M. Loïc Hervé. Ah oui ! Même par nous !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je n’entre pas dans le détail, puisque vous avez largement abordé la question, mais cette réflexion devra aussi, bien sûr, intégrer les agences et les opérateurs autonomes de l’État.

Je ne vais pas non plus ouvrir le débat sur la question des finances locales, que vous avez évoquée, monsieur Marie. C’est, si je puis dire, un débat dans le débat.

Au fond, votre contribution relance l’éternelle discussion sur l’autonomie financière des collectivités territoriales. Nous aurons l’occasion d’y revenir… C’est une discussion que j’ai souvent avec Vincent Éblé, Albéric de Montgolfier et Charles Guené, et il est évidemment naturel de rouvrir ce débat si de nouvelles compétences sont transférées de l’État vers les collectivités territoriales. Cela étant, le sujet est beaucoup plus vaste, puisqu’il faut dans ce cas s’interroger sur les dotations de l’État, mais aussi sur le rôle des impôts locaux ou de certaines parts des impôts nationaux.

En conclusion, j’évoquerai une idée qui m’est chère – j’avais commis un rapport sur la question, dans cette assemblée, avec le sénateur socialiste Yves Krattinger – : il s’agit de l’intelligence des territoires. Il ne faut pas oublier ce qui se joue par le biais, pour reprendre les termes de Pierre Veltz, des « mille fils tendus » unissant déjà les territoires entre eux.

Doivent également s’inscrire dans notre réflexion les rôles joués par les citoyens au sein de ces territoires : créations, initiatives, démarches solidaires. Ils ont toute leur importance !

Il est vrai que les transitions nécessaires pourront être accélérées grâce aux territoires. Libérons les liens, multiplions les initiatives et inventons, ensemble, l’avenir de notre pays ! Pour ce faire, mesdames, messieurs les sénateurs, vous trouverez plus que jamais l’État aux côtés des territoires, dans le respect de l’exercice de leurs libertés locales, le but étant de garantir leur cohésion et l’équité entre tous nos concitoyens. (Mme Françoise Gatel et M. Didier Rambaud applaudissent.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

M. Patrick Kanner. Et le report des élections régionales et départementales ? Rappel au règlement !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.

M. Patrick Kanner. Il est d’usage, quand un sénateur ou une sénatrice interpelle le Gouvernement, que le ministre ou la ministre lui réponde !

Personne ne doute ici de votre engagement en faveur de la décentralisation, madame la ministre, mais il se trouve que la réforme territoriale a été évoquée mardi midi lors d’un déjeuner avec le Président Macron, auquel j’ai participé.

M. François Bonhomme. Quelle chance !

M. Patrick Kanner. Le Président de la République a été très clair sur la question. Il a dit, je le cite pratiquement mot pour mot, qu’il souhaitait que les départements et régions passent par la « grande porte » – ces termes ont été utilisés – qu’il leur proposait, à savoir une réforme territoriale d’ampleur, potentiellement liée à leur engagement dans le grand plan de relance qu’il souhaite mettre en œuvre pour le pays, dans le cadre de la reconstruction sociale et économique à venir. Toutefois, cela ne serait pas compatible avec une échéance électorale en mars prochain.

Ce qu’il nous a dit, clairement, mais en creux, c’est en fait la chose suivante : si vous préférez passer par la petite porte des élections, faites-le ; moi, je passerai au-dessus et défendrai l’intérêt général pour sauver le pays ! C’était une déclaration très solennelle.

Ma question est donc simple. Le Président de la République lie la réforme territoriale au report potentiel des élections départementales et régionales. Une grande majorité des membres de cette chambre – j’ai vérifié cela auprès du président Bruno Retailleau – estiment, au contraire, que nous sommes capables de contribuer au grand effort de reconstruction du pays, tout en ne repoussant pas l’échéance électorale de mars prochain. Nous sommes manifestement en mesure de faire les deux en même temps. D’ailleurs, l’histoire récente a montré que des maires, même battus, étaient capables d’aider leurs administrés. C’est donc aussi possible dans les communes que, à juste titre, vous défendez.

Nous voudrions donc avoir, sinon une réponse claire sur le sujet, en tout cas une orientation de votre part. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Monsieur le président Kanner, je ne veux pas me dérober, mais je crois que vous en savez autant que moi. (Rires.)

Je n’ai pas assisté au déjeuner auquel vous faites référence. En revanche, j’ai assisté à celui qui a réuni deux présidents de région et le Président de la République, durant lequel ce sujet a effectivement été abordé. Pour vous dire la stricte vérité, c’est même le président de l’Association des régions de France qui a fait observer que les élections allaient de dérouler en plein milieu du plan de relance. Le Président de la République a répondu qu’il en avait conscience. Je n’en sais pas plus.

M. René-Paul Savary. Ça, c’est précis…

M. François Bonhomme. Nous voilà rassurés !

Mme la présidente. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution pour une nouvelle ère de la décentralisation

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu les articles 1er, 24 et le titre XII de la Constitution,

Vu la charte européenne de l’autonomie locale,

Vu le code général des collectivités territoriales,

Vu les travaux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat,

Proclame son attachement à l’organisation décentralisée de la République française ;

Affirme la nécessité d’une clarification de la répartition des compétences au sein de la République en soulignant l’exigence pour l’État de se focaliser sur ses compétences régaliennes, d’infrastructures nationales et de solidarité. Les compétences dévolues à l’État doivent être listées dans la Constitution, les autres relevant de la compétence locale ;

Affirme la place fondamentale de la commune comme cellule de base de l’organisation territoriale, située au plus près des besoins des populations, et premier échelon de la vie démocratique ;

Souligne que les communes sont dotées d’une clause générale de compétence qui doit être garantie par la Constitution ;

Affirme que les communes nouvelles sont un outil efficace de redéfinition de l’échelon communal fondé sur une démarche volontaire des élus et que cette dynamique doit être facilitée ;

Affirme que l’intercommunalité est un outil essentiel de solidarité, de coopération et de projet au sein duquel chaque commune doit avoir sa juste représentation ;

Affirme le rôle incontournable du département comme l’échelon des solidarités humaines et territoriales et de l’ingénierie de proximité ;

Affirme la place stratégique des régions, à l’échelle nationale et européenne, en matière de développement économique durable, d’aménagement du territoire et de transition écologique ;

Considère que les élus locaux appellent moins à un bouleversement institutionnel ou des compétences entre niveaux de collectivités qu’à un approfondissement de la décentralisation ;

Affirme, en revanche, que la priorité est à un nouveau cycle de redistribution des compétences de l’État vers les collectivités territoriales, et notamment :

– en matière de développement économique, en rétablissant aux régions le pilotage de la politique de l’apprentissage et en leur confiant celle du service public de l’emploi ;

– en matière de santé, en redonnant aux élus locaux, et notamment aux maires et aux présidents de conseils départementaux, un rôle et des pouvoirs accrus dans la gouvernance hospitalière et l’organisation territoriale de l’accès aux soins qui sera le corollaire de la mise en œuvre d’un cinquième risque ;

– en matière d’action sociale et médico-sociale, en confiant aux départements le pilotage des établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) ainsi que celui de la médecine scolaire ;

– en matière de gestion des fonds structurels européens, en faisant de la région l’autorité de gestion du Fonds social européen territorialisé et, plus largement, de l’ensemble des fonds structurels ;

Considère que les transferts et l’exercice de compétences doivent s’accompagner à moyen terme de la mise en place d’un cadre financier stable et pluriannuel par :

– la création d’une loi de financement des collectivités territoriales, en cohérence avec le projet de loi de finances, qui fixe les dispositions financières, budgétaires et fiscales les impactant et permettrait d’assurer une meilleure lisibilité et une transparence du financement des collectivités ;

– la redéfinition du ratio d’autonomie financière en éliminant de celui-ci les fractions de produit d’impôt national transférées aux collectivités territoriales, ainsi qu’en instaurant un ratio d’autonomie fiscale ;

– la révision des dotations de l’État de manière, d’une part, à garantir un niveau de ressources minimum, notamment en stoppant la minoration des variables d’ajustements, et, d’autre part, à renforcer leur rôle péréquateur en tenant notamment compte des inégalités structurelles entre des territoires caractérisés par une accumulation d’atouts et les autres ;

– des compensations intégrales et évolutives de transfert de charges de l’État vers les collectivités territoriales, ce qui implique une mesure systématique de l’impact financier des dispositions normatives qui concernent les collectivités locales ;

– la déterritorialisation de la fiscalité économique en organisant un prélèvement et une redistribution à l’échelle au moins d’une zone d’emplois dans l’objectif de neutraliser les concurrences entre territoires et de favoriser la coopération dans l’accessibilité des usagers aux services et équipements ;

– l’évolution des nomenclatures budgétaires afin de ne plus simplement distinguer dépenses de fonctionnement et d’investissement mais de mettre en lumière le niveau de dépenses contraintes des collectivités ;

– l’encadrement strict des appels à projet et une limitation drastique – si ce n’est la disparition – de cette possibilité de telle façon que ces appels à projet ne mettent pas systématiquement en concurrence les territoires entre eux ;

Considère que ce cadre financier doit tenir compte de l’absolue nécessité de la transition écologique de notre pays et de la soutenabilité environnementale des politiques publiques qui doivent notamment se traduire par la création pour chaque niveau de collectivité d’une « dotation verte territoriale » pour des territoires « décarbonés », susceptible d’être abondée partiellement par des placements citoyens du type « livret d’épargne pour la transition locale » ;

Dans l’immédiat, appelle le Gouvernement, d’une part, à renforcer son plan de soutien destiné à compenser les pertes des collectivités liées à l’épidémie de Covid-19, notamment pour les départements confrontés à un effet ciseaux du fait de la baisse importante de leurs recettes et à une augmentation conséquence des dépenses sociales, et, d’autre part, à mettre fin aux contrats de Cahors et suspendre la réforme de la fiscalité locale, notamment celle de la taxe d’habitation, pour redonner aux collectivités les marges de manœuvre dont elles ont impérativement besoin dans cette période ;

Encourage le Gouvernement à prolonger ce plan de soutien par un « plan de rebond territorial » qui doit permettre aux collectivités d’engager des investissements massifs, par priorité à destination de la santé, de la couverture et de l’accessibilité numériques ou de la transition écologique : rénovation thermique des bâtiments, éco-tourisme, agro-foresterie, développement des circuits courts, gestion durable de l’eau, développement des mobilités douces, du fret ferroviaire et fluvial, production locale d’énergies renouvelables… ;

Proclame la nécessité de mettre en œuvre de nouveaux leviers d’action affirmant le primat de la subsidiarité et qui permettront aux collectivités de mener à bien les politiques publiques locales :

– en autorisant, d’une part, au sein du bloc communal, le transfert « à la carte » des compétences facultatives des communes à l’EPCI, et, d’autre part, l’exercice différencié d’une même compétence au sein du même EPCI (par commune, groupe de communes au sein de l’EPCI, ou totalité de l’EPCI) ;

– en donnant compétence aux collectivités territoriales frontalières des pays de l’Union européenne de nouer des partenariats avec leurs homologues sans être soumis systématiquement à une validation étatique ;

– en facilitant le recours à l’expérimentation locale. La dérogation accordée doit pouvoir être pérennisée sans pour autant faire nécessairement l’objet d’une généralisation. Cela pourrait notamment permettre aux départements volontaires d’expérimenter la mise en œuvre d’un revenu de base ;

– en créant un droit à la différenciation qui favorise l’innovation territoriale, permette d’adapter l’exercice des compétences à la diversité territoriale et donne plus de souplesse à l’action publique ; sans pour autant que cette différenciation n’ait pour objet ou effet de déshabiller un niveau de collectivité au profit d’un autre ;

– en conférant au pouvoir réglementaire des collectivités une portée effective leur permettant de déterminer les modalités d’application de la loi dans leurs domaines de compétences. Chaque collectivité serait compétente en cas de non-renvoi au pouvoir réglementaire de l’État ou en complément de celui-ci. Le pouvoir de saisine du conseil régional prévu par la loi Notre pour proposer des adaptations réglementaires, en vigueur ou en cours d’élaboration, serait étendu aux autres niveaux de collectivités ;

– en assurant un fonctionnement optimal du territoire qui rompe avec la logique de frontière et de concurrence entre collectivités liée aux périmètres géographiques de chacune ;

– en établissant à l’échelle départementale – ou interdépartementale – un ou des pactes interterritoriaux prescriptifs qui s’assurent, dans le cadre d’une coopération entre tous les niveaux de gouvernement, d’un accès et d’une distribution équitable des biens et services publics accessibles en moins de 30 minutes aux citoyens du périmètre concerné. Ce ou ces pactes s’assureront tout particulièrement de la continuité des services entre collectivités notamment en matière de réseaux (transports collectifs, mobilités douces, déchets, eaux…). Ils doivent permettre d’intensifier la transition écologique. Ces pactes constitueront également une opportunité de revivifier les pôles d’équilibre territorial et rural (PETR) et les pôles métropolitains ;

Encourage l’État, en parallèle de cet approfondissement de la décentralisation, à mener à bien la réforme de son organisation territoriale, dans le cadre de la redéfinition des compétences qui sera inscrite dans la Constitution :

– en clarifiant son champ d’intervention et en éliminant les doublons, notamment dans les domaines où les compétences sont transférées aux collectivités territoriales ;

– en mettant fin au processus « d’agencification » de l’État qui, compte tenu du caractère mono-tâche et centralisé de ces agences, l’éloigne d’une transversalité et d’une proximité des politiques publiques ;

– en renforçant l’autorité des préfets de département sur les services déconcentrés ;

– en faisant du corps préfectoral l’interface unique de communication avec les élus dans le département ;

Demande que cet approfondissement de la décentralisation s’accompagne d’un affermissement de la démocratie locale par :

– la nécessité de démocratiser les fonctions exécutives intercommunales afin d’accroître leur légitimité et leur redevabilité, de mieux représenter les communes et de respecter la parité ;

– plus fondamentalement, de renforcer la présence des femmes à la tête des exécutifs locaux ;

– un accroissement des droits des élus, et notamment ceux des élus de l’opposition ;

– une séparation stricte des fonctions « exécutives » et « législatives » locales ;

– différents dispositifs de participation citoyenne pour contribuer à l’acceptabilité des projets locaux (comme, par exemple, les jurys citoyens non décisionnels, les conférences de consensus, les budgets participatifs…) ;

– une meilleure association des conseils de développement ;

Considère qu’une avancée de la décentralisation nécessite une réaffirmation de la place des élus pour aboutir à une démocratisation des fonctions électives locales. Cette évolution passe par :

– la mise en place au sein du code général des collectivités territoriales (CGCT) d’une partie spécifique dédiée au statut de l’élu ;

– la possibilité pour certains élus d’exercer leur fonction de manière exclusive à plein temps ou à temps partiel, en fonction de la taille de la collectivité, en devenant agent civique territorial ;

– la limitation nécessaire dans ce système du cumul dans le temps à trois mandats exécutifs dans la même fonction (à part dans les communes de moins de 1 000 habitants), cette règle constituant un levier majeur pour accélérer le renouvellement de la classe politique et la féminisation des assemblées ;

– une valorisation de l’expérience élective dans le parcours professionnel individuel (qu’il s’agisse d’une possibilité de diplôme et/ou d’une validation des acquis de l’expérience) ;

Enfin, appelle à renforcer les moyens d’information et d’évaluation du Sénat pour contribuer à l’amélioration de la production normative relative aux collectivités territoriales et à l’articulation de leurs rapports avec l’État :

– en joignant l’avis du Conseil consultatif d’évaluation des normes aux projets de loi relatifs aux collectivités territoriales et à leurs groupements ;

– en créant une commission sénatoriale d’évaluation des lois relatives à l’organisation territoriale en vue d’en mesurer leur impact et notamment leur congruence avec une offre équitable de service public sur les territoires. Cette commission doit pouvoir recourir à des expertises indépendantes auprès de la recherche publique ou faire appel à des institutions ou organismes publics existants (Conseil d’État, Cour des comptes, France Stratégie…).

Vote sur l’ensemble

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour une nouvelle ère de la décentralisation
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour une nouvelle ère de la décentralisation
 

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Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes du covid-19
Discussion générale (suite)

Création d’un fonds d’indemnisation des victimes du Covid-19

Rejet d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes du covid-19
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste et républicain, la discussion de la proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes du Covid-19, présentée par Mme Victoire Jasmin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 425, texte de la commission n° 531, rapport n° 530).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Victoire Jasmin, auteure de la proposition de loi.

Mme Victoire Jasmin, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans cette France du 25 juin 2020, qui commence progressivement à panser les plaies de cette terrible pandémie, la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter est un texte attendu et espéré par beaucoup.

Mes premières pensées sont évidemment pour les victimes de la Covid-19 et leurs familles.

Je tiens également à associer à nos travaux mes collègues du groupe socialiste et républicain, qui ont, avec moi, déposé cette proposition de loi, plus particulièrement le sénateur Lurel. Je les remercie tous de la confiance qu’ils m’ont accordée.

J’en profite enfin pour saluer l’excellent rapport fait, au nom de la commission des affaires sociales, par ma collègue Corinne Féret, que je remercie pour les amendements proposés afin d’améliorer le texte initial.

Ce texte, rédigé durant les heures les plus tragiques de la propagation de l’épidémie de la Covid-19 en France et partout dans le monde, est une forme de réponse à l’engagement de certains de nos concitoyens – à nouveau, j’ai une pensée particulière pour ceux qui sont décédés et pour leurs proches. Il aborde certaines difficultés rencontrées par ceux qui, parmi nous, ont été directement confrontés à cette épidémie.

Bien sûr, au fil des jours, les applaudissements à vingt heures et les manifestations de gratitude envers les premiers de corvée se sont faits plus discrets, mais la gratitude demeure envers toutes les personnes qui ont assuré la continuité des services essentiels à la vie de la Nation. Je pense évidemment aux professionnels et aux bénévoles de santé, ainsi qu’aux personnels des premiers secours, aux pompiers, aux ambulanciers, aux techniciens de laboratoire, aux forces de sécurité, aux services d’aide à la personne, aux services de propreté et de salubrité publique, aux salariés des pompes funèbres, aux salariés de la grande distribution ou aux agents de la RATP. Je pense aussi aux bénévoles de la réserve sanitaire, et à tant d’autres qui se sont mobilisés pendant le confinement.

Cette proposition de loi repose sur un constat assez simple : la période que nous venons de connaître a été sans précédent, tant par sa gravité que par la rapidité de la propagation de l’épidémie à l’échelle mondiale.

Face aux risques accrus de contagion et de morbidité associés au coronavirus SARS-CoV-2, nous avons en urgence dû adopter des mesures exceptionnelles de confinement, afin de mettre à l’abri le plus grand nombre d’entre nous. Ces mesures de salubrité publique nous ont permis d’épargner de nombreuses vies, et, même si le bilan des décès suite à l’infection reste trop lourd, nous pouvons collectivement nous féliciter de la réussite de ce confinement.

Pour autant, certains travailleurs et bénévoles ayant poursuivi leurs activités professionnelles ou associatives pendant cette période ont été exposés à un risque accru de contamination, d’autant plus accru que les équipements de protection individuelle et collective, nous le savons, faisaient alors cruellement défaut.

Parmi les malades de la Covid-19, peu sont des professionnels qui ont dû maintenir leurs activités pendant le confinement. Heureusement, l’immense majorité de ces professionnels ont été atteints d’une forme bénigne, parfois passée totalement inaperçue et sans aucun impact sur leur état de santé. Malheureusement, certains ont développé des formes sévères de l’infection. Pour un nombre très limité d’entre eux, ils en garderont des séquelles, lourdes pour les malades et pour leurs familles, souvent irréversibles au plan psychologique et allant jusqu’à la mort dans les cas les plus graves.

Quand il y a eu décès, alors que les personnes s’étaient retrouvées seules, sans contact avec leurs proches, les services funéraires se sont déroulés dans des conditions particulièrement difficiles, rendant d’autant plus pénible le travail de deuil pour de nombreuses familles.

Comme cela fut annoncé par le ministre des solidarités et de la santé, le 23 avril dernier, certains pourront prétendre à des réparations au titre de la maladie professionnelle. Il est heureux qu’à l’approche de l’examen de cette proposition de loi le Gouvernement se soit enfin décidé à accélérer la publication des ordonnances et décrets permettant cette reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle pour les soignants.

Mais cette avancée réglementaire ne permettra pas de reconnaître les services rendus à la Nation par tous ceux qui ont travaillé. C’est pourquoi, afin de matérialiser notre reconnaissance et faire preuve de notre humanisme envers ceux qui étaient mobilisés sur le front – nous étions en guerre ! –, nous leur devons de faire évoluer la loi.

Voilà pourquoi cette proposition de loi institue un fonds d’indemnisation des victimes graves de la Covid-19, destiné à offrir, à ces victimes ou à leurs ayants droit, une réparation intégrale de leur préjudice.

Les attentes sont grandes et légitimes, comme nous l’ont montré les auditions des associations représentant les victimes, mais aussi celles de la Caisse nationale d’assurance maladie et de la Direction de la sécurité sociale. Ces entretiens ont mis en lumière la nécessité d’instituer un processus d’indemnisation simplifié et équitable de tous les travailleurs ou bénévoles qui, par obligation, auraient été exposés à un risque accru de contamination pendant le confinement.

Il va sans dire que le fonds qu’il vous est proposé de créer ne se substitue pas au régime d’indemnisation des maladies professionnelles. Il en est clairement complémentaire ! D’ailleurs, opposer les deux mécanismes serait un non-sens : ils s’articulent ensemble, dans le respect d’une même logique, mais avec des modalités techniques d’application différentes.

J’entends évidemment les réserves exprimées par certains à l’idée de lier maladie contagieuse, infectieuse, et maladie professionnelle. Ils font valoir le risque, à l’avenir, d’une multiplication excessive des contentieux.

Pour autant, alors qu’il y a aussi eu des réclamations pour ouvrir la réparation de ce fonds à l’ensemble de la population, il apparaît qu’une circonscription, comme le proposent la rapporteure, Mme Féret, et l’ensemble du groupe socialiste, par la réduction du champ d’application à une période limitée – la période de l’état d’urgence – apporte les gages et les garde-fous nécessaires, levant ainsi les obstacles au vote de cette proposition de loi.

S’agissant du financement, point clé de tout principe de réparation, si l’on peut légitimement repenser une contribution de l’État ou celle des employeurs par le biais de la branche AT-MP (accidents du travail-maladies professionnelles) de la sécurité sociale, le choix de la création d’une taxe additionnelle à la taxe Gafam, au vu des énormes bénéfices engrangés par les géants du numérique pendant le confinement, apporterait une forme d’équité sociale et de pragmatisme fiscal.

L’orientation proposée dans ce texte est donc réaliste, équilibrée et juste.

Durant le confinement, ils ont été qualifiés de « premiers de corvée », parfois de soldats exposés au risque de contamination, à un moment, faut-il le rappeler, où la France manquait cruellement de masques.

Je suis certaine que le Gouvernement a tiré les premières leçons et que nous ne reproduirons pas à l’identique les mesures exceptionnelles du confinement – même en cas de seconde vague, nous serons prêts à faire autrement.

La gratitude de la Nation doit donc maintenant s’exprimer. À cet effet, je vous propose un outil simple et juste, fondé sur des principes clairs et des critères objectivables, afin de permettre la réparation intégrale des préjudices subis par un nombre limité de personnes, professionnels ou bénévoles ayant dû poursuivre leurs activités pendant le confinement pour que nous soyons là, aujourd’hui, et qui en sont décédés ou gardent des séquelles importantes de la maladie ainsi contractée.

C’est donc avec humilité, gravité et confiance que je vous soumets cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Yves Détraigne applaudit également.)