M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?

M. Olivier Henno, rapporteur. Madame la ministre, voilà un beau débat. La commission spéciale a beaucoup travaillé sur ce sujet, et ce dès le début de ses travaux, en procédant à l’audition du président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), M. Delfraissy. Je ne reviendrai pas sur votre argumentation sur les tests génétiques à visée généalogique. Le débat n’est pas de savoir s’il faut qu’ils existent ou si l’on doit favoriser leur existence : ils existent.

Aujourd’hui, je fais référence à un débat précédent, l’interdiction des tests génétiques en accès libre sur internet est totalement virtuelle. Voilà la réalité. La France est, avec la Pologne, l’un des seuls pays où c’est interdit. Plus d’un million de Français ont fait appel à ces tests génétiques à visée généalogique ; entre 100 000 et 150 000 encore l’année dernière.

Face à l’impossibilité d’interdire, qu’a confirmée le procureur général près la Cour de cassation et à laquelle il a apporté une réponse pragmatique en posant les bases d’un encadrement strict des examens génétiques à visée généalogique, le choix de la commission spéciale a été d’essayer d’encadrer, au lieu d’interdire. Cela me rappelle cette phrase de Péguy : « Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains. »

M. Olivier Henno, rapporteur. Interdire ce que l’on n’arrive pas à interdire me semble contre-productif. Il vaut mieux encadrer. Tel a été le choix de la commission spéciale.

L’encadrement vise d’abord à interdire la transmission d’informations médicales, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, puisque les données du million de Français qui ont eu recours à ces tests sans aucun encadrement sont envoyées dans la nature sans aucun contrôle. Il tend aussi à empêcher les conséquences en termes de patrimoine. Enfin, il s’inscrit dans le cadre du règlement général sur la protection des données (RGPD).

Pour toutes ces raisons, la commission spéciale émet un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.

M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé, pour explication de vote.

M. Vincent Éblé. Sur cette question tout à fait importante, il me semble nécessaire de rappeler que, dimanche dernier – c’est tout récent –, dans leurs journaux respectifs de 20 heures, les chaînes TF1 et France 2 ont diffusé un reportage montrant le bonheur de deux Françaises ayant pu retrouver leur demi-frère et leurs demi-sœurs après avoir réalisé un test ADN généalogique. La journaliste de France 2 faisait d’ailleurs remarquer que cette pratique était interdite en France, mais la société installée aux États-Unis échappe à la législation française.

Pour ma part, je regrette la demande de suppression de cet article ajouté par la commission spéciale. La question qui se pose est de savoir si l’on se satisfait d’une situation qui, aujourd’hui, interdit en droit le recours à ces tests, alors que, dans les faits, la pratique est absolument constante ! On estime à plus d’un million le nombre de Français intéressés par la généalogie, qui ont fait faire à l’étranger – aux États-Unis, en Israël… – des tests de cette nature par le biais de sociétés qui, de ce fait, détiennent des informations et qui les utilisent selon leur législation nationale, et pas selon la nôtre.

Dans cette affaire, ce qui est en jeu, c’est la problématique économique. Il existe des sociétés françaises : Filae.com ou Geneanet.org. Cette dernière compte 3 millions de membres ; c’est la première société européenne en matière de généalogie en ligne et elle n’a pas accès à ce marché considérable en raison de la législation française. Or, si nous lui donnions le droit de faire réaliser ces tests, elle le ferait en respectant la législation française en matière tant de protection des données personnelles que de problématiques de nature médicale qui ne sont pas à méconnaître.

Pour ma part, comme la commission spéciale, je suis totalement favorable au maintien de cet article et voterai résolument contre ces amendements identiques de suppression.

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Sans réserve, comme la quasi-totalité de mon groupe, j’appuierai par mon vote la position du Gouvernement.

Cet article porte un nom trompeur. C’est un faux ami pour le public extérieur. Il est question de tests génétiques « à des fins de recherche généalogique ». Qui peut être contre la généalogie ? La recherche des racines et des origines prospère et, avec elles, prospèrent également des visées clairement économiques et commerciales, comme vient de nous le confirmer Vincent Éblé, président de la commission des finances.

Je suis vraiment favorable à ce que l’on s’en tienne à l’encadrement actuel. Ces examens ne sont justifiés qu’à des fins médicales et, évidemment, judiciaires, vous l’avez rappelé, madame la ministre.

D’ailleurs, et cela me permet de défendre par avance l’amendement n° 291 que le Gouvernement a déposé à l’article 10 ter, qui porte sur une problématique équivalente, c’est un miroir aux alouettes. Ce dispositif sera parfaitement inefficace. Pourquoi ? Parce que, chaque année, environ un millier d’enfants naissent avec une maladie génétique grave et incurable. Or, neuf fois sur dix, il n’y a pas d’antécédent dans la famille.

J’ajoute que le dépistage préconceptionnel ne peut en aucun cas prévenir des maladies liées à des mutations de novo, c’est-à-dire qui surviennent par hasard au moment de la conception, sans être présentes dans le génome des parents.

M. Vincent Éblé. Quel rapport ? (M. Bernard Jomier renchérit.)

M. Bruno Retailleau. Je défends en même temps l’amendement n° 288 et l’amendement n° 291. Dans les deux cas, c’est un miroir aux alouettes.

En revanche, les risques sont là et sont de trois ordres.

Ils concernent d’abord la protection des données personnelles, mais aussi les impacts familiaux que peut entraîner la révélation de telles informations.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Bruno Retailleau. C’est le premier impact.

Ils concernent ensuite la dérive eugénique. C’est le deuxième impact. Il ne faut pas se le cacher, on voit bien ce qu’il peut y avoir derrière ce type d’article.

Ils concernent enfin la financiarisation de nos existences. C’est le troisième impact. On ouvre toujours plus la voie à cette logique économique et financière.

M. Vincent Éblé. Avec des sociétés américaines ou israéliennes, oui !

M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, le texte que nous examinons n’a pas vocation à favoriser la recherche ou le développement économique : il s’agit d’un texte de bioéthique dans lequel il nous faut poser des limites. Posons-les !

Enfin, je récuse l’argumentation selon laquelle, parce que cela se fait ailleurs, la France doit s’aligner.

M. Vincent Éblé. Ce n’est pas notre argument !

M. Bruno Retailleau. Je pense que notre modèle bioéthique doit au contraire éclairer les autres nations. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Claude Luche et Mme Christine Herzog applaudissent également.)

M. Vincent Éblé. C’est dénaturer notre argument !

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. En commission spéciale, j’ai suivi l’avis du rapporteur. Il m’excusera de changer de vote.

En vérité, ces articles soulèvent un vrai sujet, au-delà d’ailleurs de leurs spécificités. On vote la loi, on décide de règlements et on se rend compte assez vite que leur application pose problème. Aujourd’hui, on a de belles lois et on se croit tous protégés, alors qu’en réalité, avec internet et les réseaux sociaux, on n’est protégé de rien.

M. Vincent Éblé. C’est par courrier !

M. Roger Karoutchi. J’entends bien ce que dit le président Éblé sur l’aspect économique. Toutefois, madame la ministre, comme Bruno Retailleau l’a remarquablement expliqué, les dérives représentent un véritable danger ! Certes, on ne peut pas empêcher les dérives à partir de tests de ce genre. Une fois que ces prélèvements partent aux États-Unis ou ailleurs pour être analysés, qui fait quoi des données ? Qui fait quoi des résultats ? Qui s’en sert ? Dans quel but ? Personne n’en sait rien !

Je ne suis pas obnubilé par la NSA, mais on n’est sans doute pas non plus obligé de transférer partout des éléments sans savoir où ils vont.

Personnellement, je préfère la prudence. Je voterai donc ces amendements identiques. Je ne suis pas du tout sûr que cela nous protège. En réalité, madame la ministre, il s’agit plus d’un vote d’appel.

Votons des lois, celle-là comme d’autres, mais il faut que le Gouvernement ait la capacité de trouver les mesures nécessaires pour faire appliquer les lois.

M. Vincent Éblé. Il n’y en a pas !

M. Roger Karoutchi. Si les lois et les règlements sont contournés chaque fois, à quoi servent-ils ?

Monsieur le président Éblé, vous avez raison : il n’existe peut-être pas de mesure dans l’immédiat. Toutefois, si l’on se dit cela à chaque fois, on finira par se dire qu’il n’y a pas besoin de lois, qu’il n’y a pas besoin de Parlement et qu’il n’y a pas besoin de règles. Alors là, bonjour le désordre !

M. Vincent Éblé. La meilleure mesure, c’est de permettre aux sociétés françaises d’entrer dans le dispositif, comme cela se fait aux États-Unis et en Israël !

M. Roger Karoutchi. Pour être très franc, mesdames les ministres, comme je pense que, si j’envoyais une demande de cette nature aux États-Unis, on ne ferait pas de moi l’héritier de Charlemagne ou de Saint Louis, restons-en à ce que nous sommes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé et Mme Christine Herzog applaudissent également.)

M. Vincent Éblé. À ce que nous étions ! Le monde a changé, vous ne l’avez pas vu !

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Le groupe socialiste et républicain a déposé un amendement presque identique en commission spéciale et je remercie M. le rapporteur d’avoir mené la même réflexion.

Madame la ministre, l’argument que vous avez avancé pour supprimer cet article est précisément celui que l’on peut invoquer pour en justifier l’existence.

Vous parlez de la protection des usagers. En l’état, ce que l’on peut constater, c’est qu’au moins un million de Français font appel à ces sociétés étrangères. Ils peuvent transmettre la demande sur internet. D’ailleurs, certaines sociétés étrangères, pour respecter la loi française, ne transmettent pas les résultats en France ; il faut aller les chercher à l’étranger.

Ce que nous proposons là, c’est d’organiser, en France, un système qui soit protecteur des Français qui font appel à ces tests. C’est dans cet esprit que nous avions rédigé cet amendement et que le rapporteur a avancé ses explications.

Mes chers collègues, il ne s’agit pas ici d’autoriser quelque chose qui se fait ailleurs : il s’agit de permettre que les Français qui sollicitent ces tests ailleurs puissent faire appel en France à des sociétés dotées de systèmes de protection. C’est pourquoi l’alinéa 3 renvoie à des règles définies par décret en Conseil d’État, à l’avis de l’Agence de la biomédecine, à l’avis de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés). Ensuite, nous pourrons inciter les usagers intéressés à faire appel à des sociétés françaises, parce qu’ils seront protégés et que leurs données n’iront pas n’importe où, plutôt que d’aller sur internet.

Ce sera d’ailleurs tout le problème de ce texte, comme je l’ai souligné lors de la discussion générale. À quoi sert-il de poser des interdits si nous n’arrivons pas à les faire respecter ? Il vaut peut-être mieux, dans ces cas-là, protéger nos concitoyens.

Enfin, madame la ministre, vous m’avez rassuré sur un autre sujet. Vous avez évoqué l’avis du Conseil d’État. Votre intérêt pour le Conseil d’État me fait penser que vous allez changer d’avis sur les retraites ! (Exclamations amusées. – Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.

M. Bernard Jomier. Nous avons tous conscience qu’il est complexe de légiférer dans un monde ouvert. S’il est un sujet où cette question est particulièrement prégnante dans ce projet de loi, c’est bien celui des tests génétiques. En effet, il n’est pas nécessaire de se déplacer à l’étranger : tout se passe par internet et par courrier, en prélevant soi-même des cellules sur son corps. On ne peut donc pas éluder cette question, puisque nombreux sont nos compatriotes à pratiquer d’ores et déjà ces tests par le biais d’internet.

La véritable question qui nous est posée est donc de savoir comment garantir au mieux une réalisation éthique de ces tests. La réponse n’est jamais simple. Si le régime d’interdiction est très satisfaisant pour nous – nous votons pour dire non et faire en sorte que cela cesse –, nous savons très bien que cela ne s’arrêtera pas, que nous n’aurons pas les moyens de l’arrêter et que ces tests vont se développer.

En pensant faire du mieux-disant éthique, on livre nos compatriotes à du moins-disant, c’est-à-dire aux règles qui sont appliquées ailleurs, où il n’y a pas la même législation.

La décision n’est pas simple. Pour ma part, je ne veux stigmatiser personne ; je n’emploierai pas les mots de « marchandisation » ou d’« eugénisme » – il faut arrêter ces excès de langage. En l’occurrence, la marchandisation peut exister si ce n’est pas encadré ; quant aux risques d’eugénisme, ils ne se trouvent pas dans cet article, pas plus que dans les tests généalogiques.

L’alternative qui nous est posée est la suivante : soit encadrer au mieux ces pratiques pour essayer de donner la meilleure protection à nos compatriotes qui vont réaliser ces tests – c’est le travail qu’a accompli le rapporteur avec beaucoup de sagesse et de recul, selon moi –, soit faire un vote de satisfaction, qui aura comme conséquence de ne rien changer au comportement de nos compatriotes.

Je soutiens la sagesse du rapporteur.

M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. On parle ici des tests ADN généalogiques. Or j’entends que ce serait une activité récréative. Pourtant, comme l’a rappelé Vincent Éblé, le journal télévisé de 20 heures nous a appris que deux jeunes femmes affirmaient avoir découvert grâce à ces tests qu’elles avaient un demi-frère et des demi-sœurs.

M. Loïc Hervé. La belle affaire !

M. Olivier Cadic. Pour ceux qui s’intéressent à la famille, c’est important et cela peut changer leur vie.

D’ailleurs, ces jeunes femmes ont partagé cette nouvelle, comme cela se fait régulièrement aux États-Unis : les rencontres ou les reconstitutions de familles sont relayées. Ce n’est pas forcément récréatif : chercher à connaître sa généalogie peut aussi avoir un intérêt.

Cela étant, nous sommes là pour voter la loi. Quelle est donc cette activité qui consiste à voter une loi qui ne peut pas être respectée et qui ne l’est pas ? Il suffit de revenir à l’audition du procureur François Molins : une interdiction est posée, mais personne n’est poursuivi. Qu’est-ce qu’une loi qui n’est pas appliquée ? C’est une mauvaise loi, tout simplement ! On peut se faire plaisir et présenter des textes, mais, s’ils ne sont pas applicables, il y a peut-être un problème du côté du législateur, non ?

C’est la raison pour laquelle je remercie la commission spéciale d’avoir compris cette situation et d’avoir proposé cet article, afin que ces tests puissent se faire en France. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir expliqué tous les dangers potentiels si une telle pratique n’était pas encadrée. C’est justement ce que nous proposons de faire en France.

Quelle est aujourd’hui la situation ? Les Français font réaliser ces tests aux États-Unis, ce qui fait que ce pays possède des données que nous n’avons plus.

Mon cher collègue Retailleau, vous pouvez construire une ligne Maginot ou un great great wall, mais ils seront de pacotille !

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Je voterai les amendements du Gouvernement et du groupe CRCE. La disposition de l’article 10 bis, adoptée par la commission spéciale, est utopique.

Tous les Français qui sont à la recherche de leurs origines et qui, déjà depuis des années, comme cela se fait dans le monde entier, recourent à des prestataires qui se trouvent à l’étranger, continueront à le faire, et ce pour une raison très simple : les recherches généalogiques sont beaucoup plus efficaces lorsque l’on s’adresse à une banque de données qui regroupe des millions de données plutôt qu’à une société débutante. Ils continueront de se tourner vers l’étranger et tout cela n’aura été qu’un coup d’épée dans l’eau.

Peut-être, pour reprendre une expression que j’ai entendue dans le but de défendre la position de la commission spéciale, se sera-t-on fait plaisir, mais cela aura été en vain. On aura créé une fausse sécurité pour les Français. Ce sont de bonnes intentions, mais elles auront inévitablement une très faible portée opérationnelle.

Si l’on veut être efficace, il faut selon moi, loin de devenir les auxiliaires d’entreprises qui voudraient prendre position sur un marché prometteur, défendre la préservation des données de nos compatriotes, dont ils sont si soucieux. On l’a vu avec l’application du règlement général sur la protection des données que nous avons transposé dans cet hémicycle. Comme nous étions prudents ! Que de précautions avons-nous voulu prendre pour protéger nos données, qui étaient essentiellement des données matérielles, mais qui concernaient notre vie privée !

Là, ce sont plus que des données matérielles. Ce ne sont pas des questions de patrimoine ou d’argent. Ce sont des questions qui touchent à nos origines, qui sont véritablement au cœur de notre vie personnelle. Et l’on voudrait faire croire aux Français qu’ils peuvent se précipiter vers des entreprises françaises, parce qu’elles seraient encadrées, alors qu’ils vont continuer à consulter des sites étrangers pour avoir l’assurance d’accéder à des bases de données beaucoup plus volumineuses.

La prudence, c’est de dire à nos concitoyens : « Chers concitoyens, ne faites pas des tests génétiques au prétexte que vous êtes curieux de votre histoire, car vos données génétiques vont se balader dans le monde entier et vous ne savez pas ce que l’on en fera. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Christine Herzog applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.

M. Loïc Hervé. Je fais partie des gens qui s’adonnent à cette discipline qu’est la généalogie. Je puis vous dire que les tests dont nous parlons n’ont rien de généalogique. La généalogie, ce n’est pas cela. La généalogie, c’est la collecte d’informations dans les registres d’état civil afin d’établir un arbre généalogique et de reconstituer une famille telle qu’elle a pu exister.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Loïc Hervé. Je suis d’accord avec Olivier Cadic, mais je ne tirerai pas les mêmes conclusions que lui. Bien sûr que ces tests n’ont rien de récréatif. Alors qu’on ne cesse depuis le début de l’examen de ce texte de parler des aspects positifs, j’évoquerai, moi, une tout autre situation, celle de deux enfants ayant découvert, après avoir fait des tests génétiques, qu’ils n’étaient, ni l’un ni l’autre, les enfants de celui qu’ils pensaient être leur père. Je vous raconte là non pas l’histoire de deux demi-sœurs vivant chacune d’un côté de l’Atlantique et s’étant retrouvées sous l’œil de caméras, mais celle d’une famille détruite par des tests dits « généalogiques », alors qu’il s’agit de tests purement génétiques, dont les conséquences peuvent être désastreuses pour certains.

Pour ma part, je suis pour l’interdiction de ces tests. Je pense que le rôle du législateur est d’interdire un certain nombre de choses, même si c’est difficile. En France, on n’autorise pas le cannabis, pourtant il est largement consommé ; cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faut pas l’interdire.

Je partage les arguments de Mme la ministre : la France doit interdire ce type de tests ; ne faisons pas sauter la digue ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Christine Herzog applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Alain Milon, président de la commission spéciale. Je commencerai par vous dire quelque chose qui va certainement vous faire rire, ou vous soulager, je ne sais pas. À l’écoute de ce qui vient d’être dit, je vous dirai que Mme la ministre a raison, mais que M. le rapporteur n’a pas tort ! (Exclamations amusées.) La raison en est simple : l’argument économique ne me semble pas suffisant pour justifier le vote de l’article 10 bis.

Vous avez raison, madame la ministre, les résultats des tests ne sont pas suffisamment fiables pour pouvoir être exploités ; malheureusement, ils le sont tout de même. Par ailleurs, vous l’avez dit, cette activité n’étant pas régulée, on assiste un peu à n’importe quoi. Je comprends donc que l’on veuille voter cet amendement de suppression.

Je rappelle toutefois que, lorsqu’on interdit sur le territoire national une pratique autorisée ailleurs, sans être ni régulée ni fiable, on prend le risque que des personnes s’adressent à des entreprises étrangères, ce qui peut avoir de nombreuses conséquences désastreuses.

Vous allez donc voter l’amendement de suppression, à juste raison. Ce qui serait bien, c’est que, et le rapporteur et votre ministère, madame la ministre, travaillent sur un texte susceptible d’offrir fiabilité et régulation à l’ensemble de nos concitoyens.

Cet amendement de suppression sera peut-être adopté, mais il ne serait pas inutile d’aller plus loin sur ce sujet. Il y a des lois qui posent certains interdits ; mais quand on voit des enfants « interdits » arriver en France, nous sommes bien obligés de les reconnaître. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. J’ai évidemment beaucoup de choses à dire.

La première, c’est que le Gouvernement est évidemment favorable à l’accès aux origines, le texte qui vous est présenté prévoyant cet accès pour les enfants nés de PMA (procréation médicalement assistée) avec tiers donneur, accès que nous avons encadré et sécurisé.

Je vous ai présenté un certain nombre d’arguments techniques sur la fiabilité des tests, mais, au-delà, l’argument principal est d’ordre symbolique. Les symboles, c’est important dans la loi. Nous avons réaffirmé un principe concernant la GPA : nous sommes contre, et pourtant elle se pratique ailleurs.

L’objet du présent projet de loi de bioéthique à la française est d’affirmer que nous souhaitons une régulation particulière applicable aux progrès médicaux, même si d’autres pays n’ont ni loi de bioéthique ni régulation. C’est ce qui fait notre différence, mais aussi notre fierté. Même si nous savons qu’un certain nombre de nos compatriotes font réaliser de tels tests en envoyant leur ADN à l’étranger, nous réaffirmons, à l’occasion de ce débat, qu’ils sont dangereux, parce qu’on ignore ce qui est fait ensuite des données, parce que les résultats des tests peuvent être erronés et provoquer des drames familiaux.

Les sociétés qui effectuent ces tests disposent ainsi d’informations sur les origines, mais également sur la totalité du génome humain. Le séquençage d’un génome permet de connaître les pathologies potentielles, les risques génétiques, etc.

L’argument selon lequel ces tests se pratiquent ailleurs ne peut pas être l’argument de ce projet de loi de bioéthique. Sinon, cela signifierait que tout ce qui est fait ailleurs pourrait être fait en France, comme la GPA. Je vous rappelle que les Chinois viennent d’effectuer des manipulations génétiques sur des embryons.

L’objectif du présent texte est justement de réaffirmer les limites et les interdits que nous nous fixons. La libéralisation de ces tests pourrait laisser croire à la population française qu’ils sont récréatifs, alors que les informations ainsi obtenues sont extrêmement sensibles.

Si nous autorisons ces tests en France – je vous confirme qu’il existe un marché et qu’il fait pression, car un séquenceur ne coûte rien, les tests sont réalisés en moins d’une journée, pour quelques centaines d’euros, 200 euros je crois –,…

M. Vincent Éblé. Ils coûtent 50 euros !

Mme Agnès Buzyn, ministre. … de nombreuses officines françaises, qui seront faciles à trouver, les effectueront. Si nous autorisons des officines françaises à les pratiquer, nous n’aurons aucun moyen d’interdire à des sociétés étrangères de les faire également. Toutes les entreprises américaines, chinoises que vous connaissez pourront s’implanter et auront donc accès au génome des Français, à l’ADN total des Français !

M. Vincent Éblé. Elles sont déjà implantées et font des campagnes publicitaires !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Ce que nous savons aujourd’hui, c’est que ces sociétés donnent déjà à un certain nombre de Français, en plus des informations de nature généalogique, des informations sur leurs pathologies et sur leurs facteurs de risques.

Si ces données appartiennent à des firmes étrangères, rien ne nous permettra d’encadrer leurs pratiques et de leur interdire, par exemple, leur transmission à l’étranger. Je ne pense pas que nos concitoyens seront en mesure de limiter les informations qui leur seront données.

Si nous autorisons ces tests, toutes les sociétés étrangères pourront s’implanter sur le sol français et accéder à toutes les informations possibles sur les maladies et sur les facteurs de risques génétiques de nos concitoyens.

Cela étant, je pense qu’un certain nombre de Français continueront de faire réaliser de tels tests par des firmes étrangères, comme ils le font déjà aujourd’hui, que nous allons progressivement assister à des changements de comportement et de législation, et que chaque Français pourra accéder à des données peu fiables, potentiellement médicales. Ces données influeront sur la vie ultérieure des gens, ils modifieront peut-être les comportements dans les couples avant une conception, comme l’a évoqué le président Retailleau à propos de l’amendement qui va suivre.

Notre devoir aujourd’hui est de réaffirmer à quel point ces tests sont dangereux, car ils donnent des informations qui peuvent bouleverser des vies, et qu’ils n’ont rien de récréatif. Nous devons dire aux Français qu’ils prennent des risques. C’est peut-être l’occasion pour le Gouvernement d’envisager une campagne d’information pour rappeler aux Français que ces tests sont interdits par la loi, sanctionnés, que nous n’en voulons pas sur notre sol à des fins purement mercantiles. Ne nous leurrons pas, il s’agit bien d’un marché. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)