M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Vous rendez-vous compte du point où nous sommes arrivés ?

Nous nous retrouvons tous sur la nécessité de renforcer France Médias Monde. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les Russes et les Chinois, qui ont des moyens d’influence considérables dans le monde entier, y compris, s’agissant des premiers, dans notre pays. Et nous, qui préférons rayonner par notre culture, par nos valeurs et par la francophonie plutôt que par des fake news, nous sous-dotons l’outil qui permettrait de le faire !

Monsieur Karoutchi, vous avez voté contre le rétablissement de l’euro de redevance supprimé. Or cette suppression représente un manque à gagner de 25 millions d’euros. Avec une telle somme, votre amendement serait déjà financé, et vous n’auriez pas besoin de demander de déshabiller France Télévisions, qui n’a déjà plus beaucoup d’habits, pour habiller France Médias Monde ! Je ne peux pas entrer dans votre logique : imaginer que des entités du service public en viennent à souhaiter l’appauvrissement des autres pour pouvoir se financer. Fort heureusement, elles ne se livrent pas à ce petit jeu ; je trouve qu’elles font preuve de beaucoup de solidarité.

Votre position ne me semble donc guère cohérente. Je sais que vous êtes très intelligent…

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Merci ! Mais aucune flatterie ne m’atteint ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. David Assouline. Mais pourquoi n’avez-vous pas voulu empêcher que l’on prive l’audiovisuel public de 25 millions d’euros ? Cela aurait permis de régler non seulement le problème que vous soulevez, mais également d’autres ; je vous renvoie au mouvement de grève au sein de Radio France aujourd’hui. Et pourquoi défendre à présent un tel amendement ? Il faut être cohérent !

Certes, vous allez peut-être retirer votre amendement. Mais je demande au Sénat de combattre pour aider France Médias Monde sans prendre aux autres entités du service public, qui en ont tout autant besoin. Si nous nous mobilisons pour que l’ensemble du service public soit fort, nous aurons assez pour France Médias Monde, mais aussi pour France Télévisions et pour Radio France ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. J’entends encore ce que M. Donnedieu de Vabres, alors ministre de Jacques Chirac, déclarait à la tribune du Sénat. Peut-être vous en souvenez-vous, monsieur le ministre : vous étiez alors député. (M. le ministre le conteste.)

La chaîne française de l’information internationale (CFII) a été créée à l’époque. C’était le début de l’audiovisuel extérieur, et France 24 était en route. En un peu plus de dix ans, les résultats ont été formidables, avec des budgets extrêmement modestes. La chaîne est encore en phase d’ascension et de développement. Ce n’est vraiment pas le moment de lui couper les ailes !

Nous avons ce débat au Sénat depuis plusieurs années. La commission des affaires étrangères vous alerte régulièrement. Notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam est très mobilisée sur le sujet, tout comme les sénateurs représentant les Français établis hors de France qui siègent au sein de notre commission, à l’instar de Claudine Lepage, ici présente.

Il s’agit d’un enjeu majeur. Ainsi, Peter Limbourg, directeur général de la Deutsche Welle, et Marie-Christine Saragosse, que nous avons auditionnés, nous ont rappelé les défis auxquels ils sont confrontés : aujourd’hui, dans la guerre froide de l’information, l’objectif est bien de défendre les valeurs de l’Europe dans le monde. Cela peut se faire en français, mais aussi dans certaines langues étrangères, afin d’aller sur des terrains où, du fait de la désinformation, nous sommes en position de faiblesse.

Monsieur le ministre, nous vous demandons de bien prendre une telle problématique en considération dans le cadre du texte législatif à venir. Comme je l’ai indiqué, nous y serons très vigilants.

Il est regrettable d’avoir ce débat cette année, comme l’année dernière. Faisons un calcul simple : sans la suppression d’un euro de redevance – l’économie réalisée est de… 0,083 centime par mois et par foyer ; ce n’est même pas une goutte d’eau ! –, l’audiovisuel public disposerait de 25 millions d’euros supplémentaires, soit plus du double des crédits que vous sollicitez, monsieur le rapporteur ! Je trouve cette logique un peu absurde.

En tout cas, dans la perspective de la future loi, mesurons bien tout le travail qu’il reste à accomplir en faveur de l’audiovisuel public ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Leleux. Je remercie M. le rapporteur spécial d’avoir soulevé ce débat au sein de notre Haute Assemblée.

Nous sommes visiblement inquiets sur toutes les travées. L’audiovisuel extérieur de la France manque cruellement de moyens.

M. David Assouline. Ça, c’est la meilleure !

M. Jean-Pierre Leleux. Il manque aussi, me semble-t-il, d’une vision stratégique et politique claire. À mon sens, elle doit être définie au plus haut niveau de l’État. Nous parlons non d’un audiovisuel intérieur, mais de la présence et du rayonnement de la France dans le monde. Je pense que, toutes sensibilités politiques confondues, nous partageons cette ambition. Notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam s’exprime régulièrement sur le sujet, qui est également souvent abordé au sein des commissions.

Monsieur le ministre, il faudrait que vous vous fassiez notre interprète auprès de vos collègues, et notamment du ministre des affaires étrangères, pour réfléchir à un nouveau mode de financement de l’audiovisuel extérieur. La concurrence des Russes, des Chinois, mais aussi, plus près de nous, des Britanniques et des Allemands est de plus en plus rude. La situation est compliquée.

Cela étant, il est également délicat de prélever 10 millions d’euros dans le budget de France Télévisions. Certes, des économies sont nécessaires, et des réformes s’imposent. Mais France Télévisions a déjà fait beaucoup d’efforts depuis deux ans – il s’agit tout de même de 60 millions d’euros pour l’année qui vient ! Bien entendu, de tels efforts mettent nécessairement du temps pour produire leurs effets. Une telle tactique de « vases communicants » complique évidemment un peu les choses.

J’appelle donc à l’élaboration d’une ambition et à la recherche de nouvelles modalités de financement pour France Médias Monde plutôt qu’à un rééquilibrage au détriment de France Télévisions.

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. J’encourage vivement Roger Karoutchi à maintenir son amendement, qui est cohérent, contrairement à ce que vous affirmez, cher David Assouline. (M. David Assouline le conteste.)

Franchement, nous en avons assez des beaux discours sur l’importance de la francophonie et de notre rayonnement extérieur ! Nous parlons d’un sujet essentiel pour l’avenir de la France.

M. David Assouline. Il fallait voter le rétablissement de l’euro de redevance supprimé !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mon cher collègue, j’aimerais bien pouvoir m’exprimer sans être interrompue.

L’avenir de la France se joue aussi à l’international ; c’est de plus en plus important. Et c’est aujourd’hui que cela se joue !

Nous avons ce débat depuis des années. J’ai moi-même à de nombreuses reprises déposé des amendements visant à transférer un tout petit million d’euros de crédits de l’audiovisuel public vers l’audiovisuel extérieur. Cela n’a jamais été accepté. On m’a systématiquement répondu que l’on allait faire des efforts et trouver des solutions…

Nous sommes véritablement, me semble-t-il, à la croisée des chemins. Tous les autres médias progressent dans des proportions considérables. Il a été fait référence aux infox, qui se développent partout. Je pourrais également évoquer la présence de certaines chaînes sur notre territoire. Nous devons vraiment trouver des solutions.

Au sein de la commission des affaires étrangères, nous avions décidé à l’unanimité moins une voix, celle d’un sénateur du groupe LaREM, de voter contre ce budget si des engagements n’étaient pas pris ou si des solutions – je pense par exemple à ce qui a été suggéré s’agissant de l’Agence française de développement – n’étaient pas trouvées.

La langue française contribue au développement de pays d’Afrique. Les besoins d’éducation sur le continent africain sont considérables. L’audiovisuel public extérieur y joue un rôle très important.

La commission des affaires étrangères, dont je me fais le porte-parole, s’intéresse évidemment beaucoup à une telle problématique. Nous avions décidé de voter contre ce budget en l’absence d’engagements ; je parle d’engagements précis, pas de belles paroles !

Monsieur le ministre, je sais parfaitement que vous êtes conscient de l’importance de tels enjeux et désireux de nous aider. Mais il faut vraiment aller de l’avant.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Si nous n’avançons pas significativement aujourd’hui, nous reculerons certainement !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Je vais retirer mon amendement, non pas pour faire plaisir à certains, mais parce que je connais la vie parlementaire ; je sais très bien que mon amendement ne survivrait pas à la nouvelle lecture du projet de loi de finances par l’Assemblée nationale.

Je vous rassure, monsieur Assouline : j’aurais bien voulu prélever 10 millions d’euros sur le budget de l’AFD. Mais la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances ne nous permet de modifier la répartition des crédits qu’au sein d’une même mission. J’aurais été ravi de pouvoir piocher dans une autre mission, mais ce n’est pas possible.

J’entends beaucoup d’idées à propos de France Médias Monde. Faut-il garantir un niveau de ressources ? Faut-il lui allouer une part de la redevance tant qu’elle existe ? Faut-il trouver une solution un peu « identitaire » ?

Monsieur le ministre, vous mettez en avant votre décision d’intégrer France Médias Monde dans la future grande structure. Mais sachez qu’elle suscite beaucoup d’inquiétudes. L’audiovisuel extérieur craint d’être un nain face à des géants, et de devoir passer après les autres.

Il faut avoir une vraie réflexion sur France Médias Monde, qui fait face à une concurrence exacerbée. D’ailleurs, tout n’est pas de votre fait, monsieur le ministre. Depuis des années, on bricole avec France Médias Monde, ajoutant ou retranchant un million d’euros au gré des circonstances, quand les concurrents, eux, mobilisent 100 millions d’euros ou 200 millions d’euros, d’où ce sentiment d’être un nain en Afrique, en Amérique latine et partout dans le monde ! C’est au Gouvernement d’engager une telle réflexion. Nous parlons de l’influence de la France, pas seulement de l’audiovisuel.

Cela étant, comme il me semble préférable que la réflexion soit menée en amont et que nous trouvions collectivement une solution, je retire mon amendement.

M. le président. L’amendement n° II-23 est retiré.

Nous allons procéder au vote des crédits du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public », figurant à l’état D.

Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.

Je mets aux voix ces crédits.

(Les crédits sont adoptés.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l’audiovisuel public ».

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt et une heure trente, sous la présidence de Mme Hélène Conway-Mouret.)

PRÉSIDENCE DE Mme Hélène Conway-Mouret

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Justice

Compte de concours financiers : avances à l'audiovisuel public - État D
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2020
État B

Mme la présidente. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Justice » (et articles 76 undecies à 76 terdecies).

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances. Madame la ministre, mes chers collègues, depuis des années, le ministère de la justice n’a pas les moyens d’exercer convenablement ses missions, mais l’augmentation des moyens de la justice qui se matérialise depuis quelque temps produit lentement ses effets. Dans les tribunaux ou les établissements pénitentiaires, les personnels expriment leurs difficultés, voire leur désarroi, pour exercer leur métier, ce qui n’est d’ailleurs pas sans conséquence sur leur état de santé. En effet, la surpopulation carcérale ou des délais de jugement trop longs contribuent à décourager les agents qui, parfois, ne trouvent plus de sens à leur action.

C’est dans ce contexte de fortes attentes, et quelques mois après la promulgation de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que s’inscrit ce projet de loi de finances pour 2020 : des attentes s’agissant des moyens, mais aussi en termes de fonctionnement de la justice.

Force est de constater que les crédits qui nous sont proposés aujourd’hui ne sont pas à la hauteur de ces attentes.

Madame la ministre, la commission des finances propose donc de ne pas adopter les crédits du ministère de la justice, considérant que, en dépit des transformations engagées, le Gouvernement s’affranchit des engagements pris devant la représentation nationale au moment du vote de la loi de programmation et de réforme pour la justice.

Avec un budget de 9,38 milliards d’euros en 2020, le ministère de la justice bénéficierait de 242 millions d’euros supplémentaires par rapport à 2019, soit une hausse de 2,7 % de ses moyens, à périmètre constant. Mais alors que la loi de programmation votée par le Parlement en février dernier prévoyait une augmentation de crédits de 400 millions d’euros entre 2019 et 2020, le projet de loi de finances propose une hausse près de deux fois inférieure : hors compte d’affectation spéciale « Pensions », les crédits augmentent de 2,8 %, soit 205 millions d’euros.

Cet écart résulte des crédits immobiliers de l’administration pénitentiaire, ajustés au vu de l’avancement réel des opérations. Je m’interroge donc sur la sincérité de la programmation que nous avons adoptée, puisque le Gouvernement ne pouvait, il y a neuf mois, ignorer ces aléas inhérents à la construction de prisons ni, surtout, l’impossibilité de rattraper par la suite cette révision à la baisse des crédits : l’écart par rapport à la loi de programmation se porterait donc à 115 millions d’euros en 2022.

L’augmentation du budget de la mission est, pour 40 %, consacrée aux dépenses d’investissement, dont la majeure partie concerne l’administration pénitentiaire. Au lieu de construire 15 000 places de prison durant le quinquennat, ce sont 7 000 places qui seront créées d’ici à la fin du quinquennat et la construction des 8 000 autres serait lancée avant 2022. Il est pourtant urgent de garantir un encellulement individuel et des conditions de détention dignes, permettant également aux surveillants d’exercer convenablement leur travail.

S’agissant des recrutements, 300 des 1 000 emplois créés en 2020 au sein de l’administration pénitentiaire permettraient de combler des vacances de postes de surveillants pénitentiaires. Jusqu’à présent, l’administration pénitentiaire rencontrait des difficultés de recrutement, mais aussi de fidélisation des personnels. Gageons que la réforme de l’organisation de la formation des surveillants pénitentiaires portera ses fruits ; la prime de fidélisation prévue par le protocole d’accord signé en janvier 2018 a, quant à elle, bien été mise en œuvre, mais il est encore trop tôt pour en mesurer les effets.

Hors dépenses de personnel, l’augmentation de 3 % des dépenses du ministère de la justice s’explique également par la nécessité de mettre à niveau l’informatique du ministère : le plan de transformation numérique poursuit sa mise en œuvre. Ces investissements sont le signe du rôle crucial que le numérique doit jouer dans la modernisation de la justice. Il devra toutefois en résulter, à terme, la réalisation d’économies.

Il convient également de veiller à ce que la numérisation des procédures et des démarches demeure compatible avec un accès au droit sur l’ensemble du territoire afin qu’à la fracture sociale et territoriale ne s’ajoute pas la fracture numérique : ce n’est pas le chemin que propose l’article 76 terdecies du projet de loi de finances rattaché à la mission « Justice », qui prévoit une dématérialisation des demandes d’aide juridictionnelle combinée à une suppression du bureau d’aide juridictionnelle dans certains tribunaux de grande instance. Nous y reviendrons.

Enfin, je terminerai en évoquant une inquiétude concernant le niveau des dépenses d’intervention de la mission, dont la diminution résulte d’une baisse des moyens consacrés à l’aide juridictionnelle. En effet, la dépense relative à l’aide juridictionnelle diminuerait de 13 millions d’euros entre 2019 et 2020, grâce à une augmentation moins élevée de la dépense tendancielle et à un transfert de 9 millions d’euros du Conseil national des barreaux. Le Gouvernement a toutefois profité de la budgétisation de ressources jusqu’ici affectées au Conseil national des barreaux, d’un montant de 83 millions d’euros, pour diminuer le montant des crédits budgétaires alloués à l’aide juridictionnelle. La dynamique de cette dépense, qui résulte des réformes de 2015 et 2017, demeure en réalité identique.

Dans le contexte de croissance dynamique de l’aide juridictionnelle, une révision de ses modalités de financement paraît indispensable, mais la méthode proposée par l’article 76 terdecies du projet de loi de finances ne nous semble pas être la bonne. Nous en reparlerons tout à l’heure à l’occasion des amendements sur les articles rattachés à la mission « Justice ».

Telles sont, madame la ministre, les observations que je souhaitais faire sur ce projet de budget du ministère de la justice, que la commission des finances propose de rejeter, compte tenu du non-respect des engagements pris au moment du vote de la loi de programmation et de réforme pour la justice.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Mme Sylvie Vermeillet applaudit.)

M. Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les crédits de la mission « Justice » progressent de 2,8 % en 2020, hors dépenses de pensions, pour atteindre un montant total de 7,58 milliards d’euros en crédits de paiement. Cela représente 205 millions d’euros supplémentaires, mais l’évolution est moindre qu’en 2019.

Le budget avait alors augmenté de 4,5 %.

Parmi les programmes de la mission, le programme 166, « Justice judiciaire », est celui qui augmente le moins : l’effort consenti est seulement de 0,13 %, ce qui ne couvre même pas l’érosion liée à l’inflation. Malgré tout, le renforcement des effectifs de magistrats se poursuit : le taux de vacances de postes n’est désormais plus que de 0,5 %. La situation est toutefois moins favorable pour les greffiers, pour lesquels le même taux s’élève à 7 %.

Dans ce contexte, la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice implique la mise en œuvre de nombreuses réformes d’organisation judiciaire. Nous ne pouvons pas accepter que certaines se fassent selon des considérations électorales. Malgré vos explications, madame la garde des sceaux, la révélation par la presse d’une note de votre cabinet a jeté le trouble sur les conditions dans lesquelles la suppression de cabinets de juges d’instruction serait décidée par le Gouvernement, et sur l’objectivité des critères retenus.

Autre déception dans le budget : l’aide juridictionnelle !

Je regrette que, à périmètre constant, les crédits diminuent de près de 22 millions d’euros en 2020, sans véritable raison. S’y ajoute une réforme adoptée dans la précipitation à l’Assemblée nationale, alors que le Gouvernement annonce un projet de loi sur le sujet depuis plusieurs mois. Si certaines des mesures proposées peuvent être intéressantes, elles sont, pour moi, invalidées par la méthode retenue qui est contestable.

Il s’agirait notamment de supprimer l’obligation d’avoir un bureau d’aide juridictionnelle dans chaque tribunal de grande instance, ce qui ne peut que susciter des craintes sur le maintien de l’accès à la justice pour nos concitoyens les plus vulnérables. Serait également renvoyée au pouvoir réglementaire la définition des plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle. Or, sans étude d’impact, nul ne sait quel seuil envisage de retenir le Gouvernement ni quel sera le coût de ces mesures. Je propose donc, comme notre collègue Antoine Lefèvre, de supprimer cet article.

Compte tenu de ces observations, la commission des lois a donné un avis défavorable sur l’adoption des crédits des programmes de la mission « Justice » concernant la justice judiciaire et l’accès au droit. (Mme Sylvie Vermeillet applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Josiane Costes, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je m’exprime pour commencer en remplacement de M. Alain Marc, qui est désolé de ne pouvoir être présent ce soir.

« Les crédits de l’administration pénitentiaire progressent en 2020 de 5,6 %, à périmètre constant, ce qui constitue une augmentation appréciable dans une période où l’évolution des dépenses publiques est très contrainte.

« Comme l’a expliqué Mme la garde des sceaux, cette hausse des crédits permettra de financer la création d’un millier d’emplois et de poursuivre le programme de construction de nouvelles places de prison, dans l’objectif de livrer 7 000 places d’ici à la fin de l’année 2022. Elle permettra aussi d’achever la montée en puissance du nouveau service national du renseignement pénitentiaire, créé en 2019, et de compléter les recrutements pour la nouvelle Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice.

« Toutefois, la commission des lois ne peut que regretter l’écart entre ce projet de budget et la trajectoire fixée par la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice : il manque environ 150 millions d’euros, alors que notre commission avait déjà jugé la programmation budgétaire insuffisante au regard de l’ampleur des besoins.

« Le Gouvernement justifie cet ajustement à la baisse par le retard pris dans la mise en œuvre du programme immobilier de l’administration pénitentiaire. À l’approche des élections municipales, il deviendrait difficile d’obtenir l’accord des maires pour choisir le lieu d’implantation des futurs établissements. »

M. Vincent Éblé. C’est toujours la faute des autres !

Mme Josiane Costes, rapporteure pour avis. « Il est vrai que nos concitoyens peuvent exprimer des réticences à l’idée que des personnes soient incarcérées près de leurs lieux d’habitation, ce qui pose notamment un problème pour les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), que vous souhaitez, à juste titre, implanter en centre-ville, près des services publics et des entreprises afin de faciliter la réinsertion des détenus.

« Notre commission estime cependant que ces difficultés étaient parfaitement prévisibles et qu’elles auraient donc pu être anticipées. Elle considère également que ces 150 millions d’euros, s’ils avaient été inscrits dans le budget, auraient pu être utilisés pour financer de petits travaux de rénovation ou pour l’achat de matériels et d’équipements, ce qui aurait permis d’améliorer les conditions de travail du personnel ou de renforcer plus rapidement la sécurité des établissements pénitentiaires, qui reste pour nous un sujet de préoccupation constant.

« Enfin, la commission des lois s’interroge sur la capacité du Gouvernement à livrer les 7 000 places dans le délai prévu, alors que l’Agence pour l’immobilier de la justice rencontre des difficultés pour recruter et fidéliser des professionnels qualifiés.

« C’est pour cet ensemble de raisons que la commission des lois a émis un avis défavorable sur l’adoption des crédits de l’administration pénitentiaire pour 2020. Nous ne sous-estimons pas le chemin parcouru depuis quelques années, mais il nous semble que l’incapacité du Gouvernement à respecter, dès la première année, la trajectoire budgétaire qu’il avait lui-même fixée montre que l’effort réalisé n’est pas encore tout à fait à la hauteur des enjeux. »

J’en viens maintenant aux crédits du programme 182, « Protection judiciaire de la jeunesse », sur lesquels je m’exprime en mon nom propre, et sur lesquels la commission des lois a émis un avis favorable.

Ce programme dote la protection judiciaire de la jeunesse d’un budget de 736,6 millions d’euros, hors pensions, soit une augmentation de 2,3 % par rapport à 2019. Il est marqué par la mobilisation pour préparer les réformes votées et à venir, surtout celle de l’ordonnance de 1945 relative à la justice des mineurs, dont l’entrée en vigueur est prévue au 1er octobre 2020.

L’un des objectifs premiers de cette réforme est la réduction des délais de jugement des mineurs.

Pour mettre en œuvre cette mesure, le projet de budget prévoit la création de 70 équivalents temps plein, permettant de pourvoir 94 postes d’éducateurs, 24 postes étant créés pour faire suite à redéploiement. Par ailleurs, 5 emplois sont créés, également par redéploiement, pour favoriser la participation de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) aux internats tremplins. Ce qui est très positif.

Hors personnel, le budget de la PJJ continue sa progression entamée il y a trois ans, avec une augmentation de 3 %. Cette augmentation se répartit entre le secteur associatif habilité (SAH), dont le rôle est croissant, et le secteur public.

Si l’on ne peut que se féliciter de ces augmentations qui paraissent nécessaires au moment où la PJJ recrute, et ce avec difficulté, de plus en plus d’éducateurs contractuels, on peut s’interroger sur les orientations retenues à moyen terme. En effet, la création de postes d’éducateurs dans le projet de budget correspond à un renforcement du secteur ouvert, mais le contexte général est celui d’un recours accru au secteur fermé, c’est-à-dire privatif de liberté pour les mineurs. Il me paraît donc essentiel d’insister sur le fait que l’importance accordée aux centres éducatifs fermés comme structures et au secteur associatif habilité comme opérateur ne doit pas aboutir à détourner la PJJ de sa vocation première, à savoir l’éducation et l’insertion des jeunes en danger en s’appuyant sur les compétences des éducateurs spécialisés et en milieu ouvert.

J’en viens maintenant au sujet que la commission des lois a traité cette année : l’incarcération des mineurs.

En juin dernier, un pic de 894 mineurs incarcérés a été atteint, renouant avec les chiffres de la fin des années 1980. Au total plus de 3 000 mineurs sont incarcérés chaque année. Une catégorie de jeunes en particulier, les mineurs non accompagnés, est surreprésentée en prison. Ils occupent un tiers des places pour mineurs de Fleury-Mérogis. Il faudra, madame la ministre, nous pencher sur le traitement pénal dont ils font l’objet.

Mes déplacements m’ont conduite à étudier plus particulièrement la situation de l’Île-de-France. Cette région, qui est celle qui compte le plus grand nombre de mineurs incarcérés, nécessite la création d’un nouvel établissement carcéral pour mineurs. Vous nous avez indiqué, madame la garde des sceaux, que l’établissement de Meaux-Chauconin qui avait été initialement conçu comme un établissement pour mineurs sera simplement doté d’un nouveau quartier pour mineurs. Cela signifie que le taux d’encadrement sera moindre. C’est un choix décevant au regard des besoins des mineurs en termes d’accompagnement, d’éducation et d’aide à l’insertion.