M. le président. La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de la proposition de loi initiale.

proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques
Article 2

Article 1er

La septième partie du code du travail est complétée par un livre VI ainsi rédigé :

« LIVRE VI

« TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES NUMÉRIQUES

« TITRE I

« DISPOSITIONS GÉNÉRALES

« CHAPITRE I

« CHAMPS DAPPLICATION

« Art. L. 7522-1. – Les travailleurs des plateformes numériques sont les personnes qui concluent avec des plateformes numériques des contrats portant sur la location de leur force de travail en vue de la réalisation du service proposé et organisé par la plateforme.

« Les plateformes numériques de travail sont celles qui développent une activité économique et commerciale qui consiste à proposer et organiser des services à des clients qui seront réalisés par des travailleurs directement mis en relation par la plateforme. Cette mise en relation n’est pas l’objet de l’activité de la plateforme mais la modalité d’accès et de réalisation du service.

« Art. L. 7522-2. – Les dispositions du présent code sont applicables aux travailleurs définis à l’article L. 7522-1, sous réserve des dispositions prévues aux titres II à IV du présent livre.

« TITRE II

« FORMATION ET DURÉE DU CONTRAT

« Art. L. 7523-1. – Les contrats conclus entre les travailleurs et les plateformes définis à l’article L. 7522-1 peuvent être conclus à durée indéterminée ou à durée déterminée. Dans les deux cas, les travailleurs restent libres de déterminer leur temps de travail en cours de contrat de manière autonome, conformément aux dispositions du titre III.

« Les modalités de délivrance et de signature feront l’objet d’une négociation annuelle avec les représentants des travailleurs.

« Le résultat de cette négociation constituera un socle auquel il ne pourra être dérogé par contrat individuel.

« TITRE III

« CONDITIONS DE TRAVAIL

« CHAPITRE I

« Temps de travail

« Art. L. 7524-1. – Les travailleurs des plateformes numériques ne sont pas soumis aux règles relatives au temps de travail, sous réserve des articles L. 3121-18 et L. 3131-20. Les modalités de construction et de gestion des plannings horaires devront faire l’objet d’une négociation annuelle avec les représentants des travailleurs.

« Le résultat de cette négociation constituera un socle auquel il ne pourra être dérogé par contrat individuel.

« CHAPITRE II

« Rémunération

« Art. L. 7525-1. – La rémunération des travailleurs définis à l’article L. 7522-1, à l’exclusion de ceux qui exercent une profession de transport de personnes, devra être constituée sur une base horaire. Pour tous les travailleurs définis au même article L. 7522-1, sans exception, les modes de calcul et autres éléments de rémunération devront faire l’objet d’une négociation annuelle avec les représentants des travailleurs.

« Le résultat de cette négociation constituera un socle auquel il ne pourra être dérogé par contrat individuel.

« CHAPITRE III

« Les algorithmes

« Art. L. 7526-1. – Les plateformes numériques construisant l’architecture normative de leurs organisations essentiellement par le biais d’algorithmes, l’obligation d’intelligibilité des informations transmises devra faire l’objet d’une attention renforcée. Elle se traduit notamment par la prise en charge complète des frais de recours à un expert spécialiste en algorithmes et intelligence artificielle.

« Art. L. 7526-2. – Les représentants des travailleurs ont le droit de demander, à tout moment, des explications documentées en cas de doute sur une modification des algorithmes concernant les conditions de travail, l’organisation du travail et des temps d’attente, la modalité de la mise en relation, la modalité et le montant des rémunérations. Pour les aider dans leur travail d’analyse, ils peuvent solliciter le recours à un expert spécialiste en algorithmes et intelligence artificielle à la charge de la plateforme.

« CHAPITRE IV

« Rupture du contrat

« Art. L. 7527-1. – La rupture du contrat conclu entre les plateformes et les travailleurs définis au premier alinéa de l’article L. 7522-1 doit être motivée par un motif réel et sérieux.

« Le lieu de l’entretien préalable peut être déterminé par accord avec les représentants des travailleurs à l’occasion de la négociation annuelle. À défaut d’accord, le lieu devra se trouver dans le secteur habituel de réalisation de l’activité du travailleur ou dans sa ville de résidence fiscale.

« La notification du licenciement peut, par accord, être notifiée par envoi d’un message numérique.

« Le cas échéant, le résultat de cette négociation constituera un socle auquel il ne pourra être dérogé par contrat individuel.

« TITRE IV

« NÉGOCIATION ET REPRÉSENTATION

« CHAPITRE I

« Représentativité syndicale

« Art. L. 7528-1. – Pour les travailleurs soumis aux dispositions du présent livre, le 5° de l’article L. 2121-1 ne s’appliquera qu’à partir du 1er janvier 2023. Jusqu’à cette date, l’ancienneté requise au 4° du même article L. 2121-1 est réduite à un an.

« CHAPITRE II

« Représentation des travailleurs des plateformes

« Art. L. 7528-2. – Le livre III de la deuxième partie du présent code s’applique aux plateformes numériques définies au second alinéa de l’article L. 7522-1, sous réserve des adaptations suivantes :

« 1° Les plateformes prévues au second alinéa devront donner aux travailleurs définis au premier alinéa du même article L. 7522-1 qui se présentent à des fonctions de représentation un accès simple et efficace aux noms et coordonnées des travailleurs habilités à voter ;

« 2° a) Sont électeurs les travailleurs des deux sexes, âgés de seize ans révolus, ayant travaillé au moins 450 heures sur les douze derniers mois pour la plateforme et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques ;

« b) Sont éligibles les électeurs âgés de dix-huit ans révolus, et ayant effectué au moins 850 heures de travail pour la plateforme, à l’exception des conjoint, partenaire d’un pacte civil de solidarité, concubin, ascendants, descendants, sœurs, frères et alliés au même degré de l’employeur ;

« 3° Par dérogation à l’article L. 1111-2, pour la mise en place de la représentation des travailleurs des plateformes, les travailleurs définis au premier alinéa de l’article L. 7522-1 ayant travaillé au moins 450 heures sur une période de douze mois pour une plateforme numérique telle que définie au second alinéa du même article L. 7522-1 sont pris intégralement en compte dans les effectifs.

« CHAPITRE III

« Accès à la connaissance des droits négociés

« Art. L. 7529-1. – Le résultat des négociations annuelles entre les plateformes et les représentants des travailleurs définis à l’article L. 7522-1 devra faire l’objet d’une information des travailleurs au moment de leur inscription sur la plateforme, à la suite de la négociation, ainsi que d’un accès permanent, simple et clair sur le site et l’application de la plateforme.

« Les modalités de cet accès font également l’objet de la négociation annuelle.

« Pour ce faire, les coordonnées des organisations de travailleurs parties à la négociation devront elles aussi être accessibles de manière permanente, simple et claire sur le site et l’application donnant accès à la plateforme. »

M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article.

M. Olivier Jacquin. Après cette discussion générale passionnante, je veux apporter quelques éléments complémentaires.

Madame la ministre, je vous ai écrit il y a quelque temps au sujet du contrôle des livreurs à vélo – on parle de livreurs à vélo, parce que ces travailleurs n’ont pas de licence de transport et que leur seul moyen légal de se déplacer est un deux-roues non motorisé –, afin de vous demander ce que faisait la puissance publique en matière de contrôle des licences de transport pour les utilisateurs de deux-roues motorisés. Je n’ai reçu aucune réponse, sûrement parce qu’il n’y a quasiment pas de contrôle : je le sais par les livreurs et par ceux qui travaillent à vélo.

Plus précisément, je vous invite à consulter les travaux de la chercheuse Laetitia Dablanc du laboratoire Ville Mobilité Transport, qui vient de nous fournir de nouveaux éléments de mesure : près de 37 % des livreurs utilisent des deux-roues motorisés et n’ont pas de licence de transport. Madame la ministre, que faites-vous en la matière ?

Par ailleurs, pour dissiper quelques mythes, notamment celui selon lequel on offrirait ainsi aux étudiants de petits jobs qui s’inscriraient dans des « parcours d’insertion », pour reprendre l’expression employée par votre collègue Christelle Dubos il y a quelques jours au Sénat lors du débat sur les mesures d’urgence sociale, je dirai que ce secteur d’activité évolue très vite et que les choses ont bien changé.

Certes, il existe encore quelques étudiants qui s’assurent de petits compléments de revenus avec ces livraisons, mais il y en a d’autres qui cherchent à en vivre. Comme l’indique la chercheuse que je viens de citer, on est passé des étudiants aux précaires, puis des précaires aux étrangers sans titre de séjour, comme le migrant dont j’ai parlé précédemment, dont Libération a fait le portrait.

Je vous répète ces chiffres, madame la ministre : environ 37 % des livreurs à vélo et des chauffeurs de VTC partagent ou sous-utilisent des comptes, c’est-à-dire qu’ils sont les sous-traitants de sous-traitants. Laetitia Dablanc estime qu’il y a près de 16 % d’étrangers – il est très difficile de connaître leur situation légale, mais cela pose bien des questions.

Dernier point : le mythe selon lequel ces travailleurs ne voudraient pas être salariés. Allez interroger ceux qui ont été victimes de la crise du Covid-19 et qui n’avaient plus ni travail ni protection ! Les choses ont bien changé dans ce domaine, et même s’ils ne représentent que 1 % de la population active, cela n’est pas rien. Ces travailleurs ne veulent pas avoir de mauvais patron ni être salariés d’Uber dans les conditions de sous-traitance que leur impose cette plateforme.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.

M. Pascal Savoldelli. À ce moment de la discussion, je veux remercier les uns et les autres de leur contribution. Mes chers collègues, je souhaite aussi attirer votre attention sur trois aspects.

Premièrement, il m’arrive parfois à moi aussi de tenir des propos maladroits : quand on parle de 100 000 personnes, on ne parle pas de 0,7, 0,8 ou 0,9 % de la population active. Qui oserait dire des 216 000 médecins exerçant en France qu’ils représentent à peine 1 % de la population active ? Personne dans cet hémicycle ! Il faut faire attention à nos propos, mes chers collègues. Nous vivons dans une société violente et difficile. Je l’avais d’ailleurs souligné en commission des affaires sociales : il faut être prudent et respecter ces travailleurs.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Il a raison !

M. Pascal Savoldelli. Deuxièmement, cessons de citer des chiffres, de nous les jeter à la figure et de les manipuler. Il faut aller voir les travailleurs des plateformes, arrêter de s’aligner sur des pseudo-sondages fabriqués par les plateformes pour expliquer à leurs travailleurs ce qu’ils pensent ! Faisons davantage attention, parce que nous évoquons des difficultés que vit la société actuelle et que subit une partie de notre activité économique. Ma remarque est valable pour tout le monde, y compris l’auteur de ce texte et ceux qui ont travaillé sur cette proposition de loi.

Troisièmement, madame la ministre, vous avez accordé une aide exceptionnelle aux autoentrepreneurs, adaptée à leurs conditions de travail spécifiques. Mon groupe a voté pour cette mesure au moment de la crise, et il a eu raison. Mais nous avions aussi formulé des remarques. Les travailleurs des plateformes numériques dont nous parlons, parfois avec justesse, mais aussi avec un peu de condescendance, ne pouvaient pas bénéficier de cette aide, car il leur est impossible de justifier qu’ils ont eu cette année une activité 50 % inférieure à celle de l’an passé. Je vous donne un exemple concret de ces ni-ni, ni salariés ni travailleurs indépendants.

Ces 100 000 à 200 000 personnes, en définitive éjectables en un clic, ne reçoivent aucune aide en cas d’épidémie, car elles ne sont pas en mesure de justifier leurs difficultés. Pourtant, nombre d’entre elles doivent payer un loyer.

Je fais ce rappel dans un esprit constructif. Nous avons rencontré ces travailleurs, nous avons même organisé un point presse avant le débat. La situation actuelle nous met face à nos contradictions. Nous devons faire attention à ce que nous allons faire avec ces plateformes numériques.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Fournier, sur l’article.

Mme Catherine Fournier. Quand nous parlons de 200 000 travailleurs des plateformes numériques en disant qu’ils représentent peu de monde, cela ne signifie pas pour autant que nous les dénigrons, que nous ne les respectons pas, que nous ne nous en occupons pas, que nous ne les considérons pas. Absolument pas !

Simplement, nous ne pouvons pas réduire ces travailleurs à un contexte aussi étroit, alors que nous sommes en train de réfléchir à un statut global. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas régler le problème. En tout cas, ce n’est pas mon propos, et je tiens vraiment à le préciser.

Au contraire, dans notre rapport, mes collègues Frédérique Puissat, Michel Forissier et moi-même nous sommes attachés à réfléchir aux conditions de travail de ces personnes.

M. le président. L’amendement n° 1, présenté par MM. Savoldelli et Gay, Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 24, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

et ne peut être inférieure au taux horaire du salaire minimum interprofessionnel de croissance

La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Cela arrive parfois : nous avions laissé passer une petite coquille dans le texte initial en faisant référence à un salaire décent. Pour nous, la disposition était claire, mais nous proposons de la clarifier aujourd’hui en indiquant que la rémunération ne peut être inférieure au taux horaire du SMIC. Il s’agit d’un amendement de précision.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, conformément à sa position sur la proposition de loi. Il n’en va pas de même pour moi : à titre personnel, je considère que cet amendement tend à apporter une précision fondamentale, comme l’a dit M. Gay.

En effet, la proposition de loi prévoit que, à l’exclusion de ceux qui exercent une activité de transport de personnes, la rémunération des travailleurs des plateformes numériques « devra être constituée sur une base horaire. » Suivant sa logique, l’article 1er renvoie à la négociation collective les modes de calcul de tous les éléments de rémunération sans référence à un socle législatif.

Les auteurs de l’amendement proposent de fixer, en faisant référence au SMIC, une rémunération minimale pour les travailleurs des plateformes, qui en sont actuellement privés. C’est pourquoi, à titre personnel, je vous invite, mes chers collègues, à voter en faveur de cet amendement. (Sourires.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le sénateur, je comprends votre objectif. Toutefois, à amendement de cohérence, réponse de cohérence : défavorable.

Je voudrais revenir sur un point : la mission que le Gouvernement a confiée à M. Frouin a été évoquée à plusieurs reprises. La représentation des travailleurs de plateformes est l’un des points importants sur lequel travaille cette mission. C’est dans ce cadre que les chauffeurs de VTC, notamment, pourront discuter du tarif des courses. Une activité indépendante fondée sur le prix de la course n’est en effet pas assimilable à celle d’un salarié, pour laquelle la référence au SMIC est pertinente.

Cela étant, il faut que ces travailleurs aient les moyens de discuter. Une fois que nous aurons mis en place un système de représentation, après le débat parlementaire qui devrait se tenir sur les recommandations de M. Frouin, il y aura un cadre pour discuter du prix des prestations et des conditions de travail. Ce sera un progrès.

Quant au fonds de solidarité pour les indépendants pendant la crise, comme vous le savez, les critères pour bénéficier des aides ont été assouplis en avril, de sorte à s’adapter aux microentrepreneurs. Je ne prétends pas qu’il s’agisse de la réponse parfaite, mais on a essayé de faire au mieux et au plus vite pour couvrir un maximum de personnes. Désormais, un certain nombre de microentrepreneurs, notamment au niveau des plateformes, peuvent en bénéficier.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Madame la ministre, je vais vous faire une suggestion, qui recueillera l’assentiment de tout le monde : quand vous désignez quelqu’un en début d’année pour piloter une mission, la moindre des choses est que cette personne sollicite les parlementaires travaillant sur le sujet. Je pense à mes collègues de la commission des affaires sociales qui réfléchissent à la question des travailleurs indépendants comme à nous, qui avons déposé cette proposition de loi en septembre 2019.

On peut avoir des opinions différentes sur le sujet, mais la moindre des choses est de tirer profit du travail parlementaire : madame la ministre, dites-le à M. Frouin ! Des parlementaires de toutes sensibilités réfléchissent à cette problématique et ne sont pas sollicités.

Par ailleurs, j’aimerais bien savoir si M. Frouin a reçu les formes organisées de représentation des travailleurs des plateformes numériques. Les a-t-il auditionnées ?

M. Pascal Savoldelli. À ma connaissance – et j’ai des liens avec ces collectifs, qui sont très différents –, ce n’est pas le cas. A-t-il sollicité l’avis des organisations syndicales ? Non plus ! J’attire votre attention sur ce point, madame la ministre : sous votre impulsion, ces auditions pourraient avoir lieu.

Il faut donc corriger le tir : d’une part, respecter le travail parlementaire dans sa diversité, d’autre part, recevoir les organisations syndicales et, surtout, les formes organisées de représentation des travailleurs des plateformes.

J’ajoute que nous sommes également disposés à réfléchir, avec toutes les personnes concernées, sur la question de la représentation. Et, madame la ministre, il faudra innover et faire preuve de souplesse en ce qui concerne le nombre d’heures travaillées pour que ces travailleurs puissent être représentés par un collectif, via les organisations syndicales traditionnelles ou d’autres formes d’organisation qu’ils choisiraient – cela relève de leur libre choix de s’organiser comme ils l’entendent. Sinon, avec qui pourront-ils discuter ?

Quand le travailleur d’une plateforme numérique a travaillé 35 heures par semaine pendant trois mois – peut-être pas durant trois mois, mais sur une année –, j’estime qu’il a le même droit que les salariés de voter et d’élire des représentants qui détermineront, avec la plateforme, les conditions d’organisation du travail, la manière dont est calculée sa rémunération. Ce serait une avancée, qui est attendue par l’ensemble des travailleurs des plateformes.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le sénateur, dans mon propos introductif, je vous ai moi-même proposé de vous associer à ces travaux, non seulement les auteurs de la proposition de loi, mais aussi l’ensemble des sénateurs, notamment ceux qui ont contribué à élaborer les rapports, puisqu’il y a eu beaucoup de travail et de matière première accumulés.

Il existe un certain consensus autour de l’idée que toutes les questions sont posées et bien posées, même si nous ne sommes pas tous d’accord sur les réponses. Quoi qu’il en soit, cela permet déjà d’avancer sur un sujet, qui est maintenant très documenté. Vos travaux et les débats de ce jour contribuent à créer un matériau de qualité en vue de cette réflexion.

La mission de M. Frouin a pris un peu de retard à cause du confinement. En effet, la nature même des travaux suppose de mener des réunions plutôt en présentiel lorsque c’est possible. Nous allons donc prolonger la durée de cette mission de juin à octobre pour que ce travail, qui associe évidemment les organisations syndicales et patronales – c’était prévu –, mais aussi les parlementaires et l’ensemble des parties prenantes, puisse avoir lieu dans de bonnes conditions.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 1.

(Lamendement est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Tout d’abord, madame la ministre, l’ensemble des débats a été particulièrement intéressant jusqu’à présent et les travaux de mes collègues, tant ceux de Mme la rapporteure que ceux de la mission d’information, au nom de la commission, devraient produire des résultats également intéressants pour tout le monde.

Permettez-moi maintenant un petit parallèle professionnel : madame la rapporteure, monsieur Savoldelli, je trouve que votre recherche épidémiologique dans le cadre de ces travaux, votre analyse des symptômes et votre diagnostic sont bons. En revanche, le traitement me semble un peu discutable, et il est d’ailleurs discuté par les uns et les autres. (Sourires.)

Mme Éliane Assassi. Comme pour le Covid-19 ! (Rires.)

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. En conséquence, nous allons nous remettre au travail en ce qui concerne le traitement. Et je demande à l’ensemble de mes collègues que leur vote sur les articles soit en cohérence avec leur vote sur l’ensemble de la proposition de loi. (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er nest pas adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques
Article 3

Article 2

I. – Après le 36° de l’article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 37° ainsi rédigé :

« 37° Les travailleurs des plateformes numériques définis à l’article L. 7522-1 du code du travail. »

II. – L’article L. 5422-1 du code du travail est complété par un III ainsi rédigé :

« III. – Ont également droit à l’allocation d’assurance chômage les travailleurs définis au premier alinéa de l’article L. 7522-1, aptes au travail et recherchant un emploi, qui satisfont à des obligations de durée antérieure d’activité et de recherche effective d’un emploi.

« Les mesures permettant d’adapter les règles du régime général d’assurance chômage à la situation particulière des travailleurs des plateformes numériques font l’objet d’accords conclus entre les organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs. Ces mesures doivent tenir compte des objectifs suivants :

« 1° Concernant les conditions d’ouverture des droits :

« a) Les périodes d’activité, ayant eu lieu dans le cadre d’un contrat conclu avec une plateforme numérique de travail, prises en compte pour l’ouverture des droits correspondent à au moins 450 heures de travail sur les douze derniers mois pour une plateforme définie à l’article L. 7522-1 ;

« b) L’activité, organisée par un contrat conclu avec une plateforme de travail numérique, a pris fin dans les conditions prévues à l’article L. 7527-1 ;

« c) Le travailleur est en recherche d’emploi effective, au sens de l’article L. 5421-3 ;

« d) Les droits à l’allocation sont ouverts à compter de la fin de l’activité organisée par un contrat conclu avec une plateforme définie au second alinéa de l’article L. 7522-1, intervenue dans les conditions prévues à l’article L. 7527, qui doit se situer dans un délai de douze mois précédant la veille de l’inscription comme demandeur d’emploi ou, le cas échéant, le premier jour du mois au cours duquel la demande d’allocation a été déposée ;

« 2° Concernant la détermination des droits :

« a) Les revenus de référence pris en considération pour fixer le montant de l’allocation journalière sont établis à partir des rémunérations des douze mois civils précédant le dernier jour de travail payé à l’intéressé, rémunérations liées à l’activité organisée par un contrat conclu avec une plateforme prévue au second alinéa de l’article L. 7522-1 ;

« b) Sont exclues toutes les sommes dont l’attribution trouve sa seule origine dans la rupture du contrat de travail ou l’arrivée du terme de celui-ci. »

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 nest pas adopté.)

Article 2
Dossier législatif : proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques
Article additionnel après l'article 3 - Amendement n° 2 rectifié

Article 3

Le chapitre Ier du titre VIII du livre II de la deuxième partie du code du travail est complété par un article L. 2281-12 ainsi rédigé :

« Art. L. 2281-12. – Lorsque les conditions de travail, l’organisation du travail, la modalité de la mise en relation, la modalité et le montant ou le mode de rémunération sont déterminés au travers d’algorithmes, ceux-ci devront faire l’objet d’une information, d’une consultation ou d’une négociation, selon les champs concernés.

« Afin de mener à bien leur mission, les représentants des travailleurs ont le droit de recourir à un expert spécialiste en algorithmes et intelligence artificielle, conformément à l’article L. 7525-1. »

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.

M. Pascal Savoldelli. Je veux réagir aux propos de Frédérique Puissat, qui a évoqué la question de la confidentialité des algorithmes dans l’entreprise. Il va falloir statuer très vite sur ce point, parce que le travail avec les plateformes numériques est vraiment aliénant. Et il a effectivement été prouvé que le fonctionnement de ces algorithmes était totalement opaque.

Nous pensons évidemment qu’il faut protéger l’entreprise, l’esprit d’entreprendre et les innovations ; il existe d’ailleurs un certain nombre de dispositifs, que nous connaissons tous. Mais, en l’occurrence, nous ne sommes pas en train de protéger une innovation. Quand il s’agit de labelliser ou de breveter, une forme de secret et de confidentialité se justifie, surtout quand on voit les ravages de la concurrence.

En commission, j’ai déjà eu l’occasion de dire au professeur Milon, qui m’apportera peut-être aussi un éclairage sur mon espérance de vie, afin d’y voir plus clair (Sourires.) – je ne parle pas d’espérance de vie politique, mais d’espérance de vie personnelle (Rires.) –, que les algorithmes étaient bien plus vieux que nous tous réunis dans cet hémicycle, tous âges confondus. Je le dis avec tout le respect que je vous dois, mes chers collègues. (Sourires.)

Plus sérieusement, le problème posé par ces plateformes, c’est tout simplement que les algorithmes fonctionnent comme une suite d’opérations et d’instructions, qui fixe l’organisation du travail, le niveau de rémunération, et introduit des éléments de flexibilité. Tout cela a été démontré.

Tous les jeunes savent que, pendant un match de football, tel ou tel événement ou tel ou tel concert, s’il tombe des cordes ou s’il y a un orage, le prix de la course au kilomètre est plus élevé. C’est l’algorithme qui gère et fixe ce tarif !

Derrière, c’est tout le débat sur l’offre et la demande. Ce n’est pas l’algorithme en soi qui nous fait peur – il faut vivre avec son époque ! D’ailleurs, depuis les débuts de la civilisation, nos sociétés ont toutes été construites autour d’algorithmes. Le problème ici, c’est que les travailleurs qui ont ces algorithmes pour contremaîtres, puisqu’ils décident des modalités de leur travail et de leur rémunération, doivent pouvoir y avoir accès.

Ma chère collègue, si je fais ce rappel, c’est qu’il faut trouver ensemble la réponse (Mme Frédérique Puissat opine.). Qui accepterait de travailler ainsi ?

Mon grand-père, d’origine italienne, travaillait à la tâche. Voilà comment cela se passait : l’accord entre l’ouvrier et l’exploitant se faisait d’homme à homme. Il n’y avait pas de contrat ni de problème de statut mais, au moins, mon grand-père pouvait discuter, avec son dictionnaire français-italien, du coût de vingt mètres de carrelage, de la réalisation de tel pavillon ou de telle maison en pierre meulière. Il existait encore des relations humaines ! Les tâcherons pouvaient discuter la valeur de leur travail. Au niveau des plateformes, la situation est bien pire, puisque les travailleurs ne peuvent même pas le faire !

Il faut vraiment que l’on se rapproche sur ce sujet, mes chers collègues, et que l’on torde le cou à cette dérive, afin que ces travailleurs, ces jeunes aient au moins accès à ce qui détermine leur vie pendant plusieurs heures dans la journée. Il faut qu’ils sachent comment le système fonctionne. Après, ils le contesteront ou, au contraire, l’accepteront : ils seront libres de décider.