M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 15.

Mme Éliane Assassi. Nous partageons avec vous, monsieur le président de la commission des lois, le constat de l’ambiguïté de ce texte proposant une fin d’état d’urgence sanitaire qui, en fait, n’en est pas une !

Dans la presse, vous avez annoncé que vous ne proposeriez pas « au Sénat d’adopter tel quel un texte qui est profondément ambigu ». Vous avez même ajouté : « Je dis attention ; ou bien on sort de l’état d’urgence, et alors on en sort vraiment, ou bien on y reste, mais alors il faut le dire ».

Or les modifications que vous avez proposées et fait voter par la majorité de la commission des lois ne permettent pas, selon nous, de sortir de l’ambiguïté que vous dénoncez. Elles sont elles-mêmes, en effet, ambiguës.

Vous proposez par exemple non plus d’interdire les manifestations, mais de les réglementer. Pourtant, vous savez comme moi que la réglementation peut déboucher sur une forte dissuasion, et nous pouvons faire confiance à un préfet comme M. Didier Lallement en ce domaine… Autrement dit, un excès de réglementation pourra parfaitement masquer une forme d’interdiction.

Comme vous l’indiquiez, ou nous sommes dans un état d’urgence, ou nous ne le sommes pas. L’attitude claire, courageuse, pour faire respecter les libertés publiques et les pouvoirs du Parlement est donc celle du rejet de ce texte, tout particulièrement de son article 1er.

Comment ne pas remarquer que la prolongation de mesures d’exception – le texte de la commission s’inscrit, malgré tout, dans ce cadre jusqu’au 30 octobre – diminue encore, par rapport à l’état d’urgence sanitaire, classique ou d’exception, le pouvoir d’intervention des parlementaires, députés et sénateurs.

S’y ajoutent, j’y faisais allusion, les pouvoirs exorbitants confiés aux préfets en matière de liberté publique, notamment avec les alinéas 7 à 9 de l’article 1er.

Pour toutes ces raisons, nous proposons nous aussi la suppression de cet article.

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l’amendement n° 17.

M. Joël Labbé. Cet amendement, comme les précédents, vise à supprimer l’article 1er du projet de loi. En effet, cet article prolonge des mesures restrictives des libertés fondamentales et des droits qui ont été mises en place dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ; il vient ainsi brouiller la frontière entre l’exception et le droit commun, avec tous les risques que cela comporte pour l’État de droit.

Alors que la population est appelée à voter pour le second tour des municipales, que les activités économiques reprennent – et c’est tant mieux – et que la situation sanitaire continue de s’améliorer – et c’est aussi tant mieux –, la proposition du Gouvernement de créer ce nouveau régime dérogatoire est à la fois disproportionnée et inutile.

En effet, le droit existant, cela a déjà été expliqué à plusieurs reprises lors de nos débats, est largement suffisant pour gérer la situation sanitaire. Et, en cas de résurgence de l’épidémie, le Gouvernement et le Parlement auraient la capacité de prendre les mesures nécessaires, et cela en urgence.

Certes, cela a été souligné, la commission des lois a limité fortement la portée de cet article en proposant de donner au Premier ministre le pouvoir de réglementer, plutôt que d’interdire. Cela atténue indéniablement les restrictions de libertés proposées par le texte.

Toutefois, même s’il est quasiment vidé de sa substance, c’est malgré tout un nouveau régime dérogatoire au droit commun qui nous est proposé, et c’est de ce fait un entre-deux pour nous inutile.

De plus, le contexte actuel doit nous amener à être plus que vigilants sur la question des restrictions apportées aux libertés ; je pense en particulier au droit de manifestation.

Rappelons que le Conseil d’État a considéré la limitation de ce droit fondamental prise dans le cadre de l’état d’urgence comme une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de réunion et à la liberté de manifester, alors que, après plusieurs mois de limitation des libertés publiques et à l’heure où s’organisent les débats sur le monde d’après, les citoyens ressentent légitimement le besoin d’exprimer collectivement leurs idées, et cela en toute liberté.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. J’aurais très bien compris le sens de ces amendements s’ils avaient porté sur le texte voté par l’Assemblée nationale…

Or la commission des lois du Sénat a supprimé cette rédaction, pour en adopter une autre. Toutes les mesures qui étaient le calque, à la virgule près, de celles qui avaient été prises dans le cadre du régime d’état d’urgence sanitaire – mesures relatives à la liberté d’aller et venir, à la fermeture d’établissements recevant du public, ou encore à d’autres libertés essentielles comme celle de manifester ou de se réunir – ont été purement et simplement retirées du texte par la commission des lois, qui a intégralement réécrit cet article.

Je ne renie rien des propos que j’ai tenus, chère présidente Assassi. En effet, et je l’ai dit à la tribune, je considère qu’un texte de sortie de l’état d’urgence sanitaire qui reproduit les mesures les plus importantes de l’état d’urgence sanitaire est un texte de prorogation de l’état d’urgence sanitaire !

En outre, je veux bien admettre que, comme l’indiquait le Gouvernement, s’il s’agit réellement d’un texte portant sur la sortie de l’état d’urgence sanitaire, alors il ne faut prendre que des mesures utiles à cette fin. Je crois que c’est ce que nous avons fait en réduisant le champ des mesures qui nous étaient proposées.

J’espère d’ailleurs, si vous vous rangez à la proposition de la commission des lois, que le Gouvernement s’y ralliera. En effet, nous lui permettons de prendre les mesures nécessaires pour les boîtes de nuit, d’imposer le port du masque dans les métros des grandes villes, mesures à mon avis assez raisonnables, auxquelles il faut certes donner une base légale, mais rien de plus.

Je ne vous demanderai pas de retirer vos amendements ; ils sont pour vous le moyen de marquer très clairement une position politique. Mais, pour ma part, j’essaie d’être pragmatique et d’apporter des réponses.

C’est notre rôle à nous, sénateurs, non pas d’adopter une position qui soit exclusivement politique, mais de chercher des solutions qui n’exposent pas les libertés individuelles et les libertés publiques à des restrictions aussi drastiques que ce que prévoit l’état d’urgence sanitaire, tout en permettant, malgré tout, de prendre, pendant une période qui est encore incertaine, dans l’intérêt général et dans l’intérêt de la santé publique, d’utiles précautions.

Bien entendu, s’il fallait prendre des mesures plus importantes, le Gouvernement pourrait toujours recourir à l’état d’urgence sanitaire.

Je crois que nous sommes sur une piste d’atterrissage,…

M. Patrick Kanner. Elle est glissante !

M. Philippe Bas, rapporteur. … et je vous convie donc à nous réunir autour de cette solution pratique, très respectueuse, me semble-t-il, des libertés. Je le sais bien, et vous avez raison de le dire, c’est la vocation du Sénat que d’affirmer dans la discussion parlementaire sa préoccupation des libertés, en même temps que celle de la santé.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Olivier Véran, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, personne ne peut dire que le virus a disparu de notre pays.

Mme Muriel Jourda. Personne ne le dit !

M. Olivier Véran, ministre. Et personne ne le dit. Personne ne peut donc considérer qu’il faille aujourd’hui nous départir d’outils dont j’avais retenu des précédents débats qu’ils vous paraissaient, à vous qui avez rédigé ces amendements de suppression de l’article, indispensables dans la lutte contre la diffusion du virus.

Je vous donnerai un exemple : si vous supprimez cet article 1er, à la minute où l’état d’urgence prend fin, il n’existera plus aucune base légale pour imposer le port du masque dans le métro.

Je ne critique pas la légitimité de ces amendements, et il ne me revient pas de le faire. Mais j’avais cru comprendre, à la suite de récents échanges qui ont eu lieu au Sénat, que les sénateurs et sénatrices de l’ensemble des groupes, y compris ceux qui en sont signataires, étaient très sensibles à la question du port du masque.

Mme Éliane Assassi. Vous, vous ne l’étiez guère !

M. Olivier Véran, ministre. J’avais cru comprendre, monsieur le sénateur, qu’un certain nombre de débats avaient eu lieu, dans tous les groupes et dans tous les partis, pour savoir si, oui ou non, il fallait imposer le port du masque dans la sphère publique.

M. Patrick Kanner. Les Français l’ont compris d’eux-mêmes !

M. Olivier Véran, ministre. Aujourd’hui, je vous demande de permettre au Gouvernement de continuer à rendre obligatoire le port du masque dans certaines situations, par exemple dans le métro.

Le Gouvernement vous demande aussi de lui donner la base légale pour interdire les rassemblements de 40 000 personnes les unes à côté des autres dans un stade ou dans un lieu fermé.

Je n’ai pas participé à la fête de la musique – j’aurais pourtant adoré –, mais j’ai lu de nombreux commentaires sur Twitter à propos des scènes de liesse populaire auxquelles elle a donné lieu, en particulier dans la capitale, monsieur le sénateur – dans certaines villes, des mesures de restriction ont été appliquées.

Mme Esther Benbassa. Vous n’avez pas interdit ces rassemblements !

M. Olivier Véran, ministre. Des élus de tous bords s’étonnaient de voir quelques centaines de personnes danser les unes contre les autres, en plein air. Or, si cet article est supprimé, il n’existera plus aucune base légale pour interdire le rassemblement de milliers et de milliers de personnes, y compris dans des lieux clos, dont on sait, par expérience, qu’ils sont tout à fait propices à la circulation du virus.

Lors des différentes occasions où je me suis présenté devant vous, nous avons eu des débats à la fois intéressants et nécessaires sur la situation dans les outre-mer et sur les mesures de précaution que nous devions prendre à l’égard de ces territoires.

À l’heure où je vous parle, le facteur de reproduction du virus, son incidence et le nombre de tests positifs en Guyane suscitent de vives inquiétudes, et nous sommes totalement mobilisés. Or, si vous supprimez cet article 1er, il n’existera plus de base légale pour réguler les flux aériens entre la métropole et la Guyane, pour effectuer des contrôles, des tests de dépistage ou pour prendre des mesures d’isolement des personnes arrivant dans ce territoire, en particulier en provenance de l’étranger, par exemple du Brésil, un pays où le virus circule activement.

Deux possibilités s’offriraient alors à moi : ou je dis aux Français que, n’ayant pas obtenu la confiance du Parlement, je ne peux continuer à mettre en œuvre des mesures ajustées et adaptées à la situation de restriction des libertés, faute de base légale ; ou nous passons par la voie réglementaire, en prenant autant de décrets qu’il en faudra.

En tant qu’ancien parlementaire, je considère que le respect des règles démocratiques nécessite d’en passer par le Parlement et d’obtenir sa confiance. La voie du décret, sans doute plus rapide, n’est pas celle que le Gouvernement a retenue.

J’entends toutes les critiques et, au nom du Gouvernement, monsieur le président de la commission, je m’excuse des conditions et des délais contraints dans lesquels, une fois de plus, vous avez dû examiner ce texte. Croyez-moi, je passe plus souvent qu’à mon tour un certain nombre d’heures, de journées et parfois de nuits sur les bancs de l’Assemblée nationale et du Sénat, et je sais votre diligence, votre implication et le sérieux de votre travail.

Toutefois, je ne crois pas, au fond, que nous soyons ici dans un débat partisan et politique au sens classique du terme, parce que le virus n’a pas de parti, parce que les moyens de lutter contre lui n’ont pas de parti, et parce que j’ai toujours cru, et je continue de le croire, que, dans une période d’épidémie comme celle que nous traversons, nous devons aussi envoyer aux Français un signal de responsabilité collective.

Bref, j’émets un avis défavorable sur ces amendements de suppression de l’article 1er, tout en soulignant, même si je n’y siège pas, que certaines des modifications apportées par la commission des lois du Sénat sont peut-être susceptibles de faire l’objet d’un accord en commission mixte paritaire.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le ministre, il ne nous a pas échappé que nous examinions le texte de la commission des lois, et non pas celui du Gouvernement ; pour autant, cela ne nous empêche pas de critiquer ce dernier.

Vous parlez de l’obligation du port du masque. Mais vous-même à un moment n’étiez pas convaincu – je vous renvoie notamment aux déclarations que vous avez faites dans cet hémicycle – de l’utilité d’une telle mesure, certainement en raison des connaissances que l’on avait alors sur ce virus.

Il ne faut pas mélanger les genres ! Vous parlez de sujets qui ne sont pas ceux dont il est question ici.

M. Olivier Véran, ministre. Si !

Mme Laurence Cohen. Les critiques peuvent vous contrarier, vous irriter, mais il faut tout de même que vous les entendiez, monsieur le ministre. Quel est l’objet de votre texte ? Passer d’un régime de manifestations libres et déclarées – c’est la loi – à un régime de manifestations autorisées. C’est cela le problème. On en arrive ainsi à des mesures liberticides.

Monsieur le ministre, vous nous parlez des masques ou de la situation en Guyane. Moi-même, je ne suis pas autant au fait de celle-ci que certains collègues ici présents ; mais vous, vous savez ce qu’elle est et vous entendez les appels au secours de nos collègues de Guyane et des territoires ultramarins, qui disent le manque de masques, d’équipements, le besoin de médecins, les hôpitaux trop peu nombreux.

Aussi, ne mélangez pas les genres et tentez plutôt de nous convaincre en assumant les mesures que vous portez.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.

M. Philippe Bonnecarrère. Nous sommes tous ici attentifs à l’efficacité de notre société dans la lutte contre la pandémie ; il n’y a aucun débat sur ce point. Doit-on pour autant en passer obligatoirement par un texte supplémentaire ? Voilà ce sur quoi porte le débat sur l’article 1er et sa possible suppression.

Pour répondre à cette question, nous devons connaître les moyens dont dispose à ce jour l’exécutif, à savoir les moyens traditionnels de tout pouvoir exécutif, mais aussi ceux qui lui ont été donnés par la loi du 23 mars dernier, non pas en autorisant la mise en place de l’état d’urgence sanitaire, mais en prévoyant les modalités transitoires de sortie de cet état d’urgence. Parmi celles-ci, l’article L. 3131-1 du code de de la santé publique vous donne, pour cette période, des moyens identiques à ceux qui sont prévus à l’article L. 3131-15 du même code.

Aussi, pour une part importante des membres du groupe Union Centriste, vous disposez de tous les moyens pour prendre les décisions utiles face au risque d’un retour de la pandémie, et un texte supplémentaire n’est pas nécessaire. En particulier, au regard de la question du port du masque, cet article autorise le Premier ministre à réglementer l’accès aux moyens de transport collectif ou – autre point que vous avez évoqué, monsieur le ministre – les rassemblements publics.

Aussi, j’aimerais vous poser la question en sens inverse : puisque, selon vous, ce texte est nécessaire pour vous permettre d’interdire, si besoin est, les rassemblements, pour réglementer les déplacements aériens, pour gérer les questions liées au port du masque, dites-moi alors, si l’on suit votre raisonnement, dans quelles circonstances seriez-vous amené à demander au Parlement de rétablir l’état d’urgence, et quels moyens supplémentaires cette mesure vous offrirait-elle ?

À mon avis, si je me réfère à l’exposé que vous venez de nous faire, vous nous demandez, par ce texte, de rétablir un état d’urgence qui n’en porte pas le nom. Pour une partie d’entre nous, ce n’est pas nécessaire et cela ne contribue pas à la nécessaire clarification dont a besoin notre société. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud, pour explication de vote.

M. Rémi Féraud. Monsieur le ministre, j’ai été un peu surpris de vos explications. En tant qu’élu parisien, j’y ai vu la confirmation que quelque chose n’allait pas.

Vous avez parlé de la fête de la musique, qui a eu lieu hier. Certes, vous n’avez cité le nom d’aucune commune, mais j’imagine que vous faisiez allusion aux scènes qu’on a pu observer à Paris, en particulier dans l’arrondissement dont je suis l’élu.

Ces manifestations spontanées relèvent de la responsabilité non pas de la maire de Paris, mais du préfet de police, qui, alors que nous sommes encore en état d’urgence, n’a pas estimé devoir interdire purement et simplement la fête de la musique. Je ne conteste pas ce choix, d’autant que la police était présente pour faire son travail. Toujours est-il que ces rassemblements spontanés ont pris une trop grande ampleur au regard de la situation de crise sanitaire que nous vivons.

Pareillement, refusant de leur faire confiance, vous avez obligé les élus locaux à maintenir fermés les parcs et jardins de l’Île-de-France durant cette période d’état d’urgence, pour une durée qui, de l’avis général, a été beaucoup trop longue.

Par conséquent, le prolongement des mesures inscrites dans la loi relative à l’état d’urgence n’est pas une réponse adaptée à la situation et aux enjeux auxquels nous devons faire face. C’est particulièrement vrai en milieu urbain dense, comme nous l’avons bien vu notamment à Paris et en Île-de-France.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13, 15 et 17.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 125 :

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 315
Pour l’adoption 100
Contre 215

Le Sénat n’a pas adopté.

Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 18, présenté par Mmes Benbassa, Assassi et Apourceau-Poly, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, M. P. Laurent, Mme Lienemann, M. Ouzoulias, Mme Prunaud et M. Savoldelli, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Le dimanche 14 juin dernier, le chef de l’État, Emmanuel Macron, nous annonçait que l’ensemble de la France métropolitaine passait en zone verte sur le plan sanitaire. Nous accueillions avec soulagement, mais prudence, cette nouvelle, qui laissait présager un prochain retour à la normale.

Dans ces conditions, il semble légitime que l’état d’urgence sanitaire, instituée par la loi du 23 mars 2020, prenne fin. Nous tenons donc à pointer du doigt l’incohérence du Gouvernement, qui souhaite ici créer un droit hybride entre le droit commun et le droit d’exception en vigueur pendant l’épidémie.

Monsieur le ministre, si vous estimez que la pandémie est suffisamment sous contrôle pour que nous puissions nous passer de l’état d’urgence sanitaire, agissez en conséquence !

Que des réglementations soient conservées un temps, notamment en matière de port du masque ou de respect des gestes barrières dans les transports en commun, nous l’entendons parfaitement. Ces précautions nous semblent tout à fait raisonnables. Mais il nous paraît excessif de conférer ces prérogatives au Premier ministre.

Une telle mesure, attentatoire à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur la liberté de circulation, est disproportionnée à l’heure où l’exécutif souhaite assurer une transition vers la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Ainsi, par le présent amendement, nous demandons la suppression de l’alinéa 2 de l’article 1er.

Le virus est toujours présent, mais il est latent. Nous sommes donc favorables à ce que des précautions soient de mise, mais sans disproportion.

M. le président. L’amendement n° 23, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Supprimer les mots :

ou restreindre

La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Cet amendement du Gouvernement vise à préciser la portée des notions retenues au premier alinéa de l’article 1er, dans sa rédaction issue des travaux de la commission des lois.

La faculté générale de réglementer la circulation des personnes et des véhicules doit permettre d’intégrer, le cas échéant, des mesures de restriction de la circulation des personnes ou des véhicules au-delà d’un certain périmètre géographique, sans donner pour autant la possibilité de prendre des mesures assimilables à des interdictions de sortie du domicile, comme le prévoyait l’état d’urgence sanitaire.

C’est ce qui permettrait d’ailleurs, en cas de cluster ou, plus largement, en cas de résurgence de l’épidémie, de limiter la circulation au-delà d’une zone, par exemple une ville, comme cela s’est fait dans beaucoup de pays, encore cette semaine.

Dans le cas d’un cluster avec dissémination du virus au sein d’une commune ou d’une intercommunalité, il serait alors possible de limiter les sorties en dehors de cette zone, afin d’éviter la diffusion non contrôlable du virus.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Je suis heureux de constater que la commission a retenu une position médiane, qui permet de calibrer exactement les mesures susceptibles d’être prises pendant la sortie de l’état d’urgence sanitaire. Elle est donc défavorable à ces deux amendements.

Non, madame Benbassa, le texte de la commission ne contrevient pas à l’une des libertés fondamentales garanties par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Non, monsieur le ministre, nous ne souhaitons pas vous permettre de faire plus que réglementer la circulation de nos compatriotes, que, quant à vous, vous voulez restreindre. Nous voulons que vous puissiez imposer le port du masque dans le métro, bien sûr, mais nous ne voulons pas que vous puissiez interdire un certain nombre de déplacements. Si vous devez le faire, vous pourrez toujours prendre un décret pour déclarer l’état d’urgence sanitaire, même si vous n’en utilisez pas toutes les potentialités.

J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 18 ?

M. Olivier Véran, ministre. Je puis comprendre, monsieur le président de la commission des lois, les restrictions que vous entendez apporter à ce texte.

Toutefois, est-ce à dire que, dans le cas où apparaîtrait un nouveau cluster, nous devrions prendre un décret pour déclarer l’état d’urgence sanitaire dans tout le pays, de peur de ne pouvoir maîtriser la chaîne de contamination, et ce afin de limiter la circulation des personnes contaminées en dehors de la zone géographique concernée ?

Vous savez, c’est non pas le virus qui circule, mais les personnes contaminées, la plupart du temps sans qu’elles sachent qu’elles le sont, et elles n’y sont pour rien. C’est ainsi que l’épidémie s’est propagée, à partir de foyers épidémiques dont, par définition, on ignorait l’existence, dès lors que les personnes contaminées ont commencé à circuler en nombre et quitté ces zones.

Or il peut arriver que l’on assiste à une résurgence en masse de cas épidémiques, ce qu’on appelle les clusters. Dès lors que l’on en est informé, il est possible de prendre des mesures d’anticipation. Je vous renvoie à l’exemple des Contamines-Montjoie en Haute-Savoie, où nous avons dû limiter la circulation, fermer les écoles, procéder à des hospitalisations, tracer les contacts de personnes contaminées et les placer à l’isolement. C’est ainsi que nous avons pu « éviter la balle », si je puis dire, c’est-à-dire éviter que le virus ne se propage dans toute la Haute-Savoie trois ou quatre semaines plus tôt.

Où avez-vous vu que, au cours des quatre mois qui viennent de s’écouler, nous aurions pris des mesures abusives et disproportionnées de limitation de la circulation des personnes, en ciblant un endroit particulier ? Quel serait le sens d’une telle mesure ?

Dès lors, pourquoi vouloir interdire ou retirer au Gouvernement la possibilité de limiter temporairement la circulation en dehors d’une zone d’activité du virus ? Quel usage considérez-vous que nous pourrions faire de cette faculté temporaire, si ce n’est protéger les personnes de tout risque épidémique en adoptant des mesures urgentes ? J’ai beau creuser la question, y compris en me mettant à la place de gens qui ne m’aimeraient vraiment pas, je ne trouve pas de réponse…

Par conséquent, je vais nécessairement émettre un avis défavorable sur cet amendement n° 18, tout en insistant sur l’amendement n° 23 du Gouvernement.

Même si, je le répète, je respecte les travaux de la commission, j’essaie – c’est bien pour cela aussi que je suis là ce soir – de vous rendre compte, de manière aussi pratique que possible, des situations de vie que j’ai rencontrées au cours de ces quatre derniers mois et des décisions que j’ai été amené à prendre, dans l’urgence, pour protéger les personnes.

Vous pouvez estimer que ces mesures ont été abusives et faire en sorte que notre pays et ses représentants ne puissent plus prendre aucune décision en ce sens. Encore une fois, si je suis ici ce soir, devant le Parlement, c’est bien parce que j’accepte le débat démocratique. Simplement, je veux vous avertir des conséquences potentielles sur notre arsenal de lutte conte la diffusion du virus des décisions que vous pourriez être amenés à prendre, mus par des craintes que j’ai du mal à concevoir ; mais, encore une fois, chacun est libre.

J’émets donc un avis défavorable sur amendement n° 18.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur. Monsieur le ministre, il est en effet heureux que vous soyez présent pour mener un débat approfondi sur toutes ces questions.

Vous dites ne pas concevoir quelle pourrait être une mesure de substitution à la limitation de la liberté de circulation des personnes en cas de cluster. Pourtant, les mesures que vous entendiez vous-même mettre en œuvre au mois de mars n’ont pas pu l’être, parce qu’elles demandaient des préparatifs, une organisation, nécessitaient que du matériel et des tests de dépistage soient disponibles.

À présent, vous savez bien que, quand des cas se déclarent, les plateformes qui ont été obligatoirement mises en place par l’assurance maladie permettent de remonter les filières de contamination, d’identifier les personnes atteintes et de les placer en quatorzaine.

Indépendamment de la question des autorisations de circuler ou non, ce qui permettra de lutter efficacement contre la propagation du virus, sans doute à une certaine échelle, ce sont des mesures de substitution aux restrictions majeures des libertés publiques que vous avez, avec notre accord, fait supporter au pays, faute de mieux, faute de meilleurs moyens disponibles.

Avions-nous les tests de dépistage ? Avions-nous les masques ? Avions-nous le système d’information que nous vous avons autorisé à mettre en place par la loi du 11 mai ? Non, nous n’avions rien de tout cela ! Maintenant, nous avons tout cela et nous conservons aussi la possibilité, si un territoire connaît de nombreux cas de contamination, de l’isoler en y déclarant l’état d’urgence sanitaire. C’est d’ailleurs ce que nous allons faire pour la Guyane et pour Mayotte.

Vous disposez de toute une panoplie, de tout un arsenal qui ne vous laisse pas les mains nues face à des contaminations locales. Je crois donc que vous pouvez maîtriser ces foyers de contagion autrement que par des mesures majeures de restriction des libertés publiques, comme la liberté d’aller et venir, qui est très importante.

Afin de prévenir la contagion, il sera naturellement plus efficace qu’une personne contaminée accepte de se placer en quatorzaine pour préserver son entourage de travail, sachant par ailleurs que son employeur ne l’acceptera pas sur son lieu de travail tant qu’elle n’est pas rétablie.

Je crois que l’on peut envisager une autre politique que celle que nous avons été condamnés à accepter, faute de mieux, depuis le confinement généralisé des Français. Il ne faut surtout pas se mettre dans l’idée que la première décision à prendre, quand des cas de contamination surviendront quelque part, sera de restreindre les libertés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)