les suppressions de postes, avec celui des solidarités et de la santé. Quel signe de volontarisme…

Avec mes collègues du groupe socialiste et républicain, nous ne pouvons pas nous retrouver dans un projet de budget qui ne permet ni la justice sociale, ni la transition énergétique, ni la préservation de nos grands services publics. Il pèse lourdement sur les finances des collectivités territoriales et celles de la sécurité sociale. À notre sens, il ne permettra pas de remédier aux fractures qui s’aggravent dans notre pays, ni même de réduire les déficits publics au rythme annoncé en débat de quinquennat !

M. Julien Bargeton. Quelle caricature !

M. Rémi Féraud. Manque de justice, manque d’ambition, manque d’efficacité… Depuis un an, tout a changé, mais, en réalité, rien n’a changé. Voilà pourquoi, au-delà de quelques avancées que nous espérons voir aboutir au cours du débat, nous ne pouvons pas nous reconnaître dans ce projet de budget. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour examiner le projet de loi de finances pour 2020, il convient de le replacer dans un contexte international toujours aussi incertain et sans doute encore plus perturbé qu’il y a un an.

La multiplication des conflits et des contestations dans le monde, l’attitude agressive des États-Unis dans ses relations commerciales avec la Chine, l’Europe, en particulier la France, l’interminable feuilleton du Brexit et le manque de cohésion des pays européens ne sont pas de nature à nous rassurer et constituent une toile de fond peu propice aux investissements et aux initiatives.

Ce tableau est encore assombri par nos propres insuffisances économiques, notamment la persistance d’un déficit du commerce extérieur supérieur à 50 milliards d’euros, avec un secteur industriel affaibli qui a du mal à retrouver sa place de moteur de la croissance.

Au-delà du contexte, des hypothèses macroéconomiques et des grands équilibres financiers, ce projet de budget présente de nombreuses mesures fiscales qui, pour certaines, reprennent des engagements de début de mandat, et, pour d’autres, constituent des nouveautés. Par ailleurs, le Gouvernement poursuit, en seconde partie du PLF, la trajectoire de renforcement des grandes missions régaliennes – défense, justice, sécurités – ou d’éducation et d’investissement – enseignement, recherche, investissements d’avenir.

En termes de grands équilibres, le déficit diminue pour s’établir à 2,2 % du PIB. En réalité, cela correspond à un niveau identique à celui de 2019 si l’on retire, pour cette année-là, le double effet de la transformation du CICE en allégement pérenne de cotisations sociales.

Pour sa part, le niveau de la dette publique est également quasiment stable, à 98,7 % du PIB. Il n’y a donc pas d’amélioration structurelle des comptes publics, avec un déficit qui dépassera encore 90 milliards d’euros.

Cependant, cette apparente stabilité ne doit pas masquer les efforts accomplis pour faire face à une situation conjoncturelle compliquée, avec de multiples sollicitations sectorielles et une protestation sociale symbolisée par la crise des « gilets jaunes », que l’on invoque un peu trop fréquemment pour appuyer une argumentation, avec une compassion qui me paraît souvent déplacée.

Ce contexte intérieur a conduit le Gouvernement, avec, pour l’essentiel, l’accord du Parlement, à mettre en œuvre un ensemble de mesures d’un coût budgétaire de l’ordre de 17 milliards d’euros, principalement pris en charge par le budget général et, partiellement, par celui de la sécurité sociale.

Dans ces conditions, il semblait évident que la trajectoire des finances publiques pour 2018-2022 subirait un léger infléchissement, reportant dans le temps le rétablissement complet de l’équilibre budgétaire.

Le budget de 2019 et celui de 2020 ont ainsi montré leur capacité d’absorption de charges nouvelles non programmées, allant du renforcement de certaines prestations à des diminutions de recettes fiscales, en passant par des compensations de la suppression d’impôts locaux ou par la prise en compte de charges externes, comme les intérêts d’emprunt liés à la reprise progressive de la dette de la SNCF. Bien entendu, cette politique « temporairement de la demande » a des effets positifs sur la TVA, par un sursaut de consommation, et sur l’impôt sur les sociétés, du fait de la transformation du CICE, qui engendre une base taxable d’un montant équivalent. Le CICE, c’était un peu le chèque « mamie Zinzin ». (M. Éric Bocquet sesclaffe.) De façon assez paradoxale, il avait été institué par un gouvernement socialiste…

On ne peut qu’être admiratif devant cette capacité à « digérer » la charge de mesures nouvelles, s’élevant en année pleine à plusieurs dizaines de milliards d’euros par rapport à 2017 : quelle maîtrise des finances publiques !

En lui-même, le projet de budget pour 2020 nous inspire un certain nombre de satisfactions, mais aussi quelques interrogations et inquiétudes.

Commençons par ces dernières. On constate un effort significatif de l’État en direction des entreprises, qui ne se traduit pas encore de manière importante sur la croissance, l’emploi et le commerce extérieur, une insuffisance marquée des efforts pour réduire la dépense publique, en particulier dans le périmètre de l’État – contrairement à l’orateur précédent, je pense qu’il y a trop d’agents dans les administrations centrales –, et enfin une stagnation du déficit et de la dette publique à des niveaux particulièrement élevés, sachant que nos charges budgétaires liées aux intérêts d’emprunts bénéficient de taux au plus bas historiquement.

Parmi les satisfactions, on relève une grande sincérité des comptes, fondés sur des prévisions de croissance du PIB jugées crédibles et une certaine prudence des estimations. Je pense notamment aux taux d’intérêt : leur remontée n’est pas forcément certaine. On observe aussi une baisse sensible du taux des prélèvements obligatoires, de 0,9 point entre 2017 et 2020. C’est la conséquence des mesures prises par le Gouvernement pour alléger la fiscalité des entreprises et celle des ménages dans le présent projet de loi de finances, à hauteur, respectivement, de 1 milliard d’euros et de 5 milliards d’euros. L’ensemble de ces baisses d’impôts profitent très largement aux classes moyennes, comme en témoigne une récente étude de l’Institut des politiques publiques. On peut lire une même étude sans s’arrêter sur les mêmes paragraphes !

Je voudrais également évoquer les relations avec les collectivités locales. Les concours qui leur sont accordés sont stabilisés, avec une enveloppe de l’ordre de 40 milliards d’euros. Après des années de baisse des dotations, cette situation peut être considérée comme satisfaisante. Nous ne doutons pas non plus que la suppression de la taxe d’habitation sera compensée à l’euro près pour les communes. En revanche, cette dernière mesure a pour principal inconvénient de couper le lien financier entre une partie des habitants et la collectivité mettant en place les services qui leur sont destinés. Cette suppression, compensée par le fléchage d’une fraction de TVA, aura des conséquences sur tout le dispositif fiscal et de dotations de l’État en direction des collectivités, ce qui sera peut-être l’heureuse occasion d’une remise à plat complète.

Je partage également l’observation du rapporteur général sur le risque de faire reposer les recettes fiscales de l’État de plus en plus sur les revenus des entreprises et des ménages et de moins en moins sur la consommation. C’est une stratégie qui, structurellement, peut fragiliser le budget de l’État. Il conviendrait peut-être de ne pas l’étendre, à l’avenir, à d’autres dispositifs de compensation.

Sur le détail des mesures par mission, la majorité du groupe RDSE n’entend pas s’opposer aux orientations définies par le Gouvernement, mais elle souhaite que soient adoptées, par voie d’amendements, un certain nombre de dispositions plus justes sur le plan social ou plus incitatives sur le plan écologique.

La majorité des membres de notre groupe approuvera le présent projet de loi de finances, sauf si des amendements devaient venir le modifier de manière trop grossière. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et LaREM.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, sous le regard de Turgot, cher à Claude Malhuret, je citerai mon père, qui disait : « Il vaut mieux devoir que de ne pas pouvoir rendre. »

M. Gérald Darmanin, ministre. Je crains que cela ne soit une contrepèterie…

Mme Nathalie Goulet. Bien que je sois rapporteur spécial pour les engagements financiers de l’État, c’est non pas de la dette que je souhaite parler, mais de la lutte contre la fraude fiscale.

Cette année a été particulièrement favorable à cet égard. En effet, la lutte contre la fraude fiscale a rapporté 640 millions d’euros, sans compter les 465 millions d’euros réglés par Google, en sus d’une amende de 500 millions d’euros. Cela fait 40 % de rentrées de plus que l’an dernier : c’est tout de même un excellent résultat !

L’assouplissement – et non la disparition – du « verrou de Bercy » a entraîné, au 30 septembre, 587 dénonciations, correspondant à environ 211 millions d’euros de droits rappelés et de pénalités. L’autorité judiciaire a été saisie 1 100 fois entre le 1er janvier et le 30 septembre. Aux dénonciations s’ajoutent 481 dépôts de plainte, dont 38 pour présomption de fraude fiscale. Il semblerait que le nouveau dispositif ait permis de gagner franchement en transparence. Avec Éric Bocquet, nous nous sommes beaucoup battus pour la suppression du « verrou de Bercy » ; nous nous félicitons de son assouplissement.

Par ailleurs, si nous étions plutôt réticents quant à la mise en œuvre du mécanisme du « plaider-coupable », il apparaît que neuf procédures ont été engagées depuis le début de l’année. Il semble que le dispositif fonctionne.

Monsieur le ministre, je voudrais vous interroger sur le contrôle des prix de transfert. En l’espèce, je pense qu’il y a encore des progrès à faire, même si l’administration fiscale a beaucoup amélioré les échanges de données. Disposons-nous de moyens humains suffisants ? Le site de la Direction des vérifications nationales et internationales, qui est chargé du contrôle des prix de transfert, n’affiche aucune donnée nouvelle depuis 2016… Je pense qu’il faudrait le mettre à jour. Un certain nombre de mesures ont été prises pour le contrôle de ces prix de transferts, notamment en ce qui concerne l’échange automatique de données entre États, une disposition étant applicable depuis le 1er janvier 2018. Pourriez-vous nous apporter quelques éléments d’information sur les contrôles effectués et les résultats obtenus ? Depuis le 1er janvier 2019, l’instrument multilatéral est entré en vigueur en France. Cette convention multilatérale a vocation à modifier automatiquement les conventions fiscales bilatérales signées entre deux pays ayant ratifié l’instrument.

Je souhaite également vous interroger sur le Base Erosion and Profit Shifting (BEPS). Pensez-vous que nous pourrions remettre en question des conventions fiscales bilatérales, ce dispositif le permettant désormais ? Je pense notamment à la fameuse convention avec le Qatar, qui transforme plus ou moins notre pays en paradis fiscal.

La création d’un fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) européen est aussi une mesure importante. Je crois qu’elle présenterait beaucoup d’intérêt pour la lutte contre la fraude. Je pense notamment aux banques en ligne : la banque allemande N26 émet des IBAN commençant par FR ! L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution fait le maximum, mais la créativité de certains nouveaux acteurs pose problème en matière de contrôle.

Je m’interroge enfin sur l’avenir de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), qui effectue un travail remarquable. Plus de contrôles, cela implique plus de moyens humains. Les sanctions doivent en outre être exemplaires.

Les progrès accomplis en la matière sont pour nous une très grande satisfaction. À l’instar de nos collègues du groupe CRCE, nous proposerons un certain nombre d’amendements et nous serons très attentifs au sort qui leur sera réservé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Une fois encore, il me revient de parler du sort réservé aux collectivités territoriales dans le projet de loi de finances. La situation n’est pas meilleure qu’à l’automne 2018. À mon sens, l’État devrait largement s’inspirer de leur rigueur de gestion.

Le maintien des dotations est un trompe-l’œil qui ne trompe personne ! Leur montant global s’élève à 27 milliards d’euros. Certaines augmentent, comme la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR), mais si la prise en charge par l’État d’une partie de la revalorisation des indemnités des élus, annoncée voilà quelques heures par le Premier ministre au Congrès des maires, s’effectue à l’intérieur de l’enveloppe normée, cela reviendra à déshabiller Pierre pour habiller Paul ! (M. Jean-François Rapin applaudit.)

M. Jean-François Husson. Eh oui ! Une fois de plus !

Mme Christine Lavarde. L’amputation de moitié de la compensation du versement transport illustre ce que Jean-François Husson a largement démontré : votre projet de budget est vert pâle ! C’est un très mauvais signal envoyé aux collectivités locales, dont vous avez renforcé largement les compétences dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités.

Par ailleurs, des incertitudes très fortes entourent la réforme de la taxe d’habitation. Nous sommes un certain nombre à considérer que la suppression de cette taxe a été la première erreur du quinquennat. Cette décision entraînera, pour l’État, une charge supplémentaire s’élevant – les chiffres varient selon les sources – entre 20 milliards et 24 milliards d’euros. On ne sait trop !

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est 22 milliards d’euros !

Mme Christine Lavarde. En tout cas, je constate qu’une partie de l’effort est reportée sur le quinquennat suivant. En effet, la suppression totale de la taxe d’habitation, qui était annoncée pour 2021, n’interviendra qu’en 2023, et 2,6 milliards d’euros ne seront financés qu’à cette échéance.

Pour 40 % des Français et deux tiers des Parisiens, il n’existera plus aucun lien fiscal avec les services publics. Le citoyen deviendra un simple consommateur !

À défaut de la discussion d’une véritable loi de financement des collectivités locales qui aurait permis de remettre à plat les dispositifs de péréquation, vous nous présentez un pis-aller pour compenser la perte de recettes pour les communes.

Malgré les amendements déposés par le rapporteur général visant à améliorer significativement le dispositif, un certain nombre de points négatifs demeurent.

En particulier, les collectivités territoriales qui ont augmenté leurs taux en 2018 et en 2019 en perdront tout le bénéfice. Si l’application d’un coefficient correcteur, le fameux « coco », présente quelques avantages par rapport à un fonds national de garantie, elle a aussi des inconvénients, notamment pour les communes dont le coco sera inférieur à un. En effet, une partie du dynamisme de leurs bases profitera finalement chaque année à l’État. Il existe en outre un risque non nul que le système devienne déséquilibré à un horizon pas si lointain. Combien de temps perdurera-t-il ? Quelles garanties avons-nous sur ce point ? Les communes les plus dynamiques sont celles dont le coco est supérieur à un. Ainsi que cela a été souligné, la suppression de la taxe d’habitation entraîne une modification des potentiels fiscaux, pris en compte dans le calcul de plus de quatorze indicateurs.

Pourquoi nous faire voter une telle réforme dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020 et annoncer d’ores et déjà qu’elle sera corrigée en 2021 ? Il aurait été plus respectueux des élus de nous présenter une réforme aboutie.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Très juste !

Mme Christine Lavarde. Quelle logique y a-t-il à faire porter l’ensemble des impôts sur les ménages sur la taxe foncière ? Celle-ci présente exactement le même défaut que la taxe d’habitation : elle repose sur des valeurs locatives injustes. (M. le rapporteur général acquiesce.) Les résultats de l’expérimentation qui a été menée sur la révision des valeurs locatives sont connus. Pour autant, la réforme n’est annoncée qu’à l’horizon 2026 !

Comme l’a exposé Jean-Marc Gabouty, la réforme de la taxe d’habitation entraîne pour les départements une très forte dépendance à la conjoncture économique. Or, cela ne vous aura pas échappé, leurs dépenses sont elles-mêmes très fortement liées à la conjoncture économique. Ce sera donc la double peine en cas de crise : leurs recettes diminueront tandis que leurs dépenses augmenteront. Selon une étude de Standard & Poor’s publiée au mois de juillet, la situation des départements français s’apparente à celle des collectivités chinoises et cette réforme aura clairement des conséquences négatives pour eux.

Avec le présent projet de loi de finances, les transferts de charges non compensés continuent. Je prendrai l’exemple de la suppression, annoncée pour 2023, du crédit d’impôt famille (CIF). Aujourd’hui, les entreprises complètent l’offre des collectivités locales en matière d’accueil des jeunes enfants, sachant qu’il manque à l’heure actuelle plus de 230 000 places de crèche en France. Le crédit d’impôt famille permet aux entreprises de réduire leurs dépenses visant à faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale pour leurs salariés. Continueront-elles à s’engager à ce titre si le crédit d’impôt famille disparaît en 2023 ? Les collectivités locales ne pourront suppléer leur retrait. Pour ces dernières, le reste à charge pour une place de crèche représente a minima 30 % du coût global. Pourtant, il me semblait avoir entendu Mme Buzyn affirmer dans cet hémicycle, le 13 novembre, que les familles étaient « clairement accompagnées par le Gouvernement »…

La loi d’orientation des mobilités prévoit le transfert des petites lignes ferroviaires aux régions sans financement.

M. Jean-François Husson. Eh oui ! C’est un cadeau empoisonné !

Mme Christine Lavarde. Les intercommunalités pourront en outre prendre en charge les transports dans les zones rurales, toujours sans financement.

Mme Christine Lavarde. Ce ne sont là que quelques exemples parmi bien d’autres.

Les collectivités locales maîtrisent leur endettement, contrairement à l’État. Elles parviennent à faire toujours mieux avec moins de recettes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

Mme Sophie Taillé-Polian. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le « budget du pouvoir d’achat » : c’est ainsi que nous est présenté le projet de loi de finances pour 2020. En réalité, celui-ci accentue l’injustice fiscale et sociale que vivent les Français.

Messieurs les ministres, vous communiquez en parlant de baisses d’impôts, en alimentant une confusion entre les différents types de prélèvements – cotisations, impôts et taxes – et leurs effets, très différents sur le plan redistributif !

Cette confusion atteint son paroxysme cette année avec l’officialisation de la non-compensation des baisses ou des exonérations de cotisations sociales que vous décidez. On la retrouve dans l’exonération de taxe d’habitation, le transfert de la taxe foncière des départements aux communes et sa compensation via l’attribution d’une part de TVA. L’argument le plus utilisé pour justifier ce choix consiste à mettre en avant le côté « dynamique » de cet impôt. Notre croissance reposant essentiellement sur la consommation des ménages, nous avons effectivement un impôt indirect dynamique, mais ô combien injuste !

Il faut le rappeler sans relâche, la TVA est l’impôt le plus injuste. Non seulement il est dégressif, c’est-à-dire que, proportionnellement à leurs revenus, les catégories les moins aisées payent davantage que les autres, mais, en plus, les Français ne se rendent pas compte qu’ils l’acquittent lorsqu’ils procèdent à des achats dans leur vie quotidienne. Imaginez leur réaction si, lors de chaque passage en caisse, ils devaient effectuer un paiement distinct à l’ordre du Trésor public !

M. Patrick Kanner. Comme aux États-Unis !

Mme Sophie Taillé-Polian. Un euro pour mon café, vingt centimes pour le Trésor public ; 50 euros pour ces chaussures, 10 euros pour le Trésor public ; 10 000 euros pour cette voiture, 2 000 euros pour le Trésor public ! Je vous l’assure, nous parlerions beaucoup moins dans cet hémicycle de l’impôt sur le revenu que de la TVA, et les Français nous demanderaient de baisser cette dernière pour augmenter leur pouvoir d’achat !

Depuis la transformation du CICE en réduction des cotisations sociales patronales, c’est donc une part de TVA, payée par les consommateurs, qui sert à compenser celle-ci. Je sais que la TVA avait déjà pris une place importante dans les recettes de la sécurité sociale,…

M. Gérald Darmanin, ministre. Notamment sous le quinquennat précédent !

Mme Sophie Taillé-Polian. … mais vous l’amplifiez.

Souvenons-nous du débat, du temps de M. Sarkozy, relatif à la mise en place d’une TVA sociale. À l’époque, dans le scénario « haut » du Mouvement des entreprises de France (Medef), il était envisagé de porter le taux plein de TVA à 25 % pour financer des baisses de cotisations patronales.

Aujourd’hui, c’est par la petite porte des baisses de cotisations que nous voyons introduire cette TVA sociale. Cela se fait à bas bruit, lentement mais sûrement, en fléchant vers la compensation partielle à la sécurité sociale une part plus importante de la TVA. En clair, c’est sur le dynamisme de la consommation des Français que repose le financement des diminutions de cotisations patronales.

La même mécanique se met en œuvre concernant la compensation de la suppression de la taxe d’habitation, avec le transfert de la taxe foncière des départements vers les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), compensé par l’attribution d’une part de la TVA. Cette compensation repose donc sur cet impôt indirect et injuste qu’est la TVA.

Le projet consistant à transférer la taxe foncière des départements vers les communes et les EPCI en compensant ce transfert par l’attribution d’une part de la TVA est l’étape suivante de la création d’une TVA territoriale. Cela accentuera les injustices territoriales.

En effet, la taxe d’habitation et la taxe foncière sont souvent dénoncées comme injustes – elles le sont effectivement –, parce que leur calcul repose sur les valeurs locatives fixées voilà plus de trente-cinq ans. Malgré les rattrapages partiels qui ont marqué l’évolution de ces bases, celles-ci ne représentent pas la réalité des valeurs locatives constatées actuellement.

Il n’en demeure pas moins que la TVA est aussi éminemment injuste. TVA sociale, TVA territoriale : la baisse de l’impôt sur le revenu cache une aggravation de l’injustice fiscale dans notre pays.

En outre, la baisse de l’impôt sur le revenu, qui a été rendue possible par une meilleure perception de l’impôt à la source, est présentée comme une mesure en faveur du pouvoir d’achat. C’est vrai pour beaucoup de Français, mais les 22 millions de nos compatriotes qui ne paient pas l’impôt sur le revenu, mais qui acquittent tous les jours la TVA sur leurs achats ne verront pas d’augmentation de leur pouvoir d’achat. Et les Français dans leur ensemble, unanimes pour exiger le retour des services publics dans les territoires, en seront pour leurs frais !

L’injustice fiscale s’aggrave aussi, car les mesures en faveur des plus aisés s’accumulent et perdurent, bien que les premières évaluations montrent leur inefficacité. Pas de ruissellement à l’horizon, mais vous refusez, par posture idéologique, de revenir sur ces mesures.

On ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas eu de mouvement social, nous disiez-vous, monsieur Le Maire. Force est de le constater, vous faites comme si cette contestation sociale était uniquement une contestation de l’impôt. Or elle manifestait avant tout une exigence de justice fiscale et de davantage d’égalité, notamment dans l’accès aux services publics.

Vous ne répondez pas davantage à l’urgence écologique qu’à l’urgence sociale. M. Macron, dans Les Échos du 8 novembre dernier, découvrait que les investissements d’avenir ne devraient pas entrer dans le calcul du déficit et que la rigueur budgétaire, organisée autour de la règle des 3 % de déficit, était d’un autre siècle. Peut-être devrions-nous le prendre au mot, notamment quand il s’agit de financer les dépenses d’investissement essentielles en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre !

Mais de quelles actions concrètes en matière de lutte contre le réchauffement climatique est-il question dans ce projet de loi de finances ? On y trouve une suite de taxations ou de réductions des exonérations de taxes pour les produits et les pratiques les plus polluants ! C’est espérer en diminuer l’usage par l’effet prix ! Soit.

On nous a aussi présenté le principe d’un budget vert, identifiant par un système de codes les recettes et les dépenses selon leur caractère plus ou moins vertueux : c’est très bien, mais insuffisant. Nous n’en sommes plus là : l’urgence de la situation nous oblige à prendre des mesures beaucoup plus radicales !

Globalement, cela doit passer par une obligation d’agir pour tous les acteurs, accompagnée d’un investissement très fort de l’État. Chaque année, il manque plusieurs dizaines de milliards d’euros pour tenir les engagements que nous pris au titre de la COP21.

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Sophie Taillé-Polian. Urgence sociale, urgence écologique : tels auraient dû être les maîtres mots d’un budget responsable. Ce n’est pas un budget d’acte II du quinquennat ; c’est un budget d’entêtement à appliquer une politique largement rejetée par les Françaises et les Français ! (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jérôme Bascher. Messieurs les ministres, lorsque Pierre Moscovici, votre prédécesseur, prit ses fonctions de commissaire européen, la France était placée sous surveillance par la Commission européenne pour déficit excessif. Six ans plus tard, le temps ayant fait son effet, elle se trouve toujours sous surveillance, mais, cette fois, pour dette excessive. Et le commissaire européen de le rappeler : « L’absence d’effort structurel implique la stabilisation de la dette à des niveaux très élevés. » La remarque est cocasse quand on songe à son action, cruelle quand on songe à la vôtre !

Pourtant, avec Emmanuel Macron et vous-mêmes, messieurs les ministres, on allait voir ce qu’on allait voir ! Mais vous, les Jules César des finances publiques – veni, vidi, vici –, vous êtes mués en Catilina : veni, vidi, déficit ! (Exclamations admiratives sur les travées du groupe Les Républicains.) S’inspirant des Catilinaires de Cicéron, l’Union européenne pourrait nous demander : « Quousque tandem abutere […] patienta nostra ? » – jusques à quand abuseras-tu de notre patience ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je sais votre réel engagement européen, et je vous ai souvent entendu – avec amitié, vous le savez – parler de la dépense publique trop élevée, mais vous me semblez bien seuls dans ce combat : le Président de la République et le reste du Gouvernement vous ont lâchés en rase campagne.

M. Jérôme Bascher. L’an passé, le Gouvernement claironnait la grande réforme des retraites, mais c’est le Conseil d’orientation des retraites (COR) qui sonne la retraite de votre réforme aujourd’hui même. (Sourires.)

L’an passé, le Gouvernement claironnait la fin du déficit de la sécurité sociale ; aujourd’hui, c’est le glas que l’on sonne en récupérant la dette des hôpitaux, et bientôt celle de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).

L’an passé, le Gouvernement claironnait la baisse de l’impôt sur les sociétés, mais le son s’est éteint dans le fracas des marches forcées des « gilets jaunes ».

Vous avez préféré baisser des impôts qui ne sont pas les vôtres, comme l’a rappelé de manière cinglante François Baroin : ceux des collectivités ou encore ceux qui créent la dette que paieront nos enfants, comme l’a souligné Bruno Retailleau.

Pourtant, et il faut s’en réjouir, la conjoncture économique vous aidait, avec des taux d’intérêt négatifs, des rentrées fiscales liées à votre réforme bien menée – il faut le reconnaître, monsieur le ministre – du prélèvement à la source…

M. Julien Bargeton. Le Sénat était contre !

M. Jérôme Bascher. … ou encore la baisse du chômage.

Cette embellie conjoncturelle est votre alibi pour l’absence d’efforts structurels : aucune réduction du déficit structurel en 2020, comme le souligne le très neutre Haut Conseil des finances publiques. Zéro ! Avec un tel niveau de dette, on ne prépare pourtant pas l’avenir sans consentir des efforts structurels.

On ne prépare pas l’avenir quand aucun cap n’est fixé.

Pas de cap financier, avec une loi de programmation des finances publiques foulée aux pieds par vous-mêmes. Seules les collectivités respectent cette loi ; ni l’État ni la sécurité sociale que vous régissez par la loi ne sont au rendez-vous de cette programmation pluriannuelle.

Pas de cap, et plus de limites, avec cette règle des 3 % de déficit déclarée obsolète. Le Président de la République a d’ailleurs raison : le déficit public devrait être nul !

Pas de cap tout court : votre capitaine a perdu la boussole, vous naviguez à vue alors que le bateau des administrations publiques prend l’eau de toutes parts. Vous croyez colmater les fuites en déplaçant l’eau dans la cale : vite, récupérons la dette de la SNCF ! Vite, récupérons celle des hôpitaux, mais laissons aux départements la dette sociale que l’État a omis de compenser ! C’est un bateau ivre, livré à des réalités bien moins poétiques.

Votre politique des finances publiques est illisible, et donc inacceptable, car quel peut être le consentement à l’impôt lorsque tout part en tuyauterie ? La TVA va aux collectivités, à l’État ou à Bruxelles, de même que la TICPE, les taxes sur les assurances aux collectivités et à la sécurité sociale. Tuyauterie encore pour les péréquations inextricables des collectivités, dénoncées par Christine Lavarde à l’instant ou par Charles Guéné de longue date, sans parler des milliards d’euros dépensés par l’État pour combler le déficit de quelques régimes spéciaux de retraite ou financer des exonérations de cotisations sociales plus ou moins compensées.

Plus de cap ni de bon sens ! À la sécurité sociale, des cotisations qui ouvrent des droits ; aux collectivités, des impôts à base locale pour que les élus rendent réellement des comptes, car, comme le rappelle Gérard Larcher, « l’autonomie fiscale des collectivités est la condition de leur liberté » ; à l’État, le retour à ses missions recentrées. Or la commission des finances du sénat s’est montrée très réservée sur les missions régaliennes ; Philippe Dominati et Dominique de Legge ne me démentiront pas.

N’êtes-vous pas devenus, messieurs les ministres, les otages de votre administration astucieuse en bricolages budgétaires, mais qui « bercyfie » tout, qui mystifie tout le monde, centralisant la politique de la France dans le XIIe arrondissement, alors qu’il faut en vérité revenir à une décentralisation responsable, celle de la confiance envers les élus, et à un gouvernement réellement réformateur ?

Messieurs les ministres, vous venez de le faire pour le canal Seine-Nord Europe, avec Xavier Bertrand, en passant, dans l’intérêt du pays, au-dessus de vos administrations. Avec Jean-François Rapin, nous nous en réjouissons. Mais il faut investir : c’est le sens de nos demandes. Or vous annoncez avec force et vous semblez faire, mais vous faites semblant. Il en va ainsi de votre politique écologique, comme l’a démontré Jean-François Husson.

Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur Bascher.

M. Jérôme Bascher. En guise de péroraison, je reprendrai l’exorde d’Albéric de Montgolfier : écoutez le Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.

M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Bascher, vous avez commencé par Cicéron et fini par Rimbaud et le rapporteur général… (Sourires.) Vous auriez dû citer Cicéron jusqu’au bout : « Quem ad finem sese effrenata iactabit audacia ? » –jusqu’où ira votre audace ? Pour le dire autrement, monsieur Bascher, jusqu’où pousserez-vous le bouchon ?

En vérité, je pense que vous l’avez poussé un peu loin en nous reprochant de ne pas avoir de cap, car si l’on peut bien sûr critiquer les orientations que nous déterminons, celles-ci existent et elles sont claires.

Lors du premier temps du quinquennat, nous avons posé les bases d’une transformation économique radicale du pays. Nous avons allégé la fiscalité pesant sur le capital. Nous avons transformé le marché du travail et nous avons engagé une politique de formation et de qualification qui porte ses fruits puisque, je le rappelle, un demi-million d’emplois ont été créés dans notre pays en un peu plus de deux ans et que nous connaissons le niveau de chômage le plus bas depuis douze ans. Vous devriez vous en réjouir, au lieu de ne cesser de nous lancer des flèches !

Nous maintenons la politique de réduction des dépenses publiques et de rétablissement de nos finances publiques, à un rythme certes plus lent, mais nous gardons le cap, et nous engageons un second temps de la transformation de l’économie avec le pacte productif, auquel je vous invite à participer, qui vise à atteindre l’objectif d’une économie décarbonée à l’échéance de 2050.

Je veux également répondre à l’accusation de tartufferie qui nous a été faite. Notre politique peut être critiquée, mais elle est sincère. La sincérité de nos comptes publics n’est pas non plus discutée. On peut débattre, je le redis, de nos orientations, mais pas de la sincérité de notre action !

S’agissant de la décarbonation de notre économie, je ne peux pas laisser dire que nous ne faisons rien pour la transition écologique de notre pays alors que les Français dépenseront –puisque c’est leur argent – plus de 6 milliards d’euros l’année prochaine pour le développement des énergies renouvelables et 800 millions d’euros pour la prime à la conversion et le bonus automobile.

M. Bruno Le Maire, ministre. Je suis d’ailleurs disposé à aller plus loin. Certains d’entre vous ont dit, à juste titre, que le malus automobile est injuste. En effet, il croît de 110 grammes à 173 grammes de CO2 émis par kilomètre, pour atteindre jusqu’à 12 500 euros, mais il reste plafonné à ce montant au-delà, même si l’on achète une voiture à 90 000 euros qui rejette 300 grammes de CO2 par kilomètre. C’est injuste : nous proposons donc le déplafonnement du malus automobile, parce que nous sommes prêts à aller jusqu’au bout de la transition écologique, avec efficacité et justice.

Je suis prêt à aller encore plus loin, pour remettre en cause le règlement de l’Union européenne, qui accorde aux constructeurs des véhicules les plus lourds le droit d’émettre le plus de CO2. Ce règlement, qui date de près de vingt ans, constitue un véritable droit à polluer pour ces constructeurs. Je suis même prêt à considérer que, dès lors qu’un marketing offensif contribue à la vente massive de SUV partout en France, il doit s’accompagner d’une information du consommateur et d’une transparence totale sur le fait que ces véhicules vantés à longueur de publicité sont ceux qui polluent le plus nos villes et nos campagnes !

M. Jean Bizet. On va finir par marcher à quatre pattes !

M. Bruno Le Maire, ministre. Enfin, je tiens à rappeler que notre politique est fondée sur un principe de justice : le travail doit payer. C’est le fil rouge de notre politique économique depuis près de trois ans. On peut, là encore, la critiquer, mais on ne peut pas contester le fait que nous engageons beaucoup de moyens pour améliorer la rémunération de ceux qui travaillent. Pour notre part, nous avons surtout entendu, venant des « gilets jaunes », un message d’avertissement, d’alerte, de colère, de souffrance. Nous y avons répondu en faisant en sorte que tous ceux qui travaillent, en particulier les salariés aux revenus les plus modestes, bénéficient d’une meilleure rémunération : 100 euros de prime d’activité pour tous ceux qui sont payés au niveau du SMIC, ce n’est pas rien ! La défiscalisation des heures supplémentaires, ce n’est pas rien ! La baisse de 5 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu, concentrée, comme nous l’avons voulu avec Gérald Darmanin, sur les déciles de revenus les plus bas, ce n’est pas rien ! La suppression du forfait de 20 % sur l’intéressement pour les millions de salariés qui, aujourd’hui, n’en bénéficient pas parce qu’ils n’ont pas la chance de travailler dans une grande entreprise pratiquant l’intéressement ou la participation, ce n’est pas rien !

Toutes ces mesures s’additionnent en vue d’un seul objectif : la dignité par le travail et dans le travail. Je ne puis donc accepter vos accusations d’injustice.

Concernant l’hôpital public, la reprise par l’État de 10 milliards d’euros de dette permettra d’investir dans la réfection d’un couloir, dans du petit matériel ou d’assainir la situation financière. Cette mesure me semble juste, tout comme le soutien apporté aux aides-soignants ou aux services des urgences. La volonté de justice est bien inscrite au cœur de notre politique.

Permettez-moi de citer à mon tour Rimbaud, monsieur Bascher :

« Comme je descendais des fleuves impassibles,

« Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :

« Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,

« Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. »

Monsieur le sénateur, ne soyez pas un de ces peaux-rouges criards : redevenez un sénateur sage et raisonnable. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.  M. Michel Canevet applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics.

M. Gérald Darmanin, ministre. « Il faut d’abord bien savoir le latin. Ensuite il faut l’oublier », disait Montesquieu. (Sourires.)

Je répondrai rapidement aux orateurs, après avoir remercié du soutien qu’ils ont apporté au Gouvernement le groupe La République En Marche, en particulier Julien Bargeton, le groupe RDSE, dans une certaine mesure, et le groupe Union Centriste, ainsi que M. Malhuret, dont je salue l’intervention.

M. Bargeton a bien résumé la problématique de la fiscalité locale. Les discussions sur ce sujet sont souvent empreintes d’une certaine hypocrisie, qui apparaîtra peut-être samedi, lors du débat que vous aurez avec Olivier Dussopt.

Certains d’entre vous ont beaucoup critiqué les propositions du Gouvernement en matière de fiscalité locale. Nous constatons pourtant qu’aucun amendement de suppression de l’article 5 n’a été déposé à ce jour et qu’aucune modification d’ampleur de son dispositif n’est proposée par la chambre qui représente les collectivités locales.

J’ai entendu le rapporteur général affirmer que la réforme ne s’appliquerait pas tout de suite. C’est en effet ce qui est prévu : elle sera mise en œuvre au 1er janvier 2021. Cela laisse le temps de réaliser un travail très important dans le cadre de l’examen de ce projet de loi de finances et de recueillir l’avis du Conseil constitutionnel.

Monsieur le rapporteur général, vous aviez, tel Nostradamus, prévu une fin du monde qui n’arrive pas. (M. le rapporteur général proteste.) À vous entendre, tout devait être censuré. Or le contrat de Cahors comme la suppression de la taxe d’habitation ont été jugés conformes à la Constitution.

Je rappelle d’ailleurs à la Haute Assemblée qu’il n’existe pas d’autonomie fiscale des collectivités territoriales : il s’agit d’une autonomie financière. Aller vers l’autonomie fiscale, c’est-à-dire permettre aux élus locaux de créer et de lever des impôts, cela supposerait d’opter pour un régime fédéral. On pourrait en discuter, mais ce n’est pas aujourd’hui le régime français. Ce n’est même pas le régime allemand, qui avait souvent été évoqué en 2017 mais ne l’a pas du tout été aujourd’hui : en Allemagne, la décentralisation, la responsabilité et la compétence des collectivités locales ne vont pas de pair avec le levier fiscal. Pour qu’il y ait péréquation, il faut qu’il y ait des impôts nationaux. Le Bundesrat, qui est l’homologue allemand du Sénat, contrôle les péréquations et la répartition locale des impôts nationaux. Il n’existe pas d’impôts locaux en Allemagne ; c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’y a pas non plus d’impôts de production dans ce pays.

Je porte à l’attention du ministre de l’économie et des finances le fait que les élus locaux ont dit aujourd’hui, à l’occasion du congrès de l’Association des maires de France, qu’il ne fallait surtout pas toucher à la fiscalité économique. Nous pensons au contraire qu’il faut supprimer les impôts de production. On peut à la fois défendre les collectivités locales et vouloir supprimer ces impôts.

Ce qu’a dit le président Baroin, pour lequel j’ai le plus grand respect, n’est pas vrai : la taxe d’habitation n’appartient pas aux collectivités locales. La taxe d’habitation est un impôt national, dont le produit ne va d’ailleurs pas qu’aux seules communes. C’est bien le Parlement qui crée ou supprime des impôts. La taxe d’habitation vous appartient, mesdames et messieurs les représentants de la Nation ! Vous pouvez créer, baisser, augmenter, modifier ou supprimer un impôt. Il n’appartient pas aux collectivités locales de le faire.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Elles en fixent tout de même le taux !

M. Gérald Darmanin, ministre. Même pas : chacune des collectivités ne fixe qu’une petite partie du taux de la taxe d’habitation.

Madame la sénatrice Lavarde, le chiffre auquel vous faisiez référence est de 22 milliards d’euros, moins 5 milliards d’euros de dégrèvement déjà opéré par l’État, soit 17 milliards d’euros. Il peut y avoir des fluctuations en cas de révision des valeurs locatives, mais le chiffre est bien de 22 milliards d’euros au moment où nous supprimons la taxe d’habitation.

Moi qui ai été maire d’une ville populaire connaissant des difficultés sociales très fortes, je puis témoigner que l’on perçoit moins de taxe d’habitation dans ce cas que quand on dirige l’exécutif d’une commune plus riche. Que les riches ne veuillent pas changer les règles du jeu, madame la sénatrice, je le comprends aisément !

Mme Christine Lavarde. Ce n’est pas ce que nous avons dit ! (M. Jean-François Husson approuve.)

M. Gérald Darmanin, ministre. Si, vous ne voulez pas que l’on change les règles du jeu !

Mme Christine Lavarde. Mais non, ce n’est pas le problème !

M. Gérald Darmanin, ministre. La TVA intéresse des territoires confrontés à des difficultés sociales comme le Pas-de-Calais ou la Creuse, parce qu’ils ont beaucoup de dépenses sociales et une faible dynamique foncière. Elle n’intéresse pas d’autres départements qui perçoivent beaucoup de droits de mutation, bénéficient d’un très fort dynamisme de la taxe foncière et supportent peu de dépenses sociales.

Puisque nous attendons, comme Godot, depuis des années une péréquation qui ne vient jamais, il est logique de recourir à un impôt national avec une répartition locale. Il est normal que le Sénat et les départements de France s’intéressent aux critères de cette répartition, à la fixation d’un plancher pour amortir les effets d’une éventuelle grande crise économique ou d’une baisse du produit de la TVA. Le Gouvernement est disposé à revoir encore les choses. Cela étant, je comprends que les riches n’aient pas envie de partager avec les pauvres…

Mme Christine Lavarde. Ce n’est pas ce que nous avons dit.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le Gouvernement est là pour faire ce travail d’intérêt général, tout à fait salutaire, me semble-t-il.

Monsieur Bocquet, il ne m’appartient pas de donner des ordres à la Cour des comptes, qui est placée sous votre protection. Le Premier président de la Cour des comptes, que j’ai rencontré très récemment, m’a indiqué qu’elle remettrait son rapport le 2 décembre, ce qui est bien normal pour une institution napoléonienne ! Je crois qu’il comportera un chiffrage, conformément à la demande formulée par le Président de la République lors du grand débat. Le projet de loi de finances ne sera pas encore voté, mais, j’en conviens, nous aurions tous apprécié d’avoir ce document plus tôt. Cela dit, c’est la première fois que cette démarche est mise en œuvre dans notre pays. Le Gouvernement est prêt à en débattre avec vous, soit au cours de l’examen du projet de loi de finances, soit lors d’une séance spécifique. Je me tiendrai bien sûr à la disposition de la commission des finances, dès que ce rapport sera sorti, pour discuter avec elle tant du chiffrage que des méthodes.

Vous avez par ailleurs affirmé que ce PFL ne comporte pas de mesures contre la fraude fiscale. Monsieur le sénateur Bocquet, sans doute cherchiez-vous ainsi à réveiller les représentants du Gouvernement ! Je citerai, entre autres dispositions, la lutte contre la fraude à la TVA, la domiciliation fiscale en France des dirigeants d’entreprises françaises, voulue par le Président de la République, l’article 57, relatif à l’utilisation de l’intelligence artificielle sur les réseaux sociaux, le « paquet TVA », pour lequel je n’ai pas voulu recourir aux ordonnances, ce qui nous permettra d’avoir un débat salutaire : ce PLF est l’un de ceux qui comportera le plus de mesures destinées à lutter contre la fraude fiscale.

M. Dallier nous a reproché, comme d’autres orateurs, d’opérer une ponction sur la trésorerie d’Action logement. Je rappellerai qu’Action logement dispose de 4 milliards d’euros de réserves, et que celles-ci continuent à augmenter. C’est une question de bonne gestion.

Dans Le Médecin malgré lui de Molière, on conclut ainsi une démonstration quelque peu absurde : « Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette. » Votre supposée démonstration de notre tartufferie était un peu de la même eau, monsieur le sénateur Husson… Comment pouvez-vous dire que l’écologie est le parent pauvre de notre budget, alors que nous augmentons les crédits de cette mission de 800 millions d’euros cette année et que nous y avons consacré 3 milliards d’euros depuis 2017 ? Telle est la vérité des chiffres ! En outre, les dépenses extrabudgétaires, par exemple pour les certificats d’énergie ou pour l’ANAH, représentent 3,5 milliards d’euros. On peut toujours estimer qu’il faut en faire plus, mais on voit bien que l’écologie est devenue un poste de dépense publique très important. Tous les rapports, tant parlementaires que de l’administration, montrent qu’elle mobilise également un montant très élevé de dépenses fiscales. Je ne sais si le Gouvernement est Tartuffe, mais vous êtes manifestement Trissotin… (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. M. Claude Malhuret applaudit également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l’article liminaire.

projet de loi de finances pour 2020

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Première partie

Article liminaire

Les prévisions de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques pour l’année 2020, l’exécution de l’année 2018 et la prévision d’exécution de l’année 2019 s’établissent comme suit :

 

(En points de produit intérieur brut)

Exécution 2018

Prévision dexécution 2019

Prévision 2020

Solde structurel (1)

-2,3

-2,2

-2,2

Solde conjoncturel (2)

0

0

0,1

Mesures ponctuelles et temporaires (3)

-0,2

-0,9

-0,1

Solde effectif (1 + 2 + 3)

-2,5

-3,1

-2,2

Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Féraud, sur l’article.

M. Rémi Féraud. L’examen de l’article liminaire peut apparaître quelque peu formel : on nous demande en somme de voter sur un simple constat, en nous appuyant sur l’avis du Haut Conseil des finances publiques. Pour autant, cet article est loin d’être inintéressant. Le groupe socialiste et républicain s’abstiendra, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, sur le fond, les prévisions présentées par le Gouvernement n’intègrent pas les risques liés à la conjoncture mondiale : le Brexit se rapproche mais nous n’en connaissons toujours pas les conditions, le commerce international risque de se dégrader, les tensions internationales sont patentes… Il nous semble peu raisonnable de s’en remettre sans réserve aux prévisions optimistes avancées.

Ensuite, de manière tout à fait incroyable, le Gouvernement utilise le raisonnement inverse de celui qu’il avait développé l’an dernier à propos du cumul du CICE et de l’allégement de cotisations patronales. L’année dernière, ce cumul aggravait le déficit ; il ne fallait pas en parler, car ce n’était que transitoire. Cette année, la diminution de 0,9 point du déficit annoncée à grand renfort de communication ne fait que masquer la stabilité du déficit structurel et son absence d’amélioration. Comment le Gouvernement justifiera-t-il auprès de la Commission européenne cette stabilité du déficit structurel alors que la légère amélioration de la conjoncture devrait conduire à sa réduction ?

Mme la présidente. L’amendement n° I-423 rectifié, présenté par MM. Capus, Malhuret, Bignon, Chasseing, Decool, Fouché, Guerriau, Lagourgue, Laufoaulu et A. Marc, Mme Mélot et MM. Menonville et Wattebled, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

…. – Au plus tard le premier mardi d’octobre de l’année 2020, le Haut Conseil des finances publiques transmet un avis motivé au Parlement sur le niveau de dépenses prévu par le projet de loi de finances pour 2021, ainsi qu’une analyse détaillée par missions budgétaires, en l’avisant notamment des cas manifestes de sous-budgétisation.

La parole est à M. Claude Malhuret.

M. Claude Malhuret. Il s’agit d’un amendement d’appel.

Actuellement, le Haut Conseil des finances publiques se prononce uniquement sur les recettes du projet de loi de finances. Cet amendement vise à lui permettre de se prononcer également sur les dépenses du projet de loi de finances pour 2021. Le cas échéant, il faudra recourir, dans un second temps, à une proposition de loi organique pour rendre permanente cette évolution.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Claude Malhuret a indiqué d’emblée qu’il s’agit d’un amendement d’appel. Comme il l’a lui-même reconnu, une telle évolution ne relève pas de la loi ordinaire : seule une loi organique pourrait modifier les compétences du Haut Conseil des finances publiques. En tout état de cause, le dispositif de cet amendement est contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

La commission des finances est, sur le fond, très opposée à cette mesure, car c’est au Parlement qu’il incombe de se prononcer sur les dépenses. Au Sénat comme à l’Assemblée nationale, un travail extrêmement approfondi d’évaluation est réalisé tout au long de l’année par les commissions des finances et les rapporteurs pour avis des autres commissions. Le rôle du Haut Conseil des finances publiques est de vérifier les hypothèses macroéconomiques, et notamment de valider les hypothèses de croissance.

La commission demande donc le retrait de l’amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. L’avis du Gouvernement est également défavorable, pour les mêmes raisons.

C’est évidemment au Parlement qu’il appartient de contrôler l’action gouvernementale, et singulièrement les inscriptions budgétaires. Toutefois, dans certaines démocraties parlementaires, le Parlement n’examine pas le détail des inscriptions en dépenses. Ainsi, au Royaume-Uni, il vote simplement un plafond de dépenses. En revanche, le Parlement britannique consacre beaucoup de temps à l’examen des recettes, avec des moyens d’évaluation d’ailleurs plus importants que ceux du Parlement français, ainsi qu’au contrôle de l’exécution, en auditionnant longuement les ministres et les directeurs d’administration.

On peut débattre de la meilleure façon de contrôler l’action gouvernementale, mais, à mon sens, que le Gouvernement ne prenne pas de décrets d’avance est déjà une marque de grand respect pour le Parlement. À l’Assemblée nationale, il y a le « printemps de l’évaluation ». Au Sénat, M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général ont formulé des propositions en vue d’un fonctionnement différent de nos institutions. Faut-il entrer dans l’hyper-détail des dépenses, avec l’appui du Haut Conseil des finances publiques et de la Cour des comptes, ou, au contraire, voter une norme d’évolution de la dépense publique, avant, in fine, de contrôler l’exécution avec plus de précision et de dureté ? De grandes démocraties ont opté pour cette seconde solution, et il me semble que ce n’est pas un mauvais choix quand on voit comment elles fonctionnent.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.

M. Philippe Dallier. En commission des finances, avons été très surpris par le dispositif de cet amendement. En France, nous votons les dépenses, et c’est très bien ainsi. Peut-être pourrions-nous, en effet, consacrer plus de temps au contrôle de l’exécution : nous le disons depuis des années, mais les choses n’ont guère évolué sur ce point.

Quoi qu’il en soit, si nous demandons au Haut Conseil des finances publiques de faire le travail des rapporteurs spéciaux de la commission des finances – car il est question ici d’un avis détaillé –, que nous restera-t-il à faire au bout du compte, à part signer, ou pas, en bas de la feuille ?

Les membres de la commission des finances ont des pouvoirs particuliers, qui leur permettent, lorsqu’ils manquent d’informations – ce qui arrive trop souvent, monsieur le ministre –, d’exiger des administrations qu’elles leur fournissent les éléments dont ils ont besoin. Nous avons donc les moyens de contrôler et de porter une appréciation fondée et sérieuse, au-delà de nos éventuels désaccords politiques.

Mme la présidente. Monsieur Malhuret, l’amendement n° I-423 rectifié est-il maintenu ?

M. Claude Malhuret. Constatant les avis défavorables du rapporteur général et du Gouvernement, je n’ai d’autre solution que de retirer cet amendement, d’autant que le Conseil constitutionnel risque fort de s’y opposer également. Je l’aurais même fait avant si mes collègues m’avaient informé de la discussion qui s’est tenue en commission des finances ce matin.

Je suis d’accord avec le rapporteur général, c’est au Parlement qu’il incombe d’examiner les projets de loi de finances. C’est même l’une de ses fonctions essentielles, mais peut-être faudrait-il, dès lors, pousser la logique jusqu’au bout et présenter un amendement prévoyant que le Haut Conseil des finances publiques n’a pas non plus à se pencher sur la première partie du PLF, relative aux recettes.

Mme la présidente. L’amendement n° I-423 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l’article liminaire.

(Larticle liminaire est adopté.)

(M. Jean-Marc Gabouty remplace Mme Valérie Létard au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Marc Gabouty

vice-président

Article liminaire
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Article 36 (début)

M. le président. Nous passons à la discussion des articles de la première partie.

PREMIÈRE PARTIE

CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER

TITRE IER

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES

M. le président. Nous allons tout d’abord examiner, au sein du titre Ier de la première partie du projet de loi de finances pour 2020, l’article 36 relatif à l’évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne.

Article 36 et participation de la france au budget de l’union européenne

Première partie
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Article 36 (suite)

M. le président. Dans la discussion, la parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Patrice Joly, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons donc à procéder à l’examen de l’article 36 du projet de loi de finances pour 2020, relatif à la participation de la France au budget de l’Union européenne. Comme vous le savez, il s’agit d’un exercice quelque peu contraint, dans la mesure où la contribution française au budget européen est prévue par les traités et où ce budget s’inscrit dans le cadre financier pluriannuel défini pour les années 2014 à 2020.

Néanmoins, l’appréciation par le Parlement du montant évaluatif de cette participation constitue une exigence démocratique et de transparence. Elle nous permet de faire le point sur nos relations budgétaires avec l’Union européenne et sur les perspectives à venir.

Pour 2020, le montant du prélèvement sur recettes est estimé à 21,3 milliards d’euros, en très légère augmentation de 143 millions d’euros par rapport à la prévision actualisée pour 2019. À ce montant s’ajoutent quelque 1,8 milliard d’euros de droits de douane, ce qui porte la contribution totale de la France au budget de l’Union européenne à 23 milliards d’euros environ.

Deux réserves peuvent être formulées à l’égard de ce montant.

D’une part, la relative stabilité du montant du prélèvement sur recettes interroge. En effet, alors que l’exercice 2020 constitue le dernier du cadre financier pluriannuel, nous aurions pu nous attendre à une forte augmentation de la contribution de la France, en raison du décaissement des crédits européens, en particulier ceux de la politique de cohésion. D’ailleurs, la loi de programmation des finances publiques avait anticipé une hausse de 3,4 % du montant du prélèvement sur recettes pour 2019 et 2020.

Nous pouvons faire le constat d’une sous-consommation des fonds européens en France : si celle-ci n’est pas supérieure à la moyenne européenne, elle est néanmoins très dommageable. Madame la secrétaire d’État, à la suite de la publication du rapport de la mission d’information du Sénat portant sur la consommation des fonds européens, vous avez annoncé que des mesures concrètes seraient prochainement prises pour mobiliser davantage ces derniers. Pourriez-vous nous en dire plus et préciser le calendrier de ces mesures ?

D’autre part, le montant de la contribution de la France est conditionné par le règlement financier du Brexit. En effet, le montant évaluatif est fondé sur l’hypothèse que le Royaume-Uni honorera ses engagements financiers envers l’Union européenne, comme il l’a promis en décembre 2017. Si tel n’était pas le cas, la contribution de la France pourrait augmenter de 1 milliard à 2 milliards d’euros en cours de gestion, et les dépenses européennes subiraient vraisemblablement des coupes drastiques, sauf à trouver d’autres recettes. Cette hypothèse constitue un aléa très important pour l’équilibre des finances publiques. Lors du dernier débat postérieur au Conseil européen, qui s’est tenu le 22 octobre au Sénat, vous avez indiqué que plusieurs solutions techniques étaient à l’étude pour augmenter la trésorerie de l’Union européenne. Où en êtes-vous sur ce point, madame la secrétaire d’État ?

Enfin, l’examen de notre contribution nous donne l’occasion d’apprécier la part des dépenses de l’Union européenne qui revient à notre pays. Celle-ci continue de progresser et s’est élevée en 2018 à 14,8 milliards d’euros, ce qui fait de la France le deuxième bénéficiaire des crédits de l’Union européenne et le premier bénéficiaire des aides de la politique agricole commune, cette dernière se situant toujours au cœur des relations budgétaires entre l’Union européenne et la France. Cet attachement particulier a été réaffirmé à de nombreuses reprises par le Sénat, qui n’a pas manqué, madame la secrétaire d’État, de rappeler au Gouvernement que la préservation du budget de la PAC doit être une priorité du prochain cadre financier pluriannuel. Le soutien à l’agriculture et au développement rural ne saurait être considéré comme une « ancienne politique », au regard des enjeux écologiques, économiques, sociaux et de qualité alimentaire, ainsi que de l’importance des moyens consacrés par d’autres pays, comme les États-Unis ou la Chine, à ce secteur d’activité.

J’en viens au projet de budget de l’Union européenne pour 2020, qui conditionne bien évidemment le montant de notre contribution annuelle.

Un accord a été trouvé, dans la nuit de lundi à mardi, entre le Conseil et le Parlement européen, ce qui évite à la Commission de devoir présenter une nouvelle proposition de budget. Le budget s’élève à 168,7 milliards d’euros en crédits d’engagement et à 153,6 milliards d’euros en crédits de paiement, les États membres ayant concédé une hausse de 1,9 milliard d’euros des autorisations d’engagement et de 500 millions d’euros des crédits de paiement par rapport à la position adoptée en septembre. Près de 20 % du budget devrait financer des actions en faveur de la lutte contre le changement climatique, conformément aux ambitions du Parlement européen, mais aussi en faveur de la jeunesse, dans le cadre de l’initiative pour l’emploi des jeunes et du programme Erasmus +. Nous pouvons nous réjouir que la voix du Parlement européen ait été entendue, en particulier celle du groupe socialiste et républicain. Espérons qu’il en soit de même pour les négociations relatives au prochain cadre financier pluriannuel, dans lesquelles le Parlement européen s’oppose aux États membres les plus réticents à une augmentation du niveau de dépenses de l’Union.

À ce sujet, je souhaiterais évoquer l’agenda de la prochaine Commission européenne. Lors de la présentation de celui-ci par Mme Ursula Von der Leyen, a été ouverte la voie vers la mise en place d’un système européen de réassurance des prestations chômage. Le budget de l’Union européenne pourrait constituer un vecteur de ce système de réassurance.

M. le président. Merci de conclure, mon cher collègue.

M. Patrice Joly, rapporteur spécial. Les discussions seront nécessairement laborieuses sur ce dossier, mais cette perspective me semble intéressante et pourrait contribuer à renforcer la cohésion de l’Union européenne.

En conclusion, et sous réserve de ces observations, je recommande, au nom de la commission des finances, l’adoption sans modification de l’article 36 du projet de loi de finances pour 2020. (M. Simon Sutour applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, intervenant après notre rapporteur spécial, Patrice Joly, dont je salue l’excellent exposé, je me limiterai à quelques observations.

L’année prochaine devra impérativement être celle de l’adoption par les institutions européennes du nouveau cadre financier pluriannuel 2021-2027. Force est de reconnaître que nous sommes aujourd’hui mal embarqués. Ce sera le premier cadre financier pluriannuel à vingt-sept, avec des ressources financières réduites à due concurrence.

Malheureusement, peu de sujets font consensus entre les États membres, à commencer par le pourcentage pertinent du revenu national brut européen en fonction duquel structurer des dépenses, et donc des politiques claires : sera-ce 1 %, 1,1 %, 1,3 % ? Quelle est d’ailleurs, madame la secrétaire d’État, la préconisation de la France sur ce pont ? En effet, derrière ces pourcentages se dissimulent soit des ambitions, soit des renoncements.

Nous notons également des divergences sur la pérennité, voire la légitimité, des politiques agricoles ou de cohésion, qui, pour être souvent qualifiées de « traditionnelles », n’en restent pas moins le cœur de la valeur ajoutée européenne et font la pertinence de la construction européenne.

Nous n’avons pas encore non plus de convergence sur la création de nouvelles ressources propres ou sur la nécessité d’en finir avec les « rabais sur les rabais », liés au cas particulier britannique, mais dont bénéficient certains de nos partenaires.

En revanche, la grande majorité des États membres semblent reconnaître le bien-fondé des nouvelles missions que l’Union doit se donner et que la présidente élue de la Commission, Mme Von der Leyen, a rappelées, en insistant sur la forte ambition climatique qui devrait les accompagner.

Les divergences qui persistent sur le fond dépassent largement l’habituel bras de fer entre contributeurs et bénéficiaires nets. Cela risque d’affecter le calendrier de mise en œuvre du nouveau cadre financier pluriannuel, comme ce fut déjà le cas en 2014.

Tout retard entraînera de nouveau des ratés dans la consommation des crédits européens, qui sont pourtant des gages essentiels de crédibilité de l’Union européenne à l’égard de nos opinions. Les citoyens ont largement pris part aux élections récentes ; nous ne pouvons que nous en réjouir. Cela prouve aussi que leurs attentes sont fortes. Les décevoir sur cet acte fondateur qu’est le cadre financier pluriannuel serait courir un risque politique immense dans la conjoncture délicate que nous connaissons. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Colette Mélot, MM. André Gattolin, Jean-Claude Requier et Simon Sutour applaudissement également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat auquel nous appelle le vote de la contribution française au budget européen est l’occasion de mettre en lumière le grave déficit démocratique de l’élaboration des politiques budgétaires de l’Union européenne et la part de ce budget financée par la France.

Le sujet n’est pas de remettre en cause le principe d’une contribution directe des États membres, et donc de la France, au budget européen. Sans ces contributions, pas de budget européen ! Nous savons par ailleurs que nous recevons en retour une partie de l’argent versé à ce budget européen au travers des politiques mises en œuvre, comme la PAC ou les fonds structurels. Nous versons plus que ce que nous recevons : nous sommes l’un des contributeurs nets de l’Union européenne. Là encore, nous n’avons pas d’opposition à ce principe de solidarité, compte tenu du poids économique de notre PIB dans l’Union européenne.

Non, le problème est ailleurs. Il tient à la nature des politiques mises en œuvre avec cet argent.

En préambule, il convient de souligner que le budget européen repose aujourd’hui, pour l’essentiel, sur les contributions directes des États membres. La part tirée de la TVA et des droits de douane n’a cessé de s’effondrer depuis les années 1980 ; c’est la rançon du développement libéral et des accords de libre-échange. En conséquence, l’exercice budgétaire européen, alors que les besoins de cohésion ne cessent de croître en Europe, atteint ses limites. L’austérité budgétaire et le carcan du semestre européen étouffent les marges de manœuvre nationales. Des États, de plus en plus nombreux, rechignent à contribuer et alimentent un discours de rejet de la solidarité. En somme, le budget européen est mis en cause du fait de ses propres règles budgétaires.

Pourtant, le besoin de financer de grands projets européens grandit, par exemple pour faire face aux enjeux numériques, pour engager une nouvelle industrialisation, plus sociale et plus écologique, pour mettre en place de grandes politiques de service public réductrices d’inégalités. Manifestement, ce n’est pas avec le seul budget européen actuel que l’on pourra y répondre. C’est très au-delà qu’il conviendrait de mobiliser et de réorienter les richesses en Europe.

La politique de la Banque centrale européenne doit être revue de fond en comble, pour la mobiliser au service d’une transition socialement et écologiquement juste. La lutte contre l’évasion fiscale, contre le dumping fiscal des multinationales, pour une taxation ambitieuse des transactions financières, pour une taxation sociale et écologique des marchandises entrant sur le marché européen est aussi un axe de bataille essentiel. Elle pourrait rapporter des moyens nouveaux considérables.

Aborder le débat sur le budget européen à travers la seule question des contributions directes des États, c’est donc le prendre par le petit bout de la lorgnette. Je ferai toutefois quelques remarques sur la contribution de la France au budget européen et son utilisation.

Nous nous inquiétons des menaces pesant sur la PAC et nous renouvelons notre demande d’une consolidation et d’une réorientation de cette politique, pour la rendre moins favorable à l’agrobusiness anti-écologique, plus favorable à une agriculture soucieuse de la qualité de l’alimentation, de l’avenir de nos sols et de la biodiversité.

Nous nous inquiétons du recul de la part des fonds de cohésion dans le budget européen, alors qu’ils sont aujourd’hui l’un des rares instruments de solidarité de l’Union, même s’il faut retravailler les critères d’attribution de ces fonds.

Nous ne sommes pas favorables à la montée en puissance des dépenses sécuritaires et militaires. La multiplication par cinq d’ici à 2027 du nombre des agents de Frontex afin de cadenasser l’Europe ne correspond pas à l’Europe que nous voulons construire. Les dirigeants européens célèbrent le trentième anniversaire de la chute d’un mur au cœur du continent, mais ils en construisent un autre au moins aussi haut à ses frontières. La multiplication par huit du budget de Frontex est révélatrice du projet européen en matière d’accueil, ou plus exactement de non-accueil.

Dans le même esprit, où mène l’augmentation des budgets militaires ? Au renforcement de l’OTAN, à propos de laquelle le Président de la République parle de « mort cérébrale » ? Nous en rediscuterons plus longuement ici même, je l’espère, le 12 décembre, sur l’initiative de notre groupe. À la création d’une défense européenne indépendante ? Rien n’annonce pour l’heure la mise en œuvre d’un tel projet. Ainsi, nous augmentons les dépenses militaires sans qu’aucune vision commune de long terme ne voie le jour en matière de sécurité collective.

Avec les mêmes incertitudes, nous entraînons nos industries de défense dans des alliances capitalistiques qui mettent en danger notre indépendance de décision. Pour aller où ? Nous ne le savons pas. Par exemple, le rapprochement, souhaité par les gouvernements français et italien, entre Fincantieri et Naval Group s’apparente à un amour de façade, au vu des conflits qui opposent les deux groupes en Arabie saoudite, en Roumanie et au Brésil.

Quant aux atermoiements sur le lancement du système de combat aérien du futur (SCAF) et du Main Ground Combat System (MGCS), ils constituent un nouvel écho de l’absence de doctrine commune en matière de défense et d’industries de défense, après les critiques françaises concernant le moratoire allemand sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cela fait beaucoup trop de questions pour une ligne budgétaire dont nous contestons non pas le principe, mais l’utilisation. Nous nous abstiendrons sur cet article du PLF pour 2020. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de l’article 36 du projet de loi de finances pour 2020, relatif à la participation de la France au budget de l’Union européenne, sera marqué par les changements significatifs survenus durant l’année 2019, avec le renouvellement du Parlement européen, en mai dernier, les nouveaux visages de la Commission européenne ainsi que du Conseil européen ou de la Banque centrale européenne.

Cette nouvelle mandature s’ouvre donc sur de nouvelles priorités pour l’Europe et ses citoyens, que nous espérons remplis d’espoir, car la chance et l’avenir des Européens, c’est l’Union européenne.

L’ouverture de cette nouvelle mandature signifie aussi la négociation, non sans difficultés, depuis des mois maintenant, d’un nouveau cadre financier pluriannuel. Nous l’avons vu lors du dernier Conseil européen, des divergences existent entre les États membres, mais également entre les institutions. L’un des points centraux d’achoppement reste le pourcentage du revenu national brut par État membre à retenir en vue de l’élaboration du budget européen. Nous souhaitons voir émerger dans les prochaines semaines des chiffres clairs et des négociations guidées par le souci de l’avenir.

En effet, si l’année 2019 est marquée par les changements, l’année 2020 le sera tout autant. La question du Brexit en est le parfait exemple. Le départ du Royaume-Uni ne sera pas sans conséquences sur les citoyens de l’Union européenne. Le volet financier fait partie des difficultés à surmonter dans le cadre des négociations européennes.

Le Royaume-Uni a annoncé qu’il respecterait les engagements financiers pris en 2017 et participerait jusqu’en 2020 au budget de l’Union européenne. Cependant, la forme que prendra le Brexit pourrait avoir une incidence sur le versement de la contribution britannique. Rappelons que le manque à gagner pourrait être de plus de 10 milliards d’euros pour le budget européen, dont le Royaume-Uni est le deuxième contributeur net, devant la France et derrière l’Allemagne.

Enfin, les – houleuses – questions budgétaires européennes pour l’année 2020 ont été réglées ce lundi 18 novembre. Ainsi, pour le dernier exercice du cadre financier pluriannuel actuel, le budget s’élèvera à 168,7 milliards d’euros, dont 21 % seront consacrés à la lutte contre le changement climatique. La sécurité, mais également le numérique ou la jeunesse, avec Erasmus +, sont aussi des priorités.

La contribution de la France pour 2020 est fixée à 21,3 milliards d’euros, ce qui marque une augmentation réelle, mais inférieure à celle qui aurait pu être envisagée au vu des circonstances actuelles de l’exercice budgétaire européen.

La France est l’un des principaux contributeurs nets au budget de l’Union européenne, nous l’avons dit, mais elle en est également l’un des premiers bénéficiaires en volume, notamment au titre de la politique agricole commune, dont la France est même le premier bénéficiaire. Pour rappel, près de 68 % des crédits européens dépensés en France relèvent de l’aide au secteur agricole.

Les nouvelles priorités budgétaires de l’Union européenne se précisent et s’orientent vers les besoins et demandes des Européens : le développement du numérique, les sujets climatiques et la protection des citoyens. Les négociations européennes en vue de l’élaboration du budget pour 2020 l’ont prouvé. Nous soutenons ces nouvelles orientations.

Toutefois, il me semble important de rappeler qu’une PAC ambitieuse, dotée de fonds suffisants, est nécessaire pour nos territoires et pour l’Union européenne dans son ensemble, de même qu’une politique de cohésion retrouvée, juste et équilibrée.

L’Europe, c’est nos territoires et leur développement. Je souhaiterais mettre en avant le rapport sur les fonds européens que j’ai eu l’honneur de réaliser avec notre collègue Laurence Harribey. Ce rapport met clairement en lumière le caractère essentiel des fonds, et plus particulièrement la nécessité d’améliorer leur mise en œuvre et leur déploiement par les États membres eux-mêmes. C’est un autre moyen de mieux gérer nos crédits européens et de gagner en efficience.

De manière générale, les dépenses européennes doivent être orientées vers l’avenir et les nouvelles priorités, tout en garantissant la meilleure utilisation possible, sans surbudgétisation, des politiques historiques, plus que jamais nécessaires.

Nous saluons l’ouverture de pistes de réflexion sur la mobilisation de recettes propres, la mise en place d’un budget de la zone euro ou la fin du mécanisme des rabais. Nous souhaitons néanmoins répéter ici que l’utilisation des recettes doit être guidée par le seul objectif de servir l’intérêt du citoyen européen.

Construire un budget de l’Union européenne ambitieux est la seule réponse aux enjeux auxquels nous faisons face et aux ambitions qui sont les nôtres. Madame la secrétaire d’État, les attentes de nos concitoyens et de nos territoires sont fortes, le contexte européen et international nous oblige à nous projeter dans l’avenir. Dotons l’Union européenne des moyens de réussir !

Nous voterons bien évidemment l’article 36.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, combien de Français connaissent le montant du budget de l’Union européenne ? Probablement très peu… Quelle serait leur réaction si on leur disait qu’il s’élève à 168,3 milliards d’euros ? Ils éprouveraient probablement une certaine perplexité…

Nos concitoyens comprennent mieux quand il leur est expliqué que le budget à vingt-huit représente la moitié du budget de notre pays. Ils mesurent alors le décalage entre la réalité des moyens accordés a minima à l’Europe et les missions très larges qui lui sont confiées. On retrouve un tel décalage entre la stabilité du budget pour 2020 de l’Union européenne, en augmentation de 1,3 % seulement, et l’inflation des dépenses que l’on prête aisément à Bruxelles.

S’agissant de l’Europe, qu’elle soit politique ou budgétaire, nos concitoyens ont donc besoin de pédagogie, de clés de lecture. Le contribuable local mérite une lecture budgétaire consolidée, communale et intercommunale ; le contribuable national devrait lui aussi bénéficier d’une lecture budgétaire consolidée, nationale et européenne.

La contribution totale de la France au budget de l’Union européenne s’élève à 23,2 milliards d’euros, dont 21,3 milliards d’euros au titre du prélèvement sur les recettes nationales, qui fait l’objet de l’article 36. Sa faible augmentation est une bonne nouvelle pour le contribuable, alors qu’une augmentation plus marquée était attendue avec l’accélération de la consommation des crédits en fin d’exécution du cadre financier pour 2014-2020. Cela correspond, en miroir, à une sous-consommation des crédits européens, qui constitue bien entendu un problème pour notre pays.

J’ai apprécié, madame la secrétaire d’État, l’honnêteté de vos récentes déclarations. Vous avez notamment dit que « les obstacles administratifs découragent les acteurs locaux » ou que « la source de cette complexité est surtout nationale, et non européenne ».

Cette sous-consommation est insupportable économiquement, socialement et sur le plan éthique. Nous attendons, madame la secrétaire d’État, les simplifications tant promises entre administrations centrales et régions.

L’examen de l’article 36 du PLF, qui retrace la contribution de notre pays au budget de l’Union européenne, soulève la seule question qui vaille vraiment : que se passera-t-il après le 1er janvier 2022, si nous intégrons déjà les deux années d’allégement prévues par nos règles, sauf accélération sous la présidence croate à venir ? Le budget s’établira-t-il à 1 % du PIB, comme aujourd’hui, à 1,1 %, à 1,2 %, voire à 1,3 %, pour reprendre l’hypothèse évoquée par le président de la commission des affaires européennes ? Comment compenser la perte des 12 milliards à 14 milliards d’euros de la contribution nette du Royaume-Uni et obtenir la suppression, nécessaire du point de vue français, des rabais consentis à certains ? Comment financer la lutte contre le changement climatique, l’embryon d’une politique de défense commune, la lutte contre le terrorisme ou encore les actions en matière d’immigration ? Quelles seront les conséquences sur les politiques existantes, en particulier les fonds de cohésion et la PAC ?

Les pays les plus « européens » sont souvent les plus attachés à l’orthodoxie budgétaire et s’opposent à toute augmentation du budget de l’Union, quand les pays adeptes d’une Europe puissance, souvent plus volontaristes sur le plan budgétaire, ont des capacités plus limitées. C’est dire la difficulté de dénouer l’écheveau des contradictions !

Ma conviction est que la préparation du nouveau cadre financier pluriannuel ne se limite pas à des négociations entre gouvernements. Elle doit être le moment privilégié d’une pédagogie de l’Europe, d’une appropriation par nos concitoyens des arbitrages à réaliser. En particulier, je ne trouverai pas inapproprié que soit envisagée, sur cette question, la mise en place, au-delà du travail réalisé par les parlementaires, d’un mécanisme de type « convention citoyenne », à l’exemple de celle qui œuvre actuellement sur la problématique du climat.

Le groupe Union Centriste votera bien évidemment l’article 36. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la contribution de la France au budget de l’Union européenne, objet de l’article 36, s’impose à nous, puisqu’elle est la traduction de notre engagement communautaire, auquel mon groupe est historiquement très attaché.

Le montant proposé pour 2020, de l’ordre de 21,3 milliards d’euros, relativement stable par rapport à 2019, est globalement satisfaisant, compte tenu des contraintes qui pèsent sur nos finances publiques.

J’émettrai une première interrogation, devenue incontournable depuis quelques mois : quel sera l’impact de l’interminable feuilleton britannique du Brexit ? C’est une question que nous avons souvent évoquée ici. Aujourd’hui, nous sommes, hélas, toujours dans l’incertitude, tant nos amis Britanniques peinent à franchir le Rubicon ou, devrais-je plutôt dire, peinent à fermer la Manche… (Sourires.)

Ce que l’on sait, c’est que la non-participation du Royaume-Uni au budget de l’Union européenne pour 2020, du fait d’une sortie sans accord, alourdirait la contribution française de 1 milliard à 2 milliards d’euros. La Commission européenne envisage un plan de coupes budgétaires, que vous avez raison de contester, madame la secrétaire d’État, car le Brexit ne doit pas conduire à bâtir une Europe au rabais, alors même qu’un départ britannique non négocié pourrait nous coûter 0,5 point de croissance.

Par conséquent, espérons que les Britanniques, réputés en rugby pour leur fair-play, quand ils veulent bien en faire preuve (Sourires.), s’acquitteront de leurs obligations financières, comme ils l’ont promis en 2017, l’accord d’octobre dernier n’ayant pas remis ce point en question.

Ma deuxième remarque concerne les fonds européens, qui conditionnent également le niveau du prélèvement sur recettes reversé à l’Union européenne. Comme l’a souligné notre collègue rapporteur spécial, le rythme de consommation des crédits de la politique de cohésion n’est pas assez soutenu.

Parmi les causes identifiées de ce phénomène, on peut citer un retard accumulé dans la mise en œuvre de la politique de cohésion au début de la programmation. Ce fut déjà le cas avec le cadre financier pluriannuel 2007-2013 ; l’exécution budgétaire de l’année 2013 avait fait un bond de deux milliards d’euros par rapport à la prévision initiale. En 2020, nous serons également en fin de programmation pluriannuelle. Allons-nous connaître le même scénario ?

Quoi qu’il en soit, afin d’éviter ce décalage chronique, la réforme de simplification des fonds de cohésion proposée par la Commission doit intervenir au plus tôt. Les procédures de contrôle sont trop lourdes ; il faut les alléger. Mon groupe y est favorable, car nous souhaitons que ces fonds soient optimisés, pour qu’ils profitent pleinement à nos territoires.

Concernant la structure des ressources propres, le groupe du RDSE partage le principe défendu par la Commission de les voir complétées et modernisées. Cela pourrait permettre, d’une part, de combler le manque à gagner lié au Brexit, et, d’autre part, d’alléger la part des contributions du revenu national brut qui constitue près de 70 % des recettes totales.

Dans cette perspective, je soutiens le principe d’une assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, ressource qui serait prélevée en contrepartie des avantages procurés par le marché unique. Hélas, la règle de l’unanimité au Conseil de l’Union européenne bloque toujours cette proposition.

Mon groupe est également très attentif au projet de taxe sur les services numériques, dévoilé par la Commission en 2018. La France est en pointe avec la taxe nationale que nous avons adoptée cet été, mais notre pays est quelque peu isolé au regard de l’enjeu économique. Dans ces conditions, un accord européen serait le bienvenu.

Enfin, mes chers collègues, comme vous le savez, l’exercice 2020 constitue le dernier du cadre pluriannuel en cours. Aussi, je souhaite terminer mon intervention, en évoquant le prochain cadre 2021-2027, qui traduira les nouvelles priorités de l’Union européenne.

Sans vouloir opposer ces nouvelles priorités aux anciennes, vous ne serez pas surprise, madame la secrétaire d’État, que je souligne mon attachement à la PAC et au maintien des moyens de cette dernière.

Chacun le sait, on demande toujours plus aux agriculteurs ! Ainsi, ce ne sont pas moins de vingt et un alinéas qui définissent les finalités de l’agriculture à l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime : produire, bien sûr, mais aussi protéger les terres, aménager les territoires, garantir l’indépendance alimentaire, assurer la transition écologique, etc. La liste des missions qui incombent à nos agriculteurs à travers nos politiques publiques est longue, et tout cela dans un contexte de plus en plus concurrentiel.

Par conséquent, une baisse de 3 % en valeur des crédits de la PAC serait inacceptable. Au Sénat, le consensus est assez large, je le crois, sur cette attente. Mon groupe sera en tout cas particulièrement vigilant sur ce point, comme il l’a toujours été dès lors qu’il s’est agi d’œuvrer pour le renforcement de l’intégration européenne au bénéfice de nos concitoyens.

Nous voterons la contribution au budget de l’Union européenne prévue à l’article 36 du projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. André Gattolin et Simon Sutour applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, chaque année, l’examen de cet article du projet de loi de finances relève d’une forme de rituel – un rituel rondement mené, mais dont le caractère sibyllin ne peut nous échapper.

Cet examen est un rituel, car il repose sur un article très concis de trente-quatre mots, dont trente-deux sont identiques à ceux de l’année précédente. Seules deux choses changent ; d’ailleurs, moins que de mots, il s’agit de chiffres, comme pour nous rappeler, si besoin était, que nous sommes ici dans un exercice plus comptable que véritablement législatif.

Le premier chiffre est totalement prévisible : c’est celui de l’année à venir et, à moins d’une décision visant à remplacer le calendrier grégorien par un autre, il en sera de même encore longtemps…

Le second chiffre, celui du montant des dépenses allouées, varie quant à lui d’une année sur l’autre, mais il est relativement prévisible aussi. Cette année, le montant affiché – environ 21,3 milliards d’euros – est presque inchangé par rapport à 2019. Il faut dire que cet appel à contribution nationale s’inscrit dans le cadre très contraint de l’élaboration du budget annuel européen, car l’Union, contrairement à ses États membres, ne peut pas recourir au déficit et à la dette pour se financer.

De plus, ce budget annuel est également strictement encadré par le fameux cadre financier pluriannuel de l’Union européenne, défini, dans le cas présent, il y a déjà sept ans. L’exercice 2020 étant le dernier du CFP 2014-2020, il n’autorise aucune grande fantaisie budgétaire. Raison de plus, donc, pour que le rituel soit respecté !

C’est donc assez rituellement et avec la ferveur pro-européenne qui le caractérise que le groupe La République En Marche votera en faveur de cet article.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Merci !

M. André Gattolin. Le suspens étant limité, la liturgie républicaine n’interdit cependant pas le questionnement, parfois jusqu’au doute et à l’inquiétude. La plupart des orateurs qui m’ont précédé ont largement centré leur propos sur l’incertitude qui règne encore aujourd’hui quant à l’élaboration du CFP 2021-2027.

Ils ont eu raison de le faire. La perspective, proche, et plus encore les modalités de mise en œuvre du Brexit – accord ou pas accord ? Telle est la question… (Sourires.) – jettent une ombre inquiétante sur les perspectives budgétaires de l’Union européenne pour la décennie à venir, d’autant que le contexte international actuel et les menaces de guerre commerciale généralisée pèsent de tout leur poids sur le futur de nos économies.

À un an de son entrée en vigueur, le CFP 2021-2027 n’a donc toujours pas été adopté. Et la faute, si faute il y a, n’en revient pas uniquement au seul Brexit ; il y a aussi une explication plus endogène, propre à l’organisation européenne et liée à une concordance exceptionnelle des calendriers tant politiques et institutionnels que budgétaires de l’Union.

Pour la première fois, en effet, la décision finale sur les perspectives financières de l’Union européenne va revenir à un Parlement européen fraîchement élu et à une Commission elle-même fraîchement nommée, tous deux pour un mandat de cinq ans. Sur un plan démocratique, c’est une excellente chose : que dirions-nous, en France, si un Parlement récemment élu et un gouvernement nouvellement désigné étaient simplement chargés d’exécuter un cadre budgétaire fixé au long cours par leurs prédécesseurs ?

C’est pourtant le cas au niveau européen, où continue de régner cette ineptie politique consistant à fixer un cadre financier pour une durée de sept ans, quand tous les mandats représentatifs ou exécutifs de l’Union sont d’une durée de cinq ans.

Il faut le rappeler, c’est sur l’initiative de Jacques Delors que fut instauré, en 1988, le principe de perspectives financières européennes sur plusieurs années, ancêtre de ce que nous appelons aujourd’hui le cadre financier pluriannuel. C’était à l’époque une réponse – une très bonne réponse ! – aux crises qui survenaient quasi annuellement depuis le début des années 1980 lors de l’établissement du budget de l’Union.

Chaque grand État membre, surtout au lendemain d’élections victorieuses, se croyait autorisé d’exercer un chantage au budget européen s’il n’obtenait pas satisfaction quant à ses intérêts nationaux.

Nous le savons, la plus violente de ces crises fut celle qui fut provoquée par Margaret Thatcher en 1984 et à l’issue de laquelle le Royaume-Uni obtint son fameux chèque, un rabais sur sa contribution nationale qui entraîna un complexe système de « rabais sur le rabais », au profit tantôt de cinq, tantôt de six autres pays de l’Union. Et ce rabais sur le rabais perdure…

Au fil du temps, la part des contributions nationales dans le budget européen n’a cessé de s’accroître, en raison de la décroissance des ressources propres dites « traditionnelles ». Les tensions budgétaires, qui avaient décru grâce aux perspectives financières, se sont malheureusement accrues de nouveau, à la suite du grand élargissement et, surtout, de la crise financière de 2008. Elles se focalisent à présent sur la période d’élaboration des CFP.

La finalisation du CFP 2021-2027, malgré une situation économique quelque peu meilleure qu’au début des années 2010, risque de ne pas être de tout repos. Le départ du Royaume-Uni se soldera par la disparition d’un grand contributeur net au budget de l’Union, et il n’est pas acquis aujourd’hui que ce pays s’acquittera à cette occasion de la totalité de ses dettes.

Dans ce contexte, le débat actuel sur un éventuel élargissement à des pays financièrement débiteurs nets n’est, à l’évidence, pas facilité. Les ébauches actuelles du prochain CFP qui intègrent l’instauration de nouvelles ressources propres, non encore actées, à hauteur de 12 % du budget global envisagent déjà des arbitrages drastiques sur les budgets respectifs de la PAC et de la politique de cohésion.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. André Gattolin. C’est pourquoi, si nous ne nous accordons pas rapidement sur de nouvelles ressources propres, nous n’aurons d’autre choix que d’augmenter nos contributions nationales déjà élevées ou de réduire la voilure de nos ambitions, pourtant essentielles pour faire de nous un continent souverain. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – MM. Philippe Bonnecarrère et Jean-Claude Requier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la contribution française au budget européen que nous examinons aujourd’hui et que le groupe Les Républicains approuvera sera la dernière de l’actuel cadre financier pluriannuel. Malheureusement, elle devrait également être la dernière à abonder un budget communautaire à vingt-huit.

En effet, un nouveau CFP prendra le relais à partir de 2021, mais un CFP amputé de la participation britannique, ce qui laissera un manque à gagner d’environ 5,5 milliards d’euros par an, soit 40 milliards d’euros sur sept ans.

Ce nouveau CFP a également pour ambition d’intégrer le consensus qui s’est dessiné ces dernières années autour de la nécessité d’une action commune plus forte dans des domaines tels que la défense, la sécurité intérieure, la gestion des frontières extérieures et des migrations, l’environnement et la lutte contre le changement climatique ou encore la recherche et l’innovation, notamment dans le secteur du numérique.

Face à l’équation financière qui découle de ces grands déterminants, la Commission européenne a présenté une proposition de budget qui a la particularité de pouvoir être interprétée, selon le point de vue que l’on adopte, soit comme une augmentation, soit comme une baisse par rapport au CFP actuel…

En effet, relativement à la richesse produite, le budget européen 2014-2020 représente 1 % du revenu national brut des États membres, mais si l’on retranche la participation britannique, ce pourcentage passe à 1,13 %, voire 1,16 % en y intégrant le fonds européen de développement qui aujourd’hui est hors budget et qui demain sera intégré au CFP. Or, pour la période 2021-2027, la Commission a proposé un budget pluriannuel équivalent à 1,11 % du revenu national brut (RNB).

On peut donc, selon cette approche, constater une contraction des moyens attribués à l’Union européenne. Toutefois, si l’on raisonne en termes absolus et en prix constants, c’est au contraire une hausse de 5 % que l’on observe par rapport à l’actuelle programmation budgétaire ramenée à vingt-sept États membres.

S’il existe donc un débat sur le niveau réel d’ambition de la proposition budgétaire de la Commission, une chose est certaine : les coupes proposées dans ces politiques traditionnelles que sont la PAC et la politique de cohésion sont d’une ampleur inédite.

Concernant la politique agricole, à laquelle mon groupe est très profondément attaché, une baisse des crédits de 15 % en termes réels est proposée, ce qui représente un trou de 7 milliards d’euros pour la « ferme France » et engage la pérennité des filières les plus fragiles, ainsi que la survie économique de nombre d’exploitations à travers notre pays.

Il s’agit en outre d’un véritable non-sens stratégique, qui remet notamment en cause notre capacité à répondre à l’enjeu alimentaire et environnemental du XXIe siècle, et ce au moment même où tous les grands pays producteurs de la planète ont fait le choix de renforcer leurs concours publics à l’agriculture.

L’orientation budgétaire suggérée par la Commission ne saurait donc à l’évidence être soutenue.

Plus généralement, face à l’ampleur des défis qui se posent à nous et qui ne pourront trouver de solutions pleinement satisfaisantes qu’à l’échelon européen, le manque d’ambition est sans doute une réponse qui n’est ni appropriée ni véritablement tenable.

Or le moins que l’on puisse dire, c’est que les ambitions budgétaires nourries par les États membres sont à ce stade toujours très éloignées les unes des autres, ce qui augure de discussions encore extrêmement difficiles. En effet, certains contributeurs nets souhaitent voir le plafond du CFP abaissé à 1 % du RNB à vingt-sept, quand nombre de bénéficiaires nets considèrent pour leur part avec bienveillance la proposition du Parlement européen de le porter à 1,3 %, notamment afin de préserver les dotations des politiques traditionnelles.

La France affiche pour sa part son volontarisme en la matière. Je m’interroge toutefois sur la capacité de notre pays à peser de tout son poids dans cet épineux débat, dès lors que notre crédibilité est entamée par de mauvaises performances.

Faut-il rappeler que, cette année encore, le projet de loi de finances inquiète nos partenaires par la croissance excessive des dépenses et l’absence d’effort structurel qu’il prévoit, ce qui ne peut qu’éloigner une nouvelle fois toute perspective de réduction de notre dette publique ?

Pour que la voix de la France ait une chance d’être entendue, il faut avant tout que notre pays s’engage sur le chemin du rétablissement de ses comptes publics. Dans le cas contraire, ses positions risquent fort de subir le même sort que celui qu’a connu sa proposition de budget de la zone euro, désormais réduite à peau de chagrin.

Relevons par ailleurs qu’une éventuelle progression du volume du CFP 2021-2027 ne sera pas neutre pour les finances nationales. En effet, si la composition du volet recettes du budget européen n’est pas modifiée, c’est la ressource d’équilibre RNB qui sera une nouvelle fois mobilisée à plein pour faire face aux besoins financiers de l’Union.

Pour notre pays, contributeur net dont le prélèvement sur recettes constitue tout de même le quatrième poste de dépenses de l’État, cela représenterait un effort supplémentaire particulièrement important. Celui-ci a été chiffré par la Commission européenne à environ 2 milliards d’euros par an en cas d’adoption de ses propositions, notamment sur les ressources propres, et par l’Assemblée nationale à environ 6 milliards d’euros dans le cas contraire.

Je souhaiterais souligner à ce titre que toute pression accrue sur nos finances publiques ne serait évidemment pas tolérable, si elle ne s’accompagnait pas – enfin ! – de la suppression définitive de tous les rabais et autres corrections dont bénéficient plusieurs États membres et dont la France supporte actuellement la charge la plus importante. Cette réforme ne peut plus être repoussée ; il y va non seulement de la transparence sur les ressources de l’Union, mais également du principe d’équité entre les États membres.

En tout état de cause, il sera malaisé de mobiliser encore davantage les contributions directes issues des budgets nationaux. Dès lors, et bien que ce sujet soit à l’évidence extrêmement sensible, le temps paraît venu de donner plus de place à de nouvelles ressources, véritablement propres.

La Commission a formulé des propositions sur cette question ; elles ont été rappelées. Gardons toutefois à l’esprit que le développement de nouvelles ressources propres ne devra pas conduire à alourdir l’imposition de nos entreprises, la France accusant déjà la deuxième fiscalité sur la production la plus élevée au monde – nous avons eu ce débat plus tôt cet après-midi.

Dès lors, un principe devrait être érigé en règle d’or : chaque euro prélevé au bénéfice de l’Union européenne devra diminuer d’autant la charge fiscale au niveau national.

Permettez-moi, pour ma part, de plaider pour une autre ressource potentielle, non susceptible de peser sur nos entreprises. Il s’agit de la mise en place d’une taxe carbone aux frontières, qui permettrait par ailleurs de servir un double objectif : économique, en luttant contre la concurrence déloyale dont souffrent les entreprises européennes, mais aussi environnemental, en réduisant la part du carbone importé et en incitant nos partenaires commerciaux à mener des politiques écologiques plus ambitieuses.

Plus largement, c’est l’instauration de taxes anti-dumping robustes dans tous les domaines, et pas seulement celui du climat, qui devrait être mise à l’ordre du jour européen.

Pour conclure, j’insisterai sur l’urgence d’accélérer les négociations sur le CFP. La perspective d’un accord a d’ores et déjà été reportée au mois de mars prochain. Or le temps presse, car la résolution de l’équation budgétaire conditionne encore l’adoption de nombreux programmes sectoriels. Par exemple, et même si ce n’est pas forcément un mal, au vu de l’orientation de la réforme proposée par la Commission, la mise en œuvre de la nouvelle PAC a d’ores et déjà été repoussée d’un an.

Or, comme nous l’avons vu lors de la précédente programmation, tout retard en la matière se traduit in fine par des difficultés supplémentaires pour les bénéficiaires des fonds européens sur le terrain.

Les chefs d’État et de gouvernement devront donc très vite dénouer le nœud gordien de la négociation budgétaire, s’accorder sur l’ambition qu’ils nourrissent pour l’action européenne et attribuer cette dernière des moyens cohérents avec les missions qui lui sont dévolues. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Simon Sutour. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. Simon Sutour. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’aborder la contribution de la France au budget de l’Union européenne, je souhaite revenir sur deux aspects de notre politique européenne.

Je voudrais dire de nouveau combien nous regrettons le veto mis par le Président de la République à l’ouverture des négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord lors du dernier Conseil européen. Il est triste que ne soit pas tenu l’engagement pris par notre pays vis-à-vis des États de l’ex-Yougoslavie ; cela affecte la crédibilité de la France en Europe. C’est aussi un problème que le Parlement n’ait pas été consulté et n’ait pu se prononcer sur cette question ; c’est pour cette raison que je profite de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour évoquer ce sujet.

En revanche, nous nous félicitons de la prochaine réunion sur l’Ukraine qui aura lieu à Paris au début du mois de décembre prochain, en format Normandie, en présence de dirigeants de ce pays, de la Russie et de l’Allemagne. C’est un motif d’espoir pour la paix dans cette partie de l’Europe.

En ce qui concerne la contribution de la France au budget de l’Union européenne, celle-ci s’élèvera à 21,3 milliards d’euros pour la dernière année du cadre financier pluriannuel 2014-2020. Pour le futur cadre financier, la présidence finlandaise continue ses négociations, en vue d’obtenir un accord d’ici à la fin de l’année.

Le départ du Royaume-Uni laisse un trou de 13 milliards d’euros par an – cela a été dit –, ce pays étant, il faut le rappeler, le deuxième contributeur net après l’Allemagne. En outre, on ne connaîtra que plus tard les effets du Brexit sur l’économie de l’Union, mais, à mon avis, nous ne pouvons guère être optimistes en la matière.

Sans de nouvelles ressources propres et à niveau de budget équivalent, la contribution de la France devrait mécaniquement augmenter – on parle de 6 milliards d’euros par an, ce qui n’est tout de même pas rien.

C’est la quadrature du cercle ! Nous devons en effet nous assurer que les nouvelles priorités stratégiques – défense, migrations, Green Deal européen… – sont prises en compte, mais que les politiques traditionnelles le sont aussi – je pense bien sûr à la PAC et à la politique de cohésion, mais aussi à Erasmus ou à la recherche. Les nouvelles priorités ne doivent pas nuire aux politiques traditionnelles, ni la transition écologique à la justice sociale.

Nous comprenons bien les contraintes nationales et européennes – il n’est jamais facile de bâtir un budget. Il est clair que l’intégration ne sera aboutie que lorsque l’Europe disposera enfin de ressources propres importantes. Ce sera le chantier majeur des prochaines années, mais encore faut-il qu’il soit lancé.

Les crises qu’a connues l’Europe ces dernières années, portées à leur paroxysme par le Brexit, et celles qu’elle connaîtra dans les années à venir, tant le monde actuel est incertain, ne doivent pas collectivement nous tétaniser, mais, au contraire, être l’occasion d’une nouvelle étape dans la construction européenne, avec beaucoup plus d’ambitions. C’est ce que nous attendons en particulier de notre pays.

Nous sommes particulièrement inquiets concernant l’avenir de la politique de cohésion et de la PAC.

En effet, selon les prévisions de l’ex-commission européenne, le budget pour la politique de cohésion, qui s’élève aujourd’hui à 352 milliards d’euros et représente un tiers du budget total de l’Union, devrait être revu à la baisse : près de 50 milliards d’euros de diminution, dont seuls 11 milliards sont effectivement liés à la disparition de la contribution britannique au budget. C’est bien sûr inacceptable ! Il existe donc bien, au-delà du Brexit, une volonté de réduire le budget de la politique de cohésion.

Nous demandons solennellement au Gouvernement d’agir pour que la politique de cohésion conserve un budget important. Nos territoires, notamment les plus fragiles, dépendent de ces fonds pour assurer la durabilité de leur environnement. Un affaiblissement des fonds structurels serait un bien mauvais calcul ; sans ces fonds, de nombreuses régions européennes verraient leur développement arrêté net.

En ce qui concerne la PAC, seconde victime de ce processus, l’exécutif européen a proposé une baisse de 5 %. La présidence finlandaise veut s’emparer de ce sujet et en faire une de ses priorités, mais elle se termine dans un mois… La France a besoin de la PAC et d’une réorientation de cette dernière pour accompagner les petites et moyennes exploitations agricoles, surtout en zone de montagne et, bien sûr, dans la zone méditerranéenne, éternelle sacrifiée en la matière !

Nous souhaitons que notre pays continue de bénéficier d’une enveloppe inchangée au titre de la PAC. La France n’est pas isolée ; la question de la transition de l’agriculture vers un modèle plus qualitatif, plus durable et respectueux de l’environnement reçoit partout des échos favorables.

Il nous semble que le renouvellement des instances européennes et l’infléchissement, tout à fait bienvenu, de la position de certains pays sur le montant du budget créent des occasions intéressantes pour que le futur budget de l’Union européenne soit ambitieux, tant en volume que par la qualité des politiques mises en œuvre. C’est le meilleur moyen de lutter contre ce que beaucoup qualifient de populisme.

Bien évidemment, le groupe socialiste et républicain, très attaché à l’idée européenne, votera l’article 36 du projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et RDSE. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur spécial de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de vos interventions. J’essaierai d’y répondre dans la seconde partie de mon propos, mais, comme je suis chargée, au nom du Gouvernement, de vous demander d’autoriser le prélèvement sur les recettes de l’État au profit de l’Union européenne pour 2020, il me semble important de vous dire au préalable ce que celui-ci contient.

Nous aurons à apporter au budget européen en 2020 une somme estimée à 21,3 milliards d’euros, soit une quasi-stabilité par rapport au montant de la loi de finances initiale pour 2019. À ce stade, l’accord sur le budget pour 2020 intervenu, la semaine dernière, entre le Parlement européen et le Conseil n’est pas de nature à modifier cette prévision.

Je voudrais profiter de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour revenir aux fondements de la contribution qu’il vous est demandé d’approuver.

J’entends très souvent, non pas ici au Sénat, mais ailleurs, des propos d’estrade qui sont à mon sens irresponsables : l’Europe coûterait cher à la France sans rien rapporter aux Français… De tels propos, assez inquiétants, ont été tenus notamment par des membres du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, où se déroulait le même débat que celui qui nous réunit aujourd’hui.

Oui, j’ai été étonnée, voire stupéfaite, de constater que, pour la première fois depuis la création de ce débat, le groupe Les Républicains choisissait de s’abstenir sur la contribution de la France au budget européen. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est très explicitement, sans ciller, sans se cacher, que le groupe Les Républicains a énoncé cette position inédite,…

M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Pas ici !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat. … en affirmant dans le même temps vouloir rester un parti européen !

Certes, monsieur le président de la commission, et je suis rassurée de vous avoir entendu expliquer ici que la majorité sénatoriale saurait porter plus haut et plus clairement cette couleur pro-européenne qui nous rassemble tous, par-delà nos appartenances partisanes.

M. Yvon Collin. Nous sommes des gens sérieux !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat. Cette contribution, j’assume de le dire, est une contribution de solidarité, envers les plus démunis de nos régions d’Europe, envers les professions soumises qui sont à des bouleversements majeurs et qui sont exposées aux premières manifestations du changement climatique – je pense aux agriculteurs, aux pêcheurs, aux viticulteurs –, enfin envers les plus démunis tout court, grâce à la politique sociale que nous menons en faveur de ceux qui sont éloignés de l’emploi ou qui n’ont pas accès à la mobilité ou à la formation.

C’est vraiment l’honneur de la France, pays fondateur à l’origine de ce projet européen, d’être ce que l’on appelle parfois un contributeur net, c’est-à-dire un membre qui verse au budget européen plus qu’il ne reçoit. D’ailleurs, conscients de ce que l’Europe apporte à notre pays, bien au-delà des fonds qu’il perçoit, nous ne nous reconnaissons pas dans ces catégories comptables, qui cherchent à opposer les États membres plus qu’elles ne les rassemblent autour d’un projet commun.

Certains, vous l’avez dit, veulent limiter le prochain budget pluriannuel – M. le président Bizet l’a d’ailleurs bien montré –, à 1 % de la richesse que nous produisons, pour un grand marché qui réunit 500 millions de consommateurs… Notre position, c’est d’abord d’avoir un budget à la hauteur des ambitions que nous nous sommes fixées, c’est-à-dire une Europe capable d’être souveraine, de défendre ses valeurs dans le monde, d’assurer la sécurité de ses concitoyens et d’investir dans l’avenir, tout en suivant une voie propre, durable en matière écologique et sociale.

D’ailleurs, monsieur le sénateur Laurent, je vous confirme ici que la France défend toujours l’idée que 40 % de ce budget doivent être dédiés à la transition écologique et à la protection de l’environnement.

Certains opposent des politiques dites « anciennes » qui, sous ce prétexte, seraient mauvaises, et des politiques dites « nouvelles » qui, sous ce prétexte, seraient bonnes. Eh bien, nous leur répondons qu’il faut investir, pour notre souveraineté et pour créer de la solidarité, afin de réduire les inégalités dans les pays et entre les pays.

Certains demandent toujours des rabais, alors même que le Royaume-Uni s’apprête à quitter l’Union européenne. Nous appelons, de notre côté, à de nouveaux modes de financement et à des ressources propres plus claires, plus justes, plus lisibles.

Vous l’avez très bien dit, monsieur le sénateur Rapin, nous voulons faire contribuer ceux qui profitent de notre marché, à savoir les acteurs digitaux et les importateurs bénéficiant de normes bien plus favorables que les nôtres, au détriment du climat. Il s’agit de contraindre ces contribuables nouveaux à financer une Europe plus forte, dotée d’un budget à la hauteur de nos besoins. Nous faisons partie des pays qui défendent sans état d’âme ces ressources propres.

Nous n’accepterons pas un budget 2021-2027 à n’importe quel prix. Nous cherchons toujours un accord pour le début de 2020. Vous l’avez dit, il est essentiel que nous puissions avancer.

Sur le Brexit, un certain nombre d’entre vous ont rappelé que, s’il y a un accord, la prévision que nous ferons s’appliquera pleinement, et que, s’il n’y a pas d’accord, une proposition a été faite pour un plan de contingence. Nous cherchons, du côté français, à faire en sorte que cela ne se traduise pas par un ressaut trop important de notre contribution nationale.

Cette solidarité ne va pas sans responsabilité, comme vous l’avez rappelé. Si nous défendons tous, vous et moi, la politique agricole commune, c’est non par conservatisme, mais par cohérence. En effet, nous avons la volonté de permettre à chaque Européen de manger des aliments sains, produits sur notre continent avec des méthodes qui respectent encore davantage la biodiversité et le climat.

Je le rappelle, la politique agricole commune représente 0,3 % de notre richesse répartie sur 80 % de l’espace continental de l’Union européenne. Certains disent que cela coûte cher… Je pense qu’il serait déraisonnable de poursuivre dans cette voie. Nous voulons une politique agricole commune rénovée, une PAC d’investissements, pour permettre à ceux dont le métier est de nourrir le monde d’y parvenir avec des moyens modernes et des revenus pérennes.

L’ambition climatique, c’est aussi celle d’un budget de transition écologique bénéficiant de nouvelles ressources propres, un budget dans lequel la politique de la cohésion soit préservée, en particulier pour les régions de transition, c’est-à-dire toutes ces régions aux revenus dits « intermédiaires », dans lesquelles le sentiment européen est peut-être le plus en danger.

Certains d’entre vous ont parlé, au sujet des ressources propres, du mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, que nous soutenons, de la contribution sur le plastique non recyclé et de l’affectation du produit des enchères carbone au budget européen. Nous soutenons également Axis ; il nous manque un accord en Conseil, mais nous y travaillons. S’agissant du volet numérique, c’est à l’OCDE que cela se discute aujourd’hui, mais les avancées sont intéressantes.

Nous cherchons à développer les conditionnalités. Comment continuer à attribuer des fonds à des États membres qui pratiquent un dumping social ou fiscal préjudiciable à leurs voisins, ou à des pays qui ne respectent pas les valeurs inscrites au cœur de nos traités, notamment en ce qui concerne l’État de droit ?

C’est la raison pour laquelle nous sommes convaincus que ce budget européen doit être un instrument politique. Un budget, vous le savez – vous y travaillez actuellement –, c’est la traduction en actes d’une volonté politique. Autrement dit, il doit porter un projet de convergence sociale et un projet de communauté de droits et de valeurs, et il doit rendre service aux citoyens.

J’ai été interrogée sur le lien avec les citoyens. Justement, nous voulons œuvrer, dans le cadre de la conférence sur l’Europe, à rapprocher les citoyens des institutions et à recréer de la confiance démocratique. Cette conférence sur l’Europe a été annoncée par le Président de la République, qui a lancé l’idée, reprise par le Parlement européen et par la nouvelle présidente élue de la Commission européenne. Vous pouvez compter sur notre ambition de retrouver la confiance.

Je m’exprime vite, parce que j’aimerais passer un peu de temps, si vous me l’accordez, monsieur le président, sur ce qui compte pour moi plus que jamais : traduire en actes ce budget pour les citoyens européens et français, en faisant en sorte que les politiques que nous allons financer arrivent bien dans chacun de vos territoires.

Lorsque j’entends dire que le budget européen ne profiterait pas à la France, il me prend l’envie de lancer des invitations à participer, avec moi, au tour de France que j’ai engagé depuis ma prise de fonctions. Ce déplacement, je l’ai appelé « le tour de France de l’Europe du concret ». Il m’emmène voir des élus qui portent des projets de transformation extrêmement importants et ambitieux dans leurs territoires, grâce à ces fonds européens.

Quand vous allez à Douai, vous remarquez que c’est l’Europe qui finance la rénovation des corons. Quand vous allez au Grand Pic Saint-Loup, vous remarquez que c’est l’Europe qui finance les maisons de service public, l’aide au numérique et les commerces de proximité. À Thionville, c’est l’Europe qui finance de la recherche de pointe et de la formation pour des chômeurs qui veulent se reconvertir. À Pantin, c’est Erasmus Pro qui permet à des jeunes apprentis de s’ouvrir des horizons et de trouver un métier, un avenir.

Je pourrais multiplier les exemples. Mme Mélot a réalisé un rapport formidable à ce sujet.

M. Simon Sutour. Qu’il ne reste pas lettre morte !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat. Elle a montré ce que les fonds européens peuvent apporter, mais elle a aussi montré que nous devions rendre les choses beaucoup moins compliquées. Elle a raison : aujourd’hui, c’est trop compliqué !

Nous devons, tout d’abord, recentrer nos priorités. Nous allons le faire, ensemble, dans le cadre de l’accord de partenariat pour avoir, à la demande des régions, un cadre plus homogène et plus lisible à travers le pays.

Madame Mélot, vous avez rédigé un rapport, la Cour des comptes aussi, et il ne faut pas oublier celui de l’Assemblée nationale. Tout le monde fait des rapports, qui au fond disent tous la même chose : si nous voulons consommer des fonds européens, il nous faut, bien sûr, des autorités intermédiaires qui facilitent les choses, mais il nous faut surtout, plus que jamais, commencer par simplifier ce qui est de notre ressort, ici, en France.

Si nous mettons en place des procédures plus compliquées qu’ailleurs, alors que les autres pays, avec les mêmes règles européennes, font plus simple, nous devons nous interroger !

J’ai présenté hier, devant l’Association des maires de France, une proposition que je formule avec le Premier ministre. Nous voulons nous mettre autour de la table et trouver des solutions concrètes, afin de simplifier la vie des bénéficiaires, des porteurs de projets et des élus.

Certains d’entre vous m’ont interrogée sur la trésorerie et sur la possibilité d’avoir les fonds beaucoup plus rapidement. Nous travaillons à des solutions techniques. Je n’ai pas le temps de vous les présenter, mais je reviendrai pour le faire en détail lors de mes prochaines auditions et de nos futurs échanges.

Je propose de mettre un terme aux tracasseries administratives, pour que cette contribution – ces 21 milliards d’euros que vous allez voter – puisse arriver jusqu’à nos concitoyens, pour les réconcilier avec l’Europe, laquelle, à tort ou à raison, est toujours considérée comme étant à la source des complexités.

Je tiens à le souligner, je ne me livre pas à une attaque contre les régions, contre l’État ou contre les élus locaux. Je ne cherche pas des responsables : je cherche des solutions.

Nous allons mener une consultation auprès de tous les porteurs de projets qui ont eu à faire des démarches. Nous les inviterons à identifier le moment à partir duquel les choses leur ont paru étranges. Nous demanderons à ceux qui se sont arrêtés, découragés par la complexité extrême des démarches, de nous en dire plus. Nous allons travailler ensemble.

Je sais pouvoir compter sur votre soutien, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez. Nous ne sommes pas là pour nous livrer à une bataille partisane, ni pour attaquer les régions, comme je l’ai entendu dire aujourd’hui par Renaud Muselier. Je relaie la parole des gens que vous connaissez, des élus, des porteurs de projets, qui, sur vos territoires, vous disent que l’Europe les fatigue, non parce qu’ils n’y croient plus, mais parce que nous avons créé une tuyauterie insupportable et inimaginable !

Je vous remercie par avance. Cette consultation, nous la ferons ensemble. Je le sais, votre rôle de sénateur est essentiel, parce que vous êtes proches de ces élus et que vous les représentez.

S’il y a une chose que l’on ne dit pas assez, c’est que, faute d’élus locaux pour la porter, l’Europe ne devient jamais réalité. En effet, l’Europe ne se projette pas de Bruxelles ni de Paris ; elle s’offre d’une certaine manière aux élus locaux et aux porteurs de projets qui veulent la rendre concrète et réelle. Vous m’aurez donc toujours à vos côtés

J’en viens au calendrier sur lequel j’ai été interrogée. Il est très simple. Dans quelques semaines, nous ouvrons une consultation. Nous allons lancer, avec le Premier ministre, trois missions d’inspection de toutes les administrations. Nous n’allons pas réaliser un énième rapport ; nous allons suivre les projets un par un, pour comprendre, dans cette magnifique usine à gaz que, par stratifications et par additions, nous avons construite,…

M. le président. Merci de conclure, madame la secrétaire d’État !

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire dÉtat. … comment nous pouvons simplifier.

Je vous remercie, monsieur le président, de ces deux minutes additionnelles, qui étaient essentielles, vous l’aurez compris. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et UC.)

M. le président. Nous passons à la discussion de l’article 36.

Article 36 (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Article 36 (interruption de la discussion)

Article 36

Le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne est évalué pour l’exercice 2020 à 21 337 000 000 €.

M. le président. Je mets aux voix l’article 36.

(Larticle 36 est adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 36 (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
Discussion générale

4

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, vendredi 22 novembre 2019, à quatorze heures trente et le soir :

Suite du projet de loi de finances pour 2020, adopté par l’Assemblée nationale (texte n° 139, 2019-2020) ;

Suite de l’examen des articles de la première partie.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)

Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,

ÉTIENNE BOULENGER

Chef de publication